La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/05/2017 | CJUE | N°C-29/16

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, HanseYachts AG contre Port D’Hiver Yachting SARL e.a., 04/05/2017, C-29/16


ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

4 mai 2017 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 27 — Litispendance — Juridiction saisie en premier lieu — Article 30, point 1 — Notion d’“acte introductif d’instance” ou d’“acte équivalent” — Requête aux fins d’expertise judiciaire pour conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits susceptibles de fonder une action en justice subséquente»

Dans l’affaire C‑29/16,

ayant pour objet un

e demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Stralsund (tribunal régional...

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

4 mai 2017 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 27 — Litispendance — Juridiction saisie en premier lieu — Article 30, point 1 — Notion d’“acte introductif d’instance” ou d’“acte équivalent” — Requête aux fins d’expertise judiciaire pour conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits susceptibles de fonder une action en justice subséquente»

Dans l’affaire C‑29/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund, Allemagne), par décision du 8 janvier 2016, parvenue à la Cour le 18 janvier 2016, dans la procédure

HanseYachts AG

contre

Port D’Hiver Yachting SARL,

Société Maritime Côte D’Azur,

Compagnie Generali IARD SA,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme A. Prechal, M. A. Rosas, Mme C. Toader (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

— pour HanseYachts AG, par Me. O. Hecht, Rechtsanwalt,

— pour Port D’Hiver Yachting SARL, par Me. J. Bauerreis, Rechtsanwalt,

— pour Société Maritime Côte D’Azur, par Me A. Fischer, Rechtsanwältin,

— pour Compagnie Generali IARD SA, par M. C. Tendil, président, assisté de Me J. Laborde, Rechtsanwalt,

— pour la Commission européenne, par Mme M. Heller et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 janvier 2017,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 30, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant HanseYachts AG à Port D’Hiver Yachting SARL, à Société Maritime Côte d’Azur (ci‑après « SMCA ») et à Compagnie Generali IARD SA (ci‑après « Generali IARD »), au sujet d’une demande en constatation négative portant sur l’absence de responsabilité de HanseYachts au titre de la réparation du préjudice réclamée par SMCA.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le considérant 15 du règlement no 44/2001 est ainsi libellé :

« Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir
cette date de manière autonome. »

4 Le chapitre II de ce règlement, dénommé « Compétence », comprend une section 2, intitulée « Compétences spéciales ». Cette dernière comporte notamment l’article 5 dudit règlement, qui prévoit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

— pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

— [...]

[...]

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

[...] »

5 La section 7 de ce chapitre II, intitulée « Prorogation de compétence », comprend notamment l’article 23 du règlement no 44/2001, qui dispose, à son paragraphe 1 :

« Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. [...] »

6 La section 9 dudit chapitre II, intitulée « Litispendance et connexité », comprend les articles 27 à 30 de ce règlement. Aux termes de l’article 27 de ce dernier :

« 1.   Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2.   Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci. »

7 L’article 30 dudit règlement dispose :

« Aux fins de la présente section, une juridiction est réputée saisie :

1) à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur, ou

[...] »

Le droit français

8 Le code de procédure civile comporte, en son livre Ier, un titre VII, intitulé « L’administration judiciaire de la preuve ». Le sous-titre II de ce dernier, dénommé « Les mesures d’instructions », inclut l’article 145 qui dispose :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 Il ressort de la décision de renvoi et du dossier transmis à la Cour que HanseYachts, société établie à Greifswald (Allemagne), se consacre à la construction et à la vente de bateaux à moteur et de voiliers. Port D’Hiver Yachting est une société qui commercialise des bateaux et dont le siège social se trouve en France.

10 Par un contrat du 14 avril 2010, HanseYachts a vendu à Port D’Hiver Yachting un bateau à moteur de modèle Fjord 40 Cruiser. Ce bateau a été livré à Port D’Hiver le 18 mai 2010 à Greifswald, localité située dans le ressort territorial du Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund). Il a ensuite été transporté en France et revendu, le 30 avril 2010, à SMCA, société établie dans cet État.

11 Le 1er août 2011, HanseYachts et Port D’Hiver Yachting ont conclu un contrat de distribution qui contenait une clause attributive de compétence en faveur des juridictions de Greifswald et désignait la loi allemande comme étant le droit matériel applicable. Selon l’article 22 de ce contrat, celui-ci remplaçait entre les parties tous les accords écrits ou verbaux antérieurs.

12 À la suite d’une avarie au moteur du bateau, survenue au cours du mois d’août 2011, SMCA a saisi le tribunal de commerce de Marseille (France), par une assignation en référé notifiée le 22 septembre 2011 à Port D’Hiver Yachting, aux fins de demander que soit ordonnée une expertise judiciaire avant tout procès, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Une assignation a été également délivrée à Volvo Trucks France SAS, en sa qualité de fabricant du moteur. En 2012, Generali
IARD est intervenue dans la procédure, en tant qu’assureur de Port D’Hiver Yachting. Au cours de l’année 2013, HanseYachts a également été attraite à la procédure, en tant que constructeur du bateau concerné.

13 L’expert mandaté par le tribunal de commerce de Marseille a rendu son rapport le 18 septembre 2014.

14 Le 15 janvier 2015, SMCA a assigné Port d’Hiver Yachting, Volvo Trucks France et HanseYachts devant le tribunal de commerce de Toulon (France), en réparation du préjudice qu’elle prétendait avoir subi ainsi qu’en remboursement des frais générés par la procédure d’expertise judiciaire. L’action en justice dirigée contre HanseYachts était fondée sur la garantie du fabricant au titre de vices cachés.

15 Avant l’introduction de l’action devant le tribunal de commerce de Toulon, mais après l’assignation en référé devant le tribunal de commerce de Marseille, HanseYachts a, le 21 novembre 2014, saisi le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund) d’une demande en constatation négative tendant à ce qu’il soit jugé que Port D’Hiver Yachting, SMCA et Generali IARD n’étaient titulaires d’aucune créance à son égard en rapport avec le bateau concerné.

16 Les défenderesses au principal ayant soulevé une exception de litispendance, au titre de l’article 27 du règlement no 44/2001, la juridiction de renvoi se demande si, eu égard aux dispositions de l’article 30 de ce règlement, elle est tenue de surseoir à statuer, en tant que juridiction saisie en second lieu, jusqu’à ce que la compétence internationale du tribunal de commerce de Toulon, qui serait la juridiction première saisie, soit établie ou si elle peut procéder à l’examen du bien-fondé de
l’action au principal, en tant que juridiction première saisie. À cet égard, elle estime que sa décision dépend de la question de savoir si l’acte qui a engagé la procédure probatoire devant le tribunal du commerce de Marseille constitue un « acte introductif d’instance ou un acte équivalent », au sens de l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001, ou si cette qualification n’appartient qu’à l’acte grâce auquel l’action en justice a été intentée devant le tribunal de Toulon.

17 La juridiction de renvoi considère que les conditions d’application de l’article 27, premier paragraphe, du règlement no 44/2001 sont remplies, l’action engagée devant le tribunal de commerce de Toulon et l’action au principal étant formées entre les mêmes parties et ayant le même objet et la même cause. Elle souligne qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, notamment des arrêts du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec (C‑133/11, EU:C:2012:664, points 42 et suivants), ainsi que du
19 décembre 2013, Nipponkoa Insurance (C‑452/12, EU:C:2013:858, points 41 et suivants), que le fait que l’action au principal consiste dans une action en constatation négative ne s’oppose pas à la constatation d’une situation de litispendance.

18 De l’avis du Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund), la demande d’expertise judiciaire avant tout procès, prévue par le droit français, et l’action au fond qui lui a fait suite présentent une unité matérielle, l’introduction de l’action au fond se plaçant dans la continuité de la résolution d’un litige existant entre les parties. De ce fait, il estime que les juridictions françaises étaient saisies en premier lieu d’un litige entre les mêmes parties et ayant le même objet et la
même cause que celui pendant devant lui.

19 Le libellé de l’article 30 du règlement no 44/2001, en vertu duquel une juridiction est réputée saisie à la suite du dépôt non seulement d’un « acte introductif d’instance », mais également d’un « acte équivalent », justifierait, selon la juridiction de renvoi, d’interpréter largement cet article, en ce sens qu’une demande de procédure probatoire autonome, telle que celle instituée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, pourrait être regardée comme étant un acte équivalent
à un acte introductif d’instance.

20 C’est dans ces conditions que le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Si le droit procédural d’un État membre prévoit une procédure probatoire autonome dans laquelle un expert se voit chargé de rendre un avis sur ordre du juge, [notamment] “l’expertise judiciaire de droit français”, et si, dans cet État membre, une telle procédure probatoire autonome est mise en œuvre et que, par la suite, dans le même État membre une action [au fond] est intentée sur le fondement des résultats de la procédure probatoire autonome entre les mêmes parties :

Faut-il considérer, dans ce cas, que l’acte par lequel la procédure probatoire autonome a été engagée est un “acte introductif d’instance ou un acte équivalent”, au sens de l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001, ou bien faut-il considérer que la qualification d’“acte introductif d’instance ou [d’]acte équivalent” n’appartient qu’à l’acte par lequel l’action en justice a été intentée ? »

Sur la question préjudicielle

21 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance si l’article 27, paragraphe 1, et l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de litispendance, la date à laquelle a été engagée une procédure tendant à obtenir une mesure d’instruction avant tout procès peut constituer la date à laquelle « est réputée saisie », au sens dudit article 30, point 1, une juridiction appelée à statuer sur une demande au fond ayant été formée dans le même
État membre consécutivement au résultat de cette mesure.

22 À titre liminaire, il y a lieu, tout d’abord, d’observer que le règlement no 44/2001 a été abrogé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1). Toutefois, ce dernier règlement n’est applicable, en vertu de son article 81, qu’à partir du 10 janvier 2015. En conséquence, la demande de décision préjudicielle, qui
concerne une action judiciaire introduite par HanseYachts le 21 novembre 2014, doit être examinée au regard du règlement no 44/2001.

23 Il importe de constater, ensuite, que la Cour n’est pas saisie de la question de la compétence internationale de la juridiction de renvoi et du tribunal de commerce de Toulon, nonobstant les précisions fournies à ce sujet par la juridiction de renvoi. En l’occurrence, si une compétence internationale exclusive de la juridiction allemande, au titre de l’article 23 du règlement no 44/2001, semble avoir été revendiquée par HanseYachts, la juridiction de renvoi affirme tirer sa compétence
internationale de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 et estime qu’aucune compétence exclusive des juridictions allemandes ne s’oppose à l’action engagée devant le tribunal de commerce de Toulon, le juge français tirant, à son tour, sa compétence internationale de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement.

24 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêt du 27 février 2014, Cartier parfums-lunettes et Axa
Corporate Solutions assurances, C‑1/13, EU:C:2014:109, point 25 ainsi que jurisprudence citée). C’est, partant, sans préjuger de la problématique de la compétence internationale de la juridiction de renvoi que la Cour entend répondre à la question posée.

25 La section 9 du chapitre II du règlement no 44/2001, intitulée « Litispendance et connexité », comprend les articles 27 à 30 de ce règlement. Cette section tend, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, à réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes devant les juridictions de différents États membres et à éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues.

26 Il résulte des termes de l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 qu’une situation de litispendance est constituée dès que des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents.

27 La juridiction de renvoi estime qu’une situation de litispendance existe entre l’affaire pendante devant elle et celle dont se trouve saisi le tribunal de commerce de Toulon. Elle précise que son obligation de surseoir à statuer, en tant que juridiction saisie en second lieu, n’existerait que si l’action au fond introduite auprès du tribunal de commerce de Toulon devait être considérée comme ayant débuté dès le stade de la procédure probatoire introduite devant le tribunal de commerce de
Marseille.

28 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le mécanisme pour résoudre les cas de litispendance, prévu à l’article 27 du règlement no 44/2001, revêt un caractère objectif et automatique et se fonde sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions en cause ont été saisies (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements, C‑523/14, EU:C:2015:722, point 48 et jurisprudence citée).

29 Dans ce contexte, l’article 30 de ce règlement définit de manière uniforme et autonome la date à laquelle une juridiction est réputée saisie aux fins de l’application de la section 9 du chapitre II dudit règlement, et notamment de l’article 27 de ce dernier, relatif à la litispendance (arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements, C‑523/14, EU:C:2015:722, point 57). En vertu du point 1 dudit article 30, dont l’interprétation a été demandée par la juridiction de
renvoi, la saisine s’opère à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès d’une juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures nécessaires pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur.

30 Il ressort du considérant 15 du règlement no 44/2001 que cet article a pour objectif, notamment, de parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante, une telle date devant être établie de manière autonome. En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions, il ressort des travaux législatifs ayant précédé l’adoption de ce règlement, notamment de la proposition de règlement (CE) du Conseil
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [COM (1999) 348 final], que l’article 30 de celui‑ci vise à réduire les incertitudes juridiques causées par la grande variété des réglementations qui existaient dans les États membres pour déterminer la date de la saisine d’une juridiction, grâce à une règle matérielle permettant d’identifier cette date de façon simple et uniformisée.

31 En l’occurrence, il résulte de l’article 145 du code de procédure civile que, en droit français, lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Parmi ces mesures figure, notamment, l’expertise judiciaire.

32 Cet article indique expressément que la demande de mesure d’instruction concernée est formée « avant tout procès ». Dans ses réponses aux questions adressées par la Cour au titre des mesures d’organisation de la procédure prises en application de l’article 61, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le gouvernement français a relevé, tout d’abord, que le libellé de l’article 145 du code de procédure civile traduit l’autonomie des mesures d’instruction ordonnées sur son fondement par
rapport à la procédure au fond concernant les même parties, dès lors que celles-ci doivent être demandées « avant tout procès ». Ensuite, selon ce gouvernement, une demande fondée sur l’article 145 du code de procédure civile fait l’objet d’une instance distincte d’une éventuelle instance au fond. Enfin, ledit gouvernement a souligné que le juge saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile épuise sa saisine en ordonnant la mesure d’instruction sollicitée.

33 Il résulte de l’interprétation de l’article 145 du code de procédure civile, ainsi exposée par le gouvernement français, que si, certes, il peut exister un lien entre l’instance saisie au titre de cet article et l’instance compétente au fond dans la perspective de laquelle la mesure d’instruction a été ordonnée, il n’en demeure pas moins qu’une telle procédure probatoire a un caractère autonome par rapport à la procédure au fond qui pourrait, le cas échéant, être engagée par la suite.

34 Il convient toutefois de préciser qu’il incombe au juge national d’apprécier s’il y a lieu de retenir une telle interprétation dudit article, la Cour n’étant pas, selon une jurisprudence constante, compétente pour interpréter le droit interne d’un État membre (voir, notamment, arrêt du 13 décembre 2012, Caves Krier Frères, C‑379/11, EU:C:2012:798, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

35 Eu égard à ce caractère autonome et à la césure très nette existant entre la procédure probatoire, d’une part, et l’éventuelle procédure au fond, d’autre part, la notion d’« acte équivalent » à un acte introductif d’instance, prévue à l’article 30 du règlement no 44/2001, doit être interprétée en ce sens que l’acte introductif d’une procédure probatoire ne saurait être considéré, aux fins d’apprécier une situation de litispendance et de déterminer la juridiction première saisie au sens de
l’article 27, paragraphe 1, de ce règlement, comme étant également l’acte introductif de la procédure au fond. Une telle interprétation serait, en outre, peu compatible avec l’objectif poursuivi par ledit article 30, point 1, qui, ainsi qu’il est exposé au point 30 du présent arrêt, vise à permettre une identification simple et uniforme de la date de saisine d’une juridiction.

36 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 27, paragraphe 1, et l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001 doivent être interprétés en ce sens que, en cas de litispendance, la date à laquelle a été engagée une procédure tendant à obtenir une mesure d’instruction avant tout procès ne peut pas constituer la date à laquelle « est réputée saisie », au sens dudit article 30, point 1, une juridiction appelée à statuer sur
une demande au fond ayant été formée dans le même État membre consécutivement au résultat de cette mesure.

Sur les dépens

37 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  L’article 27, paragraphe 1, et l’article 30, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doivent être interprétés en ce sens que, en cas de litispendance, la date à laquelle a été engagée une procédure tendant à obtenir une mesure d’instruction avant tout procès ne peut pas constituer la date à laquelle « est réputée saisie », au sens dudit article 30,
point 1, une juridiction appelée à statuer sur une demande au fond ayant été formée dans le même État membre consécutivement au résultat de cette mesure.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’allemand


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-29/16
Date de la décision : 04/05/2017
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landgericht Stralsund.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 44/2001 – Article 27 – Litispendance – Juridiction saisie en premier lieu – Article 30, point 1 – Notion d’“acte introductif d’instance” ou d’“acte équivalent” – Requête aux fins d’expertise judiciaire pour conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits susceptibles de fonder une action en justice subséquente.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Coopération judiciaire en matière civile


Parties
Demandeurs : HanseYachts AG
Défendeurs : Port D’Hiver Yachting SARL e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Saugmandsgaard Øe
Rapporteur ?: Toader

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:343

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award