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27/06/2018 | CJUE | N°C-257/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, C et A contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie., 27/06/2018, C-257/17


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 27 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑257/17

C

et

A

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Exclusion du champ d’application de la directive 2003/86 – Dispositions du droit de l’Union rendues applicables de manière directe et inconditionnelle par le droit national –Compétence de l

a Cour – Droit au regroupement familial – Article 15, paragraphes 1 et 4 – Refus d’octroi de titre de séjour autonome à un ressortissant de pays ...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 27 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑257/17

C

et

A

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Exclusion du champ d’application de la directive 2003/86 – Dispositions du droit de l’Union rendues applicables de manière directe et inconditionnelle par le droit national –Compétence de la Cour – Droit au regroupement familial – Article 15, paragraphes 1 et 4 – Refus d’octroi de titre de séjour autonome à un ressortissant de pays tiers après cinq ans de résidence dans l’État membre – Réglementation nationale prévoyant une obligation de réussir un examen d’intégration
civique – Condition procédurale – Date d’introduction d’une demande de séjour autonome comme étant la date de prise d’effet d’un titre de séjour autonome »

I. Introduction

1. Dans le présent renvoi à titre préjudiciel, déféré par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), la Cour est, d’une part, appelée à se prononcer sur sa propre compétence à interpréter la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial ( 2 ), dans un contexte où les situations en cause dans l’affaire au principal sont expressément exclues du champ d’application de cet acte. Le droit national qui transpose cette directive a unilatéralement
entendu étendre le champ d’application de ladite directive afin de couvrir de telles situations.

2. D’autre part, la Cour est invitée à répondre à la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre exige, lorsque les ressortissants de pays tiers jouissant d’un droit de séjour au titre du regroupement familial souhaitent bénéficier d’un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant, qu’ils réussissent préalablement un nouvel examen d’intégration civique et, partant, à partir de quelle date ce titre autonome produit ses effets.

3. Si la Cour a déjà eu à se prononcer sur la mesure d’intégration de l’article 7 de la directive 2003/86 et à apprécier si l’examen d’intégration civique qui est exigé aux Pays-Bas est une « mesure d’intégration » admissible que l’État membre peut imposer en vertu de cette disposition à un ressortissant d’un pays tiers qui souhaite bénéficier du regroupement familial, en revanche, elle n’a jamais été interrogée sur le point de savoir s’il peut être exigé, en vertu de l’article 15, paragraphe 4, de
cette directive, du demandeur du titre de séjour autonome qu’il se soumette à un second examen d’intégration civique afin de bénéficier d’un droit de séjour qui soit indépendant de celui du regroupant.

II. Cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

4. Il ressort du considérant 2 de la directive 2003/86 que « [l]es mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des
libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

5. Aux termes du considérant 4 de la directive 2003/86, « [l]e regroupement familial est un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille. Il contribue à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres, ce qui permet par ailleurs de promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté énoncé dans le traité ».

6. Le considérant 6 de la directive 2003/86 dispose qu’« [a]fin d’assurer la protection de la famille ainsi que le maintien ou la création de la vie familiale, il importe de fixer, selon des critères communs, les conditions matérielles pour l’exercice du droit au regroupement familial ».

7. Aux termes du considérant 15 de la directive 2003/86, « [l]’intégration des membres de la famille devrait être promue. Dans ce but, ils devraient accéder à un statut indépendant de celui du regroupant, notamment en cas de rupture du mariage et du partenariat et avoir accès à l’éducation, à l’emploi et à la formation professionnelle au même titre que la personne avec laquelle ils sont regroupés, dans les conditions pertinentes ».

8. L’article 1er de la directive 2003/86 est libellé comme suit :

« Le but de la présente directive est de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres. »

9. L’article 2, sous d), de la directive 2003/86 énonce qu’aux fins de la présente directive, on entend par :

« d) “regroupement familial” : l’entrée et le séjour dans un État membre des membres de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement dans cet État membre afin de maintenir l’unité familiale, que les liens familiaux soient antérieurs ou postérieurs à l’entrée du regroupant ».

10. L’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86 dispose que « [l]a présente directive ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union ».

11. L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86, précise que « [l]es États membres peuvent exiger des ressortissants de pays tiers qu’ils se conforment aux mesures d’intégration, dans le respect du droit national ».

12. Selon l’article 15, paragraphes 1, 3 et 4, de la directive 2003/86 :

« 1.   Au plus tard après cinq ans de résidence et dans la mesure où les membres de la famille n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, le conjoint ou le partenaire non marié et l’enfant devenu majeur ont droit, au besoin sur demande, à un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant.

[…]

3.   En cas de veuvage, de divorce, de séparation ou de décès d’ascendants ou de descendants directs au premier degré, un titre de séjour autonome peut être délivré, au besoin sur demande, aux personnes entrées au titre du regroupement familial. Les États membres arrêtent des dispositions garantissant l’octroi d’un titre de séjour autonome en cas de situation particulièrement difficile.

4.   Les conditions applicables à l’octroi et à la durée du titre de séjour autonome sont définies par le droit national ».

B.   Le droit néerlandais

13. . Selon la juridiction de renvoi, l’autorisation de séjour limitée assortie de la restriction dénommée « motifs humanitaires permanents »reprend, en substance, le contenu de l’article 15 de la directive 2003/86 relatif aux conditions d’octroi d’un titre autonome.

14. L’article 26, paragraphe 1, de la Vreemdelingenwet 2000 (loi sur les étrangers, ci-après la « Vw 2000 »), du 23 novembre 2000, dispose que « [l]’autorisation de séjour, qui implique de plein droit le séjour régulier, est accordée à compter de la date à laquelle l’étranger a démontré avoir satisfait à toutes les conditions, et au plus tôt à compter de la date de réception de la demande ».

15. L’article 3.51, paragraphe 1, initio et sous a), et paragraphe 5, du Vreemdelingenbesluit 2000 (décret portant application de la loi de 2000 sur les étrangers, ci-après le « Vb 2000 »), dispose que « [l]’autorisation de séjour à durée limitée au sens de l’article 14 de la Vw 2000 peut être soumise à une restriction relative à des motifs humanitaires permanents à l’étranger qui :

a) réside depuis cinq ans aux Pays-Bas en qualité de titulaire d’une autorisation de séjour assortie de la restriction visée sous 1o […] :

1o. [un] séjour en qualité de membre de la famille d’une personne titulaire d’un droit de séjour permanent ;

[…]

5.   L’article 3.80a [du Vb 2000] s’applique aux étrangers visés au paragraphe 1, sous a), 1o […] ».

16. L’article 3.80a, paragraphes 1, 2 et 4, du Vb 2000 dispose :

« 1.   Une demande de modification d’une autorisation de séjour […] en une autorisation de séjour assortie d’une restriction relative à des motifs humanitaires permanents est rejetée, lorsque la demande a été déposée par un étranger au sens de l’article 3.51, paragraphe 1, initio et sous a), 1), qui n’a pas réussi l’examen visé à l’article 7, paragraphe 2, sous a), de la Wet inburgering [loi sur l’intégration civique (ci-après la « Wi »] ou n’a pas obtenu un diplôme, certificat ou un autre
document au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous c), de la même loi.

2.   Le premier paragraphe ne s’applique pas, si l’étranger :

[…]

e. a été exonéré de l’obligation d’intégration civique sur la base soit de l’article 6, paragraphe 1, sous a) ou sous b) de la Wi,[…].

[…]

4.   Notre ministre peut en outre ne pas appliquer le paragraphe 1 s’il considère que l’application de cette disposition conduit à des situations manifestes d’injustice grave ».

17. En vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous a) ou sous b), de la Wi :

« 1.   Notre ministre exonère la personne qui y est tenue de l’obligation d’intégration civique lorsque :

a. celle-ci a établi que, en raison d’un handicap psychique ou physique, ou d’une déficience mentale, elle n’est durablement pas en mesure de réussir l’examen d’intégration civique ;

b. il est amené à considérer, sur le fondement des efforts avérés fournis par le redevable de l’obligation d’intégration civique, que ce dernier ne peut raisonnablement pas satisfaire à l’obligation d’intégration civique […] ».

III. Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

A.   Les faits au principal

18. La première requérante au principal, C, (ci-après la « requérante C » ou « C »), est une ressortissante de pays tiers (Chine). Elle est titulaire depuis le 5 novembre 2008 d’un titre de séjour chez le conjointqui s’étend jusqu’au 5 novembre 2014. Le 2 février 2015, le rechtbank Den Haag (tribunal de la Haye, Pays-Bas) a prononcé le divorce entre C et son conjoint, de nationalité néerlandaise.

19. C a introduit une demande sur le fondement de l’article 3.51, paragraphe 1, initio et sous a), du Vb 2000, visant à modifier son titre de séjour chez le conjoint en un titre de séjour autonome, devant le Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie [secrétaire d’État à la Sécurité et la Justice, Pays‑Bas (ci-après le « secrétaire d’État »)]. Par une première décision du 2 février 2015, le secrétaire d’État a rejeté la demande de titre de séjour autonome. Il a également retiré le titre de séjour
chez le conjoint avec effet rétroactif au 10 février 2014, car à partir de cette dernière date, C n’était plus inscrite à la même adresse que son conjoint dans le Basisregistratie Personen (ci-après le « registre BRP ») ( 3 ). Pour le secrétaire d’État, le titre de séjour chez le conjoint devenait sans fondement juridique. Par une seconde décision du 24 juillet 2015, le secrétaire d’État a accordé à C la demande d’un titre de séjour autonome dans la mesure où C avait apporté la preuve
établissant qu’elle avait été exonérée de la condition de l’examen d’intégration civique sur le fondement de l’article 3.80a du Vb 2000. Le secrétaire d’État lui a accordé rétroactivement le titre de séjour autonome à partir de la date à laquelle C a rempli la condition relative à l’obligation d’intégration civique, c’est-à-dire le 16 février 2015. Par conséquent, le séjour régulier de C s’est trouvé interrompu pendant une période intermédiaire débutant le 10 février 2014 (date de fin de séjour
commun avec son époux selon le registre BRP) jusqu’au 16 février 2015 (date à partir de laquelle le titre de séjour autonome a été délivré). Par conséquent, l’intérêt de C dans l’affaire au principal réside dans l’interruption légale de sa période de séjour régulier.

20. La requérante C a introduit un recours contre la décision de retrait de son titre de séjour chez le conjoint avec effet rétroactif au 10 février 2014, devant le rechtbank Den Haag zittingsplaats Rotterdam, (tribunal de la Haye siégeant à Rotterdam, Pays-Bas, ci-après la « juridiction de première instance »), qui, par jugement du 5 janvier 2016, a déclaré le recours non fondé.

21. Le second requérant au principal, A(ci-après le « requérant A » ou « A »), est également un ressortissant de pays tiers (Congo). Il était titulaire depuis le 20 décembre 1997 d’un titre de séjour chez le conjoint, jusqu’au 15 octobre 2016. Le 28 juillet 2015, la dissolution du mariage de A et de son conjoint de nationalité néerlandaise a été inscrite au registre BRP.

22. Le requérant A a déposé une demande sur le fondement de l’article 3.51, paragraphe 1, initio et sous a), du Vb 2000, visant à modifier son titre de séjour chez le conjoint en un titre de séjour autonome. Par décisions des 26 février et 21 septembre 2015, le secrétaire d’État a confirmé la décision de rejet de la demande de titre de séjour autonome, au motif que A n’avait pas apporté la preuve établissant qu’il avait réussi le second examen d’intégration civique ou qu’il en avait été exonéré ou
dispensé en vertu de l’article 3.80a du Vb 2000. Le 8 février 2016, le secrétaire d’État a notifié par écrit au requérant A son intention de retirer rétroactivement, le titre de séjour chez le conjoint à partir du 3 septembre 2014, au motif que, depuis cette date, A et son conjoint n’étaient plus inscrits comme résidant à la même adresse dans le registre BRP. Pour le secrétaire d’État, le titre de séjour chez le conjoint était donc sans fondement juridique.

23. Le requérant A a introduit un recours devant la juridiction de première instance qui, par jugement du 25 mai 2016, a rejeté le recours.

B.   Les procédures devant la juridiction de renvoi et les questions préjudicielles

24. Les requérants C et A ont tous les deux interjeté appel des jugements rendus en première instance devant le Raad van State (Conseil d’État). Premièrement, pour les requérants C et A, la possibilité de subordonner l’acquisition d’un titre de séjour autonome à des conditions définies en droit national, telle que remplir, selon l’article 3.80a, paragraphe 1, du Vb 2000, la condition d’un second examen d’intégration civique, préalablement à l’octroi d’un titre de séjour autonome, ne ressortirait pas
de l’article 15 de la directive 2003/86, dont le paragraphe 4 ne vise que des conditions de procédure et non des conditions de fond. Deuxièmement, C et A font grief à la juridiction de première instance de s’être fondée à tort sur l’arrêt du 9 juillet 2015, K et A, (C‑153/14, ci-après « arrêt K et A , EU:C:2015:453), pour justifier de la conformité de la condition du second examen d’intégration civique à la directive 2003/86. En effet, pour les requérants C et A, l’arrêt K et A est relatif à
l’obligation d’intégration civique d’un ressortissant de pays tiers dans le cadre du droit au regroupement familial lors de l’admission aux Pays-Bas. L’arrêt K et A se distinguerait de l’espèce au principal. Pour C, l’autorisation de séjour autonome aurait dû être délivrée, sans qu’elle ait à remplir la condition liée à la réussite du second examen d’intégration civique, le 10 février 2014, date à partir de laquelle elle séjournait déjà régulièrement aux Pays-Bas depuis cinq ans. Le requérant A
allègue que l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86 vise précisément à limiter à une durée de cinq ans la période pendant laquelle les membres de la famille dépendent du regroupant. Troisièmement, la requérante C soutient que le titre de séjour chez le conjoint devait être retiré à la date à laquelle le divorce a été prononcé, le 2 février 2015, et non comme la juridiction de première instance l’a considéré, le 10 février 2014, date à partir de laquelle C et son conjoint n’étaient
plus inscrits comme résidant à la même adresse dans le registre BRP. En outre, C soutient que le retrait du titre de séjour chez le conjoint avec effet rétroactif a pour conséquence qu’elle n’était pas en séjour régulier durant une période intermédiaire.

25. En premier lieu, la juridiction de renvoi note que la compétence de la Cour n’est pas évidente car l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86 exclut les « membres de la famille d’un citoyen de l’Union » ; or les conjoints respectifs de C et Aet C sont néerlandais. Il serait de l’intérêt de l’Union que les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme ( 4 ). Toutefois, il ressortirait de l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, ci-après
« arrêt Nolan , EU:C:2012:638,), que l’Union n’aurait pas d’intérêt à une interprétation uniforme d’un acte concernant une situation qui est expressément exclue de cet acte. Dans la mesure où ledit arrêt n’a plus été cité, notamment, dans l’arrêt de grande chambre, du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874), la juridiction de renvoi ne perçoit pas clairement si l’arrêt Nolan reste applicable et pourrait conduire à ce que la Cour se déclare incompétente pour répondre au
présent renvoi préjudiciel.

26. En deuxième lieu, la juridiction de renvoi dit ignorer à quoi se rapportent les « conditions applicables à l’octroi […] du titre de séjour autonome », au sens de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86 qui sont définies en droit national. La juridiction de renvoi se demande si celles-ci peuvent se rapporter à des conditions d’intégration et, donc, à des conditions de fond. Elle précise également que la Cour s’est partiellement prononcée sur la question dans deux arrêts, l’arrêt du
4 juin 2015, P et S (C‑579/13, ci-après « arrêt P et S , EU:C:2015:369), et l’arrêt K et A, sans qu’il ne découle toutefois de ces arrêts une réponse complète applicable aux litiges au principal.

27. En troisième lieu, et concernant l’interruption de séjour légal de C, la juridiction de renvoi s’interroge sur la date à partir de laquelle le titre de séjour autonome déploie ses effets. Lorsque le dépôt de la demande d’octroi du titre de séjour autonome intervient après un séjour régulier de cinq ans et en vue du regroupement familial, la juridiction de renvoi considère que le libellé de l’article 15 de la directive 2003/86 ne précise pas clairement la date à partir de laquelle un titre de
séjour autonome doit être octroyé.

28. C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et a adressé les questions préjudicielles suivantes à la Cour :

« 1) Compte tenu de l’article 3, paragraphe 3, de la directive [2003/86] et de l’arrêt [Nolan], la Cour dispose-t-elle de la compétence de répondre à des questions préjudicielles du juge néerlandais relatives à l’interprétation de dispositions de ladite directive dans un litige concernant le droit de séjour de membres de la famille de regroupants qui ont la nationalité néerlandaise, si cette directive a, en droit néerlandais, été déclarée applicable de manière directe et inconditionnelle à ces
membres de la famille ?

2) Convient-il d’interpréter l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive [2003/86] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause dans les affaires au principal, sur le fondement de laquelle une demande de titre de séjour autonome d’un étranger en séjour régulier sur le territoire d’un État membre depuis plus de cinq ans aux fins du regroupement familial peut être rejetée pour non-respect des conditions d’intégration requises en droit national ?

3) L’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause dans l’affaire au principal, sur la base de laquelle un titre de séjour autonome ne peut être octroyé qu’à compter de la date de la demande ? »

29. La présente affaire a bénéficié d’observations écrites déposées par les requérants C et A, les gouvernements néerlandais et autrichien ainsi que par la Commission européenne.

30. Lors de l’audience commune avec l’affaire connexe, C‑380/17, K et B, qui s’est tenue devant la Cour le 19 mars 2018, les requérants C et A, puis les requérants K et B, le gouvernement néerlandais ainsi que la Commission ont présenté leurs observations orales.

IV. Analyse

A.   Sur la compétence de la Cour

31. Les requérants C et A ont bénéficié d’un titre de séjour chez le conjoint au titre du regroupement familial au motif qu’ils résidaient chez leurs conjoints de nationalité néerlandaise n’ayant pas exercé leur liberté de circulation.

32. Le libellé univoque de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86 précise que cette dernière « ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union » ( 5 ). Les conjoints des requérants, citoyens néerlandais n’ayant pas exercé leur liberté de circulation, ne sont donc pas couverts ratione materiae par la directive 2003/86.

33. Toutefois, le législateur néerlandais a unilatéralement décidé d’étendre le champ d’application des dispositions de la directive 2003/86 aux regroupants néerlandais qui n’ont pas exercé leur liberté de circulation ( 6 ) mais qui souhaitent bénéficier du droit au regroupement familial ( 7 ). Les situations dans l’affaire au principal sont des situations purement internes non contestées par les parties à la présente affaire. En d’autres termes, il s’agit d’une extension du champ ratione materiae
du régime néerlandais, Vb 2000, au bénéfice des citoyens néerlandais n’ayant pas exercé leur liberté de circulation. Dans ces conditions, il s’agit d’examiner si une interprétation par la Cour des dispositions visées par les questions posées se justifie, et partant que la compétence de la Cour soit constatée, comme le soutiennent la juridiction de renvoi, le gouvernement néerlandais et les requérants au principal, mais que contestent la Commission et le gouvernement autrichien.

34. Conformément à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des traités ainsi que des actes pris par les institutions de l’Union. Il en découle qu’il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour ( 8 ). En conséquence, dès lors que les questions posées
par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 9 ).

35. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour s’est à maintes reprises déclarée compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application du droit de l’Union. En effet, il est de l’intérêt de l’Union de veiller à l’uniformité de l’interprétation d’une disposition d’un acte de l’Union et de celles du droit national qui la transposent
et la rendent applicable en dehors du champ d’application de cet acte.

36. Dans ce contexte, la Cour a précisé qu’une interprétation par elle-même des dispositions du droit de l’Union dans des situations ne relevant pas du champ d’application de celui-ci se justifie lorsque ces dispositions ont été rendues applicables à de telles situations par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique à ces situations et à celles qui relèvent du champ d’application du droit de l’Union ( 10 ). La Cour est, dès lors, appelée à
vérifier s’il existe des indications suffisamment précises pour pouvoir établir si le droit interne opère un renvoi direct et inconditionnel au droit de l’Union. C’est essentiellement sur le seul fondement des précisions fournies par la juridiction nationale dans sa décision de renvoi que la Cour peut déterminer si elle est compétente pour répondre aux questions soulevées devant elle ( 11 ).

37. Certes, selon l’arrêt Nolan, il ne saurait être affirmé ou présumé qu’il existerait un intérêt de l’Union à ce que, dans un domaine exclu par le législateur de l’Union du champ d’application de l’acte qu’il a adopté, il soit procédé à une interprétation uniforme des dispositions de cet acte ( 12 ). En effet, selon cette logique, « si le législateur de l’Union mentionne de manière univoque que l’acte qu’il a adopté ne s’applique pas à un domaine précis, il renonce […] à l’objectif visant à une
interprétation et à une application uniformes des règles de droit dans ce domaine exclu » ( 13 ).

38. L’arrêt du 19 octobre 2017, Solar Electric Martinique (C‑303/16, ci-après « arrêt Solar Electric Martinique , EU:C:2017:773), qui concernait également un cas d’exclusion expresse du champ d’application d’une directive de l’Union ( 14 ), est toutefois, selon moi, venu aménager certains motifs de l’arrêt Nolan. En effet, la Cour a précisé au point 29 de l’arrêt Solar Electric Martinique, que « [l]’existence d’un intérêt de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures,
[les notions de la directive en question] reçoivent une interprétation uniforme est certes envisageable » ( 15 ). Si l’arrêt Nolan laissait penser qu’un tel intérêt disparaissait en cas d’exclusion expresse par le législateur de l’Union, l’arrêt Solar Electric Martinique n’a donc pas confirmé cette lecture. Toujours à propos d’une situation d’exclusion expresse du champ d’application d’une directive, l’arrêt du 27 juin 2018, SGI et Valériane (C-459/17 et C-460/17), écarte, semble-t-il
définitivement, l’approche retenue précédemment dans l’arrêt Nolan, en affirmant que, malgré cette exclusion expresse, il existe un intérêt certain de l’Union ( 16 ) à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer dès lors que le droit interne opère un renvoi direct et inconditionnel à la
disposition de la directive dont l’interprétation de la Cour est sollicitée ( 17 ).

39. Tel est également le cas dans la présente affaire.

40. En effet, les indications apportées par la juridiction de renvoi sont suffisamment précises et attestent que le droit national, se conformant au droit de l’Union, opère un renvoi direct et inconditionnel à ce dernier. La juridiction de renvoi précise ainsi que la législation et la réglementation néerlandaises établissent un régime juridique commun aux regroupements familiaux de ressortissants de pays tiers et aux regroupements familiaux de citoyens néerlandais n’ayant pas exercé leur liberté de
circulation et qu’elles n’opèrent pas de distinction entre ces deux régimes. Il ressort de l’exposé des motifs du Vb 2000 que le délai inscrit à l’article 3.51 du Vb 2000 ( 18 ), dans lequel le secrétaire d’État peut accorder un titre de séjour autonome ( 19 ), a été durci et étendu de trois à cinq ans de résidence, et s’applique également aux regroupements familiaux de citoyens néerlandais n’ayant pas exercé leur liberté de circulation. La condition du second examen d’intégration civique
inscrit à l’article 3.80a, paragraphe 1, du Vb 2000, tout comme la prolongation de délai, sont appliquées indistinctement aux regroupements familiaux de ressortissants de pays tiers et aux regroupements familiaux de citoyens néerlandais n’ayant pas exercé leur liberté de circulation.

41. En outre, la juridiction de renvoi ajoute que, si la Cour n’était pas compétente, en l’espèce, pour interpréter l’article 15 de la directive 2003/86, la juridiction de renvoi serait contrainte de l’interpréter elle-même afin de résoudre le litige au fond. En pratique, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union par le juge national pourrait avoir une conséquence sur le contenu de ce droit et conduire à une orientation sensiblement différente de celle que pourrait adopter la Cour. De
plus, elle pourrait décourager les juridictions nationales de l’État membre en question de soulever, à l’avenir, une telle question devant la Cour. En tout état de cause, les notions dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation relèvent bien du droit de l’Union et sont bien susceptibles de s’appliquer dans des situations qui relèvent du champ d’application de la directive.

42. Par conséquent, j’estime que l’intérêt de l’Union à une interprétation uniforme existe, d’une part, afin d’éviter une divergence dans l’application du droit de l’Union, et d’autre part, en raison de la nécessité de ne pas traiter de manière différente des situations qu’un État membre a choisi d’aligner sur les solutions apportées par le droit de l’Union.

43. Dans ces circonstances, je propose que la Cour constate qu’elle est compétente pour répondre aux questions posées.

B.   Sur l’interprétation de l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86 et sur la compatibilité de la condition relative au second examen d’intégration civique

44. Je rappelle que les requérants C et A bénéficient d’un titre de séjour chez le conjoint au titre du regroupement familial. Ils ont déposé une demande afin de bénéficier d’un titre de séjour autonome au titre de l’article 3.51, paragraphe 1, initio et sous a), du Vb 2000. La demande a été rejetée au motif que les requérants C et A n’avaient pas réussi l’examen visé à l’article 7, paragraphe 2, sous a), de la Wi, ou n’avaient pas apporté la preuve qu’ils avaient réussi cet examen ou qu’ils en
avaient été exonérés ( 20 ). Dans ces conditions, les requérants C et A ont été privés du titre de séjour autonome en cas d’échec.

45. La deuxième question préjudicielle est donc relative à la compatibilité avec l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86 du rejet d’une demande de titre de séjour autonome d’un membre de la famille séjournant sur le territoire national depuis plus de cinq années aux fins du regroupement familial pour non‑respect des conditions d’intégration requises en droit national. Plus précisément, la Cour est appelée à se prononcer sur le sens que revêtent les termes « les conditions
applicables à l’octroi […] du titre de séjour autonome » indiqués à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86 et à déterminer si parmi ces conditions figure l’obligation de se soumettre à un second examen d’intégration civique.

46. Avant d’aborder l’interprétation de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86, il convient de relever que, aux Pays-Bas, le processus d’intégration semble se dérouler en deux phases.

47. La première phase est régulée par l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86 qui précise que les États membres « peuvent exiger des ressortissants de pays tiers qu’ils se conforment aux mesures d’intégration […] ».La Cour a jugé ( 21 ) que les États membres pouvaient exiger que les ressortissants de pays tiers réussissent un examen d’intégration civique. Cet examen comprend l’évaluation d’une connaissance élémentaire tant de la langue que de la société de l’État membre concerné et
implique le paiement de différents frais. La communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial (ci-après les « lignes directrices de la Commission ») ( 22 ) définit les mesures d’intégration de l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive comme consistant à vérifier la « volonté d’intégration des ressortissants de pays tiers » et qui à cette fin peut prendre la
forme d’un examen relatif aux compétences de base jugées nécessaires. La mesure d’intégration, que les États membres peuvent exiger, « ne saurait donner lieu à une obligation de résultat » qui reviendrait à instaurer une mesure limitant la possibilité du regroupement familial. Au contraire, elle doit « contribuer à la réussite du regroupement familial ». En effet, des connaissances de base sur la langue, l’histoire et les institutions de la société d’accueil sont indispensables à l’intégration
et sont encouragées par la Commission ( 23 ). Dans cette optique, l’examen peut avoir lieu préalablement à l’admission sur le territoire de l’Union dans les ambassades et consulats ou dans l’État membre d’accueil.

48. Il existe en droit néerlandais une seconde phase d’intégration qui trouve son fondement dans les dispositions de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86. Cette nouvelle phase d’intégration impose la réussite d’un nouvel examen lorsque le membre de la famille souhaite bénéficier d’un statut autonome et ne plus dépendre du titre de séjour du regroupant. Selon le gouvernement néerlandais, l’octroi d’un titre de séjour autonome consolide la situation juridique du ressortissant de pays
tiers résidant régulièrement depuis cinq ans sur le territoire d’un État membre et, pour cette raison, il peut être exigé du demandeur de titre de séjour autonome qu’il démontre que, dans l’intervalle, il a parfait son intégration.

49. Cela étant, j’en viens à l’interprétation sollicitée par la juridiction de renvoi de la notion de « conditions » prévue à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86 qui, d’après le gouvernement néerlandais, serait susceptible d’englober le second examen d’intégration civique.

50. Il importe de relever que ni le libellé de l’article 15 de la directive 2003/86 ni les lignes directrices de la Commission ne précisent si, et dans quelle mesure, l’imposition d’une obligation d’intégration civique est envisageable pour l’acquisition du titre de séjour autonome.

51. Toutefois, je relève que l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86 utilise l’expression de « conditions applicables à l’octroi » et non pas de « conditions d’intégration » ( 24 ) comme c’est le cas à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée ( 25 ) ou « des mesures d’intégration » ( 26 ) figurant à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86.

52. Les « mesures d’intégration » et les « conditions d’intégration » doivent être bien distinctes et, certainement ne pas être considérées comme des expressions synonymes, dans la mesure où les mesures d’intégration doivent être considérées comme moins lourdes par rapport aux conditions d’intégration ( 27 ). La lecture systématique de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/86 milite dans le même sens. Cet article énumère une série de conditions pour lesquelles le ressortissant de pays
tiers doit importer la preuve de leurs réunions. En revanche, la mesure d’intégration est inscrite au paragraphe suivant, alors que si le législateur européen avait voulu soumettre et sélectionner un ressortissant de pays tiers sur le fondement d’une mesure d’intégration, il l’aurait fait figurer au paragraphe 1 à un quatrième point, par exemple. Tel n’est pas le cas. Les mesures d’intégration de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86 ne doivent pas sélectionner mais, au contraire,
doivent avoir pour but essentiel de faciliter l’intégration dans les États membres ( 28 ).

53. Cette différence terminologique explique déjà pourquoi, à l’instar de la juridiction de renvoi, j’estime que ni l’arrêt K et A, qui concernait la qualification d’un examen d’intégration civique comme relevant des « mesures d’intégration », au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86, ni l’arrêt P et S, qui se rapportait à l’interprétation de la notion de « conditions d’intégration » figurant à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2003/109, n’apportent une réponse relative
à l’interprétation de l’expression « conditions applicables à l’octroi […] du titre de séjour » figurant à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86, en particulier quant à la question de savoir si cette expression peut couvrir une condition liée à la réussite d’un second examen d’intégration civique tel que celle applicable dans les litiges au principal.

54. Au-delà des différences de terminologie qui viennent d’être mentionnées, il convient, pour interpréter l’article 15 de la directive 2003/86, en particulier son paragraphe 4, de tenir compte également des finalités, de l’économie et de la genèse des dispositions de ladite directive.

55. S’agissant de l’interprétation téléologique de la directive 2003/86, il importe de rappeler que la Cour a, d’une part, affirmé que, dans le système de la directive 2003/86, l’autorisation du regroupement familial est la règle générale et que les dispositions qui permettent d’y apporter des limitations doivent être interprétées de manière stricte et, d’autre part, précisé que la marge de manœuvre reconnue aux États membres par de telles dispositions ne doit pas être utilisée par ceux-ci d’une
manière qui porterait atteinte à l’objectif de la directive, qui est de favoriser le regroupement familial, et à l’effet utile de celle-ci ( 29 ).

56. Dans le système de la directive 2003/86, le statut autonome des membres de la famille du regroupant correspond à un statut propre qui met fin à la dépendance vis-à-vis de ce dernier. Ainsi, en cas de situation difficile ou si le titre de séjour du regroupant était retiré ou venait à expirer, le membre de la famille bénéficiant du titre de séjour autonome n’en serait pas pénalisé.

57. Interpréter l’expression de « conditions applicables à l’octroi […] du titre de séjour », énoncée à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86, comme une opportunité offerte aux États membres de prévoir un second examen d’intégration civique reviendrait à porter atteinte à la finalité et à l’effet utile de cet acte, en compliquant outre mesure le droit au regroupement familial.

58. En l’occurrence, il convient de garder à l’esprit que les conditions applicables en vertu de la réglementation néerlandaise sont particulièrement rigoureuses. Comme je l’ai déjà mis en exergue, le ressortissant de pays tiers doit remplir des conditions d’intégration civique qui vont au-delà de celles qui sont posées dans le cadre de la première admission aux Pays-Bas en vertu du droit au regroupement familial. L’article 7, paragraphe 2, sous a) de la Wi détermine les conditions que doit remplir
le ressortissant de pays tiers. Il doit premièrement, dans les trois ans, acquérir des aptitudes orales et écrites en néerlandais correspondant au moins au niveau A2 du cadre européen de référence pour les langues modernes étrangères. Ces aptitudes consistent en l’expression orale, la compréhension orale, l’expression écrite et la compréhension écrite ( 30 ). Le ressortissant de pays tiers doit, deuxièmement, acquérir des connaissances de la société néerlandaise au cours de ces trois années.
Elles se composent d’une partie relative à la connaissance sur la société néerlandaise et d’une autre partie, relative à l’orientation sur le marché néerlandais du travail ( 31 ).

59. Je suis donc d’avis que la finalité de la directive 2003/86 ne saurait justifier la thèse selon laquelle la notion de « conditions applicables à l’octroi […] d’un titre de séjour » puisse englober une condition de fond, telle que la réussite à un second examen d’intégration civique. Selon moi, il convient plutôt d’interpréter cette expression en ce sens qu’elle recouvre seulement la faculté des États membres d’exiger le dépôt d’une demande de titre de séjour autonome, ainsi que la détermination
des données à communiquer à l’appui d’une telle demande. En d’autres termes, il s’agit de conditions de forme ou administratives et non pas de conditions de fond.

60. L’économie de la directive 2003/86, notamment la place de l’article 15 dans la structure de ladite directive, confirme la thèse selon laquelle la condition de l’article 15, paragraphe 4 n’est pas une condition de fond. Conformément au libellé du considérant 6 qui souligne le besoin de « fixer, selon des critères communs, les conditions matérielles pour l’exercice du droit au regroupement familial », les articles 6, 7, 8 et 12 de la directive 2003/86 établissent un ensemble de critères ou de
règles relatives à l’examen de la demande, au dépôt et aux conditions attenant à la délivrance du titre de séjour. En revanche, à l’exception de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86 qui détermine ratione personae les membres de la famille destinataires et susceptibles de se voir octroyer un tel titre de séjour autonome ( 32 ), ledit article 15 ne fixe aucun critère commun ou règle matérielle commune. Les articles 6 à 8 se situent dans le chapitre IV, « Conditions requises pour
l’exercice du droit au regroupement familial », de la directive 2003/86, tandis que l’article 15 apparaît isolé et inséré dans le chapitre VI, « Entrée et séjour des membres de la famille », de ladite directive. En outre, l’article 15 n’opère pas de renvoi vers les dispositions du chapitre IV, contrairement à l’article 12, paragraphe 1, de ladite directive (relatif au regroupement des réfugiés) qui s’y réfère. Il semble donc que le législateur de l’Union n’ait pas voulu subordonner l’octroi du
titre autonome à des conditions matérielles ou de fond mais uniquement à des conditions procédurales déterminées par les États membres. Le législateur de l’Union a envisagé le titre de séjour autonome comme étant une conséquence du séjour continu du membre de la famille du regroupant sur le territoire de l’État membre.

61. Enfin, je souscris également à l’interprétation défendue par la juridiction de renvoi selon laquelle la genèse de l’article 15 de la directive 2003/86 démontrerait que les conditions applicables à l’octroi du titre de séjour sont des conditions procédurales, pour les raisons qui suivent.

62. Premièrement, il ressort du considérant 15 de la directive 2003/86, de l’exposé des motifs de la proposition de directive 2003/86 ( 33 ), ainsi que d’un document de travail du Conseil des ministres de l’Union européenne ( 34 ) du 9 août 2002, que le titre de séjour autonome introduit par l’article 15 de la directive 2003/86 a pour effet que les membres de la famille ne dépendent plus du regroupant pour leur titre de séjour, par exemple si ce dernier quitte l’État membre où il réside avec le
membre de la famille, s’il décède, ou en cas de rupture du mariage ou du partenariat entre le regroupant et le membre de la famille. Le titre de séjour autonome vise à consolider la situation juridique du membre de la famille du regroupant familial et à lui procurer plus de sécurité juridique.

63. Deuxièmement, la genèse de l’article 15 de la directive 2003/86, pris dans son ensemble, indique que le titre de séjour autonome était initialement de droit ( 35 ) mais au cours des débats législatifs sur cette proposition, il a été observé que ce dernier ne devrait pas s’acquérir automatiquement, après un délai de séjour de cinq années, mais sur demande. Cette remarque a conduit à l’élaboration d’une proposition modifiée par laquelle a été prévue la possibilité, figurant désormais à
l’article 15, paragraphes 1 et 3, de la directive 2003/86, de faire dépendre l’acquisition d’un titre de séjour autonome à l’introduction d’une demande en ce sens. L’ajout du paragraphe 4 de l’article 15, est lié à l’adjonction des termes « au besoin sur demande » figurant à l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, et à l’article 15, paragraphe 3 de la directive 2003/86 ( 36 ). Il a donc été nécessaire d’introduire une disposition, audit paragraphe 4, concernant les modalités du dépôt de
cette demande et de l’octroi subséquent du titre de séjour. Dès lors, les États membres sont habilités à transposer cette disposition de deux manières : d’une part, en l’absence de procédure spécifique, les États membres peuvent prévoir que le titre de séjour autonome s’acquiert de plein droit au bout de cinq ans de résidence ou, d’autre part, ils peuvent prévoir que le titre de séjour autonome s’acquiert sur demande et est assorti de modalités procédurales.

64. Troisièmement, la genèse de la notion de « conditions » révèle que l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86 était précédemment mentionné dans la proposition de directive avant que ne soit ajouté le paragraphe 2 de l’article 7 ( 37 ). Comme je l’ai déjà mis en évidence ( 38 ), ce paragraphe se réfère explicitement à des « mesures d’intégration ». L’ajout du paragraphe 2 à l’article 7, de la proposition, postérieurement à l’article 15, paragraphe 4, n’a pourtant pas conduit à modifier,
par la suite, l’article 15, paragraphe 4, afin d’opérer soit un renvoi, soit d’harmoniser les termes employés par l’article 15, paragraphe 4, et l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86. Dès lors cette notion doit s’entendre de manière autonome par rapport à la notion de « mesures d’intégration » employée à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86.

65. J’en conclus donc que les dispositions de l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale prévoyant qu’une demande de titre de séjour autonome d’un ressortissant de pays tiers en séjour régulier sur le territoire d’un État membre depuis plus de cinq ans aux fins du regroupement familial, puisse être rejetée pour non-respect des conditions d’intégration requises en droit national, dans la mesure où
ces conditions sont des conditions matérielles non prévues à l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86.

66. En tout état de cause, et dans l’hypothèse où la Cour devait considérer que les « conditions » visées à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86 se réfèrent à des conditions matérielles, je relève que la Cour a jugé que les mesures d’intégration, au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86, introduites par un État membre, ne sont compatibles avec cette directive que si les conditions d’application d’une telle obligation ne rendent pas impossible ou excessivement
difficile l’exercice du droit au regroupement familial ( 39 ).

67. À cet égard, conformément au principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, les moyens mis en œuvre par la réglementation nationale transposant l’article 7, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86 doivent être aptes à réaliser les objectifs visés par cette réglementation et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre ( 40 ).

68. Il en irait, selon moi, à plus forte raison de même s’agissant des conditions applicables à l’octroi du titre de séjour autonome, au sens de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86.

69. Or, en l’espèce, la condition relative à l’examen d’intégration civique posée par la réglementation néerlandaise me paraît disproportionnée pour deux raisons.

70. Tout d’abord, je rappelle que les bénéficiaires du droit au regroupement familial doivent satisfaire à des mesures d’intégration civique préalablement à leur séjour, ce qui leur permet d’acquérir des connaissances élémentaires, notamment linguistiques, qui s’avèrent incontestablement utiles pour établir des liens avec l’État membre d’accueil ( 41 ). Or, imposer un second examen pourrait remettre en question « l’efficacité intégrative » et l’utilité du premier examen d’intégration civique, au
sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86. Selon le considérant 15 de ladite directive,« [l]’intégration des membres de la famille devrait être promue ». Dans ce but, les membres de la famille composés autour du regroupant devraient être intégrés afin que les ressortissants qui le souhaitent puissent accéder à un statut indépendant et autonome de celui du regroupant et ne plus dépendre du titre de séjour de ce dernier. En effet, ces ressortissants devraient être intégrés grâce
aux connaissances élémentaires en néerlandais acquises lors de ce premier examen, sans que les autorités néerlandaises aient besoin d’opérer une seconde sélection basée sur la progression des connaissances linguistique et culturelle des ressortissants de pays tiers. En outre, selon les requérants C et A, le taux de réussite dudit examen est faible ( 42 ). Dans la mesure où ce second examen d’intégration civique pourrait les conduire à une insécurité juridique en cas d’échec, ledit examen
décourage les ressortissants de pays tiers.

71. Ensuite, l’accessibilité à l’examen et donc la réussite de cet examen rendent impossible ou excessivement difficile l’obtention du droit au titre de séjour autonome.

72. D’une part, l’accessibilité financière de l’examen d’intégration civique peut constituer un obstacle. Selon les requérants C et A, le coût de la formation (cours de langue et d’intégration civique) ainsi que de la préparation et de la présentation à l’examen s’élevant entre 4000 et 10000 euros, est à la charge du participant à l’examen et n’est pas financé par l’État. Le gouvernement néerlandais a certes indiqué qu’il existait un système de prêt introduit en fonction des capacités de
remboursement de l’emprunteur. Toutefois, selon les requérants C et A, ce ne serait pas le cas des ressortissants de pays tiers visés par les dispositions de l’article 15 de la directive 2003/86. De plus, il convient de remarquer que le montant prêté devra être restitué, et que, dans tous les cas, il représente une importante somme d’argent et ce, même pour des citoyens européens. En outre, selon les requérants C et A, ce coût inclut les coûts d’inscription à l’examen (350 euros) ( 43 ), qui
doivent être reversés pour avoir le droit de repasser l’examen en cas d’échec aux précédentes tentatives ( 44 ). Dans la mesure où cette exigence, en raison de son caractère particulièrement contraignant, décourage l’introduction d’une demande de titre de séjour autonome, elle représente une condition de nature à faire obstacle audit regroupement au lieu de le faciliter. Elle représente donc une restriction susceptible de priver d’effet utile l’article 15 de la directive 2003/86.

73. D’autre part, l’accessibilité à l’examen lui-même constitue, dans la pratique, un obstacle compliquant la réalisation de l’objectif d’intégration. En effet, des circonstances individuelles particulières, telles que l’âge, le niveau d’éducation, la situation financière ou l’état de santé des membres de la famille du regroupant concernés, doivent être prises en considération, en vue de dispenser ceux-ci de l’obligation de réussir un examen tel que celui en cause au principal, lorsque, en raison de
ces circonstances, il s’avère que ces derniers ne sont pas en mesure de se présenter à cet examen ou de réussir celui-ci. S’il en était autrement, dans de telles circonstances, une telle obligation pourrait constituer un obstacle difficilement surmontable pour rendre effectif le droit à l’obtention du droit au titre de séjour autonome prévu par la directive 2003/86 ( 45 ).

74. Or, dans le système néerlandais, il semble que les circonstances individuelles, au sens de l’article 17 de la directive 2003/86, du ressortissant de pays tiers membre de la famille du regroupant, soient prises en compte seulement après que le demandeur du titre de séjour autonome a tenté sans succès de passer les examens. En effet, l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la Wi dispose que le redevable de l’obligation doit apporter la preuve qu’il a raisonnablement échoué en participant aux
sessions de formations et qu’il a tenté de réussir plusieurs fois l’examen d’intégration civique avant de pouvoir bénéficier d’une exonération ( 46 ). Cette exonération est accordée par le secrétaire d’État au ressortissant de pays tiers, qui doit apporter la preuve des efforts avérés fournis. Ce système devrait prendre en compte, avant le passage de l’examen, la situation individuelle des demandeurs de titre de séjour autonome, telle que leurs capacités cognitives, leur vulnérabilité ( 47 ),
leur âge, leur niveau d’éducation, leur état de santé. Dès lors, ce système serait, en mon sens, davantage proportionnné.

75. Il incombe aux autorités nationales compétentes (et ce compris les juridictions nationales), lors de la mise en œuvre de la directive 2003/86 et de l’examen des demandes de regroupement familial, de procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu, en tenant particulièrement compte de ceux des enfants concernés ( 48 ).

76. Il convient donc, selon moi, de répondre à la deuxième question préjudicielle de la manière suivante : l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une demande de titre de séjour autonome d’un ressortissant de pays tiers ayant bénéficié au titre du regroupement familial, d’un séjour régulier sur le territoire d’un État membre depuis plus de cinq ans, puisse être rejetée pour non-respect des
conditions d’intégration requises en droit national, dans la mesure où ces conditions sont des conditions matérielles non prévues à l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86.

C.   Sur la date à partir de laquelle la demande d’un titre de séjour autonome produit ses effets, au sens de l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86

77. La requérante C est titulaire depuis le 5 novembre 2008 d’un titre de séjour chez le conjoint. À partir du 10 février 2014, selon les autorités néerlandaises, C ne résidant plus chez son conjoint, le secrétaire d’État a retiré, rétroactivement, le titre de séjour chez le conjoint puisque ce titre se trouvait privé de fondement juridique. Le séjour régulier de C a donc été interrompu ( 49 ). Le secrétaire d’État lui a accordé le titre de séjour autonome à la date à laquelle C a satisfait à la
condition relative à l’obligation d’intégration civique, c’est-à-dire le 16 février 2015. C soutient qu’elle satisfaisait déjà aux conditions d’obtention d’un titre de séjour autonome à la date à laquelle elle se trouvait en séjour régulier aux Pays-Bas depuis plus de cinq ans aux fins du regroupement familial.

78. Lorsque le dépôt de la demande d’octroi du titre de séjour autonome intervient après un séjour régulier de cinq ans et en vue du regroupement familial, la juridiction de renvoi souhaite savoir si une réglementation nationale ( 50 ) relative au titre de séjour autonome, disposant que le titre de séjour autonome doit être octroyé à compter de la date à laquelle le ressortissant de pays tiers démontre qu’il satisfait à toutes les conditions d’intégration, dont la condition d’examen d’intégration,
et/ou, au plus tôt à compter de la date de la réception de ladite demande, est compatible avec l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86.

79. Selon la juridiction de renvoi, le libellé de l’article 15 de la directive 2003/86 n’indique pas de manière univoque la date à partir de laquelle ledit titre doit être octroyé. La juridiction de renvoi suggère deux interprétations de l’article 15, paragraphes 1 et 4, de ladite directive. D’une part, il semblerait résulter de l’article 15, paragraphe 4, que les États membres définissent les conditions procédurales applicables à l’octroi et à la durée du titre de séjour autonome en droit national.
Les États membres définiraient donc la date de prise d’effet dudit titre. D’autre part, la juridiction de renvoi envisage que le droit à un titre de séjour autonome naisse en vertu de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86 au plus tard après cinq ans de résidence régulière et s’acquiert automatiquement le jour de la demande. De ce fait, même lorsqu’un ressortissant de pays tiers demande un titre de séjour autonome après plus de cinq années de résidence, cela n’empêcherait pas le
droit à un titre de séjour autonome d’être préalablement né.

80. Pour ma part, je suis d’avis que si, dans la législation nationale, le droit au titre de séjour autonome est conditionné à une demande préalable, les effets du droit au titre de séjour autonome devraient débuter, au plus tard , à la date de l’introduction de ladite demande. Ce titre de séjour devrait être déclaratif.

81. À cet égard, je rappelle que l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86 prévoit que « [a]u plus tard après cinq ans de résidence et dans la mesure où les membres de la famille n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, [ils] ont droit, au besoin sur demande, à un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant » ( 51 ). Le libellé de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86, en employant l’expression « au besoin sur
demande », rend facultatif le dépôt d’une demande d’un titre de séjour autonome. L’obligation d’introduire une telle demande correspond à l’une des « conditions applicables à l’octroi […] du titre de séjour autonome » que les États membres peuvent définir, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2003/86. L’article 15, paragraphes 1 et 4, de cette directive autorise une application qui diffère entre les États membres. Dans les États membres où le droit au titre de séjour
autonome est subordonné à l’introduction d’une demande, le titre de séjour autonome se matérialise et devient effectif lors du dépôt de cette demande auprès des autorités nationales compétentes. Ainsi, les effets du titre de séjour autonome commenceront à courir à partir de la date d’introduction de ladite demande, ce qui respecte le contenu de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86, qui dispose que le droit au titre de séjour autonome existe « au plus tard après cinq ans de
résidence ».

82. En outre, la date de dépôt de la demande devrait, selon moi, être envisagée comme étant la date limite à partir de laquelle un titre de séjour autonome devient effectif, car elle permet de garantir un traitement identique à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation, en assurant que le succès de la demande dépende principalement de circonstances imputables au demandeur et non pas à l’administration, telles que la durée de traitement de la demande ( 52 ). Une telle
solution est conforme au libellé de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86.

83. De plus, le fait d’interpréter l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86 dans le sens qui vient d’être proposé permet de garantir davantage de sécurité juridique aux demandeurs du titre de séjour autonome. Dans les situations particulièrement difficiles, telles que celles mentionnées à l’article 15, paragraphe 3, de ladite directive, le ressortissant de pays tiers qui introduit la demande de titre de séjour autonome, directement après la rupture de la relation maritale, filiale ou
familiale, ne risquerait pas d’interruption dans sa période légale de séjour. Pour les ressortissants de pays tiers qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2003/86, le fait de déterminer la date de dépôt de la demande comme la date à partir de laquelle le titre de séjour autonome produit des effets leur permettrait d’anticiper une éventuelle rupture du séjour régulier et partant de leur assurer davantage de sécurité juridique. Si une condition
formelle, par exemple l’exigence d’une pièce d’identité ou d’un document administratif, n’est satisfaite qu’ultérieurement, le droit au titre de séjour autonome serait accordé rétroactivement à la date à laquelle la demande a été introduite.

84. Sur la base de ce qui précède, je propose de conclure que l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86 ne s’oppose pas à ce qu’un titre de séjour autonome puisse être délivré à la date de l’introduction de la demande dudit titre et, au besoin, de manière rétroactive à compter de cette date.

V. Conclusion

85. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) :

1) La Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi qui sont relatives à l’interprétation des dispositions de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial dans des litiges concernant le droit de séjour de membres de la famille de regroupants qui ont la nationalité néerlandaise, dans la mesure où cette directive a, en droit néerlandais, été déclarée applicable de manière directe et
inconditionnelle à ces membres de la famille.

2) L’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une demande de titre de séjour autonome d’un ressortissant de pays tiers, ayant bénéficié au titre du regroupement familial, d’un séjour régulier sur le territoire d’un État membre depuis plus de cinq ans, puisse être rejetée pour non-respect des conditions d’intégration requises en droit national, dans la mesure où ces conditions sont des
conditions matérielles non prévues à l’article 15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86.

3) L’article15, paragraphes 1 et 4, de la directive 2003/86 ne s’oppose pas à ce qu’un titre de séjour autonome puisse être délivré à la date de l’introduction de la demande dudit titre et, au besoin, de manière rétroactive à compter de cette date.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2003, L 251, p. 12.

( 3 ) Il s’agit d’un registre néerlandais contenant les données des résidents et des non-résidents qui sont en relation avec les autorités néerlandaises.

( 4 ) La juridiction de renvoi mentionne ici les arrêts du 18 octobre 2012, Nolan (point 46), du 7 novembre 2013, Romeo (C‑313/12, EU:C:2013:718, point 22), et du 16 juin 2016, Rodríguez Sánchez (C‑351/14, EU:C:2016:447, points 61 et 62).

( 5 ) Initialement, l’article 1er et l’article 3, paragraphe 1, sous c), des propositions de directives du Conseil relatives au regroupement familial du 1er décembre 1999 [COM (1999) 638 final], et du 10 octobre 2000 [COM (2000) 624 final], attribuaient aux citoyens de l’Union n’ayant pas exercé leur droit à la libre circulation un droit au regroupement familial des membres de leur famille. Toutefois, le Conseil a demandé une restriction du champ d’application de ladite proposition de directive. La
Commission l’a modifiée en conséquence, dans sa troisième proposition de directive relative au regroupement familial du 2 mai 2002, [COM (2002) 225 final], afin d’y exclure les citoyens de l’Union n’ayant pas exercé leur droit à la libre circulation. La situation des citoyens de l’Union n’ayant pas exercé leur droit à la libre circulation devait être traitée ultérieurement dans une proposition spécifique, lorsque la refonte du droit de la libre circulation des personnes aurait été adoptée.

( 6 ) Il n’est ici aucunement question de l’applicabilité du régime de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).

( 7 ) Selon le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 8 octobre 2008 sur l’application de la directive [2003/86] [COM (2008) 610 final, p. 4]. Si, pour les citoyens n’ayant pas exercé leur liberté de circulation, un État membre applique des règles moins favorables que celles de la directive, le statut juridique des ressortissants de pays tiers risque de se détériorer lorsqu’ils acquerront la nationalité d’un État membre qui a des règles moins favorables pour ses citoyens
dans ce domaine. C’est le cas dans quatre pays : la République féderale d’Allemagne, la République de Chypre, la République de Lettonie et le Royaume des Pays-Bas.

( 8 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi (C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 33), du 7 juillet 2011, Agafiţei e.a. (C‑310/10, EU:C:2011:467, points 24 et 25), et du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868, point 15).

( 9 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi (C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 35), du 16 mars 2006, Poseidon Chartering (C‑3/04, EU:C:2006:176, point 15), du 28 octobre 2010, Volvo Car Germany (C‑203/09, EU:C:2010:647, point 24), du 7 juillet 2011, Agafiţei e.a. (C‑310/10, EU:C:2011:467, point 26), et du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868, point 16 ).

( 10 ) Voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1995, Kleinwort Benson (C‑346/93, EU:C:1995:85, point 16), du 21 décembre 2011, Cicala (C‑482/10, EU:C:2011:868, points 17 et 19), du 18 octobre 2012, Nolan (points 45 et 47), et du 19 octobre 2017, Solar Electric Martinique (C‑303/16, EU:C:2017:773, points 25 et 27).

( 11 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 12 mai 2016, Sahyouni (C‑281/15, EU:C:2016:343, points 27 et 29) et mes conclusions dans l’affaire Solar Electric Martinique (C‑303/16, EU:C:2017:507, point 33).

( 12 ) Voir, en ce sens, arrêt Nolan (points 53, 54 et 56).

( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt Nolan (point 55).

( 14 ) Il s’agissait d’un cas d’exclusion ratione loci du champ d’application de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 Novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, mais cette différence avec l’exclusion ratione materiae de l’arrêt Nolan est sans incidence : voir mes conclusions dans l’affaire Solar Electric Martinique (C‑303/16, EU:C:2017:507, point 49).

( 15 ) Italique ajouté par mes soins.

( 16 ) Italique ajouté par mes soins.

( 17 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2018, SGI et Valériane (C-459/17 et C-460/17, points 27 et 28). Cet arrêt, à l’instar de l’arrêt Solar Electric Martinique, concernait une situation d’exclusion ratione loci du champ d’application de la directive TVA

( 18 ) Cet article est une mise en œuvre de l’article 15 de la directive 2003/86.

( 19 ) La juridiction de renvoi cite l’article 3.51, paragraphe 1, initio et sous a), du Vb 2000.

( 20 ) En vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous a) ou sous b), de la Wi, «[n]otre ministre exonère la personne qui y est tenue de l’obligation d’intégration civique lorsque celle-ci a établi en raison d’un handicap psychique ou physique, ou d’une déficience mentale, elle n’est durablement pas en mesure de réussir l’examen d’intégration civique ou [lorsque ledit ministre] est amené à considérer, sur le fondement des efforts avérés fournis par le redevable de l’obligation d’intégration civique, que
ce dernier ne peut raisonnablement pas satisfaire à l’obligation d’intégration civique ».

( 21 ) Voir, en ce sens, l’arrêt P et S (point 38), et l’arrêt K et A, (points 52 à 55).

( 22 ) COM(2014) 210 final, 3 avril 2014, p. 15-16.

( 23 ) Voir en ce sens, communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, au Comité économique et sociale européen et au Comité des régions, Programme commun pour l’intégration, Cadre relatif à l’intégration des ressortissants de pays tiers dans l’Union européenne [COM(2005) 389 final, 1er septembre 2005, principe de base numéro 4].

( 24 ) Cette notion est développée par la Cour dans l’arrêt P et S aux points 34 à 38.

( 25 ) JO 2004, L 16, p. 44.

( 26 ) Cette notion est développée par la Cour dans l’arrêt K et A aux points 52 à 55.

( 27 ) Cette distinction est notamment apparente dans la directive 2003/109. Voir, en ce sens, mes conclusions dans l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:287, point 52).

( 28 ) Voir, en ce sens, mes conclusions dans l’arrêt Dogan (C‑138/13, EU:C:2014:287, point 52) et arrêt K et A (points 52 et 57), qui confirment que les mesures d’intégration ne sont légitimes que si elles facilitent l’intégration des membres de la famille. Elles ne doivent pas avoir pour but de sélectionner les personnes qui pourront exercer leur droit au regroupement familial, mais faciliter l’intégration de ces dernières dans les États membres.

( 29 ) Voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 43), du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 74), et arrêt K et A (point 50).

( 30 ) Selon la juridiction de renvoi, c’est ce qui ressort de l’article 2.9 de l’arrêté sur l’intégration civique qui dispose que, « [l]e redevable de l’obligation d’intégration civique acquiert les aptitudes [en expression et compréhension orale et en expression et compréhension écrite] en néerlandais correspondant au niveau A 2 du cadre européen de référence pour les langues modernes étrangères. »

( 31 ) Selon la juridiction de renvoi, c’est ce qui ressort de article 2.10, paragraphe 1, de l’arrêté sur l’intégration civique qui dispose que, « [l]e redevable de l’obligation d’intégration civique acquiert une connaissance de la société néerlandaise dont le niveau correspond aux objectifs fixés par arrêté de notre ministre en ce qui concerne les éléments suivants : a. la connaissance de la société néerlandaise ; b. l’orientation sur le marché néerlandais du travail. »

( 32 ) L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86 dispose que « après cinq ans de résidence et dans la mesure où les membres de la famille n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, le conjoint ou le partenaire non marié et l’enfant devenu majeur [ont droit au titre de séjour autonome] ».

( 33 ) Exposé des motifs de la proposition de directive 2003/86 présentée par la Commission européenne [COM (1999) 638 final ; p. 22-23].

( 34 ) Voir document du Conseil des ministres de l’Union européenne (ci-après « document du Conseil ») no 10857/02.

( 35 ) Voir, en ce sens, proposition modifiée de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial [COM(2002) 225 final].

( 36 ) Voir, en ce sens, documents du Conseil no 10857 du 9 août 2002, no 11787/02 du 30 septembre 2002, et no 13053/02 du 23 octobre 2002.

( 37 ) Voir document du Conseil no 14272/02 du 26 novembre 2002. L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86 dispose que « [l]es États membres peuvent exiger des ressortissants de pays tiers qu’ils se conforment aux mesures d’intégration, dans le respect du droit national […] ».

( 38 ) Voir points 51 et 52 des présentes conclusions.

( 39 ) Voir, par analogie, arrêt P et S, (point45 et jurisprudence citée.), .

( 40 ) Voir, par analogie, arrêt du 26 avril 2012, Commission/Pays-Bas (C‑508/10, EU:C:2012:243, point 75) et, en ce sens, arrêt K et A (point 51).

( 41 ) Arrêt P et S (points 47 et 48) et arrêt K et A, points 54 et 55).

( 42 ) Seuls 49 % des membres de la famille du regroupant devenus redevables de l’obligation d’intégration civique au début de l’année 2013 ont réussi trois ans plus tard le second examen d’intégration civique.

( 43 ) Selon le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial [COM (2008) 610 final, 8 octobre 2008, p. 10 et11], le montant du paiement des frais est fixé aux Pays-Bas à 1368 euros, 830 euros concernant le visa pour le regroupement familial, le montant du test d’intégration étant fixé à 350 euros.

( 44 ) L’examen peut être repassé jusqu’à quatre reprises.

( 45 ) Voir, par analogie, arrêt P et S (point 49), et arrêt K et A (points 58 à 60).

( 46 ) C a obtenu une dispense parce qu’elle avait présenté quatre fois l’examen et avait transmis une attestation de l’établissement d’enseignement indiquant qu’elle avait suivi les 648 heures de cours requises.

( 47 ) Lignes directrices de la Commission, p. 16 : « Une attention particulière doit également être accordée au fait que, dans plusieurs parties du monde, les femmes et les filles ont un accès moindre à l’éducation et pourraient avoir un niveau d’alphabétisation inférieur à celui des hommes. »

( 48 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 81).

( 49 ) L’interruption de séjour régulier peut entraîner des conséquences concernant la possibilité de demander une autorisation de séjour en tant que résident de longue durée et sur les droits à la citoyenneté néerlandaise qui requièrent une période de résidence légale et régulière sur le territoire de l’État membre.

( 50 ) En l’occurrence l’article 26, paragraphe 1, de la Vw 2000.

( 51 ) Italique ajouté par mes soins.

( 52 ) Voir par analogie arrêts du 17 juillet 2014, Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:2092, point 17), et du 12 avril 2018, A et S (C‑550/16, EU:C:2018:248, point 60).


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-257/17
Date de la décision : 27/06/2018
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Compétence de la Cour – Directive 2003/86/CE – Droit au regroupement familial – Article 15 – Refus d’octroi d’un titre de séjour autonome – Réglementation nationale prévoyant une obligation de réussir un examen d’intégration civique.

Politique d'immigration et d'asile

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Justice et affaires intérieures


Parties
Demandeurs : C et A
Défendeurs : Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:503

Source

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