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02/03/2017 | CJUE | N°C-552/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre Irlande., 02/03/2017, C-552/15


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 2 mars 2017 ( 1 )

Affaire C‑552/15

Commission européenne

contre

Irlande

« Manquement d’État – Libre prestation de services – Véhicules automobiles – Prise en location ou en crédit-bail d’un véhicule automobile par un résident d’un État membre auprès d’un fournisseur établi dans un autre État membre – Taxe d’immatriculation – Paiement de l’intégralité de la taxe au moment de l’immatriculation – Conditions d

e remboursement de la taxe – Proportionnalité »

Introduction

1. Les taxes d’immatriculation des véhicules automobiles ne s...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 2 mars 2017 ( 1 )

Affaire C‑552/15

Commission européenne

contre

Irlande

« Manquement d’État – Libre prestation de services – Véhicules automobiles – Prise en location ou en crédit-bail d’un véhicule automobile par un résident d’un État membre auprès d’un fournisseur établi dans un autre État membre – Taxe d’immatriculation – Paiement de l’intégralité de la taxe au moment de l’immatriculation – Conditions de remboursement de la taxe – Proportionnalité »

Introduction

1. Les taxes d’immatriculation des véhicules automobiles ne sont pas harmonisées en droit de l’Union. En principe, les États membres sont en droit de fixer comme ils l’entendent, dans leur droit national, les modalités applicables à ce type de taxe. Ils ne sauraient toutefois agir en contravention avec les principes généraux du droit de l’Union, notamment les libertés du marché intérieur. La présente affaire porte sur la marge de manœuvre dont jouissent les États membres à cet égard.

2. Ayant été mise en demeure par la Commission européenne d’adapter son régime de taxes d’immatriculation aux exigences de la libre prestation des services en ce qui concerne la location et le crédit-bail des véhicules automobiles, l’Irlande a institué dans son droit national des modifications allant en ce sens. La Commission estime toutefois que, s’agissant des véhicules importés en Irlande à partir d’autres États membres pour y faire l’objet d’une utilisation limitée dans le temps, les adaptations
qui ont été apportées à la législation irlandaise sont insuffisantes et que cette dernière est contraire à la libre prestation des services. L’Irlande n’étant pas de cet avis, le litige devait être tranché par la Cour.

Le droit irlandais

3. L’article 131, paragraphe 4, du Finance Act 1992 (loi de finances de 1992) institue une interdiction d’utilisation sur le territoire irlandais de véhicules automobiles non immatriculés en Irlande, sous réserve de certaines exceptions prévues dans diverses dispositions ( 2 ). L’obligation d’immatriculation doit être remplie dans le délai d’un mois à compter de la mise en circulation du véhicule sur le territoire irlandais.

4. L’article 132, paragraphe 1, de ladite loi, dans le libellé que lui confère actuellement l’article 83, paragraphe 1, sous d), du Finance Act 2012 (loi de finances de 2012), institue un droit d’accise sur les véhicules, qualifié de taxe d’immatriculation. L’obligation fiscale au titre de la taxe d’immatriculation naît au moment de l’immatriculation du véhicule. Le montant de la taxe est constitué par un pourcentage de la valeur de marché, en tenant compte du niveau d’émissions de gaz carbonique.
Pour les véhicules les plus polluants, la taxe peut aller jusqu’à 36 % de leur valeur de marché. L’immatriculation est précédée d’un contrôle du véhicule dans un centre de contrôle technique. Ce contrôle a notamment pour objet de permettre de fixer la valeur de marché du véhicule.

5. L’obligation d’immatriculation et de paiement de la taxe d’immatriculation concerne également les véhicules pris en location ou en crédit-bail sur la base d’un contrat conclu entre des personnes résidant sur le territoire irlandais et des prestataires établis dans d’autres États membres.

6. En cas de sortie du véhicule du territoire irlandais et de désimmatriculation de celui-ci, l’article 135 D de la loi de finances de 1992, institué en vertu de l’article 83, paragraphe 1, sous j), de la loi de finances de 2012, et qui est entré en vigueur le 8 avril 2013, prévoit le remboursement d’une partie de la taxe d’immatriculation. Le montant du remboursement est calculé en fonction de la valeur de marché du véhicule au moment de sa sortie. La fixation de cette valeur exige de procéder à un
nouveau contrôle technique moins d’un mois avant la sortie. Des frais administratifs d’un montant forfaitaire de 500 euros sont déduits du montant du remboursement.

7. Depuis le 1er janvier 2016, le montant du remboursement est assorti d’intérêts, calculés conformément au règlement d’exécution de l’article 135 D de la loi de finances de 1992. À compter également du 1er janvier 2016, la déduction au titre des frais administratifs a été ramenée à 100 euros, en vertu de l’article 49 du Finance Act 2015 (loi de finances de 2015).

La procédure, les moyens et les arguments des parties

La procédure

8. En 2003 et en 2006, la Commission a demandé des éclaircissements à l’Irlande au sujet de la conformité avec la libre prestation des services de la taxe d’immatriculation applicable dans cet État membre, eu égard aux arrêts Cura Anlagen ( 3 ) et Commission/Danemark ( 4 ). Après une réunion consultative et une nouvelle demande d’éclaircissements en 2010, la Commission a, le 27 janvier 2011, adressé une lettre de mise en demeure à l’Irlande et relevé que, en imposant aux résidents irlandais qui
importent à titre temporaire des véhicules sur le territoire de cet État membre d’acquitter l’intégralité de la taxe d’immatriculation sur ces véhicules, sans possibilité de diminuer celle-ci ou d’obtenir son remboursement, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 56 à 62 TFUE. N’ayant pas jugé la réponse de l’Irlande satisfaisante, la Commission a émis, le 28 octobre 2011, un avis motivé, dans lequel elle a soulevé en substance les mêmes griefs.

9. Ces mesures ont amené l’Irlande à prévoir la possibilité d’un remboursement d’une partie de la taxe d’immatriculation en cas de sortie du véhicule du territoire irlandais. Le système de remboursement est entré en vigueur le 8 avril 2013.

10. Le 10 juillet 2014, la Commission a adressé à l’Irlande une lettre de mise en demeure supplémentaire, puis, le 26 février 2015, un avis motivé complémentaire. La Commission y a indiqué que le régime de la taxe d’immatriculation applicable en Irlande était toujours contraire à la libre prestation des services, au motif qu’il imposait le paiement de l’intégralité de la taxe aux personnes qui importent des véhicules en Irlande pour une durée limitée, en ne leur permettant d’obtenir qu’a posteriori
le remboursement d’une partie de la taxe acquittée. Selon la Commission, de telles modalités sont illicites au regard de la jurisprudence de la Cour dans l’ordonnance VAV-Autovermietung ( 5 ). En outre, la Commission a considéré que les dispositions irlandaises ne prévoyaient pas le paiement d’intérêts sur la partie remboursée de la taxe d’immatriculation, tout en déduisant de ce remboursement une somme importante au titre des frais administratifs. La Commission a invité l’Irlande à prendre les
mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé complémentaire dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

11. L’Irlande a répondu à l’avis motivé par lettre du 27 avril 2015. Elle y a indiqué que le régime de la taxe d’immatriculation était aujourd’hui selon elle en principe conforme au droit de l’Union. Elle a toutefois ajouté que le remboursement d’une partie de la taxe en cas de sortie du véhicule serait assorti d’intérêts et que la déduction au titre des frais administratifs serait ramenée à 100 euros.

12. Estimant que l’Irlande ne s’était pas conformée à l’avis motivé dans le délai imparti ( 6 ), la Commission a engagé le recours dans la présente affaire le 26 octobre 2015. L’Irlande a déposé son mémoire en défense le 8 janvier 2016. Les parties ont présenté une réplique et une duplique, respectivement, les 18 février et 31 mars 2016. Par lettre du 14 avril 2016, l’Irlande a demandé que l’affaire soit jugée en grande chambre. L’audience a eu lieu le 22 novembre 2016.

Les moyens et les arguments de la Commission

13. La Commission fait grief à l’Irlande d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 TFUE en imposant aux personnes résidant en Irlande d’acquitter l’intégralité de la taxe d’immatriculation lors de l’importation dans cet État membre de véhicules automobiles pris en location ou en crédit-bail dans un autre État membre, sans tenir compte de la durée de l’utilisation prévue desdits véhicules sur le territoire irlandais, lorsque ceux-ci ne sont pas destinés à être utilisés
en Irlande à titre permanent ni ne font en pratique l’objet d’une telle utilisation, et en fixant des conditions pour le remboursement de cette taxe qui vont au-delà de ce qui est strictement nécessaire et proportionné.

14. Selon la Commission, le régime de la taxe d’immatriculation en vigueur en Irlande a pour conséquence que la prise en location ou en crédit-bail d’un véhicule dans un autre État membre aux fins de l’utiliser de façon temporaire en Irlande est sensiblement moins avantageux que la prise en location ou en crédit-bail d’un véhicule en Irlande. Elle estime donc que la réglementation irlandaise constitue une restriction à la libre prestation de services de location ou de crédit-bail des véhicules et
qu’elle viole donc l’article 56 TFUE.

15. S’agissant de la question relative à la perception de l’intégralité du montant de la taxe d’immatriculation, que le véhicule soit immatriculé en Irlande à titre permanent ou en vue d’une utilisation temporaire, la Commission estime qu’une telle réglementation est illicite au regard de la jurisprudence de la Cour ( 7 ). Si le régime de remboursement d’une partie de la taxe en cas d’importation peut selon elle se révéler suffisant pour des véhicules dont la durée d’utilisation sur le territoire
irlandais n’est pas connue au moment de leur importation, elle estime en revanche que, lorsque l’importation intervient pour une durée connue d’avance, en particulier sur la base d’un contrat de location ou de crédit-bail, il est disproportionné d’imposer le paiement de l’intégralité de la taxe sans tenir compte de cet élément. Ce régime soumet en effet l’importation temporaire d’un véhicule à la même charge fiscale que l’importation pour une durée indéterminée.

16. En outre, les personnes important temporairement des véhicules sur le territoire irlandais ne sont pas dédommagées, en recevant des intérêts, pour la période durant laquelle elles ont été illégalement privées du montant de la taxe d’immatriculation prélevée indûment, puisque la réglementation irlandaise ne prévoit pas de remboursement avec intérêts. En outre, des frais administratifs s’élevant à 500 euros sont prélevés sur le montant du remboursement, ce qui constitue une somme importante et
disproportionnée.

Les arguments de l’Irlande

17. Premièrement, l’Irlande fait valoir que la Commission a modifié sa position au cours de la procédure précontentieuse. Alors qu’elle avait d’abord paru accepter le système de remboursement d’une partie de l’impôt en cas d’exportation d’un véhicule d’Irlande et de désimmatriculation de celui-ci, elle a ensuite changé d’avis et n’autorise plus du tout, actuellement, le prélèvement de l’intégralité de la taxe d’immatriculation en ce qui concerne les véhicules importés pour une période connue par
avance. La Commission s’appuierait à cet égard sur l’ordonnance de la Cour du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), mais, relève l’Irlande, cette ordonnance avait été prononcée avant même que la Commission n’adresse sa première lettre de mise en demeure du mois de janvier 2011. Cette modification de sa position constitue, selon l’Irlande, une violation du principe de la coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, du principe de bonne
administration et des droits de la défense de l’Irlande.

18. Deuxièmement, l’Irlande soutient que le recours de la Commission est prématuré, au motif que, lorsqu’elle l’a introduit, celle-ci était informée du fait que la réforme législative autorisant le paiement d’intérêts sur le montant remboursé et diminuant le montant des frais administratifs à 100 euros entrerait en vigueur le 1er janvier 2016. Selon l’Irlande, ces modifications ne pouvaient pas être instituées antérieurement, puisque la législation fiscale n’est réformée qu’une fois par an, au
1er janvier.

19. Troisièmement, l’Irlande soutient que la position de la Commission est ambiguë, car l’on ne verrait pas si ses conclusions se fondent sur un moyen global ou sur deux, voire trois moyens séparés, ni si les différentes règles irlandaises qu’elle conteste forment conjointement une restriction de la libre prestation des services, du fait qu’elles apparaissent ensemble, ou si chacune d’elles prise séparément est constitutive d’une telle restriction.

20. En substance, l’Irlande affirme que sa réglementation relative à la taxe d’immatriculation est aujourd’hui pleinement conforme au droit de l’Union. En particulier, le système de prélèvement de l’intégralité de cette taxe au moment de l’immatriculation du véhicule et de remboursement éventuel d’une partie de celle-ci en cas d’exportation et de désimmatriculation du véhicule est, selon elle, conforme au regard de la jurisprudence de la Cour et ne constitue pas une restriction de la libre
prestation de services de location et de crédit-bail des véhicules.

21. L’ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), a été adoptée, selon l’Irlande, à propos de la réglementation particulière en vigueur aux Pays-Bas, selon laquelle le montant de la taxe était subordonné à la durée d’utilisation du véhicule sur le territoire de cet État membre. Dans le régime irlandais, en revanche, le montant de la taxe d’immatriculation est calculé en fonction de la valeur du véhicule à la date de son immatriculation, de même que le
montant du remboursement lors de l’exportation dudit véhicule. La valeur du véhicule ne dépend donc pas uniquement de son âge, mais également d’autres facteurs, notamment de son kilométrage, de sorte que l’on ne peut pas la déterminer par avance. Le régime irlandais permet donc de fixer le montant de la taxe en fonction de l’intensité effective d’utilisation du véhicule sur le territoire irlandais, ce que ne permet pas un système en vertu duquel le montant de la taxe dépend uniquement de la
durée d’utilisation du véhicule sur le territoire du pays.

22. La modification du système de prélèvement de la taxe d’immatriculation recommandée par la Commission provoquerait des difficultés administratives importantes et emporterait fatalement la nécessité de modifier le mode de calcul du remboursement, en obligeant donc, en substance, à modifier la base d’imposition. Or cela constituerait une ingérence illégitime dans la liberté des États membres de définir leur système d’imposition des véhicules.

23. En outre, la durée d’utilisation du véhicule sur le territoire irlandais n’est jamais connue d’avance de façon certaine, étant donné que le contrat de location peut être dénoncé, prolongé ou autrement modifié, si bien que le véhicule pourrait continuer d’être immatriculé et utilisé en Irlande après la période ayant fait l’objet de l’imposition. Les éventuels systèmes de paiements supplémentaires emporteraient exactement les mêmes charges que le système de remboursement en cas d’exportation du
véhicule actuellement en vigueur.

24. S’agissant des griefs relatifs à l’absence de paiement d’intérêts sur le montant de la taxe qui est remboursé et au caractère excessif de la déduction opérée au titre des frais administratifs, l’Irlande relève que ces problèmes ont été résolus avec l’introduction des modifications législatives entrées en vigueur le 1er janvier 2016.

Analyse

25. La Commission soulève en substance trois problèmes dans sa requête : le prélèvement de l’intégralité de la taxe d’immatriculation lors de l’immatriculation des véhicules importés pour être utilisés sur le territoire de l’Irlande pour une période connue d’avance, l’absence de paiement d’intérêts lors du remboursement d’une partie de la taxe d’immatriculation en cas d’exportation et de désimmatriculation du véhicule, ainsi que la déduction à cette occasion d’un montant de 500 euros au titre des
frais administratifs. Ces problèmes, dont le plus important est évidemment le premier, doivent être examinés successivement. Il convient toutefois au préalable d’examiner les griefs de nature formelle soulevés par l’Irlande.

Les griefs de nature formelle soulevés par l’Irlande

26. L’Irlande reproche à la Commission d’avoir modifié sa position au cours de la procédure, de présenter des griefs de nature ambiguë et d’avoir formé un recours prématuré devant la Cour.

27. Tout d’abord, il convient de noter que, même si l’Irlande ne soulève pas directement de grief tiré de l’irrecevabilité du recours, il ne saurait, selon moi, être constaté de la part de la Commission le moindre manquement qui justifierait un tel grief. Les griefs figurant dans la requête correspondent à ceux que la Commission a fait valoir dans la lettre de mise en demeure supplémentaire du 10 juillet 2014 et dans l’avis motivé complémentaire du 26 février 2015. La Commission n’a donc, dans sa
requête, ni étendu ni modifié les griefs par rapport à ceux qu’elle avait soulevés lors de la procédure précontentieuse.

28. Le fait que la Commission ait, d’un point de vue formel, exposé ces griefs dans le cadre d’une procédure en manquement engagée antérieurement, dans laquelle elle a soulevé des griefs de nature plus générale, ne modifie pas cette appréciation. La procédure initiale a été ouverte alors que le régime irlandais de la taxe d’immatriculation ne prévoyait absolument aucune espèce de limitation du montant de cette taxe en ce qui concerne les véhicules utilisés en Irlande à titre temporaire, que ce soit
par la voie d’un remboursement ou par une autre méthode. C’est donc logiquement que les griefs de la Commission à ce stade ont porté de façon générale sur l’inadaptation de la réglementation irlandaise aux exigences de la libre prestation de services au regard de la jurisprudence de la Cour.

29. La procédure en manquement ne s’achève toutefois pas lorsque l’État membre adopte de quelconques mesures en vue de se conformer au droit de l’Union. La Commission doit s’assurer que ces mesures conduisent réellement et effectivement à rendre les dispositions nationales conformes au droit de l’Union. Si elle estime que les mesures prises par l’État membre ne garantissent pas une pleine conformité au droit de l’Union, elle a le droit de formuler des griefs plus concrets, concernant des questions
non encore résolues. Il est à cet égard, selon moi, sans pertinence qu’une décision concrète de la Cour, en l’occurrence l’ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), ait été déjà rendue lors de la première mise en demeure. La jurisprudence de la Cour est en effet connue aussi bien par la Commission que par les États membres, qui sont tenus de se conformer à celle-ci, indépendamment des mises en demeure que leur adresse à cette fin la Commission. La
jurisprudence de la Cour ne constitue d’ailleurs que l’interprétation des dispositions de droit de l’Union, en l’occurrence des dispositions du traité FUE, de sorte que la Commission n’est nullement tenue d’indiquer des décisions concrètes auxquelles l’État membre est tenu de se conformer. Il suffit que la Commission indique la norme correspondante du droit de l’Union et l’État membre, s’il accepte les griefs de la Commission, est tenu de conformer sa législation à ladite norme, compte tenu de
l’ensemble de la jurisprudence de la Cour qui peut s’appliquer dans cette affaire.

30. J’estime en conséquence que la procédure précontentieuse a été menée de façon régulière et que le recours n’est entaché d’aucun vice qui pourrait le rendre irrecevable. Pour ces mêmes motifs, je ne considère pas que la Commission a violé son obligation de coopération loyale, le principe de bonne administration ou les droits de la défense de l’Irlande.

31. En ce qui concerne le grief tiré de l’ambiguïté de la position de la Commission dans son recours, il suffit de relever qu’il ressort clairement de la requête que le grief essentiel porte sur l’obligation d’acquitter par avance l’intégralité de la taxe d’immatriculation, tandis que l’absence d’intérêts et le montant élevé de la déduction en cas de remboursement de la partie de la taxe qui n’est pas due sont, selon la Commission, des éléments renforçant les effets négatifs qu’emporte cette
exigence pour la libre prestation de services de location et de crédit-bail de véhicules. Pour les raisons exposées ci-dessous, j’estime toutefois que, quand bien même le système de remboursement de la taxe serait conforme au principe de la libre prestation des services, ces deux autres éléments pourraient, chacun pris séparément, constituer un manquement aux obligations découlant de cette liberté. Il convient ainsi de les examiner individuellement.

32. Enfin, s’agissant du grief tiré du caractère prématuré de l’introduction du recours, il convient de relever tout d’abord que, d’un point de vue formel, la Commission est en droit d’engager un recours dès lors que le délai indiqué dans l’avis motivé a expiré sans que l’État membre se soit conformé à ses demandes. C’est donc la situation existant à l’expiration du délai qui constitue le point de référence de l’appréciation du manquement par l’État membre aux obligations qui lui incombent ( 8 ).
Dans le cas contraire, les États membres pourraient repousser indéfiniment l’introduction d’un recours par la Commission, en annonçant toujours de nouveaux délais pour se conformer à l’avis motivé.

33. S’agissant de la présente affaire, il convient également d’ajouter que, d’une part, l’obligation de rembourser, avec intérêts, les taxes indûment prélevées et, d’autre part, l’interdiction de fixer des règles applicables à ce remboursement qui soient contraires au principe d’effectivité étaient connues par l’Irlande bien avant l’introduction du présent recours. L’Irlande ayant finalement admis le bien-fondé desdits griefs, rien ne faisait donc obstacle à ce qu’elle institue une réglementation en
ce sens, parallèlement à l’introduction d’un système de remboursement d’une partie de la taxe d’immatriculation, ce qui a eu lieu en 2013.

34. Il convient également de relever que le principal objectif de la procédure en manquement est non pas de sanctionner l’État membre, mais de l’amener à se conformer au droit de l’Union. Il n’en demeure pas moins que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les taxes perçues en violation du droit de l’Union doivent être remboursées avec intérêts ( 9 ). L’arrêt dans lequel la Cour a constaté ce manquement peut constituer la base de la demande d’un tel remboursement. Il existe donc un
intérêt général à l’introduction d’un recours par la Commission et à la poursuite de l’action jusqu’à ce que la Cour rende son arrêt, même si le manquement a été éliminé avant le prononcé de cet arrêt ( 10 ).

35. Pour les raisons qui précèdent, il y a lieu selon moi de considérer les moyens et les arguments de l’Irlande tirés du caractère déloyal et irrégulier de la procédure de la Commission comme non fondés.

Le moyen tiré de la perception de l’intégralité de la taxe d’immatriculation

36. Pour mémoire, la Commission fait grief à l’Irlande de restreindre la libre prestation de services de location et de crédit-bail de véhicules en percevant sur ceux-ci, lors de leur immatriculation, qui est obligatoire en cas d’utilisation d’une durée supérieure à un mois, l’intégralité de la taxe d’immatriculation (sous réserve de la possibilité d’un remboursement partiel ultérieur), même lorsque la période d’utilisation prévue du véhicule sur le territoire irlandais est connue par avance. Une
telle réglementation, qui n’établit pas dûment de différenciation entre l’importation d’un véhicule pour une durée limitée et une importation à titre permanent, a pour conséquence qu’il est moins intéressant d’utiliser les services de location ou de crédit-bail de véhicules offerts par des prestataires d’autres États membres que ceux fournis par des entreprises nationales. L’utilisation des premiers emporte en effet une importante charge financière – à savoir la nécessité de supporter d’avance
la totalité de la taxe d’immatriculation, bien que le montant dû en réalité puisse être notablement inférieur – ainsi qu’administrative, imposant de procéder à un contrôle technique du véhicule avant sa mise en circulation, afin de déterminer sa valeur de marché, dont découle le montant de la taxe.

37. Les taxes du type de la taxe d’immatriculation irlandaise ne sont pas harmonisées en droit de l’Union, de sorte que les États membres peuvent librement exercer leurs compétences fiscales, sous réserve de respecter le droit de l’Union ( 11 ). Au regard du droit de l’Union, la situation dans laquelle le véhicule doit être ou est de facto utilisé de façon permanente sur le territoire d’un certain État membre appelle un traitement différent de celle où cette condition n’est pas remplie et où le
véhicule n’est utilisé dans cet État membre qu’à titre temporaire. Dans le premier cas, l’État membre peut en principe taxer l’utilisation du véhicule, par exemple, en prélevant une taxe d’immatriculation. En revanche, dans le second cas, l’imposition de l’utilisation du véhicule, laquelle limite potentiellement les libertés du marché unique, exige une justification supplémentaire. Cette imposition doit en outre être conçue de manière proportionnelle à l’objectif qu’elle poursuit ( 12 ).

38. La Cour a itérativement jugé, en ce qui concerne les taxes telles que la taxe d’immatriculation irlandaise, que leur objectif peut être atteint, s’il s’agit de véhicules loués ou pris en crédit-bail dans un autre État membre que celui de l’imposition, au moyen de taxes dont le montant sera fonction de la durée d’utilisation du véhicule sur leur territoire ( 13 ). La perception de l’intégralité de la taxe, comme dans le cas de véhicules utilisés de façon permanente sur le territoire de l’État
d’imposition, ne remplit donc pas la condition de proportionnalité et est contraire au principe de la libre prestation des services, aujourd’hui inscrit à l’article 56 TFUE ( 14 ).

39. La Cour a également jugé que, dans le cas où un contrat de location ou de crédit-bail d’un véhicule a été conclu pour une durée déterminée, la seule possibilité d’un remboursement d’une partie de la taxe postérieurement à la sortie du véhicule du territoire de l’État membre n’est pas suffisante pour garantir la conformité au principe de la libre prestation des services, si la mise en circulation du véhicule sur le territoire dudit État membre fait naître l’obligation d’acquitter l’intégralité
d’une taxe, sans qu’il soit tenu compte de la durée d’utilisation prévue dudit véhicule sur le territoire de cet État membre ( 15 ).

40. C’est cette jurisprudence qu’invoque la Commission dans la présente affaire, en montrant que, à l’instar de la législation néerlandaise examinée dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), la réglementation irlandaise ne remplit pas non plus la condition de proportionnalité, puisqu’elle exige le paiement de l’intégralité de la taxe d’immatriculation lorsque la durée d’utilisation du véhicule sur le territoire de
l’Irlande est connue d’avance.

41. L’ordonnance du 29 septembre, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), fait application dans une situation concrète de principes antérieurement posés. Dans la procédure au principal dans cette affaire, l’assujetti avait été tenu de payer, au titre d’une location pour deux mois, une taxe correspondant presque à la moitié du prix catalogue de la voiture ( 16 ). C’est au regard de telles circonstances factuelles que la Cour a jugé non proportionnelles les dispositions régissant la
perception de la taxe sur les véhicules aux Pays-Bas. Il ne m’apparaît toutefois pas que l’on ne puisse considérer les conclusions de la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance VAV-Autovermietung comme revêtant une portée générale.

42. Outre le fait que la réglementation irlandaise peut conduire à des situations analogues ( 17 ), le simple fait de prélever, dans des situations transfrontalières, une taxe dont on sait d’avance que la somme dépassera le montant dû, potentiellement de façon considérable, décourage nécessairement les destinataires des prestations de services d’utiliser des services transfrontaliers et les prestataires de les fournir. Au surplus, il y a lieu de noter, comme l’a relevé la Commission dans ses
écritures, qu’une telle solution met sur le même plan l’imposition de la location ou du crédit-bail d’un véhicule, d’une part, et celle de l’acquisition de la propriété dudit véhicule, d’autre part. Cela réduit donc l’attrait de l’utilisation de services de location ou de crédit-bail, dont ceux à caractère transfrontalier. Une telle solution emporte enfin également le gel d’importantes ressources financières, ce qui constitue un autre inconvénient, surtout pour les personnes exerçant une
activité économique, pour lesquelles les fonds qui ne peuvent être investis reviennent à une perte.

43. Il ne fait donc, selon moi, aucun doute que non seulement l’absence de remboursement de l’impôt indûment perçu, mais aussi l’obligation d’acquitter la totalité de la taxe, lorsque le véhicule n’a pas vocation à être utilisé à titre permanent dans l’État d’imposition et ne l’est effectivement pas, constituent une restriction de la libre prestation de services de location et de crédit-bail des véhicules, qu’interdit en principe l’article 56 TFUE. Cette limitation ne pourrait être justifiée que par
des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition d’être proportionnelle à l’objectif poursuivi.

44. En réponse au grief que la Commission tire de l’ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), l’Irlande soulève deux arguments. En premier lieu, elle fait valoir que la réglementation néerlandaise en cause n’assortissait pas d’intérêts le remboursement d’une partie de la taxe. En second lieu, elle indique que cette réglementation prévoyait, en ce qui concerne les véhicules utilisés à titre temporaire, une taxe calculée en fonction de la durée de
ladite utilisation, alors que la taxe irlandaise est calculée sur la base de la valeur du véhicule ainsi que sur son kilométrage, ce qui vise à refléter l’intensité effective d’utilisation du véhicule sur le territoire irlandais.

45. S’agissant de la question des intérêts, il convient tout d’abord de noter que, durant la période pertinente pour apprécier le manquement reproché à l’Irlande, c’est-à-dire à l’expiration du délai indiqué dans l’avis motivé, la législation irlandaise ne prévoyait pas non plus le paiement d’intérêts. Ensuite, et de façon bien plus importante, rien dans l’ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), n’indique que c’est en raison du non-paiement
d’intérêts que la Cour a jugé la réglementation néerlandaise contraire au principe de la libre prestation de services. Ce n’étaient pas les intérêts qui constituaient le principal problème dans cette affaire, mais la nécessité d’acquitter l’intégralité de la taxe, sans qu’il soit tenu compte de la durée d’utilisation prévue du véhicule sur le territoire néerlandais. La question des intérêts ne différencie donc pas l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance VAV-Autovermietung de la présente
affaire, de telle sorte que les conclusions qui ont été tirées dans la première affaire ne pourraient être appliquées dans la seconde. Il convient donc d’examiner le second argument soulevé par l’Irlande.

46. L’Irlande affirme que la jurisprudence actuelle de la Cour concerne soit les régimes dans lesquels aucun remboursement de taxe n’était possible, soit, dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558), un système dans lequel le montant du remboursement était calculé en fonction de la durée d’utilisation du véhicule sur le territoire des Pays-Bas. Or, relève-t-elle, dans le système irlandais, le montant du remboursement
est calculé sur la base de la valeur actuelle de marché du véhicule au moment de sa sortie, qui est notamment fonction de son kilométrage, de sorte que, après comparaison de cette valeur avec celle qu’il avait au moment de l’immatriculation, la taxation est proportionnelle à l’intensité effective d’utilisation du véhicule sur le territoire irlandais. Or, comme la valeur de marché du véhicule au moment de sa sortie n’est pas connue, puisqu’elle ne dépend pas seulement de l’âge du véhicule, mais
aussi de son kilométrage, l’objectif du régime irlandais, qui est de taxer l’intensité effective d’utilisation du véhicule, ne saurait être réalisé au moyen d’une taxe exclusivement calculée sur la base de la durée prévue d’utilisation en Irlande.

47. Cet argument repose toutefois selon moi sur un malentendu, qui résulte de l’absence de différenciation entre les objectifs de la taxe et les modalités de sa perception.

48. En réponse à une question de la Cour, l’agent de l’Irlande a indiqué lors de l’audience que la taxe d’immatriculation a pour objectif de compenser les coûts publics de l’utilisation des véhicules, notamment les coûts pour l’environnement, les coûts sociaux, ainsi que ceux afférents à l’entretien de l’infrastructure routière, au système de contrôle du trafic routier et à l’agrément des véhicules. Il a ajouté que la taxe était conçue de sorte à ce que les utilisateurs de véhicules onéreux payent
davantage et de façon à encourager l’acquisition de véhicules moins polluants pour l’environnement.

49. Ce sont des objectifs analogues que poursuit généralement l’imposition de l’utilisation des véhicules dans l’ensemble des États membres ( 18 ). Ces objectifs constituent à n’en pas douter des raisons impérieuses d’intérêt général justifiant une telle imposition. Toutefois, en vertu de la jurisprudence citée ci-dessus, il convient encore d’examiner si ces objectifs ne peuvent être atteints au moyen d’une taxe tenant compte, dès sa date de paiement, de la durée prévue d’utilisation du véhicule sur
le territoire irlandais.

50. S’agissant de taxes telles que la taxe d’immatriculation irlandaise, qui sont payées en une seule fois, l’objectif consistant à compenser les coûts publics d’utilisation du véhicule ne peut être réalisé que globalement, c’est-à-dire que la somme des taxes perçues sur l’ensemble des véhicules immatriculés dans le pays doit couvrir la somme des coûts résultant de leur utilisation. En effet, à la différence, par exemple, de la taxe comprise dans le prix des carburants, un impôt unique ne tient
aucunement compte du kilométrage, ni, de façon générale, de l’intensité d’utilisation du véhicule après son immatriculation et après le paiement de la taxe. La taxe perçue au titre d’un véhicule utilisé de façon plus intensive contribue donc de façon notablement moindre à la compensation des coûts effectivement causés par l’utilisation de ce véhicule que la taxe acquittée sur un véhicule utilisé de façon occasionnelle. La diminution plus rapide de la valeur du véhicule liée à une plus grande
utilisation ne corrige pas ce déséquilibre, car ladite diminution de valeur ne dépend pas exclusivement du kilométrage, mais aussi de l’âge du véhicule et d’une série d’autres facteurs.

51. Un raisonnement analogue peut être appliqué aux véhicules destinés à être utilisés sur le territoire d’un État membre pendant une période déterminée. De même que, pour les véhicules destinés à une utilisation permanente dans cet État membre, le montant de la taxe couvre potentiellement toute la durée de « vie » du véhicule (à moins qu’il ne sorte du pays), le montant de la taxe perçue au titre d’un véhicule immatriculé pour une durée déterminée ne doit couvrir que la durée d’utilisation sur le
territoire de l’État membre d’immatriculation. Ce montant entre dans l’enveloppe destinée à couvrir de façon générale les coûts d’utilisation de l’ensemble des véhicules immatriculés dans le pays. Elle ne doit donc pas refléter exactement l’intensité d’utilisation dudit véhicule, tout comme le montant de la taxe grevant un véhicule immatriculé à titre permanent ne reflète pas l’intensité de son utilisation ultérieure. Cela ne fait pas obstacle à la réalisation des objectifs de l’imposition,
puisque ces objectifs sont par nature exécutés non pas séparément, véhicule par véhicule, mais globalement.

52. Ainsi qu’il résulte des considérations qui précèdent, les objectifs de la taxe d’immatriculation irlandaise peuvent être réalisés au moyen d’un impôt calculé en tenant compte de la durée prévue d’utilisation du véhicule sur le territoire irlandais. Lorsque cette durée est connue d’avance, le fait de prélever cette taxe à hauteur d’un montant correspondant à celui perçu dans le cas d’un véhicule immatriculé à titre permanent est donc non proportionné au regard de l’objectif susmentionné relatif à
la limitation de la libre prestation de services de location et de crédit-bail des véhicules, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558).

53. Cela ne fait pas non plus obstacle à ce que les utilisateurs de véhicules plus chers paient relativement plus ni à ce que soit encouragée l’utilisation de véhicules moins polluants. La base d’imposition resterait en effet constituée par la valeur de marché du véhicule et par son niveau d’émissions, avec l’application d’un facteur supplémentaire correspondant à la durée d’utilisation prévue sur le territoire irlandais.

54. Je ne pense pas qu’une telle solution viole la compétence des États membres de taxer l’utilisation des véhicules plus fortement qu’il ne découle de l’obligation de respecter le droit de l’Union, en l’occurrence la libre prestation des services.

55. En effet, cette solution ne restreint pas la liberté des États membres de définir les objectifs de la taxe et ses caractéristiques fondamentales, telles que son montant ou la base d’imposition. En revanche, l’obligation consistant à ce que les véhicules destinés à être utilisés sur le territoire d’un certain État membre pendant une durée déterminée soient taxés de façon proportionnelle à cette durée résulte des exigences des libertés du marché unique, interprétées à la lumière de la
jurisprudence de la Cour rappelée ci-dessus. De ce fait, les États membres ne peuvent, pour établir cette proportion, définir des méthodes éliminant essentiellement les avantages résultant de la possibilité de ne payer que la partie de la taxe proportionnelle à la durée d’utilisation du véhicule, par exemple, en réclamant un montant sensiblement supérieur au montant effectivement dû ( 19 ), quand bien même la différence serait ultérieurement remboursée et ce remboursement assorti d’intérêts.

56. Je ne suis pas non plus convaincu par l’argument que l’Irlande tire du fait que le prélèvement d’une taxe d’immatriculation d’un montant proportionnel à la durée d’utilisation prévue du véhicule sur le territoire irlandais ne remplirait pas l’objectif poursuivi au motif que cette durée peut ultérieurement connaître des modifications, notamment une prolongation, par exemple, sous l’effet d’une révision du contrat de location ou de crédit-bail. En effet, étant donné que l’obligation d’acquitter la
taxe d’immatriculation est liée à l’obligation d’immatriculer le véhicule, l’immatriculation d’un véhicule destiné à une utilisation temporaire peut également être effectuée à titre temporaire, pour la durée prévue d’utilisation du véhicule sur le territoire national. De cette façon, en cas de prolongation de la location ou du crédit-bail, l’utilisateur devra effectuer une nouvelle immatriculation et, partant, acquitter une nouvelle taxe. En revanche, en cas de raccourcissement de la durée
d’utilisation, il sera dans l’intérêt du consommateur de réclamer le remboursement de la taxe payée en trop. Cette solution ne me paraît donc guère difficile à mettre en œuvre.

57. L’on peut certes imaginer des cas dans lesquels, que ce soit en raison de la longue durée d’utilisation prévue du véhicule ou du fait du contenu du contrat sur la base duquel cette utilisation est effectuée, l’usage du véhicule pour une durée déterminée, et qui, sur un plan formel, est connue d’avance, s’apparente à une utilisation permanente, de sorte qu’elle peut justifier la perception de l’intégralité de la taxe. Toutefois, les dispositions irlandaises faisant l’objet de la présente affaire
n’opèrent pas une telle différenciation au regard de la durée ou du contenu du contrat qui constitue la base de l’utilisation du véhicule sur le territoire irlandais. Cette question n’a pas été discutée entre les parties, l’Irlande ayant, au cours de la procédure, défendu sa réglementation en totalité. Je ne vois donc pas non plus de possibilité pour la Cour d’effectuer une telle analyse dans l’arrêt qu’elle rendra dans la présente affaire.

58. Au regard des considérations qui précèdent, j’estime que, en imposant aux résidents irlandais d’acquitter l’intégralité de la taxe d’immatriculation lors de l’immatriculation d’un véhicule automobile pris en crédit-bail ou en location dans un autre État membre, sans tenir compte de la durée d’utilisation dudit véhicule en Irlande, lorsque celui-ci n’est ni destiné à être essentiellement utilisé en Irlande à titre permanent ni, en fait, utilisé de cette façon, l’Irlande a manqué aux obligations
qui lui incombent en vertu de l’article 56 TFUE.

Les griefs relatifs à l’absence de paiement d’intérêts et au montant de la retenue

59. Comme je l’ai déjà rappelé ci-dessus, l’Irlande s’est conformée à l’avis motivé de la Commission en ce qui concerne le moyen tiré de l’absence de paiement d’intérêts et du montant trop élevé de la déduction opérée au titre des frais administratifs lors du remboursement de la partie indûment prélevée de la taxe d’immatriculation, mais elle ne l’a fait qu’au 1er janvier 2016, c’est-à-dire après le délai indiqué dans l’avis motivé et même postérieurement à l’introduction du recours dans la présente
affaire. Or, comme la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé est celle pertinente pour apprécier les manquements de l’État membre, il convient d’examiner les griefs relatifs à ces deux questions.

60. Ces griefs sont par ailleurs, selon moi, indépendants de la solution apportée au premier moyen, relatif à la perception de l’intégralité de la taxe d’immatriculation sur les véhicules importés à titre temporaire sur le territoire irlandais.

61. En effet, que la Cour juge que l’obligation d’acquitter l’intégralité de la taxe d’enregistrement sur les véhicules introduits sur le territoire irlandais à titre temporaire est non conforme au droit de l’Union, ou qu’elle estime que le système de remboursement d’une partie de cette taxe est suffisant du point de vue dudit droit, la partie excédant le montant dû au titre de la période d’utilisation effective du véhicule en Irlande constituait une taxe prélevée en violation du droit de l’Union.
Cela résulte directement de la jurisprudence de la Cour citée ci-dessus ( 20 ).

62. Or, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les États membres ont l’obligation de rembourser avec les intérêts y afférents les impôts perçus en violation du droit de l’Union. Cette obligation est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union ( 21 ). Le non-paiement d’intérêts sur le montant de la taxe perçue en violation de la libre prestation des services constitue donc un manquement de l’État membre aux obligations
qui lui incombent en vertu de ladite liberté.

63. Évidemment, si la Cour juge bien fondé le moyen que la Commission tire de l’obligation de payer l’intégralité de la taxe d’immatriculation sur les véhicules immatriculés à titre temporaire, le système de remboursement ne pourra aucunement être appliqué aux véhicules immatriculés pour une durée connue d’avance, de sorte que la question relative aux intérêts disparaîtra également. Toutefois, même dans un tel cas, l’arrêt que rendra la Cour sur ce point sera essentiel en ce qui concerne la
possibilité, pour les personnes ayant subi un préjudice du fait de l’absence de paiement d’intérêts, d’introduire un recours.

64. La Commission reproche également à l’Irlande d’avoir violé les obligations qui lui incombent en vertu de la libre prestation de services en déduisant, au titre des frais administratifs, un montant de 500 euros de la partie de la taxe indûment perçue et soumise à remboursement. Selon la Commission, une telle retenue est excessive et injustifiée, et peut, dans certains cas, engloutir une partie notable du montant remboursé, tout en décourageant en outre les personnes résidant en Irlande de
bénéficier des services de location ou de crédit-bail de véhicules offerts par des prestataires d’autres États membres. L’Irlande affirme pour sa part que les ressources tirées de cette déduction sont destinées à financer la constitution d’un système de remboursement des taxes d’immatriculation indûment perçues.

65. Il convient selon moi de se rallier sur ce point aux arguments de la Commission. L’obligation de remboursement des taxes perçues en violation du droit de l’Union concerne en principe le total des taxes non dues (et des intérêts) et la procédure de remboursement est notamment soumise au principe d’effectivité, en vertu duquel le remboursement de la taxe ne peut être rendu excessivement difficile ou impossible en pratique ( 22 ). Les États membres ne peuvent donc arbitrairement limiter le montant
effectif du remboursement, par exemple, en instituant, sous quelque forme que ce soit, une déduction importante, puisque cela revient à rendre impossible en pratique la récupération par un assujetti d’une partie significative de la taxe indûment payée.

66. Je ne suis à cet égard guère convaincu par l’argumentation de l’Irlande. L’obligation de rembourser les taxes perçues de façon non conforme au droit de l’Union pèse sur l’État membre en vertu dudit droit. Celui-ci ne saurait subordonner l’exécution de cette obligation à la prise en charge, par les ayants droit au remboursement, des frais financiers que l’État membre doit supporter aux fins de mettre en œuvre cette obligation. Il en va d’autant plus ainsi lorsque l’État membre organise son
système de prélèvement de la taxe de manière à rendre, dans certains cas, inévitable le remboursement d’une partie de celle-ci. Toutes les charges liées à l’organisation d’un tel système doivent être financées sur les impôts prélevés conformément au droit de l’Union et non en opérant des retenues sur les sommes dues aux ayants droit au remboursement.

67. Les États membres peuvent prélever des charges au titre des actes administratifs liés à l’exécution de leurs obligations découlant du droit de l’Union, mais ces redevances ne peuvent excéder les coûts effectifs de l’exécution d’un acte considéré à l’égard d’une personne concrète et ne peuvent servir à couvrir les coûts d’organisation du système administratif dans son ensemble. En aucun cas ces redevances ne sauraient être d’un montant tel qu’elles limiteraient de façon substantielle les
avantages que les justiciables tirent des droits qui leur sont conférés par le droit de l’Union.

68. C’est la raison pour laquelle j’estime que, tant en refusant d’assortir d’intérêts les montants remboursés de la taxe d’immatriculation qu’en déduisant à cette occasion une somme de 500 euros au titre des frais administratifs, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 TFUE.

Conclusion

69. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’accueillir le recours de la Commission européenne dans la présente affaire et de faire droit à ses conclusions. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, il y a lieu de condamner l’Irlande aux dépens.

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( 1 ) Langue originale : le polonais.

( 2 ) Ces exceptions concernent essentiellement les véhicules importés à titre temporaire sur le territoire irlandais par des personnes non résidentes en Irlande ou des personnes exerçant une activité professionnelle dans un autre État membre.

( 3 ) Arrêt du 21 mars 2002 (C‑451/99, EU:C:2002:195).

( 4 ) Arrêt du 15 septembre 2005 (C‑464/02, EU:C:2005:546).

( 5 ) Ordonnance du 29 septembre 2010 (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558).

( 6 ) Pour mémoire, les dispositions relatives au remboursement de la taxe d’immatriculation avec intérêts ainsi qu’à la réduction des frais administratifs ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2016.

( 7 ) Ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558, dispositif).

( 8 ) Voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2009, Commission/Espagne (C‑562/07, EU:C:2009:614, points 23 et 24), ainsi que du 5 février 2015, Commission/Belgique (C‑317/14, EU:C:2015:63, point 34).

( 9 ) Arrêt du 30 juin 2016, Câmpean (C‑200/14, EU:C:2016:494, point 37).

( 10 ) Voir également, en ce qui concerne la responsabilité au titre de la violation du droit de l’Union, arrêts du 7 février 1973, Commission/Italie (39/72, EU:C:1973:13, point 11), et du 19 mars 1991, Commission/Belgique (C‑249/88, EU:C:1991:121, point 41).

( 11 ) Arrêt du 26 avril 2012, van Putten (C‑578/10 à C‑580/10, EU:C:2012:246, point 37 et jurisprudence citée).

( 12 ) Arrêt du 26 avril 2012, van Putten (C‑578/10 à C‑580/10, EU:C:2012:246, points 46, 47 et 53 ainsi que jurisprudence citée).

( 13 ) Arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen (C‑451/99, EU:C:2002:195, point 69) ; ordonnances du 27 juin 2006, van de Coevering (C‑242/05, EU:C:2006:430, point 30) ; du 22 mai 2008, Ilhan (C‑42/08, non publiée, EU:C:2008:305, point 22), et du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558, point 26).

( 14 ) Voir, notamment, arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen (C‑451/99, EU:C:2002:195, dernier tiret du dispositif), et ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558, point 21).

( 15 ) Ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558, points 26 à 28 et dispositif).

( 16 ) Ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558, points 5, 8 et 12).

( 17 ) L’immatriculation d’un véhicule et, partant, le paiement de la taxe d’immatriculation sont obligatoires en cas d’utilisation du véhicule pour une durée supérieure à un mois, tandis que le taux maximal de cette taxe peut atteindre 36 % de la valeur du véhicule (voir points 3 et 4 des présentes conclusions).

( 18 ) Voir, notamment, arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen (C‑451/99, EU:C:2002:195, point 66), dans lequel sont évoqués les objectifs de la réglementation autrichienne.

( 19 ) La Commission fournit un exemple chiffré dans ses écritures. Même si, comme l’affirme l’Irlande dans sa duplique, les calculs de la Commission sont exagérés, il n’en demeure pas moins qu’elle-même parvient à un résultat où la taxe d’immatriculation perçue initialement excède de 2,5 fois le montant effectivement dû.

( 20 ) Voir, en particulier, arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen (C‑451/99, EU:C:2002:195, point 69), et ordonnance du 29 septembre 2010, VAV-Autovermietung (C‑91/10, non publiée, EU:C:2010:558, point 26).

( 21 ) Arrêt du 30 juin 2016, Câmpean (C‑200/14, EU:C:2016:494, point 37).

( 22 ) Arrêt du 30 juin 2016, Câmpean (C-200/14, EU:C:2016:494, point 39).


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-552/15
Date de la décision : 02/03/2017
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d’État – Libre prestation des services – Véhicules automobiles – Prise en location ou en crédit‑bail d’un véhicule automobile par un résident d’un État membre auprès d’un fournisseur établi dans un autre État membre – Taxe d’immatriculation – Paiement de l’intégralité de la taxe au moment de l’immatriculation – Conditions de remboursement de la taxe – Proportionnalité.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Irlande.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 24/01/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:162

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