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14/12/2017 | CJUE | N°C-331/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, K. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie et H. F. contre Belgische Staat., 14/12/2017, C-331/16


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 14 décembre 2017 ( 1 )

Affaires jointes C‑331/16 et C‑366/16

K.

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

[demande de décision préjudicielle formée par le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg, Pays‑Bas)]

et

H. F.

contre

Belgische Staat

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen

(conseil du contentieux des étrangers, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Directive 2004/38/CE – Article 27, paragra...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 14 décembre 2017 ( 1 )

Affaires jointes C‑331/16 et C‑366/16

K.

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

[demande de décision préjudicielle formée par le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg, Pays‑Bas)]

et

H. F.

contre

Belgische Staat

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Directive 2004/38/CE – Article 27, paragraphe 2 – Limitation des libertés de circulation et de séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique – Menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société – Personne exclue du statut de réfugié pour les motifs visés à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève et à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive
2011/95/UE – Proportionnalité – Article 28, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38/CE – Article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit au respect de la vie privée et familiale »

I. Introduction

1. Le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg, Pays‑Bas) et le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers, Belgique) interrogent la Cour quant à l’interprétation de l’article 27, paragraphe 2, et de l’article 28, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38/CE ( 2 ), lus en combinaison avec l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») et l’article 8 de
la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »).

2. Ces demandes de décision préjudicielle s’inscrivent dans le contexte de litiges portant sur la conformité à ces dispositions de mesures restrictives des libertés de circulation et de séjour tirées de la directive 2004/38 adoptées à l’encontre d’individus qui, avant d’acquérir la qualité de citoyen de l’Union ou de membre de la famille d’un citoyen de l’Union, ont été exclus du statut de réfugié en application de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève relative au statut des
réfugiés (ci‑après la « convention de Genève ») ( 3 ).

3. Cette disposition – dont les termes sont repris à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2011/95/UE ( 4 ) – prive du bénéfice de la protection découlant de la convention de Genève les demandeurs d’asile au sujet desquels il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité.

4. Les juridictions de renvoi cherchent essentiellement à savoir si, et à quelles conditions, le fait qu’une personne s’est, par le passé, vu appliquer la clause d’exclusion prévue à l’article 1er, section F, sous a), de cette convention peut justifier que soient restreintes les libertés de circulation et de séjour que cette personne tire de la directive 2004/38.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

5. L’article 1er de la convention de Genève, après avoir notamment défini, à sa section A, la notion de « réfugié », énonce, à sa section F :

« Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ;

c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies. »

B. Le droit de l’Union

1.   La directive 2004/38

6. L’article 27, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/38 dispose :

« 1.   Sous réserve des dispositions du présent chapitre, les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.

2.   Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné. L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures.

Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. »

7. Aux termes de l’article 28 de cette directive :

« 1.   Avant de prendre une décision d’éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, l’État membre d’accueil tient compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.

2.   L’État membre d’accueil ne peut pas prendre une décision d’éloignement du territoire à l’encontre d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité, qui ont acquis un droit de séjour permanent sur son territoire sauf pour des motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique.

3.   Une décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre des citoyens de l’Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des raisons impérieuses de sécurité publique définies par les États membres, si ceux‑ci :

a) ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes,

[...] »

2.   La directive 2011/95

8. L’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95 prévoit :

« Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser :

a) qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

[...] »

C. Les droits nationaux

1.   Le droit néerlandais

9. Conformément à l’article 67 de la Vreemdelingenwet (loi sur les étrangers), du 23 novembre 2000 (ci‑après la « loi néerlandaise sur les étrangers ») :

« 1.   Sous réserve de l’application de la section 3, le [Minister van Veiligheid en Justitie (ministre de la Sécurité et de la Justice, Pays‑Bas)] peut déclarer l’étranger indésirable :

[...]

e. dans l’intérêt des relations internationales des Pays‑Bas.

[...]

3.   Par dérogation à l’article 8, l’étranger déclaré indésirable ne peut pas se trouver en séjour régulier. »

2.   Le droit belge

10. Selon l’article 40 bis, paragraphe 2, de la wet betreffende de toegang tot het grondgebied, het verblijf, de vestiging en de verwijdering van vreemdelingen (loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers), du 15 décembre 1980 (ci‑après la « loi belge sur les étrangers »), dans sa version en vigueur à l’époque des faits pertinents dans l’affaire C‑366/16, sont considérés comme membres de la famille d’un citoyen de l’Union, notamment, les ascendants de
celui‑ci ou ceux de son conjoint qui sont à leur charge.

11. L’article 43 de cette loi transpose en droit belge l’article 27 de la directive 2004/38.

III. Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

A. L’affaire C‑331/16

12. M. K. possède la double nationalité de Bosnie-Herzégovine et croate. Il est arrivé aux Pays‑Bas en 2001, accompagné de son épouse et de son fils aîné. Selon les indications de la juridiction de renvoi, M. K. a séjourné dans cet État membre sans interruption depuis lors. Son fils cadet y est né en 2006.

13. M. K. a déposé une première demande d’asile peu de temps après son arrivée aux Pays‑Bas en 2001. Le Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (secrétaire d’État à la Sécurité et à la Justice, Pays‑Bas, ci‑après le « Staatssecretaris néerlandais ») a rejeté cette demande par décision du 15 mai 2003. Cette décision était fondée sur l’existence de raisons sérieuses de penser que M. K. avait commis, sur le territoire de l’ex‑Yougoslavie, des crimes relevant des catégories visées à l’article 1er,
section F, sous a) et b), de la convention de Genève au cours de la période comprise entre le mois d’avril 1992 et le mois de février 1994. Ladite décision est devenue définitive à la suite d’un arrêt du Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas), du 21 février 2005, confirmant celle‑ci.

14. En 2011, M. K. a introduit une seconde demande d’asile, laquelle a également été rejetée par décision du Staatssecretaris néerlandais, le 16 janvier 2013, en raison de l’application des clauses d’exclusion énoncées à l’article 1er, section F, sous a) et b), de la convention de Genève. Cette décision était assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire néerlandais d’une durée de dix ans. Le Raad van State (Conseil d’État) a confirmé ladite décision par un arrêt du 10 février 2014, à la
suite duquel elle est devenue définitive.

15. Par ailleurs, M. K. a sollicité auprès du Staatssecretaris néerlandais l’annulation de l’interdiction d’entrée sur le territoire des Pays‑Bas délivrée contre lui. Par décision du 22 juillet 2015, cette autorité a levé cette interdiction et y a substitué une déclaration d’indésirabilité fondée sur l’article 67, paragraphe 1, sous e), de la loi néerlandaise sur les étrangers. Cette décision a été adoptée en raison de l’acquisition par M. K. de la qualité de citoyen de l’Union depuis l’adhésion de
la République de Croatie à l’Union, le 1er juillet 2013. Contrairement à une interdiction d’entrée qui ne peut viser que les ressortissants d’États tiers, une déclaration d’indésirabilité peut être adoptée à l’égard d’un citoyen de l’Union.

16. M. K. a introduit auprès du Staatssecretaris néerlandais une réclamation contre cette déclaration d’indésirabilité. Cette réclamation a été rejetée par décision du 9 décembre 2015 (ci‑après la « décision litigieuse dans l’affaire C‑331/16 »).

17. Dans cette décision, le Staatssecretaris néerlandais a fait référence à ses décisions du 15 mai 2003 et du 16 janvier 2013, par lesquelles il a rejeté les demandes d’asile formées par M. K. En se référant à la première de ces décisions et au projet ayant abouti à son adoption, cette autorité a constaté que M. K. devait avoir eu connaissance (« knowing participation ») des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les unités spéciales de l’armée bosniaque dont il a fait partie
et qu’il y avait participé personnellement (« personal participation »).

18. Sur la seule base de ces constats antérieurs, le Staatssecretaris néerlandais a considéré que, par sa présence aux Pays‑Bas, M. K. porte préjudice aux relations internationales de cet État membre. Selon cette autorité, il convient d’éviter que ce dernier devienne un pays d’accueil pour des personnes à propos desquelles il existe des raisons sérieuses de penser qu’elles se sont rendues coupables d’un comportement d’un type visé à l’article 1er, section F, de la convention de Genève. En outre, la
protection de l’ordre public et de la sécurité publique exigerait que soient entreprises toutes les démarches nécessaires aux fins d’empêcher que des citoyens néerlandais entrent en contact avec de telles personnes et, en particulier, que les victimes des crimes reprochés à M. K. ou des membres de leurs familles soient confrontés à lui aux Pays‑Bas.

19. Eu égard à ce qui précède, ladite autorité a conclu que M. K. représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

20. À l’appui d’une telle conclusion, le Staatssecretaris néerlandais a cité les arrêts du Raad van State (Conseil d’État) du 12 septembre 2008 ( 5 ), du 16 juin 2015 ( 6 ) et du 21 août 2015 ( 7 ). Dans ces arrêts, cette juridiction a considéré que, au vu de la gravité exceptionnelle des crimes visés à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève, la menace pour un intérêt fondamental de la société que pose la présence d’une personne exclue du statut de réfugié au titre de cette
disposition est, par sa nature, durablement actuelle. Selon ladite juridiction, le constat d’une telle menace ne nécessite pas d’évaluation du comportement futur probable de l’individu concerné.

21. Le Staatssecretaris néerlandais a ajouté que le droit au respect de la vie privée et familiale consacré à l’article 8 de la CEDH ne faisait pas obstacle à ce que M. K. soit déclaré indésirable.

22. M. K. a introduit devant le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg), un recours contre la décision litigieuse dans l’affaire C‑331/16.

23. Dans ce contexte, cette juridiction s’interroge, en premier lieu, quant à la compatibilité de cette décision avec l’article 27, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2004/38. Eu égard, en particulier, au laps de temps écoulé depuis la période au cours de laquelle M. K. aurait commis des crimes relevant des catégories visées à l’article 1er, section F, sous a) et b), de la convention de Genève, ladite juridiction se demande, en substance, si l’existence de raisons sérieuses de penser que
M. K. a commis de tels crimes suffit à justifier que sa présence sur le territoire néerlandais constitue une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société » au sens de l’article 27, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive. Ladite juridiction relève également que M. K. n’a fait l’objet d’aucune condamnation pénale.

24. À ce propos, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la conformité à cette disposition de la jurisprudence du Raad van State (Conseil d’État) citée au point 19 des présentes conclusions, sur laquelle se fonde la décision litigieuse dans l’affaire C‑331/16. Ces doutes reposent tant sur le libellé de cette disposition que sur la jurisprudence de la Cour, et en particulier ses arrêts Bouchereau ( 8 ), B et D ( 9 ), I. ( 10 ), ainsi que H. T. ( 11 ).

25. La juridiction de renvoi mentionne, de surcroît, un arrêt rendu en Belgique, le 27 mars 2013, par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers) ( 12 ), dans lequel a été rejeté tout automatisme entre l’application par les autorités néerlandaises de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève en raison des agissements passés d’un membre de la famille d’un citoyen de l’Union et l’existence d’une menace justifiant le refus de lui accorder un droit
de libre circulation et de séjour.

26. Par ailleurs, dans le cadre de son recours contre la décision litigieuse dans l’affaire C‑331/16, M. K. fait notamment valoir que les relations internationales ne relèvent pas de la notion d’« ordre public » au sens de l’article 27, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2004/38. En outre, l’approche selon laquelle tout contact éventuel de ce dernier avec une de ses victimes créerait en soi un danger pour l’ordre public élargirait excessivement cette notion. En tout état de cause, le
Staatssecretaris néerlandais n’aurait pas suffisamment exposé les motifs pour lesquels sa présence aux Pays‑Bas porterait préjudice aux relations internationales de cet État membre. Cette autorité n’aurait pas davantage démontré de manière plausible que des victimes de M. K. se trouveraient sur le sol néerlandais.

27. En second lieu, le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg), doute de la conformité de cette décision à l’exigence, énoncée à l’article 27, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2004/38, selon laquelle toute restriction des droits de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union doit respecter le principe de proportionnalité. Cette juridiction s’interroge également quant à la compatibilité de ladite décision avec l’article 28,
paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), de cette directive. Elle fait référence, à ce propos, au point 3.3 de la communication de la Commission concernant les lignes directrices destinées à améliorer la transposition et l’application de la [directive 2004/38] (ci‑après les « lignes directrices de la Commission ») ( 13 ).

28. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que M. K. et les membres de sa famille sont parfaitement assimilés à la société néerlandaise dans la mesure où ils vivent aux Pays‑Bas depuis l’année 2001, où le second fils de M. K. y est né et où ses deux fils y sont scolarisés. M. K. a, en outre, déclaré que sa famille a obtenu la nationalité croate pour des raisons purement techniques, ce pays leur étant totalement étranger dès lors qu’ils n’y ont jamais habité et n’y ont aucune famille. Par
ailleurs, ce dernier allègue que des Croates, de religion catholique, ne peuvent plus construire leur vie en Bosnie‑Herzégovine, pays avec lequel ses enfants n’ont d’ailleurs aucun lien.

29. Dans ces conditions, le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 permet‑il qu’un citoyen de l’Union dont il est constant, comme en l’espèce, que l’article 1er, section F, sous a) et b), de la convention de Genève lui est applicable, soit déclaré indésirable parce que la gravité particulière des crimes visés par cette disposition de la convention de Genève conduit à la conclusion qu’il convient de considérer que la menace qu’il représente pour un intérêt fondamental de la société est, par sa nature,
durablement actuelle ?

2) En cas de réponse négative à la première question, comment convient‑il de déterminer, lorsqu’il est envisagé d’adopter une décision d’indésirabilité, si le comportement du citoyen de l’Union tel que défini plus haut auquel l’article 1er, section F, sous a) et b), de la convention de Genève a été déclaré applicable doit être considéré comme représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ? Dans quelle mesure faut‑il à cette occasion
tenir compte du fait que les comportements sanctionnés par cet article 1er, section F, de la convention de Genève ont, comme en l’espèce, été commis il y a longtemps, à savoir, dans le cas présent, entre 1992 et 1994 ?

3) De quelle manière le principe de proportionnalité influence‑t‑il l’appréciation du point de savoir si une déclaration d’indésirabilité peut être adoptée à l’encontre d’un citoyen de l’Union auquel l’article 1er, section F, sous a) et b), de la convention de Genève a, comme en l’espèce, été déclaré applicable ? Les facteurs énoncés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doivent‑ils être pris en considération à cette occasion ou en dehors de celle‑ci ? Le délai de dix ans de
séjour dans le pays d’accueil, prévu à l’article 28, paragraphe 3, initio et sous a), de cette directive, doit‑il être pris en compte à cette occasion ou en dehors de celle‑ci ? Les facteurs énoncés au point 3.3 des [lignes directrices de la Commission] doivent‑ils être intégralement pris en considération ? »

B. L’affaire C‑366/16

30. M. H. F. a déclaré posséder la nationalité afghane. En 2000, il est entré sur le territoire néerlandais et y a introduit une demande d’asile.

31. Par décision du 26 mai 2003, l’Immigratie‑ en Naturalisatiedienst (service d’immigration et de naturalisation, Pays‑Bas, ci‑après l’« autorité néerlandaise compétente en matière d’asile ») a exclu M. H. F. du statut de réfugié sur la base de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève. Par décision du 9 janvier 2006, cette autorité a refusé de lui délivrer un permis de séjour temporaire sur la base de l’article 3 de la CEDH. Ces deux décisions ont été confirmées judiciairement
et sont devenues définitives.

32. Par la suite, le Staatssecretaris néerlandais a adopté une décision d’interdiction du territoire contre M. H. F. Sur la base de cette décision, M. H. F. a été signalé au cours des années 2013 et 2014 aux fins de non‑admission ou d’interdiction de séjour sur le territoire Schengen pour une durée indéterminée au titre de l’article 24 du règlement (CE) no 1987/2006 ( 14 ).

33. Il ressort de la décision de renvoi que M. H. F. n’a fait l’objet d’aucune condamnation pénale en Belgique ou aux Pays‑Bas. Ce dernier a également présenté un extrait vierge de son casier judiciaire en Afghanistan.

34. La fille majeure de M. H. F. possède la nationalité néerlandaise. En 2011, M. H. F. et sa fille se sont établis en Belgique, où cette dernière est économiquement active.

35. M. H. F. a introduit, auprès du délégué du Staatssecretaris voor Asiel en Migratie, Maatschappelijke Integratie en Armoedebestrijding (secrétaire d’État à l’asile et la migration, à l’intégration sociale et à la lutte contre la pauvreté, Belgique, ci‑après le « Staatssecretaris belge »), quatre demandes consécutives d’autorisation de séjour. Les trois dernières de ces demandes portaient sur l’octroi d’un titre de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union au sens de
l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004/38, plus précisément en tant qu’ascendant de sa fille majeure, de nationalité néerlandaise, établie en Belgique. Ces quatre demandes se sont soldées par des décisions de refus de séjour accompagnées d’un ordre de quitter le territoire belge.

36. La décision de refus de séjour assortie d’un ordre de quitter le territoire belge adoptée en réponse à la quatrième demande d’autorisation de séjour introduite par M. H. F. a été annulée par un arrêt du Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers), du 17 juin 2015. À la suite de cet arrêt, le délégué du Staatssecretaris belge a adopté à l’égard de M. H. F., le 8 octobre 2015, une nouvelle décision de refus de séjour de plus de trois mois sans ordre de quitter le
territoire (ci‑après la « décision litigieuse dans l’affaire C‑366/16 »). Cette décision a pour base juridique l’article 43 de la loi belge sur les étrangers, lequel transpose en droit belge l’article 27 de la directive 2004/38.

37. Au soutien de ladite décision, le délégué du Staatssecretaris belge s’est fondé sur les informations contenues dans le dossier de la procédure d’asile néerlandaise concernant M. H. F., obtenu avec la collaboration de ce dernier. Il ressort de ce dossier que, selon les conclusions de l’autorité néerlandaise compétente en matière d’asile, il existe des raisons sérieuses de penser que M. H. F. a commis des crimes relevant des catégories visées à l’article 1er, section F, sous a), de la convention
de Genève. M. H. F. aurait participé à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité, ou aurait donné l’ordre de commettre de tels crimes, en raison des fonctions qu’il exerçait en Afghanistan. Il aurait, en tant que secrétaire politique, été en contact avec le KhAD, un service de renseignement afghan sous l’ancien régime communiste, et, dans ce cadre, fait rapport sur les membres non loyaux. M. H. F. aurait ainsi exposé ces derniers à des violations de leurs droits fondamentaux par le
KhAD.

38. Le délégué du Staatssecretaris belge a considéré que la menace pour un intérêt fondamental de la société qui découle de la présence au sein de la société belge d’une personne à propos de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle a commis de tels crimes présente, par sa nature, un caractère actuel permanent. L’évaluation du comportement futur de cette personne n’importerait pas dans une telle hypothèse, compte tenu de la nature et de la gravité des crimes concernés ainsi que de
l’époque, du lieu et des circonstances dans lesquelles ils ont été commis. Par conséquent, l’actualité de la menace découlant du comportement de ladite personne, de même que le risque de récidive, ne devraient pas être rendus plausibles.

39. Cette autorité a précisé que le refus de séjour dans un tel cas de figure sert à protéger les victimes de ces crimes et, de cette manière, la société belge et l’ordre juridique international. Pour ces raisons, le refus d’accorder un droit de séjour à M. H. F. serait conforme au principe de proportionnalité.

40. M. H. F. a introduit contre cette décision un recours en suspension et en annulation devant le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers).

41. Cette juridiction nourrit des doutes quant à la conformité à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 de la thèse retenue dans la décision litigieuse dans l’affaire C‑366/16, exposée au point 38 des présentes conclusions. Elle souligne que cette thèse correspond à l’approche suivie aux Pays‑Bas par le Raad van State (Conseil d’État) dans son arrêt du 16 juin 2015 ( 15 ).

42. La juridiction de renvoi se demande, en particulier, si l’existence d’une décision d’exclusion du statut de réfugié adoptée environ dix ans auparavant par un autre État membre dispense les autorités de l’État membre d’accueil d’examiner l’actualité et la réalité de la menace découlant du comportement de l’intéressé. Elle relève, à cet égard, qu’une telle décision concerne, par sa nature, des faits s’étant déroulés dans le passé dans le pays d’origine de ce dernier.

43. Cette juridiction précise que M. H. F. fait valoir, notamment, dans le cadre de son recours contre la décision litigieuse dans l’affaire C‑366/16, que la décision d’exclusion du statut de réfugié adoptée par l’autorité néerlandaise compétente en matière d’asile était fondée sur des informations inexactes concernant l’Afghanistan.

44. Ladite juridiction soulève également la question de la compatibilité de la décision litigieuse dans l’affaire C‑366/16 avec le droit au respect de la vie privée et familiale consacré à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH.

45. Dans ces conditions, le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (Conseil du contentieux des étrangers) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le droit de l’Union, en particulier l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, en lecture combinée ou non avec l’article 7 de la [Charte], doit‑il être interprété en ce sens qu’une demande de séjour qu’un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union, introduite dans le cadre du regroupement familial avec ce citoyen, lequel a fait quant à lui usage de sa liberté de circulation et d’établissement, peut être refusée dans un État membre en raison d’une menace
qui découlerait de la simple présence, dans la société, de ce membre de famille lequel, en application de l’article 1er, section F, de la convention de Genève et de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95, s’est vu exclure du statut de réfugié dans un autre État membre au motif de son implication dans des faits qui se sont produits dans un contexte historique et social spécifique dans son pays d’origine, l’actualité et la réalité de la menace que le comportement de ce membre de la
famille représente dans l’État membre de séjour se fondant exclusivement sur une référence faite à la décision d’exclusion sans qu’il soit procédé à cette occasion à une appréciation du risque de récidive dans l’État membre de séjour ? »

C. La procédure devant la Cour

46. Les demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑331/16 et C‑366/16 ont été enregistrées au greffe de la Cour, respectivement, le 13 juin 2016 et le 5 juillet 2016. Par décision du président de la Cour du 21 juillet 2016, ces deux affaires ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

47. Ont présenté des observations écrites M. K., les gouvernements belge, hellénique, français, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission européenne.

48. Ont comparu lors de l’audience du 10 juillet 2017 MM. K. et H. F., les gouvernements belge, français, néerlandais et du Royaume‑Uni, ainsi que la Commission.

IV. Analyse

A. Considérations liminaires

49. Au moment de leur entrée sur le territoire de l’Union, MM. K. et H. F., qui ne relevaient alors pas du champ d’application personnel de la directive 2004/38, ont cherché à s’y voir reconnaître le statut de réfugié. Ce statut leur a été refusé sur la base de l’article 1er, section F, sous a) – seul, s’agissant de M. H. F., ou en combinaison avec la lettre b) de cette disposition, en ce qui concerne M. K. – de la convention de Genève.

50. M. K. a ultérieurement acquis le statut de citoyen de l’Union à la suite à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union. Selon les indications du Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers), M. H. F. a, quant à lui, obtenu la qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union après avoir rejoint, sur le territoire belge, sa fille de nationalité néerlandaise ( 16 ). Ces changements de situation ont déclenché l’applicabilité à MM. K. et H. F. de la directive
2004/38.

51. L’article 1er, section F, de la convention de Genève, s’il requiert que les individus visés par cette disposition soient exclus du statut de réfugié au sens de cette convention, ne s’oppose pas à l’octroi à ces derniers d’un droit de séjour distinct de celui qui découle de ce statut, pourvu que ce droit de séjour ne risque pas d’être confondu avec ledit statut ( 17 ). Il n’est pas contesté que l’octroi, à une personne exclue du statut de réfugié, d’un droit de séjour en tant que citoyen de
l’Union ou membre de la famille d’un citoyen de l’Union remplit cette condition.

52. En l’espèce, les droits de séjour que MM. K. et H. F. tirent de la directive 2004/38 ont été restreints par des mesures d’ordre public ou de sécurité publique au sens de l’article 27, paragraphe 2, de cette directive (ci‑après « mesures restrictives ») ( 18 ). Ces mesures étaient fondées sur le fait que ces derniers ont fait l’objet, par le passé, de décisions d’exclusion du statut de réfugié au titre de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève adoptées par les instances
d’asile de l’État membre d’accueil (dans la situation de M. K.) ou d’un autre État membre (dans le cas de M. H. F.).

53. Les juridictions de renvoi cherchent essentiellement à savoir si lesdites mesures ont été prises dans le respect des conditions énoncées à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 – lequel doit, en ce qu’il permet de déroger aux libertés fondamentales conférées par le traité FUE, être interprété restrictivement ( 19 ).

54. Elles interrogent également la Cour quant à la compatibilité des mesures restrictives en cause au principal avec le droit à la vie privée et familiale au titre de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la CEDH. De surcroît, le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg), demande si les protections contre l’éloignement prévues à l’article 28, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), de ladite directive s’appliquent dans une situation telle que
celle de M. K.

B. Sur le constat d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société

55. Par les première et deuxième questions posées dans l’affaire C‑331/16 et par la question déférée dans l’affaire C‑366/16, les juridictions de renvoi cherchent, en substance, à savoir si, et, le cas échéant, à quelles conditions, un État membre peut considérer que la présence sur son territoire d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille constitue une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société », au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la
directive 2004/38, au motif que cet individu a, par le passé, fait l’objet d’une décision d’exclusion du statut de réfugié au titre de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève.

56. En particulier, le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg), interroge la Cour quant à la pertinence, dans ce contexte, du fait qu’un laps de temps important (en l’espèce, plus de vingt ans) sépare la commission supposée des crimes ayant justifié l’exclusion du statut de réfugié et l’adoption de la mesure restrictive en cause. Le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers) demande s’il est nécessaire d’apprécier le
risque de récidive des comportements visés à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève dans l’État membre d’accueil, étant entendu que ces comportements se sont produits dans le pays d’origine de l’intéressé dans un contexte historique et social spécifique.

57. Ces questions reflètent les doutes que nourrissent les juridictions de renvoi quant à la conformité à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 de la motivation des décisions litigieuses, selon laquelle l’application dans le passé de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève implique, au vu de la gravité particulière des crimes visés à cette disposition, que la présence de l’intéressé sur le territoire de l’État membre d’accueil constitue une menace étant, « par sa
nature, durablement actuelle» ( 20 ).

58. L’évaluation d’une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 suppose, dans un premier temps, que soit identifié un « intérêt fondamental de la société » dont la protection peut participer de l’ordre public ou de la sécurité publique. En l’occurrence, M. K. fait valoir que la préservation des intérêts invoqués à l’appui des décisions litigieuses ne relève pas des notions d’« ordre public » ou de « sécurité publique » au sens de cette disposition. Je débuterai mon
exposé en réfutant cet argument (section 1).

59. Dans un second temps, le constat d’une telle menace implique que l’État membre concerné justifie en quoi ces intérêts sont, dans un cas déterminé, menacés de façon réelle, actuelle et suffisamment grave par le comportement personnel de l’individu concerné. Je développerai ci‑après les implications de cette exigence dans des situations telles que celles en cause au principal (section 2).

1.   Sur l’identification d’un « intérêt fondamental de la société » dont la protection relève de l’ordre public ou de la sécurité publique

60. Selon une jurisprudence constante, les notions d’« ordre public » et de « sécurité publique », en tant que justifications d’une dérogation aux libertés de circulation et de séjour des citoyens de l’Union ou des membres de leurs familles, doivent être entendues strictement, de telle sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chaque État membre sans contrôle des institutions de l’Union. Cependant, le droit de l’Union n’impose pas d’échelle uniforme de valeurs et reconnaît
que les exigences de l’ordre public et de la sécurité publique peuvent varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre. Les États membres restent, pour l’essentiel, libres de déterminer le contenu de ces exigences conformément à leurs besoins nationaux ( 21 ).

61. À la lumière de ces principes, la Cour a déjà admis que les exigences de l’ordre public et de la sécurité publique au sens des dispositions permettant de restreindre lesdites libertés ne se limitent pas à la protection de la tranquillité et de la sécurité physique directe de la population contre le risque de perpétration d’actes criminels.

62. Ainsi, elle a jugé que la notion de « sécurité publique », laquelle couvre tant la sécurité intérieure que la sécurité extérieure de l’État membre en cause, englobe notamment « l’atteinte au fonctionnement des institutions et des services publics essentiels ainsi que la survie de la population, de même que le risque d’une perturbation grave des relations extérieures ou de la coexistence pacifique des peuples, ou encore l’atteinte aux intérêts militaires» ( 22 ).

63. Les exigences de l’ordre public, si elles ne sauraient couvrir des intérêts économiques ( 23 ) ni la simple prévention des troubles à l’ordre social que constitue toute infraction à la loi ( 24 ), peuvent englober la protection de divers intérêts que l’État membre concerné considère fondamentaux selon son propre système de valeurs. En particulier, la Cour a reconnu la possibilité pour un État membre d’invoquer, dans certaines circonstances, au titre de l’ordre public, la protection d’un intérêt
fondamental aussi éloigné de la tranquillité et de la sécurité physique directe de sa population que la nécessité d’assurer le recouvrement des créances fiscales ( 25 ).

64. En l’occurrence, tel qu’il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑331/16, la mesure restrictive adoptée contre M. K. était, premièrement, fondée sur une disposition législative néerlandaise permettant de déclarer un étranger indésirable « dans l’intérêt des relations internationales des Pays‑Bas ». Le Staatssecretaris néerlandais a invoqué, dans ce contexte, la nécessité d’éviter que cet État membre devienne une terre d’accueil pour les individus qui sont suspectés de crimes contre la
paix, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Sur cette même ligne, la décision de renvoi dans l’affaire C‑366/16 indique que la mesure restrictive prise contre M. H. F. visait, notamment, à protéger l’ordre juridique international.

65. À cet égard, le gouvernement français a fait valoir que pareilles mesures peuvent également répondre à l’intérêt de consacrer des modalités rigoureuses de protection des valeurs fondamentales de la société française et de l’ordre juridique international, énoncées notamment à l’article 21, paragraphe 1, TUE. Celles‑ci seraient nécessaires afin de contribuer au maintien de la cohésion sociale et, ainsi que le soutient également le gouvernement du Royaume‑Uni, de la confiance publique dans les
systèmes de justice et d’immigration. Ce dernier gouvernement excipe, de surcroît, de l’intérêt de préserver la crédibilité de l’engagement de l’Union et de ses États membres en ce qui concerne la protection des valeurs fondamentales énoncées aux articles 2 et 3 TUE ( 26 ).

66. Deuxièmement, le Staatssecretaris néerlandais a justifié la mesure restrictive en cause dans cette affaire par la nécessité d’empêcher que la population néerlandaise entre en contact avec de telles personnes et, en particulier, que leurs victimes potentielles ou des membres de leurs familles se retrouvent face à face avec elles. De façon similaire, la décision de renvoi dans l’affaire C‑366/16 indique que la décision litigieuse dans cette affaire avait pour but de protéger les victimes des
personnes exclues du statut de réfugié ainsi que la société belge.

67. Les gouvernements néerlandais et du Royaume‑Uni ajoutent, à ce propos, que l’adoption de mesures restrictives à l’endroit de citoyens de l’Union ou de membres de leurs familles qui ont été exclus du statut de réfugié en vertu de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève répond à la nécessité de prévenir la survenance du préjudice social lié au scandale que risquerait de susciter la présence, en toute impunité, d’un présumé criminel de guerre sur le territoire de l’État membre
concerné.

68. À mon avis, les États membres peuvent, sans outrepasser la marge d’appréciation dont ils disposent en vue de définir le contenu des exigences de l’ordre public, considérer que la protection des intérêts susdécrits participe de ces exigences. Eu égard aux principes énoncés aux points 60 et 63 des présentes conclusions, je n’entrevois aucune raison d’exclure que les États membres puissent considérer que, conformément à leurs propres échelles de valeurs, lesdits intérêts constituent des intérêts
fondamentaux de la société au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, dont la protection relève de l’ordre public.

69. Cela étant, la possibilité de restreindre les droits de circulation et de séjour tirés de la directive 2004/38 au nom des intérêts fondamentaux invoqués à cet effet est encadrée par les conditions énoncées à l’article 27, paragraphe 2, de cette directive.

2.   Sur le constat d’une menace pour les intérêts fondamentaux invoqués en raison du comportement personnel de l’intéressé

70. Conformément à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société », au sens de cette disposition, doit découler exclusivement du comportement personnel de l’individu concerné. Des justifications non directement liées au cas individuel ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. En outre, l’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver
l’adoption d’une mesure restrictive.

71. À cet égard, la Cour a itérativement considéré qu’une menace pour un intérêt fondamental de la société ne saurait être constatée, de façon automatique, sur la seule base d’une condamnation pénale antérieure pour des infractions spécifiques ( 27 ). Cependant, les circonstances ayant donné lieu à cette condamnation peuvent être prises en considération, aux fins de fonder un tel constat, pour autant qu’elles témoignent, au terme d’un examen au cas par cas, d’un comportement personnel constitutif
d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société d’accueil ( 28 ).

72. Dans ce contexte, bien que le constat d’une telle menace « implique, en général, chez l’individu concerné, l’existence d’une tendance à maintenir [le comportement ayant été sanctionné pénalement] à l’avenir» ( 29 ), le seul fait du comportement passé peut, dans certaines circonstances, réunir les conditions de pareille menace ( 30 ).

73. J’exposerai ci‑après les raisons pour lesquelles j’estime que les principes énoncés au point 71 des présentes conclusions sont applicables par analogie lorsque l’individu concerné a antérieurement fait l’objet non pas d’une condamnation pénale, mais d’une décision d’exclusion du statut de réfugié au titre de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève [sous a)].

74. Seront alors développés, au regard de la jurisprudence rappelée au point 72 des présentes conclusions, les motifs qui m’amènent à conclure que le comportement passé de cet individu, tel qu’il ressort des constatations qui fondent cette décision, peut suffire à justifier le constat d’une menace « actuelle », en dépit de l’écoulement d’une longue période depuis la commission supposée des crimes qui lui sont reprochés et de l’absence de propension à réitérer de tels crimes dans l’État membre
d’accueil [sous b)] ( 31 ).

a)   Sur la pertinence de l’application antérieure de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève

1) Sur les principes applicables

75. En vue de déterminer si les principes énoncés au point 71 des présentes conclusions peuvent régir de façon adéquate la situation d’une personne ayant, dans le passé, été exclue du statut de réfugié au titre de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève, deux considérations particulières doivent être prises en compte.

76. D’une part, le caractère exceptionnellement grave des crimes visés par cette disposition pourrait plaider en faveur d’une approche plus souple du point de vue des États membres, leur permettant de constater une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 au seul motif que l’intéressé s’est vu opposer la clause d’exclusion prévue à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève. Les crimes y énoncés violent, en effet, les valeurs les plus fondamentales qui
se trouvent à la base tant de l’ordre juridique international que des droits de l’homme ( 32 ) et concernent l’ensemble de la communauté internationale ( 33 ).

77. D’autre part, le fait que l’application de cette disposition ne suppose pas de condamnation ( 34 ), ni de preuve au sens pénal, des crimes en cause milite plutôt pour une prudence accrue concernant la prise en compte des circonstances ayant conduit à la décision d’exclusion, telles qu’elles ressortent des appréciations des autorités d’asile, aux fins de fonder le constat d’une telle menace.

78. À mon avis, ces considérations ne font pas obstacle à l’application des principes susmentionnés.

79. En premier lieu, j’estime qu’une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ne saurait être automatiquement constatée, sans un plus ample examen, du seul fait que les autorités d’asile ont précédemment exclu l’intéressé du statut de réfugié sur la base de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève. L’exigence d’un examen du comportement individuel, qui découle du libellé de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, n’admet, me semble‑t‑il,
pas de dérogation, même lorsque les agissements reprochés à l’intéressé revêtent une gravité extrême.

80. Cette approche est également justifiée par le fait que l’article 1er, section F, de la convention de Genève et l’article 27 de la directive 2004/38 poursuivent des objectifs différents ( 35 ).

81. Ainsi que la Cour l’a constaté dans l’arrêt B et D ( 36 ), les clauses d’exclusion prévues à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95, lequel correspond à l’article 1er, section F, de la convention de Genève, ont pour but « d’exclure du statut de réfugié les personnes jugées indignes de la protection qui s’y attache et d’éviter que l’octroi de ce statut permette à des auteurs de certains crimes graves d’échapper à une responsabilité pénale ».

82. En revanche, ces clauses d’exclusion ne visent pas à protéger la société d’accueil contre l’éventuel danger que pourrait représenter la présence au sein de cette société du demandeur d’asile concerné – un tel objectif étant poursuivi par d’autres dispositions de la directive 2011/95 ( 37 ). Aussi la Cour a‑t‑elle jugé que l’application de l’article 12, paragraphe 2, de cette directive ne suppose pas que cette personne constitue un danger actuel pour la société d’accueil ( 38 ).

83. Compte tenu des objectifs distincts de ces dispositions, les appréciations présidant à l’application de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève, tout comme celles qui se trouvent à la base d’une condamnation pénale ( 39 ), ne coïncident pas nécessairement avec celles devant être opérées sous l’angle des intérêts inhérents à la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité publique au titre de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ( 40 ).

84. En second lieu, cependant, les motifs sur lesquels repose une décision d’exclusion du statut de réfugié peuvent être pris en compte lorsqu’ils révèlent, eu égard aux circonstances particulières de chaque cas d’espèce, un comportement personnel constitutif d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ( 41 ). Dans un tel cas de figure, les considérations ayant justifié l’application de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève
peuvent également fonder le constat d’une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 ( 42 ).

85. Ce principe n’est pas remis en cause par le fait que l’exclusion du statut de réfugié ne suppose pas de condamnation pénale ni ne requiert que les crimes reprochés à l’intéressé soient établis conformément aux standards de preuve qui s’appliquent généralement en droit pénal dans les ordres juridiques des États membres et en droit pénal international (« au‑delà de tout doute raisonnable ») ( 43 ).

86. En effet, il ressort de la jurisprudence que l’existence d’une condamnation pénale, si elle n’est pas suffisante, n’est pas non plus nécessaire pour étayer le constat d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Le cas échéant, même une simple suspicion de crime peut, en combinaison avec d’autres éléments relatifs au cas particulier, fonder le constat d’une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ( 44 ).

87. À plus forte raison, des « raisons sérieuses de penser » que l’intéressé a commis un crime d’un type visé à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève – lesquelles impliquent, plus que de simples soupçons, des preuves claires, fiables, crédibles et convaincantes ( 45 ) – peuvent être prises en considération, ensemble avec d’autres éléments ( 46 ), aux fins de justifier un tel constat.

88. Par ailleurs, l’instauration à l’article 1er, section F, de cette convention de ce standard de preuve moins élevé que celui qui prévaut en droit pénal s’explique par le fait que cette disposition vise le plus souvent des personnes qui n’ont pas été jugées, ni a fortiori condamnées, pour les crimes qui leur sont reprochés ( 47 ). L’un des objectifs des clauses d’exclusion du statut de réfugié consiste, précisément, à lutter contre l’impunité en évitant que l’institution de l’asile ne soit
utilisée aux fins d’échapper à des poursuites pénales ( 48 ). Qui plus est, les autorités d’asile ne disposent ni des compétences ni des ressources pour établir la preuve d’actes criminels qui, de surcroît, se sont supposément produits dans des circonstances factuelles particulièrement difficiles à élucider ( 49 ).

89. En l’occurrence, il ressort des décisions de renvoi que les mesures restrictives adoptées à l’endroit de MM. K. et H. F. visaient, notamment, à éviter le trouble que leur présence sur le territoire de l’État membre d’accueil pourrait engendrer au sein de la société, en particulier pour leurs victimes potentielles. Selon le gouvernement néerlandais, le trouble invoqué consiste dans le choc que pourrait susciter la présence sur ce territoire, en toute impunité, de personnes suspectées d’avoir
commis les crimes les plus graves de droit international.

90. Au vu de tout ce qui précède, j’estime que le fait qu’un individu a été exclu du statut de réfugié au titre de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève, bien qu’il ne puisse pas automatiquement fonder le constat d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, peut être pris en considération à cette fin pour autant que les circonstances ayant mené à l’application de cette disposition, telles qu’elles ressortent des appréciations
effectuées par les autorités d’asile, font apparaître un comportement personnel constitutif d’une telle menace.

2)  Sur les éléments permettant d’apprécier si les circonstances qui ont fondé l’exclusion du statut de réfugié révèlent un comportement personnel constitutif d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société

91. Ainsi que la Cour l’a souligné dans les arrêts B et D ( 50 ) et Lounani ( 51 ), l’exclusion du statut de réfugié suppose un examen complet des circonstances précises propres à chaque cas individuel. Selon diverses prises de position du HCR, celles‑ci incluent, outre la nature des crimes dont l’intéressé est soupçonné, le niveau d’implication individuelle de ce dernier dans ces crimes ainsi que l’existence éventuelle de motifs d’exonération de la responsabilité pénale tels que la contrainte ou la
légitime défense ( 52 ).

92. L’ensemble de ces circonstances, telles que constatées par les autorités d’asile, doivent, à mes yeux, également être prises en compte aux fins d’évaluer si le comportement personnel de l’intéressé constitue une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38. Dans ce contexte, un poids considérable peut être accordé à la gravité particulière des crimes, visés à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève, qui lui sont reprochés. Encore convient‑il,
cependant, d’examiner également tous les autres facteurs pertinents.

93. S’agissant, en particulier, du degré d’implication personnelle, j’observe que, en vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2011/95, un demandeur d’asile est considéré avoir « commis » un crime au sens du paragraphe 2 de cet article pour autant qu’il ait instigué ce crime ou y ait participé de quelque autre manière ( 53 ).

94. À ce propos, la Cour a jugé dans l’arrêt B et D ( 54 ) que les autorités d’asile ne peuvent pas exclure une personne du statut de réfugié sur le seul fondement de son appartenance passée à une organisation impliquée dans des crimes d’un type visé à l’article 1er, section F, de la convention de Genève sans vérifier si une part de responsabilité peut lui être imputée pour les crimes reprochés à cette organisation à la lumière de l’ensemble des circonstances. Ces circonstances comprennent « le rôle
qu’a effectivement joué la personne concernée dans la perpétration des actes en question, sa position au sein de l’organisation, le degré de connaissance qu’elle avait ou était censée avoir des activités de celle‑ci, les éventuelles pressions auxquelles elle aurait été soumise ou d’autres facteurs susceptibles d’influencer son comportement» ( 55 ).

95. En l’occurrence, M. K. allègue qu’il a été exclu du statut de réfugié sur la base de la fonction obligatoire qu’il exerçait dans l’armée bosniaque. Selon ce dernier, la pratique des autorités d’asile néerlandaises ne rend pas justice à l’exigence d’examen individuel du niveau d’implication personnelle du demandeur d’asile concerné.

96. M. H. F. soutient, quant à lui, que les autorités d’asile néerlandaises lui ont opposé une clause d’exclusion au seul motif qu’il occupait une simple fonction logistique auprès du KhAD ( 56 ).

97. À cet égard, je rappelle que, si les autorités de l’État membre d’accueil, dans le cadre de l’adoption d’une mesure restrictive, ne sont pas habilitées à mettre en cause le bien‑fondé d’une décision d’exclusion du statut de réfugié ( 57 ), il leur incombe néanmoins de vérifier si les éléments sur lesquels les autorités d’asile ont fondé cette décision sont également de nature à justifier le constat d’une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

98. Or, sous l’angle de cette disposition, la circonstance selon laquelle l’intéressé fait partie ou a fait partie dans le passé d’une organisation impliquée dans des actes criminels ne peut fonder le constat d’une telle menace que dans la mesure où cette circonstance témoigne d’un comportement personnel attentatoire à l’ordre public ou à la sécurité publique ( 58 ).

99. Dans l’arrêt H. T. ( 59 ), la Cour a appliqué le raisonnement développé dans l’arrêt B et D ( 60 ) (exposé au point 94 des présentes conclusions), par analogie, dans le cadre de l’interprétation de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2011/95. Cette disposition autorise le refus de délivrance d’un titre de séjour à un réfugié pour des « raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public ». Selon la Cour, la notion d’« ordre public » au sens de ladite disposition
suppose, semblablement à ce que prévoit l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société» ( 61 ). Or, la Cour a jugé qu’une telle menace ne saurait être fondée uniquement sur des actes passés de soutien à une organisation impliquée dans des actions criminelles, sans un examen de la responsabilité individuelle du réfugié en cause dans la mise en œuvre de ces actions au regard des faits précis (
62 ). Cette conclusion me semble être valable en ce qui concerne tant l’interprétation de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2011/95 que celle de l’article 27 de la directive 2004/38, dès lors que la Cour a considéré, dans l’arrêt H. T. ( 63 ), que la notion d’« ordre public » au sens de ces deux dispositions doit recevoir une interprétation similaire.

100. C’est aux juridictions de renvoi qu’il appartiendra d’apprécier si les mesures restrictives en cause au principal ont ou non été adoptées à l’issue d’un examen individuel – lui‑même effectué sur la base des constatations ayant fondé l’exclusion du statut de réfugié de MM. K. et H. F. – de l’ensemble des circonstances pertinentes, à la lumière des considérations qui précèdent.

b)   Sur la pertinence du temps écoulé depuis la commission supposée des crimes et de l’absence de propension à réitérer ceux‑ci

101. Les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, visés à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève, désignent généralement des faits commis dans un pays tiers avant l’arrivée du demandeur d’asile concerné sur le territoire de l’État membre d’accueil. Comme l’ont relevé M. K. ainsi que les gouvernements français, néerlandais et du Royaume‑Uni, il est fortement improbable que de tels crimes soient réitérés dans cet État membre après l’arrivée de
ce dernier ( 64 ). Il en va ainsi dès lors que, par hypothèse, ainsi que l’a fait remarquer le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers), ces faits sont liés au contexte géographique, historique et social spécifique de ce pays tiers, et en particulier à une situation de conflit dans ce pays.

102. Selon moi, ces considérations ne sont pas nécessairement déterminantes dans des situations telles que celles en cause au principal.

103. En premier lieu, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 72 des présentes conclusions, l’actualité de la menace ne suppose pas nécessairement l’existence d’un risque de répétition d’un comportement attentatoire à l’ordre public ou à la sécurité publique. Dans certaines circonstances, le seul fait du comportement passé peut suffire à justifier le constat selon lequel le comportement personnel de l’individu concerné représente une menace réunissant les conditions énoncées à
l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

104. Ces circonstances englobent, à mon avis, des situations dans lesquelles un État membre invoque, au soutien d’une mesure restrictive, une menace pour un intérêt fondamental de la société qui ne dépend pas du risque de répétition d’un comportement criminel ( 65 ).

105. En l’espèce, les décisions litigieuses n’ont pas été adoptées aux fins de prévenir le risque que MM. K. et H. F. se livrent à l’avenir sur le territoire de l’État membre d’accueil à des crimes contre la paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Ces décisions visaient, en revanche, à prévenir les troubles à l’ordre social et aux relations internationales que pourrait entraîner leur présence sur ce territoire, en raison de la gravité exceptionnelle des agissements passés dont
ils sont soupçonnés, et ce indépendamment de leur comportement actuel et futur. Eu égard aux intérêts fondamentaux invoqués, c’est donc la présence même de personnes suspectées d’avoir jadis commis de tels crimes, et non leur comportement présent ou futur dans l’État membre d’accueil, qui constitue la menace en cause. Une telle menace peut satisfaire à la condition d’actualité prévue à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 dès lors que, comme l’ont souligné les gouvernements
néerlandais et du Royaume‑Uni, c’est la menace, et non le comportement de l’intéressé, qui doit être actuelle.

106. En second lieu, le laps de temps écoulé depuis la commission supposée des crimes en cause, s’il doit être pris en compte aux fins de vérifier si la menace alléguée présente un caractère actuel ( 66 ), ne prive pas nécessairement celle‑ci d’un tel caractère. En effet, les risques de troubles à l’ordre social et aux relations internationales que pourrait susciter la présence sur le territoire d’un État membre d’une personne soupçonnée de crimes contre la paix, de crimes de guerre ou de crimes
contre l’humanité peuvent subsister même – et parfois d’autant plus – lorsque cette personne a bénéficié d’une longue période d’impunité. Les crimes couverts par l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève revêtent, d’ailleurs, un caractère imprescriptible en vertu de divers instruments de droit pénal international ( 67 ).

107. Dans l’hypothèse où l’examen du comportement individuel des intéressés, effectué à la lumière des considérations qui précèdent, mènerait au constat d’une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, encore faudrait‑il vérifier si l’adoption des mesures restrictives en cause au principal respecte le principe de proportionnalité, ainsi que les droits fondamentaux de ces derniers.

C. Sur l’examen de la proportionnalité des mesures restrictives et de leur conformité au droit à la vie privée et familiale

108. Par sa troisième question, le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg), interroge la Cour quant aux modalités de l’appréciation de proportionnalité requise dans le cadre de l’adoption d’une mesure restrictive à l’encontre d’un individu qui a antérieurement été exclu du statut de réfugié au titre de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève.

109. Cette juridiction demande, en particulier, si les facteurs énoncés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 – et repris au point 3.3 des lignes directrices de la Commission –, doivent être pris en compte dans ce contexte. Elle cherche en outre à savoir, en substance, si la protection renforcée dont bénéficient, en vertu de l’article 28, paragraphe 3, sous a), de cette directive, les citoyens de l’Union qui ont résidé pendant les dix années précédentes dans l’État membre d’accueil,
trouve à s’appliquer à la situation de M. K.

110. Le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers) a également interrogé la Cour quant à la compatibilité d’une mesure restrictive telle que la décision litigieuse dans l’affaire C‑366/16 avec l’article 7 de la Charte. Or, comme je l’exposerai ci‑après, l’examen de la proportionnalité d’une mesure restrictive est intrinsèquement lié à la vérification de sa conformité aux droits fondamentaux. Dans ces conditions, en vue d’apporter une réponse utile à cette juridiction,
il importe de lui fournir également certaines indications relatives aux modalités de cet examen dans le contexte de l’affaire dont elle est saisie.

1.   Sur l’exigence d’adéquation et de nécessité des mesures restrictives

111. Le principe de proportionnalité, dont l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 impose le respect, implique que toute mesure restrictive soit « propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit » et n’aille « pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre» ( 68 ).

112. Aux fins de satisfaire à ces exigences, l’État membre d’accueil est, notamment, tenu de vérifier la possibilité d’adopter des mesures alternatives moins attentatoires à la liberté de circulation et de séjour de l’intéressé qui seraient aussi efficaces pour assurer la protection des intérêts fondamentaux invoqués ( 69 ).

113. À cet égard, d’aucuns pourraient se demander si, ainsi que l’a fait valoir M. K. lors de l’audience, les intérêts fondamentaux invoqués en l’espèce ne seraient pas mieux servis par l’exercice dans l’État membre d’accueil de poursuites judiciaires contre l’intéressé ( 70 ) lorsque cet État membre dispose d’une compétence extraterritoriale à cette fin ( 71 ). L’éloignement de l’intéressé vers un autre État membre (comme dans la situation de M. K.) ou vers un État tiers en l’absence de garanties
qu’il y sera traduit en justice n’est, en effet, pas de nature à remédier aux problèmes liés à l’impunité des auteurs présumés des crimes visés à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève ( 72 ).

114. Toutefois, il convient, à mes yeux, de faire preuve de réserve à ce propos et d’admettre que, sans préjudice des obligations d’exercer la compétence extraterritoriale qui pèsent sur les États membres au titre du droit pénal international ( 73 ), ceux‑ci demeurent libres de faire face à la menace que peut constituer la présence d’une personne exclue du statut de réfugié en lui refusant le séjour au lieu de la traduire en justice. Tel que l’a fait valoir le gouvernement du Royaume‑Uni, un État
membre peut, dans certains cas, s’estimer ne pas être en mesure – ne fût‑ce qu’au regard de la difficulté de collecter des preuves et d’établir les faits pertinents – d’exercer des poursuites contre une telle personne ( 74 ). Ces enjeux dépassent, me semble‑t‑il, le cadre des présentes affaires.

2.   Sur la mise en balance des intérêts légitimes en présence

a)   Sur les principes applicables

115. L’exigence de proportionnalité d’une mesure restrictive au titre de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 suppose également la recherche d’un juste équilibre entre, d’une part, la protection des droits que les citoyens de l’Union et les membres de leurs familles tirent de cette directive et, d’autre part, celle des intérêts fondamentaux de la société d’accueil ( 75 ).

116. Une telle mise en balance est intrinsèquement liée à l’examen d’une mesure restrictive sous l’angle des droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, et en particulier du droit au respect de la vie privée et familiale consacré à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH ( 76 ). En effet, ces dispositions impliquent la poursuite d’un équilibre entre les intérêts collectifs invoqués au soutien d’une ingérence dans ce droit et les intérêts individuels de la personne concernée.
Elles doivent, le cas échéant, être lues en corrélation avec l’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu en droit de l’Union à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte ( 77 ).

117. L’article 27 de la directive 2004/38, intitulé « Principes généraux », vise l’ensemble des mesures restrictives. Cette disposition ne précise pas les critères à prendre en considération aux fins d’apprécier la proportionnalité de ces mesures et leur conformité aux droits fondamentaux de leurs destinataires. En revanche, l’article 28, paragraphe 1, de cette directive, sous l’intitulé « Protection contre l’éloignement », s’applique aux « décisions d’éloignement » et énumère, de façon non
exhaustive, les facteurs dont les États membres doivent tenir compte avant d’adopter de telles décisions. Ceux‑ci incluent la durée du séjour de l’intéressé sur le territoire de l’État membre d’accueil, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle dans cet État membre, ainsi que l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.

118. Ces facteurs, également repris au point 3.3 des lignes directrices de la Commission, reflètent largement ceux qui, selon la jurisprudence de la Cour EDH développée en particulier dans ses arrêts Boultif c. Suisse ( 78 ) et Üner c. Pays‑Bas ( 79 ), permettent de vérifier la conformité d’une mesure d’éloignement à l’article 8 de la CEDH.

119. Je souligne, toutefois, que l’analyse de la proportionnalité d’une restriction aux libertés de circulation et de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles ne coïncide pas nécessairement avec celle entreprise sous l’angle de cette disposition. En effet, la jurisprudence de la Cour EDH prend pour point de départ que l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit d’un étranger d’entrer et de résider dans un pays particulier ( 80 ). En revanche, les citoyens de l’Union et les
membres de leurs familles disposent du droit d’entrer et de résider dans l’État membre d’accueil dans les conditions prévues par la directive 2004/38, celui‑ci étant tenu de justifier toute restriction de ce droit ( 81 ). Le poids relatif des critères mis en balance peut dès lors varier, eu égard également aux objectifs spécifiques de cette directive, parmi lesquels figure, tel qu’il ressort de ses considérants 23 et 24, le renforcement de l’intégration de ces personnes dans la société
d’accueil.

b)   Sur l’applicabilité des critères énoncés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 à des situations telles que celles en cause au principal

1) Sur les situations telles que celle de M. K.

120. Ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour par la juridiction de renvoi, la déclaration d’indésirabilité prise contre M. K. aux Pays‑Bas comprenait un ordre de quitter le territoire néerlandais. Le gouvernement néerlandais a affirmé lors de l’audience que ce dernier est susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement forcé s’il n’obtempère pas à cet ordre dans le délai imparti.

121. Par conséquent, la décision litigieuse dans l’affaire C‑331/16 relève du champ d’application de l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38, ainsi que l’a, d’ailleurs, reconnu ce gouvernement.

122. À cet égard, il n’importe pas, premièrement, que, comme ledit gouvernement l’a précisé lors de l’audience, M. K. n’ait pas fait l’objet d’une mesure d’éloignement forcé. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence ( 82 ), cette disposition s’applique à toute mesure impliquant l’éloignement d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille. Elle ne se limite pas à viser les mesures de rapatriement forcé par lesquelles sont, le cas échéant, mises en œuvre certaines décisions
d’éloignement à défaut d’exécution volontaire par leurs destinataires ( 83 ).

123. Deuxièmement, la prise en compte des facteurs énumérés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 s’impose en dépit du fait que, tel qu’il apparaît à la lecture de la décision de renvoi et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, M. K. n’a pas disposé aux Pays‑Bas d’un droit de séjour autre que provisoire, lui permettant de demeurer dans cet État membre dans l’attente d’une décision sur ses demandes d’asile et sur ses recours éventuels. M. K. semble être resté aux
Pays‑Bas sans y disposer d’un droit de séjour après que les décisions d’exclusion du statut de réfugié et l’interdiction d’entrée sur le territoire adoptées contre lui sont devenues définitives ( 84 ).

124. La Cour EDH a déjà jugé, à ce propos, que la mise en balance des intérêts collectifs et individuels à la lumière de l’ensemble des facteurs énoncés en particulier dans les arrêts Boultif c. Suisse ( 85 ) et Üner c. Pays‑Bas ( 86 ) est requise même lorsque les liens d’intégration dans l’État membre d’accueil ont été tissés par l’intéressé sans que ce dernier y dispose d’un droit de séjour. Cette circonstance peut, cependant, être prise en compte dans le cadre de cette mise en balance ( 87 ),
qu’il appartiendra à la juridiction nationale d’effectuer.

2) Sur les situations telles que celle de M. H. F.

125. Le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers) a mis en exergue que la décision de refus de séjour dont M. H. F. a fait l’objet n’était pas assortie d’un ordre de quitter le territoire. La présence de l’intéressé sur le territoire belge était, en quelque sorte, « tolérée », sans toutefois que ce dernier y dispose d’un droit de séjour et d’un statut particulier ( 88 ).

126. Se pose, dès lors, la question de savoir si l’adoption d’une telle mesure restrictive, bien qu’elle n’implique pas l’éloignement de son destinataire, requiert néanmoins la prise en compte des critères listés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38.

127. À cet égard, j’observe que la privation d’un droit de séjour est – au même titre, bien qu’à un degré moindre, qu’une décision d’éloignement – susceptible de mettre en péril l’intégration de l’intéressé dans l’État membre d’accueil et de nuire à sa vie privée et familiale.

128. Or, plusieurs des facteurs énoncés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38, tels que la durée du séjour et l’intensité des liens avec l’État membre d’accueil, sont intrinsèquement liés à l’intégration consécutive au séjour dans cet État membre. Dans cette optique, ces facteurs peuvent être pertinents aux fins de vérifier la proportionnalité et la conformité à l’article 7 de la Charte d’une mesure restrictive qui n’implique pas l’éloignement de l’intéressé, pour autant que ce
dernier a déjà été en mesure de s’intégrer et de développer une vie privée et familiale dans ledit État membre du fait qu’il y a séjourné ( 89 ). Comme l’ont fait valoir les gouvernements belge et du Royaume‑Uni, lesdits facteurs sont, en revanche, hors de propos s’agissant des décisions qui impliquent au premier chef le refus d’entrée dans un État membre. Par hypothèse, leurs destinataires n’ont, alors, pas eu l’occasion de s’y intégrer ni d’y construire une vie privée et familiale.

129. C’est à la lumière de ces considérations que je comprends le point 3.3 des lignes directrices de la Commission, lequel énonce que les facteurs énumérés à l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doivent être pris en compte lors de l’adoption de toute mesure restrictive au sens de l’article 27 de cette directive. Ce point signifie, à mon sens, que ces facteurs doivent être pris en considération dans la mesure où ils s’avèrent pertinents dans un cas d’espèce déterminé.

130. L’approche que je propose reflète également la jurisprudence de la Cour EDH selon laquelle le test du « juste équilibre » entre les intérêts de l’ordre public et les intérêts individuels est applicable dans le cadre de la vérification du respect par un État contractant tant de ses « obligations négatives » de ne pas entraver le droit à la vie privée et familiale d’un individu en l’éloignant de son territoire que de ses « obligations positives » de lui permettre l’exercice effectif de ce droit,
notamment en lui conférant un droit de séjour. Ainsi qu’il ressort de cette jurisprudence, la démarcation entre ces deux catégories d’obligations ne se prête pas, au demeurant, à une définition précise ( 90 ).

131. La Cour EDH a, d’ailleurs, déjà examiné une affaire dont les faits étaient analogues à ceux de l’affaire C‑366/16. La décision K. contre Pays‑Bas ( 91 ) concernait la conformité à l’article 8 de la CEDH d’une mesure d’expulsion, prise par les Pays‑Bas contre un ressortissant afghan exclu du statut de réfugié en application de l’article 1er, section F, de la convention de Genève, dont l’exécution avait été suspendue. Ainsi qu’il ressort de cette décision, le test du « juste équilibre » susdécrit
demeure applicable dans un tel contexte.

132. Cependant, la Cour EDH a mentionné, parmi les facteurs à prendre en compte à cette fin, la mesure dans laquelle la vie familiale se trouve effectivement entravée par la mesure étatique en cause. Elle a précisé, à cet égard, qu’un poids considérable peut être accordé au fait que l’intéressé ne risque pas d’être éloigné du territoire du pays d’accueil, ni, partant, d’être séparé de sa famille ( 92 ).

133. Cet élément est, à mon sens, également pertinent dans le cadre de l’examen de la proportionnalité d’une mesure restrictive sous l’angle de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer. J’ajoute, cependant, que les éléments relatifs à l’intégration de l’intéressé revêtent une importance particulière dans le cadre de l’application de cette disposition, eu égard aux objectifs poursuivis par la directive 2004/38 ( 93 ).

3.   Sur l’applicabilité de l’article 28, paragraphe 3, sous a), dans une situation telle que celle de M. K.

134. Le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg), a fait remarquer que M. K. résidait de façon ininterrompue aux Pays‑Bas depuis plus de dix ans au moment de l’adoption de la décision litigieuse dans l’affaire C‑331/16 ( 94 ). Cette juridiction cherche dès lors à savoir si ce dernier bénéficie des garanties renforcées contre l’éloignement que prévoit l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 – lequel constitue également une
expression du principe de proportionnalité ( 95 ).

135. Ainsi que le mentionnent les considérants 23 et 24 de cette directive, celle‑ci institue un système de protection graduelle contre l’éloignement qui dépend du degré d’intégration dans l’État membre d’accueil. Ce degré d’intégration est, en quelque sorte, présumé de façon objective en fonction de la durée du séjour dans cet État membre. Plus longue est cette durée, plus étroits sont supposés les liens d’intégration tissés dans la société d’accueil et, partant, plus complète est la protection
contre l’éloignement ( 96 ).

136. C’est dans cette optique non seulement que l’article 28, paragraphe 1, de cette directive requiert la prise en compte de la durée du séjour aux fins de vérifier la proportionnalité d’une mesure d’éloignement, mais également que les paragraphes 2 et 3 de cet article prévoient, respectivement, qu’une personne ne peut être éloignée de l’État membre d’accueil que pour des « motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique » si elle y a acquis un droit de séjour permanent et pour des « raisons
impérieuses de sécurité publique » si elle y a séjourné les dix années précédant l’adoption d’une telle mesure.

137. La situation de M. K. présente une configuration spécifique dans la mesure où ce dernier a séjourné aux Pays‑Bas avant d’acquérir le statut de citoyen de l’Union à la suite de l’adhésion de la République de Croatie à l’Union. En outre, tel que je l’ai souligné au point 123 des présentes conclusions, la décision de renvoi semble indiquer, toujours sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que M. K. a séjourné aux Pays‑Bas sans y disposer d’un droit de séjour.

138. À cet égard, j’estime, en premier lieu, que le fait que cette période de séjour a précédé l’adhésion de la République de Croatie à l’Union n’empêche pas, en tant que telle, qu’elle soit prise en compte pour calculer la durée du séjour de M. K. aux Pays‑Bas aux fins de l’application de l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38.

139. En effet, la Cour a jugé dans l’arrêt Ziolkowski et Szeja ( 97 ) que, sans préjudice de dispositions transitoires éventuelles dans l’acte d’adhésion de cet État membre à l’Union ( 98 ), les périodes de séjour d’un ressortissant d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre, accomplies antérieurement à l’adhésion du premier État membre à l’Union et effectuées dans le respect des conditions prévues par la directive 2004/38, doivent être prises en compte aux fins de l’acquisition du
droit de séjour permanent dans le second État membre au titre de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive.

140. Il en va ainsi, selon la Cour, dès lors que les dispositions de la directive 2004/38 doivent être appliquées aux effets actuels et futurs de situations nées antérieurement à l’adhésion à l’Union de l’État membre dont l’intéressé possède la nationalité et, donc, à la date de transposition de cette directive dans celui‑ci. Ce raisonnement vaut, à mon sens, également dans le cadre de l’interprétation de l’article 28, paragraphe 3, sous a), de ladite directive.

141. Cependant, en second lieu, ainsi que l’ont fait valoir le gouvernement néerlandais et la Commission, la circonstance selon laquelle M. K. n’a pas disposé d’un droit de séjour lui permettant de demeurer légalement aux Pays‑Bas en vertu du droit national de cet État membre, à la supposer établie, ferait, à mon avis, obstacle à la jouissance de la protection que confère cette disposition.

142. À cet égard, le libellé de l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 ne précise pas si la période de séjour ouvrant le droit à la protection contre l’éloignement au titre de cette disposition désigne uniquement les périodes de séjour légal. Ce libellé se distingue en ce sens de celui de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive, lequel prévoit que seule une période de « séjour légal » ininterrompue de cinq ans permet l’acquisition d’un droit de séjour permanent – et de
la protection corrélative contre l’éloignement prévue à l’article 28, paragraphe 2, de ladite directive. Ainsi qu’il ressort du considérant 17 de la directive 2004/38, l’exigence de légalité du séjour énoncée à l’article 16, paragraphe 1, de cette directive implique non seulement que l’intéressé n’ait pas fait l’objet d’une décision d’éloignement, mais également que ce séjour soit conforme aux conditions qui découlent de ladite directive ( 99 ). La Cour n’a pas encore tranché la question de
savoir si la période de séjour requise aux fins de bénéficier de la protection prévue à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 suppose également le respect de ces conditions ( 100 ).

143. Je m’abstiendrai de me prononcer sur cette question en termes généraux, dès lors que le traitement de l’affaire C‑331/16 requiert uniquement de déterminer, de façon plus ciblée, si cette période de séjour inclut les périodes de séjour accomplies par l’intéressé, avant l’adhésion à l’Union de l’État membre dont il a la nationalité, sans disposer d’un droit de séjour lui permettant de demeurer légalement dans l’État membre d’accueil en vertu du droit national de ce dernier.

144. Cette question appelle, à mes yeux, une réponse négative.

145. J’observe, à ce propos, que, comme l’indiquent les considérants 23 et 24 de la directive 2004/38, l’article 28, paragraphe 3, sous a), de celle‑ci a pour objectif de protéger contre l’éloignement les personnes qui se sont véritablement intégrées dans l’État membre d’accueil. Cette disposition poursuit une finalité propre, relative à la promotion de l’intégration des citoyens de l’Union au sein de celle‑ci ( 101 ), et va au‑delà des garanties qui découlent de l’article 7 de la Charte et de
l’article 8 de la CEDH.

146. Selon la jurisprudence de la Cour, le critère déterminant aux fins d’évaluer si les liens d’intégration de l’intéressé dans l’État membre d’accueil sont suffisamment solides pour qu’il bénéficie de la protection qu’institue l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 réside dans la question de savoir si cette personne y a séjourné pendant les dix années qui précèdent la décision d’éloignement ( 102 ).

147. La Cour n’a, cependant, pas exclu la prise en considération de tout facteur qualitatif dans le cadre d’une telle évaluation. Ainsi, dans l’arrêt G. ( 103 ), elle a jugé que les périodes d’emprisonnement ne sont pas incluses dans le calcul de la période de séjour de dix ans ouvrant le droit à la protection prévue à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38. Certes, le non‑respect des règles de droit national relatives à l’entrée et au séjour des étrangers n’est guère
assimilable à la commission d’une infraction criminelle. L’approche suivie par la Cour implique néanmoins l’acceptation de la prise en compte, bien que de façon très limitative, de certains éléments qualitatifs attachés à l’intégration requise en vue de bénéficier de cette protection, à l’instar de celle qui préside à l’acquisition du droit de séjour permanent instauré par l’article 16, paragraphe 1, de cette directive ( 104 ).

148. À cet égard, la Cour a, dans l’arrêt Dias ( 105 ), jugé qu’une période de présence sur le territoire de l’État membre d’accueil, accomplie avant l’entrée en vigueur de la directive 2004/38 sans disposer d’un quelconque droit de séjour, met en cause le lien d’intégration avec cet État membre. Une telle période ne doit, dès lors, pas être prise en compte aux fins de l’obtention du droit de séjour permanent.

149. Cette même logique implique, selon moi, qu’une personne ne saurait, lorsqu’elle a, avant d’acquérir la statut de citoyen de l’Union, séjourné de façon précaire dans l’État membre d’accueil, alors que le droit national de celui‑ci ne l’y autorisait pas, se prévaloir d’une véritable intégration de nature à lui ouvrir le droit à la protection la plus élevée contre l’éloignement que prévoit la directive 2004/38. Il en va ainsi à plus forte raison lorsque, comme en l’espèce, l’individu concerné, à
la date de la décision d’éloignement en cause, séjournait dans l’État membre d’accueil en méconnaissance d’une mesure d’interdiction d’entrée sur le territoire précédemment adoptée contre lui.

V. Conclusion

150. Au vu de tout ce qui précède, je propose de répondre comme suit aux questions posées par le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siège de Middelburg, Pays-Bas), et par le Raad voor Vreemdelingenbetwistingen (conseil du contentieux des étrangers, Belgique) :

1. L’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens que le fait qu’un citoyen de l’Union
ou un membre de sa famille a, dans le passé, été exclu du statut de réfugié en application de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève relative au statut des réfugiés, bien qu’il ne puisse pas automatiquement fonder le constat d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, peut être pris en compte à cet effet pour autant que les circonstances ayant mené à l’application de cette disposition fassent apparaître l’existence
d’un comportement personnel constitutif d’une telle menace.

À cet égard, l’État membre d’accueil est tenu d’effectuer une appréciation individuelle du comportement personnel de l’individu concerné à la lumière, notamment, des constatations des autorités d’asile en ce qui concerne la gravité des crimes qui lui sont reprochés, le niveau d’implication personnelle de ce dernier dans la perpétration de ces crimes ainsi que l’existence éventuelle de motifs d’exonération de la responsabilité pénale.

L’absence de risque que l’individu concerné réitère des crimes d’un type visé à l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève dans l’État membre d’accueil de même que l’écoulement d’un laps de temps important depuis la commission supposée de tels crimes ne s’opposent pas en tant que tels au constat d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.

2. L’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que toute restriction apportée par un État membre aux libertés de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille doit être conforme au principe de proportionnalité et respecter le droit à la vie privée et familiale de cet individu. Dans ce contexte, cet État membre doit mettre en
balance, d’une part, la protection des intérêts fondamentaux invoqués au soutien d’une telle restriction et, d’autre part, les intérêts dudit individu relatifs à l’exercice de ces libertés ainsi que de sa vie privée et familiale. Ledit État membre doit tenir compte, notamment, des facteurs énoncés à l’article 28, paragraphe 1, de cette directive dans la mesure où ils sont pertinents dans la situation particulière en cause.

3. L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que la période de dix années de séjour dans l’État membre d’accueil, ouvrant le droit à la protection contre l’éloignement qu’institue cette disposition, n’inclut pas les périodes au cours desquelles un citoyen de l’Union a, avant l’adhésion de l’État membre dont il possède la nationalité à l’Union, résidé dans l’État membre d’accueil sans y être autorisé en vertu du droit national de cet État
membre.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).

( 3 ) Cette convention a été signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)] et est entrée en vigueur le 22 avril 1954. Elle a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967 et entré en vigueur le 4 octobre 1967.

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9). Cette disposition reprend l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/83/CE du
Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12), applicable à l’époque des faits pertinents et remplacée par la directive 2011/95.

( 5 ) NL:RVS:2008:BF1415.

( 6 ) NL:RVS:2015:2008.

( 7 ) NL:RVS:2015:2737.

( 8 ) Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172, points 27 à 29).

( 9 ) Arrêt du 9 novembre 2010 (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 103 à 105).

( 10 ) Arrêt du 22 mai 2012 (C‑348/09, EU:C:2012:300, point 30).

( 11 ) Arrêt du 24 juin 2015 (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 92).

( 12 ) Arrêt no 99921.

( 13 ) Communication au Parlement européen et au Conseil du 2 juillet 2009 [COM(2009) 313 final]. Ce point énumère les éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de l’intéressé qui doivent être mis en balance avec les intérêts fondamentaux de la société aux fins de vérifier la proportionnalité d’une mesure d’ordre public ou de sécurité publique visant à protéger ces intérêts.

( 14 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (JO 2006, L 381, p. 4). L’article 24, paragraphe 1, de ce règlement dispose que « les données relatives aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’un signalement aux fins de non‑admission ou d’interdiction de séjour sont introduites sur la base d’un signalement national résultant d’une décision prise
par les autorités administratives ou juridictions compétentes dans le respect des règles de procédure prévues par la législation nationale, sur la base d’une évaluation individuelle ». Selon le paragraphe 2 de cet article, « [u]n signalement est introduit lorsque la décision visée au paragraphe 1 est fondée sur la menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ou pour la sécurité nationale que peut constituer la présence d’un ressortissant d’un pays tiers sur le territoire d’un État membre ».
Aux termes du paragraphe 3 dudit article, « [u]n signalement peut également être introduit lorsque la décision visée au paragraphe 1 est fondée sur le fait que le ressortissant d’un pays tiers a fait l’objet d’une mesure d’éloignement, de renvoi ou d’expulsion qui n’a pas été abrogée ni suspendue, et qui comporte ou est assortie d’une interdiction d’entrée, ou, le cas échéant, de séjour, fondée sur le non‑respect des réglementations nationales relatives à l’entrée ou au séjour des ressortissants de
pays tiers ».

( 15 ) NL:RVS:2015:2008. Voir point 21 des présentes conclusions.

( 16 ) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 prévoit que celle‑ci « s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, [paragraphe] 2, qui l’accompagnent ou le rejoignent ». Selon l’article 2, paragraphe 2, sous d), de cette directive, les ascendants directs d’un citoyen de l’Union ne constituent des « membres de sa famille » que s’ils sont à charge
de celui‑ci. La décision de renvoi ne précise pas si M. H. F. est, ainsi que ce dernier l’a fait valoir lors de l’audience, à charge de sa fille. Cependant, cette décision indique que l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004/38 est applicable à M. H. F. (voir point 35 des présentes conclusions), ce qui suppose que cette condition soit remplie. Or la Cour est, en principe, tenue de se fonder sur les prémisses factuelles que la juridiction de renvoi estime établies [voir arrêts du
28 janvier 1999, van der Kooy (C‑181/97, EU:C:1999:32, point 30), ainsi que, en ce sens, du 12 février 2009, Cobelfret (C‑138/07, EU:C:2009:82, point 23)]. Il appartient à la seule juridiction de renvoi d’apprécier, en l’occurrence, si M. H. F. revêt bien la qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union.

( 17 ) Voir arrêt du 9 novembre 2010, B et D (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 115 à 120). La Cour y a relevé que la directive 2011/95, à l’instar de la convention de Genève, part du principe selon lequel les États membres peuvent accorder, en vertu de leurs droits nationaux, un autre type de protection, distincte de celle que confèrent cette directive et cette convention, offrant aux individus exclus du statut de réfugié le droit de séjourner sur leurs territoires.

( 18 ) Voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 21).

( 19 ) Voir, notamment, arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 58 et jurisprudence citée). Dans l’arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, point 65), la Cour a jugé que les dérogations aux droits liés au statut de citoyen de l’Union doivent être interprétées de façon « particulièrement restrictive ».

( 20 ) S’agissant de la décision litigieuse dans l’affaire C‑331/16, cette motivation tire son origine de certains arrêts du Raad van State (Conseil d’État) auxquels fait référence cette décision (voir point 20 des présentes conclusions).

( 21 ) Voir, notamment, arrêts du 28 octobre 1975, Rutili (36/75, EU:C:1975:137, points 26 et 27) ; du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, points 33 et 34) ; ainsi que du 22 mai 2012, I (C‑348/09, EU:C:2012:300, point 23 et jurisprudence citée).

( 22 ) Voir, notamment, arrêt du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 39 et jurisprudence citée).

( 23 ) Ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38.

( 24 ) Arrêt du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 83 et jurisprudence citée).

( 25 ) Arrêt du 17 novembre 2011, Aladzhov (C‑434/10, EU:C:2011:750, point 37).

( 26 ) Le gouvernement du Royaume‑Uni invoque, en outre, la nécessité pour les États membres de remplir leurs obligations en matière de lutte contre le terrorisme, au titre de diverses résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, qui leur imposent de refuser de donner refuge à ceux qui commettent ou facilitent la commission d’actes terroristes. J’observe, cependant, que les actes terroristes font l’objet de la clause d’exclusion figurant à l’article 1er, section F, sous c), de la convention
de Genève. Celle‑ci n’est pas en cause dans les présentes affaires.

( 27 ) Voir, notamment, arrêts du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, points 68 et 93) ; du 17 novembre 2011, Gaydarov (C‑430/10, EU:C:2011:749, point 38), ainsi que du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, points 64 à 67). Voir également, par analogie, arrêt du 19 janvier 1999, Calfa (C‑348/96, EU:C:1999:6, point 25).

( 28 ) Voir, notamment, arrêts du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 28) ; du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, point 77), et du 7 juin 2007, Commission/Pays-Bas (C‑50/06, EU:C:2007:325, point 41). Voir également, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 46).

( 29 ) Arrêts du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 29) et du 22 mai 2012, I (C‑348/09, EU:C:2012:300, point 30). Voir également, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, point 50).

( 30 ) Arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 29).

( 31 ) Je préfère cette formulation à celle relative à l’absence d’un risque de « récidive ». Comme l’a fait valoir le gouvernement belge, la notion de « récidive » présuppose, selon l’usage commun de ce terme, l’existence d’une condamnation pénale. Or, il ressort des décisions de renvoi que MM. K. et H. F. n’ont pas été condamnés du chef des comportements qui leur sont reprochés au titre de l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève.

( 32 ) À ce propos, la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») a jugé, dans l’arrêt du 21 octobre 2013, Janowiec e. a. c. Russie (CE:ECHR:2013:1021JUD005550807, § 150), auquel le gouvernement français a fait référence lors de l’audience, que les crimes graves de droit international tels que les crimes de guerre, le génocide ou les crimes contre l’humanité revêtent une dimension plus large que les infractions pénales ordinaires et constituent « la négation des fondements
mêmes de la [CEDH] ».

( 33 ) Voir article 5 du statut de la Cour pénale internationale, signé à Rome le 17 juillet 1998 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 2187, no 38544) et entré en vigueur le 1er juillet 2002.

( 34 ) Toutefois, selon le Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’article 1er, section F, sous a), de la convention de Genève peut, dans certains cas, lorsque sont en cause des crimes particulièrement atroces, s’appliquer même si l’intéressé a été condamné et a purgé sa peine. Voir HCR, « Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés », du 4 septembre 2003 (ci‑après la « note d’information du
HCR »), points 72 et 73. Aux termes du considérant 22 de la directive 2011/95, « les consultations avec le [HCR] peuvent contenir des indications utiles pour les États membres lorsqu’ils sont appelés à se prononcer sur l’octroi éventuel du statut de réfugié en vertu de l’article 1er de la convention de Genève ».

( 35 ) Voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, H. T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 77).

( 36 ) Arrêt du 9 novembre 2010 (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 104).

( 37 ) Aux termes de l’arrêt du 9 novembre 2010, B et D (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 101), « le danger actuel que représente éventuellement un réfugié pour l’État membre concerné est pris en considération non pas dans le cadre de son article 12, paragraphe 2, mais dans celui, d’une part, de son article 14, paragraphe 4, sous a), selon lequel cet État membre peut révoquer le statut octroyé à un réfugié notamment lorsqu’il y a des motifs raisonnables de considérer celui-ci comme une
menace pour la sécurité, et, d’autre part, de son article 21, paragraphe 2, qui prévoit que l’État membre d’accueil peut, comme l’y autorise également l’article 33, paragraphe 2, de la convention de Genève, refouler un réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer qu’il est une menace pour la sécurité ou la société de cet État membre ».

( 38 ) Arrêt du 9 novembre 2010, B et D (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 105).

( 39 ) Voir arrêts du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 27), ainsi que, par analogie, du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 59).

( 40 ) Cette conclusion n’est pas affectée par le fait que, à la suite de la décision d’exclusion du statut de réfugié adoptée contre lui, M. H. F. a fait l’objet aux Pays‑Bas d’une décision d’interdiction du territoire et d’un signalement dans le SIS, lequel suppose, conformément à l’article 24, paragraphe 2, du règlement no 1987/2006, que l’État membre signalant a considéré que la présence du ressortissant d’un pays tiers concerné sur son territoire menace l’ordre public ou la sécurité publique
(voir note en bas de page 14 des présentes conclusions). En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 10 juillet 2008, Jipa (C‑33/07, EU:C:2008:396, point 25), une mesure restrictive ne peut pas être basée exclusivement sur des motifs invoqués par un autre État membre en vue de l’adoption d’une telle mesure. Une mesure restrictive « doit être prise à la lumière de considérations propres à la protection de l’ordre public ou de la sécurité publique de l’État membre qui adopte [celle‑ci] ». A fortiori,
une telle mesure ne saurait être fondée uniquement sur les motifs invoqués par un autre État membre aux fins de l’adoption d’une décision de non‑admission ou d’interdiction de séjour contre un ressortissant de pays tiers qui ne relevait pas du champ d’application de la directive 2004/38.

( 41 ) En pratique, il appartient aux autorités nationales, avant d’adopter une mesure restrictive, de prendre connaissance du dossier d’asile de l’intéressé. Lorsqu’est en cause une décision d’exclusion du statut de réfugié prise par un autre État membre et ayant donné lieu à un signalement dans le SIS, il incombe à celui‑ci, en vertu du principe de coopération loyale, de tenir à la disposition de l’État membre d’accueil de la personne signalée des informations complémentaires lui permettant
d’apprécier concrètement l’importance de la menace que cette dernière est susceptible de représenter [voir arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑503/03, EU:C:2006:74, point 56)].

( 42 ) Je détaillerai les éléments à prendre en considération dans ce contexte aux points 91 à 100 des présentes conclusions.

( 43 ) Voir, notamment, article 66, paragraphe 3, du statut de la Cour pénale internationale ainsi qu’article 87, section A, du règlement de procédure et de preuve du Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie, adopté le 11 février 1994, tel qu’amendé en dernier lieu le 8 juillet 2015.

( 44 ) La Cour s’est prononcée en ce sens dans l’arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 52) en ce qui concerne l’interprétation de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98). Cette disposition autorise les États membres à déroger à leur
obligation d’octroyer un délai de départ volontaire en cas d’éloignement d’un ressortissant de pays tiers lorsque ce dernier constitue un danger pour l’ordre public ou la sécurité publique. La Cour a justifié cette conclusion au motif que « les États membres restent pour l’essentiel libres de déterminer les exigences de la notion d’ordre public, conformément à leurs besoins nationaux et [qu’aucune des dispositions de la directive 2008/115 ne permet] de considérer qu’une condamnation pénale soit
nécessaire à cet égard ». À mon sens, ce raisonnement et la conclusion qui en découle sont transposables à l’interprétation de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38. En effet, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation pour définir les exigences de l’ordre public également dans le contexte de cette disposition et la directive 2004/38 ne prévoit pas davantage la nécessité d’une condamnation pénale.

( 45 ) Voir HCR, Principes directeurs sur la protection internationale no 5 : application des clauses d’exclusion, article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, 4 septembre 2003 (points 34 et 35), annexés au Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, Genève, décembre 2011 ; note d’information du HCR, points 107 à 109, ainsi que Statement on Article 1F of the 1951 Convention, juillet 2009, p. 10.

( 46 ) Voir points 91 à 100 des présentes conclusions.

( 47 ) Voir, cependant, note en bas de page 34 des présentes conclusions.

( 48 ) Voir point 81 des présentes conclusions.

( 49 ) Voir, à cet égard, arrêt du Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Suisse), du 11 mai 2010, Y. et famille contre Office fédéral des migrations (ODM) (E‑5538/2006, BVGE, § 5.3.2.2). Cette juridiction y souligne que le standard de preuve prévu à l’article 1er, section F, de la convention de Genève est justifié à la fois par l’objet des décisions fondées sur cette disposition – lesquelles, quelle que soit leur gravité, n’infligent pas de peines – et par les moyens
d’investigation limités dont disposent les autorités d’asile pour recueillir les éléments de preuve de faits qui se sont produits dans des conditions souvent difficiles à élucider.

( 50 ) Arrêt du 9 novembre 2010 (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 87).

( 51 ) Arrêt du 31 janvier 2017 (C‑573/14, EU:C:2017:71, point 72).

( 52 ) Voir, notamment, principes directeurs du HCR, points 10 à 13 et 18 à 23 ; ainsi que note d’information du HCR, points 50 à 75.

( 53 ) Voir également note d’information du HCR, points 50 à 56.

( 54 ) Arrêt du 9 novembre 2010 (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 88 à 99). Bien que cet arrêt concerne l’application des clauses d’exclusion visées à l’article 12, paragraphe 2, sous b) et c), de la directive 2011/95 – lequel correspond à l’article 1er, section F, sous b) et c), de la convention de Genève –, le raisonnement suivi par la Cour et la conclusion qui en résulte s’appliquent, à mon sens, également à la clause d’exclusion prévue à la lettre a) de ces dispositions.

( 55 ) Arrêt du 9 novembre 2010, B et D (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 97).

( 56 ) M. H. F. fait état d’un document, versé au dossier soumis à la Cour par la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑366/16, dans lequel le HCR a publiquement mis en doute la conformité à la convention de Genève de la pratique néerlandaise consistant à présumer l’applicabilité des clauses d’exclusion aux demandeurs d’asile afghans ayant occupé des positions d’officier et d’officier non commissionné auprès du KhAD. Voir, également, HCR, Note on the Structure and Operation of the KhAD/WAD in
Afghanistan 1978‑1992, mai 2008.

( 57 ) Lorsque la décision d’exclusion émane d’un autre État membre, une telle mise en cause serait d’ailleurs incompatible avec la confiance mutuelle qui fonde, tel que le souligne le considérant 22 de ce règlement, le système établi par le règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres
par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31).

( 58 ) Voir, à cet égard, arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133, point 17), cité au point 3.2 des lignes directrices de la Commission.

( 59 ) Arrêt du 24 juin 2015 (C‑373/13, EU:C:2015:413).

( 60 ) Arrêt du 9 novembre 2010 (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 88 à 99).

( 61 ) Arrêt du 24 juin 2015, H. T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, points 77 et 79).

( 62 ) Arrêt du 24 juin 2015, H. T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, points 86 à 90).

( 63 ) Arrêt du 24 juin 2015 (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 77).

( 64 ) La Cour a, d’ailleurs, déjà précisé que l’application d’une clause d’exclusion du statut de réfugié ne dépend pas de l’existence d’un « danger actuel » pour l’État membre concerné (voir point 82 des présentes conclusions).

( 65 ) C’est, à mon avis, également dans cette perspective qu’il convient de comprendre l’affirmation figurant au point 3.2 des lignes directrices de la Commission, selon laquelle « il est essentiel de tenir compte du risque de récidive ». Cette affirmation n’est pertinente qu’en ce qui concerne les mesures restrictives visant à protéger la tranquillité et la sécurité physique de la population contre le risque de récidive d’un comportement criminel. Elle n’est pas applicable aux mesures restrictives
dont l’objectif consiste à sauvegarder des intérêts fondamentaux d’un type distinct.

( 66 ) Voir, par analogie, arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 62). En effet, selon la jurisprudence, l’existence d’une menace au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38 doit être évaluée à l’époque où intervient la mesure restrictive en cause [arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, points 77 à 79)].

( 67 ) Voir, en particulier, article 29 du statut de la Cour pénale internationale, ainsi que la convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, signée le 25 janvier 1974 (Série des traités européens, no 82).

( 68 ) Voir, notamment, arrêts du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal (C‑100/01, EU:C:2002:712, point 43) ; du 10 juillet 2008, Jipa (C‑33/07, EU:C:2008:396, point 29), et du 17 novembre 2011, Gaydarov (C‑430/10, EU:C:2011:749, point 40).

( 69 ) Arrêts du 17 novembre 2011, Aladzhov (C‑434/10, EU:C:2011:750, point 47) ; ainsi que, par analogie, du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, point 49).

( 70 ) À cet égard, le considérant 7 de la décision 2003/335/JAI du Conseil, du 8 mai 2003, concernant les enquêtes et les poursuites pénales relatives aux génocides, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre (JO 2003, L 118, p. 12) énonce qu’« [i]l incombe aux autorités compétentes des États membres, lorsqu’il leur est indiqué qu’une personne qui a fait la demande d’un permis de séjour est soupçonnée d’avoir commis un génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre ou
d’avoir participé à la commission de tels actes, de veiller à ce que les actes en question fassent l’objet d’une enquête et, s’il y a lieu, de poursuites pénales, conformément à leur droit national ». En l’occurrence, le gouvernement néerlandais a indiqué, lors de l’audience, que quelques personnes ayant été exclues du statut de réfugié ont par la suite fait l’objet de poursuites pénales aux Pays‑Bas.

( 71 ) Le cas échéant, des poursuites peuvent être intentées sur la base de la compétence universelle. En particulier, les quatre conventions de Genève du 12 août 1949 relatives à la protection des victimes des conflits armés internationaux imposent aux États parties d’exercer cette compétence sur les crimes relevant de leur champ d’application [voir article 49 de la convention de Genève (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ; article 50 de la
convention de Genève (II) pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées en mer ; article 129 de la convention de Genève (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, et article 146 de la convention de Genève (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre)]. Voir, également, considérants 3 et 7 de la décision 2002/494/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, portant création d’un réseau européen de points de contact en ce qui
concerne les personnes responsables de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre (JO 2002, L 167, p. 1).

( 72 ) Voir, en ce sens, note d’information du HCR, point 4, aux termes duquel « le développement de la compétence universelle et la création de tribunaux pénaux internationaux réduisent le rôle de l’exclusion comme moyen d’assurer que les fugitifs sont traduits en justice, ce qui renforce les arguments en faveur d’une approche restrictive ».

( 73 ) Voir note en bas de page 71 des présentes conclusions.

( 74 ) Pour un exposé des défis qui s’attachent à la poursuite par les juridictions nationales d’auteurs présumés de crimes graves de droit international, voir Réseau concernant les enquêtes et les poursuites pénales relatives aux génocides, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre, « Stratégie du Réseau génocide de l’UE pour lutter contre l’impunité du crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre au sein de l’Union européenne et de ses États membres », La
Haye, novembre 2014, p. 15 à 23.

( 75 ) Voir, notamment, arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, point 95).

( 76 ) Voir, notamment, arrêts du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, point 52) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 81), et du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 41). Selon l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dans la mesure où celle‑ci contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère celle‑ci. Cependant, cette disposition ne fait pas
obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. Partant, dès lors que l’article 7 de la Charte contient des droits correspondant à ceux garantis par l’article 8 de la CEDH, il convient de leur donner le même sens et la même portée que ceux conférés à l’article 8 de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour EDH [voir arrêt du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 53)].

( 77 ) Arrêts du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 81) et du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 36). Voir, également, Cour EDH, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 109 et jurisprudence citée).

( 78 ) Cour EDH, 2 août 2001 (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 48).

( 79 ) Cour EDH, 18 octobre 2006 (CE:ECHR:2006:1018JUD004641099, § 57 et 58).

( 80 ) Voir, notamment, Cour EDH, 2 août 2001, Boultif c. Suisse (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 39).

( 81 ) Voir aussi, à cet égard, Guild, E., Peers, S., et Tomkin, J., The EU Citizenship Directive, A Commentary, Oxford University Press, Oxford, 2014, p. 267.

( 82 ) En particulier, dans les arrêts du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, point 2) ; du 22 mai 2012, I (C‑348/09, EU:C:2012:300, point 2), et du 17 mars 2016, Bensada Benallal (C‑161/15, EU:C:2016:175, point 2), la Cour a traité comme des décisions d’éloignement au sens de l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 des mesures impliquant la perte du droit d’entrée et de séjour sur le territoire d’un État membre et enjoignant aux intéressés de quitter ce territoire
sous peine d’en être expulsés, sans que cette menace se soit concrétisée.

( 83 ) J’entrevois, en ce sens, une certaine analogie entre la notion de « décision d’éloignement » au sens de l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2004/38 et celle de « décision de retour » adoptée contre un ressortissant de pays tiers au sens de l’article 3, point 4, de la directive 2008/115. Cette dernière notion désigne « une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de
retour ». En vertu de l’article 8, paragraphe 3, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 3, point 5, de celle‑ci, un État membre peut, en vue d’exécuter une décision de retour, adopter une décision ou un acte distinct ordonnant l’exécution de l’obligation de retour, c’est‑à‑dire le transfert physique hors de son territoire.

( 84 ) Il ressort de la décision de renvoi que M. K. a, tout d’abord, au cours de la période séparant son arrivée aux Pays‑Bas en 2001 de la confirmation par le Raad van State (Conseil d’État) du rejet de sa demande d’asile en 2005, résidé légalement dans cet État membre à titre provisoire dans l’attente d’une décision définitive sur cette demande. Ensuite, M. K. est resté aux Pays‑Bas en dépit de la première décision d’exclusion du statut de réfugié datée du 15 mai 2003. La décision de renvoi ne
précise pas s’il était alors autorisé à y demeurer à un autre titre. Enfin, M. K. s’est abstenu de quitter les Pays‑Bas à la suite de la seconde décision d’exclusion du statut de réfugié, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire, adoptée le 16 janvier 2013.

( 85 ) Cour EDH, 2 août 2001 (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 48).

( 86 ) Cour EDH, 18 octobre 2006 (CE:ECHR:2006:1018JUD004641099, § 57 et 58).

( 87 ) Voir, notamment, Cour EDH, 3 novembre 2011, Arvelo Aponte c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2011:1103JUD002877005, § 55 et 59) et Cour EDH, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 108 et 113 à 123). Dans les arrêts du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, point 53) ; du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 86) ; ainsi que du 13 septembre 2016, CS (C‑304/14, EU:C:2016:674, point 42), la Cour a également mentionné le caractère légal
du séjour parmi les facteurs à prendre en compte pour vérifier la proportionnalité d’une mesure restrictive et sa conformité aux droits fondamentaux.

( 88 ) Comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt du 9 novembre 2010, B et D (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, point 110), l’exclusion du statut de réfugié n’implique pas de prise de position quant à savoir si l’intéressé peut être expulsé vers son pays d’origine. Des situations dans lesquelles une personne n’est ni admise ni susceptible d’être expulsée peuvent se produire lorsque l’article 4 de la Charte et l’article 3 de la CEDH – lesquels n’admettent aucune dérogation – s’opposent à son
éloignement vers un pays où elle encourt un risque réel d’être soumise à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants. La décision de renvoi ne précise pas si l’impossibilité d’éloigner M. H. F. découle de ces dispositions.

( 89 ) Un certain rapprochement peut être opéré avec la conclusion, adoptée dans l’arrêt du 9 novembre 2000, Yiadom (C‑357/98, EU:C:2000:604, point 43), selon laquelle une décision de refus de séjour prise contre un citoyen de l’Union après que ce dernier est resté plusieurs mois sur le territoire de l’État membre concerné dans l’attente de la décision sur sa demande ne saurait être assimilée à un refus d’entrée au sens de l’article 8 de la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour
la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, 56, p. 850), abrogée depuis lors. Une telle décision devait être traitée comme une « décision d’éloignement » au sens de l’article 9 de cette directive et être accompagnée à ce titre de garanties procédurales plus étendues. L’avocat général Léger [conclusions dans l’affaire Yiadom (C‑357/98, EU:C:2000:174)] avait
constaté au soutien d’une telle approche que « la personne présente sur le territoire national, y compris lorsqu’elle est dans l’attente d’une régularisation de sa situation, bénéficie objectivement de plus d’occasions de tisser des liens sociaux, personnels ou professionnels, que celle qui n’en a pas encore franchi les frontières. Elle est, en somme, plus intégrée à l’État d’accueil. »

( 90 ) Voir, notamment, Cour EDH, 28 juin 2011, Nunez c. Norvège (CE:ECHR:2011:0628JUD005559709, § 68) ; Cour EDH, 3 novembre 2011, Arvelo Aponte c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2011:1103JUD002877005, § 53) ; ainsi que Cour EDH, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 106).

( 91 ) Cour EDH, décision du 25 septembre 2012 (CE:ECHR:2012:0925DEC003340311, § 42). Dans ces conditions, la Cour EDH a mis en doute la qualité de « victime » du requérant, au sens de l’article 34 de la CEDH, et a estimé que, quand bien même il aurait revêtu cette qualité, les autorités néerlandaises n’avaient pas commis d’erreur dans la recherche d’un équilibre entre les intérêts collectifs et individuels en présence.

( 92 ) Cour EDH, décision du 25 septembre 2012, K. c. Pays‑Bas (CE:ECHR:2012:0925DEC003340311, § 47).

( 93 ) Voir point 119 des présentes conclusions.

( 94 ) Le gouvernement néerlandais conteste la présentation des faits effectuée par la juridiction de renvoi en ce qui concerne la continuité du séjour de M. K. aux Pays‑Bas. Il incombera à cette juridiction d’élucider cette question. Cela étant, la Cour est tenue de se fonder sur la prémisse factuelle sur laquelle repose la décision de renvoi (voir note en bas de page 16 des présentes conclusions).

( 95 ) Voir, à cet égard, considérant 23 de la directive 2004/38 ; ainsi que le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 10 décembre 2008, sur l’application de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres [COM(2008) 840 final, p. 9].

( 96 ) Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:322, point 45).

( 97 ) Arrêt du 21 décembre 2011 (C‑424/10 et C‑425/10, EU:C:2011:866, points 60 à 62). La Cour a réitéré cette conclusion dans l’arrêt du 6 septembre 2012, Czop et Punakova (C‑147/11 et C‑148/11, EU:C:2012:538, point 35).

( 98 ) L’annexe V de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du [TUE], du [TFUE] et du [traité Euratom] (JO 2012, L 112, p. 21) permet aux États membres de déroger, à titre transitoire, à certaines dispositions de la directive 2004/38.

( 99 ) Ces conditions comprennent, en particulier, celles énoncées à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38, relatives à la disponibilité de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. Voir arrêt du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja (C‑424/10 et C‑425/10, EU:C:2011:866, point 47).

( 100 ) Dans l’affaire pendante C‑424/16 (JO 2016, C 350, p. 19), la Cour est saisie d’une question préjudicielle connexe par laquelle la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume‑Uni) lui demande si l’acquisition d’un droit de séjour permanent au sens de l’article 16 et de l’article 28, paragraphe 2, de la directive 2004/38 constitue une condition préalable à la jouissance de la protection prévue au paragraphe 3, sous a), de ce dernier article. Dans ses conclusions dans les
affaires jointes B et Secretary of State for the Home Department (C‑316/16 et C‑424/16, EU:C:2017:797, point 59), l’avocat général Szpunar a proposé à la Cour d’apporter une réponse affirmative à cette question.

( 101 ) Dans l’arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, point 50), la Cour a relevé que les enjeux relatifs à l’intégration d’un citoyen de l’Union concernent, outre l’intérêt individuel de celui‑ci, les intérêts de l’Union en général.

( 102 ) Arrêts du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, point 31) et du 16 janvier 2014, G. (C‑400/12, EU:C:2014:9, point 23).

( 103 ) Arrêt du 16 janvier 2014 (C‑400/12, EU:C:2014:9, points 32 et 33).

( 104 ) Voir arrêts du 21 juillet 2011, Dias (C‑325/09, EU:C:2011:498, point 64), et du 16 janvier 2014, Onuekwere (C‑378/12, EU:C:2014:13, point 25).

( 105 ) Arrêt du 21 juillet 2011 (C‑325/09, EU:C:2011:498, points 55 et 63).


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-331/16
Date de la décision : 14/12/2017
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union européenne – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Directive 2004/38/CE – Article 27, paragraphe 2, second alinéa – Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique – Éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique – Comportement représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société – Personne dont la demande d’asile a été refusée pour des motifs relevant de l’article 1er, section F, de la convention de Genève ou de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2011/95/UE – Article 28, paragraphe 1 – Article 28, paragraphe 3, sous a) – Protection contre l’éloignement – Séjour dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes – Raisons impérieuses de sécurité publique – Notion.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Contrôles aux frontières

Citoyenneté de l'Union


Parties
Demandeurs : K.
Défendeurs : Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie et H. F.

Composition du Tribunal
Avocat général : Saugmandsgaard Øe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:973

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