CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 3 octobre 2018 ( 1 )
Affaire C‑216/17
Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust,
Coopservice Soc. coop. arl
contre
Azienda Socio-Sanitaria Territoriale della Valcamonica – Sebino (ASST),
Azienda Socio-Sanitaria Territoriale del Garda (ASST),
Azienda Socio-Sanitaria Territoriale della Valcamonica (ASST)
[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]
« Renvoi préjudiciel – Marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Directive 2004/18/CE – Accords-cadres – Clause d’extension »
1. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) saisit une fois de plus la Cour d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de la directive 2004/18/CE ( 2 ). Cette fois-ci, ses doutes portent sur le point de savoir si un organisme public de santé, qui agit en tant que pouvoir adjudicateur, pouvait, en 2015, attribuer directement un marché de prestation de certains services à la société adjudicataire avec laquelle un autre organisme public analogue avait auparavant (en 2011) conclu un
accord similaire, qualifié par la juridiction de renvoi d’accord-cadre, au sens de cette directive.
2. La juridiction de renvoi souhaite en outre savoir, dans le même contexte, s’il est impératif de consigner dans l’accord-cadre le volume de prestations que les pouvoirs adjudicateurs pourront requérir lorsqu’ils concluront des marchés ultérieurement et si, dans ce cas, cette information peut être fournie en référence au critère des « besoins ordinaires » de ceux-ci.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union : la directive 2004/18
3. Selon les considérants 11, 15 et 36 de la directive 2004/18 :
« (11) Il convient de prévoir une définition communautaire des accords-cadres ainsi que des règles spécifiques pour les accords-cadres passés pour des marchés tombant dans le champ d’application de la présente directive. Selon ces règles, lorsqu’un pouvoir adjudicateur conclut, conformément aux dispositions de la présente directive, un accord-cadre concernant notamment la publicité, les délais et les conditions de remise des offres, il peut conclure pendant la durée de cet accord-cadre des
marchés basés sur cet accord-cadre soit en appliquant les termes fixés dans l’accord-cadre, soit, lorsque tous les termes n’ont pas été fixés à l’avance dans cet accord-cadre, après avoir remis en concurrence les parties à l’accord-cadre sur les termes non fixés. La remise en concurrence devrait répondre à certaines règles visant à garantir la flexibilité nécessaire et à garantir le respect des principes généraux, notamment le principe d’égalité de traitement. Pour ces raisons, la durée
des accords-cadres devrait être limitée et ne devrait pas pouvoir dépasser quatre ans, sauf dans des cas dûment justifiés par les pouvoirs adjudicateurs.
[…]
(15) Certaines techniques de centralisation des achats se sont développées dans des États membres. Plusieurs pouvoirs adjudicateurs sont chargés d’effectuer des acquisitions ou de passer des marchés publics/accords-cadres destinés à d’autres pouvoirs adjudicateurs. Ces techniques permettent, du fait de l’importance des volumes achetés, d’élargir la concurrence et d’améliorer l’efficacité de la commande publique. Il convient donc de prévoir une définition communautaire de la centrale d’achat
destinée aux pouvoirs adjudicateurs. Il y a lieu également de définir les conditions auxquelles, dans le respect des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement, les pouvoirs adjudicateurs qui acquièrent des travaux, des fournitures et/ou des services en recourant à une centrale d’achat peuvent être considérés comme ayant respecté la présente directive.
[…]
(36) Le développement d’une concurrence effective dans le domaine des marchés publics nécessite une publicité communautaire des avis de marchés établis par les pouvoirs adjudicateurs des États membres. Les informations contenues dans ces avis doivent permettre aux opérateurs économiques de la Communauté d’apprécier si les marchés proposés les intéressent. À cet effet, il convient de leur donner une connaissance suffisante de l’objet du marché et des conditions dont il est assorti […] »
4. Selon l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2004/18 :
« Un “accord-cadre” est un accord conclu entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d’établir les termes régissant les marchés à passer au cours d’une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées. »
5. L’article 2 de la directive 2004/18 prévoit :
« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence.»
6. L’article 9 de la directive 2004/18 est libellé comme suit :
« 1. Le calcul de la valeur estimée d’un marché public est fondé sur le montant total payable, hors TVA, estimé par le pouvoir adjudicateur. Ce calcul tient compte du montant total estimé, y compris toute forme d’option éventuelle et les reconductions du contrat éventuelles.
[…]
3. Aucun projet d’ouvrage ni aucun projet d’achat visant à obtenir une certaine quantité de fournitures et/ou de services ne peut être scindé en vue de le soustraire à l’application de la présente directive.
[…]
7. Lorsqu’il s’agit de marchés publics de fournitures ou de services présentant un caractère de régularité ou destinés à être renouvelés au cours d’une période donnée, est prise comme base pour le calcul de la valeur estimée du marché :
a) soit la valeur réelle globale des contrats successifs analogues passés au cours des douze mois précédents ou de l’exercice précédent, corrigée, si possible, pour tenir compte des modifications en quantité ou en valeur qui surviendraient au cours des douze mois suivant le contrat initial ;
b) soit la valeur estimée globale des contrats successifs passés au cours des douze mois suivant la première livraison ou au cours de l’exercice dans la mesure où celui-ci est supérieur à douze mois.
Le choix de la méthode pour le calcul de la valeur estimée d’un marché public ne peut être effectué avec l’intention de le soustraire à l’application de la présente directive.
[…]
9. Pour les accords-cadres et pour les systèmes d’acquisition dynamiques[,] la valeur à prendre en considération est la valeur maximale estimée hors TVA de l’ensemble des marchés envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre ou du système d’acquisition dynamique. »
7. L’article 32 de la directive 2004/18 dispose :
« 1. Les États membres peuvent prévoir la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs de conclure des accords-cadres.
2. Aux fins de la conclusion d’un accord-cadre, les pouvoirs adjudicateurs suivent les règles de procédure visées par la présente directive dans toutes les phases jusqu’à l’attribution des marchés fondés sur cet accord-cadre. Le choix des parties à l’accord-cadre se fait par application des critères d’attribution établis conformément à l’article 53.
Les marchés fondés sur un accord-cadre sont passés selon les procédures prévues aux paragraphes 3 et 4. Ces procédures ne sont applicables qu’entre les pouvoirs adjudicateurs et les opérateurs économiques originairement parties à l’accord‑cadre.
Lors de la passation des marchés fondés sur l’accord-cadre, les parties ne peuvent en aucun cas apporter des modifications substantielles aux termes fixés dans cet accord-cadre, notamment dans le cas visé au paragraphe 3.
La durée d’un accord-cadre ne peut pas dépasser quatre ans, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par l’objet de l’accord-cadre.
Les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent recourir aux accords-cadres de façon abusive ou de manière à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence.
3. Lorsqu’un accord-cadre est conclu avec un seul opérateur économique, les marchés fondés sur cet accord-cadre sont attribués dans les limites des termes fixés dans l’accord-cadre.
Pour la passation de ces marchés, les pouvoirs adjudicateurs peuvent consulter par écrit l’opérateur partie à l’accord-cadre, en lui demandant de compléter, si besoin est, son offre.
4. Lorsqu’un accord-cadre est conclu avec plusieurs opérateurs économiques, le nombre de ceux-ci doit être au moins égal à trois, dans la mesure où il y a un nombre suffisant d’opérateurs économiques satisfaisant aux critères de sélection et/ou d’offres recevables répondant aux critères d’attribution.
L’attribution des marchés fondés sur les accords-cadres conclus avec plusieurs opérateurs économiques peut se faire :
soit par application des termes fixés dans l’accord-cadre, sans remise en concurrence,
soit, lorsque tous les termes ne sont pas fixés dans l’accord-cadre, après avoir remis en concurrence les parties sur la base des mêmes termes, si nécessaire en les précisant, et, le cas échéant, d’autres termes indiqués dans le cahier des charges de l’accord-cadre, selon la procédure suivante :
a) pour chaque marché à passer, les pouvoirs adjudicateurs consultent par écrit les opérateurs économiques qui sont capables de réaliser l’objet du marché ;
b) les pouvoirs adjudicateurs fixent un délai suffisant pour présenter les offres relatives à chaque marché spécifique en tenant compte d’éléments tels que la complexité de l’objet du marché et le temps nécessaire pour la transmission des offres ;
c) les offres sont soumises par écrit et leur contenu doit rester confidentiel jusqu’à l’expiration du délai de réponse prévu ;
d) les pouvoirs adjudicateurs attribuent chaque marché au soumissionnaire ayant présenté la meilleure offre sur la base des critères d’attribution énoncés dans le cahier des charges de l’accord‑cadre. »
8. L’article 35 de la directive 2004/18 indique :
« […]
2. Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public ou un accord-cadre en recourant à une procédure ouverte, restreinte ou, dans les conditions prévues à l’article 30, à une procédure négociée avec publication d’un avis de marché ou encore, dans les conditions fixées à l’article 29, à un dialogue compétitif, font connaître leur intention au moyen d’un avis de marché.
[…]
4. Les pouvoirs adjudicateurs qui ont passé un marché public ou conclu un accord-cadre, envoient un avis concernant les résultats de la procédure de passation au plus tard 48 jours après la passation du marché ou de la conclusion de l’accord-cadre.
Dans le cas d’accords-cadres conclus conformément à l’article 32, les pouvoirs adjudicateurs sont exonérés de l’envoi d’un avis sur les résultats de la passation de chaque marché fondé sur l’accord-cadre.
[…] »
9. En vertu de l’article 36, paragraphe 1, de la directive 2004/18 :
« Les avis comportent les informations mentionnées à l’annexe VII A, et, le cas échéant, tout autre renseignement jugé utile par le pouvoir adjudicateur selon le format des formulaires standard adoptés par la Commission conformément à la procédure visée à l’article 77, paragraphe 2. »
10. L’annexe VII A régit les « [i]nformations qui doivent figurer dans les avis pour les marchés publics » dans les termes suivants :
« […]
Avis de marchés
[…]
3. […]
c) [l]e cas échéant, indiquer s’il s’agit d’un accord-cadre [;]
[…]
6. […]
c) Marchés publics de services :
– catégorie du service et description de celui-ci. Numéro(s) de référence à la nomenclature. Quantité des services à fournir. Indiquer notamment les options concernant des achats complémentaires et, s’il est connu, le calendrier provisoire des recours à ces options ainsi que le nombre de reconductions éventuelles. Dans le cas de marchés renouvelables au cours d’une période donnée, une estimation du calendrier, s’il est connu, des marchés publics ultérieurs pour les achats de services
envisagés.
Dans le cas d’accords-cadres, indiquer également la durée prévue de l’accord-cadre, la valeur totale des prestations estimée pour toute la durée de l’accord-cadre ainsi que, dans toute la mesure du possible, la valeur et la fréquence des marchés à passer.
[…]
18. Pour les accords-cadres : nombre, le cas échéant, nombre maximal, envisagé d’opérateurs économiques qui en feront partie, durée de l’accord-cadre prévue en précisant, le cas échéant, les motifs justifiant une durée de l’accord-cadre dépassant quatre ans.
[…] »
B. Le droit italien
11. Le decreto legislativo n. 163 – Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture (décret législatif no 163 – code des marchés publics relatifs aux travaux, services et fournitures), du 12 avril 2006 ( 3 ), en vigueur au moment des faits, a transposé en droit italien la directive 2004/18. Son article 3, paragraphe 13 définit l’« accord-cadre » dans les mêmes termes que l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2004/18.
12. L’article 59 de ce décret législatif reproduit l’article 32 de la directive 2004/18, toutefois, il n’établit pas que la durée d’un accord-cadre ne peut pas dépasser quatre ans, sauf dans des cas exceptionnels. Il n’interdit pas non plus expressément aux pouvoirs adjudicateurs de recourir aux accords-cadres de façon abusive ou de manière à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence.
13. L’article 1er, paragraphe 449, dernière partie, de la legge n. 296 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (loi no 296 – Dispositions pour la préparation du budget annuel et pluriannuel de l’État), du 27 décembre 2006 ( 4 ), impose aux organismes du Servizio Sanitario Nazionale (Service national de santé, ci-après le « SSN ») de réaliser leurs achats par l’intermédiaire de centrales d’achat.
14. L’article 1er, paragraphe 12, du decreto legislativo n. 95 – Disposizioni urgenti per la revisione della spesa pubblica con invarianza dei servizi ai cittadini (décret législatif no 95 – Dispositions urgentes pour la révision des dépenses publiques sans modification des services aux citoyens), du 6 juillet 2012 ( 5 ), permet, sans devoir organiser de nouvelle procédure de passation et par mesure d’économie, de modifier a posteriori les termes d’un marché public afin d’améliorer les conditions du
marché établies par la procédure de passation initiale.
15. L’article 15, paragraphe 13, lettre b), du décret législatif no 95 de 2012 prévoit la résiliation d’un marché de fourniture ou de prestation de services devenu excessivement onéreux et la conclusion, sans qu’il soit nécessaire d’organiser une nouvelle procédure de passation, d’un nouveau marché dont les termes correspondent à ceux d’un marché en cours d’exécution avec d’autres entreprises.
II. Les faits
16. Les Aziende socio sanitarie territoriali (Services médico-sociaux territoriaux, ci-après les « ASST ») sont les organismes publics régionaux qui assurent la prise en charge de la population dans le cadre du SSN. Leur qualité de pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive 2004/18 n’est pas discutée.
17. Pour des raisons d’équilibre budgétaire et en tant que mesure de maîtrise des coûts, le législateur italien a imposé aux organismes du SSN, sous réserve d’un nombre limité d’exceptions, l’obligation d’acquérir les biens et services en groupe, par l’intermédiaire de centrales d’achat.
18. Dans ces circonstances, par décret no 828 du 4 novembre 2011, l’ASST de Desenzano del Garda, ensuite remplacée par l’ASST du lac de Garde a attribué, sur procédure restreinte, au groupement temporaire d’entreprises formé par Markas Srl et Zanetti Arturo & C. Srl, un marché de services d’assainissement, de collecte et d’élimination des déchets ( 6 ). La durée du marché était de 108 mois à compter du 1er décembre 2011.
19. Dans le cahier des charges de ce marché, l’ASST de Desenzano del Garda a introduit une clause intitulée « extension du marché» ( 7 ), en vertu de laquelle les « adhésions postérieures » d’ASST déterminées, qui avaient auparavant conclu un accord ( 8 ) en vue de mettre en œuvre des achats groupés de biens et services, étaient admises.
20. Cette clause, figurant à l’article 2, point 5, du cahier spécial des charges (annexe 3), apporte les précisions suivantes:
– « il pourra être demandé aux entités désignées en tant qu’adjudicataires d’étendre le marché également à une ou plusieurs entreprises » parmi celles indiquées à la fin de ladite clause ;
– la durée de cette extension sera égale à la durée du reste du marché établie par l’appel d’offres initial ;
– chaque ASST n’aura droit qu’à une adhésion au cours de la période contractuelle, « aux conditions de l’attribution en question » ;
– toutefois, l’adjudicataire n’est pas tenu d’accepter la demande d’extension. S’il l’accepte, une « relation contractuelle autonome », différente de celle qui constitue l’objet de la première attribution, prend naissance.
21. Le contrat énumère nommément dix-huit « aziende ospedaliere/sanitarie » (établissements hospitaliers et de santé) susceptibles de bénéficier de la clause d’extension. L’Azienda Sanitaria Locale della Valcamonica Sebino [à présent dénommée Azienda Socio Sanitaria Territoriale della Valcamonica (ASST)], qui est partie défenderesse au principal, figurait parmi celles-ci.
22. Par décision no 1158 du 30 décembre 2015, l’ASST della Valcamonica a exercé la faculté d’adhésion prévue à la clause décrite pour la période comprise entre le 1er février 2016 et le 15 février 2021. Pour cette période, elle a donc conclu un marché de services d’assainissement avec Markas, sans recourir à une nouvelle procédure de passation outre la première procédure lancée à l’origine par l’ASST de Desenzano del Garda.
23. Coopservice Soc. Coop. arl (ci-après « Coopservice »), le prestataire qui fournissait auparavant le service, et l’Autorità garante della concorrenza e del mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, ci-après l’« AGCOM ») ont toutes deux formé recours contre cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de Lombardie, Italie).
24. La juridiction de première instance ayant rejeté les deux recours, les requérantes ont interjeté appel devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État) qui forme la demande de décision préjudicielle.
III. Les questions préjudicielles
25. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a posé les questions suivantes :
«1) Faut-il interpréter l’article [1er] [ ( 9 )], paragraphe 5, et l’article 32 de la directive 2004/18, ainsi que l’article 33 de la directive 2014/24 [ ( 10 )] en ce sens qu’ils autorisent la conclusion d’un accord-cadre en vertu duquel :
– un pouvoir adjudicateur agit pour son propre compte et pour celui d’autres pouvoirs adjudicateurs mentionnés spécifiquement, qui ne participent cependant pas directement à la signature de l’accord-cadre ;
– le volume des prestations qui pourra être requis par les pouvoirs adjudicateurs non signataires lorsqu’ils concluront les marchés successifs prévus par l’accord-cadre n’est pas déterminé ?
2) Si la Cour devait répondre par la négative à la première question :
Faut-il interpréter l’article [1er] ( 11 ), paragraphe 5, et l’article 32 de la directive 2004/18, ainsi que l’article 33 de la directive 2014/24 en ce sens qu’ils autorisent la conclusion d’un accord-cadre en vertu duquel :
– un pouvoir adjudicateur agit pour son propre compte et pour celui d’autres pouvoirs adjudicateurs mentionnés spécifiquement, qui ne participent cependant pas directement à la signature de l’accord-cadre ;
– le volume des prestations qui pourra être requis par les pouvoirs adjudicateurs non signataires lorsqu’ils concluront les marchés successifs prévus par l’accord-cadre est déterminé en référence à leurs besoins ordinaires ? »
IV. La procédure devant la Cour et le résumé des observations des parties
26. La question préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 24 avril 2017. Coopservice, Markas, les gouvernements italien, tchèque, autrichien et finlandais, ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.
27. Markas, le gouvernement italien et la Commission ont comparu à l’audience du 12 juillet 2018.
28. Coopservice fait observer à titre liminaire que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) aurait annulé la clause d’extension litigieuse lors d’un recours formé dans le cadre d’une autre attribution réalisée en vertu de celle-ci (par l’ASST Carlo Poma).
29. Selon Coopservice, la question préjudicielle est irrecevable parce que : a) le prétendu accord-cadre dépasse sans justification la durée de quatre ans figurant à l’article 32 de la directive 2004/18 ; b) la clause litigieuse aurait déjà été annulée par la juridiction de renvoi, et c) il n’existe pas d’autres conditions légales qui permettraient de qualifier d’accord-cadre une procédure d’attribution telle que celle examinée dans la procédure au principal.
30. À titre subsidiaire, Coopservice propose de répondre par la négative aux deux questions formulées, étant donné que, selon elle, non seulement la quantité des prestations est indéterminée, mais que les conditions permettant de conclure à l’existence d’un accord-cadre ne sont pas non plus satisfaites.
31. Markas doute de la pertinence de la première question et allègue qu’il serait incorrect d’affirmer que les ASST ayant adhéré à la clause d’extension n’auraient pas participé à la phase de formation de l’accord-cadre. Celui-ci serait le fruit d’une action concertée dès l’origine.
32. En toute hypothèse, selon Markas, il convient d’apporter une réponse affirmative à la première question. L’appel d’offres avec clause d’adhésion est une forme de contrat par regroupement ultérieur, qui présente d’importantes similitudes avec la centrale d’achat. Il s’agit dans les deux cas d’un processus étalé dans le temps, avec une phase de sélection du contractant mise en œuvre par une seule entité adjudicatrice, agissant comme pouvoir adjudicateur (potentiellement) plus étendu, et une phase
ultérieure d’adhésion ouverte à d’autres entités. La seule différence, dépourvue de pertinence de l’avis de Markas, est que la centrale d’achat se comporte uniquement en tant que telle, sans utiliser elle-même les services qu’elle achète au moyen de l’accord-cadre.
33. En ce qui concerne la seconde question, Markas considère que la détermination préalable des quantités exactes, qui pourraient varier en fonction des besoins concrets des entités, n’est pas obligatoire. Dans cette affaire, il suffirait que l’ASST du lac de Garde ait indiqué la valeur du marché destiné à couvrir ses besoins, sans devoir inclure également celle d’éventuelles adhésions postérieures.
34. Le gouvernement italien, qui considère ne pas se trouver en présence d’un accord-cadre au sens de l’article 32 de la directive 2004/18, plaide en faveur de l’irrecevabilité de la question préjudicielle. À titre subsidiaire, il soutient qu’il convient de répondre par la négative à la première question, étant donné que l’absence de tout élément permettant de délimiter l’objet des prestations ultérieures (à savoir des prestations qui pourraient être concernées par la conclusion de contrats
d’exécution postérieurs) est incompatible avec le dispositif de l’accord-cadre.
35. Le gouvernement italien considère que la seconde question également appelle une réponse négative. De son point de vue, et selon les gouvernements tchèque et autrichien, la référence générale aux « besoins » des pouvoirs adjudicateurs serait insuffisante, compte tenu du caractère indéterminé de cette expression, ainsi que du fait qu’il s’agit d’une notion évolutive, liée au contexte temporel de référence.
36. Le gouvernement autrichien propose d’examiner les deux questions ensemble. Selon lui, les conditions prévues par les directives 2004/18 et 2014/24 pour la création d’un accord-cadre ne sont pas réunies. Même en admettant que ce soit le cas, au sens du droit de l’Union, la manière de procéder en l’espèce serait malgré tout illicite.
37. Le caractère illicite dérive du fait que, d’une part, les parties n’ont pas été définies dès le départ, comme le prévoient les deux directives. Dans la mesure où le soumissionnaire peut refuser l’adhésion d’autres pouvoirs adjudicateurs, il n’existerait pas de relation contractuelle synallagmatique avec toutes les entités bénéficiaires de la clause d’extension. Par ailleurs, la manière de procéder de l’ASST du lac de Garde et des ASST qui se sont prévalues de cette clause viderait de leur
substance les dispositions relatives au calcul de la valeur estimée des marchés et des accords-cadres.
38. Le gouvernement tchèque soutient que le droit de l’Union s’oppose à un accord-cadre auquel ne sont pas parties, dès le départ, les pouvoirs adjudicateurs qui peuvent en bénéficier en vertu d’une clause d’extension telle que la clause en l’espèce. En outre, il serait indispensable que le contenu de la prestation résulte, au moins dans les grandes lignes, de la procédure qui a abouti à la conclusion de l’accord-cadre. C’est la seule manière de permettre aux soumissionnaires potentiels d’apprécier
si le marché les intéresse et de rendre possible la fixation de la valeur estimée du marché, qui dépend de la valeur maximale estimée de l’ensemble des marchés envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre.
39. En ce qui concerne la première question, le gouvernement finlandais affirme que la directive 2004/18 autorise un accord-cadre en vertu duquel un pouvoir adjudicateur : a) agit pour son propre compte et pour celui d’autres pouvoirs adjudicateurs mentionnés spécifiquement, qui ne participent cependant pas directement à la signature de l’accord-cadre, et b) le volume des prestations qui pourra être requis par les pouvoirs adjudicateurs non signataires lorsqu’ils concluront les marchés successifs
prévus par l’accord-cadre n’est pas déterminé. Toutefois, il est requis que l’étendue de l’accord-cadre dans son ensemble ait été indiquée conformément à ce qu’exige la directive et que les différents marchés postérieurs ne dépassent pas ce montant dans leur globalité.
40. En ce qui concerne la seconde question, le gouvernement finlandais considère que, pour les fournitures et services, il est possible dans de nombreux cas d’établir un volume déterminé sur la base des besoins ordinaires des pouvoirs adjudicateurs. Il suffirait que le pouvoir adjudicateur prenne comme référence le volume des achats des années précédentes, corrigé le cas échéant par une estimation de l’évolution possible. Cette information devrait figurer dans le dossier de l’appel d’offres, car
dans le cas contraire, les anciens contractants seraient favorisés. Si ce n’est pas le cas, le gouvernement finlandais considère qu’il convient de répondre par la négative à cette question.
41. Après avoir précisé que la directive 2014/24 est inapplicable ratione temporis, la Commission fait observer également que l’accord-cadre litigieux dépasse la durée de quatre ans indiquée dans la directive 2004/18. Étant donné que les questions formulées par la juridiction de renvoi ne portent pas sur ce point et qu’il n’est pas possible de savoir s’il a été abordé au cours de la procédure au principal, la Commission ne soulève pas formellement l’irrecevabilité de la question préjudicielle.
42. Sur le fond, la Commission précise que l’article 32, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/18 ne requiert pas que les pouvoirs adjudicateurs qui sont « originairement » parties à l’accord-cadre aient participé à sa signature. Il est suffisant qu’ils apparaissent en tant que bénéficiaires potentiels de celui-ci dès sa date de conclusion, une mention explicite dans les documents d’appel d’offres ou dans le cahier des charges étant suffisante.
43. En ce qui concerne le volume des prestations, la Commission comprend que l’expression « le cas échéant » (article 1er, paragraphe 5, de la directive 2004/18) n’implique pas qu’il s’agisse d’une indication facultative. Cette expression précise que pour certains marchés postérieurs, il se peut qu’il soit impossible d’indiquer le volume des prestations à effectuer, comme dans le cas d’une fourniture de pièces de rechange pour des véhicules affectés au service de transport municipal. Ce n’est pas le
cas de services tels que celui en cause en l’espèce, concernant lequel le volume total de la prestation devrait être mentionné expressément dans l’accord-cadre ou dans le cahier des charges, même s’il n’est pas possible d’indiquer la valeur concrète de chacun des marchés subséquents. Ainsi, les « besoins ordinaires » pourraient être un paramètre acceptable, sous réserve qu’ils soient définis de façon suffisamment claire, précise et transparente.
V. Analyse
A. Considération liminaire : la directive pertinente aux fins de la question préjudicielle
44. Bien que les questions posées mentionnent tant la directive 2004/18 que la directive 2014/24, je suis d’accord avec la Commission sur le fait qu’il n’y a pas lieu d’interpréter la directive 2014/24, en raison de son inapplicabilité ratione temporis, mais bien uniquement la directive 2004/18.
45. En effet, il ressort des faits exposés dans la décision de renvoi que la première attribution du marché (décret du 4 novembre 2011) comme l’adhésion à celui-ci (décret du 30 décembre 2015) ont eu lieu avant la fin du délai de transposition de la directive 2014/24, à savoir avant le 18 avril 2016.
B. Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
46. Parmi les moyens d’irrecevabilité de la question préjudicielle qu’elle invoque, Coopservice allègue que le marché initial dépasse la durée de quatre ans établie à l’article 32, paragraphe 2, quatrième alinéa, de la directive 2004/18 ( 12 ) ce qui lui ôterait la qualité d’« accord-cadre » au sens de cette directive. Sans formellement proposer l’irrecevabilité de la question préjudicielle, la Commission également attire l’attention sur cette circonstance.
47. La Cour ayant demandé au Consiglio di Stato (Conseil d’État) d’expliquer les raisons pour lesquelles, bien que le marché ait été conclu pour une période de neuf ans, celui-ci pourrait être qualifié d’accord-cadre au sens de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2004/18, celui-ci affirme que les parties intéressées n’ont pas invoqué sa durée comme cause possible d’annulation. En vertu du principe dispositif qui fonde sa compétence, la juridiction de renvoi affirme qu’elle ne serait pas
même en droit de l’apprécier d’office, car il ne s’agirait pas d’une irrégularité suffisamment grave pour déterminer la nullité de l’accord ( 13 ). Le fait que l’article 32 de la directive 2004/18 admette une durée supérieure à quatre ans dans des cas exceptionnels montre, selon la juridiction de renvoi, que la non-observation de cette durée ne constitue pas un vice invalidant ( 14 ).
48. En toute hypothèse, la juridiction de renvoi soutient que « compte tenu de son objet particulier, qui est de garantir le bon fonctionnement de plusieurs hôpitaux, l’accord en cause pourrait relever d’une telle dérogation» ( 15 ).
49. Il est de jurisprudence constante que le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon
utile aux questions qui lui sont posées ( 16 ).
50. En réalité, tant Coopservice, par l’objection portant sur la durée du marché initial, que les gouvernements italien et autrichien, par celle qu’ils ont également soulevée, relative à la non-réunion d’autres conditions nécessaires pour le qualifier d’« accord-cadre », reprochent à la juridiction de renvoi d’avoir commis une erreur en le qualifiant ainsi.
51. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) n’a posé à la Cour aucune question relative à la nature juridique du marché attribué en 2011. De plus, étant donné qu’il considère comme établie sa qualité d’accord-cadre en vertu de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2004/18, ses doutes portent exclusivement sur la possibilité, en vertu de cette directive, de le conclure dans les conditions dans lesquelles il l’a été (à savoir sans la signature de l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs et sans
déterminer précisément la quantité de prestations que les non signataires peuvent demander par la suite).
52. J’estime, comme la Commission, que la réponse préjudicielle doit être circonscrite à ces deux questions concrètes et qu’il appartient à la juridiction de renvoi, en tant que juge des faits et premier interprète du droit applicable, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour ( 17 ).
53. Dans la présente affaire, ces questions partent de la prémisse qu’il y a eu, au départ, un accord-cadre au sens de la directive 2004/18. C’est clairement l’interprétation de la juridiction de renvoi au vu des circonstances du litige.
54. Il convient cependant de relever que cette prémisse pourrait être infirmée au cours de la procédure au principal si, à la suite du débat opportun initié par les parties ou après avoir reconsidéré d’office sa première appréciation ( 18 ), la juridiction de renvoi concluait que cet accord pose des problèmes de respect de la directive 2004/18 autres que ceux qui l’ont amenée à entamer la présente procédure préjudicielle.
55. On ne saurait non plus accueillir la troisième objection quant à la recevabilité invoquée par Coopservice (la juridiction de renvoi aurait déjà annulé, dans le cadre d’une autre procédure, la clause d’adhésion). Seule la juridiction saisie au principal peut examiner si cette annulation a eu lieu et, le cas échéant, l’incidence qu’elle aurait sur la procédure au cours de laquelle elle a choisi de poser la présente question préjudicielle.
C. Sur le fond
56. Les deux questions du Consiglio di Stato (Conseil d’État) acceptent, comme point de départ, qu’il existe un « accord-cadre en vertu duquel un pouvoir adjudicateur agit pour son propre compte et pour celui d’autres pouvoirs adjudicateurs mentionnés spécifiquement, qui ne participent cependant pas directement à la signature de l’accord-cadre ».
57. Étant donné que les doutes de la juridiction de renvoi ne s’étendent pas à cette question, je m’abstiendrai d’exposer mes réserves sur le point de savoir si la formule employée dans le marché de novembre 2011 correspond véritablement aux caractéristiques de l’accord-cadre au sens de la directive 2004/18.
58. Je dois en toute hypothèse souligner que si le Consiglio di Stato (Conseil d’État) devait maintenir cette qualification, il devra préciser si cet accord-cadre, en vertu de ses particularités, est de nature à « empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence » (article 32, paragraphe 2, de la directive 2004/18) ( 19 ).
59. La prémisse est donc qu’il y a eu un accord-cadre initial, auquel seraient « partie » active des pouvoirs adjudicateurs qui, bien qu’ils y soient mentionnés, ne l’ont pas directement signé. Cette circonstance pose le problème de savoir si l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 32 de la directive 2004/18 permettent la conclusion d’un accord-cadre sans que tous les pouvoirs adjudicateurs qui veulent ensuite bénéficier de ses dispositions l’aient signé.
60. Le deuxième paragraphe de la première question coïncide aussi avec celui de la deuxième dans sa substance, en ce sens que celle-ci vise à déterminer « le volume des prestations qui pourra être requis par les pouvoirs adjudicateurs non signataires lorsqu’ils concluront les marchés successifs prévus par l’accord‑cadre ». Il s’agit d’une double interrogation :
– d’une part, l’on discute si la directive 2004/18 permet de ne pas déterminer du tout cette quantité ;
– d’autre part, le doute porte sur le point de savoir s’il y a lieu de préciser la quantité en référence aux « besoins ordinaires » des pouvoirs adjudicateurs non signataires.
1. Sur l’extension du marché à un pouvoir adjudicateur qui n’a pas signé l’accord-cadre
61. Selon l’article 32, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/18, les marchés fondés sur un accord-cadre doivent être attribués conformément à certaines procédures, celles qui figurent aux paragraphes 3 et 4 du même article, qui « ne sont applicables qu’entre les pouvoirs adjudicateurs et les opérateurs économiques originairement parties à l’accord-cadre ».
62. On pourrait affirmer que sur le plan grammatical, compte tenu de sa position dans la phrase, l’adverbe « originairement » n’affecte que les opérateurs économiques et non les pouvoirs adjudicateurs. Plusieurs éléments militent en faveur de cette interprétation, le plus pertinent étant probablement sa confirmation ultérieure par l’article correspondant de la directive 2014/24 ( 20 ).
63. En toute hypothèse, quelle que soit l’interprétation de l’article 32, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/18, pris en considération isolément, à mon sens, les pouvoirs adjudicateurs qui occupent la position active dans un accord-cadre en sont une partie nécessaire. De par sa nature, un « accord‑cadre » est, selon l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2004/18, un accord conclu « entre un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques » dont
l’objet est d’« établir les termes régissant les marchés à passer ».
64. Savoir si cette qualité ne peut s’appliquer qu’aux pouvoirs adjudicateurs qui ont directement signé l’accord-cadre ou également à ceux qui, sans participer « directement à la signature de l’accord-cadre », y sont mentionnés est une autre question. C’est cette question-là qui constitue l’objet de la première question préjudicielle.
65. Il n’y a pas de raisons pour que la qualité de partie à un accord-cadre implique que celui qui en bénéficie l’ait signé ; ni même qu’il ait participé directement à sa conclusion. Comme le souligne le Consiglio di Stato (Conseil d’État) ( 21 ), les dispositions de droit civil relatives à la représentation et au contrat conclu sans procuration autorisent une personne (en l’occurrence une ASST) à conclure un accord contraignant pour d’autres lorsque celles-ci lui ont confié cette mission ou
qu’elles le ratifient a posteriori.
66. À mon sens, lorsque la juridiction de renvoi mentionne d’autres pouvoirs adjudicateurs « qui ne participent cependant pas directement à la signature de l’accord-cadre », elle ne renvoie pas à la « signature » au sens de l’action de signer formellement un acte juridique, mais à la signature au sens de la conclusion d’un accord à la gestation duquel ils participent et auquel, par conséquent, ils sont partie.
67. Toutefois, la qualité de partie peut être acquise sans devoir signer l’accord‑cadre, et même sans intervenir directement dans sa conclusion : il suffit que celui qui aspire à cette qualité ait accepté d’être tenu par les stipulations de cet accord ( 22 ).
68. Ce qui est décisif est que les pouvoirs adjudicateurs autres que celui qui a signé l’accord-cadre soient indiqués en tant que « bénéficiaires potentiels» ( 23 ) déjà au moment de sa conclusion, en connaissance de son contenu. Si la signature de l’accord-cadre est précédée d’une décision collective, par laquelle plusieurs pouvoirs adjudicateurs conviennent de procéder à des achats groupés de biens ou de services déterminés, cette décision collective préalable peut servir à fonder un accord-cadre
signé par un seul de ces pouvoirs au nom (ou avec le consentement) de l’ensemble d’entre eux.
69. Entre l’accord-cadre proprement dit et les marchés postérieurs conclus sur la base des conditions établies dans cet accord, il existe une relation de continuité et de dépendance. Ces marchés ne sont pas conclus ex novo ou dans le vide, mais dans le respect des conditions figurant à l’accord-cadre, lesquelles doivent être conformes aux exigences de la directive 2004/18. La soumission à ces exigences est une condition de la légalité des marchés mentionnés, en ce qu’ils sont régis par la
réglementation de l’Union en matière de marchés publics.
70. L’étroite relation entre les accords-cadres et les marchés conclus en vertu de ceux-ci impose que les pouvoirs adjudicateurs qui attribuent les marchés correspondent à ceux qui figurent dans les accords-cadres, même lorsqu’ils ne les ont pas signés eux-mêmes. À mon sens, il s’agit de l’interprétation la plus adéquate de l’article 32, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/18.
71. Il importe donc, en définitive, que l’accord-cadre mentionne, de manière exhaustive, les pouvoirs adjudicateurs qui pourront adhérer aux marchés publics conclus en vertu de celui-ci. Si cette mention doit en toute hypothèse être claire et précise, il n’y a pas de raison pour qu’elle apparaisse dans le texte même de l’accord-cadre, mais elle peut être incluse dans une clause du cahier des charges telle que celle qui fait l’objet de la discussion dans la procédure au principal.
72. Ainsi, je propose de répondre à cette première question que l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 32, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/18, ne font pas obstacle à un accord-cadre en vertu duquel un pouvoir adjudicateur qui n’a pas participé directement à sa conclusion et ne l’a pas signé peut adhérer aux marchés fondés sur cet accord-cadre, à condition que l’identité de ce pouvoir adjudicateur figure dans l’accord-cadre ou dans un document intégré au cahier des charges,
dans les termes prescrits par la directive 2004/18.
2. Sur l’indication relative au volume de prestations que les pouvoirs adjudicateurs qui n’ont pas signé l’accord-cadre pourraient demander
73. La juridiction de renvoi souhaite savoir si le fait qu’un accord-cadre omette de refléter « le volume de prestations » que les pouvoirs adjudicateurs qui ne l’ont pas signé pourront demander lorsqu’ils concluront les marchés postérieurs qui en découlent est conforme à la directive 2004/18.
74. En vertu de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 2004/18, les termes des marchés à attribuer pendant la durée (limitée) d’un accord-cadre, concernent notamment « les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées ».
75. Selon moi, l’incise « le cas échéant » ne fait pas de l’indication des « quantités prévues » une clause facultative. Il s’agit au contraire d’une clause obligatoire, quoique sa teneur soit soumise au degré de précision du volume qui peut être prévu dans l’accord-cadre lui-même, au vu de la nature des prestations qui feront l’objet des marchés postérieurs.
76. Une interprétation différente voudrait dire que les termes initiaux de l’accord-cadre sont trop vagues quant à l’un de ses éléments les plus importants, avec une conséquence négative double : d’une part, cela découragerait la participation d’opérateurs économiques éventuellement intéressés qui, à cause de l’imprécision de l’objet du contrat, s’abstiendraient de participer à la procédure ; d’autre part, cela rendrait inopérante l’interdiction, lors de la passation des marchés, d’introduire des
« modifications substantielles aux termes fixés dans cet accord-cadre » (article 32, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 2004/18).
77. Le point 6, sous c), de l’annexe VII A de la directive 2004/18, à laquelle renvoie l’article 36, paragraphe 1, de cette directive, donne le détail des informations qui doivent figurer dans les avis de marchés précédant la passation d’un accord-cadre. Concrètement, ils doivent comprendre « la valeur totale des prestations estimée pour toute la durée de l’accord–cadre[ ( 24 )] ainsi que, dans toute la mesure du possible, la valeur et la fréquence des marchés à passer ».
78. Il faut donc que figure, dans l’accord-cadre, la valeur totale de tous les services demandés. Celui-ci doit forcément comprendre une valeur estimée des marchés postérieurs, au moyen desquels les différentes parties qui composent la totalité des services demandés seront successivement et individuellement attribuées. C’est uniquement ainsi, je le réaffirme, que les principes de transparence et d’égalité de traitement entre opérateurs intéressés à participer à l’accord-cadre et aux marchés qui en
découlent sont acquis. Si la mention du volume total de prestations (estimées) n’apparaît pas ou que les bases pour calculer celles-ci sont hypothétiques, il est peu probable que les soumissionnaires puissent apprécier s’ils ont intérêt à concourir ( 25 ).
79. À mon sens, l’expression « dans toute la mesure du possible » ne sert pas à introduire une exception à l’exécution de cette obligation. Si on en faisait fi, il ne serait pas possible de calculer la valeur totale des services demandés pour toute la durée de l’accord-cadre en les agrégeant. L’expression citée permet toutefois de préciser avec une certaine flexibilité le nombre de marchés dont il est prévisible qu’ils composeront le total des services couverts par l’accord-cadre, c’est-à-dire en
anticipant la « fréquence » à laquelle ils seront passés, ce dont dépendra le volume des services qui en feront l’objet dans chaque cas.
80. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) demande également s’il est possible de calculer la quantité de prestations contractuelles ultérieures par référence aux « besoins ordinaires » des pouvoirs adjudicateurs.
81. Comme le gouvernement finlandais et la Commission, j’estime que rien ne s’oppose à l’emploi de cette référence, sous réserve que ces besoins soient définis de façon précise et claire dans l’accord-cadre même ou dans le cahier des charges correspondant. Ils doivent être formulés dans des termes accessibles à tous ceux qui pourraient être intéressés.
82. En ce sens, peuvent être des « besoins ordinaires » ceux qu’il est possible d’escompter compte tenu des volumes d’achat des années précédentes. Au contraire, n’auront pas ce caractère ceux qui, ne s’appuyant pas sur le passé, se présenteront de façon inopinée pendant la durée de l’accord-cadre. Sans cela, il s’ouvrirait une zone d’indétermination qui ne répondrait pas aux principes de l’égalité de traitement, de la non-discrimination et de la transparence énoncés à l’article 2 de la directive
2004/18.
83. Eu égard à ces principes, l’information, indispensable, concernant la valeur des services doit être accessible de la même manière à tous les opérateurs économiques, si cela n’est en des termes exacts, au moins approximativement. De plus, si la valeur estimée de ces services est calculée en relation avec les besoins que le pouvoir adjudicateur a dû satisfaire par le passé, l’information qui étaye la valeur (réelle et certaine) de ces besoins passés devra être consignée (en tant que valeur
estimée), avec les mises à jour et corrections nécessaires, dans la documentation intégrée à l’accord-cadre. Dans le cas contraire, je le répète, les « besoins ordinaires » seraient en réalité un arcane pour tous les opérateurs économiques, sauf pour celui qui aurait été adjudicataire de marchés antérieurs portant sur ces mêmes services.
84. Par conséquent, je propose d’interpréter l’article 1er, paragraphe 5, et l’article 32 de la directive 2004/18 en ce sens qu’ils ne font pas obstacle à ce que le volume de prestations que pourra demander le pouvoir adjudicateur qui n’a pas participé à la conclusion d’un accord-cadre et ne l’a pas signé, mais qui y était incontestablement partie dès le départ, soit déterminé par référence à ses besoins ordinaires, sous réserve que ceux-ci puissent être déduits d’informations claires, précises et
transparentes relatives à ceux que le pouvoir adjudicateur a dû satisfaire par le passé.
VI. Conclusion
85. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre au Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) de la façon suivante :
« L’article 1er, paragraphe 5, et l’article 32 de la directive 2004/18/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, doivent être interprétés de la façon suivante :
– Ils ne font pas obstacle à un accord-cadre en vertu duquel un pouvoir adjudicateur, qui n’a pas participé directement à sa conclusion et ne l’a pas signé, peut être partie aux marchés publics qui se fondent sur cet accord, sous réserve que l’identité de ce pouvoir adjudicateur figure dans l’accord‑cadre lui-même ou dans un document intégré au cahier des charges, dans les termes prescrits par la directive 2004/18.
– Ils font obstacle à ce que le volume de prestations que ledit pouvoir adjudicateur pourra demander lors de la conclusion des marchés postérieurs prévus dans l’accord-cadre ne soit pas déterminé, ou ne soit pas univoquement déterminable, dans celui‑ci.
– Ils ne font pas obstacle à ce que cette quantité soit fixée en référence aux besoins ordinaires du pouvoir adjudicateur, sous réserve que l’accord-cadre donne des informations claires, précises et transparentes quant aux besoins que ce pouvoir adjudicateur a dû satisfaire par le passé. »
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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.
( 2 ) Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114).
( 3 ) GURI no 100, du 2 mai 2006.
( 4 ) GURI no 299, du 27 décembre 2006.
( 5 ) (GURI no 156, du 6 juillet 2012), transformé en loi no 135, du 7 août 2012 (GURI no 189, du 14 août 2012).
( 6 ) Le critère d’attribution était celui de l’offre la plus avantageuse du point de vue économique.
( 7 ) Cette clause précisait être fondée sur l’accord en vue d’« activer des modalités d’achat groupé » en application des principes consacrés par le programme régional de santé pour la Lombardie 2002-2004 « lesquels promeuvent les modalités d’achats groupés entre organismes du système régional de santé » ainsi que des accords correspondants du conseil régional de Lombardie. Cette clause renvoyait en outre, sans les citer, à d’autres décisions de ce conseil régional, qui « mettent l’accent sur des
procédures ouvertes prévoyant des adhésions postérieures ».
( 8 ) Les ASST du lac de Garde et de Valcamonica, entre autres, faisaient partie du consortium AIPEL (Est de la Lombardie) établi par l’« Accordo interaziendale tra le aziende ospedaliere e le aziende sanitarie locali (AIPEL) […] per la disciplina delle forme aggregate riguardanti la fornitura di beni e l’appalto di servizi ».
( 9 ) Dans la décision de renvoi, c’est l’article 2 qui est cité, sans doute par erreur.
( 10 ) Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).
( 11 ) Voir la note 9.
( 12 )
( 13 ) Point 27 de l’ordonnance du 20 février 2018, rendue par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) en réponse à la question de la Cour.
( 14 ) Ibidem, point 28.
( 15 ) Ibidem.
( 16 ) Voir notamment arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, points 24 et 25) ; du 4 mai 2016, Pillbox 38 (C‑477/14, EU:C:2016:324, points 15 et 16) ; du 5 juillet 2016, Ognyanov (C‑614/14, EU:C:2016:514, point 19) ; du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, point 54), et du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, points 50 et 155).
( 17 ) Voir notamment arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑305/05, EU:C:2007:383, point 18).
( 18 ) Elle paraît écarter cette possibilité dans l’ordonnance du 20 février 2018. Toutefois, il suffirait que la Cour rappelle dans son arrêt la limite temporelle prévue à l’article 32, paragraphe 2, quatrième alinéa, de la directive 2004/18 pour que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) puisse éventuellement reconsidérer sa réticence initiale à examiner l’incidence de ce facteur sur le litige ; cela, bien entendu, toujours dans le respect des dispositions et garanties procédurales établies par le
droit national.
( 19 ) C’est ce que pense l’AGCOM, selon laquelle la clause 2.5 du marché initial, ainsi que l’adhésion au marché en cause par l’ASST de Valcamonica – Sebino, enfreindraient « les principes de concurrence loyale et d’impartialité » en se soustrayant à une « concurrence transparente ».
( 20 ) Selon son article 33, paragraphe 2, « [l]es marchés fondés sur un accord-cadre sont passés selon les procédures prévues au présent paragraphe et aux paragraphes 3 et 4. Ces procédures ne peuvent être appliquées qu’entre, d’une part, les pouvoirs adjudicateurs clairement identifiés à cette fin dans l’avis d’appel à la concurrence ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt et, d’autre part, les opérateurs économiques qui sont parties à l’accord-cadre tel qu’il a été conclu » (mise en italique
par mes soins).
( 21 ) Points 7 et 8 de la décision de renvoi.
( 22 ) Il est clair que ce consentement doit être formalisé auparavant d’une façon ou d’une autre et que, à cette fin, la signature de celui qui consent sera en définitive indispensable. Toutefois, il n’est pas nécessaire que cette signature soit celle de l’accord auquel la qualité de partie est acquise, mais uniquement la signature de l’acte juridique qui exprime ce consentement, auquel l’accord-cadre doit renvoyer en l’intégrant comme une partie de son contenu.
( 23 ) Je reprends l’expression utilisée par la Commission au point 37 de ses observations écrites.
( 24 ) La durée de l’accord-cadre est donc l’un des facteurs essentiels pour préciser la valeur totale des services, en tant qu’élément essentiel de l’appel d’offres. Il en découle que, en examinant sa présence en l’espèce, la juridiction de renvoi doit la prendre en considération, ce qui peut lui donner l’occasion d’évaluer si l’article 32, paragraphe 2, quatrième alinéa, de la directive 2004/18 a été respecté ou si les pouvoirs adjudicateurs ont dûment motivé, dans l’accord même, les raisons
objectives pour étendre sa durée quadriennale. On pourrait donc argumenter que, puisqu’elles ont débattu de la détermination des quantités demandées, ce sont les parties elles‑mêmes qui ont indirectement suscité la question relative à la durée de l’accord-cadre, sans laquelle il n’est pas possible d’estimer la valeur totale de ces quantités.
( 25 ) Cette incertitude est accrue dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, puisque la clause d’extension de l’accord-cadre autorise les ASST à adhérer ou non, discrétionnairement, pendant sa période de validité, au marché initial et permet de même à l’attributaire initial de rejeter la demande d’adhésion ultérieure formée par les ASST mentionnées.