ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR
19 septembre 2018 (*)
« Pourvoi – Ordonnance de référé – Marchés publics de travaux – Procédure d’appel d’offres – Décision rejetant l’offre d’un soumissionnaire et attribuant le marché à d’autres soumissionnaires – Sursis à l’exécution de cette décision – Intérêt à agir – Non-lieu à statuer »
Dans l’affaire C‑229/18 P(R),
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 28 mars 2018,
Parlement européen, représenté par M^mes P. López-Carceller et Z. Nagy ainsi que par M. B. D. Simon, en qualité d’agents,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Strabag BelgiumSA, établie à Anvers (Belgique), représentée par M^es M. Schoups, K. Lemmens et M. Lahbib, avocats,
partie demanderesse en première instance,
LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,
l’avocat général, M. M. Wathelet, entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son pourvoi, le Parlement européen demande l’annulation de l’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 18 janvier 2018, Strabag Belgium/Parlement (T‑784/17 R, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2018:17), par laquelle celui-ci a décidé de surseoir à l’exécution de la décision du Parlement européen du 24 novembre 2017 rejetant l’offre de Strabag Belgium SA et attribuant le marché relatif à un contrat-cadre de travaux d’entreprise générale pour les
bâtiments du Parlement à Bruxelles (Belgique) (appel d’offres 06D 20/2017/M036, ci-après le « contrat en cause ») à cinq autres soumissionnaires (ci-après la « décision litigieuse »).
Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
2 Par un avis de marché du 29 juillet 2017, le Parlement a lancé une procédure ouverte pour l’attribution du contrat en cause. Strabag Belgium figurait parmi les soumissionnaires.
3 Le 24 novembre 2017, le Parlement a adopté la décision litigieuse, rejetant l’offre de Strabag Belgium et attribuant le marché relatif au contrat en cause à cinq autres soumissionnaires.
4 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2017, Strabag Belgium a introduit un recours tendant, notamment, à l’annulation de la décision litigieuse. Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, Strabag Belgium a également présenté une demande en référé tendant, en substance, au sursis à l’exécution de ladite décision.
5 Le 18 janvier 2018, le président du Tribunal a adopté l’ordonnance attaquée par laquelle il a sursis à l’exécution de la décision litigieuse, a rejeté la demande pour le surplus et a réservé les dépens.
6 À ces fins, le président du Tribunal a constaté, premièrement, aux points 65 et 66 de l’ordonnance attaquée, l’existence d’un fumus boni juris « particulièrement sérieux » en ce qui concerne le moyen unique invoqué par Strabag Belgium à l’appui de son recours, tiré d’une violation, par le Parlement, de l’article 151 du règlement délégué (UE) n° 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du
Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO 2012, L 362, p. 1), en ce que le Parlement n’aurait pas constaté que l’offre classée au premier rang dans la décision litigieuse apparaissait anormalement basse et n’aurait pas procédé à la vérification prévue à ladite disposition. Deuxièmement, le président du Tribunal a jugé, aux points 69 à 70 et 79 à 89 de l’ordonnance attaquée, que la demande de mesures provisoires déposée par Strabag Belgium satisfaisait aux
conditions de l’urgence et de la mise en balance des intérêts.
7 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 mai 2018, le Parlement a demandé au président du Tribunal, sur le fondement de l’article 159 du règlement de procédure du Tribunal, de modifier l’ordonnance attaquée en levant le sursis à l’exécution de la décision litigieuse et de maintenir cette ordonnance pour le surplus.
8 Au soutien de cette demande, le Parlement a relevé que, à la suite de l’ordonnance attaquée et afin de se conformer à celle-ci, il a procédé, par les soins de son comité d’évaluation, à la vérification de l’existence d’offres anormalement basses pour ce qui concerne les offres classées aux premier et deuxième rangs dans la décision litigieuse. Ces vérifications ont abouti à l’établissement d’un « addendum » joint au rapport d’évaluation des offres de ce comité dans lequel celui-ci a
observé, en substance, qu’aucun élément ne permettait d’affirmer que les offres en question étaient anormalement basses, et qu’il convenait donc de maintenir la décision litigieuse et d’attribuer le marché relatif au contrat en cause aux cinq autres soumissionnaires.
9 Ainsi, le 19 avril 2018, le Parlement a adopté une nouvelle décision dont le dispositif précise qu’il a été « décidé de maintenir en tous ses termes » la décision litigieuse (ci-après la « décision du 19 avril 2018 »).
10 Par ordonnance du 26 juin 2018, Strabag Belgium/Parlement (T‑784/17 RII, non publiée, EU:T:2018:388), le président du Tribunal a rejeté la demande de modification de l’ordonnance attaquée et a réservé les dépens.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
11 Le Parlement demande à la Cour :
– d’annuler le point 1 du dispositif de l’ordonnance attaquée ;
– de rejeter la demande de sursis à exécution, et
– de condamner Strabag Belgium aux dépens, y compris à ceux exposés dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.
12 Strabag Belgium demande, en substance, à la Cour :
– de déclarer le pourvoi introduit par le Parlement irrecevable et non fondé ;
– en conséquence, de confirmer les termes de l’ordonnance attaquée et ainsi de confirmer le sursis à l’exécution de la décision litigieuse, et
– de condamner le Parlement aux entiers dépens de l’instance.
13 Par lettre du greffe de la Cour du 10 juillet 2018, le Parlement et Strabag Belgium ont été invités à préciser, en application de l’article 149 du règlement de procédure de la Cour, applicable aux pourvois en vertu de l’article 190, paragraphe 1, dudit règlement, si, compte tenu des circonstances rappelées aux points 8 et 9 de la présente ordonnance ainsi que de l’ordonnance du 26 juin 2018, Strabag Belgium/Parlement, (T‑784/17 RII, non publiée, EU:T:2018:388), ils considèrent qu’il y a
encore lieu de statuer sur le présent pourvoi.
14 Par lettre du 23 juillet 2018, le Parlement a répondu, en substance, que, même après l’adoption de la décision du 19 avril 2018, il conserve un intérêt à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée afin d’éviter que les erreurs de droit dont celle-ci est entachée ne se reproduisent à l’avenir. En effet, en l’absence d’annulation de l’ordonnance attaquée, l’interprétation large des conditions relatives au fumus boni juris et à l’urgence adoptée par le président du Tribunal dans cette
ordonnance serait suivie en tant que jurisprudence pertinente dans toutes les affaires en référé futures en matière de marchés publics. Cela pourrait entraver le fonctionnement des institutions de l’Union, y compris du Parlement, en rendant l’obtention d’un sursis à exécution excessivement facile pour les soumissionnaires écartés et bloquant ainsi l’exécution des marchés publics durant des mois, voire des années.
15 Par lettre du 27 juillet 2018, Strabag Belgium a répondu que, compte tenu des circonstances mentionnées dans la lettre du greffe de la Cour du 10 juillet 2018, il n’y avait plus lieu de statuer sur le présent pourvoi.
Sur le pourvoi
16 Conformément à l’article 149 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement, si la Cour constate que le recours est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer, elle peut, à tout moment, d’office, sur proposition du juge rapporteur, les parties et l’avocat général entendus, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
17 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent pourvoi.
18 À cet égard, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été relevé aux points 8 et 9 de la présente ordonnance, que, à la suite de l’introduction du présent pourvoi et afin de se conformer à l’ordonnance attaquée, le Parlement a procédé à la vérification de l’existence d’offres anormalement basses pour ce qui concerne les offres classées aux premier et deuxième rangs dans la décision litigieuse.
19 À l’issue de ces vérifications et sur la base des éléments nouveaux établis grâce à celles-ci, le Parlement a adopté la décision du 19 avril 2018, par laquelle il a clôturé la procédure de passation du marché relatif au contrat en cause.
20 Or, ainsi que le relève, en substance, le Parlement dans sa lettre du 23 juillet 2018, la décision litigieuse a été remplacée par la décision du 19 avril 2018.
21 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le Parlement ne dispose plus d’un intérêt à agir dans le cadre du présent pourvoi, ce dernier n’étant plus susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice. En effet, à la suite de l’adoption de la décision du 19 avril 2018, l’éventuelle annulation de l’ordonnance attaquée et la levée du sursis à l’exécution de la décision litigieuse ne lui procurerait aucun bénéfice, cette dernière ayant désormais été remplacée.
22 Les arguments du Parlement visant à établir qu’il dispose encore d’un intérêt à agir dans la présente procédure de pourvoi au motif que, en l’absence d’annulation de l’ordonnance attaquée, l’interprétation large des conditions relatives au fumus boni juris et à l’urgence adoptée par le président du Tribunal dans cette ordonnance serait suivie dans des affaires futures ne remettent pas en cause cette appréciation.
23 En effet, de telles considérations d’ordre général, voire l’intérêt à la solution de questions juridiques qui seraient susceptibles de se poser à l’avenir dans des cas de figure analogues à celui ayant donné lieu au présent pourvoi, ne sauraient suffire pour justifier qu’il soit statué sur celui-ci (ordonnance du président de la Cour du 18 mai 2011, Conseil/Zhejiang Xinan Chemical Industrial Group, C‑337/09 P‑R, non publiée, EU:C:2011:314, point 44).
24 Il résulte de tout ce qui précède que le présent pourvoi est devenu sans objet et que, partant, il n’y a pas lieu de statuer sur celui-ci.
Sur les dépens
25 Aux termes de l’article 149 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190 de ce règlement, en cas de non-lieu à statuer, la Cour statue sur les dépens.
26 Conformément à l’article 142 dudit règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184 de celui-ci, les dépens sont, dans ce cas, réglés librement par la Cour.
27 Le non-lieu à statuer étant en l’occurrence imputable au Parlement, il y a lieu de condamner celui-ci à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Strabag Belgium dans la présente procédure de pourvoi.
Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :
1) Il n’y a pas lieu de statuer sur le pourvoi.
2) Le Parlement européen est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Strabag Belgium SA dans la présente procédure de pourvoi.
Fait à Luxembourg, le 19 septembre 2018.
Le greffier Le vice-président
A. Calot Escobar A. Tizzano
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* Langue de procédure : le français.