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28/09/2017 | CJUE | N°C-376/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) contre European Dynamics Luxembourg SA e.a., 28/09/2017, C-376/16


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 28 septembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑376/16 P

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

contre

European Dynamics Luxembourg SA,

European Dynamics Belgium SA,

Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE

« Pourvoi – Marchés publics de services – Développement de logiciels et services de maintenance – Décision de classer l’offre de la requéran

te en quatrième position aux fins du contrat en cascade – Obligation de motivation »

1. Par son pourvoi, l’Office de l’Union europé...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 28 septembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑376/16 P

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

contre

European Dynamics Luxembourg SA,

European Dynamics Belgium SA,

Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE

« Pourvoi – Marchés publics de services – Développement de logiciels et services de maintenance – Décision de classer l’offre de la requérante en quatrième position aux fins du contrat en cascade – Obligation de motivation »

1. Par son pourvoi, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 27 avril 2016, European Dynamics Luxembourg e.a./EUIPO ( 2 ), par lequel le Tribunal, en accueillant le recours présenté par European Dynamics Luxembourg SA, European Dynamics Belgium SA et Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE (ci-après, prises conjointement, « European Dynamics e.a. »), a,
d’une part, annulé la décision de l’EUIPO rejetant l’offre soumise par European Dynamics Luxembourg dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres publiée par l’EUIPO et, d’autre part, condamné l’EUIPO à réparer le dommage subi par European Dynamics Luxembourg, au titre de la perte d’une chance de se voir attribuer le marché.

2. La présente affaire offre à la Cour la possibilité de clarifier ultérieurement, à la lumière de sa jurisprudence précédente, les exigences auxquelles doivent satisfaire les pouvoirs adjudicateurs au regard de la motivation des décisions par lesquelles ils rejettent des offres présentées dans le cadre des procédures d’appel d’offres.

I. Le cadre juridique

3. Au moment des faits pertinents de la présente affaire, la passation des marchés publics de services de l’EUIPO était régie par les dispositions de la partie I, titre V, du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes ( 3 ), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) no 1995/2006 du Conseil, du 13 décembre 2006 ( 4 ) (ci-après le « règlement financier »), ainsi que par celles de la
partie I, titre V, du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement no 1605/2002 ( 5 ).

4. Aux termes de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier :

« Le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire écarté les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre et, à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable et qui en fait la demande par écrit, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire.

Toutefois la communication de certains éléments peut être omise dans les cas où elle ferait obstacle à l’application des lois, serait contraire à l’intérêt public, porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’entreprises publiques ou privées ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre celles-ci. »

5. Aux termes de l’article 149, paragraphe 2, du règlement no 2342/2002, tel que modifié par le règlement no 478/2007 :

« Le pouvoir adjudicateur communique, dans un délai maximal de quinze jours [de] calendrier à compter de la réception d’une demande écrite, les informations mentionnées à l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier. »

II. Les antécédents du litige

6. Les antécédents du litige sont exposés en détail aux points 1 à 20 de l’arrêt attaqué, auxquels je renvoie. Pour les besoins de la présente procédure, je me limite à rappeler que, en 2011, l’EUIPO a publié un appel d’offres pour attribuer un marché visant la fourniture de certains services informatiques.

7. Selon l’avis de marché, ce marché, lequel devait être attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse, concernait la passation de contrats-cadres d’une durée maximale de sept ans avec trois prestataires de services informatiques distincts. Les contrats-cadres devaient être conclus séparément et selon la procédure dite en « cascade », ce mécanisme signifiant que, si le soumissionnaire classé au premier rang n’était pas en mesure de fournir les services requis, l’EUIPO se tournerait vers le
soumissionnaire classé au deuxième rang, et ainsi de suite.

8. Par lettre du 11 août 2011, l’EUIPO a informé European Dynamics e.a. du résultat de la procédure d’appel d’offres et leur a indiqué ne pas avoir retenu leur offre (ci-après la « décision de rejet de l’offre »). Cette lettre contenait également un tableau comparatif exposant le nombre de points attribués à l’offre d’European Dynamics e.a. et celui attribué aux trois soumissionnaires ayant obtenu le score le plus élevé.

9. Par lettre du 26 août 2011, l’EUIPO a transmis à European Dynamics e.a. un extrait du rapport d’évaluation comportant l’évaluation qualitative de leur offre selon trois critères – à savoir la qualité des services d’entretien des logiciels, le projet commercial et la qualité des services client – et leur a communiqué les noms des adjudicataires occupant les trois premiers rangs, ainsi que deux tableaux, à savoir, d’une part, un « tableau d’évaluation comparative des offres techniques », exposant
les scores que lesdits adjudicataires et European Dynamics e.a. avaient obtenus pour leurs offres techniques et indiquant les nombres de points obtenus pour chacun des trois susmentionnés critères qualitatifs et, d’autre part, un « tableau d’évaluation comparative des offres du point de vue de leur caractère économiquement avantageux », indiquant pour les trois adjudicataires et pour European Dynamics e.a. les nombres de points obtenus pour les critères qualitatifs et pour l’évaluation
financière, ainsi que le nombre total de points obtenus ( 6 ).

10. Dans une lettre du 15 septembre 2011, adressée à European Dynamics e.a., l’EUIPO, tout en se référant à la motivation figurant dans les lettres mentionnées aux deux points précédents, qu’il jugeait suffisante, a fourni néanmoins des détails supplémentaires sur les critères financiers et a transmis un tableau comparatif supplémentaire. Ce tableau indiquait pour les trois adjudicataires et European Dynamics e.a. le nombre de points obtenus par chacun de ceux-ci pour les deux critères utilisés pour
l’évaluation financière ainsi que le nombre total de points financiers et ce nombre après pondération ( 7 ).

III. Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11. Le 21 octobre 2011, European Dynamics e.a. ont introduit un recours devant le Tribunal par lequel elles ont demandé, d’une part, l’annulation de la décision de rejet de leur offre et de toutes les autres décisions connexes de l’EUIPO, et, d’autre part, la condamnation de l’EUIPO à réparer à hauteur de 6750000 euros le préjudice subi par elles en raison de la perte d’une chance. Au soutien de leur recours, European Dynamics e.a. ont avancé trois moyens ( 8 ), le premier tiré d’une violation de
l’obligation de motivation, le deuxième tiré de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation et le troisième d’une violation du principe d’égalité de traitement.

12. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a apprécié d’abord le troisième moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement. Après avoir rejeté les premières deux branches de ce moyen, le Tribunal a accueilli la troisième. Le Tribunal a considéré que l’EUIPO avait manifestement manqué à son devoir de diligence dans l’instruction, au regard d’un des soumissionnaires, de l’existence d’une cause d’exclusion ( 9 ).

13. Le Tribunal a, ensuite, apprécié le deuxième moyen tiré de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation. Le Tribunal a pour partie accueilli et pour partie rejeté ce moyen. Il a souligné à cet égard que, dans la mesure où il a constaté, dans ce contexte, l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation ou d’insuffisances de motivation viciant la légalité de l’évaluation de l’offre d’European Dynamics e.a., ces illégalités justifiaient à elles seules l’annulation de la décision de rejet de l’offre.

14. S’agissant, ensuite, du premier moyen, le Tribunal a jugé que la décision de rejet de l’offre était entachée de plusieurs insuffisances de motivation au titre de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, lu conjointement avec l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, et qu’elle devait être annulée également pour ce motif.

15. Enfin, le Tribunal a accueilli la demande indemnitaire proposée par European Dynamics e.a. en ce qu’elle visait la réparation de la perte d’une chance. S’agissant du montant indemnisable, le Tribunal a toutefois invité les parties, sous réserve d’une décision ultérieure de sa part, à se mettre d’accord sur ce montant et à lui transmettre, dans un délai de trois mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt, le montant à payer, établi d’un commun accord, ou, à défaut, à lui faire parvenir,
dans le même délai, leurs conclusions chiffrées.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

16. Par son pourvoi, l’EUIPO conclut à ce que la Cour :

– à titre principal, annule l’arrêt attaqué dans son intégralité, rejette la demande d’annulation de la décision de rejet de l’offre ainsi que la demande en indemnité présentée par European Dynamics e.a ;

– à titre subsidiaire, annule l’arrêt attaqué dans son intégralité et renvoie l’affaire devant le Tribunal ;

– à titre encore plus subsidiaire, annule l’arrêt attaqué dans la mesure où il condamne l’EUIPO à réparer le dommage subi par European Dynamics e.a. au titre de la perte d’une chance de se voir attribuer le contrat-cadre, et renvoie l’affaire devant le Tribunal, et

– condamne European Dynamics e.a aux dépens des deux instances.

17. European Dynamics e.a. concluent à ce que la Cour :

– rejette le pourvoi comme non fondé et

– condamne l’EUIPO à supporter l’intégralité des dépens de la procédure.

V. Analyse

18. À l’appui de son pourvoi, l’EUIPO soulève quatre moyens. Par son premier moyen, l’EUIPO soutient que le Tribunal a statué ultra petita ou commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application des principes d’égalité des chances et de diligence et a, en tout état de cause, dénaturé les faits. Par son deuxième moyen, l’EUIPO fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprétation et l’application du critère relatif aux erreurs manifestes d’appréciation. Par son
troisième moyen, l’EUIPO fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’application de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, lu conjointement avec l’article 296, deuxième alinéa, TFUE. Par son quatrième moyen, l’EUIPO soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit et d’un défaut de motivation en ce qui concerne l’octroi d’indemnités au titre de la perte d’une chance.

19. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse du troisième moyen du pourvoi de l’EUIPO, tiré de la violation de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, lu conjointement avec l’article 296, deuxième alinéa, TFUE. Ce moyen vise, en effet, une question de droit d’une importance certaine, à savoir celle de l’étendue de l’obligation à la charge d’un pouvoir adjudicateur de motiver une décision de rejet d’une offre, en particulier, à l’égard de
la corrélation entre, d’une part, les appréciations négatives spécifiques énoncées dans le rapport d’évaluation et, d’autre part, les déductions de points nets opérées par le pouvoir adjudicateur.

A.   Résumé des points pertinents de l’arrêt attaqué

20. Dans son troisième moyen, l’EUIPO conteste l’analyse faite par le Tribunal aux points 238 à 259 de l’arrêt attaqué, ainsi que sa conclusion selon laquelle la décision de rejet de l’offre était entachée de plusieurs insuffisances de motivation au titre de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, lu conjointement avec l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

21. S’agissant du moyen avancé par European Dynamics e.a. tiré d’une violation de l’obligation de motivation, le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, a tout d’abord rappelé que, selon la jurisprudence relative à l’obligation de motivation dans le cas des procédures d’appel d’offres, le pouvoir adjudicateur dispose, en principe, d’un large pouvoir d’appréciation quant au choix de critères d’attribution hiérarchisés et des points qu’il convient d’attribuer aux différents critères et sous-critères et n’est
pas tenu de fournir au soumissionnaire évincé un résumé minutieux de la manière dont chaque détail de son offre a été pris en compte au titre de l’évaluation de celle-ci ( 10 ).

22. Le Tribunal a cependant relevé qu’il ressortait également de la jurisprudence que, au cas où le pouvoir adjudicateur a procédé à un tel choix, le juge de l’Union doit être en mesure de vérifier, sur le fondement du cahier des charges et de la motivation de la décision d’adjudication, le poids respectif des différents critères et sous-critères d’attribution techniques dans l’évaluation, c’est-à-dire dans le calcul du score total, ainsi que le nombre minimal et maximal de points pour chacun de ces
critères ou sous-critères ( 11 ).

23. Le Tribunal a jugé que, par ailleurs, lorsque le pouvoir adjudicateur rattache des évaluations spécifiques à la manière dont l’offre en cause satisfait ou non à ces différents critères et sous-critères, qui sont manifestement pertinents pour la notation globale de ladite offre, le devoir de motivation englobe nécessairement le besoin d’expliquer la façon dont, notamment, les évaluations négatives ont donné lieu à la déduction de points ( 12 ).

24. Le Tribunal a ensuite considéré que le respect d’une telle exigence était d’autant plus nécessaire dans un cas comme celui de l’espèce, dans lequel l’éventuelle déduction de points nets pour certains sous-critères avait pour conséquence automatique, en vertu de la formule de calcul appliquée par le pouvoir adjudicateur, de faire augmenter le nombre de points bruts à attribuer aux offres des adjudicataires au titre de leur qualité technique. Dans une telle situation, European Dynamics e.a.
avaient donc intérêt à connaître la déduction de points opérée pour chacun des sous-critères concernant lesquels le rapport d’évaluation contient une appréciation négative pour être en mesure de faire valoir que, eu égard au caractère manifestement erroné de ladite appréciation, cette déduction – impliquant une augmentation correspondante de points en faveur des autres soumissionnaires – n’était pas justifiée ( 13 ).

25. Le Tribunal a ensuite constaté, d’une part, que, aux fins de l’évaluation des offres au regard des trois critères qualitatifs, le comité d’évaluation avait appliqué une formule mathématique ou, à tout le moins, avait attribué des fractions de points par sous-critère ou par sous-point et, d’autre part, que l’EUIPO n’avait pas communiqué à European Dynamics e.a. le mode de calcul et la ventilation détaillée des points attribués en fonction des différents sous-critères ou sous-points. En effet,
selon l’EUIPO, European Dynamics e.a. n’avaient pas droit d’en avoir connaissance et la communication de la note globale définitive pour chacun des trois critères techniques ou qualitatifs aurait été suffisante ( 14 ).

26. Dans ces conditions, le Tribunal a constaté que, tant pour European Dynamics e.a. que pour le Tribunal, il était impossible de comprendre le calcul ou la ventilation précise des points déduits pour chaque sous-critère, voire pour chacun des sous-points, et que, ainsi, il n’était pas non plus possible de vérifier si et dans quelle mesure ces déductions correspondaient effectivement aux appréciations négatives exprimées dans le rapport d’évaluation et, partant, si celles-ci étaient ou non
justifiées ou, du moins, suffisamment plausibles ( 15 ).

27. Sur cette base, le Tribunal a conclu que la décision de rejet de l’offre était insuffisamment motivée en ce qui concernait la corrélation entre les appréciations négatives spécifiques énoncées dans le rapport d’évaluation, d’une part, et les déductions de points nets opérées par le pouvoir adjudicateur, d’autre part ( 16 ).

B.   Argumentation des parties

28. L’EUIPO soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a établi que, en ne démontrant pas quel commentaire négatif avait conduit à quelle déduction de points pour chaque sous-critère ou sous-point spécifique, l’EUIPO n’avait pas fourni une motivation suffisante. Selon l’EUIPO, ni l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier ni la jurisprudence de la Cour imposeraient une telle exigence.

29. D’une part, l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier ne prévoirait aucune obligation légale de fournir un aperçu détaillé de toutes les critiques qui ont été prises en considération dans l’évaluation de l’offre d’un soumissionnaire évincé. A fortiori, la même disposition ne contiendrait aucune obligation de joindre à chaque critique une déduction de points et d’expliquer clairement le nombre de points effectivement déduits sur la base de cette critique. Ladite disposition prévoirait
seulement l’obligation de communiquer au soumissionnaire écarté les motifs du rejet de son offre (offre ne présentant pas le meilleur rapport qualité-prix après application de la formule d’attribution, en l’espèce), les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue. En outre, en l’espèce, European Dynamics e.a. ayant reçu la meilleure note technique pour chaque critère d’attribution, il n’y aurait eu aucune information à communiquer sur les avantages relatifs de l’offre retenue.

30. D’autre part, la jurisprudence de la Cour confirmerait qu’il ne peut pas être attendu d’un pouvoir adjudicateur qu’il fournisse au soumissionnaire écarté une analyse détaillée de la manière dont chaque détail de son offre a été pris en considération dans l’évaluation. L’EUIPO se réfère spécifiquement à l’arrêt de la Cour du 4 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission ( 17 ). Or, selon l’EUIPO, par analogie, il ne pourrait être attendu d’un pouvoir adjudicateur qu’il précise, pour chaque
commentaire spécifique, si celui-ci a conduit à une déduction de points (et le nombre de points déduits) ou à un ajout de points (et le nombre de points ajoutés). En outre, en demandant à l’autorité contractante de préciser clairement la corrélation exacte entre les commentaires négatifs et les scores attribués pour chacun des sous-points et en ignorant le contexte plus large de l’évaluation du critère d’attribution dans son ensemble, le Tribunal se serait écarté de la jurisprudence établie de
la Cour et aurait appliqué un critère bien plus strict en ce qui concerne l’obligation de motivation que celui imposé conformément à l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier.

31. European Dynamics e.a. défendent l’approche retenue par le Tribunal. Elles estiment que la divulgation de la répartition des points évalués était nécessaire. En l’espèce, le Tribunal n’aurait pas été en mesure d’exercer son contrôle juridictionnel sans disposer des informations relatives aux points attribués aux critères qualitatifs, aux sous-critères et aux sous-points spécifiques. Ainsi, en exigeant la production de la répartition des points, le Tribunal n’aurait aucunement appliqué un critère
plus strict par rapport aux dispositions du règlement financier et aux enseignements découlant de la jurisprudence.

C.   Appréciation

32. La question qui se pose dans le cadre du troisième moyen soulevé par l’EUIPO dans son pourvoi est, en substance, de savoir si le Tribunal a jugé à juste titre que la décision de rejet de l’offre ne satisfaisait pas aux exigences de motivation découlant de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier et de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, tels qu’interprétés par la jurisprudence, ou si le Tribunal a appliqué un critère trop strict par rapport auxdites dispositions et à la
jurisprudence de la Cour en la matière.

33. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a en substance considéré que la décision de rejet de l’offre n’était pas suffisamment motivée, car, sur la base de la motivation fournie par l’EUIPO dans ses différentes lettres adressées à European Dynamics e.a., ni celles-ci ni le Tribunal lui-même n’avaient été en mesure de comprendre le calcul ou la ventilation précise des points déduits pour chaque sous-critère, voire pour chacun des sous-points, au titre des critères d’attribution, de telle sorte qu’il
n’avait pas été possible de comprendre la corrélation existante entre les appréciations négatives concernant plusieurs de ces sous-critères et les déductions de points nets y relatives opérées par l’EUIPO. Dans ces conditions, le Tribunal a considéré ne pas être en mesure de vérifier si et dans quelle mesure ces déductions correspondaient auxdites appréciations, ni de vérifier la légalité des déductions et, par conséquent, du score total.

34. En ce qui concerne l’obligation de motivation pesant sur les pouvoirs adjudicateurs, il convient, tout d’abord, de rappeler que, aux termes de l’article 100, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement financier, le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire écarté les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre et, à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable et qui en fait la demande par écrit, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre
retenue ainsi que le nom de l’attributaire.

35. Toutefois, il découle de la jurisprudence constante de la Cour qu’il ne saurait être exigé du pouvoir adjudicateur qu’il transmette à un soumissionnaire dont l’offre n’a pas été retenue, d’une part, outre les motifs du rejet de cette dernière, un résumé minutieux de la manière dont chaque détail de son offre a été pris en compte au titre de l’évaluation de celle-ci et, d’autre part, dans le cadre de la communication des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue, une analyse
comparative minutieuse de cette dernière et de l’offre du soumissionnaire évincé ( 18 ).

36. De même, le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de fournir à un soumissionnaire évincé, sur demande écrite de ce dernier, une copie complète du rapport d’évaluation ( 19 ).

37. En outre, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte et de la nature des motifs invoqués ( 20 ).

38. En l’espèce, il ressort des points 12 à 18 de l’arrêt attaqué, résumés aux points 8 à 10 des présentes conclusions, que l’EUIPO a fourni la motivation de la décision de rejet de l’offre, attaquée devant le Tribunal, dans trois lettres, celle du 11 août 2011, celle du 26 août 2011 et celle du 15 septembre 2011.

39. Il est constant que dans ces lettres l’EUIPO a communiqué à European Dynamics e.a. un extrait du rapport d’évaluation comportant l’évaluation qualitative de leur offre, les noms des trois adjudicataires, ainsi que trois tableaux exposant les scores que ces trois adjudicataires et European Dynamics e.a. avaient obtenus et, plus précisément, un tableau d’évaluation comparative des offres techniques, un tableau d’évaluation comparative des offres du point de vue de leur caractère économiquement
avantageux et un tableau comparatif concernant les critères financiers. Ces tableaux permettaient à European Dynamics e.a. d’avoir une vision d’ensemble des points attribués à leur offre et à celles des adjudicataires retenus en relation tant aux critères qualitatifs qu’aux critères financiers, ainsi que de leur influence sur la note globale définitive.

40. Cependant, ainsi qu’il ressort du point 252 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, ce que l’EUIPO ne conteste pas, que le comité d’évaluation avait appliqué une formule mathématique ou avait attribué des fractions de point par sous-critère ou par sous-point et que le rapport d’évaluation avait exprimé des jugements négatifs spécifiques à cet égard qui avaient donné lieu à des déductions spécifiques de points.

41. Or, force est de constater que l’EUIPO n’a pas communiqué le nombre de points obtenus comparativement par European Dynamics e.a. et les soumissionnaires retenus ventilés à chaque fois par sous critères, ni expliqué la modalité de calcul concrètement utilisée par le comité d’évaluation pour attribuer un poids spécifique à chacun de ces sous-critères dans l’évaluation globale.

42. Dans ces conditions, il n’était possible, pour European Dynamics e.a. ou pour le Tribunal, ni de comprendre le poids respectif joué par ces sous-critères dans l’évaluation, c’est-à-dire dans la détermination du score total, ni d’établir une corrélation entre les commentaires spécifiques négatifs et les déductions de points, qui avaient eu un impact sur le score total.

43. Or, s’il est vrai que, selon la jurisprudence, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce et qu’il ne peut pas être exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant
la matière concernée, il n’en demeure pas moins que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle ( 21 ).

44. Il s’ensuit qu’une décision qui ne permet pas à un soumissionnaire de comprendre les raisons du rejet de son offre ainsi que d’identifier les caractéristiques et les avantages relatifs des soumissionnaires retenus et qui ne permet au juge de l’Union de vérifier la légalité de l’appréciation y contenue ne saurait être considérée comme satisfaisant aux exigences de motivation requises par l’article 100, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement financier, lu conjointement avec l’article 296,
deuxième alinéa, TFUE.

45. Dans ces conditions, j’estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en considérant que la décision de rejet de l’offre n’était pas suffisamment motivée.

46. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les différents arguments avancés par l’EUIPO.

47. En effet, en ce qui concerne, en premier lieu, l’invocation par l’EUIPO de l’arrêt de la Cour du 4 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission ( 22 ), il suffit de relever que dans cette affaire, contrairement à ce qui est le cas dans la présente espèce, d’une part, les extraits des rapports d’évaluation communiqués par la Commission européenne permettaient de déduire le nombre de points obtenus comparativement par la requérante en cause et le soumissionnaire retenu, ventilés à chaque fois par
sous-critères, ainsi que le poids de chacun des sous-critères dans l’évaluation globale et, d’autre part, les commentaires du comité d’évaluation communiqués expliquaient, pour chaque critère d’attribution, en raison de quels sous-critères la Commission avait considéré l’offre du soumissionnaire retenu ou celle de la requérante en cause comme étant la meilleure ( 23 ).

48. En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argument tiré de ce que, European Dynamics e.a. ayant reçu en l’espèce la meilleure note technique pour chaque critère d’attribution, elles n’avaient aucun intérêt à recevoir des informations sur les avantages relatifs des offres retenues, il suffit de relever que l’EUIPO ne conteste pas le raisonnement fait par le Tribunal au point 253 de l’arrêt attaqué, selon lequel European Dynamics e.a. avaient un intérêt à connaître la mesure dans laquelle les
appréciations négatives avancées par le pouvoir adjudicateur leur avaient valu déduction de points nets ( 24 ).

49. À la lumière de toutes ces considérations, j’estime que le troisième moyen du pourvoi de l’EUIPO doit être rejeté.

VI. Conclusion

50. Au vu des considérations qui précèdent, et sans préjuger du bien‑fondé des autres moyens du pourvoi, je propose à la Cour de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé. Les dépens sont réservés.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) T‑556/11, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:248.

( 3 ) JO 2002, L 248, p. 1.

( 4 ) JO 2006, L 390, p. 1. Le règlement no 1605/2002 a été abrogé, avec effet au 1er janvier 2013, par le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement no 1605/2002 (JO 2012, L 298, p. 1).

( 5 ) JO 2002, L 357, p. 1. Ce règlement a été modifié par le règlement (CE, Euratom) no 478/2007 de la Commission, du 23 avril 2007 (JO 2007, L 111, p. 13).

( 6 ) Les deux tableaux sont reproduits au point 14 de l’arrêt attaqué.

( 7 ) Voir point 18 de l’arrêt attaqué.

( 8 ) À la suite de la réponse de l’EUIPO aux mesures d’organisation de la procédure et d’instruction du Tribunal, European Dynamics e.a. ont soulevé un nouveau moyen, tiré de ce que l’EUIPO aurait violé le cahier des charges en ayant accepté l’offre financière d’Informática El Corte Ingles SA – Altia Consultores SA Temporary Association (IECI) alors même que celle-ci contenait une variante et une fourchette de prix. Le Tribunal a rejeté ce moyen aux points 230 et suiv. de l’arrêt attaqué.

( 9 ) Points 61 à 78 de l’arrêt attaqué.

( 10 ) Voir points 244 et 250 de l’arrêt attaqué.

( 11 ) Voir point 250 de l’arrêt attaqué.

( 12 ) Voir point 250 de l’arrêt attaqué.

( 13 ) Voir point 251 de l’arrêt attaqué.

( 14 ) Voir point 252 de l’arrêt attaqué.

( 15 ) Voir point 252 de l’arrêt attaqué.

( 16 ) Voir point 254 de l’arrêt attaqué.

( 17 ) C-629/11 P, non publié, EU:C:2012:617.

( 18 ) Arrêt du 4 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission (C-629/11 P, non publié, EU:C:2012:617, point 21 et jurisprudence citée).

( 19 ) Arrêt du 4 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission (C-629/11 P, non publié, EU:C:2012:617, point 22 et jurisprudence citée).

( 20 ) Arrêt du 4 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission (C-629/11 P, non publié, EU:C:2012:617, point 23 et jurisprudence citée).

( 21 ) Voir, inter alia, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63), ainsi que du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission (C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 16).

( 22 ) C-629/11 P, non publié, EU:C:2012:617.

( 23 ) Voir, spécifiquement points 26 et 28 dudit arrêt, ainsi que point 45 de l’arrêt du Tribunal du 20 septembre 2011, Evropaïki Dynamiki/Commission (T‑298/09, non publié, EU:T:2011:496), attaqué devant la Cour dans le cadre de ladite affaire (ce point est repris au point 11 de cet arrêt de la Cour).

( 24 ) À cet égard, voir également points 227 et, surtout, 228 de l’arrêt attaqué.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-376/16
Date de la décision : 28/09/2017
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé, Pourvoi - fondé, Pourvoi - non-lieu à statuer
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé

Analyses

Pourvoi – Marchés publics de services – Fourniture de services externes relatifs à la gestion de programmes et de projets ainsi que de conseils techniques dans le domaine des technologies de l’information – Procédure en cascade – Article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Article 76 et article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal – Interdiction de statuer ultra petita – Pondération de sous‑critères au sein des critères d’attribution – Erreurs manifestes d’appréciation – Règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 – Article 100, paragraphe 2 – Décision de rejet de l’offre – Défaut de motivation – Perte d’une chance – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Demande indemnitaire.

Libre prestation des services

Marchés publics de l'Union européenne


Parties
Demandeurs : Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)
Défendeurs : European Dynamics Luxembourg SA e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:729

Source

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