ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
17 octobre 2018 (*)
« Manquement d’État ‐ Directive 95/60/CE ‐ Marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant – Ravitaillement des bateaux de plaisance privés »
Dans l’affaire C‑503/17,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 août 2017,
Commission européenne, représentée par M^me F. Tomat et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Brandon, en qualité d’agent, assisté de M^me M. Gray, barrister,
partie défenderesse,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. M. Vilaras (rapporteur), président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la huitième chambre, MM. J. Malenovský et M. Safjan, juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en autorisant l’utilisation de carburant marqué aux fins de la navigation de plaisance privée, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 95/60/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant (JO 1995, L 291, p. 46), et de condamner le Royaume-Uni aux dépens.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2003/96/CE
2 Ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51), aux fins de cette directive, on entend par « produits énergétiques », notamment, les produits relevant des codes de la nomenclature combinée (ci-après les « codes NC ») 2704 à 2715 inclus, figurant à l’annexe I du règlement (CEE)
n^o 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), telle que modifiée par le règlement (CE) n^o 2031/2001 de la Commission, du 6 août 2001 (JO 2001, L 279, p. 1).
3 En particulier, le code NC 2710 comprend la sous-position NC 2710 00 69, laquelle vise le gazole destiné à des usages autres que ceux visés, respectivement, par les sous-positions 2710 00 61 (gazole destiné à subir un traitement défini) et 2710 00 65 (gazole destiné à subir une transformation chimique par un traitement autre que ceux définis par la sous-position 2710 00 61).
4 L’article 4 de la directive 2003/96 prévoit :
« 1. Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité visés à l’article 2 ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par la présente directive.
2. Aux fins de la présente directive, on entend par “niveau de taxation” le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)]) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation. »
5 L’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive dispose :
« À partir du 1^er janvier 2004 et du 1^er janvier 2010, les niveaux minima de taxation applicables aux carburants sont fixés conformément à l’annexe I, tableau A. »
6 Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de ladite directive :
« Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1),] concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces
exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus :
[...]
c) les produits énergétiques fournis en vue d’une utilisation, comme carburant ou combustible pour la navigation dans des eaux communautaires (y compris la pêche), autre qu’à bord de bateaux de plaisance privés, et l’électricité produite à bord des bateaux.
Aux fins de la présente directive, on entend par “bateau de plaisance privé” tout bateau utilisé par son propriétaire ou par la personne physique ou morale qui peut l’utiliser à la suite d’une location ou à un autre titre, à des fins autres que commerciales et, en particulier, autres que le transport de passagers ou de marchandises ou la prestation de services à titre onéreux ou pour les besoins des autorités publiques. »
7 L’article 18, paragraphe 1, de la même directive est rédigé comme suit :
« Par dérogation aux dispositions de la présente directive, les États membres sont autorisés à continuer d’appliquer les niveaux réduits de taxation ou les exonérations énumérés à l’annexe II.
Sous réserve d’un examen préalable du Conseil, sur la base d’une proposition de la Commission, cette autorisation expire le 31 décembre 2006 [...] »
8 L’article 21, paragraphe 4, de la directive 2003/96 dispose :
« Les États membres peuvent également prévoir que la taxe sur les produits énergétiques et l’électricité est due lorsqu’il est établi qu’une condition relative à l’utilisation finale, fixée par la réglementation nationale aux fins de l’application d’un niveau réduit de taxation ou d’une exonération, n’est pas ou n’est plus remplie. »
9 En vertu de l’annexe II, point 15, de cette directive, le Royaume-Uni était autorisé à déroger aux niveaux de taxation applicables à la « navigation de plaisance privée ».
La directive 95/60
10 Aux termes des premier à quatrième considérants de la directive 95/60 :
« considérant que les mesures communautaires envisagées dans la présente directive sont non seulement nécessaires mais indispensables à la réalisation des objectifs du marché intérieur ; que ces objectifs ne peuvent être atteints individuellement par les États membres ; [...] que la présente directive est conforme au principe de la subsidiarité ;
considérant que la directive 92/82/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO 1992, L 316, p. 19), abrogée et remplacée par la directive 2003/96,] fixe les dispositions concernant les taux d’accise minimaux applicables à certaines huiles minérales, et notamment aux différentes catégories de gazole et pétrole lampant ;
considérant que le bon fonctionnement du marché intérieur requiert à présent l’établissement de règles communes pour le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant qui n’ont pas été taxés au taux normal applicable à ces huiles minérales utilisées comme carburant ;
considérant que certains États membres devraient, en raison de circonstances nationales particulières, être autorisés à déroger aux mesures arrêtées dans la présente directive ».
11 L’article 1^er de cette directive dispose :
« 1. Sans préjudice des dispositions nationales en matière de marquage fiscal, les États membres appliquent un système de marquage fiscal conforme aux dispositions de la présente directive :
– à tous les types de gazole relevant du code NC 2710 00 69 qui ont été mis à la consommation [...] et qui ont été exonérés ou frappés d’un droit d’accise à un taux autre que celui prévu à l’article 5 paragraphe 1 de la directive 92/82/CEE,
[...]
2. Les États membres peuvent autoriser des dérogations à l’application du système de marquage fiscal prévu au paragraphe 1 pour des raisons de santé publique, de sécurité ou d’autres raisons techniques, à condition qu’ils prennent des mesures appropriées de contrôle fiscal. »
12 L’article 3 de ladite directive est libellé comme suit :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour s’assurer que l’usage abusif des produits marqués est évité et notamment que les huiles minérales en question ne peuvent être utilisées comme carburant dans le moteur d’un véhicule destiné à circuler sur route, ou conservées dans son réservoir à moins qu’une telle utilisation ne soit permise dans des cas spécifiques déterminés par les autorités compétentes des États membres.
Les États membres prévoient que l’utilisation des huiles minérales en question dans les cas indiqués au premier alinéa doit être considérée comme une infraction au droit interne de l’État membre considéré. Chaque État membre prend les mesures appropriées pour assurer la pleine application de toutes les dispositions de la présente directive et, notamment, détermine les sanctions à appliquer en cas de violation desdites mesures ; ces sanctions doivent avoir un caractère effectif, proportionné et
dissuasif. »
La directive 2008/118/CE
13 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12), les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue.
14 L’article 33 de la directive 2008/118 dispose :
« 1. Sans préjudice de l’article 36, paragraphe 1, dans les cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un autre État membre pour y être livrés ou y être utilisés, ils sont soumis aux droits d’accise, et les droits d’accise deviennent exigibles dans cet autre État membre.
Aux fins du présent article, on entend par “détention à des fins commerciales” la détention de produits soumis à accise par une personne autre qu’un particulier ou par un particulier autrement que pour ses besoins propres et transportés par lui-même […]
2. Les conditions d’exigibilité et le taux d’accise à appliquer sont ceux en vigueur à la date à laquelle les droits deviennent exigibles dans cet autre État membre.
[...] »
Le droit du Royaume-Uni
15 L’Hydrocarbon Oil Duties Act 1979 (loi de 1979 relative aux droits d’accise sur les huiles d’hydrocarbure), tel que modifié par le Finance Act 2012 (loi de finances de 2012) (ci-après la « loi de 1979 »), régit la taxation des carburants. Entre-temps, à la suite de l’expiration de la période de dérogation prévue à l’article 18 de la directive 2003/96, le Royaume-Uni avait déjà modifié la loi de 1979 pour garantir que le taux de taxation minimum applicable soit conforme aux taux minima
prescrits par la directive 2003/96. En particulier, en vertu de l’article 16 et de l’annexe 6, partie 1, du Finance Act 2008 (loi de finances de 2008), le niveau des droits d’accise frappant, au Royaume-Uni, le carburant utilisé aux fins de la navigation de plaisance privée a été aligné sur les taux prescrits par cette directive.
16 L’article 14E de la loi de 1979 réglemente la taxation du carburant utilisé dans le cadre de la navigation de plaisance privée. Il prévoit ce qui suit :
« Huile lourde et mélange bio bénéficiant d’un taux réduit : bateaux de plaisance privés
1) Le présent article s’applique aux huiles lourdes ou aux mélanges bio bénéficiant d’un taux réduit.
2) Les huiles lourdes ou les mélanges bio ne peuvent être utilisés comme carburant pour la propulsion de bateaux de plaisance privés.
3) Si, lors de la fourniture d’une certaine quantité d’huile lourde ou de mélange bio par une partie (le “fournisseur”) à une autre, cette dernière effectue une déclaration adéquate au fournisseur :
a) le paragraphe 2 ne s’applique pas à cette huile lourde ou à ce mélange bio,
et
b) le fournisseur est tenu de verser à l’autorité fiscale, conformément à la réglementation, le montant prévu au paragraphe 4.
4) Le montant équivaut à Q × R
où
Q est la quantité (en litres) d’huile lourde ou de mélange bio, et
R est le taux de réduction applicable au moment de la fourniture.
5) La “réduction applicable” est
a) dans le cas de l’huile lourde bénéficiant d’un taux réduit au titre de l’article 13ZA ou de l’article 13AA, paragraphe 1, la réduction prévue par cette disposition ;
b) dans le cas de l’huile lourde à laquelle le point a) ne s’applique pas, la réduction prévue à l’article 11 pour ce type d’huile lourde, et
c) dans le cas du mélange bio, la réduction prévue à l’article 11, paragraphe 1, point b).
6) Le montant visé au paragraphe 3, point b), doit être considéré, aux fins de l’article 12 [du Finance Act 1994 (loi de finances de 1994)] (perception de droits d’accise), comme un montant de droits d’accise.
[...]
7A) Une déclaration adéquate doit comprendre la reconnaissance du fait qu’aucune disposition du présent article ou qu’aucun acte posé en vertu de celui-ci (y compris la déclaration elle-même) n’affecte les restrictions ou interdictions prévues par la législation d’un État membre autre que le Royaume-Uni en ce qui concerne l’utilisation d’huiles lourdes ou de mélanges bio comme carburants aux fins de la navigation en dehors des eaux territoriales du Royaume-Uni [...]
8) Dans le présent article,
les termes “bateaux de plaisance privés” ont le même sens qu’à l’article 14, paragraphe 1, point c), de la directive 2003/96/CE ;
le terme “réglementation” doit s’entendre comme les dispositions adoptées en vertu de l’article 24, paragraphe 1, aux fins du présent article, et
les termes “déclaration adéquate”, se rapportant à une certaine quantité d’huile lourde ou de mélange bio, doivent s’entendre comme une déclaration, effectuée selon les modalités et la forme prescrites par la réglementation, selon laquelle l’huile lourde ou le mélange bio sont destinés à être utilisés comme carburant aux fins de la navigation de plaisance privée. »
La procédure précontentieuse
17 Le 17 juin 2011, la Commission a adressé au Royaume-Uni une lettre de mise en demeure, lui indiquant qu’il avait manqué à ses obligations en vertu de la directive 95/60.
18 Le Royaume-Uni a répondu par lettre du 10 août 2011, contestant le manquement qui lui était reproché.
19 Le 16 mai 2012, le Royaume-Uni a informé la Commission d’une initiative législative visant à mettre fin à l’infraction alléguée. La mesure consistait en l’insertion de la disposition devenue le paragraphe 7A de l’article 14E de la loi de 1979.
20 Par lettre du 8 août 2012, la Commission a indiqué au Royaume-Uni que la modification législative évoquée dans la lettre de celui-ci du 16 mai 2012 ne remédiait pas au manquement dont il était question dans sa lettre du 17 juin 2011.
21 N’ayant pas reçu de réponse à sa lettre du 8 août 2012, la Commission a, le 30 mai 2013, adressé un avis motivé au Royaume-Uni.
22 Le Royaume-Uni y a répondu par une lettre du 24 juillet 2013, en réaffirmant la position qu’il avait déjà exprimée dans sa réponse à la lettre de mise en demeure.
23 Estimant que la législation en vigueur au Royaume-Uni demeure incompatible avec le droit de l’Union, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
24 LaCommission avance un grief unique, tiré de la violation de la directive 95/60.
Argumentation des parties
25 La Commission relève que l’obligation des États membres, résultant de l’article 1^er de la directive 95/60, d’appliquer un marqueur au carburant ayant bénéficié de taux réduits d’accise, vise à faciliter la distinction de ces carburants de ceux taxés au taux plein et, ainsi, de faciliter les contrôles. La réalisation de cet objectif deviendrait impossible si un État membre ne limitait pas l’utilisation des marqueurs fiscaux aux carburants bénéficiant de taux réduits d’accise et autorisait
leur utilisation également pour les carburants frappés de droits d’accise au taux plein.
26 Il s’ensuit, selon la Commission, que la directive 95/60 interdit l’application d’un marquage fiscal aux carburants taxés au taux plein. Une telle interdiction découlerait également de l’article 3 de la directive 95/60, qui prévoit l’obligation, pour les États membres, d’empêcher l’usage abusif des produits marqués.
27 Par conséquent, en autorisant, en vertu de l’article 14E de la loi de 1979, l’utilisation d’huile marquée en tant que carburant pour la propulsion de bateaux de plaisance privés, dont l’utilisation est soumise aux droits d’accise au taux plein, le Royaume-Uni aurait manqué à ses obligations découlant de la directive 95/60.
28 La Commission considère que l’interprétation de la directive 95/60 préconisée par le Royaume-Uni, selon laquelle un État membre pourrait appliquer exactement le même marquage à différents carburants, quel que soit le taux d’accise auquel ils sont frappés, va à l’encontre de l’objectif de cette directive et réduit à néant son effet utile.
29 Ni la mise en place éventuelle, par un État membre, de ses propres procédures visant à empêcher l’utilisation frauduleuse de gazole ni des préoccupations quant aux éventuels coûts et inconvénients pour les opérateurs privés ne sauraient justifier la non-application des dispositions de la directive 95/60.
30 Selon la Commission, l’argument avancé dans le cadre de la procédure précontentieuse par le Royaume-Uni, selon lequel les autorités compétentes des autres États membres auraient la possibilité de demander les reçus relatifs au carburant acheté au Royaume-Uni pour s’assurer du paiement des droits d’accise afférent à ce carburant, ne saurait non plus être admis. Même si le détenteur d’un bateau de plaisance privé était en mesure de produire un reçu pour l’achat de carburant marqué, rien ne
garantirait que le carburant présent dans le réservoir du bateau en question correspondait au carburant concerné par le reçu.
31 La Commission ajoute que l’article 14E, paragraphe 7A, de la loi de 1979 ne constitue pas une mesure susceptible de remédier au manquement reproché au Royaume-Uni, dès lors que cette disposition n’interdit pas l’utilisation d’huiles marquées en dehors des cas visés à l’article 1^er de la directive 95/60.
32 Enfin, la Commission conteste l’allégation du Royaume-Uni selon laquelle l’argument tiré de l’atteinte à l’effet utile de la directive 95/60 aurait été invoqué pour la première fois dans la requête introductive d’instance et serait irrecevable. Elle fait valoir que, tant dans la lettre de mise en demeure que dans l’avis motivé, elle a indiqué que la pratique du Royaume-Uni va à l’encontre tant du libellé que de la finalité de cette directive.
33 Le Royaume-Uniestime qu’il s’est conformé aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 95/60. L’obligation découlant de l’article 1^er de cette directive serait respectée, dès lors que tous les carburants soumis à des droits d’accise réduits feraient, au Royaume-Uni, l’objet d’un marquage fiscal, lors de leur mise à la consommation. L’obligation découlant de l’article 3 de la même directive serait également respectée, car le Royaume-Uni aurait mis en place un système de
contrôle fiable, pour veiller à ce que le carburant marqué ne fasse pas l’objet d’une utilisation inappropriée et que, s’il fait l’objet d’un usage soumis aux droits d’accise au taux plein, ces droits soient payés dans leur totalité.
34 Selon le Royaume-Uni, les obligations supplémentaires que la Commission tend à faire peser sur lui ne découlent ni des articles 1^er et 3 ni d’une autre disposition de la directive 95/60. La Commission admettrait elle-même que le libellé de l’article 1^er de la directive 95/60 n’exclut pas le marquage de produits ultérieurement soumis à des droits d’accise au taux plein et l’argument selon lequel une telle façon de procéder priverait ladite directive de son effet utile n’aurait été avancé ni
dans la lettre de mise en demeure ni dans l’avis motivé et serait irrecevable.
35 En tout état de cause, cet argument ne saurait prospérer. Selon le Royaume-Uni, ainsi que le confirme son premier considérant, la directive 95/60 constitue une mesure d’harmonisation minimale, conçue de manière ouverte et rédigée en des termes très généraux, qui confère aux États membres un pouvoir d’appréciation quant aux mesures à adopter. De plus, tant en vertu de l’article 1^er, paragraphe 2, de la directive 95/60 que de l’article 3 de celle-ci, les États membres seraient autorisés à
adopter des dérogations.
36 Le Royaume-Uni ajoute qu’il ressort de la directive 2008/118 que les produits achetés dans l’un des États membres puis transportés dans un autre de ceux-ci ne sont taxables que dans le premier État membre. Dès lors, si le détenteur d’un bateau de plaisance privé était en mesure de présenter aux autorités fiscales compétentes d’un autre État membre le reçu et le livre de bord aux fins d’établir que le carburant qui se trouve dans le réservoir de ce bateau a été acheté au Royaume-Uni, ces
autorités n’auraient pas besoin de contrôler le montant des droits d’accise payés. Des problèmes administratifs éventuels pourraient être aisément résolus par la fixation des normes communes en matière de reçus fiscaux délivrés par les États membres.
37 Par ailleurs, selon le Royaume-Uni, il ressort de l’article 21, paragraphe 4, de la directive 2003/96 que les États membres peuvent mettre en place des procédures nationales prévoyant qu’un taux plus élevé d’accise est appliqué à un produit énergétique, lorsque son utilisation finale ne permet plus de prétendre à l’application du taux réduit. Cette hypothèse correspondrait à celle envisagée par la réglementation applicable au Royaume-Uni, relative à l’utilisation de carburant marqué pour la
propulsion des bateaux de plaisance privés.
38 En tout état de cause, il ressortirait des premier et troisième considérants de la directive 95/60 que cette dernière viserait à permettre le bon fonctionnement du marché intérieur. Or, la Commission admettrait elle-même que les procédures actuellement en vigueur au Royaume-Uni n’entraînent pas une situation dans laquelle le niveau minimal de droits d’accise n’est pas perçu. Les éventuelles incidences néfastes sur le fonctionnement du marché intérieur résultant des mesures de transposition
arrêtées au Royaume-Uni seraient si faibles qu’elles relèveraient de la règle de minimis.
39 À cet égard, le Royaume-Uni fait état des difficultés pratiques que, selon lui, engendrerait une application de la directive 95/60 de la manière envisagée par la Commission. Il s’agirait en l’occurrence de mesures disproportionnées, dans la mesure où elles entraîneraient la nécessité, pour les distributeurs de carburant pour bateaux, de s’équiper des installations nécessaires, tel un réservoir supplémentaire, afin de fournir également du carburant non marqué aux bateaux de plaisance. De
telles installations supplémentaires n’étant pas rentables, la plupart des distributeurs ne procéderaient pas aux investissements nécessaires. En raison de la situation géographique particulière du Royaume-Uni, avec des côtes d’une longueur totale de 19 717 km, cela poserait un problème pratique significatif pour les détenteurs de bateaux de plaisance et pourrait même conduire à un risque d’accidents, si les intéressés essayaient de stocker de grandes quantités de carburant à bord de leur bateau,
pour faire face à d’éventuelles difficultés de ravitaillement en route.
Appréciation de la Cour
40 À titre liminaire, il doit être relevé que le Royaume-Uni soulève l’irrecevabilité de l’unique grief de la Commission au motif que celle-ci n’aurait invoqué aucun argument concernant l’atteinte à l’effet utile de la directive 95/60 dans la lettre de mise en demeure ou dans l’avis motivé.
41 À cet égard, selon la jurisprudence de la Cour, si un recours en manquement doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que l’avis motivé, cette exigence ne saurait aller jusqu’à imposer, en toute hypothèse, une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête, dès lors que l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé, n’a pas été étendu ou modifié (arrêt du 8 juillet 2010, Commission/Portugal, C‑171/08,
EU:C:2010:412, point 26).
42 En l’espèce, il ressort du dossier soumis à la Cour que tant dans la lettre de mise en demeure que dans l’avis motivé qu’elle a adressés au Royaume-Uni, la Commission a, en substance, fait valoir que la pratique du Royaume-Uni, consistant à autoriser l’usage de gazole marqué comme carburant pour la propulsion de bateaux de plaisance privés, moyennant le dépôt, par le détenteur du bateau concerné, d’une déclaration et le paiement de l’excédent des droits d’accise, était contraire, notamment,
à la « finalité » et à l’« objectif » de la directive 95/60.
43 Dans ces conditions, la référence, dans la requête, à l’« effet utile » de la directive 95/60, à savoir à une notion substantiellement équivalente à la « finalité » et à l’« objectif » de cette directive, ne constitue pas une modification ou un élargissement de l’objet du litige. Partant, l’unique grief de la Commission est recevable.
44 Quant au fond de ce grief, il y a lieu de relever qu’il ressort clairement de l’article 1^er de la directive 95/60, lu à la lumière du troisième considérant de celle-ci, que les États membres sont tenus d’appliquer un système de marquage fiscal tel que prévu par cette directive, notamment, au gazole qui n’est pas taxé au taux plein.
45 Il ressort a contrario de cette disposition que les États membres ne sauraient appliquer un tel marquage également au gazole taxé au taux plein, sous peine de porter atteinte à l’objectif dudit marquage.
46 En effet, l’objectif poursuivi par la directive 95/60, à savoir compléter la directive 2003/96 et favoriser la réalisation et le bon fonctionnement du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2004, Meiland Azewijn, C‑292/02, EU:C:2004:499, point 51), en permettant l’identification facile et rapide du gazole non soumis au niveau de taxation normal, ne pourrait être atteint s’il était permis aux États membres d’autoriser l’utilisation du marquage fiscal également pour le gazole
destiné à des usages soumis au taux normal de taxation.
47 Plus précisément, le fait d’admettre la thèse soutenue par le Royaume-Uni, selon laquelle l’article 1^er de la directive 95/60 n’interdit pas aux États membres de permettre l’utilisation de carburants marqués pour des usages soumis à des droits d’accise calculés au taux plein, conduirait au résultat qu’un État membre pourrait prétendre se conformer à ses obligations découlant de cette disposition en prévoyant le marquage fiscal de tous les types de carburants vendus sur son territoire, quel
que soit le taux d’accise auquel ils seraient soumis.
48 Aucune des différentes dispositions de droit de l’Union invoquées par le Royaume-Uni ne saurait justifier une conclusion différente.
49 Premièrement, l’article 1^er, paragraphe 2, de la directive 95/60, qui vise à mettre en œuvre la volonté du législateur de l’Union énoncée au quatrième considérant de cette même directive, permet aux États membres, dans certains cas, de renoncer, pour des raisons de santé publique, de sécurité ou pour d’autres raisons techniques, au marquage fiscal du carburant frappé de droits d’accise à un taux autre que le taux plein.
50 En revanche, cette disposition n’autorise pas les États membres à procéder au marquage fiscal du carburant frappé de droits d’accise au taux plein.
51 Deuxièmement, l’article 3, premier alinéa, de la directive 95/60, loin d’autoriser les États membres à permettre, dans certains cas, l’usage de produits marqués comme carburant de moteurs fonctionnant normalement avec du carburant soumis à des droits d’accise calculés au taux normal, les enjoint, au contraire, de prendre « les mesures nécessaires » pour s’assurer que l’usage abusif des produits marqués soit évité.
52 Troisièmement, le fait que, conformément à la directive 2008/118, si les droits d’accise afférents à un volume de carburant ont été payés dans l’État membre de mise en consommation de ce carburant, ledit volume n’est pas soumis à de tels droits dans un autre État membre ne signifie pas pour autant que les autorités fiscales d’un autre État membre ne peuvent pas contrôler le paiement effectif des droits d’accise appropriés dans le premier État membre.
53 Or, le marquage fiscal du gazole exonéré ou taxé à un taux réduit, prévu par la directive 95/60, vise, précisément, à faciliter de tels contrôles. Il importe peu, à cet égard, qu’il existe d’autres moyens de contrôle, tels que la production d’un reçu attestant du paiement de la différence de droits d’accise, suggérée par le Royaume-Uni.
54 Quatrièmement, l’argument du Royaume-Uni fondé sur l’article 21, paragraphe 4, de la directive 2003/96 ne saurait non plus prospérer. Cette disposition vise l’hypothèse de produits énergétiques destinés à un usage exonéré de taxation, ou soumis à un niveau réduit de taxation, lorsqu’une condition relative à leur utilisation finale n’a pas été remplie, de telle sorte que, en définitive, il s’avère que ces produits doivent être frappés de droits d’accise calculés au taux plein. Elle ne
concerne pas l’hypothèse d’un produit énergétique destiné dès le début à un usage soumis à la taxation au taux plein, tel que le carburant destiné à alimenter les moteurs de bateaux de plaisance privés.
55 Il y a lieu d’ajouter, au regard des arguments avancés par le Royaume-Uni, que ni la référence, figurant au premier considérant de la directive 95/60, au principe de subsidiarité ni le fait que cette directive ne procède pas à une harmonisation totale des questions afférentes au marquage fiscal du gazole ne sauraient justifier une pratique d’un État membre contraire aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
56 Enfin, s’agissant de l’argumentation du Royaume-Uni tirée, d’une part, des difficultés que sa pratique nationale, consistant à autoriser l’utilisation de gazole marqué aux fins de la navigation de plaisance privée moyennant le paiement de la différence de droits d’accise, viserait à éviter et, d’autre part, du respect du principe de proportionnalité, il y a lieu de relever que, comme cet État membre le reconnaît lui-même dans ses écritures, cette argumentation repose sur la prémisse selon
laquelle la directive 95/60 ne fait pas obstacle à une telle pratique. Dans la mesure où, pour les motifs qui ont déjà été exposés, cette prémisse est erronée au regard des obligations prévues par la directive 95/60, cette argumentation doit également être écartée.
57 Dans ces conditions, il convient de constater que, en autorisant l’utilisation de carburant marqué aux fins de la navigation de plaisance privée, même lorsque ce carburant ne fait l’objet d’aucune exonération ni d’une réduction de droits d’accise, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 95/60.
Sur les dépens
58 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume-Uni et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) En autorisant l’utilisation de carburant marqué aux fins de la navigation de plaisance privée, même lorsque ce carburant ne fait l’objet d’aucune exonération ni d’une réduction de droits d’accise, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 95/60/CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant le marquage fiscal du gazole et du pétrole lampant.
2) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est condamné aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure : l’anglais.