ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
4 juillet 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Article 49 TFUE – Impôt sur les sociétés – Réglementation fiscale nationale soumettant le transfert des pertes subies par un établissement stable, situé sur le territoire national, d’une société établie dans un autre État membre, à destination d’une société résidente faisant partie du même groupe, à une condition tenant à l’impossibilité d’utiliser les pertes pour les besoins d’un impôt étranger »
Dans l’affaire C‑28/17,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), par décision du 1er novembre 2016, parvenue à la Cour le 19 janvier 2017, dans la procédure
NN A/S
contre
Skatteministeriet,
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.–C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et S. Rodin, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 novembre 2017,
considérant les observations présentées :
– pour NN A/S, par Me A. Ottosen, advokat,
– pour le gouvernement danois, par MM. J. Nymann-Lindegren et C. Thorning, en qualité d’agents, assistés de Me S. Riisgaard, advokat,
– pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. W. Roels et R. Lyal, en qualité d’agents, assistés de Me H. Peytz, advokat,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 février 2018,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant NN A/S, société de droit danois, au Skatteministeriet (ministère des impôts, Danemark) au sujet du refus de ce dernier d’autoriser cette société à déduire de son revenu imposable les pertes subies par la succursale danoise de sa filiale suédoise.
Le cadre juridique
Le droit international
3 L’article 7, paragraphe 1, de la convention des pays nordiques relative à la prévention de la double imposition en matière d’imposition du revenu et du patrimoine, conclue à Helsinki le 23 septembre 1996 (BKI nr. 92 du 25.6.1997, ci‑après la « convention nordique »), stipule :
« Les bénéfices d’une entreprise d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre État contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce son activité d’une telle façon, les bénéfices de l’entreprise sont imposables dans l’autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable. »
4 En vertu de l’article 25 de la convention nordique, les États contractants ont choisi de neutraliser la double imposition des établissements stables au moyen de la technique dite de l’« imputation ». À ce titre, l’État de résidence de l’entreprise accorde un dégrèvement d’un montant égal à l’impôt sur le revenu payé dans l’État de la source.
Le droit danois
5 En vertu de l’article 31, paragraphe 1, de la selskabsskattelov (loi relative à l’impôt sur les sociétés), les sociétés danoises faisant partie d’un groupe de sociétés sont obligatoirement soumises à une imposition commune. L’impôt commun est acquitté par la société mère ultime (ou société faîtière) si elle est contribuable au Danemark ou, dans le cas contraire, par une société résidente du groupe, dite « société de gestion ».
6 L’intégration fiscale nationale repose sur le principe de territorialité de l’impôt au Danemark. En vertu de ce principe, les résultats des filiales et des établissements stables du groupe établis hors du Danemark ne sont pas inclus dans le résultat du groupe imposé au Danemark, à moins que ce dernier n’ait opté pour le régime de l’intégration fiscale internationale, en application de l’article 31 A de la loi relative à l’impôt sur les sociétés. En revanche, le périmètre de l’intégration fiscale
du groupe inclut toutes les sociétés et les établissements stables du groupe établis au Danemark.
7 Ce périmètre inclut également les établissements stables, établis au Danemark, de sociétés du groupe ayant leur siège à l’étranger. Toutefois, dans ce cas, l’imputation de pertes constatées dans la succursale danoise d’une société qui a son siège dans un autre État membre sur le résultat fiscal commun du groupe obéit à des règles spéciales, précisées à l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, aux termes duquel :
« Une perte subie par un établissement stable ne peut être imputée sur le revenu d’autres sociétés que si les règles applicables dans le pays étranger [...] où la société est établie ne permettent pas de prendre cette perte en compte pour la détermination du revenu imposable de la société dans le pays étranger [...] ou si l’intégration fiscale a été choisie en vertu de l’article 31 A [...] ».
8 Il ressort de l’exposé des motifs de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, cité par la juridiction de renvoi, que le but de cette disposition est d’empêcher que des pertes fiscales soient imputées plus d’une fois dans des situations transfrontalières.
9 L’article 5 G de la ligningslov (loi relative à l’assiette des contributions) énonce :
« Les contribuables relevant du champ d’application de l’article 1er de la kildeskatteloven [(loi sur l’imposition à la source)], de l’article 1er de la loi relative à l’impôt sur les sociétés ou de l’article 1er de la fondsbeskatningsloven [(loi sur l’imposition des fonds d’investissement)] ne peuvent déduire les charges qui, suivant une loi fiscale étrangère, sont déductibles des revenus qui ne sont pas inclus dans la détermination du résultat fiscal danois. Il en va de même si, en application
de la loi fiscale étrangère, la déduction de la charge peut être transférée et venir en déduction des revenus de sociétés du groupe [voir article 3 B de la skattekontrolloven (loi sur les procédures fiscales)] pour autant que ces derniers ne soient pas inclus dans la détermination du résultat fiscal danois ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 NN est la société faîtière d’un groupe danois qui comprend notamment deux filiales suédoises, Sverige 1 AB et Sverige 2 AB, propriétaires chacune d’une succursale au Danemark, respectivement C et B. Ces deux succursales ont fusionné en une seule succursale A par le transfert de la succursale B à la société Sverige 1 AB.
11 En Suède, le groupe a opté pour que l’opération soit traitée fiscalement comme une restructuration d’activités, opération non imposable dans cet État membre, selon la juridiction de renvoi. Par suite, le transfert à la succursale A du fonds de commerce créé par la succursale B n’aurait pas ouvert droit à amortissement en Suède.
12 Au Danemark, en revanche, la fusion a été imposée comme une cession d’actifs à la valeur du marché, ce qui a permis à la succursale A de procéder à l’amortissement du coût d’acquisition du fonds de commerce créé par B et d’afficher en conséquence un résultat négatif au titre de l’exercice 2008.
13 Toutefois, l’administration danoise a refusé, au titre de cet exercice, que les pertes de la succursale A soient imputées sur le revenu global intégré du groupe, comme le demandait NN. Cette administration s’est fondée sur le fait que l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés s’y opposait, dès lors que ces pertes pouvaient être imputées sur le résultat imposable en Suède de la société suédoise propriétaire de la succursale.
14 Cette décision de refus, confirmée par la Landsskatteretten (commission fiscale nationale, Danemark), a fait l’objet d’un recours introduit par NN devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark).
15 Dans ces conditions, cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Quels éléments faut-il prendre en compte pour apprécier si, dans une situation telle que celle du litige au principal, les sociétés résidentes sont soumises, en matière d’imputation des pertes, à une “condition équivalente” à celle applicable aux succursales de sociétés non‑résidentes, au sens de l’arrêt du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532, point 20) ?
2) S’il devait être constaté que la loi fiscale danoise ne renferme pas de différence de traitement telle que celle dont il était question dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532), est-ce qu’une interdiction de procéder à une imputation telle que décrite ci‑dessus – dans une situation où les bénéfices d’un établissement stable d’une société non‑résidente sont soumis au pouvoir d’imposition de l’État d’accueil – constitue en
elle-même une restriction à la liberté d’établissement de l’article 49 TFUE demandant à être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général ?
3) Dans l’affirmative, une telle restriction peut-elle être justifiée par la considération de prévention de la double déduction d’une perte ou par l’objectif d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres ou encore par une combinaison de ces deux justifications ?
4) Dans l’affirmative, une telle restriction est-elle proportionnée ? »
Sur les questions préjudicielles
16 Par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale en matière d’imposition de groupe, en vertu de laquelle les sociétés résidentes d’un groupe ne sont autorisées à déduire de leur résultat intégré les pertes d’un établissement stable résident d’une filiale non‑résidente du groupe que dans le cas où les règles applicables dans l’État membre où cette filiale a son siège ne permettent pas
de déduire ces pertes du résultat imposable de cette dernière.
Observations liminaires
17 La liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union européenne, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement au sein de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence.
18 Pour que la législation d’un État membre constitue une entrave à la liberté d’établissement des sociétés, il faut qu’il en résulte une différence de traitement au détriment des sociétés qui exercent cette liberté, que la différence de traitement concerne des situations objectivement comparables et qu’elle ne soit pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ou pas proportionnée à cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2010, X Holding, C‑337/08, EU:C:2010:89, point 20).
Sur la différence de traitement
19 En vertu de l’article 31, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, les sociétés résidentes d’un même groupe sont soumises à une imposition commune. Selon les explications de la juridiction de renvoi, cette intégration fiscale nationale de groupe s’applique également, en principe, aux établissements stables danois de sociétés étrangères, membres du groupe.
20 Néanmoins, en application de l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, une perte subie par un établissement stable, situé au Danemark, d’une société non-résidente, membre du groupe, ne peut être imputée sur le revenu du groupe, imposable au Danemark, que dans le cas où cette perte ne peut être prise en compte pour le calcul du revenu imposable de la société non‑résidente en vertu de la législation de l’État où elle est établie. La même disposition
prévoit que cette condition n’est pas opposable dans l’hypothèse – qui ne fait pas l’objet des questions préjudicielles – où le groupe a opté pour le régime de l’intégration fiscale internationale.
21 La question de savoir si la règle énoncée à l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés instaure une différence de traitement défavorable à l’exercice de la liberté d’établissement fait l’objet d’appréciations divergentes de la part des parties au principal.
22 Selon le gouvernement danois, une telle question appelle une réponse négative, ainsi qu’il découle d’une lecture a contrario de l’arrêt du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532).
23 À cet égard, dans l’affaire ayant conduit à cet arrêt, la juridiction de renvoi s’interrogeait sur la compatibilité avec la liberté d’établissement de dispositions du droit britannique soumettant la possibilité de transférer, au moyen d’un dégrèvement de groupe et à destination d’une société résidente, des pertes subies par un établissement stable résident d’une société non‑résidente à une condition comparable à celle posée à l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à
l’impôt sur les sociétés.
24 Dans ledit arrêt, la Cour a jugé qu’une telle condition était contraire à la liberté d’établissement, dès lors que le transfert des pertes subies par une société résidente à une autre société résidente du même groupe n’était soumis à aucune condition équivalente.
25 Or, le gouvernement danois souligne que la législation danoise pose tout au contraire une condition équivalente pour les sociétés résidentes. En effet, l’article 5 G de la loi relative à l’assiette des contributions prévoit que les sociétés ne peuvent déduire les charges qui, en vertu de la réglementation fiscale d’un autre État, sont déjà déductibles des revenus imposables dans cet État. Cet article exclut ainsi l’imputation sur le résultat d’un groupe imposable au Danemark des pertes de la
filiale résidente d’une société non‑résidente du groupe lorsque l’imputation de ces pertes est possible en vertu du droit de l’État membre où est établie la société non‑résidente.
26 Par conséquent, le gouvernement danois considère que le droit national n’instaure pas, entre établissement stable et filiale, une différence de traitement de la même nature que celle que la Cour a jugé contraire à la liberté d’établissement dans l’arrêt du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK (C‑18/11, EU:C:2012:532).
27 La requérante au principal fait toutefois observer que l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés institue une différence de traitement d’une autre nature.
28 NN explique, en effet, que les pertes d’un établissement stable, situé au Danemark, d’une société également résidente du groupe sont déductibles sans restriction du résultat imposable du groupe au Danemark. Dans l’affaire au principal, NN souligne que, si l’établissement stable danois avait été détenu par une de ses filiales danoises, ses pertes auraient pu, en toute hypothèse, être imputées sur le résultat du groupe.
29 À cet égard, il y a lieu de constater que la législation fiscale en cause au principal institue effectivement une différence de traitement. En effet, le traitement fiscal d’un groupe danois qui détient un établissement stable au Danemark par l’intermédiaire d’une filiale non‑résidente est, en vertu de l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, moins favorable que celui d’un groupe dont toutes les sociétés ont leur siège au Danemark.
30 Cette différence de traitement est susceptible de rendre moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement par la création de filiales dans d’autres États membres. Elle n’est toutefois incompatible avec les dispositions du traité que si elle concerne des situations objectivement comparables.
Sur la comparabilité des situations
31 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause (arrêts du 25 février 2010, X Holding, C‑337/08, EU:C:2010:89, point 22 ; du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a., C‑39/13 à C‑41/13, EU:C:2014:1758, point 28 ; du 22 juin 2017, Bechtel, C‑20/16, EU:C:2017:488, point 53, ainsi que du 12 juin 2018, Bevola et
Jens W. Trock, C‑650/16, EU:C:2018:424, point 32).
32 En l’occurrence, il ressort tant des termes de l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés que des explications du gouvernement danois afférentes à cette disposition que l’objectif de celle-ci est la prévention de la double déduction des pertes.
33 La Cour a jugé, à l’égard des mesures prévues par un État membre afin de prévenir ou d’atténuer la double imposition des bénéfices d’une société résidente, que les sociétés qui détiennent un établissement stable situé dans un autre État membre ne se trouvent pas, en principe, dans une situation comparable à celle des sociétés possédant un établissement stable résident (arrêt du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock, C‑650/16, EU:C:2018:424, point 37).
34 Par analogie, il convient donc de considérer, à l’égard des mesures destinées à prévenir la double déduction des pertes, qu’un groupe dont la filiale non‑résidente détient un établissement résident ne se trouve pas non plus dans une situation comparable à celle d’un groupe dont la filiale et l’établissement de cette dernière sont également résidents.
35 Il importe néanmoins de réserver l’hypothèse où il n’existe plus aucune possibilité de déduire les pertes de la filiale non‑résidente attribuables à l’établissement stable résident dans l’État membre où la filiale est établie. En effet, dans cette hypothèse, le groupe dont la filiale est située dans un autre État membre ne se trouve pas dans une situation différente de celle du groupe purement national au regard de l’objectif de prévention de la double déduction de ses pertes. La capacité
contributive des deux groupes est alors affectée de la même manière par les pertes de leur établissement stable résident (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock, C‑650/16, EU:C:2018:424, point 38).
36 Certes, l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés supprime la différence de traitement « si les règles applicables dans le pays étranger […] où la société est établie ne permettent pas de prendre cette perte en compte » en admettant, dans ce cas, l’imputation des pertes de l’établissement stable résident de la filiale non‑résidente sur le revenu du groupe.
37 Il ne saurait toutefois être exclu qu’une telle déduction, même autorisée par la réglementation de l’État étranger, ne soit pas en pratique possible, notamment dans le cas où la filiale non‑résidente a cessé définitivement toute activité.
38 Ainsi, la différence de traitement mentionnée au point 29 du présent arrêt peut, au moins dans ce cas, concerner des situations objectivement comparables.
Sur la justification et la proportionnalité
39 La juridiction de renvoi demande si cette différence de traitement pourrait être justifiée par l’objectif d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres ou par celui de prévenir la double déduction des pertes.
40 À cet égard, il convient de relever que le premier motif ne constitue pas un élément de justification pertinent. En effet, si la perte attribuable à l’établissement stable pouvait être déduite à la fois du résultat imposable du groupe dans l’État membre où cet établissement est situé et du résultat, imposable dans l’autre État membre, de la filiale non‑résidente dudit groupe, cette possibilité de double déduction n’avantagerait aucun des deux États concernés au détriment de l’autre. Ainsi, la
répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre ces derniers n’en serait pas affectée. L’absence d’une règle telle que celle prévue à l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés entraînerait seulement une perte de recettes fiscales pour l’un des deux États.
41 La seconde justification, tirée de la prévention de la double déduction des pertes, est celle que le gouvernement danois met en exergue.
42 À cet égard, la Cour a déjà jugé que les États membres doivent pouvoir faire obstacle au risque d’une double prise en compte des pertes (arrêts du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C‑446/03, EU:C:2005:763, point 47, ainsi que du 15 mai 2008, Lidl Belgium, C‑414/06, EU:C:2008:278, point 35).
43 Il est vrai que, dans une situation où les revenus d’un établissement stable sont imposés par deux États membres, il paraît justifié que les charges de cet établissement puissent être déduites de ces revenus dans l’un et l’autre régime fiscal, conformément aux règles nationales.
44 Toutefois, l’existence d’une telle situation ne peut être simplement déduite de la circonstance que deux États membres exercent concurremment leur pouvoir d’imposition sur le résultat du même établissement stable, comme c’est le cas, dans le litige au principal, du Royaume de Danemark et du Royaume de Suède.
45 En effet, il ne saurait être fait abstraction des conventions fiscales entre États membres précisément destinées à prévenir la double imposition. À cet égard, ainsi qu’il ressort des observations écrites de la Commission européenne comme des réponses faites par le représentant de NN aux questions posées lors de l’audience, les relations entre le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède sont réglées par la convention nordique.
46 Or, en application de l’article 25 de cette dernière convention, si une personne résidant en Suède perçoit des revenus qui sont imposables dans un autre État contractant, le Royaume de Suède autorise la déduction de l’impôt sur le revenu d’un montant correspondant à l’impôt sur le revenu acquitté dans l’autre État.
47 Compte tenu de ce mécanisme, l’exercice parallèle des compétences fiscales du Royaume de Danemark et du Royaume de Suède n’oblige pas la société suédoise qui détient un établissement stable au Danemark à acquitter deux fois l’impôt sur ses revenus. Dans ces conditions, la faculté, réclamée par le groupe danois auquel appartient la société suédoise, de déduire les pertes d’un tel établissement à deux reprises, c’est-à-dire dans l’un et l’autre régime fiscal national, n’apparaît pas justifiée.
48 L’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés a précisément pour objet d’empêcher le groupe concerné de tirer parti d’une même perte à deux reprises. En l’absence d’une telle disposition, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, la situation transfrontalière conférerait un avantage injustifié par rapport à la situation nationale comparable, dans laquelle la double déduction n’est pas possible. La différence de traitement
instaurée par la législation nationale apparaît ainsi justifiée.
49 Encore faut-il que cette différence de traitement soit proportionnée à son objectif, ainsi qu’il a été rappelé au point 18 du présent arrêt.
50 Or, une règle telle que celle posée à l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés irait au-delà de ce qui est nécessaire en vue de prévenir la double déduction d’une perte dans le cas où elle aurait pour effet de priver un groupe de toute possibilité de déduire la perte d’une succursale résidente dans une configuration transfrontalière telle que celle en cause au principal.
51 Tel pourrait être le cas, selon la juridiction de renvoi, dans l’affaire au principal.
52 En effet, dès lors que la perte subie par l’établissement stable au Danemark de la filiale suédoise de NN est, en principe, déductible du résultat, imposable en Suède, de cette filiale, elle ne peut pas l’être du résultat du groupe imposable au Danemark, en vertu de la règle figurant à l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés.
53 Toutefois, dans l’affaire au principal, la perte résulte de la fusion de deux succursales danoises du groupe et du choix que ce dernier a fait – comme la loi suédoise l’y autorisait – que cette fusion soit traitée fiscalement en Suède comme une restructuration d’activités, à ce titre non imposable en Suède. Cela a pour conséquence que l’imputation de la perte sur le résultat de la filiale suédoise ne serait, en pratique, pas possible.
54 Dans un cas semblable, les dispositions nationales en cause au principal, qui ont pour conséquence, selon la juridiction de renvoi, de priver le groupe danois de toute possibilité effective de déduction de la perte de l’établissement stable résident de sa filiale non‑résidente, méconnaissent le principe de proportionnalité.
55 Ce principe serait, en revanche, respecté si l’imputation sur le résultat du groupe danois de la perte de l’établissement stable résident de sa filiale non‑résidente était admise, par dérogation à la règle de l’article 31, paragraphe 2, deuxième phrase, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés, dès lors que le groupe démontrerait que l’imputation sur le résultat de sa filiale de la perte est effectivement impossible dans l’autre État membre.
56 Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si tel est le cas dans le litige au principal, s’agissant de la succursale danoise de la filiale suédoise de NN.
57 Dès lors, il y a lieu de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les sociétés résidentes d’un groupe ne sont autorisées à déduire de leur résultat intégré les pertes d’un établissement stable résident d’une filiale non‑résidente de ce groupe que dans le cas où les règles applicables dans l’État membre où cette filiale a son
siège ne permettent pas de déduire ces pertes du résultat de cette dernière, lorsque l’application de cette législation est combinée à celle d’une convention préventive de la double imposition autorisant, dans ce dernier État membre, la déduction de l’impôt sur le revenu dû par la filiale d’un montant correspondant à l’impôt sur le revenu acquitté, dans l’État membre sur le territoire duquel cet établissement stable est situé, au titre de l’activité de celui-ci. Toutefois, l’article 49 TFUE doit
être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une telle législation si l’application de celle-ci a pour effet de priver ledit groupe de toute possibilité effective de déduction desdites pertes de son résultat intégré, alors qu’une imputation de ces mêmes pertes sur le résultat de ladite filiale est impossible dans l’État membre sur le territoire duquel celle-ci est établie, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les sociétés résidentes d’un groupe ne sont autorisées à déduire de leur résultat intégré les pertes d’un établissement stable résident d’une filiale non‑résidente de ce groupe que dans le cas où les règles applicables dans l’État membre où cette filiale a son siège ne permettent pas de déduire ces pertes du résultat de cette
dernière, lorsque l’application de cette législation est combinée à celle d’une convention préventive de la double imposition autorisant, dans ce dernier État membre, la déduction de l’impôt sur le revenu dû par la filiale d’un montant correspondant à l’impôt sur le revenu acquitté, dans l’État membre sur le territoire duquel cet établissement stable est situé, au titre de l’activité de celui-ci. Toutefois, l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une telle législation si
l’application de celle-ci a pour effet de priver ledit groupe de toute possibilité effective de déduction desdites pertes de son résultat intégré, alors qu’une imputation de ces mêmes pertes sur le résultat de ladite filiale est impossible dans l’État membre sur le territoire duquel celle-ci est établie, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le danois.