CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 5 juillet 2018 ( 1 )
Affaire C‑298/17
France Télévisions SA
contre
Playmédia,
Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)
en présence de
Ministre de la Culture et de la Communication
[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]
« Renvoi préjudiciel – Directive 2002/22/CE – Réseaux et services de communications électroniques – Service universel et droits des utilisateurs – Notion d’entreprise exploitant un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique d’émissions de radio ou de télévision – Entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet – Obligation de diffusion (must carry) »
Introduction
1. Afin de promouvoir la diversité culturelle et un accès universel du public aux principales chaînes de radio et de télévision, les États membres sont en droit d’imposer aux fournisseurs des réseaux de communications électroniques une obligation de diffusion (must carry) de certaines de ces chaînes. Cependant, à l’heure actuelle, Internet permet de diffuser et d’accéder librement à des sources d’information de plus en plus nombreuses, y compris la radio et la télévision, sans les contraintes
techniques liées aux modes de transmission devenus en peu de temps « classiques », comme la radiodiffusion terrestre, le câble ou le satellite. Cette évolution technologique a fortement bouleversé le paysage audiovisuel, transformant l’obligation de diffuser en privilège et les assujettis à cette obligation en bénéficiaires potentiels ( 2 ). Se pose donc la question de savoir si, et éventuellement sous quelles conditions, les règles conçues pour ces modes de transmission classiques sont
applicables dans le nouvel environnement qu’est Internet.
2. La présente affaire est une illustration parfaite de ce phénomène et donne à la Cour l’occasion de clarifier la position du droit de l’Union à cet égard.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. Selon l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 3 ) :
« 1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.
2. Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :
a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;
b) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;
c) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ;
d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »
4. L’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ( 4 ), dispose :
« 1. La présente directive crée un cadre harmonisé pour la réglementation des services de communications électroniques, des réseaux de communications électroniques et des ressources et services associés, et de certains aspects des équipements terminaux pour faciliter l’accès des utilisateurs handicapés. Elle fixe les tâches incombant aux autorités réglementaires nationales et établit une série de procédures visant à garantir l’application harmonisée du cadre réglementaire dans l’ensemble de la
Communauté.
[...]
3. La présente directive, ainsi que les directives particulières, ne portent pas atteinte aux mesures prises au niveau communautaire ou national, dans le respect du droit communautaire, pour poursuivre des objectifs d’intérêt général, notamment en ce qui concerne la réglementation en matière de contenus et la politique audiovisuelle. »
5. En vertu de l’article 2, sous a), c), l) et m), de cette directive :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “réseau de communications électroniques” : les systèmes de transmission et, le cas échéant, les équipements de commutation ou de routage et les autres ressources, y compris les éléments de réseau qui ne sont pas actifs, qui permettent l’acheminement de signaux par câble, par voie hertzienne, par moyen optique ou par d’autres moyens électromagnétiques, comprenant les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres fixes (avec commutation de circuits ou de paquets, y compris l’internet) et
mobiles, les systèmes utilisant le réseau électrique, pour autant qu’ils servent à la transmission de signaux, les réseaux utilisés pour la radiodiffusion sonore et télévisuelle et les réseaux câblés de télévision, quel que soit le type d’information transmise ;
[...]
c) “service de communications électroniques” : le service fourni normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques, y compris les services de télécommunications et les services de transmission sur les réseaux utilisés pour la radiodiffusion, mais qui exclut les services consistant à fournir des contenus à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques ou à exercer une
responsabilité éditoriale sur ces contenus; il ne comprend pas les services de la société de l’information tels que définis à l’article 1er de la directive 98/34/CE [ ( 5 )] qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électronique ;
[...]
l) “directives particulières” : [...] la directive 2002/22/CE ( 6 ) (directive “service universel”) [...] ;
m) “fourniture d’un réseau de communications électroniques” : la mise en place, l’exploitation, la surveillance ou la mise à disposition d’un tel réseau ;
[...] »
6. Conformément à l’article 2, premier alinéa, de la directive 2002/22 :
« Aux fins de la présente directive, les définitions figurant à l’article 2 de la directive [2002/21] sont applicables. »
7. L’article 31, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive dispose :
« Les États membres peuvent imposer des obligations raisonnables de diffuser (“must carry”) pour la transmission de chaînes de radio et de télévision spécifiées et de services complémentaires, notamment les services d’accessibilité destinés à assurer un accès approprié pour les utilisateurs finals handicapés, aux entreprises relevant de leur ressort qui fournissent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique de chaînes de radio et de télévision, lorsqu’un
nombre significatif d’utilisateurs finals utilisent ces réseaux comme leur moyen principal pour recevoir des chaînes de radio et de télévision. Ces obligations ne sont imposées que lorsqu’elles sont nécessaires pour atteindre des objectifs d’intérêt général clairement définis par chaque État membre, et sont proportionnées et transparentes. »
Le droit français
8. L’article 2-1 de la loi no 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication ( 7 ), dispose :
« Pour l’application de la présente loi, les mots : distributeur de services désignent toute personne qui établit avec des éditeurs de services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du public par un réseau de communications électroniques au sens du 2° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques. Est également regardée comme distributeur de services toute personne qui constitue
une telle offre en établissant des relations contractuelles avec d’autres distributeurs. »
9. Aux termes de l’article 34-2, I, de la loi relative à la liberté de communication :
« Sur le territoire métropolitain, tout distributeur de services sur un réseau n’utilisant pas de fréquences terrestres assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel met gratuitement à disposition de ses abonnés les services des sociétés mentionnées au I de l’article 44 et la chaîne Arte, diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique ainsi que la chaîne TV 5, et le service de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique ayant pour objet de concourir à la
connaissance de l’outre-mer, spécifiquement destiné au public métropolitain, édité par la société mentionnée au I de l’article 44, sauf si ces éditeurs estiment que l’offre de services est manifestement incompatible avec le respect de leurs missions de service public. Lorsqu’il propose une offre de services en mode numérique, il met également gratuitement à disposition des abonnés à cette offre les services de ces sociétés qui sont diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique.
[...] »
Le litige au principal, la procédure et les questions préjudicielles
10. La société France Télévisions est l’organisme public de radiodiffusion dont les chaînes de télévision bénéficient de l’obligation de diffuser, prévue à l’article 34-2 de la loi relative à la liberté de communication. Outre la diffusion classique par voie terrestre, France Télévisions propose également la diffusion de ses chaînes de télévision en flux continu sur son site Internet.
11. La société Playmédia exploite un site Internet sur lequel elle propose, entre autres, la diffusion en flux continu et en temps réel de plusieurs chaînes de télévision, y compris des chaînes appartenant à France Télévisions. L’accès à ce site n’est pas payant, Playmédia finançant son activité par la publicité.
12. Les demandes de Playmédia visant à la conclusion d’un contrat de distribution avec France Télévisions n’ayant pas abouti, celle-ci a assigné France Télévisions en justice en vue de la conclusion d’un tel contrat, en invoquant l’obligation pesant sur France Télévisions, en vertu de l’obligation de diffusion prévue à l’article 34-2 de la loi relative à la liberté de communication, de permettre la diffusion de ses chaînes par Playmédia. France Télévisions a formé des demandes reconventionnelles
contre Playmédia fondées sur la violation de ses droits de propriété intellectuelle.
13. Ayant succombé, tant en première instance qu’en appel, sur ses propres demandes ainsi que sur celles de France Télévisions, Playmédia a formé un pourvoi en cassation. Par jugement du 5 juillet 2017, la Cour de cassation (France) a décidé de surseoir à statuer sur ce pourvoi dans l’attente de la décision de la Cour dans la présente affaire.
14. Parallèlement aux procédures judiciaires évoquées ci-dessus, Playmédia a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) (France) afin d’obtenir le règlement du différend avec France Télévisions. Après une modification mineure du fonctionnement du site Internet de Playmédia, jugée nécessaire par le CSA, celui-ci a, par décision du 27 mai 2015, mis France Télévisions en demeure de ne pas s’opposer à la reprise de ses services sur ledit site Internet. France Télévisions a saisi le Conseil d’État
(France) d’un recours en annulation contre cette décision.
15. C’est dans ces circonstances que le Conseil d’État (France) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet doit-elle, de ce seul fait, être regardée comme une entreprise qui exploite un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique d’émissions de radio ou de télévision au sens du paragraphe 1 de l’article 31 de la directive [2002/22] ?
2) En cas de réponse négative à la première question, un État membre peut-il, sans méconnaître la directive [2002/22] ou d’autres règles du droit de l’Union européenne, prévoir une obligation de diffusion de services de radio ou de télévision pesant à la fois sur des entreprises exploitant des réseaux de communications électroniques et sur des entreprises qui, sans exploiter de tels réseaux, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet ?
3) En cas de réponse positive à la deuxième question, les États membres peuvent-ils s’abstenir de subordonner l’obligation de diffusion, en ce qui concerne les distributeurs de services qui n’exploitent pas des réseaux de communications électroniques, à l’ensemble des conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive [2002/22], alors que ces conditions s’imposeront en vertu de la directive en ce qui concerne les exploitants de réseaux ?
4) Un État membre qui a institué une obligation de diffusion de certains services de radio ou de télévision sur certains réseaux peut-il, sans méconnaître la directive [2002/22], prévoir l’obligation pour ces services d’accepter d’être diffusés sur ces réseaux, y compris, s’agissant d’une diffusion sur un site Internet, lorsque le service en cause diffuse lui-même ses propres programmes sur Internet ?
5) La condition selon laquelle un nombre significatif d’utilisateurs finals des réseaux soumis à l’obligation de diffusion doivent les utiliser comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision prévue au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive [2002/22] doit-elle, s’agissant d’une diffusion par Internet, s’apprécier au regard de l’ensemble des utilisateurs qui visionnent des programmes de télévision en flux continu et en direct sur le réseau Internet ou des
seuls utilisateurs du site soumis à l’obligation de diffusion ? »
16. La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 23 mai 2017. Des observations écrites ont été présentées par France Télévisions, Playmédia, les gouvernements français, lituanien et polonais, ainsi que par la Commission européenne. France Télévisions, Playmédia, le gouvernement français, ainsi que la Commission ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 30 mai 2018.
Analyse
Sur la première question préjudicielle
17. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour si une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet doit être regardée comme une entreprise qui fournit un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique de chaînes de radio et de télévision au sens de l’article 31, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2002/22.
18. À l’instar de tous les intéressés ayant présenté des observations dans la présente affaire et à l’exception de Playmédia, je pense que la réponse à cette question doit être négative.
19. Les directives formant le cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, dont fait partie la directive 2002/22, reposent sur une distinction très nette entre la fourniture de l’infrastructure de ces réseaux, d’une part, et la fourniture du contenu diffusé sur ces réseaux ou d’autres services fournis au moyen de ces réseaux, d’autre part. Cette distinction ressort clairement de plusieurs dispositions des directives en cause.
20. Ainsi, le considérant 5 de la directive 2002/21 énonce qu’ « il est nécessaire de séparer la réglementation de la transmission de celle des contenus ». Le cadre réglementaire commun des réseaux de communications électroniques « ne s’applique donc pas aux contenus des services fournis sur les réseaux de communications électroniques à l’aide de services de communications électroniques ». Cette distinction se reflète ensuite à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2002/21, qui prévoit que
celle-ci, ainsi que les directives particulières, ne portent pas atteinte aux mesures prises dans la poursuite de l’intérêt général, notamment en ce qui concerne la réglementation des contenus et la politique audiovisuelle. Enfin, la définition des services de communications électroniques couverts par le cadre réglementaire commun, contenue à l’article 2, sous c), de la directive 2002/21, exclut expressément les « services consistant à fournir des contenus à l’aide de réseaux et de services de
communications électroniques ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ces contenus ». Parmi les services de la société de l’information ( 8 ), cette définition ne comprend pas ceux « qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques ».
21. Cette exclusion des services consistant à fournir des contenus se retrouve, en ce qui concerne l’obligation de diffusion, dans la directive 2002/22. Ainsi, le considérant 45 de cette directive énonce expressément que « les services fournissant un contenu, tels qu’une offre de vente de contenus de radiodiffusion sonore ou de télévision, ne sont pas couverts par le cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques. Les fournisseurs de ces services ne devraient
pas être soumis aux obligations de service universel pour ces activités ».
22. C’est dans ce contexte que doit donc être interprété l’article 31 de la directive 2002/22, qui établit la possibilité de prévoir des obligations de diffusion. Cette disposition permet d’imposer de telles obligations aux « entreprises […] qui fournissent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique des chaînes de radio et de télévision ». Or, la fourniture d’un réseau de communications électroniques est définie à l’article 2, sous m), de la directive 2002/21
comme « la mise en place, l’exploitation, la surveillance ou la mise à disposition d’un tel réseau ».
23. Il est clair qu’une entreprise qui propose sur Internet le visionnage de programmes de télévision ne fournit pas un réseau de communications électroniques, mais un contenu acheminé vers ses utilisateurs à l’aide d’un tel réseau (en l’occurrence Internet). Par conséquent, une telle entreprise est non pas un fournisseur mais un utilisateur d’un tel réseau. Son service constitue manifestement un service de la société de l’information, mais ne consiste ni entièrement ni principalement en la
transmission de signaux, car celle-ci est assurée par les fournisseurs d’accès à Internet. Confondre ces deux activités irait à l’encontre de la neutralité de ces fournisseurs d’accès à l’égard des contenus transmis exigée à l’article 12 de la directive 2000/31 ( 9 ).
24. C’est donc à tort que Playmédia affirme exploiter un réseau de communications électroniques au sens de l’article 2, sous m), de la directive 2002/21 et relever, de ce fait, de l’obligation de diffusion prévue à l’article 31 de la directive 2002/22. L’exploitation visée par cette disposition consiste à assurer, contre rémunération, le fonctionnement du réseau, ce qui présuppose un certain degré de contrôle sur son fonctionnement. Un utilisateur dont le rôle se limite à proposer un certain contenu
accessible grâce au réseau en question n’exerce pas un tel contrôle et ne saurait donc être considéré comme son exploitant. Contrairement à ce qu’affirme Playmédia dans ses observations, il ne suffit pas d’utiliser un réseau pour les besoins de son activité économique pour pouvoir prétendre l’exploiter ou le fournir. De même, l’activité de Playmédia ne consiste pas à transmettre des signaux sur un réseau (Internet), mais à en produire. Ce sont les fournisseurs du réseau et d’accès à ce réseau
qui transmettent ces signaux, en fournissant ainsi un service de communications électroniques au sens de l’article 2, sous c), de la directive 2002/21, tant à Playmédia qu’à ses abonnés.
25. Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 31, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2002/22 doit être interprété en ce sens qu’une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet ne doit pas être considérée comme une entreprise qui fournit un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique de chaînes de radio et de télévision au sens de cette disposition.
Sur les deuxième et quatrième questions préjudicielles
Remarques liminaires
26. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si la directive 2002/22 ou toute autre disposition du droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre impose une obligation de diffusion similaire à celle prévue à l’article 31 de cette directive aux entreprises qui, sans relever du champ d’application de cette disposition, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet.
27. En effet, il est constant que le champ d’application de l’obligation de diffusion, telle que prévue à l’article 34-2 de la loi relative à la liberté de communication, est plus large que celui de l’article 31 de la directive 2002/22 et concerne non seulement les fournisseurs de réseau, mais également des entreprises qui proposent l’accès à des chaînes de télévision sur ces réseaux. Cependant, contrairement aux craintes du gouvernement français exprimées notamment lors de l’audience, je comprends
cette question non pas en ce qu’elle vise à apprécier la légalité de cette obligation à l’égard du droit de l’Union en général, mais uniquement dans la mesure où elle serait appliquée à des entreprises qui proposent le visionnage de programmes de télévision sur Internet, et ce dans une situation où ces mêmes programmes sont déjà diffusés sur Internet en accès libre par les organismes de télévision concernés.
28. Une telle obligation de diffusion a nécessairement pour corollaire de mettre à la charge des organismes de télévision concernés l’obligation de permettre la diffusion de leurs programmes par les entreprises soumises à l’obligation de diffusion. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à l’heure actuelle, notamment sur Internet, cette obligation qui pèse sur les organismes de télévision (must offer) joue souvent un rôle bien plus important que l’obligation de diffusion (must carry) elle-même. En
effet, dans le cas d’Internet, la raison principale de l’introduction de l’obligation de diffusion, qui résidait à l’origine dans la capacité limitée de transmission des réseaux, fait défaut. Au contraire, dans l’environnement compétitif qu’est Internet, les entreprises sont à la recherche de contenus attractifs, susceptibles de générer du trafic sur leurs sites et d’augmenter ainsi leurs revenus publicitaires. Il leur est donc très favorable d’être soumises à l’obligation de diffusion, ou
plutôt, comme l’a d’ailleurs exprimé Playmédia dans ses observations, d’en bénéficier, de même qu’elles bénéficient de l’obligation de must offer qui pèsent sur les organismes de télévision.
29. Pour cette raison, je pense qu’il serait pertinent d’analyser la deuxième question préjudicielle conjointement avec la quatrième, afin d’examiner tant la compatibilité de l’obligation de must carry que celle de must offer. Ainsi, la question serait de savoir si la directive 2002/22 ou toute autre disposition du droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre impose une obligation de diffusion à des entreprises qui ne relèvent pas de l’article 31 de cette directive et qui proposent le visionnage
de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet, cette obligation étant accompagnée de l’obligation réciproque pour les organismes de télévision concernés de ne pas s’opposer à cette diffusion.
30. Je dois d’emblée relever que la juridiction de renvoi ne spécifie pas les dispositions du droit de l’Union, hormis la directive 2002/22 elle-même, qui pourraient éventuellement s’opposer à une telle obligation. Si certains des intéressés ayant présenté des observations, notamment la Commission, ont brièvement abordé quelques problèmes juridiques potentiels, cette question n’a fait l’objet d’un débat approfondi ni dans le cadre de la procédure au principal, ni dans celui de la présente affaire.
Cependant, certains indices sur la compatibilité de l’obligation de diffusion peuvent d’ores et déjà être tirés de la jurisprudence de la Cour concernant la libre prestation de services. Par ailleurs, le problème des droits d’auteur fait, selon les informations fournies par les parties au principal, l’objet d’une procédure séparée au niveau national et la Cour a posé une question spécifique à cet égard pour réponse à l’audience. J’aborderai donc ces deux problématiques, car elles me semblent
effectivement soulever certaines difficultés.
La directive 2002/22
31. Comme je l’ai déjà mentionné dans le cadre de l’analyse de la première question préjudicielle, le cadre réglementaire commun des réseaux et services de communications électroniques opère une distinction nette entre la fourniture de l’infrastructure, d’une part, et celle des contenus, d’autre part. Seule la fourniture de l’infrastructure est régie par ce cadre réglementaire, les contenus restant entièrement en dehors de son champ. Les dispositions du cadre réglementaire commun ne font donc pas
obstacle aux dispositions concernant les contenus, qu’elles soient introduites au niveau de l’Union ou au niveau national. Cela ressort très clairement de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2002/21. Ce principe est également confirmé, en ce qui concerne plus spécifiquement les dispositions concernant l’obligation de diffusion, par le considérant 45, dernière phrase, de la directive 2002/22.
32. Il en résulte que les dispositions de la directive 2002/22 ne s’opposent pas à une obligation de diffusion en tant que telle qui pourrait être introduite par un État membre à l’égard des entreprises qui ne relèvent pas de l’article 31 de cette directive.
La libre prestation de services
33. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que toute obligation de diffusion de ce genre, qu’elle relève ou non du champ d’application de la directive 2002/22, constitue une restriction à la libre prestation des services consacrée à l’article 56 TFUE ( 10 ). Il est ainsi, nonobstant le fait que cette obligation soit imposée aux seules entreprises nationales, car elle détermine directement les conditions d’accès au marché des services d’un État membre ( 11 ). En effet, l’obligation de diffusion
concerne d’habitude les chaînes de télévision nationales, car ce sont elles qui réalisent les objectifs de politique culturelle sur lesquels cette obligation est fondée. Ainsi, les organismes de télévision étrangers se trouvent dans une position moins favorable car, sans être concernés par l’obligation en question, ils doivent négocier l’accès aux réseaux de diffusion aux conditions du marché.
34. Une telle restriction peut être justifiée, notamment, par des raisons impérieuses d’intérêt général tenant à la politique culturelle ( 12 ). Cependant, pour que l’obligation de diffusion soit justifiée, elle doit remplir certaines exigences, à savoir poursuivre un but d’intérêt général, tel que le maintien, au titre de la politique culturelle de ce même État membre, du caractère pluraliste de l’offre des programmes de télévision sur son territoire et ne pas être disproportionnée par rapport à
cet objectif, ce qui implique que ses modalités d’application doivent relever d’une procédure transparente fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance ( 13 ).
35. La vérification de ces conditions incombe aux juridictions nationales. Cependant, dans les circonstances telles que celles au principal, où l’organisme de télévision concerné diffuse lui-même ses programmes en libre accès sur Internet, tandis que l’entreprise soumise, le cas échéant, à l’obligation de diffusion effectue cette diffusion par le biais d’un lien Internet vers le site de l’organisme de télévision en question, on pourrait légitimement se demander s’il existe encore un intérêt général
en ce qui concerne cette obligation de diffusion. Est-ce que, par exemple, l’obligation imposée à l’organisme de télévision concerné, qui est une entreprise publique, de diffuser ses programmes en libre accès sur Internet, comme il le fait de toute manière, ne serait pas suffisante ?
36. Telle que prévue à l’origine, l’obligation de diffusion concernait la retransmission de programmes de télévision diffusés par un moyen technique donné (en principe, par voie terrestre) à l’aide d’un moyen technique différent (le câble ou le satellite). Elle était justifiée par le fait que les spectateurs utilisant le câble ou le satellite pouvaient ne pas avoir les équipements techniques permettant de recevoir l’émission terrestre ou se trouver hors de la zone de couverture de cette émission. En
outre, les postes de télévision ne permettaient pas toujours d’utiliser plusieurs moyens de réception à la fois : l’utilisation du câble excluait une réception de l’émission terrestre. L’obligation de diffusion assurait donc aux spectateurs un accès à certaines chaînes de télévision, indépendamment du choix du moyen technique de réception.
37. Ces considérations ne sont plus d’actualité dans la situation où tant la diffusion d’origine que celle devant éventuellement être soumise à l’obligation de diffusion sont effectuées par le même moyen technique, à savoir Internet. Un spectateur ayant accès à Internet peut aussi bien accéder au site de Playmédia qu’à celui de France Télévisions. La rediffusion des programmes de France Télévisions par Playmédia n’est donc pas une condition d’accès à ces programmes pour les spectateurs qui reçoivent
la télévision par Internet.
38. Il est vrai que, comme le soutient le gouvernement français, il pourrait être plus commode pour l’internaute d’avoir accès aux programmes de plusieurs organismes de télévision sur un même site Internet plutôt que devoir naviguer entre les différents sites de ces organismes. Cependant, on peut légitimement se demander si un tel argument fondé sur la commodité est à même de justifier les contraintes qui pèsent tant sur les entreprises soumises à l’obligation de diffusion (liée par exemple à
l’exigence d’obtenir l’accord des titulaires des droits d’auteur) que sur les organismes de télévision concernés du fait de l’obligation de must offer. Cet aspect devrait être pris en compte par la juridiction de renvoi lors de l’appréciation de la proportionnalité d’une éventuelle imposition de l’obligation de diffusion aux entreprises qui proposent la transmission des programmes de télévision sur Internet.
39. Enfin, je rappelle l’avis exprimé par le gouvernement français dans ses observations, selon lequel l’obligation de diffusion prévue en droit français ne s’applique pas aux entreprises telles que Playmédia. Or, cet avis est contraire à celui du CSA, le régulateur français de l’audiovisuel. Par ailleurs, si la Cour n’est bien évidemment pas compétente pour interpréter le droit interne des États membres, je dois relever que l’article 34-2 de la loi relative à la liberté de communication semble
exiger la retransmission des programmes diffusés par voie terrestre, tandis que Playmédia se limite à proposer un lien vers la page Internet de France Télévisions.
40. Les règles qui encadrent l’imposition de telles obligations, qu’elles soient fondées sur l’article 31 de la directive 2002/22 ou qu’elles découlent de la jurisprudence de la Cour, ont certes pour vocation, en premier lieu, de protéger les entreprises assujetties à ces obligations contre des charges disproportionnées. Cependant, dans le contexte d’Internet tel que décrit ci-dessus au point 28, ces règles doivent également assurer la sécurité juridique des organismes de télévision concernés. Or,
selon la jurisprudence de la Cour déjà citée, l’obligation de diffusion doit être appliquée selon une procédure transparente, fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance. Elle ne saurait donc, à mon avis, être imposée, ou en d’autres termes, accordée, par un acte individuel à la demande d’une entreprise souhaitant avoir accès à un contenu attractif, sans qu’il soit certain que cette entreprise relève de la disposition du droit interne qui l’institue.
Le droit d’auteur
41. Les organismes de télévision bénéficient de certains droits voisins du droit d’auteur sur leurs émissions ( 14 ). Par ailleurs, ces émissions peuvent constituer ou contenir des œuvres protégées elles‑mêmes par les droits d’auteur ou d’autres droits voisins ( 15 ). Normalement, les organismes de télévision acquièrent l’accord des titulaires de ces droits pour utiliser ces œuvres dans le cadre de leur activité de radiodiffusion. Pour le reste, ces œuvres continuent de bénéficier de la protection
du droit d’auteur.
42. Il est vrai que, comme le soutient Playmédia, la problématique des droits d’auteur dans le contexte de l’obligation de diffusion se présente indépendamment du fait de savoir s’il s’agit d’une obligation pesant sur des fournisseurs de réseau « classiques » ou d’une obligation imposée aux entreprises effectuant une transmission des programmes de télévision sur Internet. Cependant, les changements évoqués au point 28 des présentes conclusions en ce qui concerne la relation entre l’obligation de
must carry, d’une part, et celle de must offer, d’autre part, ont également modifié la situation dans le domaine des droits d’auteur. En effet, quand l’obligation de diffusion jouait clairement en faveur des organismes de télévision concernés, en leur permettant une plus large diffusion, ces organismes de télévision, en tant que titulaires des droits d’auteur, étaient enclins à donner leur accord aux fournisseurs soumis à cette obligation. Les droits d’auteur, tout en restant respectés, ne
soulevaient pas de problème majeur dans le contexte de l’obligation de diffusion. La situation se présente autrement lorsque cette obligation apparaît plutôt comme un avantage pour les entreprises qui y sont soumises. Les organismes de télévision peuvent s’opposer à la reprise de leurs programmes par des fournisseurs de contenus qu’ils peuvent percevoir comme leurs concurrents, par exemple sur le marché de la publicité. Les droits d’auteur peuvent donc constituer un obstacle à la réalisation de
l’obligation de diffusion. Ce problème doit être pris en compte lors de l’imposition et de la mise en œuvre de cette obligation.
43. Il découle clairement de la jurisprudence de la Cour qu’une retransmission sur Internet, en direct et en flux continu, de programmes de télévision constitue une communication au public des œuvres contenues dans ces programmes au sens de l’article 3 de la directive 2001/29 ( 16 ). Il en va de même lorsqu’il s’agit de la retransmission de chaînes de télévision soumises à des obligations de service public ( 17 ). Une réglementation nationale privant de la protection par le droit d’auteur les œuvres
contenues dans les émissions de ces chaînes serait donc incompatible avec ladite disposition du droit de l’Union ( 18 ).
44. Il résulte de ce qui précède que la retransmission de programmes de télévision sur Internet, par une entreprise autre que l’organisme de télévision d’origine, constitue en principe une communication au public au sens de l’article 3 de la directive 2001/29. Une législation nationale ne saurait donc imposer aux entreprises effectuant une telle retransmission une obligation de diffusion, assortie d’une obligation pesant sur les organismes de télévision concernés de ne pas s’opposer à cette
diffusion, sans exiger de ces entreprises d’obtenir préalablement l’accord des titulaires des droits d’auteur.
45. Contrairement à ce que soutient Playmédia dans ses observations, l’obligation de diffusion ne prime pas sur les droits d’auteur et les droits voisins protégeant les émissions de télévision et les œuvres contenues dans ces émissions. Une telle primauté ne résulte d’aucune disposition du droit de l’Union en matière de droit d’auteur. Si les entreprises peuvent être soumises à l’obligation de diffusion, cela ne les libère pas d’autres obligations légales concernant l’activité de diffusion de
programmes de télévision, parmi lesquelles figure l’obligation d’obtenir l’accord des titulaires des droits d’auteur concernés.
46. Tel est a fortiori le cas dans une situation telle que celle au principal, où l’obligation de diffusion pèserait non pas sur les fournisseurs des réseaux relevant de l’article 31 de la directive 2002/22, mais sur des fournisseurs de contenu qui ne relèvent pas de cette disposition. En effet, contrairement aux fournisseurs de réseaux qui ne font que transmettre les signaux de manière neutre par rapport aux contenus transmis, les fournisseurs de contenus exploitent économiquement les œuvres
incluses dans ces contenus, ce qui relève directement de la sphère des droits exclusifs dont disposent les titulaires de droits d’auteur. Une obligation de diffusion ne saurait donc être imposée à de telles entreprises sans que soient respectés ces droits exclusifs.
47. Il est vrai que la position de la Cour évoquée au point 43 des présentes conclusions semble avoir été quelque peu atténuée par l’arrêt AKM ( 19 ). Dans cet arrêt, la Cour a en effet jugé qu’une transmission simultanée, complète et non modifiée d’émissions radiodiffusées de l’organisme national de radiodiffusion, à l’aide de câbles sur le territoire national, c’est-à-dire par un moyen technique différent de celui employé lors de la transmission radiodiffusée initiale, ne constitue pas une
communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, car le public auquel cette transmission est faite ne saurait être considéré comme un public nouveau ( 20 ). Cependant, il me semble que cette solution repose sur la condition, dont la vérification a été laissée aux soins du juge de renvoi, que les titulaires des droits d’auteur avaient bien pris en compte la retransmission en cause dans le cadre de l’autorisation qu’ils avaient donnée pour l’émission
initiale ( 21 ).
48. L’arrêt AKM n’est pas tout à fait clair à cet égard. Cependant, toute autre interprétation constituerait un net revirement de la règle découlant de l’arrêt ITV Broadcasting e.a. ( 22 ) selon laquelle, en présence d’un mode technique différent, la question de l’existence du public nouveau n’est pas pertinente. Or, rien dans l’arrêt AKM n’indique que la Cour ait voulu effectuer un tel revirement ( 23 ).
49. Dans le litige au principal, il ne semble pas que les titulaires des droits d’auteur aient pris en compte la retransmission des programmes de France Télévisions par Playmédia, car une procédure judiciaire à ce sujet est actuellement pendante devant la Cour de cassation. En tout état de cause, une telle prise en compte ne saurait être présumée pour les besoins d’une obligation de diffusion allant au-delà de celle prévue à l’article 31 de la directive 2002/22. Il en est ainsi surtout du fait que,
selon les observations dans la présente affaire, il n’est pas certain en droit interne français que les entreprises comme Playmédia soient couvertes par cette obligation. Selon le gouvernement français, elles ne le sont pas, ce qui va à l’encontre de la décision litigieuse au principal. Cette décision n’a d’ailleurs été rendue qu’à la demande de Playmédia, intéressée par la possibilité d’inclure les programmes de France Télévisions dans son offre. Or, il est très difficile pour les titulaires de
droits d’auteur de prévoir quelles entreprises actives sur Internet peuvent être intéressées par la retransmission d’émissions incluant leurs œuvres.
50. Le fait que France Télévisions effectue également une retransmission en direct de ses programmes sur son propre site Internet ne change rien à ce constat. En effet, la retransmission sur Internet effectuée par Playmédia étant indépendante de celle effectuée par France Télévisions, elle doit être considérée comme effectuée par un moyen technique différent et, par conséquent, être analysée de manière distincte du point de vue du droit d’auteur.
51. Ce constat n’est pas remis en cause par l’affirmation de Playmédia selon laquelle, depuis l’année 2014, elle effectue la retransmission de programmes de France Télévisions non pas en captant la diffusion terrestre de ces programmes, mais au moyen d’un lien menant vers les programmes de France Télévisions retransmis sur le site Internet de cette dernière. Or, il découlerait de la jurisprudence de la Cour que la création de tels liens ne constitue pas une communication au public, au sens de
l’article 3 de la directive 2001/29, et n’exige donc pas l’accord des titulaires des droits d’auteur.
52. Cependant, nous ne sommes pas interrogés sur ce point. Les questions préjudicielles dans la présente affaire concernent non pas l’activité de Playmédia prise isolément, mais l’éventuelle possibilité pour les États membres de prévoir une obligation de diffusion par des exploitants de sites Internet. Or, il ne me semble pas qu’une telle obligation puisse reposer sur des liens vers les programmes retransmis sur Internet, ne serait-ce qu’en raison du fait que tous les programmes concernés par une
telle obligation ne sont pas forcément retransmis, par les organismes de télévision d’origine, sur Internet de manière librement accessible. Par ailleurs, tout lien Internet est, par sa nature, tributaire de sa source. Il suffirait que l’organisme de télévision cesse de retransmettre ses programmes sur Internet ou en limite l’accès pour que l’entreprise soumise à l’obligation de diffusion se trouve dans l’impossibilité de remplir cette obligation. Une obligation de diffusion basée sur des liens
Internet ne serait donc pas juridiquement viable.
Réponse proposée
53. Je propose donc de répondre à la deuxième et à la quatrième question préjudicielle que la directive 2002/22 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose aux entreprises qui proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet une obligation de diffuser des programmes de télévision spécifiques. Cependant, une telle obligation doit poursuivre un but d’intérêt général tel que le maintien, au titre de la politique
culturelle de ce même État membre, du caractère pluraliste de l’offre des programmes de télévision sur son territoire et ne pas être disproportionnée par rapport à cet objectif, ce qui implique que ses modalités d’application doivent relever d’une procédure transparente, fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance. La vérification de ces conditions incombe aux juridictions nationales. Par ailleurs, ces entreprises doivent obtenir préalablement l’accord des
titulaires des droits d’auteur ou des droits voisins protégeant les objets contenus dans lesdits programmes.
Sur la troisième question préjudicielle
54. Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour si un État membre qui impose une obligation de diffuser en dehors du champ d’application de l’article 31 de la directive 2002/22 est lié par les conditions auxquelles doit répondre une telle obligation en vertu de cet article.
55. L’article 31 de la directive 2002/22 fait partie intégrante du cadre commun de la réglementation des réseaux et des services de communications électroniques. Son but est de protéger les entreprises fournissant ces réseaux ou ces services contre des obligations de diffusion disproportionnées entravant leur activité et leur rentabilité. Une éventuelle obligation de diffusion pesant sur des entreprises ne relevant pas de ce cadre commun n’est pas soumise à ce cadre réglementaire ( 24 ). Elle ne
saurait, par conséquent, être soumise aux conditions découlant de l’article 31 de la directive 2002/22.
56. Par ailleurs, eu égard au fait qu’une entreprise telle que Playmédia est non pas un fournisseur de réseau de communications électroniques mais un fournisseur de contenu, une éventuelle obligation de diffusion pesant sur une telle entreprise relèverait de la réglementation relative aux contenus et à la politique audiovisuelle. Dès lors, exiger que la réglementation nationale relative aux contenus respecte les conditions prévues à l’article 31 de la directive 2002/22 irait à l’encontre de
l’exclusion expresse de cette matière du cadre réglementaire commun, prévue à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2002/21 ( 25 ), même si le législateur national est libre d’appliquer ces conditions de son propre gré.
57. Je propose donc de répondre à la troisième question préjudicielle qu’un État membre qui impose une obligation de diffuser en dehors du champ d’application de l’article 31 de la directive 2002/22 n’est pas lié par les conditions auxquelles doit répondre une telle obligation en vertu de cet article.
Sur la cinquième question préjudicielle
58. La cinquième question préjudicielle concerne la condition selon laquelle un nombre significatif d’utilisateurs finals des réseaux soumis à l’obligation de diffusion doivent les utiliser comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de télévision. Une telle condition figure à l’article 31 de la directive 2002/22. Cette question n’est donc pertinente que dans le cas où il découlerait de la réponse à la première ou à la troisième question que les conditions d’imposition de l’obligation
de diffusion prévues audit article sont applicables dans une situation telle que celle au principal. Au vu des réponses que je propose de donner à ces deux questions, il n’y a pas lieu de répondre à la cinquième question.
Conclusion
59. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) de la manière suivante :
1) L’article 31, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, doit être interprété en ce sens qu’une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision
en flux continu et en direct sur Internet ne doit pas être considérée comme une entreprise qui fournit un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique des chaînes de radio et de télévision au sens de cette disposition.
2) La directive 2002/22, telle que modifiée par la directive 2009/136, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose aux entreprises qui proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur Internet une obligation de diffuser les programmes de télévision spécifiques. Cependant, une telle obligation doit poursuivre un but d’intérêt général, tel que le maintien, au titre de la politique culturelle de ce même État membre, du
caractère pluraliste de l’offre des programmes de télévision sur son territoire et ne pas être disproportionnée par rapport à cet objectif, ce qui implique que ses modalités d’application doivent relever d’une procédure transparente fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance. La vérification de ces conditions incombe aux juridictions nationales. Par ailleurs, ces entreprises doivent obtenir préalablement l’accord des titulaires des droits d’auteur ou des
droits voisins protégeant les objets contenus dans lesdits programmes.
3) Un État membre qui impose une obligation de diffuser en dehors du champ d’application de l’article 31 de la directive 2002/22 n’est pas lié par les conditions auxquelles doit répondre une telle obligation en vertu de cet article.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Ce bouleversement est observé de longue date. Voir Nikoltchev, S. (éd.), Avoir ou ne pas avoir les règles du must-carry, Observatoire européen de l’audiovisuel, Strasbourg, 2005.
( 3 ) JO 2001, L 167, p. 10.
( 4 ) JO 2002, L 108, p. 33, telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 37) (ci-après la « directive 2002/21 »).
( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 1998, L 204, p. 37), abrogée et remplacée par la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société
de l’information (JO 2015, L 241, p. 1).
( 6 ) Directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel ») (JO 2002, L 108, p. 51), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 11) (ci-après la « directive 2002/22 »).
( 7 ) Dans sa version applicable au litige au principal.
( 8 ) Au sens de la directive 2015/1535.
( 9 ) Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1).
( 10 ) Arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a. (C‑250/06, EU:C:2007:783, point 38).
( 11 ) Arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a. (C‑250/06, EU:C:2007:783, points 32 à 36).
( 12 ) Arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a. (C‑250/06, EU:C:2007:783, points 41 et 42).
( 13 ) Arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a. (C‑250/06, EU:C:2007:783, dispositif).
( 14 ) Article 3, paragraphe 2, sous d), de la directive 2001/29.
( 15 ) Notamment par le droit de communication au public prévu à l’article 3 de la directive 2001/29.
( 16 ) Arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147, point 1 du dispositif).
( 17 ) Arrêt du 1er mars 2017, ITV Broadcasting e.a. (C‑275/15, EU:C:2017:144, dispositif).
( 18 ) Arrêt du 1er mars 2017, ITV Broadcasting e.a. (C‑275/15, EU:C:2017:144, dispositif).
( 19 ) Arrêt du 16 mars 2017 (C‑138/16, EU:C:2017:218).
( 20 ) Arrêt du 16 mars 2017, AKM (C‑138/16, EU:C:2017:218, points 18, 26, 29 et 30).
( 21 ) Voir arrêt du 16 mars 2017, AKM (C‑138/16, EU:C:2017:218, points 28 et 29, ainsi que premier alinéa du dispositif).
( 22 ) Arrêt du 7 mars 2013 (C‑607/11, EU:C:2013:147).
( 23 ) Cette règle a d’ailleurs été confirmée après le prononcé de l’arrêt AKM (C‑138/16, EU:C:2017:218) : voir arrêt du 29 novembre 2017, VCAST (C‑265/16, EU:C:2017:913, points 48 à 50).
( 24 ) Points 17 à 25 des présentes conclusions.
( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, Kabel Deutschland Vertrieb und Service (C‑336/07, EU:C:2008:765, point 34).