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19/01/2017 | CJUE | N°C-344/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, National Roads Authority contre The Revenue Commissioners., 19/01/2017, C-344/15


ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 janvier 2017 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Directive 2006/112/CE — Article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa — Activité de gestion et de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage — Activités accomplies par un organisme de droit public en tant qu’autorité publique — Présence d’opérateurs privés — Distorsions de concurrence d’une certaine importance — Existence d’une concurrence actuelle ou potentielle»>
Dans l’affaire C‑344/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 2...

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 janvier 2017 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée — Directive 2006/112/CE — Article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa — Activité de gestion et de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage — Activités accomplies par un organisme de droit public en tant qu’autorité publique — Présence d’opérateurs privés — Distorsions de concurrence d’une certaine importance — Existence d’une concurrence actuelle ou potentielle»

Dans l’affaire C‑344/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par les Appeal Commissioners (Commission des recours, Irlande), par décision du 11 juin 2015, parvenue à la Cour le 6 juillet 2015, dans la procédure

National Roads Authority

contre

The Revenue Commissioners,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, faisant fonction de président de la sixième chambre, MM. A. Arabadjiev et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 mai 2016,

considérant les observations présentées :

— pour la National Roads Authority, par M. E. O’Hanrahan, solicitor, et M. M. Collins, SC,

— pour The Revenue Commissioners, par Mme M.-C. Maney, solicitor, et Mme E. Barrington, SC,

— pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes B. Majerczyk-Graczykowska et K. Maćkowska, en qualité d’agents,

— pour la Commission européenne, par Mme M. Owsiany-Hornung et M. R. Lyal, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la National Roads Authority (autorité nationale en matière routière, Irlande, ci-après la « NRA ») aux Revenue Commissioners (administration fiscale, Irlande) au sujet de l’assujettissement de la NRA à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans le cadre de son activité de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 La directive TVA a abrogé et remplacé à compter du 1er janvier 2007 la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »). Selon les considérants 1 et 3 de la directive TVA, la refonte de la sixième directive était nécessaire afin de présenter toutes les
dispositions applicables de façon claire et rationnelle dans une structure et une rédaction remaniées sans apporter, en principe, de changement de fond.

4 Dès lors que le contenu de l’article 13, paragraphe 1, premier à troisième alinéas, de la directive TVA correspond à celui de l’article 4, paragraphe 5, premier à troisième alinéas, de la sixième directive, il y a lieu d’étendre à la première de ces dispositions l’interprétation donnée par la Cour à la seconde.

5 L’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...]

c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...] »

6 L’article 9 de cette directive énonce :

« 1.   Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.

[...] »

7 L’article 13, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes de droit public ont la qualité d’assujettis pour les activités figurant à l’annexe I et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables. »

Le droit irlandais

La Value Added Tax Act, 1972

8 L’article 8, paragraphe 2, A, de la Value Added Tax Act, 1972 (loi sur la taxe sur la valeur ajoutée de 1972), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi sur la TVA »), énonce :

« Sans préjudice des dispositions de l’article 2, l’État et les organismes de droit public ne sont pas traités comme des assujettis agissant en tant que tels en ce qui concerne toutes les activités ou opérations qu’ils accomplissent dans l’exercice de droits ou pouvoirs particuliers qui leur sont conférés par la loi, ou qui sont étroitement liées à ces derniers, sauf

(a) lorsque ces activités sont énumérées à l’annexe I de la directive [TVA] (figurant en annexe 7), et que l’État ou cet organisme de droit public les exerce dans une mesure non négligeable ou

(b) lorsque leur non-assujettissement en ce qui concerne ces activités ou opérations conduirait ou serait susceptible de conduire à une distorsion de concurrence d’une certaine importance. »

La Roads Act, 1993

9 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la NRA est un organisme de droit public irlandais établi en vertu de la Roads Act, 1993 (loi sur les routes de 1993, ci-après la « loi sur les routes ») et chargé de la gestion du réseau routier public national.

10 Conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la loi sur les routes, la mission principale de la NRA est de garantir la disponibilité d’un réseau de routes nationales sûr et efficace. Elle a la responsabilité générale de planifier et de superviser la construction et l’entretien des routes nationales.

11 À ce titre, en vertu de l’article 57 de cette loi, la NRA peut élaborer un projet afin d’établir un système de péages lié à l’accès à une route nationale.

12 L’article 58 de ladite loi dispose en substance que la NRA peut, en contrepartie de l’accès aux routes à péage, imposer et percevoir des péages dont les montants sont précisés dans les règlements qu’elle établit.

13 Aux termes de l’article 61 de cette même loi, la NRA a la responsabilité d’établir les règlements qu’elle considère comme nécessaires à l’exploitation et à l’entretien de la route à péage.

14 Conformément à l’article 63 de la loi sur les routes, la NRA dispose également du pouvoir légal de conclure des accords avec des tiers, accords par lesquels elle les autorise à percevoir des péages sur une route à péage. Le montant maximal des péages qui peut être perçu en contrepartie de l’accès à une route à péage, qu’elle soit exploitée par la NRA ou par un tiers, est fixé dans un règlement que la NRA adopte à cet effet.

15 En outre, tout accord conclu entre la NRA et un tiers sur la base de l’article 63 de cette loi doit satisfaire à plusieurs exigences énoncées dans cet article. Ainsi, le tiers doit s’engager à respecter une, plusieurs, ou l’ensemble des obligations suivantes : i) s’acquitter d’une partie ou de l’ensemble des coûts de construction et/ou d’entretien de la route ; ii) construire et/ou entretenir (ou s’associer ou contribuer à la construction et/ou à l’entretien) de la route, et iii) exploiter et
entretenir la route pour la NRA (notamment fournir, superviser et faire fonctionner un système de péages lié à l’accès à la route et percevoir les péages).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16 Il ressort du dossier soumis à la Cour que la plupart des routes à péage existant sur le territoire irlandais ont été construites et sont exploitées par des opérateurs privés dans le cadre d’accords de partenariat public-privé conclus avec la NRA.

17 La juridiction de renvoi indique à cet égard qu’il existe actuellement en Irlande huit routes à péage exploitées par ces opérateurs privés et dont les péages sont soumis à la TVA. Pour chacune de ces routes à péage, la NRA a, d’une part, adopté un projet de péage et, d’autre part, établi des règlements fixant le montant maximal pouvant être perçu en contrepartie de l’accès à ces routes à péage. La NRA exploite elle-même deux routes à péage, à savoir l’autoroute Westlink et le tunnel de Dublin.

18 S’agissant plus particulièrement de l’autoroute Westlink, il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette autoroute était auparavant exploitée par un opérateur privé sur la base d’un accord conclu entre celui-ci et la NRA. Alors que des investissements supplémentaires étaient nécessaires pour la moderniser afin de garantir la fluidité de la circulation, mais que cet opérateur privé ne souhaitait pas procéder à ces investissements sans engagement supplémentaire de la part de la NRA,
cette dernière a négocié la résiliation du contrat en cause, repris l’exploitation de ladite autoroute et installé un système de péage électronique.

19 L’administration fiscale a, à partir du mois de juillet 2010, assujetti la NRA à la TVA en ce qui concerne son activité de mise à disposition des deux routes à péage qu’elle exploite, au motif que son non-assujettissement aurait conduit à des distorsions de concurrence d’une certaine importance, au sens de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA.

20 La NRA s’est acquittée de la TVA à laquelle elle avait été ainsi assujettie et a traité à cette fin le montant perçu au titre des péages comme si la TVA y était incluse. Contestant toutefois le bien-fondé de cet assujettissement et considérant qu’elle devait, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive TVA, être exonérée de cette taxe, la NRA a formé un recours devant les Appeal Commissioners (Commission des recours, Irlande).

21 Devant la juridiction de renvoi, l’administration fiscale allègue qu’il convient, à la lumière de l’arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a. (C‑288/07, EU:C:2008:505), d’interpréter l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA en ce sens qu’une distorsion de concurrence est présumée exister même lorsque les activités concernées ne sont pas en concurrence les unes avec les autres. Cette autorité soutient que, à partir du moment où deux activités ont la même
nature, il existe en pratique une présomption définitive selon laquelle le fait de traiter l’une d’entre elles comme imposable et l’autre comme non imposable enfreindrait le principe de neutralité fiscale et conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

22 La juridiction de renvoi fait observer que, dès lors qu’il est constant que la NRA est un organisme de droit public agissant en tant qu’autorité publique en ce qui concerne l’activité de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage, il n’y aurait pas lieu, à première vue, de la considérer comme un assujetti. La NRA ne devrait donc pas être tenue d’appliquer la TVA à cette activité.

23 Par ailleurs, cette juridiction précise, en premier lieu, que, dans la mesure où les différentes routes à péage d’Irlande sont suffisamment éloignées les unes des autres, elles répondent à des besoins différents du point de vue des consommateurs et, partant, ne sont pas en concurrence entre elles. Il s’ensuit que le montant du péage demandé par un opérateur, qu’il s’agisse de la NRA ou d’un opérateur privé, n’aurait aucune influence sur la décision du consommateur moyen d’emprunter telle route à
péage plutôt que telle autre.

24 En second lieu, il n’existerait aucune possibilité réaliste pour un opérateur privé d’entrer sur le marché en vue de fournir des services d’accès routiers à péage en construisant une route à péage qui entrerait en concurrence avec l’autoroute Westlink ou le tunnel de Dublin.

25 En effet, un opérateur privé ne pourrait entrer sur ce marché qu’à la condition que la NRA adopte un projet de péage lié à une route publique en vue de transformer celle-ci en route à péage, établisse des règlements concernant cette route puis conclue un accord avec l’opérateur privé autorisant ce dernier à prélever les péages.

26 En outre, il est établi que, en pratique, un opérateur privé souhaitant construire une route à péage privée rencontrerait des difficultés presque insurmontables. En effet, d’une part, alors qu’une telle construction requiert de très vastes terrains, l’opérateur privé, qui ne dispose pas, contrairement à la NRA, du pouvoir d’exproprier, n’aurait pas la possibilité d’obliger les propriétaires fonciers à lui vendre des terrains privés aux fins de construire une telle route. D’autre part, compte tenu
de l’investissement qu’une telle construction peut engendrer, il n’est nullement prouvé qu’un opérateur privé serait prêt à effectuer un tel investissement pour entrer en concurrence avec une route à péage déjà existante.

27 Enfin, la juridiction de renvoi indique que l’administration fiscale n’a pas non plus démontré qu’il existerait une possibilité réaliste pour un opérateur privé d’entrer sur un tel marché.

28 Toutefois, en raison des allégations de l’administration fiscale mentionnées au point 21 du présent arrêt, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’activité de perception des péages accomplie par la NRA et celle accomplie par les opérateurs privés devraient être considérées comme étant des activités de même nature et, partant, comme étant en concurrence les unes avec les autres, de sorte qu’il faudrait considérer que le fait de traiter la NRA comme un non-assujetti
conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance au sens de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA.

29 C’est dans ces conditions que les Appeal Commissioners (Commission des recours) ont décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Si un organisme de droit public exerce une activité telle que celle consistant à fournir l’accès à une route contre acquittement d’un péage et si dans l’État membre il existe des structures privées qui perçoivent des péages sur d’autres routes à péage en application d’un accord avec l’organisme de droit public concerné en vertu de dispositions législatives nationales, faut-il interpréter l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA en ce sens que l’organisme de droit
public concerné doit être considéré comme étant en concurrence avec les opérateurs privés concernés, de sorte que traiter l’organisme de droit public comme un non-assujetti serait réputé conduire à une distorsion de concurrence d’une certaine importance, malgré le fait que a) il n’existe pas de concurrence réelle entre l’organisme de droit public et les opérateurs privés concernés et il ne saurait en exister et b) il n’est pas prouvé qu’un opérateur privé aurait une possibilité réaliste
d’entrer sur le marché en vue de construire et d’exploiter une route à péage qui concurrencerait la route à péage exploitée par l’organisme de droit public ?

2) S’il n’existe pas de présomption, quel critère faut-il adopter pour déterminer s’il existe une distorsion de concurrence d’une certaine importance au sens de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

30 La Commission européenne indique qu’elle ne peut déterminer avec certitude, en dépit de la constatation de la juridiction de renvoi à cet égard, si, dans le cadre de l’exploitation des deux routes à péage en cause au principal et de la perception des péages, la NRA doit être considérée comme ayant agi en tant qu’autorité publique.

31 Il y a lieu de rappeler à cet égard, d’une part, qu’il est de la responsabilité du juge national de définir le cadre réglementaire et factuel du litige porté devant lui (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2016, Radgen,C‑478/15, EU:C:2016:705, points 27 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

32 D’autre part, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, telle que prévue à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. La
faculté de déterminer les questions à soumettre à la Cour est donc dévolue au seul juge national et les parties au principal ne sauraient en changer la teneur (arrêt du 16 octobre 2014, Welmory,C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 33 et jurisprudence citée).

33 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi considère, sans équivoque, que, dans le litige au principal, la NRA agit en tant qu’autorité publique lorsqu’elle accomplit l’activité de mise à disposition de l’infrastructure routière moyennant acquittement d’un péage.

34 Dans ces conditions, il y a lieu pour la Cour de se fonder sur la prémisse que la NRA, qui est un organisme de droit public, agit dans le cadre de son activité de mise à disposition de l’infrastructure routière concernée moyennant acquittement d’un péage en tant qu’autorité publique et, partant, que cette activité doit être considérée comme relevant du champ d’application de l’article 13, paragraphe 1, de la directive TVA.

Sur les questions préjudicielles

35 Par ses deux questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle au principal, un organisme de droit public qui exerce une activité consistant à fournir l’accès à une route moyennant acquittement d’un péage doit être considéré comme étant en concurrence avec les opérateurs privés qui perçoivent
des péages sur d’autres routes à péage en application d’un accord avec l’organisme de droit public concerné en vertu de dispositions législatives nationales.

36 Il y a lieu de rappeler que l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive prévoit une limitation à la règle du non-assujettissement à la TVA des organismes de droit public pour les activités ou les opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, énoncée à l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive. Ainsi, cette première disposition vise à restaurer la règle générale, figurant à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 9 de cette même
directive, selon laquelle toute activité de nature économique est, en principe, soumise à la TVA et ne saurait dès lors recevoir une interprétation étroite (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2009, SALIX Grundstücks-Vermietungsgesellschaft,C‑102/08, EU:C:2009:345, points 67 à 68).

37 Toutefois, cela ne saurait signifier que l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA devrait être interprété d’une manière telle que la dérogation à l’assujettissement à la TVA prévue à l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive au profit des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques serait privée de son effet utile (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 2003, Taksatorringen,C‑8/01, EU:C:2003:621, points 61 à 62, ainsi que du
25 mars 2010, Commission/Pays-Bas, C‑79/09, non publié, EU:C:2010:171 point 49).

38 Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ladite directive, ces organismes doivent être considérés comme des assujettis pour des activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

39 Il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à cette dernière disposition, premièrement, qu’est ainsi envisagé le cas où lesdits organismes exercent des activités qui peuvent l’être aussi, concurremment, par des opérateurs économiques privés. L’objectif est de garantir que ces derniers ne soient pas désavantagés du fait qu’ils sont taxés alors que ces mêmes organismes ne le sont pas (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2010, Commission/Pays-Bas, C‑79/09, non publié, EU:C:2010:171, point 90
et jurisprudence citée).

40 Deuxièmement, cette limitation à la règle du non-assujettissement à la TVA des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques n’a qu’un caractère éventuel. Son application comporte une appréciation de circonstances économiques (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 1989, Comune di Carpaneto Piacentino e.a.,231/87 et 129/88, EU:C:1989:381, point 32).

41 Troisièmement, les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle, sans que cette évaluation porte sur un marché particulier, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d’entrer sur
le marché pertinent soit réelle, et non purement théorique (arrêts du 25 mars 2010, Commission/Pays-Bas, C‑79/09, non publié, EU:C:2010:171, point 91 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 octobre 2015, Saudaçor,C‑174/14, EU:C:2015:733, point 74).

42 Ne saurait être assimilée à l’existence d’une concurrence potentielle la possibilité purement théorique pour un opérateur privé d’entrer sur le marché pertinent, qui ne serait étayée par aucun élément de fait, aucun indice objectif et aucune analyse du marché (arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a.,C‑288/07, EU:C:2008:505, point 64).

43 Ainsi qu’il découle du libellé de l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA et de la jurisprudence relative à cette disposition, l’application de celle-ci suppose, d’une part, que l’activité en cause soit exercée en concurrence, actuelle ou potentielle, avec celle accomplie par les opérateurs privés et, d’autre part, que la différence de traitement entre ces deux activités en matière de TVA conduise à des distorsions de concurrence d’une certaine importance, laquelle doit
être évaluée en tenant compte des circonstances économiques.

44 Il en résulte que la seule présence d’opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l’analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l’existence d’une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d’une distorsion de concurrence d’une certaine importance.

45 En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que la mission principale de la NRA est de garantir la disponibilité d’un réseau de routes nationales sûr et efficace. À cette fin, elle a la responsabilité générale de la planification, de la construction de toutes les routes nationales ainsi que de la supervision des travaux de construction et d’entretien de ces routes. À ce titre, elle seule peut élaborer un projet en vue d’établir un système de péage lié à l’accès auxdites routes ainsi
qu’adopter les règlements qu’elle estime nécessaires à leur exploitation et à leur entretien, règlements qui fixent le montant maximal des péages qui peut être perçu en contrepartie de l’accès à une route à péage, qu’elle soit exploitée par la NRA ou par un opérateur privé.

46 Il ressort également de ce dossier que les opérateurs privés ne peuvent entrer sur le marché de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage que si la NRA les y autorise. En outre, la circonstance que la gestion d’une route nationale a été confiée à un opérateur privé ne change en rien le fait que la NRA conserve toujours la responsabilité ultime en matière de routes nationales, de sorte que, si l’opérateur privé ne souhaite plus ou ne peut plus assurer ses
engagements, cette première est tenue d’assurer le bon fonctionnement de ces routes.

47 Il ressort à cet égard que, s’agissant de l’autoroute Westlink, le contrat liant la NRA et l’opérateur privé prévoyait que ce dernier percevait les péages au moyen d’un système de péage conventionnel à barrière. Toutefois, le passage d’une gare de péage à barrière à un système électronique de péage sans barrière, rendu nécessaire pour assurer une meilleure fluidité de la circulation sur cette autoroute, requérait un important investissement et impliquait la prise d’un risque inhérent à la mise en
place d’un système de péage sans barrière. L’opérateur privé ne souhaitant pas réaliser un tel investissement sans engagements supplémentaires de la part de la NRA, cette dernière a négocié la résiliation du contrat, repris l’exploitation de l’autoroute Westlink au mois d’août 2008 et installé un système de péage électronique dans l’intérêt public de garantir la fluidité de la circulation.

48 Force est de constater que, dans de telles circonstances, l’activité de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage, qui ne se limite donc pas à la perception des péages, est accomplie exclusivement par la NRA dans des conditions de nature à garantir, en toutes circonstances, la disponibilité d’un réseau de routes nationales sûr et efficace. Ce faisant, cet organisme assume, de son propre chef ou en cas de retrait de l’opérateur privé, dans le respect
d’obligations légales particulières qui ne s’imposent qu’à lui, les fonctions d’exploitation et d’entretien de ce réseau.

49 Par ailleurs, il est constant qu’il n’existe pas de possibilité réelle pour un opérateur privé d’entrer sur le marché en cause, en construisant une route qui pourrait entrer en concurrence avec les routes nationales déjà existantes.

50 Dans ces circonstances, il apparaît que la NRA accomplit son activité de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage dans le cadre du régime juridique qui lui est propre. Dès lors, ainsi que l’a également constaté la juridiction de renvoi, cette activité ne peut être considérée comme s’exerçant en concurrence avec celle, exercée par les opérateurs privés, consistant à percevoir des péages sur d’autres routes à péage en application d’un accord avec la NRA en
vertu de dispositions législatives nationales. En outre, l’existence d’une concurrence potentielle fait, conformément à la jurisprudence rappelée au point 42 du présent arrêt, également défaut dans la mesure où la possibilité pour les opérateurs privés d’exercer l’activité en cause dans les mêmes conditions que la NRA est purement théorique. Partant, l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA n’est pas applicable à une situation où, comme dans l’affaire en cause au
principal, il n’existe pas de concurrence réelle, actuelle ou potentielle, entre l’organisme de droit public concerné et les opérateurs privés.

51 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle au principal, un organisme de droit public qui exerce une activité consistant à fournir l’accès à une route moyennant acquittement d’un péage ne doit pas être considéré comme étant en concurrence avec les opérateurs privés qui perçoivent des péages sur d’autres routes à péage en
application d’un accord avec l’organisme de droit public concerné en vertu de dispositions législatives nationales.

Sur les dépens

52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  L’article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle au principal, un organisme de droit public qui exerce une activité consistant à fournir l’accès à une route moyennant acquittement d’un péage ne doit pas être considéré comme étant en concurrence avec les opérateurs privés qui perçoivent des péages sur d’autres
routes à péage en application d’un accord avec l’organisme de droit public concerné en vertu de dispositions législatives nationales.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-344/15
Date de la décision : 19/01/2017
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par les Appeal Commissioners.

Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa – Activité de gestion et de mise à disposition d’infrastructures routières moyennant acquittement d’un péage – Activités accomplies par un organisme de droit public en tant qu’autorité publique – Présence d’opérateurs privés – Distorsions de concurrence d’une certaine importance – Existence d’une concurrence actuelle ou potentielle.

Taxe sur la valeur ajoutée

Fiscalité


Parties
Demandeurs : National Roads Authority
Défendeurs : The Revenue Commissioners.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Fernlund

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2017:28

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