ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
12 septembre 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Droit à déduction – Acquisitions effectuées par un contribuable déclaré “inactif” par l’administration fiscale – Refus du droit à déduction – Principes de proportionnalité et de neutralité de la TVA »
Dans l’affaire C‑69/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 16 novembre 2016, parvenue à la Cour le 8 février 2017, dans la procédure
Siemens Gamesa Renewable Energy România SRL, anciennement Gamesa Wind România SRL,
contre
Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Soluţionare a Contestaţiilor,
Agenţia Naţională de Administrare Fiscală - Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, Mmes C. Toader et A. Prechal, juges,
avocat général : M. P. Mengozzi,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Siemens Gamesa Renewable Energy România SRL, par Mes A. Stănoiu et O. Marian, avocaţi,
– pour le gouvernement roumain, initialement par M. H. R. Radu, puis par M. C.-R. Canţăr et ainsi que par Mmes R. I. Haţieganu et L. Liţu, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. G.-D. Balan et R. Lyal, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive 2006/112 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Siemens Gamesa Renewable Energy România SRL, anciennement Gamesa Wind România SRL (ci-après « Gamesa »), à l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Soluţionare a Contestaţiilor (agence nationale de l’administration fiscale – direction générale du traitement des réclamations, Roumanie) et à l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Administrare a Marilor Contribuabili (agence
nationale de l’administration fiscale – direction générale pour la gestion des grands contribuables, Roumanie), au sujet du droit de Gamesa de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée sur des acquisitions effectuées pendant une période au cours de laquelle son numéro d’identification à la TVA était annulé.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 1er de la directive 2006/112, figurant sous le titre I de celle-ci, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit, à son paragraphe 2, deuxième alinéa :
« À chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix. »
4 L’article 9, paragraphe 1, de cette directive énonce :
« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services [...] Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »
5 L’article 167 de ladite directive dispose :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
6 L’article 168 de la même directive, figurant sous le titre X de celle-ci, intitulé « Déductions », est rédigé en ces termes :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;
[...] »
7 Conformément à l’article 178 de la directive 2006/112 :
« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :
a) pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ;
[...] »
8 En vertu de l’article 179, premier alinéa, de cette directive :
« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période. »
9 L’article 213, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive dispose :
« Tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d’assujetti. »
10 L’article 214, paragraphe 1, de la même directive prévoit :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que soient identifiées par un numéro individuel les personnes suivantes :
a) tout assujetti, à l’exception de ceux visés à l’article 9, paragraphe 2, qui effectue sur leur territoire respectif des livraisons de biens ou des prestations de services lui ouvrant droit à déduction, autres que des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles la TVA est due uniquement par le preneur ou le destinataire conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199 ;
[...] »
11 Aux termes de l’article 250, paragraphe 1, de la directive 2006/112 :
« Tout assujetti doit déposer une déclaration de TVA dans laquelle figurent toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, et dans la mesure où cela est nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées. »
12 L’article 252 de cette directive précise :
« 1. La déclaration de TVA doit être déposée dans un délai à fixer par les États membres. Ce délai ne peut dépasser de plus de deux mois le terme de chaque période imposable.
2. Les États membres fixent la durée de la période imposable à un, deux ou trois mois.
Les États membres peuvent toutefois fixer des durées différentes pour autant qu’elles n’excèdent pas un an. »
13 Aux termes de l’article 273, premier alinéa, de ladite directive :
« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »
Le droit roumain
14 L’article 11, paragraphe 1 bis, de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003 portant code des impôts), du 22 décembre 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal (ci-après le « code des impôts »), prévoit :
« Les autorités fiscales ne prennent pas en compte les transactions effectuées par un contribuable déclaré inactif par décision du président de l’agence nationale de l’administration fiscale, à l’exception des livraisons de biens effectuées dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée ».
15 L’article 147 bis, paragraphe 2, de ce code prévoit :
« Si les conditions et les formalités concernant l’exercice du droit à déduction ne sont pas remplies au cours de la période fiscale sur laquelle porte la déclaration, ou si les documents justificatifs de la taxe prévus à l’article 146 n’ont pas été reçus, l’assujetti peut exercer son droit à déduction par la déclaration correspondant à la période fiscale pendant laquelle ces conditions et formalités sont remplies ou par une déclaration ultérieure, sans aller au-delà de cinq années consécutives à
compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle naît le droit à déduction ».
16 L’article 153, paragraphe 9, dudit code énonce :
« Les autorités fiscales compétentes peuvent annuler l’identification à la TVA d’une personne conformément au présent article si, en vertu des dispositions du présent titre, cette personne n’était pas tenue ou n’avait pas le droit de demander l’identification à la TVA, conformément au présent article. En outre, les autorités fiscales compétentes peuvent annuler d’office l’identification à la TVA d’une personne conformément au présent article, dans le cas des assujettis inscrits sur la liste des
contribuables déclarés inactifs conformément à l’article 11, ainsi que dans le cas des contribuables se trouvant temporairement en état d’inactivité, inscrit au registre du commerce, conformément à la loi. La procédure de radiation est établie par les règles de procédure en vigueur. Après l’annulation de l’identification à la TVA, [ces personnes] sont tenues de demander aux autorités fiscales compétentes l’identification à la TVA, si la situation ayant mené à la radiation prend fin, sans que les
dispositions relatives au plafond d’exonération pour les petites entreprises, prévu à l’article 152, soient applicables pour l’année calendaire en question. »
17 L’article 158 ter du même code prévoit :
« 1. À compter du 1er août 2010 est institué et organisé, au sein de l’agence nationale de l’administration fiscale, le registre des opérateurs intracommunautaires, qui recense tous les assujettis et les personnes morales non assujetties réalisant des opérations intracommunautaires, à savoir :
a) des livraisons intracommunautaires de biens effectuées en Roumanie conformément à l’article 132, paragraphe 1, point a), et exonérées de la taxe conformément à l’article 143, paragraphe 2, points a) et d) ;
b) des livraisons ultérieures de biens effectuées dans le cadre d’opérations triangulaires visées à l’article 132 bis, paragraphe 5, réalisées dans l’État membre d’arrivée des biens et déclarées comme étant des livraisons intracommunautaires assorties du code T en Roumanie ;
c) des prestations de services intracommunautaires – à savoir des services relevant des dispositions de l’article 133, paragraphe 2 – effectuées par des assujettis établis en Roumanie au profit d’assujettis non établis en Roumanie mais établis dans la Communauté, autres que les prestations qui sont exonérées de la TVA dans l’État membre dans lequel ceux-ci sont assujettis ;
d) des acquisitions intracommunautaires de biens taxés effectuées en Roumanie conformément aux dispositions de l’article 132 bis ;
e) des acquisitions intracommunautaires de services – à savoir des services relevant des dispositions de l’article 133, paragraphe 2 – effectuées au profit d’assujettis établis en Roumanie, y compris des personnes morales non assujetties identifiées à la TVA conformément à l’article 153 ou à l’article 153 bis, par des assujettis non établis en Roumanie mais établis dans la Communauté, et dont le bénéficiaire est redevable de la taxe conformément à l’article 150, paragraphe 2.
[...]
3. Les personnes identifiées à la TVA conformément à l’article 153 et à l’article 153 bis doivent demander leur inscription au registre des opérateurs intracommunautaires si elles entendent réaliser une ou plusieurs des opérations intracommunautaires visées au paragraphe 1, et ce, avant d’effectuer ces opérations.
[...]
10. L’organe fiscal compétent radie d’office du registre des opérateurs intracommunautaires :
a) les personnes assujetties et les personnes morales non assujetties figurant sur la liste des contribuables déclarés inactifs conformément à la loi ;
[...] »
18 L’article 78, paragraphe 5, de l’ordonanța Guvernului nr. 92/2003 privind Codul de procedură fiscală (ordonnance du gouvernement no 92/2003 portant code de procédure fiscale), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, énonce :
« Les contribuables personnes morales ou toutes autres entités sans personnalité morale sont déclarés inactifs et soumis aux dispositions de l’article 11, paragraphes 1 bis et 1 ter, de la loi no 571/2003 portant code des impôts, telle que modifiée et complétée ultérieurement, s’ils remplissent l’une des conditions suivantes :
a) ils ne remplissent, au cours d’un semestre civil, aucune des obligations déclaratives prévues par la loi ;
b) ils se soustraient au contrôle fiscal, en déclarant des informations d’identification du siège social qui ne permettent pas à l’autorité fiscale d’identifier celui-ci ;
c) les autorités fiscales ont constaté qu’ils n’exercent pas leur activité au siège social ou au domicile fiscal déclaré. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 Gamesa, société de droit roumain établie à Bucarest (Roumanie), a pour objet d’activité le montage, l’installation et la maintenance de parcs éoliens.
20 Aux fins de l’exercice de son activité économique, Gamesa a acquis différents biens et services auprès de fournisseurs établis et identifiés à la TVA en Roumanie et dans d’autres pays de l’Union européenne. Elle a exercé son droit à déduction de la TVA sur les acquisitions effectuées en déposant une déclaration de TVA.
21 Du 7 octobre 2010 au 24 mai 2011, Gamesa a été déclarée contribuable inactif au sens de l’article 11, paragraphe 1 bis, du code des impôts, au motif qu’elle n’avait rempli, au cours d’un semestre civil, aucune des obligations déclaratives prévues par la loi.
22 Du 26 novembre 2014 au 29 juillet 2015, la requérante a fait l’objet d’un contrôle fiscal visant à vérifier sa situation à l’égard de la TVA et de l’impôt sur les sociétés en ce qui concerne les opérations effectuées du 15 mai 2009 au 31 décembre 2013. Sur la base du rapport établi à l’issue de ce contrôle, Gamesa a reçu un avis d’imposition rejetant le droit à déduction de la TVA à hauteur de 3875717 lei roumains (RON) (environ 890000 euros) et mettant à sa charge des pénalités d’un montant de
2845308 RON (environ 654000 euros), au motif, notamment, qu’elle ne bénéficiait pas d’un droit à déduction pour les acquisitions effectuées au cours de la période de son inactivité.
23 La réclamation introduite par Gamesa contre le redressement fiscal a été rejetée par une décision du 15 décembre 2015 de l’agence nationale de l’administration fiscale – direction générale du traitement des réclamations.
24 Par requête enregistrée le 10 juin 2016, Gamesa a assigné l’agence nationale de l’administration fiscale – direction générale du traitement des réclamations et l’agence nationale de l’administration fiscale – direction générale pour la gestion des grands contribuables devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie). Elle demande, d’une part, l’annulation partielle de l’avis d’imposition en tant que, par celui-ci, l’administration fiscale lui a refusé le droit à déduction
de la TVA à hauteur de 3875717 RON (environ 890000 euros) pour la période comprise entre le 15 mai 2009 et le 31 décembre 2013 et mis à sa charge des pénalités d’un montant de 2845308 RON (environ 654000 euros), ainsi que, d’autre part, l’annulation de la décision du 15 décembre 2015 de l’agence nationale de l’administration fiscale – direction générale du traitement des réclamations dans son intégralité.
25 Dans sa requête, Gamesa reproche principalement à l’administration fiscale d’avoir méconnu le principe de proportionnalité et le principe de neutralité de la TVA, dans des circonstances où elle remplissait toutes les obligations nécessaires pour la réactivation de son numéro d’identification à la TVA. En défense, cette administration invoque la nécessité de collecter correctement la TVA et de prévenir l’évasion fiscale.
26 Dans ces conditions, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La directive [2006/112] (plus particulièrement ses articles 213, 214 et 273) s’oppose-t-elle, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, à une réglementation nationale ou à une pratique en matière fiscale selon laquelle un contribuable ne bénéficie pas du droit à déduction de la TVA exercé au moyen de plusieurs déclarations de TVA après la réactivation de son numéro d’identification à la TVA, au motif que la TVA en question correspond à des acquisitions effectuées
pendant la période au cours de laquelle son numéro d’identification à la TVA était inactif ?
2) La directive [2006/112] (plus particulièrement ses articles 213, 214 et 273) s’oppose-t-elle, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, à une réglementation nationale ou à une pratique en matière fiscale selon laquelle un contribuable ne bénéficie pas du droit à déduction de la TVA exercé au moyen de plusieurs déclarations de TVA après la réactivation de son numéro d’identification à la TVA, au motif que, même si la TVA en question est afférente à des factures émises
après la réactivation de son numéro d’identification à la TVA, elle concerne des acquisitions effectuées pendant la période au cours de laquelle le numéro d’identification à la TVA était inactif ? »
Sur les questions préjudicielles
27 Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si la directive 2006/112, notamment les articles 213, 214 et 273 de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à l’administration fiscale de refuser à un assujetti ayant effectué des acquisitions pendant la période au cours de laquelle son numéro d’identification à la TVA a été annulé en raison de
l’omission de présenter des déclarations fiscales le droit de déduire la TVA relative à ces acquisitions au moyen de déclarations de TVA effectuées – ou de factures émises – après la réactivation de son numéro d’identification.
28 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C‑101/16, EU:C:2017:775, point 35 et jurisprudence citée).
29 Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C‑101/16, EU:C:2017:775, point 36 et jurisprudence citée).
30 Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C‑101/16, EU:C:2017:775,
point 37 et jurisprudence citée).
31 Le droit à déduction de la TVA est néanmoins subordonné au respect d’exigences ou de conditions tant matérielles que de nature formelle.
32 S’agissant des exigences ou des conditions matérielles, il ressort de l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 que, pour pouvoir bénéficier du droit à déduction, il importe, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti » au sens de cette directive et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder ledit droit soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus
par un autre assujetti (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C‑101/16, EU:C:2017:775, point 39).
33 Quant aux modalités d’exercice du droit à déduction, qui s’assimilent à des exigences ou à des conditions de nature formelle, l’article 178, sous a), de la directive 2006/112 prévoit que l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238 à 240 de celle-ci (arrêt du 19 octobre 2017, Paper Consult, C‑101/16, EU:C:2017:775, point 40).
34 Selon une jurisprudence constante, le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les exigences de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis (arrêts du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 45 ; du 19 octobre 2017, Paper Consult, C‑101/16, EU:C:2017:775, point 41, et du 26 avril 2018, Zabrus Siret, C‑81/17, EU:C:2018:283, point 44).
35 En particulier, l’identification à la TVA, prévue à l’article 214 de la directive 2006/112, ainsi que l’obligation pour l’assujetti de déclarer le commencement, le changement et la cessation de ses activités prévue à l’article 213 de cette directive, ne constituent que des exigences formelles à des fins de contrôle, lesquelles ne peuvent pas mettre en cause, notamment, le droit à déduction de la TVA, dans la mesure où les conditions matérielles qui font naître ce droit sont remplies (arrêts du
9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, point 60, ainsi que du 7 mars 2018, Dobre, C‑159/17, EU:C:2018:161, point 32).
36 Partant, un assujetti à la TVA ne saurait être empêché d’exercer son droit à déduction au motif qu’il ne se serait pas identifié à la TVA avant d’utiliser les biens acquis dans le cadre de son activité taxée (arrêts du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie, C‑385/09, EU:C:2010:627, point 51, ainsi que du 7 mars 2018, Dobre, C‑159/17, EU:C:2018:161, point 33).
37 En outre, la Cour a jugé que le fait de sanctionner le non-respect par l’assujetti des obligations de comptabilité et de déclaration par un refus du droit à déduction va clairement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’assurer l’application correcte de ces obligations, dès lors que le droit de l’Union n’empêche pas les États membres d’infliger, le cas échéant, une amende ou une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité de l’infraction (arrêts du 9 juillet 2015, Salomie
et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, point 63, ainsi que du 7 mars 2018, Dobre, C‑159/17, EU:C:2018:161, point 34).
38 Il pourrait en aller autrement si la violation de telles exigences formelles avait pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites (arrêts du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 46 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 mars 2018, Dobre, C‑159/17, EU:C:2018:161, point 35).
39 De même, le droit à déduction peut être refusé s’il était établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (arrêts du 19 octobre 2017, Paper Consult, C‑101/16, EU:C:2017:775, point 43, et du 7 mars 2018, Dobre, C‑159/17, EU:C:2018:161, point 36).
40 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, du 7 octobre 2010 au 24 mai 2011, Gamesa a été déclarée contribuable inactif, au motif qu’elle n’avait rempli, au cours d’un semestre civil, aucune des obligations déclaratives prévues par la loi. Cependant, elle a été réactivée et identifiée de nouveau à la TVA à compter du 25 mai 2011. À la suite de cette réactivation, elle a exercé son droit à déduction au moyen de déclarations de TVA effectuées ou de factures établies postérieurement à
cette réactivation.
41 Il y a lieu de faire observer que la date à laquelle la déclaration de TVA est effectuée ou la facture établie n’a pas nécessairement d’incidence sur les exigences de fond ouvrant le droit à déduction.
42 Il résulte de ces éléments que, pour autant que les exigences de fond ouvrant droit à déduction de la TVA acquittée en amont soient satisfaites et que ce droit à déduction ne soit pas invoqué frauduleusement ou abusivement, une société placée dans une situation telle que celle de Gamesa serait en droit de faire valoir son droit à déduction au moyen de déclarations de TVA effectuées ou de factures émises postérieures à sa réactivation.
43 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier notamment si l’administration fiscale disposait des données nécessaires pour établir que les exigences de fond ouvrant droit à déduction de la TVA acquittée en amont par Gamesa étaient satisfaites, indépendamment de la date de la déclaration de TVA ou de la facture.
44 Eu égard à ces considérations, la directive 2006/112, notamment les articles 213, 214 et 273 de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à l’administration fiscale de refuser à un assujetti ayant effectué des acquisitions pendant la période au cours de laquelle son numéro d’identification à la TVA a été annulé en raison d’une omission de présenter des déclarations fiscales le droit de déduire la
TVA relative à ces acquisitions au moyen de déclarations de TVA effectuées – ou de factures émises – après la réactivation de son numéro d’identification au seul motif que ces acquisitions ont eu lieu pendant la période de désactivation, alors que les exigences de fond sont réunies et que le droit à déduction n’est pas invoqué frauduleusement ou abusivement.
Sur les dépens
45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, notamment les articles 213, 214 et 273 de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à l’administration fiscale de refuser à un assujetti ayant effectué des acquisitions pendant la période au cours de
laquelle son numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée a été annulé en raison d’une omission de présenter des déclarations fiscales le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée relative à ces acquisitions au moyen de déclarations de taxe sur la valeur ajoutée effectuées – ou de factures émises – après la réactivation de son numéro d’identification au seul motif que ces acquisitions ont eu lieu pendant la période de désactivation, alors que les exigences de fond sont réunies et
que le droit à déduction n’est pas invoqué frauduleusement ou abusivement.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.