ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
26 avril 2017 ( *1 )
«Manquement d’État — Environnement — Directive 92/43/CEE — Article 6, paragraphe 3 — Conservation des habitats naturels — Construction de la centrale à charbon de Moorburg (Allemagne) — Zones Natura 2000 sur le couloir du fleuve Elbe en amont de la centrale à charbon — Évaluation des incidences d’un plan ou d’un projet sur un site protégé»
Dans l’affaire C‑142/16,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 9 mars 2016,
Commission européenne, représentée par MM. C. Hermes et E. Manhaeve, en qualité d’agents, ayant élu domicile au Luxembourg,
partie requérante,
contre
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents, assistés de M. W. Ewer, Rechtsanwalt,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme A. Prechal, M. A. Rosas, Mme C. Toader (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,
avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,
greffier : M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 janvier 2017,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ne procédant pas, lors de l’autorisation de la construction d’une centrale à charbon à Moorburg, près de Hambourg (Allemagne), à une évaluation correcte et complète des incidences, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la
faune et la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »).
Le cadre juridique
2 Les premier, quatrième et dixième considérants de la directive « habitats » sont libellés de la manière suivante :
« considérant que la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement, y compris la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, constituent un objectif essentiel, d’intérêt général poursuivi par [l’Union] comme prévu à l’article [191 TFUE] ;
[...]
considérant que, sur le territoire européen des États membres, les habitats naturels ne cessent de se dégrader et qu’un nombre croissant d’espèces sauvages sont gravement menacées ; que, étant donné que les habitats et espèces menacés font partie du patrimoine naturel de [l’Union] et que les menaces pesant sur ceux-ci sont souvent de nature transfrontalière, il est nécessaire de prendre des mesures au niveau de [l’Union] en vue de les conserver ;
[...]
considérant que tout plan ou programme susceptible d’affecter de manière significative les objectifs de conservation d’un site qui a été désigné ou qui le sera dans le futur doit être l’objet d’une évaluation appropriée ».
3 L’article 2, paragraphe 2, de la directive « habitats » énonce :
« Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire. »
4 L’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive « habitats » prévoit :
« 3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent
leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.
4. Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L’État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées.
Lorsque le site concerné est un site abritant un type d’habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l’homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ou, après avis de la Commission, à d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur. »
5 La directive « habitats » contient six annexes, dont l’annexe II est intitulée « Espèces animales et végétales d’intérêt [de l’Union] dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation ».
Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse
6 La centrale à charbon de Moorburg est située sur le port de Hambourg sur la rive sud du versant sud de l’Elbe, qui a, en tant que voie migratoire pour certains poissons, à savoir les lamproies de rivière (Lampetra fluviatilis), les lamproies marines (Petromyzon marinus) et le saumon (Salmo salar), figurant à l’annexe II de la directive « habitats », une fonction importante pour une série de zones Natura 2000 dont les objectifs de conservation comprennent ces espèces, situées en amont du barrage de
Geesthacht (Allemagne). Ces zones se trouvent dans les Länder de Basse-Saxe, de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, de Saxe-Anhalt, de Brandebourg et de Saxe, à une distance allant jusqu’à environ 600 kilomètres (km) de cette centrale. Sur le couloir de l’Elbe, entre la centrale de Moorburg et les zones Natura 2000, se trouve le barrage de Geesthacht.
7 L’autorisation pour la construction de la centrale de Moorburg, délivrée le 30 septembre 2008, a été précédée d’une évaluation des incidences sur l’environnement (ci-après l’« évaluation des incidences »), au titre de la législation allemande sur l’eau. Cette évaluation avait conclu que l’autorisation était compatible avec les objectifs de conservation des zones Natura 2000, eu égard à l’engagement pris par l’exploitant d’installer à environ 30 km de cette centrale, au barrage de Geesthacht, une
seconde passe de montaison pour les poissons, destinée à contre-balancer les pertes des spécimens lors du fonctionnement du mécanisme de refroidissement de ladite centrale, qui présuppose le prélèvement de quantités importantes d’eau pour refroidir la centrale de Moorburg (ci-après la « passe de montaison »). En outre, la conclusion de l’évaluation des incidences mentionnait une surveillance en plusieurs phases, destinée à vérifier l’efficacité de cette mesure.
8 À la suite de deux plaintes concernant l’évaluation des incidences, la Commission a adressé, le 27 janvier 2014, à la République fédérale d’Allemagne une lettre de mise en demeure dans laquelle elle lui faisait grief d’avoir violé l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive « habitats ».
9 La Commission a estimé que l’évaluation des incidences avait insuffisamment, voire mal déterminé, les effets de la centrale de Moorburg sur les zones Natura 2000 situées en amont du barrage de Geesthacht. D’une part, la Behörde für Stadtentwicklung und Umwelt der Freien und Hansestadt Hamburg (administration régionale du développement urbain et de l’environnement de la ville libre et hanséatique de Hambourg, Allemagne) aurait considéré à tort la passe de montaison comme une mesure d’atténuation
et, d’autre part, l’évaluation des incidences n’aurait pas pris en compte les effets cumulatifs avec d’autres projets pertinents.
10 La République fédérale d’Allemagne a, par lettre du 11 avril 2014, contesté les griefs formulés par la Commission et soutenu que la passe de montaison devait être classée comme une mesure d’atténuation.
11 Le 17 octobre 2014, la Commission a adressé un avis motivé à la République fédérale d’Allemagne dans lequel elle maintenait ses griefs relatifs à la violation de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive « habitats ».
12 La République fédérale d’Allemagne a, par lettre du 15 décembre 2014, confirmé sa position antérieure.
13 Estimant que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des dispositions de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive « habitats », la Commission a décidé, le 9 mars 2016, d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Sur le premier grief, tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats »
Argumentation des parties
14 Par son premier grief, la Commission reproche à la République fédérale d’Allemagne d’avoir violé l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats » en délivrant l’autorisation du 30 septembre 2008. L’exploitation de la centrale de Moorburg aurait des incidences négatives sur plusieurs zones Natura 2000 situées en amont du barrage de Geesthacht. Plus spécifiquement, un important nombre de poissons visés à l’annexe II de la directive « habitats » seraient tués du fait du
prélèvement de l’eau de refroidissement au niveau de la centrale de Moorburg.
15 À titre liminaire, la Commission fait valoir qu’il n’est pas pertinent que la centrale de Moorburg se trouve en dehors des zones Natura 2000 situées en amont du barrage de Geesthacht. Cette institution fait valoir que la mort de poissons ne constitue pas en soi une violation de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », mais qu’une telle violation pourrait, en revanche, être établie en raison des conséquences d’une telle perte de poissons sur les stocks dans les
zones Natura 2000 situées en amont du barrage de Geesthacht.
16 La Commission conteste la conclusion à laquelle est parvenue l’évaluation des incidences, qui n’indiquerait pas que la passe de montaison pourrait empêcher ou réduire les effets négatifs liés à l’exploitation de la centrale de Moorburg, mais seulement qu’elle pourrait compenser de manière adéquate ces effets, en permettant à d’autres spécimens de poissons que ceux tués ou blessés de surmonter le barrage de Geesthacht.
17 En outre, la Commission estime qu’une telle évaluation n’est pas compatible avec la jurisprudence de la Cour établie par l’arrêt du 15 mai 2014, Briels e.a. (C‑521/12, EU:C:2014:330). Même à supposer que la passe de montaison pouvait provoquer un renforcement des stocks des espèces de poissons migrateurs, celle-ci ne permettrait pas d’épargner la population de poissons migrante ni celle en reproduction.
18 La Commission ajoute que l’autorisation du 30 septembre 2008 reconnaît expressément que les effets de l’installation d’une seconde passe de montaison à côté du barrage de Geesthacht sont incertains.
19 Enfin, la Commission estime que les constatations et les rapports d’expertise fournis par la République fédérale d’Allemagne pour les années 2011 à 2014, concernant les prémisses sur lesquelles était fondée l’évaluation des incidences, ne seraient pas pertinents, dans la mesure où ils sont intervenus postérieurement à ladite évaluation et à l’autorisation du 30 septembre 2008. La République fédérale d’Allemagne n’aurait pas non plus apporté la preuve de l’évolution des stocks dans les zones
Natura 2000 concernées pour démontrer l’éventuelle efficacité de la passe de montaison.
20 La République fédérale d’Allemagne conteste le manquement allégué. Elle soutient qu’il n’y a pas d’atteinte significative au sens de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats ». Dès le stade de l’analyse des incidences de l’évaluation préalable menée dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’autorisation du 30 septembre 2008, il aurait été constaté que seul un très petit nombre de spécimens tués était prévisible.
21 Cet État membre estime que la mort d’un certain nombre de spécimens de différentes espèces de poissons due au prélèvement de l’eau de refroidissement de la centrale de Moorburg n’entraîne pas la destruction de l’habitat des zones Natura 2000 qui sont situées à une distance allant jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres de cette centrale. Ainsi, les États membres seraient pratiquement dans l’incapacité d’identifier à distance tous les effets prévisibles de certaines mesures sur des zones Natura
2000.
22 Concernant les effets de la passe de montaison, cet État membre estime que l’autorisation du 30 septembre 2008 garantirait de manière fiable que le nombre de poissons visés à l’annexe II de la directive « habitats » qui remontent le fleuve via la passe de montaison est au moins aussi élevé que le nombre de poissons qui sont tués au niveau de la centrale de Moorburg du fait du prélèvement de l’eau de refroidissement. Les poissons détruits et les poissons supplémentaires qui remontent ne se
distingueraient pas en ce qui concerne leurs propriétés biologiques de telle sorte que l’on trouve une population inchangée dans les zones Natura 2000 situées en amont du barrage de Geesthacht.
23 Concernant les espèces de poissons visées à l’annexe II de la directive « habitats », cet État membre estime qu’elles ne relèvent pas du champ d’application de l’article 6 de cette directive. Dans le cadre de la protection des habitats prévue à cet article, seraient déterminants seulement les objectifs de conservation des zones Natura 2000, donc le fait que l’on trouve dans la zone de conservation une structure de population inchangée.
24 Ainsi, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que l’autorité saisie de la demande d’autorisation est partie des hypothèses du scénario le plus défavorable, tout en subordonnant en outre la mise en service du refroidissement en continu à une preuve de fonctionnalité effective de la passe de montaison, preuve qui a été apportée au cours des années 2011 à 2014. En effet, le rapport d’expertise du 15 janvier 2014 montrerait qu’un très petit nombre des poissons concernés sont tués, mais que
d’autres arrivent à remonter dans les sites protégés grâce à la passe de montaison.
25 En ce qui concerne la gestion des risques, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que l’autorisation du 30 septembre 2008 combine des éléments prévisionnels à des éléments d’observation préventifs en incluant également des procédures permettant de limiter à l’avenir le prélèvement de l’eau de refroidissement dans la mesure nécessaire à la protection des espèces concernées.
26 S’agissant des constatations et des rapports d’expertise pour les années 2011 à 2014, la République fédérale d’Allemagne estime qu’ils doivent être pris en considération pour l’appréciation de ce recours en manquement, car le délai fixé dans l’avis motivé expirait le 16 décembre 2014. Elle estime que ces constatations sont pertinentes dans la mesure où celles-ci ont été ordonnées au moment de l’octroi de l’autorisation du 30 septembre 2008 et font donc partie intégrante de l’évaluation des
incidences.
27 De même, ledit État membre ajoute que la mise en service du refroidissement en continu a été subordonnée à la preuve de l’efficacité de la passe de montaison. Cette preuve a été établie par les constatations effectuées au cours des années 2011 à 2014. Les prévisions relatives à l’efficacité de l’atténuation du préjudice grâce à la passe de montaison auraient été fondées sur un modèle de prévision réalisé en deux étapes, à savoir d’une part des prévisions résultant de la planification du projet et
de l’approbation finale de celui-ci et, d’autre part, des constatations à fournir à partir de la surveillance.
28 Enfin, la République fédérale d’Allemagne précise que la passe de montaison est exploitée depuis le mois d’août 2010, mais que l’activité normale du prélèvement de l’eau n’a débuté que depuis l’achèvement avec succès de la surveillance, à savoir au mois de mars 2015.
Appréciation de la Cour
29 Il convient de relever d’emblée que le fait que le projet dont l’évaluation environnementale est contestée se situe non pas dans les zones Natura 2000 concernées, mais à une distance considérable de celles-ci, en amont de l’Elbe, n’exclut nullement l’applicabilité des exigences énoncées à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ». En effet, ainsi qu’il découle du libellé de cette disposition, celle-ci soumet au mécanisme de protection environnementale qui y est prévu « [t]out plan
ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative ».
30 En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que le mécanisme de refroidissement de la centrale de Moorburg est susceptible d’affecter de manière significative des espèces de poissons visées à l’annexe II de la directive « habitats » et protégées dans les zones Natura 2000 concernées.
31 En effet, l’évaluation des incidences, effectuée par les autorités allemandes, relève que la mort d’individus des trois espèces de poissons concernées visées à l’annexe II de la directive « habitats », liée à la prise d’eau de refroidissement de la centrale de Moorburg sur leur couloir migratoire, affecte la reproduction de ces espèces dans lesdits sites protégés. En particulier, cette évaluation indique qu’il existe des risques élevés pour les grands migrateurs tels que la lamproie de rivière,
la lamproie marine et le saumon.
32 Compte tenu de cette évaluation des incidences, les autorités allemandes ne pouvaient, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats », marquer leur accord sur le projet de construction de la centrale de Moorburg « qu’après s’être assurées [que celui-ci] ne portera pas atteinte à l’intégrité [des] sites[s] concerné[s] ».
33 En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les autorités nationales compétentes n’autorisent une activité soumise à l’évaluation qu’à la condition qu’elles aient acquis la certitude que cette activité est dépourvue d’effets préjudiciables pour l’intégrité du site protégé. Il en est ainsi lorsqu’il ne subsiste aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique quant à l’absence de tels effets (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK, C‑243/15, EU:C:2016:838,
point 42 et jurisprudence citée).
34 Pour s’assurer que le projet de construction de la centrale de Moorburg ne porterait pas atteinte à l’intégrité des zones Natura 2000 concernées, il appartenait aux autorités allemandes de tenir compte des mesures de protection intégrées dans ce projet de construction. Il est, à cet égard, de jurisprudence constante que l’application du principe de précaution dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » exige de l’autorité nationale compétente
qu’elle tienne, notamment, compte des mesures de protection intégrées dans ledit projet, visant à éviter ou à réduire les éventuels effets préjudiciables directement causés, afin de s’assurer qu’il ne porte pas atteinte à l’intégrité du site protégé (arrêts du 15 mai 2014, Briels e.a., C‑521/12, EU:C:2014:330, point 28, ainsi que du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 54).
35 En l’occurrence, il y a lieu de relever qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que, en complément à d’autres mesures destinées à empêcher les effets négatifs du prélèvement de l’eau, comme l’installation de rabattage de poissons, le rapatriement du poisson et la réduction de l’activité de la centrale de Moorburg lorsque la teneur en oxygène est critique pour le poisson, une passe de montaison a été placée au niveau du barrage de Geesthacht.
36 Cette passe de montaison permettrait un renforcement des stocks de poissons migratoires, offrant à ces espèces la possibilité d’atteindre plus rapidement leurs zones de reproduction dans le cours moyen et le cours supérieur de l’Elbe. Le renforcement des stocks compenserait les pertes près de la centrale de Moorburg et, de ce fait, les objectifs de conservation des zones Natura 2000 situées en amont de cette centrale ne seraient pas affectés de manière significative.
37 Toutefois, il ressort de l’évaluation des incidences qu’elle ne contient pas de constatations définitives en ce qui concerne l’efficacité de la passe de montaison, mais se borne à préciser que cette efficacité ne serait confirmée qu’après plusieurs années de surveillance.
38 Dès lors, force est de constater que, au moment de la délivrance de l’autorisation, la passe de montaison, même si elle visait à réduire les effets significatifs directement causés sur les zones Natura 2000 situées en amont de la centrale de Moorburg, n’était pas de nature à garantir, ensemble avec les autres mesures mentionnées au point 35 du présent arrêt, une absence de tout doute raisonnable quant au fait que ladite centrale ne porterait pas atteinte à l’intégrité du site, au sens de
l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».
39 Cette conclusion ne saurait être infirmée par les arguments de la République fédérale d’Allemagne concernant la gestion des risques et les constatations fournies pour les années 2011 à 2014.
40 À ce titre, selon la jurisprudence, le critère d’autorisation prévu à l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats » intègre le principe de précaution et permet de prévenir de manière efficace les atteintes à l’intégrité des sites protégés à la suite des plans ou des projets envisagés. Un critère d’autorisation moins strict que celui en cause ne saurait garantir de manière aussi efficace la réalisation de l’objectif de protection des sites à laquelle tend ladite
disposition (arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 53 ainsi que jurisprudence citée).
41 En ce qui concerne les prévisions sur lesquelles était fondée l’évaluation des incidences, il y a lieu de relever que les constatations fournies pour les années 2011 à 2014 ont été déposées par la République fédérale d’Allemagne après la délivrance de l’autorisation du 30 septembre 2008.
42 À cet égard, il y a lieu de rappeler que c’est à la date de l’adoption de la décision autorisant la réalisation du projet qu’il ne doit subsister aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique concernant l’absence d’effets préjudiciables pour l’intégrité du site concerné (arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Portugal, C‑239/04, EU:C:2006:665, point 24 et jurisprudence citée).
43 S’agissant de la surveillance en plusieurs phases, celle-ci ne saurait davantage suffire à garantir le respect de l’obligation prévue à l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».
44 En effet, d’une part, ainsi que la Commission l’a fait valoir lors de l’audience, sans être contredite à cet égard par l’État membre défendeur, les résultats de cette surveillance peuvent ne pas être pertinents dans le cas où le mesurage est effectué pendant les périodes où la centrale de Moorburg n’utilise pas le mécanisme de refroidissement en continu. D’autre part, il vise uniquement à compter le nombre de poissons parvenant à franchir le barrage de Geesthacht par la passe de montaison.
Partant, cette surveillance n’est pas de nature à assurer que la passe de montaison évitera les atteintes portées à l’intégrité des zones protégées.
45 Il s’ensuit que, en autorisant le projet de la construction de la centrale de Moorburg sur l’Elbe sur la base d’une évaluation des incidences qui a conclu à l’absence d’atteinte à l’intégrité des zones Natura 2000, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats ».
Sur le deuxième grief, tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats » pour défaut d’examen des effets cumulatifs avec d’autres projets
Argumentation des parties
46 La Commission estime qu’une autre violation de l’article 6, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive « habitats » a été commise, la ville de Hambourg ayant délivré l’autorisation du 30 septembre 2008 sans avoir tenu compte, dans l’évaluation des incidences de la centrale de Moorburg, des effets cumulatifs possibles liés à l’existence de la centrale de pompage de Geesthacht et de la centrale hydraulique au fil de l’eau située sur le barrage de Geesthacht, pour laquelle une demande
d’autorisation d’installation et d’exploitation avait également été introduite.
47 S’agissant de la centrale de pompage de Geesthacht, la Commission observe que cette centrale existe depuis l’année 1958 et qu’elle ne dispose pas d’installations particulières pour protéger les espèces de poissons. Ce ne serait qu’au cours de l’année 2014 que la République fédérale d’Allemagne aurait déposé un rapport d’expertise visant à prouver que ladite centrale de pompage ne représentait pas de danger pour les espèces concernées de poissons migrateurs.
48 Selon la Commission, il est sans pertinence que la centrale de pompage de Geesthacht ait été réalisée avant l’expiration du délai de transposition de la directive « habitats », car les dispositions de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive ne se limitent pas aux seuls plans et projets approuvés ou terminés après le délai de transposition de ladite directive.
49 En ce qui concerne la centrale hydraulique au fil de l’eau sur le barrage de Geesthacht, pour laquelle une demande d’installation et d’exploitation avait été introduite le 22 mai 2008, la Commission estime que celle-ci aurait également dû être prise en compte dans le cadre de l’examen du cumul des effets pour la centrale de Moorburg. Selon la Commission, bien que cette demande ait été retirée au cours de l’année 2010, des effets de la centrale hydraulique au fil de l’eau sur les populations de
poissons migrateurs étaient prévisibles à la date de la délivrance de l’autorisation du 30 septembre 2008.
50 La République fédérale d’Allemagne fait valoir, d’abord, concernant la centrale de pompage de Geesthacht, que celle-ci ne devait pas être prise en considération pour l’évaluation des incidences, puisqu’elle existait déjà à la date de l’adoption de la directive « habitats », en invoquant à cet égard l’arrêt de la Cour du 14 janvier 2016, Grüne Liga Sachsen e.a. (C‑399/14, EU:C:2016:10, points 58 et 59).
51 Ensuite, s’agissant de la centrale hydraulique au fil de l’eau sur le barrage de Geesthacht, cet État membre est d’avis qu’elle ne devait pas être prise en compte en tant qu’« autre projet » dans la mesure où, dès le départ, elle n’était pas susceptible de déboucher sur une autorisation.
52 À ce titre, la République fédérale d’Allemagne fait valoir qu’un tel projet n’aurait pas pu être autorisé sans l’intervention de Vattenfall Europe AG, devenue Vattenfall GmbH. Selon le droit allemand, l’exploitant d’une future centrale hydraulique au fil de l’eau doit nécessairement obtenir l’accord du propriétaire des eaux concernées, en l’espèce l’État fédéral allemand.
53 Or, la demande de construction d’une centrale hydraulique au fil de l’eau, du 22 mai 2008, aurait été introduite non pas par Vattenfall Europe ou par un tiers bénéficiaire de celle-ci, mais par Wirtschaftsbetriebe Geesthacht GmbH, qui, contrairement à Vattenfall Europe, ne détenait aucun droit d’utilisation des terrains et des ouvrages au niveau du barrage de Geesthacht nécessaires pour la construction d’une centrale hydraulique au fil de l’eau.
54 Ainsi, par courrier du 26 mai 2008, l’autorité d’approbation des plans du district Herzogtum Lauenburg (Allemagne) aurait précisé que, en raison du défaut d’intérêt à obtenir une décision au fond, elle n’ouvrirait aucune procédure d’approbation du plan aussi longtemps que Vattenfall Europe ne donnerait pas son accord concernant la construction de la centrale hydraulique au fil de l’eau. Le 20 juin 2008, Vattenfall Europe aurait indiqué qu’elle ne transférerait au demandeur aucun droit
d’utilisation dont elle bénéficiait. Par la suite, l’autorité d’approbation n’aurait finalement plus engagé de procédure d’approbation pour la centrale hydraulique au fil de l’eau.
55 La République fédérale d’Allemagne ajoute que la demande d’autorisation d’installation et d’exploitation introduite pour cette centrale n’a été retirée qu’au cours de l’année 2010 au motif que l’autorité d’approbation voulait éviter une décision de refus et devait convaincre le demandeur de retirer lui-même la demande.
Appréciation de la Cour
56 Par son deuxième grief, divisé en deux branches, la Commission reproche aux autorités allemandes de ne pas avoir évalué les effets cumulatifs de la centrale de Moorburg avec ceux de la centrale de pompage de Geesthacht et de la centrale hydraulique au fil de l’eau sur le barrage de Geesthacht, pour les perturbations occasionnées dans les sites protégés sur les espèces de poissons telles que les lamproies de rivière, les lamproies marines et le saumon.
57 Selon une jurisprudence constante, l’évaluation appropriée des incidences d’un plan ou d’un projet sur un site concerné devant être effectuée en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » implique que doivent être identifiés, compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, tous les aspects du plan ou du projet en cause pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d’autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation de ce site (arrêt du
14 janvier 2016, Grüne Liga Sachsen e.a., C‑399/14, EU:C:2016:10, point 49 ainsi que jurisprudence citée).
58 En ce qui concerne la première branche du deuxième grief, relative à la centrale de pompage de Geesthacht, il ressort du dossier dont dispose la Cour qu’elle se trouve en amont et dans le voisinage direct du barrage de Geesthacht depuis l’année 1958.
59 D’une part, ainsi qu’il a été rappelé au point 42 du présent arrêt, c’est la date de l’adoption de la décision autorisant la réalisation d’un projet qui doit être prise en compte dans le cadre de l’évaluation des effets cumulatifs générés par ce projet et un autre projet susceptible d’affecter un site de manière significative (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2006, Commission/Portugal, C‑239/04, EU:C:2006:665, point 24 et jurisprudence citée).
60 D’autre part, il y a lieu d’observer que, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 janvier 2016, Grüne Liga Sachsen e.a. (C‑399/14, EU:C:2016:10), dans la présente affaire, il est question non pas d’un examen a posteriori des incidences de la centrale de pompage de Geesthacht, qui existe depuis l’année 1958, mais de sa prise en compte dans le cadre de l’évaluation des incidences d’un autre projet, en l’occurrence la centrale de Moorburg.
61 Or, l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats » exige des autorités nationales qu’elles prennent en compte, dans le cadre de l’examen de l’effet cumulatif, tous les projets qui, ensemble avec le projet pour lequel une autorisation est demandée, sont susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs poursuivis par cette directive, bien qu’ils soient antérieurs à la date de transposition de ladite directive.
62 En effet, des projets susceptibles, à l’instar de la centrale de pompage de Geesthacht, d’entraîner, de par leur combinaison avec le projet sur lequel porte l’évaluation d’incidences, une détérioration ou des perturbations susceptibles d’affecter les poissons migrateurs présents dans le fleuve et, par voie de conséquence, la détérioration du site concerné, eu égard aux objectifs poursuivis par la directive « habitats », ne sauraient être écartés de l’évaluation des incidences fondée sur
l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».
63 Il résulte des considérations qui précèdent que, en n’ayant pas évalué de manière appropriée les effets cumulatifs liés à la centrale de Moorburg et à la centrale de pompage de Geesthacht, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».
64 En ce qui concerne la seconde branche du deuxième grief, la Commission reproche à la République fédérale d’Allemagne de ne pas avoir pris en compte, dans le cadre de l’évaluation des effets cumulatifs en cause en l’espèce, la centrale hydraulique au fil de l’eau sur le barrage de Geesthacht au motif que la demande d’autorisation d’installation et d’exploitation de cette centrale n’avait, eu égard au droit allemand, aucune chance d’aboutir. Le droit d’utilisation de l’eau et des terrains au niveau
du barrage en question constituerait, selon la législation allemande, une condition nécessaire pour qu’un projet puisse être approuvé.
65 À cet égard, il ressort du dossier soumis à la Cour que la demande pour la construction de la centrale hydraulique au fil de l’eau sur le barrage de Geesthacht avait été formulée par une société qui n’était pas titulaire de droit d’utilisation de l’eau de ce barrage ni des terrains et des ouvrages liés à celui-ci.
66 Il résulte également de ce dossier que la procédure d’approbation des plans, au titre de la législation de l’eau, n’aurait pu être démarrée aussi longtemps que Vattenfall Europe, en tant que titulaire du droit d’utilisation de l’eau et des terrains au niveau du barrage de Geesthacht, et l’administration fédérale de l’eau et de la navigation n’auraient pas indiqué que ce projet ne se heurtait pas à d’autres droits. Or, Vattenfall Europe avait déclaré, par la suite, qu’elle ne donnerait pas son
approbation nécessaire à la construction de la centrale hydraulique au fil de l’eau.
67 Dans ces conditions, force est de constater qu’il n’existait pas d’« autre projet », au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », pour une centrale hydraulique au fil de l’eau au niveau du barrage de Geesthacht. Partant, il y a lieu de rejeter la seconde branche du deuxième grief.
Sur le troisième grief, tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats » pour défaut d’examen de ses conditions
Argumentation des parties
68 La Commission considère que la ville de Hambourg, ayant à tort délivré une autorisation en raison d’erreurs dans l’évaluation des incidences, a omis, dans la procédure relative à l’autorisation du 30 septembre 2008, de respecter les exigences prévues à l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats ».
69 À cet égard, elle estime que la ville de Hambourg aurait dû rechercher des solutions alternatives au refroidissement en continu. Ainsi, la construction subséquente d’une tour de refroidissement hybride à la centrale de Moorburg aurait constitué une solution alternative au refroidissement en continu et aurait eu moins d’effets négatifs sur les zones Natura 2000 en question. Cette construction aurait été économiquement supportable ou aurait pu être imposée à l’entreprise concernée dès la délivrance
de l’autorisation.
70 La République fédérale d’Allemagne considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si les conditions d’une autorisation du projet prévues à l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats » étaient remplies, dès lors que la ville de Hambourg est partie du principe que la centrale de Moorburg n’était pas à l’origine d’une atteinte significative à l’intégrité des zones Natura 2000 situées en amont du fleuve.
Appréciation de la Cour
71 Aux termes de l’article 6, paragraphe 4, de la directive « habitats », dans l’hypothèse où, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation réalisée au titre de l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive « habitats » et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou un projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, l’État membre concerné prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000
est protégée.
72 En l’occurrence, eu égard à la circonstance que l’autorité compétente a conclu à une absence d’atteinte à l’intégrité du site au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats », il n’y a pas lieu d’examiner le troisième grief du recours en manquement de la Commission, tiré d’une violation de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive.
73 Par conséquent, il convient de constater que, en ne procédant pas, lors de l’autorisation de la construction de la centrale de Moorburg, à une évaluation correcte et complète des incidences, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive « habitats ».
Sur les dépens
74 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3, première phrase, de cet article, la Cour peut décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement à un ou à plusieurs chefs. La Commission et la République fédérale d’Allemagne ayant succombé partiellement en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter
leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :
1) En ne procédant pas, lors de l’autorisation de la construction de la centrale à charbon de Moorburg, près de Hambourg (Allemagne), à une évaluation correcte et complète des incidences, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chaque partie supporte ses propres dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand