CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 1er février 2018 ( 1 )
Affaire C‑325/16
Industrias Químicas del Vallés SA
contre
Administración General del Estado,
Sapec Agro SA
[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]
« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Rapprochement des législations – Directive 91/414/CEE – Directive 2010/28/UE – Mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques – Procédure de réévaluation, par les États membres, des produits phytopharmaceutiques autorisés – Délai – Prorogation »
I. Introduction
1. Les produits phytopharmaceutiques, qui appartiennent à la famille des pesticides, sont, selon la directive 91/414/CEE ( 2 ), les substances actives et les préparations contenant une ou plusieurs substances actives destinées, notamment, à protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles, ou à prévenir leur action ou à assurer la conservation des produits végétaux. L’annexe I de cette directive désigne les substances actives dont l’incorporation est autorisée dans
les produits phytopharmaceutiques commercialisés sur le territoire de l’Union européenne ( 3 ). Le métalaxyl, dont, notamment, les utilisations en tant que fongicide peuvent être autorisées, est l’une des substances inscrites à cette annexe I.
2. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 91/414, les produits phytopharmaceutiques ne peuvent être mis sur le marché et utilisés sur le territoire d’un État membre que s’ils ont été autorisés par les autorités compétentes de cet État membre, conformément aux dispositions de cette directive. À cet effet, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28/UE ( 4 ) prévoyait une date limite, fixée au 31 décembre 2010, afin de permettre aux États membres, le cas échéant, de modifier
ou de retirer, conformément à la directive 91/414, les autorisations existantes des produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl comme substance active.
3. Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) interroge la Cour pour la première fois sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 et, plus particulièrement, sur la nature juridique précise du délai prévu à cet article.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. La directive 91/414
4. L’article 6, paragraphe 2, de cette directive dispose :
« Un État membre qui reçoit une demande afin d’obtenir l’inclusion d’une substance active à l’annexe I, veille à ce qu’un dossier dont il suppose qu’il satisfait aux exigences de l’annexe II soit transmis sans délai excessif par l’intéressé aux autres États membres et à la Commission accompagné d’un dossier conforme à l’annexe III concernant au moins une préparation contenant cette substance active. La Commission saisit le comité phytosanitaire permanent, visé à l’article 19, de l’examen du
dossier. »
5. Aux termes de l’article 8, paragraphe 2, de ladite directive :
« Par dérogation à l’article 4 et sans préjudice des dispositions du paragraphe 3 et de la directive 79/117/CEE, un État membre peut, pendant une période de douze ans à compter de la date de notification de la présente directive, autoriser la mise sur le marché, sur son territoire, de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non visées à l’annexe I, qui sont déjà sur le marché deux ans après la date de notification de la présente directive.
[…] »
6. En vertu de l’article 8, paragraphe 2, dernier alinéa, de cette même directive :
« Au cours de la période de douze ans visée au premier alinéa, il peut être décidé, après examen de cette substance active par le comité visé à l’article 19 et selon la procédure prévue à ce même article, que ladite substance peut être incluse à l’annexe I et dans quelles conditions, ou lorsque les exigences de l’article 5 ne sont pas respectées ou que les informations et données requises n’ont pas été présentées au cours de la période prescrite, que cette substance active ne sera pas incluse à
l’annexe I. Les États membres assurent que les autorisations pertinentes sont accordées, retirées ou modifiées, selon le cas, au cours de la période prescrite. »
7. L’article 13, paragraphe 1, sous a) et b), l’article 13, paragraphe 3, sous d), et l’article 13, paragraphe 6, de la directive 91/414 disposent :
« 1. Sans préjudice des dispositions de l’article 10, les États membres exigent du demandeur d’une autorisation d’un produit phytopharmaceutique qu’il accompagne sa demande :
a) d’un dossier satisfaisant, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques, aux exigences visées à l’annexe III [ci-après le “dossier annexe III”]
et
b) pour chaque substance active contenue dans le produit phytopharmaceutique, d’un dossier satisfaisant, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques, aux exigences visées à l’annexe II [ci-après le “dossier annexe II”].
[…]
3. Lorsqu’ils accordent une autorisation, les États membres n’utilisent pas les informations visées à l’annexe II au profit d’autres demandeurs :
[…]
d) pendant une période de cinq ans à compter de la date de la décision faisant suite à la réception des informations supplémentaires nécessaires pour la première inscription à l’annexe I, ou pour modifier les conditions d’inscription d’une substance active à l’annexe I, ou pour maintenir cette inscription, sauf si cette période expire avant la période prévue au paragraphe 3[,] points b) et c), auquel cas la période de cinq ans est prolongée de manière à ce que sa date d’expiration coïncide avec
celle de ces périodes.
[…]
6. Par dérogation au paragraphe 1, pour les substances actives déjà sur le marché deux ans après la notification de la présente directive, les États membres pourront continuer, dans le respect des dispositions du traité, d’appliquer les règles nationales antérieures concernant les exigences en matière d’informations tant que ces substances ne seront pas inscrites à l’annexe I. »
2. La directive 2010/28
8. Aux termes des considérants 7 à 9 de la directive 2010/28 :
« (7) Il convient de prévoir un délai raisonnable avant l’inscription d’une substance active à l’annexe I pour permettre aux États membres et aux parties intéressées de se préparer aux nouvelles exigences qui en découleront.
(8) Sans préjudice des obligations prévues par la directive 91/414/CEE en cas d’inscription d’une substance active à l’annexe I, les États membres doivent disposer d’un délai de six mois après l’inscription pour réexaminer les autorisations existantes des produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl, afin de garantir le respect des dispositions de la directive 91/414/CEE, notamment de son article 13 et des conditions applicables fixées à l’annexe I. Selon les cas, les États membres
doivent modifier, remplacer ou retirer les autorisations existantes, conformément aux dispositions de la directive 91/414/CEE. Par dérogation au délai précité, il convient de prévoir un délai plus long pour la présentation et l’évaluation du dossier complet, visé à l’annexe III, de chaque produit phytopharmaceutique pour chaque utilisation envisagée, conformément aux principes uniformes énoncés dans la directive 91/414/CEE.
(9) L’expérience issue des précédentes inscriptions à l’annexe I de la directive 91/414/CEE de substances actives évaluées dans le cadre du règlement (CEE) no 3600/92 ( 5 ) montre que l’interprétation des obligations incombant aux détenteurs d’autorisations existantes en ce qui concerne l’accès aux données peut être problématique. Il paraît dès lors nécessaire, pour éviter toute nouvelle difficulté, de préciser les devoirs des États membres, notamment celui de vérifier que le détenteur d’une
autorisation démontre avoir accès à un dossier satisfaisant aux exigences de l’annexe II de ladite directive. Toutefois, cette précision n’impose pas de nouvelles obligations aux États membres ou aux détenteurs d’autorisations par rapport aux directives qui ont été adoptées jusqu’ici pour modifier l’annexe I. »
9. L’article 3 de cette directive prévoit :
« 1. S’il y a lieu, les États membres modifient ou retirent, conformément à la directive 91/414/CEE, les autorisations existantes de produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl en tant que substance active pour le 31 décembre 2010.
Pour cette date, ils vérifient notamment que les conditions de l’annexe I de ladite directive concernant le métalaxyl sont respectées, à l’exception de celles de la partie B de l’inscription concernant cette substance active, et que le détenteur de l’autorisation possède un dossier, ou a accès à un dossier, satisfaisant aux exigences de l’annexe II de ladite directive conformément aux conditions de son article 13.
2. Par dérogation au paragraphe 1, tout produit phytopharmaceutique autorisé contenant du métalaxyl en tant que substance active unique ou associée à d’autres substances actives, toutes inscrites à l’annexe I de la directive 91/414/CEE au plus tard le 30 juin 2010, fait l’objet d’une réévaluation par les États membres, conformément aux principes uniformes prévus à l’annexe VI de ladite directive, sur la base d’un dossier satisfaisant aux exigences de son annexe III et tenant compte de la
partie B de l’inscription concernant le métalaxyl à son annexe I. En fonction de cette évaluation, les États membres déterminent si le produit remplit les conditions énoncées à l’article 4, paragraphe 1, points b), c), d) et e), de la directive 91/414/CEE.
[…] »
10. L’article 4 de ladite directive est libellé comme suit :
« La présente directive entre en vigueur le 1er juillet 2010. »
3. Le droit espagnol
11. La Ley 30/1992 de Régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo Común (loi 30/1992, relative au régime juridique des administrations publiques et à la procédure administrative commune), du 26 novembre 1992 ( 6 ), dispose à son article 49, paragraphe 3 :
« La demande des intéressés visant à obtenir une prorogation du délai ainsi que la décision statuant sur cette demande interviennent en tout état de cause avant l’expiration du délai en question. Un délai ayant expiré ne peut en aucun cas faire l’objet d’une prorogation. […] »
III. Les faits à l’origine du litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
12. Industrias Químicas del Vallés SA (ci-après « IQV ») est une société de droit espagnol dont l’activité économique est la production et la commercialisation de produits chimiques et phytopharmaceutiques. Elle importe notamment du métalaxyl en Espagne et commercialise dans plusieurs États membres des produits contenant cette substance active.
13. Sapec Agro SA est une société de droit portugais active dans le développement de produits et de solutions phytosanitaires, et de phytonutriments. Elle est titulaire d’autorisations de développement de produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl.
14. Le 2 mai 2003, la Commission européenne a adopté la décision 2003/308/CE concernant la non-inscription du métalaxyl à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil et le retrait des autorisations accordées aux produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active ( 7 ).
15. Cette décision a été annulée par la Cour dans l’affaire Industrias Químicas del Vallés/Commission ( 8 ). À la suite de cette annulation, la Commission a adopté la directive 2010/28, modifiant la directive 91/414, en vue d’y inscrire la substance active métalaxyl.
16. Le 30 avril 2010, une procédure de réexamen d’office a été lancée en Espagne concernant les autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques contenant comme substance active du métalaxyl, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28.
17. À cet égard, IQV a présenté une demande de réenregistrement de ses produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl auprès de l’administration espagnole, accompagnée d’un dossier que ces autorités ont déclaré complet au regard des exigences de l’annexe II de la directive 91/414.
18. Le 29 juin 2010, Sapec Agro a également présenté une demande de réenregistrement de ses produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl ( 9 ).
19. Le 30 décembre 2010, à savoir un jour avant l’expiration du délai du 31 décembre 2010 prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28, Sapec Agro a demandé à l’administration espagnole de lui accorder un délai supplémentaire afin de compléter le dossier qu’elle avait soumis, au regard des exigences de l’annexe II de la directive 91/414. Sapec Agro a justifié sa demande par les difficultés rencontrées avec la documentation du dossier instruit par la République portugaise en tant
qu’État membre rapporteur.
20. Le 3 mars 2011, l’administration espagnole a accordé à Sapec Agro la prorogation demandée.
21. Par décision du 5 avril 2011, la Dirección General de Recursos Agrícolas y Ganaderos (direction générale des ressources agricoles et de l’élevage, Espagne) a déclaré que le dossier soumis par Sapec Agro relatif à la substance active métalaxyl était complet au regard des exigences de l’annexe II de la directive 91/414.
22. Le 9 mai 2011, IQV a formé un recours hiérarchique contre cette décision devant la Secretaría General de Medio Rural del Ministerio de Medio Ambiente, y Medio Rural y Marino (secrétariat général des affaires rurales du ministère de l’Environnement et du Milieu rural et marin, Espagne). Ce recours a été rejeté par la décision du 7 novembre 2011 pour défaut de qualité pour agir, en retenant que l’intérêt d’IQV était exclusivement concurrentiel.
23. IQV a formé un recours contentieux administratif contre cette décision de rejet, qui a également été rejeté le 22 janvier 2014 par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne) pour défaut de qualité pour agir.
24. IQV s’est pourvue en cassation devant le Tribunal Supremo (Cour suprême) en soutenant, notamment, que l’impossibilité de proroger le délai ayant expiré le 31 décembre 2010 non seulement découle du libellé de la directive 2010/28, mais est également justifiée par la nécessité de protéger les investissements réalisés pour produire les données devant être communiquées aux fins de l’évaluation de la substance active par la Commission ou du produit phytosanitaire par l’État membre.
25. Selon Sapec Agro et l’administration compétente, le délai en cause serait susceptible d’être prorogé, ainsi que cela ressortirait de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Industrias Químicas del Vallés/Commission ( 10 ).
26. La juridiction de renvoi a constaté qu’il était nécessaire, aux fins de résoudre le litige dont elle est saisie, d’interpréter l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 à la lumière du considérant 8 de cette directive. La juridiction de renvoi indique que l’arrêt Industrias Químicas del Vallés/Commission ( 11 ) apparaît comme le précédent le plus pertinent et semble militer en faveur de la prorogation.
27. Toutefois, cette juridiction estime que, à la différence de cette affaire, les faits en cause dans l’affaire au principal concernent non pas un comportement contradictoire des autorités ayant entraîné une confusion à l’égard de la partie concernée, mais un délai qui, ainsi que la directive 2010/28 le précise à de multiples reprises, vient à expiration le 31 décembre 2010.
28. Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême), par jugement du 6 mai du 2016, parvenu au greffe de la Cour le 9 juin 2016, a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La date limite prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 (“pour le 31 décembre 2010”), et à l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette même directive (“pour cette date”), faisant référence également à la date du 31 décembre 2010, lus en combinaison avec le délai de six mois visé au considérant 8 de la directive 2010/28, constitue-t-elle un délai impératif en raison de l’objectif visé par le système de la directive 91/414, qui fait obstacle à ce que les États
membres puissent le proroger, de sorte que sa computation est exclusivement déterminée par la directive ?
2) Si l’on considère que ce délai peut être prorogé, la décision de prorogation dudit délai doit-elle être adoptée indépendamment des règles de procédure spécifiques régissant sa présentation et son adoption, ou bien, cette décision relevant de la compétence des États membres, ces derniers doivent-ils statuer conformément à leur législation interne dans la mesure où ils sont les destinataires des dispositions relatives à la procédure prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive ? »
29. Des observations écrites ont été déposées par IQV, par le gouvernement espagnol ainsi que par la Commission.
30. IQV, Sapec Agro, le gouvernement espagnol, ainsi que la Commission ont été entendus en leurs observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 9 novembre 2017.
IV. Analyse
A. Sur la recevabilité
31. La présente affaire soulève tout d’abord la question de la recevabilité de la demande préjudicielle. En effet, la juridiction de renvoi indique que tant l’autorité administrative compétente que la juridiction de première instance ont conclu à l’absence de qualité pour agir d’IQV et qu’elle-même n’a pas encore examiné cette question, les questions préjudicielles n’étant posées que dans l’hypothèse où un tel intérêt à agir serait reconnu. Toutefois, la juridiction de renvoi fait valoir que
l’absence de qualité pour agir invoquée par l’administration est dénuée de pertinence aux fins du renvoi préjudiciel.
32. Je note, à cet égard, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de juger, à la lumière de son droit national, du maintien ou non d’un intérêt à agir dans la procédure au principal. L’appréciation de cette question n’appartient pas à la Cour. La Cour ne peut refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale que s’il apparaît de manière manifeste que cette question est de nature hypothétique ( 12 ).
33. Dans la présente affaire, il existe un lien suffisant avec l’objet de la procédure au principal, IQV ayant invoqué, dans ses observations écrites et orales devant la Cour, les dispositions du droit de l’Union évoquées dans les questions préjudicielles et Sapec Agro ayant contesté cette argumentation dans ses observations orales. Les questions de droit soulevées peuvent être appréciées à la lumière des indications de la juridiction de renvoi sur les faits et sur l’état de droit.
34. Je considère donc que la demande de décision préjudicielle est recevable.
B. Sur le fond
1. Observations liminaires
35. La procédure écrite et la procédure orale ont permis d’approfondir tous les aspects de cette affaire. Par conséquent, avant d’examiner la nature du délai en cause établie par la directive 2010/28, il m’apparaît utile de faire le point sur la directive 91/414 et, plus généralement, sur les directives relatives à l’inscription d’une substance active à l’annexe I de cette directive.
a) La directive 91/414
36. Il convient de rappeler d’emblée que la directive 2010/28 constitue une directive d’exécution de la directive 91/414. Cette dernière concerne l’autorisation, la mise sur le marché, l’utilisation et le contrôle à l’intérieur de l’Union de produits phytopharmaceutiques présentés sous leur forme commerciale. La directive 91/414 a pour objectif d’éviter la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques ayant des effets négatifs inacceptables sur les végétaux et sur les produits végétaux, sur
l’environnement, sur la santé humaine ou animale et sur les eaux souterraines.
37. Pour atteindre cet objectif, la directive 91/414 régit notamment deux types distincts d’autorisations. D’une part, l’autorisation et l’utilisation de substances actives telles que définies à l’article 2, paragraphe 4, de cette directive et, d’autre part, l’autorisation des produits phytopharmaceutiques dans lesquels ces substances ont été incorporées.
38. Pour ce qui est de l’inscription de substances actives à l’annexe I de la directive 91/414, il convient de rappeler que celle-ci est régie par l’article 6 de cette directive. C’est la Commission qui est responsable de cette inscription au moyen de « directives d’inscription » modifiant ladite annexe I (comme, en l’espèce, la directive 2010/28). Si nécessaire, la Commission prévoit, conformément à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/414, les exigences relatives à l’utilisation de la
substance en cause. Les demandes d’inscription de substances actives à l’annexe I doivent être accompagnées de deux dossiers techniques distincts : l’un, très détaillé, devant remplir les conditions énoncées à l’annexe II de la directive 91/414 ( 13 ), nécessaire aux fins d’évaluer les risques prévisibles de la substance sur les personnes, les animaux ou l’environnement, et l’autre concernant au moins une préparation contenant cette substance active, qui satisfait aux conditions énoncées à
l’annexe III de cette directive ( 14 ).
39. En ce qui concerne l’autorisation de produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives, il convient de rappeler que, conformément à l’article 4 de la directive 91/414, les États membres autorisent uniquement la commercialisation des produits phytopharmaceutiques dont les « substances actives sont énumérées à l’annexe I » et qui satisfont aux exigences énumérées à cette annexe ( 15 ). Si ce n’est pas le cas, ces produits ne peuvent pas être autorisés par les États membres.
Conformément à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 91/414, toute demande d’autorisation de ces produits doit être accompagnée d’un dossier annexe III et, pour chaque substance active contenue dans le produit phytopharmaceutique, d’un dossier annexe II.
40. La directive 91/414 prévoit également une série de mesures transitoires. Ainsi, l’article 8, paragraphe 2, de cette directive permet aux États membres d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives ne figurant pas à l’annexe I, qui sont déjà sur le marché deux ans après la date de notification de cette directive, telles que le métalaxyl ( 16 ). Plus précisément, l’article 13, paragraphe 6, de la directive 91/414 prévoit une dérogation à
l’obligation, prévue à l’article 13, paragraphe 1, de cette directive, selon laquelle les demandes d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent être accompagnées des dossiers annexes II et III de la directive 91/414 (à moins d’être accessibles par le détenteur d’autorisations existantes). Cette dérogation est valable tant que la substance active déjà sur le marché deux ans après la notification de ladite directive n’est pas inscrite à l’annexe I.
41. Ces mesures transitoires cessent d’être applicables au moment de l’entrée en vigueur d’une directive d’inscription d’une substance active à l’annexe I, la règle applicable étant alors à nouveau celle figurant à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 91/414. À partir de ce moment, les États membres sont tenus, d’une part, de s’assurer que les demandes de nouvelles autorisations sont accompagnées des dossiers annexes II et III, et, d’autre part, de vérifier que les détenteurs des
autorisations existantes disposent de ces dossiers ou y ont accès.
b) Les directives d’inscription et la directive 2010/28
42. Ainsi que l’a fait observer à juste titre la Commission dans ses observations écrites, l’application immédiate d’une directive d’inscription modifierait radicalement, du jour au lendemain, la situation juridique des détenteurs d’autorisations existantes. Pour cette raison, afin de permettre aux États membres et aux opérateurs de prendre les mesures nécessaires à l’égard des autorisations en vigueur, les directives d’inscription définissent une série de délais.
43. En premier lieu, une directive d’inscription n’entre en vigueur que plusieurs mois après sa publication ( 17 ). En ce qui concerne la directive 2010/28, elle a été publiée le 24 avril 2010 et est entrée en vigueur le 1er juillet 2010 ( 18 ).
44. En second lieu, les États membres disposent d’un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la directive d’inscription pour la transposer en droit national. S’agissant de la directive 2010/28, son article 2 imposait aux États membres de mettre en vigueur, au plus tard le 31 décembre 2010, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive. L’adoption de ces dispositions nationales implique le respect intégral des
obligations qui découlent de la directive 91/414 après l’inscription d’une substance active à l’annexe I et, en particulier, la conformité des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active en cause à ladite directive.
45. La vérification de la conformité des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active à la directive 91/414 suppose, premièrement, la vérification du fait que la variante utilisée de la substance en question respecte les conditions prévues à l’annexe I, c’est-à-dire celles relatives à la pureté et celles établies dans la partie A (substances chimiques) de l’inscription correspondante ( 19 ). Par conséquent, le délai fixé par les directives d’inscription, en général à l’article 2, pour
leur transposition en droit national est le même que le délai qu’elles fixent, de manière générale, à l’article 3, paragraphe 1, afin de vérifier que la variante spécifique de la substance active (en l’espèce, le métalaxyl) contenue dans le produit satisfait aux conditions de l’annexe I de la directive 91/414.
46. La Commission explique à cet égard que les États membres peuvent contrôler les utilisations spécifiques de la substance active en se fondant sur les données dont ils disposent déjà concernant les autorisations qu’ils ont octroyées avant l’inscription de la substance active à l’annexe I de la directive 91/414 sur le fondement de l’article 8, paragraphe 2, de cette directive ( 20 ). En revanche, le contrôle du niveau de pureté de la substance active ne peut être réalisé que sur la base d’un
dossier annexe II ( 21 ). Ainsi, l’article 6, paragraphe 2, et l’article 13, paragraphe 1, sous b), de la directive 91/414 exigent la présentation de ce dossier pour, respectivement, l’approbation d’une substance active et l’autorisation des produits phytopharmaceutiques qui la contiennent. Dès lors, les directives d’inscription fixent le même délai pour présenter le dossier annexe II et pour vérifier les conditions de l’annexe I, à savoir, comme indiqué plus haut, la date limite pour la
transposition de la directive d’inscription, qui est fixée au 31 décembre 2010 ( 22 ).
47. Secondement, la vérification susmentionnée nécessite de vérifier que le produit phytopharmaceutique lui-même, et non plus seulement la substance active qu’il contient, est conforme à la directive 91/414 et, en particulier, qu’il a été évalué conformément aux principes uniformes énoncés à l’annexe VI de cette directive et qu’il remplit les conditions énoncées à l’article 4, paragraphe 1, sous b) à e), de cette même directive.
48. Selon la Commission, théoriquement, cette « nouvelle évaluation » devrait être prête au moment de la transposition de la directive d’inscription. Or, dans la pratique, le nombre de produits phytopharmaceutiques à réévaluer et la charge de travail découlant de cette nouvelle évaluation sont tels que l’on ne saurait raisonnablement s’attendre à ce que les États membres finalisent cette dernière dans le délai de transposition (sauf si un délai de transposition extrêmement long est prévu). Par
conséquent, comme l’indiquent les considérants des directives d’inscription, et plus concrètement le considérant 8 de la directive 2010/28, il est nécessaire d’accorder un délai plus long aux opérateurs et aux États membres pour, respectivement, présenter et évaluer le dossier annexe III complet pour chaque produit phytopharmaceutique et chaque utilisation qui en est proposée. En règle générale, ce délai expire quatre ans après l’entrée en vigueur de la directive d’inscription. S’agissant de la
directive 2010/28, la date limite, fixée au 30 juin 2014, figure à l’article 3, paragraphe 2.
2. Sur les questions préjudicielles
49. Par ses questions préjudicielles, le Tribunal Supremo (Cour suprême) souhaite savoir quelle est l’interprétation à donner à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 à la lumière du considérant 8 de cette directive.
50. En particulier, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si le délai fixé au 31 décembre 2010, prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28, est une date limite impérative ou si un tel délai peut être prorogé par les États membres. Dans le cadre de sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaite déterminer les conditions dans lesquelles il convient d’octroyer une telle prorogation. Toutefois, cette dernière question n’est posée que
dans l’hypothèse où le délai en cause serait prorogeable.
51. Il importe de préciser d’emblée que IQV et la Commission ont soutenu, dans leurs observations écrites, le fait que la date limite prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 constituait un délai impératif que les États membres ne peuvent pas proroger, tandis que Sapec Agro et le gouvernement espagnol s’accordent à dire que le délai prévu par cette directive n’est pas un délai impératif. Le gouvernement espagnol considère, en conséquence, que ledit délai est susceptible de donner
lieu à une prorogation selon les règles du droit procédural des États membres, dans tous les cas pour des motifs dûment justifiés, eu égard aux circonstances de chaque cas d’espèce et dans le respect des principes régissant la directive 91/414.
3. Analyse du délai prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28
52. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 23 ).
a) Sur la lecture littérale de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28
53. L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 prévoit clairement que « les États membres modifient ou retirent, conformément à la directive [91/414], les autorisations existantes de produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl en tant que substance active pour le 31 décembre 2010 ». En outre, le deuxième alinéa de cette disposition dispose que « [p]our cette date [le 31 décembre 2010], [les États membres] vérifient notamment que les conditions de l’annexe I de ladite directive
concernant le métalaxyl sont respectées, à l’exception de celles de la partie B de l’inscription concernant cette substance active, et que le détenteur de l’autorisation possède un dossier, ou a accès à un dossier, satisfaisant aux exigences de l’annexe II de ladite directive conformément aux conditions de son article 13 ».
54. Le libellé de cette disposition suffit, en principe, à indiquer que la date du 31 décembre 2010 exprime une date limite impérative qui ne peut pas être prorogée par les États membres. On peut néanmoins se demander si l’économie, la finalité et le contexte réglementaire de la directive 2010/28 corroborent ou non cette interprétation.
b) Sur la lecture contextuelle de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28
55. Il convient d’interpréter le délai prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 également au regard de l’économie générale de cette directive.
56. En premier lieu, ainsi que cela est rappelé au point 43 des présentes conclusions, la directive 2010/28 est entrée en vigueur le 1er juillet 2010. Son article 2 dispose que les États membres devaient, au plus tard le 31 décembre 2010, transposer dans leurs droits nationaux cette directive. Cette date était également la date limite prévue par la Commission à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 en vue de permettre aux États membres de réexaminer les autorisations existantes des
produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl en tant que substance active. Par conséquent, ainsi qu’il ressort des points 45 et 46 des présentes conclusions, la directive 2010/28 fixe le même délai, à savoir le 31 décembre 2010, pour sa transposition (article 2) et pour la modification ou le retrait par les États membres des autorisations existantes de produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl en tant que substance active après présentation du dossier annexe II et vérification
des conditions visées à l’annexe I (article 3, paragraphe 1).
57. Il est donc clair à mes yeux que le fait de permettre aux États membres de ne pas respecter le délai établi à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 irait à l’encontre de la logique même qui sous-tend cette directive selon laquelle son délai de transposition coïncide avec le délai fixé pour permettre aux États membres de modifier ou de retirer les autorisations existantes de produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl.
58. En deuxième lieu, il convient également de rappeler que, si, au terme de ce délai, le titulaire d’une autorisation existante de produit phytopharmaceutique contenant du métalaxyl ne parvenait pas à établir qu’il remplissait les conditions de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28, notamment qu’il disposait d’un dossier annexe II ou qu’il y avait accès, cela entraînerait la modification ou le retrait de cette autorisation. Le cadre uniforme établi par cette disposition de la directive
2010/28, dans l’ensemble de l’Union, qui comprend les conditions dans lesquelles les États membres procèdent à la modification ou au retrait des autorisations de produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl, ainsi que les obligations imposées aux détenteurs de ces autorisations quant à la présentation des dossiers relatifs audits produits, serait gravement affecté si les États membres pouvaient proroger le délai du 31 décembre 2010.
59. En troisième lieu, il convient d’analyser la position défendue par le gouvernement espagnol. Celui-ci considère que le délai prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 était susceptible de donner lieu à une prorogation par les États membres dans tous le cas pour des motifs dûment justifiés.
60. Je ne suis pas convaincu par une telle approche.
61. Ainsi qu’il ressort des points 47 et 48 des présentes conclusions, l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2010/28 prévoit une procédure de réévaluation des produits phytopharmaceutiques autorisés contenant du métalaxyl en tant que substance active. Pour cette procédure, cette disposition fixe un délai plus long, « [p]ar dérogation au paragraphe 1 », qui expire quatre ans après l’entrée en vigueur de cette directive, à savoir le 30 juin 2014.
62. Il me semble dès lors légitime de se poser la question suivante : cette dérogation serait-elle pertinente si, comme l’indique le gouvernement espagnol, le délai prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 était susceptible de prorogation par les États membres dans tous les cas pour des motifs dûment justifiés ?
63. La réponse à cette question me semble évidente, et ce d’autant plus que, je le rappelle, ce délai est le même que celui prévu pour la transposition de la directive 2010/28.
64. Cette position est corroborée par le considérant 8 de la directive 2010/28 qui énonce que, « [s]ans préjudice des obligations prévues par la directive 91/414/CEE en cas d’inscription d’une substance active à l’annexe I, les États membres doivent disposer d’un délai de six mois après l’inscription pour réexaminer les autorisations existantes des produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl, afin de garantir le respect des dispositions de la directive 91/414/CEE, notamment de son
article 13 et des conditions applicables fixées à l’annexe I. [...]» ( 24 ).
65. En quatrième et dernier lieu, il convient de tenir compte également de l’article 8, paragraphe 2, dernier alinéa, de la directive 91/414, aux termes duquel, après que la Commission a adopté la décision d’inclure ou de ne pas inclure une de ces substances actives à l’annexe I, « les États membres assurent que les autorisations pertinentes des produits phytopharmaceutiques sont accordées, retirées ou modifiées, selon le cas, au cours de la période prescrite» ( 25 ).
66. En effet, les obligations de l’État membre, et en particulier les conséquences attachées au fait que le titulaire de l’autorisation déclare ne pas disposer d’un dossier annexe II de la directive 91/414 ou de ne pas y avoir accès, avant l’expiration du délai fixé à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28, pour que l’État membre adopte sa décision, ressortent clairement des dispositions et des considérants précités de la directive 2010/28, ainsi que des articles 4 et 13 de la directive
91/414.
67. Dès lors, replacé dans son contexte, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 doit être interprété en ce sens que la date du 31 décembre 2010 qu’il prévoit exprime une date limite impérative insusceptible de faire l’objet d’une prorogation par les États membres. Au regard de l’économie de la directive 91/414 et de la directive 2010/28, il n’appartient pas aux États membres de décider qu’il convient d’adopter des mesures moins restrictives que le retrait d’une autorisation de mise sur
le marché d’un produit.
68. Cette interprétation permet également d’atteindre l’objectif poursuivi par la directive 2010/28, comme je vais l’exposer ci-après.
c) Sur la lecture téléologique de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28
69. Je rappelle tout d’abord que, lorsqu’une directive d’exécution, telle la directive 2010/28, exige une interprétation, celle-ci doit, dans la mesure du possible, être conforme aux dispositions de la directive de base ( 26 ).
70. À cet égard, les cinquième, sixième et neuvième considérants de la directive 91/414 rappellent que la finalité de cette directive est d’éliminer les entraves aux échanges entre les États membres de l’Union de produits phytopharmaceutiques, tout en maintenant un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine et animale ( 27 ).
71. Ainsi que cela a été déjà exposé, cette finalité est assurée, d’une part, par l’exigence posée par la directive 91/414 d’une présentation par le demandeur du dossier annexe II, tant pour l’inscription d’une substance active à l’annexe I que pour l’autorisation de produits phytopharmaceutiques ( 28 ), et, d’autre part, par la faculté ouverte à la Commission de fixer des conditions d’utilisation d’une substance active inscrite à l’annexe I afin d’en garantir la sécurité d’utilisation ( 29 ). Par
conséquent, le non-respect du délai fixé à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 – et, il est important de le rappeler, d’autres directives d’inscription – serait contraire à ladite finalité dans la mesure où les produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives qui ne remplissent pas les exigences de l’annexe I de la directive 91/414 et qui pourraient notamment contenir des impuretés toxiques excédant le seuil fixé par la Commission pourraient rester sur le marché
au-delà de la date de transposition de la directive 2010/28 en droit national.
72. Il est donc clair que les États membres ne sont habilités ni à proroger ledit délai ni à attacher une conséquence à l’expiration de celui-ci qui ne serait pas celle prévue par le législateur de l’Union de manière uniforme pour l’ensemble des États membres ( 30 ). Par conséquent, le fait d’autoriser les États membres à proroger le délai du réexamen prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 est, à mon avis, contraire à l’objectif poursuivi par la directive 91/414.
73. De plus, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre dans ses observations, plus de huit mois se sont écoulés entre la date d’adoption de la directive 2010/28 et la fin du délai fixé à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, période qui visait précisément à permettre aux titulaires des autorisations de rassembler les informations nécessaires et aux États membres de prendre une décision. Une fois expiré le délai de transposition de la directive 2010/28 en droit national et en vue
de l’adoption de la décision de réexamen des autorisations existantes, tout produit pour lequel un dossier annexe II n’aurait pas été présenté doit être retiré du marché ( 31 ).
74. Contrairement à ce que soutient le gouvernement espagnol, je pense que cette interprétation ne va aucunement à l’encontre de l’objectif de la directive 91/414, puisque celle-ci permet à la fois de respecter les droits du notifiant et de garantir que les produits phytopharmaceutiques pour lesquels le dossier nécessaire n’a pas été remis ne soient pas mis sur le marché.
75. Par conséquent, il résulte des points 69 à 74 des présentes conclusions qu’une interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28 selon laquelle les États membres pourraient ne pas respecter le délai prévu à cet article irait à l’encontre de l’objectif réglementaire poursuivi par le législateur de l’Union.
4. Sur les obligations des États membres dans le cadre de la procédure de réévaluation des produits phytopharmaceutiques autorisés
76. La Cour a déjà abordé à plusieurs occasions la question de savoir quelles sont les obligations des États membres relatives aux autorisations existantes de produits phytopharmaceutiques après l’inscription d’une substance à l’annexe I de la directive 91/414 ( 32 ). Les arrêts de la Cour prononcés jusqu’à ce jour peuvent nous offrir quelques indications utiles aux fins de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28.
77. Dans la première affaire, ayant donné lieu à l’arrêt Industrias Químicas del Vallés/Commission ( 33 ), la Cour a annulé la décision 2003/308.
78. En l’espèce, à la différence d’IQV et de la Commission, Sapec Agro a fait valoir lors de l’audience que, dans cet arrêt, la Cour se serait prononcée sur la possibilité de proroger le délai en cause en tenant compte des circonstances de l’espèce, en l’occurrence du comportement contradictoire des autorités compétentes.
79. Il convient, à cet égard, de souligner que cet argument semble être fondé sur une compréhension erronée dudit arrêt.
80. Premièrement, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Industrias Químicas del Vallés/Commission concernait un délai fixé par la Commission, dans le cadre de la procédure devant cette institution, pour l’inscription d’une substance active à l’annexe I de la directive 91/414 ( 34 ) et la possibilité pour cette dernière, et non pour les États membres, de modifier ce délai ( 35 ). En revanche, dans l’affaire au principal, qui porte sur la procédure au niveau des États membres, il s’agit de savoir si,
en ce qui concerne un délai fixé par la Commission, les États membres peuvent, unilatéralement, proroger ce dernier ( 36 ).
81. Deuxièmement, dans l’arrêt Industrias Químicas del Vallés/Commission, la Cour s’était fondée sur le fait que les autorités compétentes avaient placé le demandeur dans une situation imprévue et complexe, et avaient eu un comportement contradictoire, circonstance qui, selon la Cour, n’avait pas été prise en considération lorsque la Commission avait décidé d’adopter la décision litigieuse et de refuser la prorogation dudit délai ( 37 ). Au contraire, dans l’affaire au principal, le demandeur fait
valoir une prétendue difficulté à parvenir à une complétude du dossier complet, alors que l’obligation de présenter un tel dossier était établie dès le début de la procédure.
82. D’ailleurs, il convient de rappeler que la juridiction de renvoi souligne que, dans l’affaire pendante devant elle, Sapec Agro n’a pas eu à souffrir d’une quelconque confusion due à un comportement contradictoire ( 38 ).
83. Dans la seconde affaire, ayant donné lieu à l’arrêt Feinchemie Schwebda et Bayer CropScience ( 39 ), concernant la directive 91/414 et une directive d’inscription ( 40 ), dont l’article 1er inscrivait à son annexe I la substance active « éthofumesate », il s’agissait de savoir si les États membres étaient tenus, dans le délai prévu par cette dernière directive, de mettre fin à l’autorisation existante d’un produit phytopharmaceutique contenant ladite substance au motif que le titulaire de cette
autorisation n’était pas en possession, aux fins du réexamen de celle-ci, d’un dossier annexe II ou n’avait pas accès à un tel dossier.
84. Plus précisément, en se fondant sur le libellé de la disposition en cause ( 41 ), laquelle n’indiquait pas que les États membres devaient vérifier, dans le délai prévu pour réexaminer les autorisations existantes de produits phytopharmaceutiques, si les titulaires disposaient du dossier annexe II ou y avaient accès ( 42 ), la Cour a jugé que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/37 devait être interprété en ce sens qu’il n’imposait pas aux États membres de mettre fin, avant le délai
prévu, à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique contenant de l’éthofumesate au motif que le titulaire de cette autorisation n’était pas en possession d’un dossier annexe II ou qu’il n’avait pas accès à un tel dossier ( 43 ).
85. Cependant, la question litigieuse dans cette affaire était de savoir non pas si le délai fixé par la directive d’inscription était impératif à l’égard des États membres, aux fins de la vérification du respect des obligations incombant aux titulaires des autorisations existantes de posséder un dossier annexe II ou d’y avoir accès, comme c’est le cas en l’espèce, mais ce que lesdits États membres étaient tenus de faire dans ce délai.
86. En l’occurrence, la directive 2010/28, qui mentionne le dossier précité à son article 3, paragraphe 1, ainsi qu’à son considérant 9, indique expressément que les États membres doivent vérifier que les détenteurs d’autorisations disposent d’un tel dossier.
87. Deux derniers aspects pertinents, qui ont été clarifiés lors de l’audience par la Commission, méritent, à mon avis, d’être mentionnés : il s’agit, d’une part, des obligations de l’État membre rapporteur et, d’autre part, de la possibilité de suspension des effets des autorisations de produits phytopharmaceutiques mis sur le marché mentionnée par Sapec Agro et par le gouvernement espagnol.
88. En ce qui concerne les obligations de l’État membre rapporteur, la République portugaise, Sapec Agro et le gouvernement espagnol ont relevé que cet État membre aurait lui-même eu du retard ( 44 ).
89. La Commission a expliqué à cet égard, que, pour chaque substance, un État membre rapporteur intervient lors de la phase d’autorisation de substances actives et rédige un premier rapport. En revanche, en ce qui concerne la phase de réexamen des autorisations par les États membres, la directive 2010/28 n’attribue aucun rôle à l’État membre rapporteur. Cependant, compte tenu du fait que cet État membre rapporteur connaît bien la substance en cause, les lignes directrices de la Commission proposent
aux États membres un accord informel qui prévoit que l’examen de l’équivalence pour toutes les substances sur le marché puisse être réalisé par ledit État membre rapporteur, alors que formellement cette obligation revient à chaque État membre individuellement ( 45 ).
90. Il convient donc de ne pas assimiler cet accord informel intervenant entre les États membres, en vue de faciliter le travail de ces derniers – qui n’est pas prévu par la directive 2010/28 –, à une obligation formelle dudit État membre. Par conséquent, la République portugaise n’avait pas d’autres obligations que celles visées au point précédent en ce qui concerne la phase d’autorisation.
91. S’agissant de la possibilité de suspension des effets des autorisations de produits phytopharmaceutiques, le gouvernement espagnol a suggéré, dans ses observations écrites et orales, que la suspension de l’autorisation de Sapec Agro était une mesure alternative à la révocation de cette autorisation.
92. Toutefois, je rappelle qu’une telle suspension n’est prévue ni par la directive 2010/28 ni par la directive 91/414. En effet, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 91/414, qui est la disposition pertinente à cet égard, dispose que les États membres « assurent que les autorisations pertinentes sont accordées, retirées ou modifiées, selon le cas, au cours de la période prescrite », sans nullement prévoir la suspension des effets des autorisations ( 46 ).
93. À mon sens, il résulte clairement des points 52 à 75 des présentes conclusions que les États membres ne peuvent pas proroger un délai fixé par la Commission pour tous les États membres, qui s’applique à toutes les autorisations de produits phytopharmaceutiques.
94. Dès lors, je considère qu’il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle que la date du 31 décembre 2010, prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28, exprime une date limite impérative et qu’un tel délai ne peut pas être prorogé par les États membres.
95. Étant donné ma proposition de réponse à cette première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde.
V. Conclusion
96. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) comme suit :
La date du 31 décembre 2010, prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2010/28/UE de la Commission, du 23 avril 2010, modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en vue d’y inscrire la substance active métalaxyl doit être interprétée en ce sens qu’elle exprime une date limite impérative et qu’un tel délai ne peut pas être prorogé par les États membres.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Directive du Conseil du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1). Cette directive a été abrogée par le règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil (JO 2009, L 309, p. 1).
( 3 ) Aux termes de l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la directive 91/414, les substances actives sont les éléments chimiques, leurs composés, les micro-organismes et les virus exerçant une action générale ou spécifique sur les organismes nuisibles ou sur les végétaux, parties de végétaux ou produits de végétaux.
( 4 ) Directive de la Commission du 23 avril 2010 modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en vue d’y inscrire la substance active métalaxyl (JO 2010, L 104, p. 57).
( 5 ) Règlement de la Commission du 11 décembre 1992 établissant les modalités de mise en œuvre de la première phase du programme de travail visé à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 91/414/CEE (JO 1992, L 366, p. 10).
( 6 ) La Ley 30/1992 de Régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo Común (loi 30/1992, relative au régime juridique des administrations publiques et à la procédure administrative commune) du 26 novembre 1992 (BOE no 285, du 27 novembre 1992, p. 40300), telle que modifiée par la Ley 4/1999 (loi 4/1999), du 13 janvier 1999 (BOE no 12, du 14 janvier 1999, p. 1739) à son article 1.14.
( 7 ) JO 2003, L 113, p. 8.
( 8 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443).
( 9 ) Il convient de noter, ainsi que l’a fait observer la Commission lors de l’audience, que, même si les parties utilisent, dans leurs observations écrites, le terme de « réenregistrement », il ne s’agit pas d’un réenregistrement mais de l’évaluation de l’équivalence de la substance au regard des exigences de l’annexe II de la directive 91/414. Les États membres doivent donc soit modifier les autorisations, soit les retirer.
( 10 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443).
( 11 ) Arrêt du 18 juillet 2007 (C‑326/05 P, EU:C:2007:443).
( 12 ) Arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 25).
( 13 ) L’annexe II contient les exigences concernant la fourniture d’informations détaillées sur la substance active.
( 14 ) L’annexe III contient les conditions relatives au produit phytopharmaceutique.
( 15 ) Voir article 3, paragraphe 1, de la directive 91/414.
( 16 ) Disposition transitoire concernant les règles générales de l’article 4 de la directive 91/414 qui vise l’octroi, la révision et le retrait d’autorisations de produits phytopharmaceutiques par les États membres.
( 17 ) À l’entrée en vigueur d’une directive d’inscription, la Commission modifie l’annexe I de la directive 91/414 pour y inscrire la substance concernée.
( 18 ) Je rappelle que le considérant 7 de la directive 2010/28 indique que ce délai doit permettre aux États membres et aux parties intéressées d’effectuer les préparatifs nécessaires.
( 19 ) À l’exception de celles de la partie B (micro-organismes et virus) de l’inscription correspondante. La Commission précise dans ses observations écrites que, afin de ne pas rendre le texte plus lourd, elle n’ajoute pas systématiquement dans les points suivants la précision « à l’exception de celles de la partie B de l’inscription correspondante » lorsqu’elle se réfère à la vérification des conditions fixées par l’annexe I pour la substance en question. La référence à ces conditions doit
toutefois être comprise comme contenant cette précision.
( 20 ) Voir points 5 et 40 des présentes conclusions.
( 21 ) Dossier nécessaire pour évaluer les risques prévisibles de la substance sur les personnes, les animaux ou l’environnement. Voir point 38 des présentes conclusions.
( 22 ) Voir considérant 8 de la directive 2010/28.
( 23 ) Voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan (C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 35).
( 24 ) Mise en italique par mes soins.
( 25 ) Mise en italique par mes soins.
( 26 ) Arrêt du 22 mai 2008, Feinchemie Schwebda et Bayer CropScience (C‑361/06, EU:C:2008:296, point 49).
( 27 ) Voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 74), et du 14 septembre 2006, Stichting Zuid-Hollandse Milieufederatie (C‑138/05, EU:C:2006:577, point 43).
( 28 ) La Commission explique que, pour démontrer l’innocuité de la substance active et du produit phytopharmaceutique qui la contient, les informations qui figurent dans le dossier annexe II sont nécessaires.
( 29 ) Voir points 36 à 39 des présentes conclusions.
( 30 ) Voir points 67 et 72 des présentes conclusions.
( 31 ) Sans préjudice de la possibilité de recommencer la procédure d’autorisation.
( 32 ) Je note que, dans le litige au principal, la question de savoir quelles seraient les conséquences éventuelles pour les États membres s’ils ne modifiaient ou ne retiraient pas, dans le délai prévu par la directive 2010/28, les autorisations de produits phytopharmaceutiques contenant du métalaxyl qui ne respectent pas les exigences de la directive 91/414, n’est soulevée ni par la juridiction de renvoi ni par les intéressés, de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’aborder.
( 33 ) Arrêt du 18 juillet 2007 (C‑326/05 P, EU:C:2007:443).
( 34 ) Voir point 38 des présentes conclusions.
( 35 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443).
( 36 ) Voir point 39 des présentes conclusions.
( 37 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443, points 79 à 86).
( 38 ) Voir point 27 des présentes conclusions.
( 39 ) Arrêt du 22 mai 2008 (C‑361/06, EU:C:2008:296).
( 40 ) Directive 2002/37/CE de la Commission, du 3 mai 2002, modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en vue d’y inscrire l’éthofumesate en tant que substance active (JO 2002, L 117, p. 10).
( 41 ) Article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/37. Voir arrêt du 22 mai 2008, Feinchemie Schwebda et Bayer CropScience (C‑361/06, EU:C:2008:296, points 44 et 45).
( 42 ) En effet, ce n’est qu’en 2005 que la Commission a modifié la rédaction des directives d’inscription. Depuis lors, celles-ci énoncent l’obligation pour les États membres de vérifier, dans le délai prévu par la directive d’inscription pour la procédure de réexamen des autorisations de produits phytopharmaceutiques, que les titulaires disposent d’un dossier annexe II de la directive 91/414 ou y ont accès. Arrêt du 22 mai 2008, Feinchemie Schwebda et Bayer CropScience (C‑361/06, EU:C:2008:296,
points 53 et 54).
( 43 ) Arrêt du 22 mai 2008, Feinchemie Schwebda et Bayer CropScience (C‑361/06, EU:C:2008:296, point 55).
( 44 ) Voir point 19 des présentes conclusions.
( 45 ) Lignes directrices relatives aux procédures régissant l’autorisation de produits phytopharmaceutiques à la suite de l’inscription d’une substance active existante à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil, document Sanco/10796/2003 – rév. 10.4, du 2 octobre 2009.
( 46 ) Mise en italique par mes soins.