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17/10/2018 | CJUE | N°C-504/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre Irlande., 17/10/2018, C-504/17


ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

17 octobre 2018 (*)

« Manquement d’État ‐ Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Directive 2003/96/CE ‐ Articles 4 et 7 – Application des niveaux minima de taxation applicables aux carburants – Directive 95/60/CE ‐ Marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant – Ravitaillement des bateaux de plaisance privés »

Dans l’affaire C‑504/17,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 août 2017,

Commis

sion européenne, représentée par M^me F. Tomat et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Irla...

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

17 octobre 2018 (*)

« Manquement d’État ‐ Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Directive 2003/96/CE ‐ Articles 4 et 7 – Application des niveaux minima de taxation applicables aux carburants – Directive 95/60/CE ‐ Marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant – Ravitaillement des bateaux de plaisance privés »

Dans l’affaire C‑504/17,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 août 2017,

Commission européenne, représentée par M^me F. Tomat et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par M^mes M. Browne, G. Hodge et J. Quaney ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. F. Callanan, SC, et de M. B. Doherty, BL,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Vilaras (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la huitième chambre, MM. J. Malenovský et M. Safjan, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour :

–        de constater que, en ne veillant pas à l’application des niveaux minima de taxation applicables aux carburants prescrits par la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51), l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 7 de cette directive ;

–        de constater que, en autorisant l’utilisation de carburant marqué aux fins de la navigation de plaisance privée, même lorsque ce carburant ne fait l’objet d’aucune exonération ou réduction de droits d’accise, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 95/60/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant (JO 1995, L 291, p. 46), et

–        de condamner l’Irlande aux dépens.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2003/96

2        Ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, de la directive 2003/96, on entend par « produits énergétiques », aux fins de cette directive, notamment, les produits relevant des codes de la nomenclature combinée (ci-après les « codes NC ») 2704 à 2715 inclus, figurant à l’annexe I du règlement (CEE) n^o 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), telle que
modifiée par le règlement (CE) n^o 2031/2001 de la Commission, du 6 août 2001 (JO 2001, L 279, p. 1).

3        En particulier, le code NC 2710 comprend la sous-position NC 2710 00 69, laquelle vise le gazole destiné à des usages autres que ceux visés, respectivement, par les sous-positions 2710 00 61 (gazole destiné à subir un traitement défini) et 2710 00 65 (gazole destiné à subir une transformation chimique par un traitement autre que ceux définis par la sous-position 2710 00 61).

4        L’article 4 de la directive 2003/96 prévoit :

« 1.      Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité visés à l’article 2 ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par la présente directive.

2.      Aux fins de la présente directive, on entend par “niveau de taxation” le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)]) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation. »

5        L’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive dispose :

« À partir du 1^er janvier 2004 et du 1^er janvier 2010, les niveaux minima de taxation applicables aux carburants sont fixés conformément à l’annexe I, tableau A. »

6        Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive :

« Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1),] concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces
exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus :

[...]

c)      les produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation, comme carburant ou combustible pour la navigation dans des eaux communautaires (y compris la pêche), autre qu’à bord de bateaux de plaisance privés, et l’électricité produite à bord des bateaux.

Aux fins de la présente directive, on entend par “bateau de plaisance privé” tout bateau utilisé par son propriétaire ou par la personne physique ou morale qui peut l’utiliser à la suite d’une location ou à un autre titre, à des fins autres que commerciales et, en particulier, autres que le transport de passagers ou de marchandises ou la prestation de services à titre onéreux ou pour les besoins des autorités publiques. »

7        L’article 18, paragraphe 1, de la même directive est rédigé comme suit :

« Par dérogation aux dispositions de la présente directive, les États membres sont autorisés à continuer d’appliquer les niveaux réduits de taxation ou les exonérations énumérés à l’annexe II.

Sous réserve d’un examen préalable du Conseil, sur la base d’une proposition de la Commission, cette autorisation expire le 31 décembre 2006 [...] »

8        En vertu de l’annexe II, point 7, de la directive 2003/96, l’Irlande était autorisée à déroger aux niveaux de taxation applicables à la « navigation de plaisance privée ».

 La directive 95/60

9        Aux termes des premier à quatrième considérants de la directive 95/60 :

« considérant que les mesures communautaires envisagées dans la présente directive sont non seulement nécessaires mais indispensables à la réalisation des objectifs du marché intérieur ; que ces objectifs ne peuvent être atteints individuellement par les États membres ; [...] que la présente directive est conforme au principe de la subsidiarité ;

considérant que la directive 92/82/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO 1992, L 316, p. 19), abrogée et remplacée par la directive 2003/96,] fixe les dispositions concernant les taux d’accise minimaux applicables à certaines huiles minérales, et notamment aux différentes catégories de gazole et pétrole lampant ;

considérant que le bon fonctionnement du marché intérieur requiert à présent l’établissement de règles communes pour le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant qui n’ont pas été taxés au taux normal applicable à ces huiles minérales utilisées comme carburant ;

considérant que certains États membres devraient, en raison de circonstances nationales particulières, être autorisés à déroger aux mesures arrêtées dans la présente directive ».

10      L’article 1^er de cette directive dispose :

« 1.      Sans préjudice des dispositions nationales en matière de marquage fiscal, les États membres appliquent un système de marquage fiscal conforme aux dispositions de la présente directive :

–        à tous les types de gazole relevant du code NC 2710 00 69 qui ont été mis à la consommation [...] et qui ont été exonérés ou frappés d’un droit d’accise à un taux autre que celui prévu à l’article 5 paragraphe 1 de la directive 92/82/CEE,

[...]

2.      Les États membres peuvent autoriser des dérogations à l’application du système de marquage fiscal prévu au paragraphe 1 pour des raisons de santé publique, de sécurité ou d’autres raisons techniques, à condition qu’ils prennent des mesures appropriées de contrôle fiscal. »

11      L’article 3, première alinéa, de ladite directive est libellé comme suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que l’usage abusif des produits marqués est évité et notamment que les huiles minérales en question ne peuvent être utilisées comme carburant dans le moteur d’un véhicule destiné à circuler sur route, ou conservées dans son réservoir à moins qu’une telle utilisation ne soit permise dans des cas spécifiques déterminés par les autorités compétentes des États membres. »

 Le droit irlandais

12      Le Finance Act 1999 (loi de finances de 1999), tel que modifié à la suite de l’expiration, le 31 décembre 2006, de la période de dérogation prévue à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2003/96, par le Finance Act 2008 (loi de finances de 2008) (ci-après la « loi de finances de 1999 »), contient un article 97A, intitulé « Navigation de plaisance privée » et libellé ainsi :

« 1)      Sous réserve des paragraphes 2 et 3, l’huile lourde qui a été taxée au taux fixé à l’annexe 2 pour d’autres huiles lourdes (dénommée “gazole marqué” dans le présent article) peut être utilisée à des fins de navigation de plaisance privée.

2)      Lorsque le paragraphe 1 s’applique, le propriétaire du bateau utilisé à des fins de navigation de plaisance privée remet à un agent, au plus tard le premier jour du mois de mars suivant l’année civile au cours de laquelle le gazole marqué a été acheté à cette fin :

a)      une déclaration, au format requis par l’autorité fiscale, précisant la quantité, en litres, de gazole marqué achetée au cours de cette année civile, et

b)      le paiement, sur cette quantité, d’un montant de taxes sur l’huile minérale calculé au taux de 32,069 centimes par litre (soit la différence entre le taux de taxe sur l’huile minérale pour le gazole marqué et le taux pour l’huile lourde utilisée à des fins de navigation de plaisance privée).

3)      Le propriétaire visé au paragraphe 2 tient un registre de ces achats, selon la forme requise par l’autorité fiscale, avec les reçus justifiant tous les achats de gazole marqué concernés. »

 La procédure précontentieuse

13      Le 27 septembre 2013, la Commission a adressé à l’Irlande une lettre de mise en demeure, lui indiquant qu’elle avait manqué à ses obligations en vertu, d’une part, des articles 4 et 7 de la directive 2003/96 et, d’autre part, de la directive 95/60.

14      L’Irlande a répondu par lettre du 21 janvier 2014, contestant les manquements qui lui étaient reprochés.

15      Ne s’estimant pas satisfaite de la réponse de l’Irlande, la Commission a, le 22 avril 2014, adressé un avis motivé à cet État membre.

16      L’Irlande y a répondu par une lettre du 2 juillet 2014, en réaffirmant la position qu’elle avait déjà exprimée dans sa réponse à la lettre de mise en demeure.

17      Estimant que l’Irlande ne satisfaisait toujours pas aux obligations qui lui incombent en vertu, d’une part, des articles 4 et 7 de la directive 2003/96 et, d’autre part, de la directive 95/60, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

18      À l’appui de son recours, la Commission avance deux griefs tirés de la violation, d’une part, de la directive 2003/96 et, d’autre part, de la directive 95/60.

 Sur le premier grief, tiré de la violation de la directive 2003/96

 Argumentation des parties

19      La Commission reproche à l’Irlande de ne pas avoir veillé à l’application effective des taux d’accise prescrits par la directive 2003/96 au gazole fourni aux bateaux de plaisance privés. En effet, alors qu’il y aurait entre 25 830 et 27 000 bateaux de plaisance en Irlande, le nombre des déclarations présentées en application de l’article 97A de la loi sur les finances de 1999 serait extrêmement faible, à savoir 38 déclarations pour chacune des années 2009 et 2011, 41 pour l’année 2010 et 28
pour l’année 2012.

20      S’agissant de l’ampleur de l’infraction, la Commission relève que le manquement qu’elle reproche à l’Irlande concerne une catégorie entière de consommation de carburant et la portée de la violation alléguée serait loin d’être négligeable. Le fait que ce manquement vise la taxation d’une catégorie déterminée de carburant ne l’empêcherait pas de présenter « un certain degré de constance et de généralité » et de constituer une infraction « répétée et persistante », au sens de la jurisprudence
de la Cour. 

21      Enfin, la Commission précise que le manquement qu’elle reproche à l’Irlande concerne non pas la transposition de la directive 2003/96, mais son application pratique, à savoir l’omission de garantir l’application effective des taux minima d’accise prescrits par cette directive en ce qui concerne les carburants utilisés pour la propulsion des bateaux de plaisance privés. La portée du manquement reproché ressortirait clairement tant de la procédure précontentieuse que de la requête.

22      L’Irlande fait valoir, à titre liminaire, qu’il n’est pas aisé de déterminer si la Commission critique la réglementation irlandaise adoptée pour transposer la directive 2003/96 ou la mise en œuvre de cette législation. Or, dans la mesure où cette distinction revêt une importance fondamentale dans le cadre d’un recours en manquement, il appartiendrait à la Cour d’apprécier la recevabilité du recours.

23      Dans la mesure où le présent recours devrait être déclaré recevable et où le premier grief devrait être compris comme visant la portée de la réglementation irlandaise, l’Irlande fait valoir que les taux d’imposition applicables aux carburants en droit irlandais sont supérieurs aux taux minima définis par la directive 2003/96 et respectent ainsi les articles 4 et 7 de celle-ci.

24      Pour le cas où le premier grief devrait être compris comme visant la mise en œuvre de la réglementation irlandaise, l’Irlande fait observer que le chef de conclusions de la requête relatif aux articles 4 et 7 de la directive 2003/96 ne fait pas de distinction entre les différents types de carburants ou d’utilisateurs et ne contient aucune référence spécifique aux bateaux de plaisance privés. Il s’ensuivrait que la Commission demande à la Cour de constater que l’Irlande a manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 7 de la directive 2003/96 à l’égard de tous les types de carburants et de tous les types d’utilisateurs relevant de ces articles. Une telle allégation serait d’une portée tellement large qu’elle serait dénuée de fondement.

25      L’Irlande souligne qu’elle a déployé des efforts considérables pour assurer la perception effective des droits d’accise calculés aux taux appropriés, prévus par la directive 2003/96. Elle fournit, à cet égard, des explications détaillées concernant la lutte contre la pratique de « lavage » du gazole, à savoir l’élimination frauduleuse du marqueur fiscal appliqué au gazole destiné à un usage soumis à un taux réduit de taxation.

26      Elle précise, toutefois, qu’elle s’est concentrée sur le cas du gazole utilisé comme carburant des moteurs de véhicules routiers, dont l’importance serait beaucoup plus significative, étant donné la proportion infime que représenterait la consommation de gazole destiné à être utilisé dans les moteurs de bateaux de plaisance privés, soit environ 1,3 % de la consommation totale de gazole en Irlande au cours de l’année 2003. Ainsi, le manquement allégué par la Commission concernerait uniquement
une part négligeable du marché irlandais des carburants. Il s’ensuivrait que la Commission ne serait pas parvenue à prouver un manquement présentant un certain degré de constance et de généralité de l’Irlande aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 7 de la directive 2003/96.

 Appréciation de la Cour

27      À titre liminaire, il y a lieu de constater que le manquement reproché par la Commission à l’Irlande dans le cadre du premier grief concerne non pas la transposition, en droit irlandais, de la directive 2003/96, mais la mise en œuvre de la législation irlandaise ayant transposé cette directive.

28      En effet, la Commission reproche à l’Irlande, en substance, d’avoir toléré la situation dans laquelle les détenteurs de bateaux de plaisance privés ne soumettent pas la déclaration prévue à l’article 97A, paragraphe 2, sous a), de la loi de finances de 1999, ni ne paient la différence de taxe prévue au point b) du même paragraphe et de ne pas avoir pris de mesures pour combattre ce cas d’évasion fiscale. Une pratique administrative se serait, ainsi, développée en Irlande qui aurait pour
conséquence que, dans les faits, le gazole utilisé dans les moteurs de bateaux de plaisance privés ne serait pas soumis au taux d’accise approprié, conforme à la directive 2003/96, mais serait soumis au taux réduit, applicable au gazole marqué, destiné à des usages différents.

29      À cet égard, il convient de rappeler qu’une pratique administrative d’un État membre peut faire l’objet d’un recours en manquement lorsqu’elle présente un certain degré de constance et de généralité (arrêt du 22 septembre 2016, Commission/République tchèque, C‑525/14, EU:C:2016:714, point 14 et jurisprudence citée).

30      En l’espèce, il y a lieu de relever que l’Irlande n’a pas contesté les données invoquées par la Commission afférentes, d’une part, au nombre de déclarations soumises au titre de l’article 97A, paragraphe 1, sous a), de la loi de finances de 1999 pour chacune des années 2009 à 2012 et, d’autre part, au nombre estimé des bateaux de plaisance privés en Irlande.

31      Or, un nombre très faible de déclarations, par rapport au nombre estimé des bateaux de plaisance privés présents en Irlande pendant les années concernées, tel que mentionné au point 19 du présent arrêt, ne peut pas s’expliquer par le seul fait qu’une déclaration peut porter sur plusieurs bateaux.

32      L’Irlande demeurant en défaut de justifier la quantité négligeable de ces déclarations, force est de constater qu’un nombre très important de détenteurs de bateaux de plaisance privés en Irlande ne s’acquitte pas des droits d’accise, calculés au taux approprié prévu par la directive 2003/96, sur le gazole utilisé comme carburant dans leurs bateaux. En effet, ces détenteurs s’approvisionnent en gazole marqué, dont le prix d’achat inclut seulement les droits d’accise calculés au taux réduit et
ne soumettent pas la déclaration prévue à l’article 97A, paragraphe 2, sous a), de la loi de finances de 1999 ni ne payent la différence de taxe, ainsi que le prévoit pourtant le point b) du même paragraphe 2.

33      L’Irlande n’a pas allégué avoir pris des mesures pour lutter contre ce problème d’évasion fiscale. Elle a, certes, décrit en détail les efforts considérables qu’elle aurait déployés pour combattre la fraude fiscale, mais dans un domaine différent, à savoir celui du gazole utilisé pour le transport routier, lequel ne fait pas l’objet du présent recours en manquement.

34      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, en l’occurrence, la Commission a apporté la preuve de l’existence d’un manquement de l’Irlande à son obligation de veiller à l’application effective des taux d’accise prescrits par la directive 2003/96 au gazole destiné à être utilisé dans les moteurs de bateaux de plaisance privés, lequel manquement présente un certain degré de constance et de généralité, au sens de la jurisprudence visée au point 29 du présent arrêt.

35      Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de considérer le premier grief comme étant fondé.

 Sur le second grief, tiré de la violation de la directive 95/60

 Argumentation des parties

36      La Commission relève que l’obligation des États membres, résultant de l’article 1^er de la directive 95/60, d’appliquer un marqueur au carburant ayant bénéficié de taux réduits d’accise, vise à faciliter l’identification de ces carburants et leur distinction des carburants taxés au taux plein. Ce marquage faciliterait les contrôles, en permettant la vérification immédiate du traitement fiscal d’une quantité donnée de carburant et la détection de tout usage non conforme de celui-ci.

37      La réalisation de cet objectif deviendrait impossible si un État membre ne limitait pas l’utilisation des marqueurs fiscaux aux carburants bénéficiant de taux réduits d’accise et autorisait leur utilisation également pour les carburants frappés de droits d’accise au taux plein. Il s’ensuit, selon la Commission, que la directive 95/60 interdit l’application d’un marquage fiscal aux carburants taxés au taux plein. Une telle interdiction découlerait également de l’article 3 de la
directive 95/60, qui prévoit l’obligation, pour les États membres, d’empêcher l’usage abusif des produits marqués.

38      Or, dès lors que, en vertu de l’article 97A de la loi de finances de 1999, l’Irlande autorise expressément l’utilisation de gazole marqué en tant que carburant pour la propulsion de bateaux de plaisance privés, alors que les détenteurs de tels bateaux devraient utiliser un carburant frappé de droits d’accise au taux plein, cet État membre aurait manqué à ses obligations découlant de la directive 95/60.

39      L’argument de l’Irlande, tiré de l’existence d’une pratique analogue à celle du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ne pourrait prospérer, dès lors qu’un État membre ne saurait justifier l’inexécution des obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union par la circonstance que d’autres États membres manqueraient également à leurs obligations d’une manière similaire.

40      L’Irlande remarque que la Commission n’identifie aucune disposition spécifique de la directive 95/60 qui serait enfreinte par la législation irlandaise, mais s’appuie plutôt sur sa propre interprétation des objectifs poursuivis par cette directive.

41      Or, il conviendrait d’interpréter la directive 95/60 à la lumière du principe de subsidiarité, mentionné dans son premier considérant. Compte tenu, également, des troisième et quatrième considérants de cette directive, l’Irlande estime que les dispositions de celle-ci ne peuvent être interprétées en ce sens qu’elles procèdent à une harmonisation complète du domaine concerné.

42      S’agissant de l’article 3 de la directive 95/60, mentionné par la Commission, l’Irlande souligne que l’utilisation des termes « abusif » et « évité », figurant au premier alinéa de cet article, implique que les États membres ne sont pas tenus d’interdire tout usage d’un produit marqué. Cette interprétation serait confirmée par l’exemple visé au membre de phrase commençant par « notamment » du même alinéa, lequel permettrait l’utilisation, dans les véhicules, d’un carburant marqué « dans des
cas spécifiques déterminés par les autorités compétentes des États membres ».

43      En l’occurrence, l’utilisation de carburant marqué dans un bateau de plaisance privé serait autorisée en vertu de l’article 97A de la loi de finances de 1999 et, dès lors, ne constituerait pas un usage « abusif ». En tout cas, il n’aurait pas été possible « d’éviter » un tel usage, dans les faits spécifiques de l’espèce. Par ailleurs, l’article 1^er, paragraphe 2, de la directive 95/60 autoriserait les États membres à déroger à l’application du système de marquage fiscal prévu au
paragraphe 1 du même article, notamment pour des raisons techniques. Ce serait précisément de telles raisons, en particulier l’absence d’un réseau distinct de distribution de carburant non marqué pour les besoins des bateaux de plaisance, qui justifieraient la dérogation instituée en vertu de l’article 97A de la loi de finances de 1999.

44      S’agissant de l’argument selon lequel les inspections réalisées par les États membres pourraient être compromises si un marqueur était appliqué aux carburants qui n’ont pas été mis sur le marché à un taux d’imposition réduit, l’Irlande fait valoir que chaque système d’inspection doit traduire les règles sous-jacentes de la directive 95/60 et non pas l’inverse. En effet, chaque système national d’inspection devrait tenir compte de la possibilité, prévue à l’article 3 de cette directive,
d’autoriser, dans certains cas, l’application de marqueurs à un carburant qui n’a pas été mis sur le marché à un taux d’imposition réduit.

45      À cet égard, l’Irlande fait valoir qu’il ressort du point 53 de l’arrêt du 9 septembre 2004, Meiland Azewijn (C‑292/02, EU:C:2004:499), que, lorsqu’un État membre autorise l’ajout d’un marqueur à un carburant, les autorités d’un autre État membre ne peuvent légitimement considérer qu’il s’agit d’un usage abusif.

46      Enfin, l’Irlande considère que les arguments de la Commission à l’appui du second grief de sa requête sont en contradiction avec ceux afférents au premier grief, dans la mesure où, concernant la directive 2003/96, la Commission demanderait à la Cour de constater que les bateaux de plaisance privés ne s’acquittent pas, en Irlande, de droits d’accise calculés au taux plein, tandis que, concernant la directive 95/60, il serait demandé à la Cour de constater que ces mêmes bateaux s’acquittent
desdits droits au taux plein et que, par conséquent, le marqueur fiscal ne devrait pas être appliqué au carburant qu’ils utilisent.

 Appréciation de la Cour

47      À titre liminaire, il y a lieu d’écarter l’argument de l’Irlande selon lequel l’argumentation de la Commission et les conclusions de sa requête afférentes au second grief seraient en contradiction avec celles relatives au premier grief.

48      Dans le cadre du premier grief, la Commission a, en substance, fait valoir que, alors que le gazole utilisé comme carburant dans les bateaux de plaisance privés est soumis, en Irlande, à des droits d’accise calculés au taux plein, dans les faits, un grand nombre de propriétaires de tels bateaux qui, conformément à la réglementation irlandaise applicable, s’approvisionnent en gazole marqué soumis aux droits d’accise calculés au taux réduit ne soumettent pas la déclaration exigée par cette
même réglementation et ne paient pas non plus la différence de droits d’accise.

49      Dans le cadre du second grief, la Commission reproche, en substance, aux autorités irlandaises une violation de la directive 95/60, au motif qu’elles permettent aux propriétaires de bateaux de plaisance privés de s’approvisionner en gazole marqué bien que, conformément à la directive 2003/96 et à la réglementation irlandaise applicable, le gazole utilisé à des fins de navigation de plaisance privée soit soumis aux droits d’accise calculés au taux plein.

50      Le premier grief concerne ainsi le défaut de conformité de la pratique administrative adoptée par l’Irlande au regard de la directive 2003/96, alors que le second grief porte sur la conformité, à la directive 95/60, de la réglementation irlandaise applicable. Il convient, dès lors, de constater qu’il n’existe aucune contradiction ni entre ces deux griefs ni entre les arguments respectivement présentés par la Commission à l’appui de ceux-ci.

51      Ensuite, il y a lieu de relever qu’il ressort clairement de l’article 1^er de la directive 95/60, lu à la lumière du troisième considérant de celle-ci, que les États membres sont tenus d’appliquer un système de marquage fiscal tel que prévu par cette directive, notamment, au gazole qui n’est pas taxé au taux plein.

52      Il ressort a contrario de cette disposition que les États membres ne sauraient appliquer un tel marquage également au gazole taxé au taux plein, sous peine de porter atteinte à l’objectif dudit marquage.

53      En effet, comme le relève à juste titre la Commission, l’objectif poursuivi par la directive 95/60, à savoir celui de compléter la directive 2003/96 et de favoriser la réalisation et le bon fonctionnement du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2004, Meiland Azewijn, C‑292/02, EU:C:2004:499, point 51), en permettant l’identification facile et rapide du gazole non soumis au niveau de taxation normal, ne pourrait être atteint s’il était permis aux États membres d’autoriser
l’utilisation du marquage fiscal également pour le gazole destiné à des usages soumis au taux normal de taxation.

54      Plus précisément, l’admission de la thèse soutenue par l’Irlande, selon laquelle l’article 1^er de la directive 95/60 n’interdit pas aux États membres de permettre l’utilisation de carburants marqués pour des usages soumis à un droit d’accise calculé au taux plein, conduirait au résultat qu’un État membre pourrait prétendre se conformer à ses obligations découlant de cette disposition en prévoyant le marquage fiscal de tous les types de carburants vendus sur son territoire, quel que soit le
taux d’accise auquel ils seraient soumis.

55      Ces considérations ne sont pas remises en cause par l’argument de l’Irlande tiré du quatrième considérant de la directive 95/60, selon lequel, en raison de circonstances nationales particulières, certains États membres devraient être autorisés à déroger aux mesures arrêtées dans cette directive.

56      En effet, contrairement à ce qu’allègue l’Irlande, aucune disposition de la directive 95/60 n’autorise un État membre à appliquer un système de marquage fiscal, au sens de l’article 1^er de cette directive, également au carburant soumis à des droits d’accise calculés au taux plein.

57      L’article 1^er, paragraphe 2, de la directive 95/60, qui vise à mettre en œuvre la volonté du législateur de l’Union énoncée au quatrième considérant de cette même directive, permet aux États membres, dans certains cas, de renoncer, pour des raisons de santé publique, de sécurité ou pour d’autres raisons techniques, au marquage fiscal du carburant frappé d’un droit d’accise à un taux autre que le taux plein.

58      En revanche, cette disposition n’autorise pas les États membres à procéder au marquage fiscal du carburant frappé de droits d’accise au taux plein.

59      Une telle autorisation ne découle pas non plus du dernier membre de phrase de l’article 3, premier alinéa, de la directive 95/60.

60      En effet, cette disposition prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que l’usage abusif de produits marqués soit évité.

61      Cet usage abusif comprend, aux termes de cette même disposition, l’utilisation des huiles minérales marquées comme carburant pour le moteur d’un véhicule destiné à circuler sur route, ou leur conservation dans le réservoir d’un tel véhicule.

62      Contrairement à ce qu’allègue l’Irlande, le dernier membre de phrase de l’article 3, premier alinéa, de la directive 95/60, aux termes duquel l’utilisation des huiles minérales marquées, évoquée au point précédent, n’est pas abusive lorsqu’elle est « permise dans des cas spécifiques déterminés par les autorités compétentes des États membres », ne saurait être interprété en ce sens qu’il autorise les États membres à permettre, dans des cas spécifiques, l’utilisation d’huile minérale marquée
comme carburant de moteurs fonctionnant normalement avec du carburant soumis à des droits d’accise calculés au taux plein, d’autant plus lorsque cet usage ne concerne pas, comme cela est le cas des bateaux de plaisance privés, « un véhicule destiné à circuler sur route ».

63      En effet, certaines des exonérations de la taxation, prévues par la directive 2003/96, pourraient être applicables aux véhicules destinés à circuler sur route et il importe que les véhicules qui relèvent de ces exonérations puissent utiliser du carburant marqué, sans enfreindre la directive 95/60 et les dispositions nationales adoptées pour sa transposition.

64      Enfin, l’argument de l’Irlande, tiré de l’enseignement qui se dégagerait du point 53 de l’arrêt du 9 septembre 2004, Meiland Azewijn (C‑292/02, EU:C:2004:499), ne saurait non plus prospérer.

65      Ainsi qu’il ressort des points 48 et 49 de cet arrêt, celui-ci porte sur la question de savoir si les véhicules légalement approvisionnés en carburant marqué dans un État membre qui avait fait usage d’une faculté prévue par le droit de l’Union pour autoriser cet approvisionnement peuvent circuler sur le territoire d’un autre État membre, qui n’avait pas fait usage de la même faculté.

66      Par conséquent, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, le caractère conforme au droit de l’Union de l’approvisionnement en carburant marqué dans ce premier État membre était constant. Il s’ensuit qu’il n’est pas possible de tirer argument de ce même arrêt dans un cas, comme celui de l’espèce, où c’est précisément le caractère conforme ou non au droit de l’Union de l’approvisionnement en carburant marqué dans l’État membre concerné qui est en cause.

67      Il importe, par ailleurs, de souligner que, à la différence du gazole destiné à la navigation de plaisance privée, dont il est question dans la présente affaire, le carburant concerné par l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 septembre 2004 Meiland Azewijn (C‑292/02, EU:C:2004:499), était soumis à un taux réduit d’accise, ainsi qu’il ressort du point 47 de cet arrêt.

68      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le second grief est également fondé.

69      Dans ces conditions, il convient de constater que, en ne veillant pas à l’application, au gazole utilisé comme carburant pour la propulsion de bateaux de plaisance privés, des niveaux minima de taxation applicables aux carburants prescrits par la directive 2003/96 et en autorisant l’utilisation de carburant marqué pour la propulsion de bateaux de plaisance privés, même lorsque ce carburant ne fait l’objet d’aucune exonération ou réduction de droits d’accise, l’Irlande a manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, des articles 4 et 7 de la directive 2003/96 et de la directive 95/60.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      En ne veillant pas à l’application, au gazole utilisé comme carburant pour la propulsion de bateaux de plaisance privés, des niveaux minima de taxation applicables aux carburants prescrits par la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, et en autorisant l’utilisation de carburant marqué pour la propulsion de bateaux de plaisance privés, même lorsque ce carburant ne fait l’objet
d’aucune exonération ou réduction de droits d’accise, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, des articles 4 et 7 de la directive 2003/96 et de la directive 95/60/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant.

2)      L’Irlande est condamnée aux dépens.

Signatures

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*      Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-504/17
Date de la décision : 17/10/2018
Type de recours : Recours en constatation de manquement

Analyses

Manquement d’État – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Directive 2003/96/CE – Articles 4 et 7 – Application des niveaux minima de taxation applicables aux carburants – Directive 95/60/CE – Marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant – Ravitaillement des bateaux de plaisance privés.

Fiscalité


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Irlande.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wahl
Rapporteur ?: Vilaras

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:832

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