ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
13 septembre 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Directive 2004/39/CE – Article 54, paragraphes 1 et 3 – Portée de l’obligation de secret professionnel incombant aux autorités nationales de surveillance financière – Décision constatant la perte de l’honorabilité professionnelle – Cas relevant du droit pénal – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 47 et 48 – Droits de la défense – Accès au dossier »
Dans l’affaire C‑358/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour administrative (Luxembourg), par décision du 21 juin 2016, parvenue à la Cour le 24 juin 2016, dans la procédure
UBS Europe SE, anciennement UBS (Luxembourg) SA,
Alain Hondequin et consorts
en présence de :
DV,
EU,
Commission de surveillance du secteur financier (CSSF),
Ordre des avocats du barreau de Luxembourg,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), président de chambre, M. A. Tizzano, vice–président de la Cour, M. E. Levits, Mme M. Berger et M. F. Biltgen, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er juin 2017,
considérant les observations présentées :
– pour UBS Europe SE, par Mes M. Elvinger et L. Arpetti, avocats,
– pour M. Hondequin et consorts, par Mes V. Hoffeld et P. Urbany, avocats, ainsi que par Me E. Fronczak, advocate,
– pour DV et EU, par Me J.-P. Noesen, avocat,
– pour la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), par Mes A. Rodeschet P. Sondhi, avocats,
– pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, J. Möller et D. Klebs, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis et Mme Z. Chatzipavlou, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. V. Di Bucci, J. Rius et I.V. Rogalski, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 juillet 2017,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145 p. 1), lu en combinaison avec les articles 41, 47 et 48 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de procédures en tierce opposition formées par UBS Europe SE, anciennement UBS (Luxembourg) SA (ci-après « UBS »), ainsi que par M. Alain Hondequin et consorts, contre l’arrêt du 16 décembre 2014 de la Cour administrative (Luxembourg), ayant statué sur l’appel formé par MM. DV et EU contre l’arrêt du 5 juin 2014 du tribunal administratif (Luxembourg), au sujet du refus de la Commission de surveillance du secteur financier (ci-après la « CSSF ») de
communiquer certains documents dans le cadre de litiges qui opposent M. DV à la CSSF à la suite de la décision de retrait de son honorabilité professionnelle.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 2 et 63 de la directive 2004/39 énoncent :
« (2) [...] il convient d’atteindre le degré d’harmonisation nécessaire pour offrir aux investisseurs un niveau élevé de protection et pour permettre aux entreprises d’investissement de fournir leurs services dans toute la Communauté, qui constitue un marché unique, sur la base de la surveillance exercée dans l’État membre d’origine. [...]
[...]
(63) [...] Dans un contexte d’activité transfrontalière croissante, les autorités compétentes devraient se fournir mutuellement les informations nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, de manière à garantir l’application effective de la présente directive, y compris lorsqu’une infraction ou une suspicion d’infraction peut être du ressort des autorités compétentes de plusieurs États membres. Dans cet échange d’informations, le secret professionnel s’impose toutefois, pour assurer la
transmission sans heurts desdites informations ainsi que la protection des droits des personnes concernées. »
4 Sous le titre II de la directive 2004/39, relatif aux « Conditions d’agrément et d’exercice applicables aux entreprises d’investissement », l’article 8 de celle-ci, intitulé « Retrait d’agrément », prévoit, sous c), que les autorités compétentes peuvent retirer l’agrément à toute entreprise d’investissement qui ne remplit plus les conditions dans lesquelles l’agrément a été accordé.
5 Sous le même titre II, l’article 9 de cette directive, intitulé « Personnes dirigeant effectivement l’activité », dispose :
« 1. Les États membres exigent que les personnes qui dirigent effectivement l’activité d’une entreprise d’investissement jouissent d’une honorabilité et d’une expérience suffisantes pour garantir la gestion saine et prudente de cette entreprise.
[...]
3. L’autorité compétente refuse l’agrément si elle n’est pas convaincue que les personnes qui dirigeront effectivement l’activité de l’entreprise d’investissement jouissent d’une honorabilité et d’une expérience suffisantes ou s’il existe des raisons objectives et démontrables d’estimer que le changement de direction proposé risquerait de compromettre la gestion saine et prudente de l’entreprise d’investissement.
[...] »
6 L’article 17 de ladite directive, intitulé « Obligation générale de surveillance continue », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres veillent à ce que les autorités compétentes contrôlent l’activité des entreprises d’investissement afin de s’assurer qu’elles remplissent les conditions d’exercice prévues dans la présente directive. Ils s’assurent que les mesures appropriées sont prises pour permettre aux autorités compétentes d’obtenir les informations nécessaires pour contrôler le respect de ces obligations par les entreprises d’investissement. »
7 L’article 50 de la directive 2004/39, intitulé « Pouvoirs dont doivent disposer les autorités compétentes », prévoit :
« 1. Les autorités compétentes sont investies de tous les pouvoirs de surveillance et d’enquête nécessaires à l’exercice de leurs fonctions.
[...]
2. Les pouvoirs visés au paragraphe 1 sont exercés conformément au droit national et comprennent au minimum les droits suivants :
a) accéder à tout document, sous quelque forme que ce soit, et en recevoir une copie ;
b) exiger des informations de toute personne et, si nécessaire, convoquer et entendre toute personne pour en obtenir des informations ;
[...]
l) transmettre une affaire en vue de poursuites pénales ;
[...] »
8 L’article 51 de cette directive, intitulé « Sanctions administratives », dispose, à son paragraphe 1 :
« Sans préjudice des procédures relatives au retrait d’un agrément ni de leur droit d’appliquer des sanctions pénales, les États membres veillent, conformément à leur droit national, à ce que puissent être prises des mesures ou appliquées des sanctions administratives appropriées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions adoptées en application de la présente directive. Ils font en sorte que ces mesures soient efficaces, proportionnées et dissuasives. »
9 L’article 52 de ladite directive, intitulé « Droit de recours », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les États membres veillent à ce que toute décision prise en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou administratives arrêtées en application de la présente directive soit dûment motivée et puisse faire l’objet d’un droit de recours juridictionnel [...] »
10 Aux termes de l’article 54 de la directive 2004/39, intitulé « Secret professionnel » :
« 1. Les États membres veillent à ce que les autorités compétentes, toute personne travaillant ou ayant travaillé pour les autorités compétentes ou pour les entités délégataires des tâches de celles-ci conformément à l’article 48, paragraphe 2, ainsi que les contrôleurs des comptes ou les experts mandatés par les autorités compétentes soient tenus au secret professionnel. Aucune information confidentielle [...] reçue par ces personnes dans l’exercice de leurs fonctions ne peut être divulguée à
quelque autre personne ou autorité que ce soit, sauf sous une forme résumée ou agrégée empêchant l’identification des entreprises d’investissement, des opérateurs de marchés, des marchés réglementés ou de toute autre personne concernée, sans préjudice des cas relevant du droit pénal ou des autres dispositions de la présente directive.
2. Lorsqu’une entreprise d’investissement, un opérateur de marché ou un marché réglementé a été déclaré en faillite ou qu’il est mis en liquidation forcée, les informations confidentielles qui ne concernent pas des tiers peuvent être divulguées dans le cadre de procédures civiles ou commerciales à condition d’être nécessaires au déroulement de la procédure.
3. Sans préjudice des cas relevant du droit pénal, les autorités compétentes, organismes ou personnes physiques ou morales autres que les autorités compétentes, qui reçoivent des informations confidentielles au titre de la présente directive, peuvent uniquement les utiliser dans l’exécution de leurs tâches et pour l’exercice de leurs fonctions dans le cas des autorités compétentes dans le cadre du champ d’application de la présente directive ou, dans le cas des autres autorités, organismes ou
personnes physiques ou morales, aux fins pour lesquelles ces informations leur ont été communiquées et/ou dans le cadre de procédures administratives ou judiciaires spécifiquement liées à l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, si l’autorité compétente ou toute autre autorité, organisme ou personne communiquant l’information y consent, l’autorité qui a reçu l’information peut l’utiliser à d’autres fins.
4. Toute information confidentielle reçue, échangée ou transmise en vertu de la présente directive est soumise aux exigences de secret professionnel prévues au présent article. Toutefois, le présent article n’empêche pas les autorités compétentes d’échanger ou de transmettre des informations confidentielles conformément à la présente directive et aux autres directives applicables notamment aux entreprises d’investissement, aux établissements de crédit, aux fonds de retraite, aux [organismes de
placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM)], aux intermédiaires d’assurance et de réassurance, aux entreprises d’assurance, aux marchés réglementés ou aux opérateurs de marchés, avec l’accord de l’autorité compétente, d’une autre autorité, d’un autre organisme ou d’une autre personne physique ou morale qui a communiqué ces informations.
5. Le présent article ne fait pas obstacle à ce que les autorités compétentes échangent ou transmettent, conformément au droit national, des informations confidentielles qu’elles n’ont pas reçues d’une autorité compétente d’un autre État membre. »
11 L’article 56 de cette directive, intitulé « Obligation de coopérer », énonce, à son paragraphe 1 :
« Les autorités compétentes de plusieurs États membres coopèrent entre elles chaque fois que cela est nécessaire à l’accomplissement des missions prévues dans la présente directive, en faisant usage des pouvoirs qui leur sont conférés soit par la présente directive, soit par le droit national.
Toute autorité compétente prête son concours aux autorités compétentes des autres États membres. En particulier, les autorités compétentes échangent des informations et coopèrent dans le cadre d’enquêtes ou d’activités de surveillance.
[...] »
Le droit luxembourgeois
12 L’article 19 de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier (Mémorial A 1993, p. 462), intitulé « L’honorabilité et l’expérience professionnelles », dispose, à son paragraphe 1 :
« En vue de l’obtention de l’agrément, les personnes physiques et, dans le cas de personnes morales, les membres des organes d’administration, de gestion et de surveillance ainsi que les actionnaires ou associés visés à l’article précédent, doivent justifier de leur honorabilité professionnelle. L’honorabilité s’apprécie sur base des antécédents judiciaires et de tous les éléments susceptibles d’établir que les personnes visées jouissent d’une bonne réputation et présentent toutes les garanties
d’une activité irréprochable. »
13 L’article 32 de la loi du 13 juillet 2007 relative aux marchés d’instruments financiers et portant transposition notamment de la directive 2004/39 (Mémorial A 2007, p. 2076), intitulé « Secret professionnel de la CSSF », prévoit :
« (1) Toutes les personnes exerçant ou ayant exercé une activité pour la [CSSF], ainsi que les réviseurs d’entreprises agréés ou experts mandatés par la [CSSF], sont tenus au secret professionnel visé à l’article 16 de la loi modifiée du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier. Ce secret implique que les informations confidentielles qu’ils reçoivent à titre professionnel ne peuvent être divulguées à quelque personne ou autorité que ce soit,
excepté sous une forme sommaire ou agrégée de façon à ce qu’aucun opérateur de marché, marché réglementé, [système multilatéral de négociation (MTF)] ou toute autre personne concernée ou tout autre système concerné ne puisse être identifié, sans préjudice des cas relevant du droit pénal ou des autres dispositions du présent titre.
[...]
(3) Sans préjudice des cas relevant du droit pénal, la [CSSF] peut uniquement utiliser les informations confidentielles reçues en vertu du présent titre pour l’exercice des fonctions qui lui incombent en vertu du présent titre ou dans le cadre de procédures administratives ou judiciaires spécifiquement liées à l’exercice de ces fonctions.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 Il ressort de la décision de renvoi que, par décision du 4 janvier 2010, la CSSF a ordonné à M. DV de démissionner de toutes ses fonctions dans les meilleurs délais, au motif qu’il n’était plus digne de confiance et qu’il n’était, partant, plus apte à exercer auprès d’une entité surveillée une fonction d’administrateur ou une autre fonction dont l’exercice est subordonné à l’obtention d’un agrément. La CSSF a motivé sa décision, entre autres, par le rôle joué par M. DV dans la constitution et le
fonctionnement de la société Luxalpha Sicav (ci-après « Luxalpha »).
15 Par requêtes déposées les 26 février et 31 mars 2010 devant le tribunal administratif (Luxembourg), M. DV a introduit un recours tendant à la réformation ou, à défaut, à l’annulation de la décision susvisée de la CSSF.
16 Le 11 novembre 2010, M. DV a demandé à la CSSF, dans le cadre desdits litiges actuellement pendants, la communication d’une lettre du 27 janvier 2009 adressée par UBS à la CSSF, à la suite d’une demande de renseignements de cette dernière, du 31 décembre 2008, dans le cadre de « l’affaire Madoff ». Par décision du 13 décembre 2010, la CSSF a refusé de faire droit à cette demande. Le 10 janvier 2011, M. DV a introduit un recours tendant à la réformation ou, à défaut, à l’annulation de cette
décision de la CSSF. Le 15 décembre 2011, le tribunal administratif a ordonné à la CSSF de lui communiquer ladite lettre. Par jugement du 18 juillet 2012, le tribunal administratif a déclaré le recours introduit par M. DV partiellement fondé et a, partant, annulé la décision de la CSSF, du 13 décembre 2010, ayant pour objet de refuser la communication de la lettre du 27 janvier 2009 susvisée, à l’exception de certaines informations.
17 Le 26 février 2013, M. DV a demandé à la CSSF, toujours dans le cadre des litiges principaux, la communication de plusieurs documents, y compris la « lettre de la CSSF du 31 décembre 2008 à [UBS] et son questionnaire » ainsi que « l’intégralité des enquêtes et/ou instructions menées par la CSSF dans le cadre de l’affaire Madoff, volet Luxalpha, et des pièces par elle reçues à cette occasion ». Selon M. DV, ces documents mettent en lumière le rôle d’UBS dans l’établissement et la mise en place de
Luxalpha, raison pour laquelle ils seraient indispensables pour comprendre le rôle des diverses personnes intervenues à l’occasion de la constitution de cette société.
18 Par décision du 9 avril 2013, la CSSF a refusé la communication des documents sollicités, notamment au motif que ceux-ci ne figuraient pas dans le dossier administratif concernant M. DV, qu’ils étaient couverts par l’obligation de secret professionnel lui incombant, qu’à aucun moment de la procédure administrative à l’égard de M. DV elle n’avait invoqué les pièces réclamées et que la demande de M. DV n’était pas suffisamment précise.
19 Le 5 juin 2013, M. DV a introduit un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision de la CSSF susvisée. Par requête déposée le 7 juin 2013 devant le tribunal administratif, M. EU a déclaré vouloir intervenir volontairement à l’instance au motif qu’il aurait fait, tout comme M. DV, l’objet d’une procédure administrative le sanctionnant, entre autres, pour son rôle dans la constitution et le fonctionnement de Luxalpha. M. EU a également expliqué
avoir introduit un recours contentieux contre la décision de la CSSF constatant la perte de son honorabilité professionnelle et nécessiter, dans le cadre de ladite affaire contentieuse, divers documents dont la CSSF lui refuserait la communication.
20 Par jugement du 5 juin 2014, le tribunal administratif, après avoir accueilli l’intervention volontaire de M. EU dans l’instance, a ordonné à la CSSF de lui communiquer la lettre adressée le 31 décembre 2008 à UBS dans le cadre de « l’affaire Madoff » et a rejeté le recours en annulation introduit par M. DV pour le surplus.
21 Par requête déposée le 26 juin 2014, MM. DV et EU ont interjeté appel dudit jugement du tribunal administratif devant la Cour administrative.
22 Par arrêt du 16 décembre 2014, la Cour administrative a déclaré l’appel de MM. DV et EU partiellement fondé et a condamné la CSSF à déposer, dans le cadre des litiges principaux, l’intégralité des enquêtes ou des instructions menées par la CSSF dans le cadre de « l’affaire Madoff », plus particulièrement s’agissant de l’aspect concernant Luxalpha, et des pièces qu’elle a reçues à cette occasion.
23 Dans cet arrêt, la Cour administrative a relevé, en particulier, que, dans une procédure se rapportant à une sanction administrative, particulièrement lorsqu’elle s’apparente à une procédure à caractère pénal au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), comme celle en cause en l’espèce, aucun secret n’est en principe opposable à la personne qui se défend de l’accusation ou qui
exerce un recours contre la sanction prononcée à son égard. Ainsi, si l’administration s’est fondée sur une pièce qui concerne également une partie tierce, elle ne saurait opposer à l’administré le secret professionnel, sous peine de violer ses droits de la défense, que dans des limites très strictes. La Cour administrative a encore souligné qu’il appartient à l’administration, qui doit en principe verser au dossier déposé devant elle le dossier administratif intégral contenant toutes les pièces
relatives à l’acte attaqué, d’exposer les motifs pour lesquels une pièce réclamée par la défense n’est pas pertinente. Or, en espèce, la CSSF s’était bornée à invoquer le secret professionnel sans exposer, de manière circonstanciée, les raisons impérieuses qui lui interdiraient de mettre à la disposition de M. DV l’ensemble des documents qui semblaient a priori utiles à la défense contre la sanction prise à son égard.
24 Par requêtes déposées les 23 octobre 2015 et 3 mars 2016 devant la Cour administrative, respectivement, UBS ainsi que M. Alain Hondequin et consorts, agissant en leur qualité d’anciens membres du conseil d’administration de Luxalpha, ont introduit une tierce opposition à l’encontre dudit arrêt. UBS reproche à la Cour administrative, pour l’essentiel, de ne pas avoir tenu compte de l’article 54 de la directive 2004/39.
25 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi estime être confrontée à deux types de questions se rapportant à l’interprétation de l’article 54 de la directive 2004/39. Elle s’interroge, en premier lieu, sur ce que recouvre, au regard de l’article 41 de la Charte, l’exception « des cas relevant du droit pénal », figurant aux paragraphes 1 et 3 de cet article 54. Elle se demande, en second lieu, comment il convient de concilier les exigences et les garanties découlant des articles 47 et 48 de la
Charte ainsi que des articles 6 et 13 de la CEDH avec l’obligation de garder le secret professionnel édictée audit article 54.
26 Dans ces conditions, la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Plus particulièrement sur la toile de fond de l’article 41 de la Charte consacrant le principe d’une bonne administration, l’exception “des cas relevant du droit pénal”, figurant tant in fine au paragraphe 1 de l’article 54 de la directive 2004/39 qu’en tête du paragraphe 3 du même article 54, recouvre-t-elle un cas de figure relevant, suivant la législation nationale, d’une sanction administrative, mais considéré sous l’angle de vue de la CEDH comme faisant partie du droit pénal, telle la
sanction discutée au principal, infligée par le régulateur national, autorité nationale de surveillance, et consistant à ordonner à un membre d’un barreau national, de cesser d’exercer auprès d’une entité surveillée par ledit régulateur une fonction d’administrateur ou une autre fonction sujette à agrément tout en lui ordonnant de démissionner de toutes ses fonctions afférentes dans les meilleurs délais ?
2) En ce que la sanction administrative précitée, considérée comme telle au niveau du droit national, relève d’une procédure administrative, dans quelle mesure l’obligation de garder le secret professionnel qu’une autorité nationale de surveillance peut invoquer sur base des dispositions de l’article 54 de la directive 2004/39, précitée, se trouve-t-elle conditionnée par les exigences d’un procès équitable comprenant un recours effectif telles que se dégageant de l’article 47 de la Charte, à
entrevoir par rapport aux exigences découlant parallèlement des articles 6 et 13 de la CEDH en matière de procès équitable et d’effectivité du recours, ensemble avec les garanties prévues par l’article 48 de la Charte, plus particulièrement sous le spectre de l’accès intégral de l’administré au dossier administratif de l’auteur d’une sanction administrative qui est en même temps l’autorité nationale de surveillance en vue de la défense des intérêts et droits civils de l’administré
sanctionné ? »
Sur les questions préjudicielles
27 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 54, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/39, lu en combinaison avec l’article 41 de la Charte, doit être interprété en ce sens que l’exception à l’obligation de secret professionnel, prévue à cette disposition et relative aux « cas relevant du droit pénal », s’applique dans une situation dans laquelle les autorités désignées par les États membres pour remplir les fonctions
prévues par cette directive (ci-après les « autorités compétentes ») adoptent une mesure, voire une sanction, qui relève du droit administratif national. Dans la négative, elle cherche à savoir dans quelle mesure cette obligation de secret professionnel se trouve en toute hypothèse limitée par les exigences du droit à un recours effectif et à un procès équitable ainsi que par le respect des droits de la défense consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, lus à la lumière des articles 6 et 13 de
la CEDH.
28 En premier lieu, quant aux situations visées par les termes « cas relevant du droit pénal », au sens de l’article 54, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/39, lu en combinaison avec l’article 41 de la Charte, il convient d’observer qu’il résulte clairement du libellé de cette dernière disposition qu’elle s’adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union (arrêts du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 83
et, du 9 mars 2017, Doux, C‑141/15, EU:C:2017:188, point 60). Il s’ensuit que l’article 41 de la Charte n’est pas pertinent dans l’affaire au principal.
29 Il y a également lieu de relever que ni l’article 54 de la directive 2004/39 ni aucune autre disposition de celle-ci ne contient une définition des termes « cas relevant du droit pénal », figurant aux paragraphes 1 et 3 de cet article.
30 Il convient donc de tenir compte, conformément à une jurisprudence bien établie, du contexte dans lequel l’article 54 de la directive 2004/39 s’inscrit ainsi que des objectifs poursuivis par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2015, Drukarnia Multipress, C‑357/13, EU:C:2015:253, point 22 et jurisprudence citée).
31 Il convient de rappeler qu’il ressort du considérant 2 de ladite directive que celle-ci vise à atteindre le degré d’harmonisation nécessaire pour offrir aux investisseurs un niveau élevé de protection et pour permettre aux entreprises d’investissement de fournir leurs services dans toute l’Union sur la base de la surveillance exercée dans l’État membre d’origine (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 26).
32 Il découle encore du considérant 63, deuxième phrase, de la directive 2004/39 que, dans un contexte d’activité transfrontalière croissante, les autorités compétentes des différents États membres doivent se fournir mutuellement les informations nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, de manière à garantir l’application effective de cette directive (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 27).
33 Ainsi, aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2004/39, les États membres sont tenus de veiller à ce que les autorités compétentes contrôlent de manière permanente l’activité des entreprises d’investissement afin d’assurer qu’elles respectent leurs obligations (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 28).
34 L’article 50, paragraphes 1 et 2, de la même directive prévoit que les autorités compétentes doivent disposer de tous les pouvoirs de surveillance et d’enquête nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, en ce compris les droits d’accéder à tout document et d’exiger des informations de toute personne (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 29).
35 Par ailleurs, l’article 56, paragraphe 1, de la directive 2004/39 prescrit que toute autorité compétente prête son concours aux autorités compétentes des autres États membres et que, en particulier, les autorités compétentes échangent des informations et coopèrent dans le cadre d’enquêtes ou d’activités de surveillance (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 30).
36 Le fonctionnement efficace du système de contrôle de l’activité des entreprises d’investissement, fondé sur une surveillance exercée à l’intérieur d’un État membre et sur l’échange d’informations entre les autorités compétentes de plusieurs États membres, tel que succinctement décrit aux points précédents, requiert ainsi que tant les entreprises surveillées que les autorités compétentes puissent être sûres que les informations confidentielles fournies conserveront en principe leur caractère
confidentiel (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 31).
37 Ainsi qu’il ressort notamment de la dernière phrase du considérant 63 de la directive 2004/39, l’absence d’une telle confiance serait de nature à compromettre la transmission sans heurt des informations confidentielles nécessaires à l’exercice de l’activité de surveillance (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 32).
38 C’est donc afin de protéger non seulement les intérêts spécifiques des entreprises directement concernées, mais aussi l’intérêt général lié au fonctionnement normal des marchés d’instruments financiers de l’Union, que l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 impose, en tant que règle générale, l’obligation de secret professionnel (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 33).
39 À cet égard, la Cour a souligné que l’article 54 de la directive 2004/39 pose un principe général d’interdiction de divulgation des informations confidentielles détenues par les autorités compétentes et énonce de manière exhaustive les cas spécifiques dans lesquels cette interdiction générale ne fait, exceptionnellement, pas obstacle à leur transmission ou utilisation (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 38).
40 En l’occurrence, il importe de relever que l’article 54, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/39 dispose que l’obligation de secret professionnel incombant aux autorités compétentes est applicable « sans préjudice des cas relevant du droit pénal ».
41 S’agissant d’une exception au principe général d’interdiction de divulgation des informations confidentielles détenues par les autorités compétentes, les termes « cas relevant du droit pénal », employés à l’article 54, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/39, doivent recevoir une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2010, Commission/Royaume-Uni, C‑346/08, EU:C:2010:213, point 39 et jurisprudence citée).
42 Il convient d’observer à cet égard, que, conformément à l’article 50, paragraphe 2, sous l), de la directive 2004/39, les autorités compétentes doivent disposer du droit de transmettre une affaire en vue de poursuites pénales.
43 En outre, l’article 51, paragraphe 1, de cette directive dispose que, sans préjudice des procédures relatives au retrait d’un agrément ni de leur droit d’appliquer des sanctions pénales, les États membres veillent, conformément à leur droit national, à ce que des mesures ou des sanctions administratives appropriées puissent être, respectivement, prises ou appliquées à l’égard des personnes responsables d’une violation des dispositions adoptées en application de cette directive.
44 Dans ce cadre, il y a lieu de considérer, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé en substance aux points 47 et 48 de ses conclusions, que l’article 54, paragraphes 1 et 3, de la directive 2004/39, lorsqu’il prévoit que l’obligation de secret professionnel peut, à titre exceptionnel, être écartée dans les « cas relevant du droit pénal », vise la transmission ou l’utilisation d’informations confidentielles à des fins de poursuites ainsi que de sanctions respectivement menées ou infligées
conformément au droit pénal national.
45 Au demeurant, cette interprétation est confortée par l’article 76, paragraphes 1 et 3, de la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO 2014, L 173, p. 349), qui a procédé à la refonte de la directive 2004/39, lequel précise désormais que l’obligation de secret professionnel est applicable « sans préjudice des exigences du droit pénal [...] national ».
46 Il y a lieu encore de relever que, indépendamment de leur qualification au regard du droit national, à laquelle se réfère la juridiction de renvoi, les mesures que les autorités compétentes doivent prendre à la suite du constat qu’une personne ne remplit plus les exigences en matière d’honorabilité prévues à l’article 9 de la directive 2004/39, font partie des « procédures relatives au retrait d’un agrément » visées à l’article 51, paragraphe 1, de cette directive, sans qu’elles constituent pour
autant des sanctions, au sens de cette disposition, ni que leur application ait trait à des cas relevant du droit pénal, au sens de l’article 54, paragraphes 1 et 3, de ladite directive.
47 Par voie de conséquence, il convient de considérer que l’exception au principe général d’interdiction de divulgation des informations confidentielles détenues par les autorités compétentes afférente aux « cas relevant du droit pénal » ne s’applique pas dans une situation telle que celle en cause au principal.
48 Il convient néanmoins d’examiner, en second lieu, dans quelle mesure l’obligation de secret professionnel prévue à l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 se trouve en toute hypothèse limitée par les exigences du droit à un recours effectif et à un procès équitable ainsi que par le respect des droits de la défense consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, lus à la lumière des articles 6 et 13 de la CEDH.
49 À titre liminaire, pour autant que la juridiction de renvoi vise également les articles 6 et 13 de la CEDH, il convient de rappeler que, si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et, si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que les droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère
ladite convention, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de celle-ci (arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C‑537/16, EU:C:2018:193, point 24 ainsi que jurisprudence citée).
50 Il ressort des explications relatives à la Charte, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération en vue de son interprétation (arrêt du 15 février 2016, N., C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 47), que les articles 47 et 48 de la Charte assurent, dans le droit de l’Union, la protection conférée par les articles 6 et 13 de la CEDH. Il y a lieu, dès lors, de se référer uniquement auxdits
articles de la Charte.
51 Par ailleurs, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union et que l’applicabilité de ce droit implique celle des droits fondamentaux garantis par la Charte (arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 49 et jurisprudence citée).
52 Dans l’affaire au principal, il ressort des éléments soumis à la Cour que les décisions de la CSSF en cause sont fondées sur des dispositions nationales visant à mettre en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Il s’ensuit que les dispositions de la Charte sont applicables dans une telle affaire.
53 De surcroît, il convient de rappeler que, selon un principe général d’interprétation, un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire et, notamment, avec les dispositions de la Charte (arrêt du 15 février 2016, N., C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 48).
54 À cet égard, en ce qui concerne, premièrement, le droit à un recours effectif, l’article 47, premier alinéa, de la Charte énonce que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article.
55 Pour garantir le respect au sein de l’Union de ce droit fondamental, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose aux États membres l’obligation d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union (arrêt du 26 septembre 2013, Texdata Software, C‑418/11, EU:C:2013:588, point 78).
56 Pour ce qui est plus particulièrement de l’existence d’un droit garanti par le droit de l’Union, au sens de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère privée d’une personne physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées, constitue un principe général du droit de l’Union. Cette protection peut être invoquée par un administré contre un
acte lui faisant grief (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, points 51 et 52).
57 Or, au demeurant, il y a lieu de relever que le droit à un recours effectif est réaffirmé par la directive 2004/39 elle-même, dont l’article 52, paragraphe 1, première phrase, de celle-ci dispose que « [l]es États membres veillent à ce que toute décision prise en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou administratives arrêtées en application de la présente directive soit dûment motivée et puisse faire l’objet d’un droit de recours juridictionnel ».
58 Il y a lieu également d’observer que, dans l’affaire au principal, les décisions de la CSSF en cause ont fait l’objet d’un recours juridictionnel aux fins d’examiner leur légalité.
59 Deuxièmement, quant au droit à un procès équitable, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, il importe de relever que le respect des droits de la défense représente un aspect particulier du droit à un procès équitable (voir, en ce sens, Cour EDH, 1er juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, CE:ECHR:2010:0601JUD002297805, § 169, ainsi que arrêt du 6 novembre 2012, Otis e.a., C‑199/11, EU:C:2012:684, point 48). Le respect des droits de la défense est également consacré à l’article 48,
paragraphe 2, de la Charte.
60 La Cour a souligné que les droits de la défense doivent être respectés dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 9 ; du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C‑176/99 P, EU:C:2003:524, point 19, et du 26 septembre 2013, Texdata Software, C‑418/11, EU:C:2013:588, point 83).
61 Le droit d’accès au dossier constitue, à son tour, le corollaire nécessaire à l’exercice effectif des droits de la défense (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 316, ainsi que du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 22).
62 Toutefois, il ressort d’une jurisprudence constante que les droits fondamentaux ne constituent pas des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et n’impliquent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts du 18 mars 2010, Alassini e.a., C‑317/08
à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 63, ainsi que du 26 septembre 2013, Texdata Software, C‑418/11, EU:C:2013:588, point 84).
63 De telles restrictions peuvent notamment viser à protéger les exigences de confidentialité ou de secret professionnel, auxquels l’accès à certaines informations et à certains documents est susceptible de porter atteinte (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, Ispas, C‑298/16, EU:C:2017:843, point 36).
64 À cet égard, s’agissant plus particulièrement de l’obligation de secret professionnel qui incombe aux autorités compétentes en vertu de l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39, il importe de rappeler, ainsi qu’il a été relevé au point 38 du présent arrêt, que cette obligation vise à protéger non seulement les intérêts spécifiques des entreprises directement concernées, mais aussi l’intérêt général lié au fonctionnement normal des marchés d’instruments financiers de l’Union.
65 À cet égard, la Cour a jugé que l’interdiction générale de divulguer des informations confidentielles édictée à l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 vise les informations détenues par les autorités compétentes qui, premièrement, n’ont pas un caractère public et dont, deuxièmement, la divulgation risquerait de porter atteinte aux intérêts de la personne physique ou morale qui les a fournies ou de tiers, ou encore au bon fonctionnement du système de contrôle de l’activité des
entreprises d’investissement que le législateur de l’Union a institué en adoptant la directive 2004/39 (arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 35).
66 Par ailleurs, pour ce qui est spécifiquement du droit d’accès au dossier, il résulte d’une jurisprudence bien établie que celui-ci implique que la personne visée par un acte lui faisant grief ait la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires concernant d’autres personnes, des
documents internes de l’autorité qui a adopté l’acte et d’autres informations confidentielles (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 68, ainsi que du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑110/10 P, EU:C:2011:687, point 49).
67 Quant aux documents qui doivent être inclus dans le dossier d’instruction, il convient de relever qu’il résulte également de la jurisprudence de la Cour que, s’il ne saurait appartenir à la seule autorité qui notifie les griefs et prend la décision infligeant une sanction, de déterminer les documents utiles à la défense de la personne concernée, il lui est toutefois permis d’exclure de la procédure administrative les éléments qui n’ont aucun rapport avec les allégations de fait et de droit
figurant dans la communication des griefs et qui ne sont, par conséquent, d’aucune pertinence pour l’enquête (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 126 et jurisprudence citée).
68 Il résulte des considérations qui précèdent que le droit à la divulgation des documents pertinents pour la défense n’est pas illimité et absolu. À l’inverse, ainsi que Mme l’avocat général l’a observé en substance au point 90 des conclusions, la protection de la confidentialité des informations couvertes par l’obligation de secret professionnel qui incombe aux autorités compétentes conformément à l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 doit être garantie et mise en œuvre de manière à
la concilier avec le respect des droits de la défense.
69 Ainsi, en cas de conflit entre, d’une part, l’intérêt de la personne visée par un acte lui faisant grief à disposer des informations nécessaires aux fins d’être en mesure d’exercer pleinement ses droits de la défense et, d’autre part, les intérêts liés au maintien de la confidentialité des informations couvertes par l’obligation de secret professionnel, il incombe aux autorités ou aux juridictions compétentes de rechercher, au regard des circonstances de chaque espèce, un équilibre entre ces
intérêts opposés (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2008, Varec, C‑450/06, EU:C:2008:91, points 51 et 52 ainsi que jurisprudence citée).
70 Partant, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, dès lors qu’une autorité compétente invoque l’obligation de secret professionnel prévue à l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 pour refuser la communication d’informations en sa possession qui ne figurent pas dans le dossier concernant la personne visée par un acte lui faisant grief, il appartient à la juridiction nationale compétente de vérifier si ces informations présentent un lien objectif avec les
griefs retenus à son égard et, dans l’affirmative, de mettre en balance les intérêts relevés au point précédent du présent arrêt, avant de décider de la communication de chacune des informations sollicitées.
71 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 54 de la directive 2004/39 doit être interprété en ce sens que :
– les termes « cas relevant du droit pénal », figurant aux paragraphes 1 et 3 de cet article, ne recouvrent pas la situation dans laquelle les autorités compétentes adoptent une mesure, telle que celle en cause au principal, consistant à interdire à une personne d’exercer auprès d’une entreprise surveillée une fonction d’administrateur ou une autre fonction dont l’exercice est subordonné à l’obtention d’un agrément, avec ordre de démissionner de toutes ses fonctions dans les meilleurs délais, au
motif que cette personne ne remplit plus les exigences d’honorabilité professionnelle prévues à l’article 9 de cette directive, laquelle fait partie des mesures que les autorités compétentes doivent prendre dans l’exercice des compétences dont elles disposent en vertu des dispositions du titre II de ladite directive. En effet, ladite disposition, lorsqu’elle prévoit que l’obligation de secret professionnel peut être, à titre exceptionnel, écartée dans de tels cas, vise la transmission ou
l’utilisation d’informations confidentielles à des fins de poursuites ainsi que de sanctions respectivement menées ou infligées conformément au droit pénal national ;
– l’obligation de secret professionnel prévue au paragraphe 1 dudit article, lu en combinaison avec les articles 47 et 48 de la Charte, doit être garantie et mise en œuvre de manière à la concilier avec le respect des droits de la défense. Ainsi, il appartient à la juridiction nationale compétente, lorsqu’une autorité compétente invoque ladite obligation pour refuser la communication d’informations en sa possession qui ne figurent pas dans le dossier concernant la personne visée par un acte lui
faisant grief, de vérifier si ces informations présentent un lien objectif avec les griefs retenus à son égard et, dans l’affirmative, de mettre en balance l’intérêt de la personne en cause à disposer des informations nécessaires aux fins d’être en mesure d’exercer pleinement les droits de la défense et les intérêts liés au maintien de la confidentialité des informations couvertes par l’obligation de secret professionnel, avant de décider de la communication de chacune des informations
sollicitées.
Sur les dépens
72 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 54 de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens que :
– les termes « cas relevant du droit pénal », figurant aux paragraphes 1 et 3 de cet article, ne recouvrent pas la situation dans laquelle les autorités désignées par les États membres pour remplir les fonctions prévues par cette directive adoptent une mesure, telle que celle en cause au principal, consistant à interdire à une personne d’exercer auprès d’une entreprise surveillée une fonction d’administrateur ou une autre fonction dont l’exercice est subordonné à l’obtention d’un agrément, avec
ordre de démissionner de toutes ses fonctions dans les meilleurs délais, au motif que cette personne ne remplit plus les exigences d’honorabilité professionnelle prévues à l’article 9 de ladite directive, laquelle fait partie des mesures que les autorités compétentes doivent prendre dans l’exercice des compétences dont elles disposent en vertu des dispositions du titre II de la même directive. En effet, ladite disposition, lorsqu’elle prévoit que l’obligation de secret professionnel peut être, à
titre exceptionnel, écartée dans de tels cas, vise la transmission ou l’utilisation d’informations confidentielles à des fins de poursuites ainsi que de sanctions respectivement menées ou infligées conformément au droit pénal national ;
– l’obligation de secret professionnel prévue au paragraphe 1 dudit article, lu en combinaison avec les articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être garantie et mise en œuvre de manière à la concilier avec le respect des droits de la défense. Ainsi, il appartient à la juridiction nationale compétente, lorsqu’une autorité compétente invoque ladite obligation pour refuser la communication d’informations en sa possession qui ne figurent pas dans le dossier
concernant la personne visée par un acte lui faisant grief, de vérifier si ces informations présentent un lien objectif avec les griefs retenus à son égard et, dans l’affirmative, de mettre en balance l’intérêt de la personne en cause à disposer des informations nécessaires aux fins d’être en mesure d’exercer pleinement les droits de la défense et les intérêts liés au maintien de la confidentialité des informations couvertes par l’obligation de secret professionnel, avant de décider de la
communication de chacune des informations sollicitées.
Da Cruz Vilaça
Tizzano
Levits
Berger
Biltgen
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2018.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président de la Vème chambre
J. L. da Cruz Vilaça
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( *1 ) Langue de procédure : le français.