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13/09/2017 | CJUE | N°C-350/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Salvatore Aniello Pappalardo e.a. contre Commission européenne., 13/09/2017, C-350/16


ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 septembre 2017 (*)

« Pourvoi – Politique commune de la pêche – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Demande de réparation – Règlement (CE) n° 530/2008 – Mesures d’urgence adoptées par la Commission européenne – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit – Possibilité de se prévaloir de cette violation – Principe de non-discrimination – Autorité de la chose jugée »

Dans l’affaire C‑350/16 P,

ayant pour objet un pourvoi au t

itre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 juin 2016,

Salvatore Aniello Pappal...

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 septembre 2017 (*)

« Pourvoi – Politique commune de la pêche – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Demande de réparation – Règlement (CE) n° 530/2008 – Mesures d’urgence adoptées par la Commission européenne – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit – Possibilité de se prévaloir de cette violation – Principe de non-discrimination – Autorité de la chose jugée »

Dans l’affaire C‑350/16 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 juin 2016,

Salvatore Aniello Pappalardo, demeurant à Cetara (Italie),

Pescatori La Tonnara Soc. coop., établie à Cetara,

Fedemar Srl, établie à Cetara,

Testa Giuseppe & C. Snc, établie à Catania (Italie),

Pescatori San Pietro Apostolo Srl, établie à Cetara,

Camplone Arnaldo & C. Snc di Camplone Arnaldo & C., établie à Pescara (Italie),

Valentino Pesca Sas di Camplone Arnaldo & C., établie à Pescara,

représentés par M^es V. Cannizzaro et L. Caroli, avvocati,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouquet et D. Nardi, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la cinquième chambre, M^me M. Berger, MM. E. Levits (rapporteur) et F. Biltgen, juges,

avocat général : M^me E. Sharpston,

greffier : M^me C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 mai 2017,

vu la décision prise de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, M. Salvatore Aniello Pappalardo, Pescatori La Tonnara Soc. coop., Fedemar Srl, Testa Giuseppe & C. Snc, Pescatori San Pietro Apostolo Srl, Camplone Arnaldo & C. Snc di Camplone Arnaldo & C. et Valentino Pesca Sas di Ciaccio Luciano e Camplone Arnaldo & C. demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 27 avril 2016, Pappalardo e.a./Commission (T‑316/13, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:247), par lequel celui-ci a rejeté leur
recours tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi à la suite de l’adoption du règlement (CE) n° 530/2008 de la Commission, du 12 juin 2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée (JO 2008, L 155, p. 9).

 Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO 2002, L 358, p. 59), vise à établir une approche pluriannuelle de gestion de la pêche afin de garantir la viabilité à long terme de ce secteur.

3        L’article 7 du règlement n° 2371/2002, intitulé « Mesures d’urgence adoptées par la Commission », dispose :

« 1.      S’il existe des preuves qu’il existe une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate, la Commission peut, sur demande dûment justifiée d’un État membre ou d’office, arrêter les mesures d’urgence pour une période maximale de six mois. La Commission peut prendre une nouvelle décision pour proroger les mesures d’urgence d’une durée maximale de six mois.

2.      L’État membre notifie la demande simultanément à la Commission, aux autres États membres et aux conseils consultatifs régionaux concernés. Ceux-ci peuvent présenter leurs observations écrites à la Commission dans un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande.

La Commission se prononce dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la réception de la demande visée au paragraphe 1.

3.      Les mesures d’urgence prennent effet immédiatement. Elles sont notifiées aux États membres concernés et publiées au [Journal officiel de l’Union européenne].

4.      Les États membres concernés peuvent saisir le Conseil de la décision de la Commission dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la réception de la notification.

5.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut prendre une décision différente dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle il a été saisi. »

4        L’article 1^er du règlement n° 530/2008 prévoit :

« La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres, est interdite à compter du 16 juin 2008.

[...] »

5        L’article 2 dudit règlement est libellé comme suit :

« La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne, ou enregistrés dans cet État membre, est interdite à compter du 23 juin 2008.

[...] »

 Les antécédents du litige

6        Au cours de l’année 2008, les requérants se sont vu allouer, en tant que propriétaires de senneurs battant pavillon italien, des quotas de pêche de thon rouge à la senne coulissante.

7        En vertu de l’article 1^er du règlement n° 530/2008, cette pêche a été interdite aux senneurs à senne coulissante battant pavillon grec, français, italien, chypriote ou maltais à compter du 16 juin 2008. En revanche, pour les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol, cette interdiction n’a pris effet qu’à partir du 23 juin 2008, conformément à l’article 2 de ce règlement.

8        Dans l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), la Cour a déclaré l’invalidité du règlement n° 530/2008, dans la mesure où les interdictions qu’il édicte en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol et les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec eux prennent effet à compter du 23 juin 2008, alors que ces interdictions s’appliquent à compter du 16 juin 2008 pour les senneurs à senne coulissante battant pavillon grec,
français, italien, chypriote ou maltais ainsi que pour les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec ces derniers, sans que cette différence de traitement soit objectivement justifiée au regard de l’objectif poursuivi par l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002.

9        Par ailleurs, le Tribunal a, par ordonnance du 14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70), déclaré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours de la République italienne visant à l’annulation de l’article 1^er du règlement n° 530/2008, au motif que, la Cour ayant invalidé ce règlement dans son ensemble, le recours de cet État membre était devenu sans objet.

10      Le même jour, le Tribunal a, par ordonnance du 14 février 2012, Federcoopesca e.a./Commission (T‑366/08, non publiée, EU:T:2012:74), rejeté, pour cause d’irrecevabilité, le recours intenté, entre autres, par les requérants visant à l’annulation du règlement n° 530/2008.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 juin 2013, les requérants, considérant avoir subi un dommage du fait de l’illégalité du comportement de la Commission en raison de l’adoption du règlement n° 530/2008, ont introduit un recours en indemnité tendant à la réparation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi, à savoir une somme correspondant à la différence entre les revenus théoriques qu’ils auraient tirés de la pêche au thon rouge en épuisant les quotas qui leur avaient été
alloués pour l’année 2008 et les revenus qu’ils ont effectivement obtenus à la suite de l’interdiction prématurée de la pêche au thon rouge.

12      Par ordonnance du 30 septembre 2013, le président de la troisième chambre du Tribunal a ordonné la suspension de l’examen de ce recours jusqu’au prononcé notamment des décisions de la Cour concernant les pourvois introduits entre-temps dans les affaires Giordano/Commission (C‑611/12 P) et Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P).

13      Dans son arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284, points 59 et 60), la Cour, saisie d’un pourvoi contre l’arrêt du 7 novembre 2012, Syndicat des thoniers méditerranéens e.a./Commission (T‑574/08, non publié, EU:T:2012:583), a jugé que, dans cet arrêt, le Tribunal avait procédé à une lecture erronée de l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), en considérant que, par celui‑ci, la Cour avait déclaré le règlement n° 530/2008
invalide dans son ensemble. À cet égard, la Cour a souligné que ce dernier arrêt avait déclaré l’invalidité de ce règlement uniquement dans la mesure où celui-ci avait accordé un traitement plus favorable aux senneurs espagnols, tout en maintenant la validité de la date d’interdiction de la pêche au thon rouge, fixée à l’article 1^er du règlement n° 530/2008 en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante battant pavillon grec, français, italien, chypriote ou maltais.

14      Avant de statuer sur le recours en indemnité des requérants, le Tribunal les a invités à prendre position sur ces arrêts de la Cour. La Commission et les requérants ont soumis leurs observations par lettres déposées au greffe du Tribunal, respectivement, les 6 et 10 novembre 2014.

15      Dans l’arrêt attaqué, après avoir rappelé les conditions requises pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne, le Tribunal s’est attaché à examiner, en particulier, l’exigence tirée de l’illégalité du comportement reproché en l’espèce à la Commission.

16      Ainsi, aux points 24 à 26 de l’arrêt attaqué, il a, en substance, considéré que l’examen de cette exigence était notamment liée à la question de la validité du règlement n° 530/2008, telle qu’appréciée par la Cour dans l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), et précisée dans son arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284), qui, selon le Tribunal, a remis en cause le raisonnement suivi par ce dernier dans l’ordonnance du
14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70).

17      Dans ce contexte, le Tribunal a jugé, au point 27 de l’arrêt attaqué, que les requérants ne pouvaient se fonder sur ladite ordonnance pour invoquer l’invalidité du règlement n° 530/2008 dans son ensemble et que l’article 1^er de celui-ci était valide à leur égard.

18      Le Tribunal, considérant toutefois que le rejet de cet argument ne pouvait préjuger, à lui seul, du bien-fondé du recours des requérants, a vérifié, aux points 34 à 40 de l’arrêt attaqué, si la Commission n’avait pas méconnu de manière manifeste et grave les limites de son pouvoir d’appréciation lors de l’adoption du règlement n° 530/2008.

19      À cet égard, il a rappelé que la Commission disposait, dans le domaine de la pêche, d’un large pouvoir d’appréciation, qu’il convenait de prendre en compte les objectifs poursuivis par cette institution lors de l’adoption du règlement n° 530/2008 et que la fixation de deux dates différentes d’interdiction de la pêche pouvait être justifiée si elle permettait de mieux atteindre ces objectifs.

20      Le Tribunal a, également, souligné, aux points 38 et 39 de l’arrêt attaqué, que la discrimination sanctionnée en vertu de l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), visait uniquement les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol.

21      Il en a conclu que les requérants n’avaient pu établir que la Commission avait méconnu de manière manifeste et grave son pouvoir d’appréciation et, sans examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, le Tribunal a rejeté leur recours dans son ensemble.

 Les conclusions des parties au pourvoi

22      Les requérants demandent à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        à titre subsidiaire, de faire droit à leur demande en réparation du préjudice allégué, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner les requérants aux dépens.

 Sur le pourvoi

24      Au soutien de leur recours, les requérants font valoir deux moyens tirés, respectivement, d’erreurs de droit dans l’appréciation du principe de l’autorité de la chose jugée ainsi que dans l’application de l’exigence relative au comportement illégal de la Commission.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

25      S’agissant du premier moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a méconnu le caractère de force de chose jugée de l’ordonnance du 14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70), en limitant l’invalidité du règlement n° 530/2008 à son article 2.

26      En effet, dans cette ordonnance, le Tribunal aurait déclaré le non-lieu à statuer sur le recours de la République italienne visant l’annulation de l’article 1^er du règlement n° 530/2008, dans la mesure où, à la suite du prononcé de l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), cet État membre était parvenu au résultat qu’il recherchait. Il aurait ainsi tranché la question de la validité de ce règlement en indiquant que celui-ci avait été jugé invalide dans son ensemble.

27      Or, si, dans l’arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284), la Cour a souligné que cette invalidité ne s’étendait qu’à l’article 2 dudit règlement, les effets d’un tel arrêt, qui concernait un recours en indemnité, seraient limités, dans la mesure où un tel recours n’aurait pas pour objet de constater la nullité d’un acte.

28      De surcroît, le système de réformation des décisions du Tribunal par le mécanisme du pourvoi ne saurait justifier qu’un jugement devenu définitif ne jouisse pas de l’autorité de la chose jugée au simple motif qu’il émane d’une juridiction inférieure.

29      En outre, le Tribunal aurait méconnu le principe de confiance légitime en privilégiant une interprétation de l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), fondée sur l’arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284), plutôt qu’en se référant aux constatations auxquelles il a procédé dans le contexte de son ordonnance du 14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70), d’autant plus que, contrairement à ce
dernier arrêt, cette ordonnance a été prononcée avant l’introduction du recours des requérants.

30      La Commission conclut au rejet du premier moyen de pourvoi.

 Appréciation de la Cour

31      Au soutien de leur premier moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a privilégié, à tort, les éclaircissements apportés par la Cour dans son arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284), en ce qui concerne la portée de la déclaration d’invalidité du règlement n° 530/2008 établie dans l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), au détriment de l’interprétation de ce dernier arrêt retenue par le Tribunal aux termes de
l’ordonnance du 14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70), en violation du principe de l’autorité de la chose jugée.

32      La Cour a rappelé, à diverses reprises, l’importance que revêt dans l’ordre juridique de l’Union le principe de l’autorité de la chose jugée (arrêt du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2011:191, point 123 et jurisprudence citée).

33      En l’espèce, ainsi que l’a rappelé, en substance, le Tribunal au point 25 de l’arrêt attaqué, la Cour a jugé, dans son arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), en réponse à une demande de décision préjudicielle portant sur la validité du règlement n° 530/2008, que ce dernier était invalide, dans la mesure où les interdictions de pêche qu’il édicte prenaient effet à compter du 23 juin 2008 s’agissant des seuls pêcheurs espagnols, les senneurs à senne coulissante battant
pavillon grec, français, italien, chypriote ainsi que maltais, s’étant vu imposer ces interdictions dès le 16 juin 2008, sans que cette différence de traitement soit objectivement justifiée. Ainsi qu’il a été exposé au point 13 du présent arrêt, la Cour a souligné, dans son arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284, points 59 et 60), rendu à la suite du pourvoi introduit contre le jugement du Tribunal statuant sur une demande en réparation introduite par
des pêcheurs français, que l’invalidité de ce règlement ne concernait que son article 2, relatif aux pêcheurs espagnols, et partant que l’article 1^er dudit règlement conservait sa validité à l’égard des senneurs à senne coulissante battant pavillon grec, français, italien, chypriote et maltais, ou enregistrés dans ces États membres.

34      Or, premièrement, en vertu de l’autorité de la chose jugée dont sont investies les décisions de la Cour portant sur la validité d’un acte de l’Union, ces décisions déploient leurs pleins et entiers effets nonobstant les éventuelles divergences d’interprétation qu’elles sont susceptibles d’engendrer.

35      Ainsi, à considérer même que les éventuelles incertitudes liées à la portée exacte de l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), n’aient été définitivement levées que grâce aux éclaircissements apportés dans l’arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284), il n’en demeure pas moins que ce premier arrêt doit être réputé avoir eu, dès son prononcé, la portée telle que précisée aux termes de ce second arrêt (voir, par analogie, arrêt
du 12 février 2008, Kempter, C‑2/06, EU:C:2008:78, point 35).

36      Deuxièmement, il n’est pas contesté que, aux termes de l’ordonnance du 14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70), le Tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours de la République italienne visant à l’annulation du règlement n° 530/2008.

37      Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par une décision juridictionnelle (arrêt du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2011:191, point 123).

38      Dès lors, le Tribunal n’ayant pas statué sur le recours introduit par la République italienne visant l’annulation du règlement n° 530/2008, il ne saurait lui être reproché d’avoir commis une erreur de droit en ayant, dans l’arrêt attaqué, apprécié la demande en réparation des requérants sur le fondement des arrêts du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), et du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284).

39      Quant à l’allégation des requérants relative aux attentes légitimes qu’ils auraient fondées sur l’ordonnance du Tribunal du 14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70), il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime appartient à tout justiciable dans le chef duquel une institution de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à
son égard des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 63 et jurisprudence citée). En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence desdites assurances [arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, point 81].

40      Or, à supposer même qu’une décision juridictionnelle puisse, à elle seule, ouvrir droit à des espérances fondées au sens de cette jurisprudence, il suffit de souligner que les requérants ne sauraient, en tout état de cause, tirer d’assurance précise quant à la portée de la jurisprudence de la Cour d’une ordonnance par laquelle le Tribunal a prononcé un non-lieu à statuer, telle que l’ordonnance du 14 février 2012, Italie/Commission (T‑305/08, non publiée, EU:T:2012:70).

41      Il résulte des considérations qui précèdent que le premier moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

42      À l’appui du second moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a, au point 40 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en considérant que la différence de traitement constatée par la Cour dans l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), ne constituait pas une violation grave et manifeste, par la Commission, du principe de non-discrimination.

43      Selon les requérants, il découle tant des conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2010:500) que de l’arrêt de la Cour dans la même affaire (arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, EU:C:2010:153) que la différence de traitement en cause dans cette affaire n’était pas objectivement justifiée et constituait, partant, une violation grave et manifeste du principe de non-discrimination fondée sur la nationalité.

44      Cet argument ne serait pas remis en cause par les motifs retenus par le Tribunal, aux points 36 à 39 de l’arrêt attaqué, pour décider que la Commission n’avait pas violé le principe de non-discrimination de manière suffisamment caractérisée.

45      La Commission conclut au rejet du second moyen. À ce titre, elle fait, en substance, valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 34 de l’arrêt attaqué, que les requérants pouvaient invoquer, au soutien de leur recours, l’existence de l’illégalité entachant le règlement n° 530/2008, alors même que, comme l’a jugé à juste titre le Tribunal, cette illégalité ne les concerne pas, ce règlement étant demeuré valide à leur égard. Cette erreur de droit n’affectant
toutefois pas le dispositif de cet arrêt, la Commission demande à la Cour de procéder à une substitution de motifs.

 Appréciation de la Cour

46      Par leur second moyen, les requérants reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir considéré, à tort, que la violation du principe de non-discrimination résultant du fait que les pêcheurs espagnols ont bénéficié, en vertu de l’article 2 du règlement n° 530/2008, d’une semaine de pêche au thon rouge de plus que les senneurs à senne coulissante battant pavillon grec, français, italien, chypriote et maltais, ou enregistrés dans ces États membres, n’était pas suffisamment grave ni suffisamment
manifeste pour constituer une violation caractérisée de ce principe par la Commission. En réponse, tout en estimant que le dispositif de l’arrêt attaqué doit être maintenu, la Commission fait valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit, dans la mesure où le Tribunal a estimé que les requérants pouvaient invoquer, au soutien de leur recours, ladite violation du principe de non-discrimination.

47      Il y a lieu d’examiner d’emblée cet argument de la Commission.

48      Aux points 16, 17 et 23 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour, d’une part, que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, parmi lesquelles figure l’illégalité du comportement reproché aux institutions en raison de la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir, en ce sens, arrêt du
9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, points 106, 172 et 173).

49      D’autre part, le Tribunal a exposé que, conformément à cette même jurisprudence, dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité [arrêts du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 57, et du 30 avril 2009, CAS Succhi di Frutta/Commission, C‑497/06 P, non publié, EU:C:2009:273, point 40].

50      Au point 34 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que l’existence d’une violation d’une telle règle de droit était, en l’occurrence, acquise dès lors que le règlement n° 530/2008 était entaché d’une méconnaissance du principe de non‑discrimination, qui est un principe général du droit de l’Union visant la protection des particuliers. Aux points 35 à 40 de cet arrêt, le Tribunal a donc examiné si ce principe avait été violé de manière suffisamment caractérisée en l’espèce et a conclu que tel
n’avait pas été le cas.

51      Ce faisant, le Tribunal a, implicitement mais nécessairement, estimé que les requérants pouvaient se prévaloir de l’illégalité entachant le règlement n° 530/2008 au soutien de leur recours en responsabilité.

52      Toutefois, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect de la légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 62).

53      Or, aux points 31 et 32 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, à bon droit, que, dans l’arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), la Cour n’a déclaré le règlement n° 530/2008 invalide que dans la mesure où les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol ont bénéficié d’une semaine supplémentaire de pêche, tout en maintenant la validité de ce règlement en ce qu’il a prévu l’interdiction de la pêche du thon rouge par les senneurs grecs, français, italiens,
chypriotes et maltais à compter du 16 juin 2008.

54      Ainsi, comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission (C‑12/13 P et C‑13/13 P, EU:C:2014:2284), la violation du principe de non-discrimination résultant de l’article 2 du règlement n° 530/2008 n’avait aucune conséquence sur la validité de l’article 1^er de ce règlement concernant, notamment, la situation des requérants.

55      Dans ces circonstances, ainsi que la Commission l’a fait valoir, le Tribunal ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, considérer, au point 34 de l’arrêt attaqué, que les requérants étaient néanmoins fondés à invoquer la violation de ce principe au soutien de leurs recours, sous réserve que cette violation soit suffisamment caractérisée. Dès lors que l’invalidité entachant le règlement n° 530/2008, commise au profit des senneurs espagnols, ne concernait pas la situation des requérants,
ceux-ci ne pouvaient, aux fins de ce recours, se prévaloir de cette invalidité.

56      Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en se prononçant en sens contraire.

57      Cela étant, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, si les motifs d’une décision du Tribunal recèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 26 janvier 2017, Mamoli Robinetteria/Commission, C‑619/13 P, EU:C:2017:50, point 107 et jurisprudence citée).

58      Or, il résulte des considérations exposées aux points 52 à 56 du présent arrêt que les requérants ne pouvaient pas engager la responsabilité non contractuelle de l’Union dans les circonstances de l’espèce. Il s’ensuit que l’erreur de droit entachant l’arrêt attaqué ne saurait entraîner son annulation dans la mesure où cet arrêt a rejeté le recours des requérants tendant à mettre en cause cette responsabilité.

59      Eu égard à ces considérations, le second moyen doit être écarté comme étant inopérant.

60      Dès lors, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé ou lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu
à la condamnation des requérants aux dépens et ces derniers ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens afférents au présent pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Salvatore Aniello Pappalardo, Pescatori La Tonnara Soc. coop., Fedemar Srl, Testa Giuseppe & C. Snc, Pescatori San Pietro Apostolo Srl, Camplone Arnaldo & C. Snc di Camplone Arnaldo & C. et Valentino Pesca Sas di Camplone Arnaldo & C. sont condamnés aux dépens.

Signatures

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*      Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-350/16
Date de la décision : 13/09/2017
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en responsabilité

Analyses

Pourvoi – Politique commune de la pêche – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Demande de réparation – Règlement (CE) no 530/2008 – Mesures d’urgence adoptées par la Commission européenne – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit – Possibilité de se prévaloir de cette violation – Principe de non-discrimination – Autorité de la chose jugée.

Politique de la pêche


Parties
Demandeurs : Salvatore Aniello Pappalardo e.a.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston
Rapporteur ?: Levits

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:672

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