CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 7 février 2017 ( 1 )
Affaire C‑638/16 PPU
X,
X
contre
État belge
[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique)]
«Renvoi préjudiciel — Compétence de la Cour — Article 25, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 810/2009 établissant un code communautaire des visas — Visa à validité territoriale limitée — Mise en œuvre du droit de l’Union — Délivrance d’un tel visa pour des raisons humanitaires ou pour honorer des obligations internationales — Notion d’“obligations internationales” — Convention de Genève sur le statut des réfugiés — Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Obligation pour les États membres de délivrer un visa humanitaire dans l’hypothèse d’un risque avéré d’une violation des articles 4 et/ou 18 de la charte des droits fondamentaux»
Introduction
1. La demande de décision préjudicielle, déférée par le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique), porte sur l’interprétation de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas (ci-après le « code des visas ») ( 2 ) ainsi que des articles 4 et 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige qui oppose deux ressortissants syriens et leurs trois enfants en bas âge, qui résident à Alep (Syrie), à l’État belge au sujet du refus de ce dernier de leur délivrer un visa à validité territoriale limitée, au sens de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, sollicité pour des raisons humanitaires.
3. Comme je le démontrerai dans les présentes conclusions, en dépit des objections avancées par les gouvernements ayant participé à l’audience du 30 janvier 2017 ainsi que de celles de la Commission européenne, cette affaire, d’une part, offre à la Cour l’occasion de préciser qu’un État membre met en œuvre le droit de l’Union lorsqu’il adopte une décision à l’égard d’une demande de visa à validité territoriale limitée, ce qui, partant, lui impose d’assurer le respect des droits garantis par la
Charte. D’autre part, la présente affaire doit, selon mon analyse, conduire la Cour à affirmer que le respect de ces droits, tout particulièrement de celui consacré à l’article 4 de la Charte, implique l’existence d’une obligation positive dans le chef des États membres, qui doit les amener à délivrer un visa à validité territoriale limitée lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le refus de procéder à la délivrance de ce document conduira à la conséquence directe d’exposer
des personnes en quête de protection internationale à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants prohibés par cet article.
4. Il est, à mes yeux, crucial que, à l’heure où les frontières se ferment et où les murs s’érigent, les États membres ne fuient pas leurs responsabilités, telles qu’elles découlent du droit de l’Union ou, permettez-moi l’expression, du droit de leur et de notre Union.
5. Avec des accents particulièrement alarmistes, le gouvernement tchèque a, lors de l’audience, mis en garde la Cour devant les conséquences « fatales » pour l’Union qui résulteraient d’un arrêt allant dans le sens d’obliger les États membres à délivrer des visas humanitaires en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas.
6. Bien que l’Union vive des moments difficiles, je ne partage pas cette crainte. C’est, au contraire, comme dans l’affaire au principal, le refus de reconnaître une voie légale d’accès au droit à la protection internationale sur le territoire des États membres ‐ qui précipite malheureusement souvent les ressortissants de pays tiers en quête d’une telle protection à rejoindre, au péril de leur vie, le flux actuel des immigrés illégaux aux portes de l’Union ‐ qui me paraît particulièrement
préoccupant, au vu, notamment, des valeurs humanitaires et de respect des droits de l’homme sur lesquelles repose la construction européenne. Faut-il rappeler que, comme l’affirment respectivement les articles 2 et 3 du traité UE, l’Union « est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine […] ainsi que de respect des droits de l’homme » et a « pour but de promouvoir […] ses valeurs », y compris dans ses relations avec le reste du monde ?
7. À ce propos, il est attristant de constater que, malgré la longueur et le caractère répétitif des interventions des représentants des quatorze gouvernements s’étant succédé à la barre au cours de l’audience du 30 janvier 2017, aucun d’entre eux n’a rappelé ces valeurs face à la situation dans laquelle sont plongés les requérants au principal et qui a conduit la Cour à enclencher la procédure d’urgence.
8. Comme je le démontrerai dans la suite des présentes conclusions, contrairement à ce qu’un certain nombre de gouvernements a suggéré lors de l’audience devant la Cour, il est inutile d’attendre une hypothétique modification du code des visas pour reconnaître une voie légale d’accès au droit à la protection internationale, qui ferait suite aux amendements présentés par le Parlement européen à la proposition actuellement en cours de discussion ( 3 ).
9. En effet, cette voie légale existe déjà, à savoir celle de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, comme l’a d’ailleurs admis le rapporteur de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement ( 4 ). Pour les raisons qui seront exposées dans mon analyse ci-après, j’invite la Cour à constater l’existence d’une telle voie légale qui se matérialise par l’obligation de délivrer des visas humanitaires, au titre de l’article 25, paragraphe 1,
sous a), du code des visas, dans certaines conditions.
Le cadre juridique
Le droit international
10. L’article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), intitulé « Obligation de respecter les droits de l’homme », prévoit que les « Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention ».
11. L’article 3 de la CEDH, intitulé « Interdiction de la torture », dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
12. L’article 1er, titre A, paragraphe 2, de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, telle que modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 (ci-après la « convention de Genève »), dispose notamment qu’est réfugiée toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.
13. L’article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève prévoit qu’aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
Le droit de l’Union
La Charte
14. L’article 1er de la Charte indique que la dignité humaine est inviolable et doit être respectée et protégée.
15. L’article 2, paragraphe 1, de la Charte dispose que toute personne a droit à la vie.
16. L’article 3, paragraphe 1, de la Charte énonce que toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.
17. L’article 4 de la Charte dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
18. L’article 18 de la Charte prévoit que le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
19. L’article 24, paragraphe 2, de la Charte indique que, dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
20. L’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit que les dispositions de la Charte s’adressent aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
21. L’article 52, paragraphe 3, de la Charte énonce que, dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.
Le droit dérivé
22. Le considérant 29 du code des visas énonce que ce code respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la CEDH et par la Charte.
23. L’article 1er, paragraphe 1, du code des visas dispose que ce code fixe les procédures et les conditions de délivrance des visas pour les transits ou les séjours prévus sur le territoire des États membres d’une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours.
24. L’article 19 de ce code, intitulé « Recevabilité », prévoit, à son paragraphe 4, que, à titre dérogatoire, une demande qui ne remplit pas les conditions de recevabilité peut être jugée recevable pour des motifs humanitaires ou des raisons d’intérêt national.
25. L’article 23, du code des visas, intitulé « Décision relative à la demande », précise, à son paragraphe 4, que, sauf retrait de la demande, une décision est prise en vue, notamment, de délivrer un visa uniforme, conformément à l’article 24 du code, de délivrer un visa à validité territoriale limitée, conformément à l’article 25 dudit code ou de refuser de délivrer un visa, conformément à l’article 32 du même code.
26. L’article 25 du code des visas, intitulé « Délivrance d’un visa à validité territoriale limitée », dispose :
« 1. Un visa à validité territoriale limitée est délivré à titre exceptionnel dans les cas suivants :
a) lorsqu’un État membre estime nécessaire, pour des raisons humanitaires, pour des motifs d’intérêt national ou pour honorer des obligations internationales :
i) de déroger au principe du respect des conditions d’entrée prévues à l’article [6], paragraphe 1, points a), c), d) et e), du code frontières Schengen […]
ii) de délivrer un visa […]
[…]
2. Un visa à validité territoriale limitée est valable pour le territoire de l’État membre de délivrance. À titre exceptionnel, il peut être valable pour le territoire d’un ou plusieurs autres États membres, pour autant que chacun de ces États membres ait marqué son accord.
3. Si le titulaire est muni d’un document de voyage qui n’est reconnu que par un ou plusieurs États membres, il lui est délivré un visa valable pour le territoire de ces États. Si l’État membre de délivrance ne reconnaît pas le document de voyage du demandeur, le visa délivré est valable exclusivement pour cet État membre.
4. Lorsqu’un visa à validité territoriale limitée est délivré dans les cas visés au paragraphe 1, point a), les autorités centrales de l’État membre de délivrance transmettent immédiatement les informations correspondantes aux autorités centrales des autres États membres, par le biais de la procédure visée à l’article 16, paragraphe 3, du [règlement (CE) no 767/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 9 juillet 2008, concernant le système d’information sur les visas (VIS) et l’échange de
données entre les États membres sur les visas de court séjour ( 5 )].
5. Les données énumérées à l’article 10, paragraphe 1, du [règlement no 767/2008] sont enregistrées dans le VIS lorsque la décision sur la délivrance du visa est prise. »
27. L’article 32 du code des visas, intitulé « Refus de visa », prévoit :
« 1. Sans préjudice de l’article 25, paragraphe 1, le visa est refusé :
[…]
b) s’il existe des doutes raisonnables sur l’authenticité des documents justificatifs présentés par le demandeur ou sur la véracité de leur contenu, sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l’expiration du visa demandé. »
28. Aux termes de l’article 3 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) ( 6 ) :
« 1. La présente directive s’applique à toutes les demandes de protection internationale présentées sur le territoire des États membres, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit, ainsi qu’au retrait de la protection internationale.
2. La présente directive ne s’applique pas aux demandes d’asile diplomatique ou territorial introduites auprès des représentations des États membres. […] »
29. L’article 4 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ( 7 ) prévoit que, lorsqu’ils appliquent ce règlement, les États membres agissent dans le plein respect des dispositions pertinentes du droit de l’Union, y compris de la Charte, du droit international applicable dont la convention de Genève, des obligations liées à l’accès à la
protection internationale, en particulier du principe de non-refoulement, et des droits fondamentaux.
30. L’article 6 du code frontières Schengen, intitulé « Conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers », prévoit :
« 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d’examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :
a) être en possession d’un document de voyage en cours de validité […]
b) être en possession d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis […], sauf s’ils sont titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa de long séjour en cours de validité ;
c) justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants […] ;
d) ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le [sytème d’information Schengen] ;
e) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs. »
Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
31. Les requérants au principal, un couple marié ainsi que leurs trois enfants mineurs en bas âge, sont de nationalité syrienne, vivent à Alep et ont déclaré être de confession chrétienne orthodoxe. Ils ont introduit, le 12 octobre 2016, des demandes de visa auprès du consulat de Belgique à Beyrouth (Liban), et sont retournés en Syrie le 13 octobre 2016.
32. Ces demandes visent à la délivrance rapide de visas à validité territoriale limitée, en application de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas. Selon les requérants au principal, lesdites demandes ont pour objectif de leur permettre de quitter la ville assiégée d’Alep afin d’introduire une demande d’asile en Belgique. L’un des requérants au principal déclare, notamment, avoir été enlevé par un groupe terroriste, battu et torturé, avant d’être finalement libéré contre rançon. Les requérants
au principal insistent particulièrement sur la dégradation de la situation sécuritaire en Syrie en général et à Alep en particulier, ainsi que sur le fait que, étant de confession chrétienne orthodoxe, ils risquent d’être persécutés en raison de leurs croyances religieuses. Ils ajoutent qu’il leur est impossible de se faire enregistrer comme réfugiés dans les pays limitrophes, eu égard, notamment, à la circonstance que la frontière entre le Liban et la Syrie a entre-temps été fermée.
33. Ces demandes ont été rejetées par décisions de l’Office des étrangers (Belgique) du 18 octobre 2016 (ci-après les « décisions litigieuses »), en application de l’article 32, paragraphe 1, sous b), du code des visas. En effet, selon l’Office des étrangers, en sollicitant un visa à validité territoriale limitée pour introduire une demande d’asile en Belgique, les requérants au principal avaient manifestement l’intention de séjourner plus de 90 jours en Belgique. De surcroît, les décisions
litigieuses de l’Office des étrangers soulignent, d’une part, que l’article 3 de la CEDH ne peut être interprété comme exigeant des États signataires d’admettre sur leur territoire toutes les personnes vivant une situation catastrophique et, d’autre part, que, selon la législation belge, les postes diplomatiques belges ne font pas partie des autorités auprès desquelles un étranger peut introduire une demande d’asile. Or, autoriser la délivrance d’un visa d’entrée aux requérants au principal afin
de leur permettre d’introduire leur demande d’asile en Belgique reviendrait à autoriser l’introduction de leur demande dans un poste diplomatique.
34. Ayant saisi la juridiction de renvoi de la suspension de l’exécution des décisions de refus de visa selon la procédure nationale d’extrême urgence, les requérants au principal soutiennent, en substance, que l’article 18 de la Charte prévoit une obligation positive pour les États membres de garantir le droit à l’asile et que l’octroi d’une protection internationale est le seul moyen d’éviter le risque de violation de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte. À cet égard, ils
dénoncent l’absence de prise en compte du risque invoqué de violation de l’article 3 de la CEDH dans le rejet de leurs demandes de visa. Or, les autorités belges ayant elles-mêmes estimé que la situation des requérants au principal constitue une situation humanitaire exceptionnelle, eu égard aux raisons humanitaires et aux obligations internationales incombant au Royaume de Belgique, « l’état de nécessité », requis par l’article 25 du code des visas, serait établi. Partant, le droit à la
délivrance des visas sollicités par les requérants au principal serait acquis sur le fondement du droit de l’Union. À cet égard, les requérants au principal font référence à l’arrêt du 19 décembre 2013, Koushkaki (C‑84/12, EU:C:2013:862).
35. En revanche, l’État belge, partie défenderesse au principal, considère qu’il n’est aucunement tenu, sur le fondement de l’article 3 de la CEDH ou sur celui de l’article 33 de la convention de Genève, d’admettre sur son territoire une personne étrangère, la seule obligation pesant sur lui à cet égard consistant en une obligation de non-refoulement.
36. La juridiction de renvoi expose tout d’abord que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, afin que les requérants au principal puissent se prévaloir de l’article 3 de la CEDH, ils doivent se trouver sous la juridiction belge, comme cela résulterait de l’article 1er de la CEDH. La Cour européenne des droits de l’homme aurait précisé que la notion de « juridiction » est principalement territoriale et, en principe, exercée sur l’ensemble du territoire d’un État.
Toutefois, la question serait de savoir si la mise en œuvre de la politique des visas et la prise de décisions à l’égard des demandes de visa peuvent être considérées comme l’exercice d’une juridiction effective. Il en irait de même du point de savoir si un droit d’entrée découle, en tant que corollaire du principe de non-refoulement et de l’obligation de prendre des mesures préventives, notamment de l’article 33 de la convention de Genève.
37. Ensuite, la juridiction de renvoi relève que l’application de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, ne dépend pas de l’exercice d’une juridiction, mais de la mise en œuvre du droit de l’Union. Les demandes de visa en cause ayant été introduites sur la base de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas, les décisions litigieuses auraient été prises en application d’un règlement de l’Union européenne et mettraient en œuvre le droit de l’Union. Toutefois, la portée
territoriale du droit d’asile consacré à l’article 18 de la Charte serait controversée, eu égard à l’article 3 de la directive 2013/32.
38. Enfin, au regard du libellé de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’ampleur de la marge d’appréciation laissée aux États membres. En effet, eu égard à la nature contraignante des obligations internationales, lue conjointement avec la Charte, toute marge pourrait être exclue à cet égard.
39. C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les “obligations internationales”, visées à l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, visent-elles l’ensemble des droits garantis par la Charte, dont, en particulier, ceux garantis par les articles 4 et 18, et recouvrent-elles également les obligations auxquelles sont tenus les États membres, au regard de la CEDH, et de l’article 33 de la convention de Genève ?
2) Compte tenu de la réponse apportée à la [première] question, l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas doit-il être interprété en ce sens que, sous réserve de la marge d’appréciation dont il dispose à l’égard des circonstances de la cause, l’État membre saisi d’une demande de visa à validité territoriale limitée est tenu de délivrer le visa demandé, lorsqu’un risque de violation de l’article 4 et/ou de l’article 18 de la Charte, ou d’une autre obligation internationale auquel il
est tenu, est avéré ? L’existence d’attaches entre le demandeur et l’État membre saisi de la demande de visa (par exemple, liens familiaux, familles d’accueil, garants et sponsors, etc.) a-t-elle une incidence sur la réponse à cette question ? »
40. À la suite de la demande de la juridiction de renvoi, et conformément à l’article 108, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la chambre désignée a décidé de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence. De surcroît, en application de l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure, la chambre désignée a demandé de renvoyer l’affaire à la Grande chambre.
41. Les questions préjudicielles ont fait l’objet d’observations écrites de la part des requérants au principal, du gouvernement belge ainsi que de la Commission.
42. Ces parties intéressées ainsi que les gouvernements tchèque, danois, allemand, estonien, français, hongrois, maltais, néerlandais, autrichien, polonais, slovène, slovaque et finlandais ont été entendus en leurs plaidoiries à l’audience du 30 janvier 2017.
Analyse
Sur la compétence de la Cour
43. À titre principal, le gouvernement belge soutient que la Cour n’est pas compétente pour répondre aux questions préjudicielles, car la situation des requérants au principal ne relève pas du droit de l’Union.
44. Ce gouvernement fait observer, en premier lieu, que le code des visas ne régit que les visas d’une durée maximale de trois mois sur une période de six mois (« visas de court séjour ») ( 8 ) et que l’article 32, paragraphe 1, sous b), de ce code oblige les États membres à refuser le visa lorsqu’il existe des doutes raisonnables sur la volonté du demandeur de quitter le territoire des États membres avant l’expiration du visa demandé. Selon le gouvernement belge, l’article 25, paragraphe 1, du code
des visas est simplement dérogatoire à l’obligation de refuser un visa sur la base de l’article 32, paragraphe 1, de ce code et fixe, limitativement, les motifs de refus auxquels les États membres sont autorisés à déroger. Ces motifs de refus viseraient les seuls cas où le demandeur de visa ne remplit pas les conditions d’entrée fixées par l’article 6, paragraphe 1, sous a), c), d) et e), du code frontières Schengen, auxquelles renvoie l’article 25, paragraphe 1, sous a), i), du code des visas,
et seraient énoncés à l’article 32, paragraphe 1, sous a), i), ii), iii) et vi), de ce code. Il s’ensuit, selon le gouvernement belge, que, bien que l’article 32 du code des visas s’applique, conformément à son libellé, « sans préjudice de l’article 25, paragraphe 1 », de ce code, cette exclusion ne couvre pas le motif de refus visé à l’article 32, paragraphe 1, sous b), dudit code ( 9 ). Un visa à validité territoriale limitée ne pourrait, dès lors, être délivré que pour un séjour n’excédant
pas les trois mois. Renvoyant aux arrêts du 8 novembre 2012, Iida (C‑40/11, EU:C:2012:691) et du 8 mai 2013, Ymeraga e.a. (C‑87/12, EU:C:2013:291), le gouvernement belge estime que, dès lors que les requérants au principal ne remplissent pas les conditions requises pour l’octroi d’un visa court séjour sur la base du code des visas, leur situation n’est pas régie par le droit de l’Union.
45. En second lieu, ce gouvernement fait valoir que ni les dispositions en matière d’asile ni les dispositions de la Charte ne permettent de rattacher la situation des requérants au principal au droit de l’Union. En effet, premièrement, le régime d’asile européen commun ne s’appliquerait, conformément à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2013/32, qu’aux demandes introduites sur le territoire des États membres ou aux frontières de celui-ci, à l’exclusion des demandes d’asile
diplomatique ou territorial introduites auprès des représentations des États membres. Deuxièmement, le droit de l’Union n’étant pas mis en œuvre en ce qui concerne la situation des requérants dans l’affaire au principal, la Charte ne saurait s’appliquer. Le gouvernement belge relève enfin qu’aucun acte législatif n’a été adopté par l’Union quant aux conditions d’entrée et de séjour de plus de trois mois des ressortissants de pays tiers pour motifs humanitaires. Les États membres conserveraient,
dès lors, leur compétence en la matière.
46. Sans exciper de l’incompétence de la Cour, la Commission avance des arguments analogues à ceux exposés au point 44 des présentes conclusions. Selon elle, une demande de visa en vue de rejoindre le territoire d’un État membre pour y solliciter la protection internationale ne saurait être comprise comme une demande de visa de court séjour. Une telle demande devrait être traitée comme une demande de visa de long séjour, en vertu du droit national.
47. La plupart des gouvernements ayant participé à l’audience devant la Cour se sont ralliés à la position du gouvernement belge et de la Commission, concluant à l’inapplicabilité du code des visas dans les circonstances de l’affaire au principal.
48. Il y a lieu, selon moi, d’écarter l’ensemble de ces objections.
49. Il ressort du dossier transmis par la juridiction de renvoi – et ce qui a été confirmé par le gouvernement belge lors de l’audience ‐ que les requérants au principal ont sollicité, au titre du code des visas, la délivrance d’un visa de court séjour à validité territoriale limitée, à savoir une autorisation d’entrée sur le territoire belge pour une durée totale n’excédant pas 90 jours. Il ressort également des pièces de ce dossier que les autorités compétentes ont qualifié, examiné et traité les
demandes des requérants au principal, tout au long de la procédure, en tant que demandes de visa au titre du code des visas. Ces demandes ont nécessairement été considérées comme étant recevables en vertu de l’article 19 de ce code ( 10 ), dès lors que des décisions de refus de délivrer les visas sollicités ont été prises conformément à l’article 23, paragraphe 4, sous c), dudit code. Les décisions litigieuses ont, par ailleurs, été rédigées en utilisant un « formulaire de décision visa court
séjour » et le refus de délivrance des visas a été fondé sur l’un des motifs indiqués à l’article 32, paragraphe 1, sous b), du code des visas.
50. L’intention des requérants au principal de demander le statut de réfugié une fois entrés sur le territoire belge ne saurait modifier la nature ni l’objet de leurs demandes. En particulier, elle ne saurait les transformer en demandes de visa de long séjour ni placer ces demandes en dehors du champ d’application du code des visas et du droit de l’Union, contrairement à ce que plusieurs États membres ont soutenu lors de l’audience devant la Cour.
51. Selon l’interprétation que la Cour sera amenée à donner de l’article 25 du code des visas et de son articulation avec l’article 32 de ce code ( 11 ), une telle intention pourrait tout au plus constituer un motif de refus des demandes des requérants au principal, en application des règles dudit code, mais certainement pas un motif de non-application de celui-ci.
52. Or, c’est justement la légalité d’un tel refus qui constitue l’objet de l’affaire au principal et qui est au cœur des questions posées à titre préjudiciel par la juridiction de renvoi, lesquelles visent à obtenir une clarification sur les conditions d’application de l’article 25 du code des visas dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal.
53. Par ailleurs, je note que les requérants au principal n’avaient aucunement besoin de demander des visas de long séjour. En effet, s’ils avaient été admis à entrer sur le territoire belge, et à supposer que, après avoir déposé des demandes d’asile, celles-ci n’eussent pas été traitées avant l’expiration de leurs visas de court séjour, leur droit de rester sur ce territoire au-delà de 90 jours aurait découlé de leur statut de demandeurs d’asile, au titre de l’article 9, paragraphe 1, de la
directive 2013/32. Par la suite, ce droit aurait résulté de leur statut de bénéficiaires de la protection internationale.
54. La Cour est, dès lors, manifestement compétente pour répondre aux questions posées par le Conseil du contentieux des étrangers.
55. Les arrêts du 8 novembre 2012, Iida (C‑40/11, EU:C:2012:691) et du 8 mai 2013, Ymeraga e.a. (C‑87/12, EU:C:2013:291), cités par le gouvernement belge, ne sauraient venir au soutien des allégations d’incompétence de la Cour avancées par ce gouvernement.
56. Tout d’abord, dans ces arrêts, la Cour ne s’est pas déclarée incompétente, mais a répondu aux questions qui lui ont été posées.
57. Ensuite, la présente affaire se distingue clairement des affaires ayant donné lieu auxdits arrêts, dans lesquels la Cour a conclu que la situation des requérants dans les litiges au principal faisant l’objet de ces affaires n’était pas régie par le droit de l’Union et n’avait aucun lien de rattachement avec ce droit ( 12 ). Plus précisément, dans ces arrêts, la Cour a constaté que lesdits requérants ne pouvaient pas être considérés comme bénéficiaires de la directive 2004/38/CE ( 13 ) ni,
s’agissant des requérants dans l’affaire au principal ayant donné lieu à l’arrêt du 8 mai 2013, Ymeraga e.a. (C‑87/12, EU:C:2013:291), de la directive 2003/86 ( 14 ) et, dès lors, que ces actes ne leur étaient pas applicables ( 15 ).
58. Dans la présente affaire, en revanche, les requérants au principal ont introduit des demandes de visa de court séjour au titre d’un règlement de l’Union qui harmonise les procédures et les conditions de délivrance de ces visas et qui leur est applicable. Leur situation est en effet couverte par le code des visas tant ratione personae que ratione materiae.
59. D’une part, le code des visas s’applique, conformément à son article 1er, paragraphe 2, à « tout ressortissant de pays tiers, qui doit être muni d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres conformément au règlement […] no 539/2001» ( 16 ), qui fixe notamment la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa. Or, la Syrie est l’un de ces pays tiers ( 17 ). En tant que ressortissants syriens, les requérants au principal étaient,
dès lors, tenus de se munir d’un visa afin d’entrer sur le territoire des États membres.
60. D’autre part, ni l’article 1er, paragraphe 1, du code des visas, qui énonce l’objectif de celui-ci, ni son article 2, point 2), qui définit la notion de « visa », ne font référence aux motifs pour lesquels le visa est demandé. Ces dispositions décrivent un tel objectif et définissent une telle notion en se référant uniquement à la durée de l’autorisation de séjour qui peut être demandée et accordée. Les raisons ayant motivé la demande de visa n’entrent en ligne de compte qu’aux fins de
l’application de l’article 25 du code des visas et lors de l’appréciation de l’existence des motifs de refus prévus à l’article 32 de ce code, à savoir à un stade avancé du traitement de la demande de visa. Cette interprétation est corroborée par l’article 19 du code des visas. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, la demande de visa « est recevable » lorsque le consulat compétent constate que les conditions visées au paragraphe 1 dudit article sont remplies. Or, parmi ces conditions ne
figure pas le dépôt, par le demandeur, des documents justificatifs énumérés à l’article 14 du code des visas, notamment ceux visés sous a) et d) de cet article, à savoir, respectivement, les documents indiquant l’objet du voyage et les informations permettant d’apprécier la volonté du demandeur de quitter le territoire des États membres avant l’expiration du visa demandé. Il s’ensuit que les demandes des requérants au principal, tendant à obtenir un visa d’une durée limitée à 90 jours, entrent
dans le champ d’application matériel du code des visas, indépendamment des motifs pour lesquels elles ont été présentées et ont à juste titre été considérées recevables par les autorités consulaires belges en vertu de l’article 19 de ce code.
61. La situation des requérants au principal est donc régie par le code des visas et, dès lors, par le droit de l’Union, y inclus dans le cas où il devrait être conclu que c’est à juste titre que leurs demandes ont été refusées. En effet, ainsi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt du 19 décembre 2013, Koushkaki (C‑84/12, EU:C:2013:862), les motifs de refus de visa sont fixés de manière exhaustive par le code des visas ( 18 ) et doivent être appliqués dans le respect des dispositions pertinentes de
celui-ci.
62. Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’allégation du gouvernement belge, avancée également par la Commission et par un certain nombre d’États membres lors de l’audience, selon laquelle le code des visas ne permet pas d’introduire une demande de visa fondée sur l’article 25 de celui-ci.
63. Tout d’abord, un tel argument, au demeurant excessivement formaliste, se heurte à l’article 23, paragraphe 4, sous b), du code des visas, qui inclut parmi les décisions qui peuvent être prises à l’égard d’une « demande » de visa déclarée recevable au titre de l’article 19 de ce code, la décision de délivrer un visa à validité territoriale limitée, conformément à l’article 25 dudit code.
64. Ensuite, je note que, à l’annexe I du code des visas, figure un seul formulaire harmonisé de demande. L’entête de ce formulaire se réfère de manière générique à une « Demande de visa Schengen », sans préciser le type de visa, parmi ceux régis par ce code ‐ à savoir visa uniforme, de transit ou à validité territoriale limitée ‐, pour lequel la demande est introduite. Ce n’est qu’en remplissant le point 21 de ce formulaire, intitulé « Objet(s) principal(aux) du voyage », sous lequel figurent
plusieurs cases, chacune correspondant à un motif de voyage (étude, tourisme, visite officielle, raisons médicales, etc.), que le demandeur apporte des précisions sur le type de visa demandé (par exemple, en cochant la case « transit aéroportuaire » s’il demande un visa de ce type). Cette liste de motifs n’étant pas exhaustive [la dernière case comporte la rubrique « autre (à préciser) »], il est tout à fait loisible au demandeur, ainsi que l’ont fait les requérants au principal, d’indiquer que
sa demande est motivée par des raisons humanitaires au titre de l’article 25 du code des visas. Cela est d’ailleurs confirmé par le fait que, dans la partie dudit formulaire réservée à l’administration, sous la rubrique « Décision concernant le visa », figure également, parmi les options possibles en cas de décision positive, la délivrance d’un visa à validité territoriale limitée.
65. Plus généralement, je relève que rien dans le code des visas n’interdit à un demandeur de visa d’invoquer, lors du dépôt de sa demande, l’application en sa faveur de l’article 25 de ce code, lorsqu’il ne satisfait pas à l’une des conditions d’entrée prévues à l’article 6, paragraphe 1, points a), c), d) et e), du code frontières Schengen ou lorsqu’il estime que sa situation est couverte par la première disposition.
66. S’agissant des circonstances de l’affaire au principal, je rappelle qu’il ressort du dossier transmis par la juridiction de renvoi, ce qui a été confirmé par le gouvernement belge lors de l’audience, que les requérants au principal ont introduit leurs demandes de visa conformément aux prescriptions du code des visas, en déposant tant un formulaire harmonisé de demande du type de celui figurant à l’annexe I de ce code que les documents justificatifs devant l’accompagner.
67. Enfin, à supposer même que, ainsi que le soutiennent notamment le gouvernement belge et la Commission, le code des visas ne permette pas de présenter une demande de visa au titre de l’article 25 de ce code, une telle circonstance ne suffirait pas à placer les requérants au principal en dehors du champ d’application du code des visas, dès lors qu’ils ont sollicité la délivrance d’un visa dont les procédures et les conditions d’octroi sont régies par ce code et que leurs demandes ont été traitées
et rejetées sur la base des dispositions dudit code.
68. Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas nécessaire de répondre aux arguments du gouvernement belge exposés au point 45 des présentes conclusions, relatifs à l’absence de pertinence des dispositions en matière d’asile au regard des faits en cause au principal ( 19 ).
69. En revanche, les arguments du gouvernement belge, ainsi que ceux de la Commission et des États membres présents à l’audience, concernant l’applicabilité de la Charte dans les circonstances de l’affaire au principal seront examinés dans le contexte de l’analyse de la première question préjudicielle. À cet égard, je tiens à préciser que c’est essentiellement dans un souci de clarté, et quitte à me répéter quelque peu, que j’ai préféré traiter distinctement les arguments tirés de l’incompétence de
la Cour et de l’inapplicabilité du code des visas de ceux, qui se chevauchent en grande partie avec les premiers, relatifs à l’applicabilité de la Charte et à la mise en œuvre du droit de l’Union.
70. Il découle de l’ensemble des observations qui précèdent que, contrairement à ce que soutient le gouvernement belge, la situation des requérants au principal relève bien du droit de l’Union. Partant, la Cour est compétente pour répondre aux questions déférées par le Conseil du contentieux des étrangers.
Sur la première question préjudicielle
71. La première question préjudicielle comporte deux volets. Par le premier volet, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour, si l’expression « obligations internationales », qui figure à l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, vise les droits garantis par la Charte et, notamment, ceux énoncés aux articles 4 et 18 de celle-ci. Par le second volet, la juridiction de renvoi souhaite savoir si cette expression vise les obligations auxquelles les États membres sont tenus
au regard de la CEDH et de l’article 33 de la convention de Genève.
72. Il n’y a, à mon sens, pas beaucoup de doutes quant à la réponse qu’il convient de donner au premier volet de la question.
73. L’Union dispose d’un ordre juridique propre, distinct de l’ordre international. Conformément à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, la Charte fait partie du droit primaire de l’Union et est, dès lors, une source de droit de l’Union. Lorsque les conditions de son application sont réunies, les États membres sont tenus de la respecter en vertu de leur adhésion à l’Union. Les impératifs qui découlent de la Charte ne comptent donc pas parmi les « obligations internationales » visées à
l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, et cela quelle que soit la portée qu’il convient de donner à cette expression.
74. Cela ne revient cependant pas à dire que les décisions que les États membres adoptent sur base de cette disposition ne doivent pas être prises dans le respect des prescriptions de la Charte.
75. Le champ d’application de celle-ci, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à son article 51, paragraphe 1, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Les droits fondamentaux garantis par la Charte doivent, par conséquent, être respectés lorsqu’une réglementation nationale ‐ et, de manière plus générale, l’action de l’État membre concerné ‐ entre dans le champ d’application du droit de l’Union (
20 ).
76. Il convient dès lors de vérifier si un État membre qui adopte, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, une décision par laquelle il refuse la délivrance d’un visa à validité territoriale limitée sollicité pour raisons humanitaires au titre de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas met en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
77. À cet égard, il y a lieu de relever, en premier lieu, que les conditions de délivrance de tels visas, ainsi que le régime auquel ils sont soumis, sont prévus par un règlement de l’Union, dont le but s’inscrit dans la mise en place, par la constitution d’un « corpus commun » de normes, d’une politique commune des visas destinée à « faciliter les voyages effectués de façon légitime et à lutter contre l’immigration clandestine par une plus grande harmonisation des législations nationales et des
modalités de délivrance des visas dans les missions consulaires locales» ( 21 ).
78. Au titre de son article 1er, paragraphes 1 et 2, le code des visas fixe « les procédures et conditions de délivrance des visas pour les transits ou les séjours prévus sur le territoire des États membres d’une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours » et, ainsi que je l’ai déjà rappelé plus haut, s’applique à tout ressortissant de pays tiers qui doit être muni d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres conformément au règlement no 539/2001 ( 22
).
79. Aux termes de l’article 2, point 2, sous a), du code des visas, la notion de « visa », aux fins de ce code, est définie comme « l’autorisation accordée par un État membre » en vue « du transit ou du séjour prévu sur le territoire des États membres, pour une durée totale n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours ». Cette notion couvre également le « visa à validité territoriale limitée », qui est régi par l’article 25 du code des visas. Abstraction faite de ses conditions de
délivrance (et de refus de délivrance), ce visa ne se différencie du « visa uniforme », défini à l’article 2, point 3, de ce code, qu’en ce qui concerne la portée territoriale de l’autorisation d’entrée et de séjour qu’il octroie, celle-ci étant limitée, comme le précise le point 4 de ce même article 2, au territoire d’un ou de plusieurs États membres.
80. Il s’ensuit que, en délivrant ou en refusant de délivrer un visa à validité territoriale limitée sur le fondement de l’article 25 du code des visas, les autorités des États membres adoptent une décision concernant un document autorisant le franchissement des frontières extérieures des États membres, qui est soumis à un régime harmonisé et agissent, dès lors, dans le cadre et en application du droit de l’Union.
81. Cette conclusion ne saurait être mise en cause par l’éventuelle reconnaissance d’un pouvoir d’appréciation de l’État membre concerné dans l’application de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas.
82. En effet, la circonstance qu’un règlement de l’Union reconnaisse un pouvoir d’appréciation aux États membres ne fait pas obstacle, ainsi que la Cour l’a précisé dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 68 et 69), à ce que les actes adoptés dans l’exercice de ce pouvoir relèvent de la mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, lorsqu’il résulte que ledit pouvoir d’appréciation fait partie intégrante du
système normatif instauré par le règlement en cause et doit être exercé dans le respect des autres dispositions de celui-ci ( 23 ).
83. Or, même à supposer que l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas laisse aux États membres un pouvoir d’appréciation quant à la délivrance de visas pour raisons humanitaires – question qui sera examinée dans le cadre de l’analyse de la seconde question préjudicielle ‐, force est de constater que de tels visas s’inscrivent dans la politique commune des visas et qu’ils sont régis par un règlement de l’Union, qui en fixe les règles de compétence, les conditions et les modalités de
délivrance, la portée, ainsi que les causes de nullité ou d’abrogation ( 24 ). Dès lors, les décisions prises par les autorités compétentes des États membres sur le fondement de ladite disposition constituent une mise en œuvre de procédures prévues par le code des visas et l’éventuel pouvoir d’appréciation que ces autorités sont appelées à exercer lors de l’adoption de ces décisions fait partie intégrante du système normatif instauré par ce code.
84. Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que, en adoptant une décision au titre de l’article 25 du code des visas, les autorités d’un État membre mettent en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et sont, dès lors, tenues au respect des droits garantis par cette dernière.
85. Une telle conclusion découle, par ailleurs, du texte lui-même du code des visas, dont le considérant 29 place ce code sous le sceau des droits fondamentaux et des principes de la Charte ( 25 ). Dans l’avant-propos de son Manuel relatif au traitement des demandes de visa et à la modification des visas délivrés ( 26 ) ‐ qui vise à garantir une mise en œuvre harmonisée notamment des dispositions du code des visas ‐ la Commission confirme cet impératif de respect des droits fondamentaux, en
soulignant que ces droits, tels que consacrés notamment par la Charte, doivent être garantis à toute personne qui demande un visa et que « le traitement des demandes de visa doit […] observer pleinement l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et l’interdiction de toute discrimination consacrées aux articles 3 et 14 de la [CEDH] et aux articles 4 et 21 de la [Charte], respectivement ».
86. En ce qui concerne, en second lieu, les circonstances de l’affaire au principal, j’ai déjà eu l’occasion de relever qu’il ressort des pièces du dossier transmis par la juridiction de renvoi, que les requérants au principal ont sollicité, lors du dépôt de leur demande de visa, l’application à leur égard de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, que les décisions litigieuses sont fondées sur le motif de refus de visa prévu à l’article 32, paragraphe 1, sous b), in fine, du code
des visas et que ce rejet a été prononcé après le constat selon lequel les conditions de délivrance de visas humanitaires au titre de l’article 25 de ce code, notamment la nature exceptionnelle de la procédure et le caractère temporaire du séjour envisagé, n’étaient pas satisfaites.
87. Il est dès lors constant que, dans l’affaire au principal, les autorités belges ont été saisies et ont agi sur le fondement et en application des dispositions du code des visas.
88. Par conséquent, les décisions litigieuses constituent une mise en œuvre de ce code et, donc, du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. En adoptant ces décisions, lesdites autorités étaient tenues de respecter les droits garantis par celle-ci.
89. Il convient encore de souligner que les droits fondamentaux reconnus par la Charte, dont le respect s’impose à toute autorité des États membres agissant dans le cadre du droit de l’Union, sont garantis aux destinataires des actes adoptés par une telle autorité indépendamment de tout critère de territorialité.
90. Ainsi que je l’ai démontré aux points 49 à 70 et 76 à 88 des présentes conclusions, la situation des requérants au principal relève du droit de l’Union et les actes adoptés à leur égard constituent une mise en œuvre de ce droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. La situation des requérants au principal tombe, dès lors, dans le champ d’application de la Charte, et cela indépendamment de la circonstance qu’ils ne se trouvent pas sur le territoire d’un État membre et du fait
qu’ils n’ont pas de rattachement avec un tel territoire.
91. La Cour est très claire à cet égard dans sa jurisprudence : « l’applicabilité du droit de l’Union implique celle des droits fondamentaux garantis par la Charte » et « il ne saurait exister de cas de figure qui relèvent […] du droit de l’Union sans que lesdits droits fondamentaux trouvent à s’appliquer» ( 27 ). Il existe, dès lors, un parallélisme entre action de l’Union, que ce soit par le biais de ses institutions ou par l’intermédiaire de ses États membres, et application de la Charte.
Interrogée à cet égard par la Cour lors de l’audience, la Commission s’est alignée sur une telle conclusion ( 28 ).
92. Or, si l’on devait considérer que la Charte ne s’applique pas lorsqu’une institution ou un État membre mettant en œuvre le droit de l’Union agit extra territorialement, cela reviendrait à affirmer que des situations couvertes par le droit de l’Union échapperaient à l’application des droits fondamentaux de l’Union, ébranlant ledit parallélisme. Il est clair qu’une telle interprétation aurait des conséquences qui dépasseraient le seul domaine de la politique des visas.
93. Par ailleurs, et pour se limiter à ce domaine, si l’application de la Charte était subordonnée à un critère de rattachement territorial avec l’Union (ou plutôt avec l’un de ses États membres), en plus du critère de rattachement au droit de l’Union, la mise en œuvre de l’ensemble du régime commun des visas prévu par le code des visas serait vraisemblablement soustraite au respect des droits prévus par la Charte, ce qui méconnaîtrait non seulement le principe régissant l’application de celle-ci,
mais également la volonté claire du législateur de l’Union, telle qu’exprimée au considérant 29 du code des visas, à une époque où la Charte n’avait pas encore de force obligatoire.
94. Pour les mêmes raisons, l’application de la Charte à la situation des requérants au principal ne dépend pas non plus de l’exercice d’une forme quelconque d’autorité et/ou de contrôle de la part de l’État belge à leur égard, contrairement à ce que prévoit, pour la CEDH, l’article 1er de celle-ci, aux termes duquel les États parties à cette convention reconnaissent les droits et les libertés définis au titre I de celle-ci « à toute personne relevant de leur juridiction» ( 29 ).
95. Selon l’argumentation du gouvernement belge ‐ à laquelle se sont ralliés quelques États membres lors de l’audience – une disposition analogue à l’article 1er de la CEDH serait applicable également dans le système de la Charte, à tout le moins, en ce qui concerne les droits de celle-ci qui correspondent à ceux garantis par la CEDH. Le gouvernement belge rappelle que, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, lu à la lumière des explications relatives à cet article ( 30 ), lorsque
les droits de celle-ci correspondent à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que prévoit cette convention, y compris les limitations admises. Selon ce gouvernement, le principe inscrit à l’article 1er de la CEDH fait partie de ces limitations et circonscrit le champ d’application, notamment, de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH. Il s’ensuivrait que, à défaut pour les requérants d’être sous la juridiction de l’État belge,
leur situation ne serait pas couverte par cette disposition.
96. Plusieurs raisons s’opposent à l’interprétation proposée par le gouvernement belge.
97. Premièrement, l’article 1er de la CEDH contient une « clause de juridiction » qui fonctionne en tant que critère d’activation de la responsabilité des États parties à la CEDH pour d’éventuelles violations des dispositions de cette convention. Or, une telle clause ne figure pas dans la Charte. Ainsi que je l’ai déjà souligné plus haut, le seul critère conditionnant l’application de celle-ci, pour ce qui est de l’action des États membres, est inscrit à son article 51, paragraphe 1. En outre, si
ladite clause conditionne l’application de la CEDH, elle ne concerne en revanche pas le « sens » et la « portée » qu’il convient de donner à ses dispositions, auxquels se réfère l’article 52, paragraphe 3, de la Charte.
98. Deuxièmement, la référence, faite dans les explications relatives à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, aux « limitations » des droits prévus par celle-ci, doit être entendue dans le sens que le droit de l’Union ne saurait appliquer aux droits de la Charte qui correspondent à ceux de la CEDH des limitations qui ne seraient pas admises dans le système de celle-ci ( 31 ). En d’autres termes, cette disposition consacre la règle selon laquelle le droit de la CEDH prévaut dès lors qu’il
garantit une protection des droits fondamentaux à un niveau plus élevé.
99. Troisièmement, l’article 52, paragraphe 3, in fine de la Charte précise que l’équivalence de sens et de portée entre les droits de la Charte et les droits correspondants de la CEDH « ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ». Il s’ensuit que le niveau de protection assurée par la CEDH ne constitue qu’un seuil minimal, en deçà duquel l’Union ne saurait descendre, l’Union pouvant, en revanche, donner aux droits garantis par la Charte qui correspondent
à ceux de la CEDH une portée plus large ( 32 ). Or, l’argumentation du gouvernement belge revient, en substance, à affirmer que l’Union est tenue d’appliquer à ces droits les mêmes limitations que celles qui sont admises dans le système de la CEDH pour les droits garantis par cette convention. Manifestement, une telle thèse priverait la dernière phrase de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte de tout effet utile.
100. Quatrièmement, aucune limitation quant à la situation territoriale ou juridique des personnes visées à l’article 4 de la Charte ne peut être dégagée du libellé de cet article, qui est formulé en termes universels.
101. Enfin, l’interprétation proposée par le gouvernement belge procède d’une confusion entre la question de l’applicabilité de la Charte en tant que paramètre de la légalité des actes pris par un État membre au titre de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du code des visas et celle du contenu et de l’étendue des obligations qui incombent à cet État membre en vertu des dispositions de la Charte dans le traitement d’une demande de visa sous l’angle de cette disposition ( 33 ).
102. J’en viens, à ce stade, au second volet de la première question préjudicielle, par lequel la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser si l’expression « obligations internationales », qui figure à l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, vise les obligations auxquelles les États membres sont tenus au regard de la CEDH et de l’article 33 de la convention de Genève.
103. J’estime qu’il n’est pas utile pour la résolution du litige au principal que la Cour prenne position sur ce point. En effet, indépendamment de la signification et de la portée qu’il convient de donner à ladite expression, il n’est pas contestable que la CEDH et la convention de Genève constituent tant un paramètre d’interprétation du droit de l’Union en matière d’entrée, de séjour et d’asile qu’un paramètre de légalité de l’action des États membres dans la mise en œuvre de ce droit.
104. La juridiction de renvoi doute cependant de l’applicabilité tant de la CEDH que de la convention de Genève à la situation des requérants au principal, à défaut pour ces derniers de satisfaire au critère de territorialité qui conditionnerait l’application de ces deux textes ( 34 ). Dans leurs observations écrites, tant le gouvernement belge que la Commission soutiennent une telle inapplicabilité.
105. Les considérations exposées au cours de l’examen du premier volet de cette première question préjudicielle me conduisent à conclure que la Cour n’a pas non plus besoin de se prononcer sur ce point.
106. Il ressort en effet de ces considérations que, lorsqu’elles ont adopté les décisions litigieuses, les autorités belges étaient tenues de respecter les dispositions de la Charte, notamment, ses articles 4 et 18, évoqués par la juridiction de renvoi.
107. Étant donné que les articles 4 et 18 de la Charte garantissent une protection au moins équivalente à celle offerte par l’article 3 de la CEDH et par l’article 33 de la convention de Genève, il n’est pas nécessaire d’examiner si ces actes sont applicables à la situation des requérants au principal.
108. Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la première question préjudicielle posée par le Conseil du contentieux des étrangers que l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas doit être interprété en ce sens que l’expression « obligations internationales » qui figure dans le texte de cette disposition ne vise pas la Charte, mais que le respect de celle-ci s’impose aux États membres lorsqu’ils examinent, sur la base de cette disposition, une
demande de visa au soutien de laquelle sont invoquées des raisons humanitaires, ainsi que lorsqu’ils adoptent une décision à l’égard d’une telle demande.
Sur la seconde question préjudicielle
109. Par sa seconde question, tout en admettant que l’État membre sollicité pour délivrer un visa humanitaire en application de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas jouit d’une marge dans l’appréciation des circonstances de chaque affaire, la juridiction de renvoi se demande si, en présence d’une situation où il existe un risque avéré de violation de l’article 4 et/ou de l’article 18 de la Charte, cet État membre ne serait pas tenu de délivrer ledit visa. Elle se demande aussi si
l’existence d’attaches entre la personne qui sollicite l’application de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas et l’État membre saisi (par exemple, liens familiaux, familles d’accueil, garants et sponsors, etc.) a une incidence sur la réponse à cette question.
110. Pour les raisons qui seront exposées ci-après, j’estime qu’il y a lieu de répondre de manière positive à cette question, indépendamment de l’existence ou non d’attaches entre la personne et l’État membre sollicité.
111. Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, un visa à validité territoriale limitée est délivré à titre exceptionnel lorsque, pour des raisons humanitaires, un État membre estime nécessaire de déroger au principe du respect des conditions d’entrée prévues à l’article 6, paragraphe 1, points a), c), d) et e), du code frontières Schengen ( 35 ).
112. Comme je l’ai déjà indiqué, le gouvernement belge soutient que cette disposition ne permet, a priori, que de déroger, en substance, aux motifs de refus de visa repris à l’article 32, paragraphe 1, sous a), i), ii), iii) et vi), du code des visas et non aux motifs énumérés à l’article 32, paragraphe 1, sous b), de ce code. Il en déduit que l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas ne saurait permettre la délivrance d’un visa territorialement limité à des ressortissants qui n’ont pas
l’intention de quitter son territoire avant l’expiration du visa demandé.
113. Cette objection doit, à mon sens, être rejetée.
114. Comme le concède le gouvernement belge, il résulte du libellé de l’article 32, paragraphe 1, du code des visas que cette disposition s’applique « sans préjudice » de l’article 25, paragraphe 1, de ce code. Par conséquent, le motif de refus d’un visa, indiqué à l’article 32, paragraphe 1, sous b), du code des visas, ne fait lui-même pas obstacle à ce qu’un État membre applique l’article 25, paragraphe 1, du code des visas.
115. Cela est logique. L’article 32, paragraphe 1, sous b), du code des visas concerne le cas de refus de délivrer un visa lorsqu’il existe « des doutes raisonnables sur l’authenticité des documents justificatifs présentés par le demandeur ou sur la véracité de leur contenu, sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l’expiration du visa demandé ». Or, il n’est point besoin d’indiquer explicitement que
l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas permet de déroger à un cas de refus de délivrance d’un visa qui serait fondé sur « des doutes raisonnables sur l’authenticité des documents justificatifs » lorsque cet article autorise déjà expressément un État membre à délivrer un visa territorialement limité dans le cas où le demandeur n’est même pas en possession d’un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière [condition de l’article 6,
paragraphe 1, sous a), du code frontières Schengen]. De même, si un État membre est habilité à appliquer l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas alors même que le ressortissant du pays tiers concerné ne justifie aucunement l’objet et les conditions du séjour envisagé [voir la condition de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du code frontières Schengen et motif de refus visé à l’article 32, paragraphe 1, sous a), ii)], ou alors même que le ressortissant est notamment considéré
comme constituant une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique [voir la condition de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du code frontières Schengen et motif de refus visé à l’article 32, paragraphe 1, sous a), vi)], je ne vois aucune raison pour laquelle il aurait été nécessaire d’indiquer dans cet article que cette dérogation comprend également les cas où il existe des « doutes raisonnables » sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter
le territoire des États membres avant l’expiration du visa demandé. Il s’agit, en définitive, de l’application de l’adage « qui peut le plus, peut le moins ».
116. Toujours dans cette logique, il importe aussi de faire remarquer que, en vertu de l’article 32, paragraphe 1, du code des visas, un État membre peut faire application de l’article 25, paragraphe 1, de ce code nonobstant le motif de refus exposé à l’article 32, paragraphe 1, sous a), iv), dudit code, c’est-à-dire nonobstant la circonstance que la personne concernée a déjà séjourné sur le territoire des États membres pendant 90 jours au cours d’une période de 180 jours. Si les États membres sont
autorisés à appliquer l’article 25, paragraphe 1, du code des visas dans un cas de figure où la personne a déjà séjourné au-delà de 90 jours au cours d’une période de 180 jours, ils doivent à plus forte raison être habilités à délivrer un visa à validité territoriale limitée à un ressortissant d’un pays tiers pour lequel il existe des doutes raisonnables sur sa volonté de quitter le territoire avant l’expiration du visa.
117. Comme je l’ai déjà souligné, cela ne change pas la nature du visa délivré, qui demeure un visa de court séjour, conformément au code des visas ( 36 ). Ce visa ne confère pas un droit d’entrée irrévocable, comme l’indique l’article 30 du code des visas.
118. De surcroît, la Commission admet elle-même dans son Manuel relatif au traitement des demandes de visa et à la modification des visas délivrés ( 37 ) que l’article 25, paragraphe 1, du code des visas constitue la base juridique qui autorise les États membres, au cours d’une même période de 180 jours, à délivrer un visa à validité territoriale limitée de 90 jours à la suite de la délivrance d’un visa uniforme et donc à atténuer l’application rigoureuse des motifs de refus prévus à l’article 32,
paragraphe 1, du code des visas.
119. Par conséquent, l’article 25, paragraphe 1, du code des visas permet aux États membres, dans les conditions précises qu’il détermine, à savoir, notamment, pour des raisons humanitaires, d’écarter l’ensemble des motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1, sous a) et b), de ce code. L’intention du législateur de l’Union, telle qu’elle se reflète dans ces dispositions, est claire. L’expression « sans préjudice de l’article 25, paragraphe 1 », figurant à l’article 32 du code des visas ne
peut avoir qu’une seule signification, à savoir celle, précisément, d’autoriser l’application de l’article 25, paragraphe 1, sous a), de ce code et donc la délivrance d’un visa à validité territoriale limitée, nonobstant les motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1, sous a) et b), dudit code.
120. Cela étant précisé, il convient à présent de se demander si l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas doit être interprété en ce sens qu’il ne prévoit qu’une simple faculté pour les États membres d’écarter les motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1, sous a) et b), du code des visas ou si, dans certaines circonstances, il peut aller jusqu’à leur imposer une telle mesure et, partant, les conduire à délivrer un visa à validité territoriale limitée pour des raisons
humanitaires.
121. Pour les raisons que j’exposerai ci-après, je suis de l’avis que le droit de l’Union s’oppose à une interprétation de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas dans le sens qu’il ne confère aux États membres qu’une simple habilitation à délivrer de tels visas. Ma position se fonde tant sur le libellé et l’économie des dispositions du code des visas que sur la nécessité pour les États membres, dans l’exercice de leur marge d’appréciation, de respecter les droits garantis par la
Charte lorsqu’ils appliquent lesdites dispositions.
122. Il ressort de l’article 23, paragraphe 4, du code des visas que ce dernier règle de manière exhaustive les types d’actes qui doivent être adoptés lorsque les États membres sont saisis d’une demande de visa. Il s’agit, dans l’affaire au principal, soit d’une décision de délivrer un visa à validité territoriale limitée, conformément à l’article 25 de ce code, soit de refuser de délivrer un tel visa, conformément à l’article 32 dudit code.
123. Or, tout comme les décisions de refus de délivrer un visa doivent être adoptées dans le cadre institué par l’article 32 du code des visas ( 38 ), les décisions de délivrer un visa à validité territoriale limitée doivent être prises dans celui institué par l’article 25, paragraphe 1, de ce code.
124. Il en résulte, également à la lumière de l’articulation de l’article 25, paragraphe 1, et de l’article 32, paragraphe 1, du code des visas que j’ai mise en exergue plus haut, qu’un État membre, sollicité par un ressortissant d’un pays tiers afin de lui délivrer un visa à validité territoriale limitée pour des raisons humanitaires, ne saurait s’exonérer de l’obligation d’examiner les raisons invoquées susceptibles d’écarter l’application des motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1,
du code des visas.
125. Cette interprétation est corroborée par le libellé de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas qui précise que le visa à validité territoriale limitée « est délivré » lorsque les conditions de cette disposition sont satisfaites. Dans cette hypothèse, l’emploi du verbe être au présent de l’indicatif, que l’on retrouve dans les autres versions linguistiques de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas ( 39 ), commande à l’État membre d’accorder le visa à validité territoriale limitée
sollicité.
126. À ce stade du raisonnement, il me paraît donc évident que le code des visas impose, au minimum, à un État membre d’examiner les raisons humanitaires qui sont invoquées par un ressortissant d’un pays tiers pour écarter l’application des motifs de refus visés à l’article 32, paragraphe 1, du code des visas et visant à lui accorder le bénéfice de l’application de l’article 25, paragraphe 1, sous a), de ce code.
127. Si, à l’issue de cet examen, l’État membre estime que ces raisons sont fondées, le code des visas exige qu’il délivre à ce ressortissant un visa à validité territoriale limitée.
128. Certes, il ne saurait être nié que, au vu du libellé de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, l’État membre sollicité conserve une marge d’appréciation des raisons humanitaires qui rendent nécessaires d’écarter l’application des motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1, du code des visas, et, partant, de délivrer le visa à validité territoriale limitée.
129. Toutefois, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ( 40 ), s’inscrivant dans le champ d’application des dispositions du code des visas, cette marge d’appréciation est nécessairement encadrée par le droit de l’Union.
130. D’une part, la définition et la portée de l’expression même « raisons humanitaires » ne peuvent, selon moi, être laissées à l’entière discrétion des États membres. Bien que non définie par le code des visas, il s’agit d’une notion de droit de l’Union, puisqu’aucun renvoi n’est opéré par l’article 25, paragraphe 1, de ce code au droit national des États membres. Par ailleurs, le fait que le visa délivré au titre de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas soit, en principe, uniquement
valable sur le territoire de l’État membre de délivrance ( 41 ) ne signifie pas que les raisons humanitaires doivent être exclusives à cet État membre. L’expression « raisons humanitaires », il faut l’admettre, est très large et, en particulier, ne saurait, à mes yeux, être limitée à des cas d’assistance médicale ou sanitaire du ressortissant du pays tiers concerné ou d’un proche de celui-ci, du type de ceux exposés dans les décisions litigieuses dans l’affaire au principal et évoqués par le
gouvernement belge lors de l’audience devant la Cour. Le libellé de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas ne supporte pas une telle interprétation et ce serait faire preuve d’une extrême étroitesse d’esprit que de réduire les raisons humanitaires à un état de santé précaire ou à la maladie. Sans prétendre définir de telles raisons dans le cadre des présentes conclusions, j’estime, à ce stade, qu’il ne fait, de toute manière, pas l’ombre d’un doute que les motifs exposés par les
requérants au principal devant les autorités belges, relatifs à la nécessité d’échapper au conflit armé et à la violence aveugle sévissant en Syrie, en particulier dans la ville d’Alep et d’être soustraits aux actes allégués de torture et de persécution, notamment en raison de leur appartenance à une minorité religieuse, relèvent du champ d’application des raisons humanitaires, également au sens de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas. Si tel ne devait pas être le cas, cette
expression serait privée de tout sens. Au demeurant, si l’on devait souscrire à la thèse « minimaliste » du gouvernement belge, cela aboutirait à la conséquence paradoxale que plus les raisons humanitaires sont criantes, moins elles relèvent du champ d’application de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas.
131. D’autre part, comme je l’ai précisé plus haut, lorsqu’un État membre est amené à adopter une décision en vue de refuser de délivrer un visa à validité territoriale limitée au motif que les raisons humanitaires exposées par l’intéressé ne nécessitent pas d’écarter les motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1, du code des visas, cet État membre met indubitablement en œuvre le droit de l’Union. La marge d’appréciation de l’État membre sollicité doit donc s’exercer dans le respect des
droits garantis par la Charte.
132. Autrement dit, pour demeurer dans les limites de sa marge d’appréciation, l’État membre sollicité doit arriver à la conclusion que, en refusant de faire droit à l’application de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, en dépit des raisons humanitaires qui sont exposées par le ressortissant du pays tiers concerné, il ne viole pas les droits énoncés dans la Charte. Si l’État membre arrive à la conclusion inverse, il doit écarter les motifs de refus énumérés à l’article 32,
paragraphe 1, du code des visas et délivrer le visa à validité territoriale limitée, conformément à l’article 25, paragraphe 1, sous a), de ce code.
133. L’exigence du respect des droits garantis par la Charte ne pose en principe aucun problème particulier lorsque l’État membre décide d’activer la procédure prévue à l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas au vu des raisons humanitaires de la situation sur laquelle il doit statuer.
134. Il peut en aller différemment dans l’hypothèse du refus d’accorder le visa et, par conséquent, de l’application d’un ou de plusieurs motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1, du code des visas.
135. Dans ce cas de figure, il s’agit de déterminer si l’absence ou le refus de prise en considération des raisons humanitaires propres à une situation déterminée ou le refus de délivrer un visa à validité territoriale limitée entraîne la méconnaissance par l’État membre de ses obligations en vertu de la Charte.
136. Il convient d’insister sur le fait que cette exigence ne prive pas l’État membre de toute marge d’appréciation. Ainsi, il me paraît exclu que le refus de faire droit à une demande d’assister aux funérailles d’un proche décédé sur le territoire d’un État membre, aussi douloureux soit-il pour l’intéressé, puisse entraîner une violation d’un droit garanti par la Charte.
137. Il en va autrement, à mes yeux, si, eu égard aux circonstances et aux raisons humanitaires en cause, le refus de délivrer le visa conduit à exposer le demandeur à un risque réel de violation des droits consacrés par la Charte, tout particulièrement des droits revêtant un caractère absolu, tels que ceux relatifs à la dignité humaine (article 1er de la Charte), au droit à la vie (article 2 de la Charte), à l’intégrité de la personne (article 3 de la Charte) et à l’interdiction de la torture et
des traitements inhumains ou dégradants (article 4 de la Charte) ( 42 ) et, qui plus est, lorsque ces droits risquent d’être violés à l’égard de personnes particulièrement vulnérables, telles que des enfants mineurs en bas âge dont les intérêts supérieurs doivent être une considération primordiale dans tous les actes accomplis par des autorités publiques, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte. Je rappelle d’ailleurs à cet égard que, dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a.
(C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 94 à 98), portant sur la détermination de l’État membre responsable du traitement d’une demande d’asile, la Cour a déjà admis qu’une simple faculté au profit d’un État membre, prévue par un acte de droit dérivé de l’Union, puisse se transformer en une véritable obligation dans le chef de ce même État membre afin de garantir le respect de l’article 4 de la Charte.
138. Si l’on se borne donc à l’examen de l’article 4 de la Charte, spécifiquement visé dans la seconde question déférée par la juridiction de renvoi, il importe de rappeler, comme je l’ai fait plus haut, que le droit figurant dans cet article correspond à celui qui est garanti par l’article 3 de la CEDH, dont le libellé est identique ( 43 ). Ces deux dispositions consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses États membres, raison pour laquelle elles interdisent, en toutes
circonstances, la torture, les peines et les traitements inhumains ou dégradants ( 44 ). Il s’ensuit que l’interdiction prévue à l’article 4 de la Charte s’applique même dans les circonstances les plus difficiles, comme la lutte contre le terrorisme et le crime organisé ( 45 ), ou face aux pressions d’un flux croissant de migrants et de personnes en quête de protection internationale vers le territoire des États membres, dans un contexte également marqué par la crise économique ( 46 ).
139. Par analogie avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme portant sur l’article 3 de la CEDH, l’article 4 de la Charte impose aux États membres, lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, non seulement une obligation négative à l’égard des personnes, c’est-à-dire qu’il leur interdit de recourir à la torture et aux traitements inhumains ou dégradants, mais également une obligation positive, c’est-à-dire qu’il leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que
ces personnes ne soient soumises à la torture et aux traitements inhumains ou dégradants, notamment lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables, y compris lorsque ces mauvais traitements sont administrés par des particuliers ( 47 ). La responsabilité d’un État membre peut donc se trouver engagée notamment lorsque ses propres autorités n’ont pas pris de mesures raisonnables pour empêcher la matérialisation d’un risque de torture ou de traitements inhumains ou dégradants, dont elles avaient ou
auraient dû avoir connaissance ( 48 ). Dans ses arrêts du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 94, 106 et 113), et du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 90 et 94), la Cour a déjà jugé que, à l’instar de l’article 3 de la CEDH, l’article 4 de la Charte fait peser une obligation positive sur les États membres dans certaines circonstances.
140. Dans l’examen de la question de savoir si un État a manqué à son obligation positive d’adopter des mesures raisonnables pour éviter d’exposer une personne à un risque réel de traitements prohibés par l’article 4 de la Charte, il y a lieu, à mon sens, de vérifier, par analogie avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 3 de la CEDH, quelles sont les conséquences prévisibles de cette omission ou de ce refus d’agir à l’égard de la personne concernée ( 49
). Dans ce contexte, et au vu des actes sollicités dans l’affaire au principal, il importe de tenir compte de la situation générale du pays d’origine de la personne concernée et/ou de celle du pays dans lequel cette personne serait amenée à rester ainsi que des circonstances propres au cas de l’intéressé ( 50 ). Si l’examen de ces situations et de ces circonstances à l’aune de l’article 4 de la Charte est inévitable afin de déterminer si, dans un cas précis, l’État membre n’a pas failli à
l’obligation positive que lui impose l’interdiction prévue à cet article, il ne s’agit pas en revanche de constater ou de prouver la responsabilité des pays tiers concernés ou des groupes ou autres entités agissant dans ces pays à l’aune du droit international général ou à un autre titre ( 51 ).
141. En contrôlant l’existence du risque d’exposer une personne à des traitements interdits par l’article 4 de la Charte qui résulte de l’omission ou du refus d’un État membre de prendre des mesures raisonnables dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, j’estime que la Cour doit s’appuyer sur les éléments fournis par la juridiction de renvoi et se référer prioritairement aux faits dont l’État membre avait ou aurait dû avoir connaissance au moment où il a décidé d’appliquer les motifs
de refus prévus à l’article 32, paragraphe 1, du code des visas, des renseignements ultérieurs pouvant, le cas échéant, confirmer ou infirmer la manière dont l’État membre a jugé du bien-fondé des craintes de l’intéressé ( 52 ).
142. L’article 267 TFUE reposant sur une répartition des compétences entre la juridiction de renvoi et la Cour, c’est à la première qu’il appartient aussi de vérifier les éléments dont disposait ou dont aurait dû avoir connaissance l’État belge au moment d’adopter les décisions litigieuses. Pour cela, et afin d’examiner la situation générale du pays d’origine ou du pays dans lequel l’intéressé serait amené à rester et le risque réel encouru par celui-ci, j’estime que cette juridiction doit attacher
de l’importance aux informations provenant de sources fiables et objectives, comme les institutions de l’Union, les organes et les agences des Nations unies ou les sources gouvernementales ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG) réputées pour leur sérieux, en particulier les informations contenues dans les rapports récents provenant d’associations internationales indépendantes de défense des droits de l’homme telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch ( 53 ). Afin
d’apprécier la fiabilité de ces rapports, les critères pertinents sont l’autorité et la réputation de leurs auteurs, le sérieux des enquêtes à leur origine, la cohérence de leurs conclusions et leur confirmation par d’autres sources ( 54 ).
143. Il convient cependant, selon moi, de tenir compte des nombreuses difficultés auxquelles se heurtent les gouvernements et les ONG pour recueillir des informations dans des situations dangereuses et instables. Il n’est pas toujours possible de mener des enquêtes au plus près d’un conflit. En pareil cas, il peut être nécessaire de s’appuyer sur des informations fournies par des sources ayant une connaissance directe de la situation ( 55 ), à l’instar des envoyés d’organes de presse.
144. Sans priver la juridiction de renvoi de sa tâche d’examiner plus en détail ces informations au regard des sources fiables et objectives susmentionnées, il me paraît important ‐ au vu du caractère notoire de certains faits et du caractère facilement accessible d’un grand nombre de sources portant sur la situation en Syrie, sur celle de la population syrienne ainsi que sur celle des pays limitrophes de cet État et afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile et rapide ainsi que
d’éclairer la Cour sur l’orientation de son arrêt à intervenir ‐ de mettre en évidence les principaux éléments dont avait ou aurait dû avoir connaissance l’État belge au moment d’adopter les décisions litigieuses ( 56 ).
145. Il ressort tout d’abord de la décision de renvoi elle-même que l’État belge n’a aucunement contesté la description étayée faite par les requérants au principal de la violence aveugle de grande intensité sévissant en Syrie, des exactions et des graves violations des droits de l’homme commises dans ce pays et, en particulier à Alep, ville d’où ils sont originaires. Les autorités belges compétentes ne pouvaient assurément ignorer le caractère apocalyptique, ou « catastrophique » ? selon
l’expression utilisée dans les décisions litigieuses ? de la situation générale en Syrie, d’autant plus que, comme l’ont également relevé les requérants au principal devant la juridiction de renvoi, cette dernière avait déjà mis en exergue, antérieurement à l’adoption des décisions litigieuses, qu’il était de « notoriété publique » que la situation sécuritaire en Syrie était dramatique au vu de l’ensemble des éléments alarmants évoqués devant elle ( 57 ).
146. Le caractère notoire du drame humanitaire et de la situation apocalyptique vécus par la population civile en Syrie, s’il est encore nécessaire de le démontrer, est corroboré par de multiples renseignements et documents officiels. Ainsi, dans un document diffusé au mois de septembre 2016 ( 58 ), soit environ un mois avant l’adoption des décisions litigieuses, la Commission relevait elle-même que le conflit syrien avait « déclenché la plus grande crise humanitaire au monde depuis la [seconde]
guerre mondiale » et notait que la situation humanitaire continuait de se dégrader en Syrie étant donné l’intensification des combats, l’aggravation des violences, le non-respect généralisé des normes de droit international et les graves violations des droits de l’homme. La Commission déplorait également l’extrême vulnérabilité de la population syrienne, les civils étant les premières victimes de pratiques devenues « monnaie courante », tels que « viols et autres violences sexuelles,
disparitions forcées, déplacements sous la contrainte, recrutement d’enfants soldats, exécutions sommaires et bombardements [les] ciblant délibérément ». De surcroît, s’agissant d’Alep, la Commission relevait que l’intensité des bombardements et des affrontements avait fait d’innombrables victimes civiles et laissait plus de deux millions de personnes sans eau ni électricité, dans la crainte d’être assiégées et soumises à de continuelles frappes aériennes.
147. Quelques semaines plus tard, le Conseil de sécurité des Nations unies se disait « alarmé par le fait que la situation humanitaire désastreuse dans la ville d’Alep continu[ait] de se détériorer» ( 59 ), indigné « devant l’escalade de la violence, qui a atteint un niveau inacceptable et devant la mort […] de dizaines de milliers d’enfants » et « profondément affligé par la détérioration constante de la situation humanitaire effroyable que connaît la Syrie et le nombre de personnes ayant besoin
d’une aide humanitaire d’urgence, notamment une assistance médicale» ( 60 ). Le Conseil de sécurité des Nations unies insistait aussi sur la nécessité de « mettre fin aux attaques visant des civils et des installations civiles, en particulier les attaques contre les écoles et des installations médicales, […] les bombardements aveugles au mortier, les attentats à la voiture piégée, les attentats-suicides […], le fait d’affamer des civils comme méthode de combat, y compris en faisant le siège de
zones habitées, et le recours généralisé à la torture, aux mauvais traitements, aux exécutions arbitraires, […] aux disparitions forcées, à la violence sexuelle […] ainsi qu’aux violences et exactions graves commises sur la personne d’enfants» ( 61 ).
148. Ensuite, au moment où l’État belge devait adopter les décisions litigieuses, les autorités belges étaient non seulement informées de la situation générale d’extrême vulnérabilité des civils syriens décrite ci‑dessus, mais ne pouvait raisonnablement ignorer, comme cela ressort du dossier de l’affaire au principal, les circonstances propres des requérants au principal. En effet, il est constant que les requérants au principal a) résidaient tous les cinq dans la ville assiégée d’Alep ( 62 ), dont
trois d’entre eux sont des enfants en bas âge, l’aîné de la fratrie n’ayant que dix ans, b) qu’ils sont de confession chrétienne, les enfants ayant été baptisés selon le rite chrétien orthodoxe, et que, partant, ils appartiennent à un groupe de personnes dont il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il est et a été pris pour cible, sinon persécuté, par différents groupes armés en Syrie ( 63 ) et c) qu’ils ont présenté des pièces au soutien de leur demande de visa, non contestées
devant la juridiction de renvoi, venant concrètement étayer le fait que la famille a été victime de différents actes de violence commis par des groupes armés agissant à Alep, notamment que le père de la famille a fait l’objet d’un enlèvement par un de ces groupes armés, au cours duquel il a été battu et torturé, avant d’être finalement libéré contre rançon.
149. Au regard de ces éléments, il est indéniable que les requérants au principal étaient exposés en Syrie, à tout le moins, à des risques réels de traitements inhumains d’une extrême gravité relevant clairement du champ d’application de l’interdiction prévue à l’article 4 de la Charte.
150. De plus, en adoptant les décisions litigieuses, l’État belge savait ou aurait dû savoir que les conséquences prévisibles de ces décisions ne laissaient aux requérants au principal que le choix entre s’exposer aux dangers, aux souffrances et aux traitements inhumains évoqués précédemment, susceptibles même de conduire à leur décès, ou se soumettre à d’autres types de traitements équivalents, en tentant de rejoindre illégalement le territoire d’un État membre pour y déposer leur demande de
protection internationale. En effet, il est parfaitement documenté que les ressortissants syriens, dont ceux en quête de protection internationale, qui arrivent, en désespoir de cause, à monnayer ( 64 ) avec l’aide des passeurs sans scrupules une traversée maritime vers l’Union au péril de leur vie sont, s’ils ne décèdent pas par noyade ou pour d’autres motifs, battus, violentés et/ou laissés à l’abandon dans des embarcations de fortune à la dérive ( 65 ) jusqu’à ce qu’ils soient, dans le
meilleur des cas, recueillis par des garde-côtes ou par des ONG affrétant des navires de recherche et de sauvetage en mer ( 66 ).
151. Il ne fait, à mes yeux, aucun doute que de tels traitements sont prohibés par l’article 4 de la Charte.
152. Partant, il existait des motifs sérieux de croire que le refus de la part de l’État belge de délivrer un visa à validité territoriale limitée inciterait directement les requérants au principal, à défaut de rester en Syrie, à devoir s’exposer, en désespoir de cause, à des souffrances physiques et morales au péril de leur vie afin d’exercer le droit à la protection internationale qu’ils ont réclamée ( 67 ). Qu’un État membre puisse, dans de telles circonstances, s’abstenir de prendre les mesures
en son pouvoir visant à éviter d’exposer des ressortissants d’un pays tiers en quête de protection internationale à de tels risques constitue également, selon moi, une violation de l’article 4 de la Charte.
153. Dans les circonstances de l’affaire au principal, cette appréciation ne me paraît aucunement pouvoir être infirmée par l’argument selon lequel les requérants au principal auraient pu trouver refuge au Liban, pays limitrophe de la Syrie, où se situait le consulat du Royaume de Belgique auprès duquel ils ont sollicité l’application de l’article 25, paragraphe 1, du code des visas.
154. Certes, depuis le début du conflit en Syrie, plus d’un million de syriens ont été enregistrés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en tant que réfugiés au Liban ( 68 ). Cependant, au mois de mai 2015, le gouvernement libanais a notifié au HCR que l’enregistrement de nouveaux réfugiés syriens devait être suspendu ( 69 ). Cette suspension était encore applicable au moment où l’État belge devait adopter les décisions litigieuses, comme les requérants au principal
l’ont rappelé devant la juridiction de renvoi. La République libanaise n’est pas partie contractante à la convention de Genève ( 70 ) et les nouveaux réfugiés non enregistrés, privés de la possibilité d’obtenir le statut de demandeur d’asile dans ce pays, couraient le risque d’être arrêtés et détenus pour séjour illégal ( 71 ), comme l’ont d’ailleurs soutenu les requérants au principal tant devant la juridiction de renvoi que devant la Cour. La situation de ce groupe de personnes, auquel
étaient donc susceptibles d’appartenir les requérants au principal s’ils rejoignaient le Liban en violation de la législation de ce pays, se trouve dès lors dans une précarité supérieure à celle des réfugiés enregistrés, qui vivent très souvent dans des abris rudimentaires, comme des garages ou de simples tentes, dans un pays où il n’existe aucun camp officiel ( 72 ), et dont l’accès à la nourriture et à l’eau, aux soins de santé, ainsi qu’à l’éducation est déjà extrêmement difficile sinon
précaire ( 73 ). En outre, la presse internationale et plusieurs ONG ont fait état durant l’année 2016 d’actes répétés de violences à l’égard des réfugiés syriens résultant notamment des tensions croissantes avec la population locale, particulièrement dans les régions les plus pauvres du pays ( 74 ). Certains observateurs des droits de l’homme soulignaient même dans le courant de l’année 2016 que la situation dans l’ensemble des pays d’accueil limitrophes de la Syrie était devenue tellement
intenable que de nombreux syriens retournaient en Syrie au péril de leur vie, y compris dans des zones où les combats continuaient de faire rage ( 75 ). Enfin, s’agissant plus particulièrement de la situation des chrétiens, comme les requérants au principal, des représentants d’organisations intergouvernementales et d’ONG se sont fait l’écho des craintes d’ostracisme, d’intimidation et de violences graves à l’égard de cette minorité religieuse tant au Liban que dans d’autres pays limitrophes,
comme la Jordanie, y compris au sein même des camps de réfugiés ( 76 ).
155. Au vu de ces circonstances, que l’État belge connaissait ou aurait dû connaître au moment d’adopter les décisions litigieuses, cet État membre ne pouvait donc pas invoquer un hypothétique argument selon lequel aucune obligation de délivrer un visa à validité territoriale limitée n’aurait pesé sur lui au motif que les requérants au principal auraient pu exercer leur droit à solliciter et à obtenir une protection internationale au Liban. Il apparaît clairement à mes yeux qu’un tel droit ne
pouvait concrètement et effectivement être exercé dans ce pays par des syriens ayant fui la Syrie après le mois de mai 2015. Partant, à supposer même que l’État belge eut excipé de la possibilité pour les requérants au principal de se rendre au Liban, je considère que, au vu des informations disponibles sur la situation dans ce pays, l’État belge n’aurait pas pu conclure qu’il était exonéré de satisfaire à son obligation positive en vertu de l’article 4 de la Charte ( 77 ).
156. Au moment d’adopter les décisions litigieuses, l’État belge aurait donc dû arriver à la conclusion que, en refusant de reconnaître la nécessité de délivrer un visa à validité territoriale limitée pour les raisons humanitaires invoquées par les requérants au principal et en appliquant les motifs de refus énumérés à l’article 32, paragraphe 1, du code des visas, il existait des raisons particulièrement sérieuses et avérées de penser qu’il exposait les requérants au principal à un risque réel de
subir des traitements interdits par l’article 4 de la Charte.
157. En effet, pour être parfaitement clair, de quelles alternatives disposaient les requérants au principal ? Rester en Syrie ? Inconcevable. S’en remettre à des passeurs sans scrupules au péril de leur vie pour tenter d’accoster en Italie ou de rallier la Grèce ? Intolérable. Se résigner à devenir des réfugiés illégaux au Liban, sans perspective de protection internationale, courant même le risque d’être refoulés vers la Syrie ? Inadmissible.
158. Pour paraphraser la Cour européenne des droits de l’homme, la Charte a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ( 78 ).
159. Or, il est indéniable, au vu des informations contenues dans le dossier au principal, que les requérants au principal auraient obtenu la protection internationale qu’ils sollicitent s’ils étaient parvenus à surmonter les obstacles d’un voyage illégal, aussi dangereux qu’épuisant, et arriver malgré tout à rejoindre la Belgique ( 79 ). Le refus de délivrer le visa sollicité a donc pour conséquence directe d’inciter les requérants au principal à mettre en péril leur vie, et celle de leurs trois
enfants en bas âge, pour exercer leur droit à une protection internationale.
160. Compte tenu du code des visas et des engagements souscrits par les États membres, cette conséquence est intolérable. Elle s’avère, à tout le moins, contraire au droit garanti par l’article 4 de la Charte ( 80 ).
161. Au vu du caractère absolu de ce droit, il est évident que l’absence d’attaches familiales ou d’autre nature des requérants au principal en Belgique est une circonstance qui est sans incidence sur la réponse qu’il convient de donner à la seconde question préjudicielle.
162. Tout en n’excluant pas que le refus opposé par les autorités belges aux requérants au principal viole également le droit consacré à l’article 18 de la Charte, j’estime, à la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question.
163. Partant, je propose que la Cour réponde à la seconde question déférée par la juridiction de renvoi de la manière suivante : l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas doit être interprété en ce sens que, eu égard aux circonstances de l’affaire au principal, l’État membre sollicité par un ressortissant d’un pays tiers afin de lui délivrer un visa à validité territoriale limitée au motif de l’existence de raisons humanitaires est tenu de délivrer un tel visa s’il existe des motifs
sérieux et avérés de croire que le refus de procéder à la délivrance de ce document conduira à la conséquence directe d’exposer ce ressortissant à subir des traitements prohibés par l’article 4 de la Charte, en le privant d’une voie légale pour exercer son droit de solliciter une protection internationale dans cet État membre.
164. Il va sans dire que cette proposition est mûrement réfléchie.
165. Tout d’abord, elle s’avère, à mes yeux, la seule qui soit digne des « valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine» ( 81 ) sur lesquelles repose la construction européenne et que défendent et promeuvent l’Union et ses États membres, tant sur leurs territoires que dans leurs relations avec les pays tiers ( 82 ). Dans sa jurisprudence, la Cour a largement contribué à renforcer ces valeurs, en se plaçant souvent dans un rôle de gardienne des
droits fondamentaux des personnes, tout particulièrement les plus vulnérables d’entre elles, y inclus les ressortissants de pays tiers nécessitant une protection internationale ( 83 ). Ces valeurs doivent avoir un sens, se concrétiser et guider l’application du droit de l’Union lorsque celui-ci offre les conditions de les honorer, comme c’est le cas en l’occurrence de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas. Il en va, à mes yeux, de la crédibilité de l’Union et de ses États
membres.
166. Une chose m’a frappé en relisant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme aux fins du traitement de la présente affaire : les constatations de cette juridiction relatives aux situations, toujours horribles et dramatiques, dans lesquelles la responsabilité d’un État partie à la CEDH a été retenue pour avoir manqué à ses obligations positives au titre de l’article 3 de la CEDH, sont systématiquement des constatations réalisées a posteriori, le plus souvent lorsque les
traitements en cause ont été fatals aux victimes. Cela est vraisemblablement lié, tout au moins en partie, à la nature de la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme et la nécessité, préalablement à sa saisine, d’épuiser les voies de recours internes. Toujours est-il que, dans ces affaires, les mesures de prévention n’ont jamais été adoptées et l’irréparable a malheureusement été commis.
167. Tout au contraire dans la présente affaire, et c’est bien évidemment l’une des raisons ayant conduit la Cour à enclencher la procédure préjudicielle d’urgence, tout espoir pour les requérants au principal n’est, à ce jour, pas perdu. La proposition que je viens de formuler à la Cour démontre d’ailleurs qu’il existe une voie humanitaire, dans le cadre du droit de l’Union, qui commande aux États membres de prévenir des violations manifestes des droits absolus des personnes en quête de protection
internationale avant qu’il ne soit trop tard.
168. La Cour a donc l’occasion non seulement de rappeler, je l’espère avec vigueur, le respect des valeurs humanitaires et des droits de l’homme que l’Union et ses États membres se sont engagés à honorer mais aussi et surtout d’offrir aux requérants au principal l’espoir d’être épargnés de souffrances et de traitements inhumains supplémentaires.
169. Cette orientation ne signifie pas, pour relayer l’argument de l’État belge exposé dans les décisions litigieuses, que les États membres soient contraints d’admettre sur leur territoire « toutes les personnes vivant une situation catastrophique », ce qui reviendrait à autoriser l’entrée de « toutes les populations en voie de développement, en guerre ou ravagés par des catastrophes naturelles ».
170. Il s’agit, au contraire et j’insiste, d’honorer, dans le sens le plus noble de ce terme, pour des motifs humanitaires incontestables, les obligations qui découlent de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas et de l’article 4 de la Charte, afin de permettre aux requérants au principal, dont, je le rappelle, trois enfants en bas âge, d’exercer leur droit à la protection internationale, à défaut de quoi ils seraient directement exposés à des traitements prohibés par l’article 4 de
la Charte, traitements que l’État membre en cause connaissait ou aurait dû connaître au moment d’adopter les décisions de ne pas délivrer le visa sollicité.
171. Certes, le cercle des personnes concernées peut s’avérer plus large qu’il ne l’est actuellement dans la pratique des États membres. Cet argument est cependant dénué de pertinence au regard de l’obligation de respecter, en toutes circonstances, les droits fondamentaux à caractère absolu, dont celui visé à l’article 4 de la Charte. Le caractère exceptionnel d’une procédure n’est pas, du point de vue des principes, antinomique avec un afflux, même important, d’individus. La directive 2001/55/CE du
Conseil, du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil ( 84 ), en fournit l’illustration. Le mécanisme que cet acte instaure constitue en effet également une procédure « de caractère exceptionnel » visant à assurer aux personnes
fuyant des zones de conflit armé ou victimes de violations systématiques ou généralisées des droits de l’homme, une protection immédiate et temporaire sur le territoire des États membres ( 85 ).
172. De surcroît, le spectre, avancé par un grand nombre de gouvernements ayant participé à l’audience devant la Cour, d’un engorgement des représentations consulaires des États membres face à un flot incontrôlable de demandes de visas humanitaires qui seraient déposées sur la base du code des visas doit, à mon sens, être nuancé. Outre que cet argument n’est de toute évidence pas de nature juridique, les obstacles pratiques au dépôt de telles demandes ne doivent certainement pas être sous-estimés,
même si je ne les cautionne pas. La situation des requérants au principal en constitue également une illustration remarquable. Ces derniers ont en effet dû obtenir un rendez‑vous au consulat du Royaume de Belgique au Liban, condition sine qua non pour se voir accorder un sauf-conduit de 48 heures sur le territoire libanais après le mois de mai 2015 ( 86 ), parcourir plusieurs centaines de kilomètres dans un pays en guerre et dans le chaos pour se rendre à Beyrouth et se présenter en personne
audit consulat, afin de satisfaire à l’exigence de ce dernier ( 87 ) et, enfin, retourner en Syrie dans l’attente de la décision des autorités belges ! Par ailleurs, s’il est fort probable que les requérants au principal se sont adressés au consulat du Royaume de Belgique à Beyrouth après avoir pris connaissance de l’opération très médiatisée au cours de laquelle, en été 2015, plusieurs centaines de ressortissants syriens, de confession chrétienne et originaires d’Alep, s’étaient vu délivrer un
visa à validité territoriale limitée par les autorités belges ( 88 ), le gouvernement belge n’a pas fait état d’un flux massif de demandes de ce type, engorgeant ses représentations diplomatiques dans les pays limitrophes de la Syrie, à la suite de cette opération.
173. Ensuite, la proposition que j’ai formulée au point 163 des présentes conclusions est également totalement cohérente avec les objectifs de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, la prévention de l’immigration clandestine et les réseaux de criminalité organisée ( 89 ). En effet, en offrant une voie légale d’accès à la protection internationale dans certaines circonstances, sous le contrôle des autorités des États membres, l’interprétation que j’ai défendue de l’article 25,
paragraphe 1, sous a), du code des visas permet, tout au moins en partie, d’éviter que les personnes en quête d’une telle protection, dont notamment les femmes et les enfants, soient happées et exploitées par les réseaux criminels de trafic et de traite des migrants ( 90 ). À l’inverse, comme je l’ai déjà mis en exergue, refuser de délivrer un visa à validité territoriale limitée dans les circonstances de l’affaire au principal, revient, en définitive, à inciter directement les requérants au
principal, pour qu’ils puissent réclamer le droit à la protection internationale sur le territoire d’un État membre, à confier leurs vies à ceux contre lesquels l’Union et ses États membres déploient actuellement, tout particulièrement en Méditerranée, de grands efforts opérationnels et financiers pour enrayer et démanteler les activités criminelles !
174. Enfin, l’interprétation ici défendue de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, assure, toute proportion gardée, le respect du « principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres », qui doit régir l’ensemble des politiques de l’Union relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration, conformément à l’article 80 TFUE ( 91 ). À cet égard, et pour ne m’en tenir qu’à un seul point, l’objection du gouvernement belge, selon
laquelle admettre qu’un État membre soit tenu dans certaines circonstances de délivrer un visa au titre de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas, reviendrait à autoriser une personne à choisir l’État membre dans lequel cette personne souhaite que sa demande de protection soit examinée, me paraît franchement déplacée. Dans des conditions extrêmes comme celles qu’ont à subir les requérants au principal, la faculté de choix de ces derniers est tout aussi limitée que celle qu’ont
les États membres du bassin méditerranéen de se transformer en pays sans littoral. En tout état de cause, l’argument du gouvernement belge ne saurait prévaloir sur le caractère absolu du droit garanti par l’article 4 de la Charte et l’obligation positive que celui-ci impose aux États membres.
175. Avant de conclure, permettez-moi de rappeler à votre attention combien le monde entier, en particulier chez nous, en Europe, s’est indigné et profondément ému de voir, il y a deux ans, le corps sans vie du petit Alan, échoué sur une plage, après que sa famille avait tenté, à l’aide de passeurs et d’une embarcation de fortune surchargée de réfugiés syriens, de rallier, par la Turquie, l’île grecque de Kos. Sur les quatre membres de sa famille, seul son père a réchappé du naufrage. Il est louable
et salutaire de s’indigner. Dans la présente affaire, la Cour a cependant l’occasion d’aller plus loin, comme je l’y invite, en consacrant la voie légale d’accès à la protection internationale qui résulte de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du code des visas. Que l’on ne se méprenne pas : ce n’est pas parce que l’émotion le dicte, mais parce que le droit de l’Union le commande.
Conclusion
176. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions déférées par le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) de la manière suivante :
« 1) L’article 25, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement et du Conseil, du 13 juillet 2009, établissant un code communautaire des visas, doit être interprété en ce sens que l’expression « obligations internationales » qui figure dans le texte de cette disposition ne vise pas la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Lorsqu’ils examinent, sur la base de l’article 25, paragraphe 1, sous a), du règlement no 810/2009, une demande de visa au soutien de
laquelle sont invoquées des raisons humanitaires et lorsqu’ils adoptent une décision à l’égard d’une telle demande, les États membres sont tenus au respect des dispositions de la charte des droits fondamentaux.
2) L’article 25, paragraphe 1, sous a), du règlement no 810/2009 doit être interprété en ce sens que l’État membre sollicité par un ressortissant d’un pays tiers afin de lui délivrer un visa à validité territoriale limitée au motif de l’existence de raisons humanitaires est tenu de délivrer un tel visa si, eu égard aux circonstances de l’espèce, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le refus de procéder à la délivrance de ce document conduira à la conséquence directe d’exposer ce
ressortissant à subir des traitements prohibés par l’article 4 de la charte des droits fondamentaux, en le privant d’une voie légale pour exercer son droit de demander une protection internationale dans cet État membre. L’absence d’attaches familiales ou d’autre nature d’un tel ressortissant avec l’État membre sollicité est sans incidence sur cette réponse ».
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) JO 2009, L 243, p. 1.
( 3 ) Voir Rapport du Parlement européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au code des visas de l’Union [COM(2014)164], document A8-0145/2016, du 22 avril 2016.
( 4 ) Dans l’exposé des motifs des amendements proposés par le Parlement relatifs aux « visas humanitaires », le rapporteur indique (p. 100) qu’il a choisi « d’adopter une démarche prudente et juridiquement sûre, qui consiste à renforcer et à développer des dispositions déjà présentes dans le texte » actuel du code des visas (italique ajouté par mes soins).
( 5 ) JO 2008, L 218, p. 60.
( 6 ) JO 2013, L 180, p. 60.
( 7 ) JO 2016, L 77, p. 1.
( 8 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2012, Vo (C‑83/12 PPU, EU:C:2012:202, point 36).
( 9 ) La partie de l’argumentation du gouvernement belge portant sur l’articulation entre l’article 25, paragraphe 1, et l’article 32 du code des visas sera abordée aux points 111 et suivants des présentes conclusions.
( 10 ) Il ne ressort cependant pas du dossier si les demandes des requérants au principal ont été considérées comme recevables « à titre dérogatoire »« pour des motifs humanitaires », en application de l’article 19, paragraphe 4, du code des visas.
( 11 ) Sur les rapports entre ces deux articles, voir points 111 et suivants des présentes conclusions.
( 12 ) Voir arrêts du 8 novembre 2012, Iida (C‑40/11, EU:C:2012:691, points 80 et 81) et du 8 mai 2013, Ymeraga e.a. (C‑87/12, EU:C:2013:291, point 42).
( 13 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77 et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34).
( 14 ) Directive du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12).
( 15 ) Voir arrêt du 8 mai 2013, Ymeraga e.a. (C‑87/12, EU:C:2013:291, points 24 à 33), dans lequel la Cour a constaté, d’une part, que la directive 2003/86 n’était pas applicable aux membres de la famille de M. Ymeraga en raison du fait que ce dernier était un ressortissant luxembourgeois et, d’autre part, que la directive 2004/38 ne leur était pas non plus applicable étant donné que M. Ymeraga n’avait pas exercé son droit à la libre circulation. Voir, également, arrêt du 8 novembre 2012, Iida
(C‑40/11, EU:C:2012:691, points 61 et 65), dans lequel la Cour a constaté que la directive 2004/38, invoquée par M. Iida afin d’obtenir une « carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union » sur la base du droit allemand, ne s’appliquait pas à sa situation, dès lors qu’il n’accompagnait ni ne rejoignait le membre de sa famille, citoyen de l’Union, ayant exercé sa liberté de circulation.
( 16 ) Règlement (CE) no 539/2001 du Conseil, du 15 mars 2001, fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (JO 2001, L 81, p. 1).
( 17 ) Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, et à la liste figurant à l’annexe I du règlement no 539/2001.
( 18 ) Voir arrêt du 19 décembre 2013, Koushkaki (C‑84/12, EU:C:2013:862, point 65).
( 19 ) À cet égard, je me borne à relever que, contrairement à ce que semble sous‑entendre ce gouvernement, les requérants au principal n’ont pas introduit des demandes d’asile diplomatique, qui échappent, aux termes de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2013/32, au champ d’application de celle-ci et à celui du régime d’asile européen commun. Ils contestent, en revanche, une violation de leur droit à l’asile, tel que garanti par l’article 18 de la Charte, en raison du refus d’entrée qui leur
a été opposé par les autorités belges, refus qui les prive d’une voie d’accès légale à la protection internationale octroyée conformément audit régime. Il n’est dès lors pas exclu que la situation des requérants au principal puisse être considérée comme étant rattachée au droit de l’Union également en raison de leur statut de bénéficiaires potentiels d’une telle protection.
( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 21).
( 21 ) Conformément au programme de La Haye : renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne (JO 2005, C 53, p. 1).Voir considérant 3 du code des visas.
( 22 ) Voir point 59 ci-dessus.
( 23 ) Voir en ce sens, également, arrêt du 26 septembre 2013, IBV & Cie (C‑195/12, EU:C:2013:598, points 48, 49 et 61).
( 24 ) Quant à la portée de l’harmonisation poursuivie avec le code des visas, voir arrêts du 10 avril 2012, Vo (C‑83/12 PPU, EU:C:2012:202, point 42) et du 19 décembre 2013, Koushkaki (C‑84/12, EU:C:2013:862, points 49 et 50).
( 25 ) Aux termes du considérant 29 du code des visas, ce code « respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la [CEDH] et par la [C]harte ».
( 26 ) Version consolidée fondée sur la décision de la Commission du 19 mars 2010, établissant le Manuel relatif au traitement des demandes de visa et à la modification des visas délivrés [C(2010) 1620 final] et les décisions d’exécution de la Commission du 4 août 2011, [C(2011) 5501 final] et du 29 avril 2014, C(2014) 2727. Ce manuel contient des instructions (lignes directrices, meilleures pratiques et recommandations) destinées au personnel consulaire et aux agents des autres autorités chargées
d’instruire les demandes de visa et de se prononcer sur celles-ci, ainsi qu’aux autorités chargées de modifier les visas délivrés.
( 27 ) Voir arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 21), et du 30 avril 2014, Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, point 34).
( 28 ) Il va sans dire que, si l’on respecte un tel parallélisme, il ne saurait être question d’une création par la Charte de nouvelles compétences en faveur de l’Union ou d’une modification des compétences existantes, au sens de l’article 51, paragraphe 2, de la Charte.
( 29 ) Sur l’interprétation de l’article 1er de la CEDH, voir, notamment, Cour EDH, 12 décembre 2001, Bankovic e. a. c. Belgique e. a. (CE:ECHR:2001:1212DEC005220799, points 61 et 67), Cour EDH, 29 mars 2010, Medvedyev e. a. c. France et Espagne (CE:ECHR:2010:00329JUD000339403, points 63 et 64), Cour EDH, 7 juillet 2011, Al-Skeini e. a. c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2011:0707JUD005572107), et Cour EDH, 23 février 2012 (version rectifiée le 16 novembre 2016), Hirsi Jamaa e. a. c. Italie
(CE:ECHR:2012:0223JUD002776509, point 72).
( 30 ) Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17). Conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, ces explications doivent être prises en considération en vue de l’interprétation de celle-ci. Voir, également, arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 47 et jurisprudence citée).
( 31 ) Les explications relatives à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte précisent que « le législateur, en fixant des limitations à ces droits, doit respecter les mêmes normes que celles fixées par le régime détaillé des limitations prévu dans la CEDH ».
( 32 ) Les explications relatives à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte précisent, à ce propos, que les limitations admises aux droits prévues par la CEDH « sont […] rendues applicables aux droits couverts par ce paragraphe, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne ».
( 33 ) Cette question sera examinée dans le cadre de l’analyse de la seconde question préjudicielle.
( 34 ) Le Conseil du contentieux des étrangers expose qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la notion de « juridiction » au sens de l’article 1er de la CEDH est principalement territoriale, le champ d’application de cette convention étant, sauf circonstances exceptionnelles, limité ratione loci aux territoires des États contractants [voir, notamment, Cour EDH, 12 décembre 2001, Bankovic e.a. c. Belgique e.a., (CE:ECHR:2001:1212DEC005220799, points 61
et 67), Cour EDH, 29 mars 2010, Medvedyev e.a. c. France et Espagne (CE:ECHR:2010:00329JUD000339403, points 63 et 64), Cour EDH, 7 juillet 2011, Al‑Skeini e.a. c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2011:0707JUD005572107), et Cour EDH, 23 février 2012 (version rectifiée le 16 novembre 2016), Hirsi Jamaa c. Italie (CE:ECHR:2012:0223JUD002776509, point 72)]. Une condition de territorialité s’appliquerait également, selon la juridiction de renvoi, à l’article 33 de la convention de Genève.
( 35 ) Fort logiquement, l’article 25, paragraphe 1, sous a), i), du code des visas ne se réfère pas à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du code frontières Schengen qui exige du ressortissant du pays tiers qu’il soit en possession d’un visa en cours de validité.
( 36 ) Voir points 49 à 51 des présentes conclusions.
( 37 ) Cité à la note en bas de page 26, point 9.1.2, p. 80.
( 38 ) Voir arrêt du 19 décembre 2013, Koushkaki (C‑84/12, EU:C:2013:862, point 37).
( 39 ) Voir, notamment, les versions de cet article en langues allemande (« wird […] erteilt »), espagnole (« [s]e expedirá »), italienne (« sono rilasciati »), portugaise (« é emitido »), finnoise (« myönnetään »), suédoise (« ska […] utfärdas ») et anglaise (« shall be issued »).
( 40 ) Voir points 82 et 83 des présentes conclusions.
( 41 ) Je rappelle que, conformément à l’article 25, paragraphe 2, du code des visas, ce visa peut aussi, à titre exceptionnel, être reconnu comme étant valable pour le territoire d’un ou de plusieurs autres États membres.
( 42 ) Le caractère absolu du droit consacré à l’article 4 de la Charte, qui est étroitement lié à celui du respect de la dignité humaine, a été rappelé par la Cour. Voir, en ce sens, arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 85) et du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 56).
( 43 ) Voir, en ce sens, les explications relatives à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17) ainsi que arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 86).
( 44 ) Arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 87).
( 45 ) Voir arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 87), ainsi que, par analogie, Cour EDH, 13 décembre 2012, El-Masri c. l’Ex-République Yougoslave de Macédoine (CE:ECHR:2012:1213JUD003963009, point 195 et jurisprudence citée).
( 46 ) Voir, par analogie, Cour EDH, 23 février 2012 (version rectifiée le 16 novembre 2016), Hirsi Jamaa e.a. c. Italie (CE:ECHR:2012:0223JUD002776509, point 122).
( 47 ) Voir notamment, par analogie, Cour EDH, 28 mars 2000, Mahmut Kaya c. Turquie (CE:ECHR:2000:0328JUD002253593, point 115), Cour EDH, du 13 décembre 2012, El-Masri c. L’ex-République Yougoslave de Macédoine, (CE:ECHR:2012:1213JUD003963009, point 198), du 25 avril 2013, Savriddin Dzhurayev c. Russie (CE:ECHR:2013:0425JUD007138610, point 179), et Cour EDH, 23 février 2016, Nasr et Ghali c. Italie (CE:ECHR:2016:0223JUD004488309, point 283).
( 48 ) Voir notamment, par analogie, Cour EDH, 28 mars 2000, Mahmut Kaya c. Turquie (CE:ECHR:2000:0328JUD002253593, point 115), Cour EDH, 13 décembre 2012, El-Masri c. L’ex-République Yougoslave de Macédoine (CE:ECHR:2012:1213JUD003963009, point 198), et Cour EDH, 23 février 2016, Nasr et Ghali c. Italie (CE:ECHR:2016:0223JUD004488309, point 283).
( 49 ) Voir notamment, en ce sens, Cour EDH, 13 décembre 2012, El-Masri c. L’ex-République Yougoslave de Macédoine (CE:ECHR:2012:1213JUD003963009, point 213). Voir, également, Cour EDH, 23 février 2016, Nasr et Ghali c. Italie (CE:ECHR:2016:0223JUD004488309, point 289).
( 50 ) Voir notamment, en ce sens, Cour EDH, 13 décembre 2012, El-Masri c. L’ex-République Yougoslave de Macédoine (CE:ECHR:2012:1213JUD003963009, point 213), et Cour EDH, 23 février 2016, Nasr et Ghali c. Italie (CE:ECHR:2016:0223JUD004488309, point 289).
( 51 ) Voir par analogie, en ce sens, Cour EDH, 13 décembre 2012, El-Masri c. L’ex-République Yougoslave de Macédoine, (CE:ECHR:2012:1213JUD003963009, point 212 et jurisprudence citée).
( 52 ) Voir en ce sens, par analogie, Cour EDH, 13 décembre 2012, El-Masri c. L’ex-République Yougoslave de Macédoine (CE:ECHR:2012:1213JUD003963009, point 214).
( 53 ) Voir notamment, par analogie en ce sens, Cour EDH, 28 février 2008, Saadi c. Italie (CE:ECHR:2008:0228JUD003720106, points 131 et 143), Cour EDH, 17 juillet 2008, M.S.S. c. Belgique et Grèce, (CE:ECHR:2011:0121JUD003069609, points 227 et 255), Cour EDH, 23 février 2012 (version rectifiée le 16 novembre 2016), Hirsi Jamaa e.a. c. Italie (CE:ECHR:2012:0223JUD002776509, points 116 et 118), et Cour EDH, 23 août 2016, J.K. e.a. c. Suède (CE:ECHR:2016:0823JUD005916612, point 90). Dans un autre
contexte, voir également, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 59 et jurisprudence citée).
( 54 ) Voir, par analogie, Cour EDH, 3 juillet 2014, Georgie c. Russie (I), (CE:ECHR:2014:0703JUD001325507, point 138), et Cour EDH, 23 août 2016, J.K e.a. c. Suède (CE:ECHR:2016:0823JUD005916612, points 88 et 90).
( 55 ) Voir, par analogie, Cour EDH, 23 août 2016, J.K e.a. c. Suède (CE:ECHR:2016:0823JUD005916612, point 89).
( 56 ) Dans l’arrêt du 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce (CE:ECHR:2011:0121JUD003069609, point 366), la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation par le Royaume de Belgique de l’obligation positive prévue à l’article 3 de la CEDH après avoir constaté que, au moment de l’adoption de la mesure en cause dans cette affaire, les « faits étaient notoires et faciles à vérifier à partir d’un grand nombre de sources ».
( 57 ) Voir Conseil du contentieux des étrangers, arrêt no 175973 du 7 octobre 2016, X/III c. l’État belge, p. 8. Voir, également, Conseil du contentieux des étrangers, arrêt no 176363 du 14 octobre 2016, X/I c. l’État belge, p. 8.
( 58 ) Voir Commission européenne, Aide humanitaire et protection civile, Fiche-info ECHO, crise syrienne, septembre 2016, disponible sur le site Internet : http://ec.europa.eu/echo/files/aid/countries/factsheets/syria_fr.pdf#view=fit.
( 59 ) Résolution 2328 (2016) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 19 décembre 2016.
( 60 ) Résolution 2332 (2016) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 21 décembre 2016.
( 61 ) Résolution 2332 (2016) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 21 décembre 2016.
( 62 ) Selon les informations publiées le 20 octobre 2016 par la section française d’Amnesty International, entre le 19 septembre et le 16 octobre 2016, Alep avait été victime d’au moins 600 attaques aériennes, durant lesquelles des centaines de civils auraient été tués, des milliers blessés et des dizaines d’infrastructures essentielles détruites ou endommagées. Voir, à cet égard, Amnesty International :
https://www.amnesty.fr/conflits-armes-et-populations/actualites/alep--de-nouvelles-preuves-de-crimes-de-guerre
( 63 ) Voir, parmi les différentes sources, Rand, S., « Syria : Church on Its Knees », Open Doors Advocacy Report, May 2012, disponible sur le site Internet https://www.opendoorsuk.org/pray/documents/Syria_Advocacy_Report.pdf, Eghdamian K., « Religious Plurality and the Politics of Representation in Refugee Camps : Accounting for the Lived Experiences of Syrian Refugees Living in Zaatari », Oxford Monitor of Forced Migration, no 1, 2014, p. 38, ainsi que les propos du représentant du
Haut-Commissariat (HCR) des Nations unies pour les réfugiés au mois d’avril 2016 : http://www.thewhig.com/2016/04/03/syrian-christian-refugees-persecuted. Dans le chapitre relatif à la Syrie de son rapport annuel pour l’année 2016, la United States Commission on International Religious Freedom (USCIRF) rappelle qu’elle a conclu en décembre 2015 que le groupe armé Daesch/État islamique commettait un génocide à l’égard de plusieurs minorités religieuses, dont les chrétiens syriens : voir
http://www.uscirf.gov/sites/default/files/USCIRF_AR_2016_Tier1_2_Syria.pdf
( 64 ) Selon une étude de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), réalisée en 2016 auprès de plus de 6000 ressortissants syriens et irakiens arrivés en Europe, le prix payé pour le passage vers l’Europe s’échelonnait approximativement entre 1000 USD et 5000 USD par personne : voir http://migration.iom.int/docs/Analysis_Flow_Monitoring_Surveys_in_the_Mediterranean_and_Beyond_8_December_2016.pdf
( 65 ) Fréquemment de simples canots pneumatiques.
( 66 ) Selon l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF), près de 5000 hommes, femmes et enfants sont morts en 2016 en tentant de traverser la mer Méditerranée, ces données n’étant que des estimations dans la mesure où de nombreux corps ne sont jamais repêchés. MSF a affrété trois navires en 2015 et 2016 pour la recherche et le secours en mer et la majorité des personnes secourues provenaient de Syrie : voir http://www.msf.fr/actualite/dossiers/operations-recherche-et-sauvetage-migrants-en-mediterranee.
Selon le HCR, entre le mois de janvier et le mois de novembre 2016, plus de 350000 personnes sont arrivées par voie maritime en Grèce et en Italie, dont la majorité de nationalité syrienne. Les estimations du nombre de décès et de disparitions en mer Méditerranée sont approximativement les mêmes que celles de MSF. Voir documents accessibles sur le site Internet : http://data.unhcr.org/mediterranean/regional.php. Dans sa résolution du 12 avril 2016 sur la situation en Méditerranée et sur la nécessité
d’une approche globale des migrations de la part de l’Union, le Parlement relevait que « les réseaux criminels et les trafiquants exploitent le désespoir de personnes qui tentent d’entrer dans l’Union en fuyant les persécutions ou la guerre », « que les réfugiés ont peu d’itinéraires sûrs et licites pour entrer dans l’Union et que beaucoup continuent à prendre le risque d’itinéraires périlleux » : voir
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2016-0102+0+DOC+XML+V0//FR
( 67 ) Dans un rapport du 8 mai 2015 (Doc. A/HRC/29/36, paragraphe 34), le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants soulignait que le refus d’assurer une entrée légale dans l’Union constituait en tant que tel « un facteur clé » des « causes profondes » du recours aux trafiquants par les personnes en quête de protection internationale fuyant une situation de crise humanitaire : voir www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/.../A_HRC_29_36_FRE.DOCX.
( 68 ) Voir https://data.unhcr.org/syrianrefugees/country.php?id=122.
( 69 ) Voir HCR, Vulnerability Assessment of Syrian Refugees in Lebanon, 2016, p. 13. Ces mesures sont explicitement destinées à réduire l’afflux de réfugiés au Liban : voir http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/01/05/le-liban-regule-l-entree-des-refugies-syriens-en-leur-imposant-d-obtenir-un-visa_4549504_3218.html.
( 70 ) À toutes fins utiles, je rappelle que, à supposer même qu’un État tiers ait ratifié la convention de Genève, cette circonstance ne signifierait pas qu’il existe une présomption irréfragable du respect de cette convention ainsi que des droits fondamentaux à l’égard des personnes en quête de protection internationale et des demandeurs d’asile : voir arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 102 à 104).
( 71 ) Voir, notamment, Human Rights Watch, World Report, 2016, Lebanon, https://www.hrw.org/world-report/2016/country-chapters/lebanon. Voir, également, Janmyr, M., « Precarity in Exile : the Legal Status of Syrian Refugees in Lebanon », Refugee Survey Quaterly, no4, 2016, p. 58-78.
( 72 ) Voir Commission européenne, Aide humanitaire et protection civile, Fiche-info ECHO, crise syrienne, septembre 2016, http://ec.europa.eu/echo/files/aid/countries/factsheets/syria_fr.pdf#view=fit.
( 73 ) Selon l’étude du HCR, Vulnerability Assessment of Syrian Refugees in Lebanon, pp. 3 et 35, 42 % des familles ont des abris qui ne répondent pas aux standards humanitaires minimum, tandis que près de la moitié des enfants entre 6 et 14 ans ne fréquentent pas l’école et sont sujets à de nombreuses maladies et infections. Seuls 15 % des enfants syriens au Liban reçoivent une quantité suffisante de nourriture correspondant aux standards de l’Organisation mondiale de la santé.
( 74 ) Voir, notamment, http://observers.france24.com/fr/20160708-tensions-latentes-entre-libanais-syriens-camp-refugie-incendie et http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/09/lebanon-plan-return-syrian-refugees.html. Voir, également, Balouziyeh, J.M.B., Hope and Future. The Story of Syrian Refugees, Time Books, 2016, pp. 56-57.
( 75 ) Voir Amnesty International, « Cinq ans de crise, cinq millions de réfugiés syriens », 30 mars 2016, https://www/amnesty.org/fr/latest/news/2016/03.
( 76 ) Eghdamian, K., « Religious Plurality and the Politics of Representation in Refugee Camps : Accounting for the Lived Experiences of Syrian Refugees Living in Zaatari », Oxford Monitor of Forced Migration, no 1, 2014, p. 38 ainsi que Johnston, G., « Syrian Christian refugees persecuted », 3 avril 2016, http://www.thewhig.com/2016/04/03/syrian-christian-refugees-persecuted.
( 77 ) Voir, en ce sens, Cour EDH, 23 février 2012 (version rectifiée le 16 novembre 2016), Hirsi Jamaa e.a. c. Italie (CE:ECHR:2012:0223JUD002776509, points 146 à 158), constatant la responsabilité de l’État italien au titre de l’article 3 de la CEDH pour ne pas s’être assuré que les ressortissants expulsés vers un pays tiers intermédiaire, n’ayant pas ratifié la convention de Genève, bénéficiaient de garanties suffisantes leur évitant le risque d’être renvoyés arbitrairement dans leur pays
d’origine, eu égard notamment à l’absence d’une procédure d’asile dans le pays tiers intermédiaire et à l’impossibilité de faire reconnaître par les autorités de ce pays le statut de réfugié octroyé par le HCR.
( 78 ) Pour des rappels récents, voir, notamment, Cour EDH, 1er juin 2010 (version rectifiée le 3 juin 2010), Gäfgen c. Allemagne (CE:ECHR:2010:0601JUD002297805, point 123), et Cour EDH, 26 avril 2016, Murray c. Pays-Bas (CE:ECHR:2016:0426JUD001051110, point 104).
( 79 ) Se fondant sur des informations provenant du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides en Belgique, les requérants au principal ont allégué devant la juridiction de renvoi, sans être contredits par l’État belge, que, en 2015, près de 98 % des décisions du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides concernant des ressortissants syriens avaient abouti à l’octroi d’une protection internationale. Il semble que la grande majorité soit arrivée par des canaux illégaux.
( 80 ) Voir en ce sens, par analogie, l’opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque délivrée dans l’arrêt de la Cour EDH du 23 février 2012 (version rectifiée le 16 novembre 2016), Hirsi Jamaa e.a. c. Italie (CE:ECHR:2012:0223JUD002776509, point 73).
( 81 ) Préambule du traité UE.
( 82 ) Je rappelle que, aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 5, TUE, « l’Union européenne a pour but de promouvoir la paix [et] ses valeurs » et « affirme et promeut ses valeurs »« dans ses relations avec le reste du monde », en contribuant « à la protection des droits de l’homme, en particulier de l’enfant » (italique ajouté par mes soins). Aux termes de l’article 4 TUE, les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre pour assurer l’exécution des obligations découlant
des traités et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union.
( 83 ) Voir, en particulier, arrêt du 17 février 2009, Elgafaji (C‑465/07, EU:C:2009:94) s’agissant de l’accès à la protection subsidiaire d’un ressortissant provenant d’un pays où sévit un conflit armé interne générant une violence aveugle, arrêts du 5 septembre 2012, Y et Z (C‑71/11 et C‑99/11, EU:C:2012:518) et du 7 novembre 2013, X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720) concernant l’accès au statut de réfugié au profit de ressortissants d’un pays tiers dont il est établi que le retour dans
leur pays d’origine les exposera à un risque réel de persécution en raison de leur pratique religieuse ou en raison de leur homosexualité.
( 84 ) JO 2001, L 212, p. 12.
( 85 ) La circonstance que la procédure prévue par la directive 2001/55 n’ait pas été déclenchée au profit des ressortissants syriens, pour surprenant que cela puisse paraître, n’est pas décisive quant à l’argument juridique qui vient d’être exposé.
( 86 ) Sur ces conditions, voir, notamment, https://www.refugees-lebanon.org/en/news/35/qa-on-new-entry--renewal-procedures-for-syrians-in-lebanon
( 87 ) Il ressort en effet du dossier que la demande initiale faite au nom des requérants au principal par leur avocat auprès du consulat du Royaume de Belgique au Liban a été considérée comme étant irrecevable dans la mesure où les requérants au principal ne s’étaient pas déplacés personnellement audit consulat.
( 88 ) Sur cette opération, voir, notamment, http://www.lesoir.be/930953/article/actualite/belgique/2015-07-08/belgique-secouru-244-chretiens-alep et http://www.myria.be/fr/donnees-sur-la-migration/asile-et-protection-internationale/visas-humanitaires
( 89 ) Ces objectifs figurent respectivement aux articles 79 et 83 TFUE.
( 90 ) Dans sa communication du 10 février 2016 au Parlement européen et au Conseil sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des actions prioritaires prévues par l’agenda européen en matière de migration [COM (2016) 85 final], la Commission souligne (p. 2) que « [n]ous ne pouvons plus nous contenter de parer aux conséquences des flux migratoires non contrôlés et irréguliers, nous devons nous rendre véritablement capables de gérer ces flux, en fournissant aux personnes ayant besoin d’une
protection des possibilités légales et organisées d’accéder au territoire de l’Union européenne ». De même, dans sa résolution du 12 avril 2016 (point R) sur la situation en Méditerranée et sur la nécessité d’une approche globale des migrations de la part de l’Union, le Parlement met précisément en exergue qu’assurer aux demandeurs d’asile et aux réfugiés d’emprunter des « itinéraires sûrs et licites » pour entrer dans l’Union peut permettre à cette dernière ainsi qu’aux États membres de « mettre à
mal les activités des trafiquants ». Voir, en ce sens, http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2016-0102+0+DOC+XML+V0//FR.
( 91 ) Voir arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 93).