ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
10 novembre 2016 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Marques — Directive 2008/95/CE — Article 7, paragraphe 2 — Produits pharmaceutiques — Importation parallèle — Cloisonnement des marchés — Nécessité du reconditionnement du produit revêtu de la marque — Produit pharmaceutique mis sur le marché d’exportation et le marché d’importation par le titulaire de la marque avec les mêmes types de conditionnements»
Dans l’affaire C‑297/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sø- og Handelsretten (tribunal des affaires maritimes et commerciales, Danemark), par décision du 10 juin 2015, parvenue à la Cour le 18 juin 2015, dans la procédure
Ferring Lægemidler A/S, agissant pour Ferring BV,
contre
Orifarm A/S,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), président de chambre, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet, E. Levits et F. Biltgen, juges,
avocat général : M. M. Wathelet,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
— pour Ferring Lægemidler A/S, agissant pour Ferring BV, par Me T. Ryhl, advokat,
— pour Orifarm A/S, par Me K. Jensen, advokat,
— pour la Commission européenne, par MM. H. Støvlbæk et T. Scharf ainsi que par Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Ferring Lægemidler A/S, agissant pour Ferring BV (ci-après « Ferring »), à Orifarm A/S au sujet de l’opposition de Ferring à la commercialisation au Danemark de l’un de ses médicaments, tel que reconditionné par Orifarm, dans le contexte d’importations parallèles provenant de la Norvège réalisées par cette société.
Le cadre juridique
L’accord EEE
3 L’article 13 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »), reprend le contenu de l’article 36 TFUE.
4 La directive 2008/95 a été intégrée dans l’accord EEE par la décision no 146/2009 du Comité mixte de l’EEE, du 4 décembre 2009, modifiant l’annexe XVII (propriété intellectuelle) de l’accord EEE (JO 2010, L 62, p. 43).
Le droit de l’Union
5 L’article 7 de la directive 2008/95 dispose :
« 1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.
2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. »
Le droit danois
6 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’article 6 de la varemærkeloven (loi sur les marques), transposant au Danemark la directive 2008/95, est en substance identique à l’article 7 de la directive 2008/95.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7 Ferring vend un médicament sous la marque Klyx, dont elle est titulaire, au Danemark, en Finlande, en Suède et en Norvège. Dans tous ces États, le Klyx est vendu dans des conditionnements identiques, à savoir en flacons de 120 ml ou de 240 ml, ainsi que dans des emballages contenant une ou dix doses de ce produit.
8 Dans le cadre de son activité d’importation parallèle, Orifarm achète le Klyx en Norvège en boîtes de dix doses et vend ce produit sur le marché danois, après l’avoir reconditionné dans de nouveaux emballages contenant une dose, sur lesquels est réapposée la marque Klyx (ci-après le « reconditionnement litigieux »).
9 Devant la juridiction de renvoi, Ferring soutient qu’elle peut légitimement s’opposer au reconditionnement litigieux dans la mesure où, en premier lieu, celui-ci n’est pas nécessaire pour commercialiser le produit faisant l’objet d’importations parallèles et, en deuxième lieu, ledit reconditionnement est justifié uniquement par la recherche d’un avantage commercial par l’importateur.
10 Orifarm, pour sa part, fait valoir que le reconditionnement est nécessaire pour accéder au segment du marché danois constitué par le Klyx emballé en boîtes contenant une dose de produit.
11 La juridiction de renvoi relève qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que le titulaire de la marque ne peut s’opposer au reconditionnement si l’opposition contribue au cloisonnement des marchés. Tel serait le cas lorsque l’opposition empêche un reconditionnement nécessaire pour commercialiser le médicament dans l’État d’importation. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi se demande si le reconditionnement litigieux peut être considéré comme « nécessaire », compte tenu du fait que le
Klyx est présent en conditionnements d’une ou de dix doses dans tous les États parties à l’accord EEE où le médicament est mis sur le marché, y compris dans les États concernés par l’affaire au principal.
12 Dans ces conditions, le Sø- og Handelsretten (tribunal des affaires maritimes et commerciales, Danemark) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/95 et la jurisprudence y relative doivent-elles être interprétées en ce sens que le titulaire d’une marque peut s’opposer à la poursuite de la commercialisation d’un médicament par un importateur parallèle lorsque ce dernier a procédé au reconditionnement dudit médicament dans un nouvel emballage et y a réapposé la marque dans un cas où le titulaire de la marque a commercialisé ce médicament dans des conditionnements de
mêmes contenances et de mêmes quantités dans tous les pays de l’Espace économique européen où il est mis sur le marché ?
2) La réponse à la première question serait-elle différente si, tant dans l’État d’exportation que dans l’État d’importation, le titulaire de la marque a mis sur le marché le médicament dans deux conditionnements différents, à savoir en boîtes contenant dix flacons, ou un flacon, et que l’importateur achète les boîtes contenant dix flacons dans l’État d’exportation pour les reconditionner en boîtes contenant un flacon en y réapposant la marque avant la mise sur le marché de l’État
d’importation ? »
Sur les questions préjudicielles
13 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque peut s’opposer à la poursuite de la commercialisation d’un médicament par un importateur parallèle lorsque ce dernier a procédé au reconditionnement de ce médicament dans un nouvel emballage et y a réapposé la marque.
14 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que l’objet spécifique de la marque est d’assurer la garantie de provenance du produit revêtu de cette marque et qu’un reconditionnement de ce produit opéré par un tiers sans l’autorisation du titulaire est susceptible de créer des risques réels pour cette garantie de provenance (voir, par analogie, arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a.,C‑348/04, EU:C:2007:249, point 14 ainsi que jurisprudence citée).
15 D’autre part, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/95, l’opposition du titulaire de la marque au reconditionnement, en tant qu’elle constitue une dérogation à la libre circulation des marchandises, ne peut être admise si l’exercice de ce droit par le titulaire constitue une restriction déguisée dans le commerce entre les États parties à l’accord EEE au sens de l’article 13, seconde phrase, de cet accord (voir, par analogie, s’agissant de
l’article 36, seconde phrase, TFUE, arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a.,C‑348/04, EU:C:2007:249, point 16 ainsi que jurisprudence citée).
16 Constitue une telle restriction déguisée au sens de cette dernière disposition l’exercice, par le titulaire d’une marque, de son droit de s’opposer au reconditionnement si cet exercice contribue à cloisonner artificiellement les marchés entre les États parties à l’accord EEE dès lors que le reconditionnement a lieu d’une manière qui respecte les intérêts légitimes du titulaire (voir, par analogie, s’agissant de l’article 36, seconde phrase, TFUE, arrêts du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim
e.a.,C‑348/04, EU:C:2007:249, point 17, ainsi que du 28 juillet 2011, Orifarm e.a.,C‑400/09 et C‑207/10, EU:C:2011:519, point 24 et jurisprudence citée).
17 Or, contribue à un cloisonnement artificiel des marchés entre les États parties à l’accord EEE l’opposition du titulaire d’une marque au reconditionnement lorsque celui-ci est nécessaire afin que le produit importé parallèlement puisse être commercialisé dans l’État d’importation (voir, par analogie, arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a.,C‑348/04, EU:C:2007:249, point 18 ainsi que jurisprudence citée).
18 En effet, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, le pouvoir du titulaire d’un droit de marque protégé dans un État membre de s’opposer à la commercialisation sous la marque des produits reconditionnés ne doit être limité que dans la mesure où le reconditionnement auquel a procédé l’importateur est nécessaire pour commercialiser le produit dans l’État membre d’importation (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a.,C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93,
EU:C:1996:282, point 56).
19 Il résulte de ces considérations que la modification qu’implique tout reconditionnement d’un médicament revêtu d’une marque, créant par sa nature même le risque d’une atteinte à l’état originaire du médicament, peut être interdite par le titulaire de la marque, à moins que le reconditionnement ne soit nécessaire pour permettre la commercialisation des produits importés parallèlement et que les intérêts légitimes du titulaire soient par ailleurs sauvegardés (voir, par analogie, arrêts du 23 avril
2002, Boehringer Ingelheim e.a.,C‑143/00, EU:C:2002:246, point 34, ainsi que du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a.,C‑348/04, EU:C:2007:249, point 19).
20 S’agissant notamment de la condition de nécessité du reconditionnement, elle doit être analysée en tenant compte des circonstances prévalant au moment de la commercialisation dans l’État d’importation qui rendent le reconditionnement objectivement nécessaire pour que le médicament puisse être commercialisé dans cet État par l’importateur parallèle. L’opposition du titulaire d’une marque au reconditionnement n’est pas justifiée si elle entrave l’accès effectif du produit importé au marché
d’importation (voir, par analogie, arrêts du 12 octobre 1999, Upjohn,C‑379/97, EU:C:1999:494, point 43, ainsi que du 23 avril 2002, Boehringer Ingelheim e.a.,C‑143/00, EU:C:2002:246, point 46).
21 En particulier, il convient de relever, tout d’abord, que le titulaire d’une marque ne peut pas s’opposer au reconditionnement du produit lorsque l’emballage, dans la taille utilisée par ce titulaire dans l’État partie à l’accord EEE où l’importateur a acheté le produit, ne peut être commercialisé dans l’État d’importation en raison, notamment, d’une règlementation n’autorisant que des emballages d’une certaine taille ou d’une pratique nationale en ce sens, de règles en matière d’assurance
maladie faisant dépendre de la taille de l’emballage le remboursement des frais médicaux ou de pratiques de prescription médicale bien établies se basant, entre autres, sur des normes de dimensions recommandées par des groupements professionnels et par les institutions d’assurance maladie (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a.,C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93, EU:C:1996:282, point 53).
22 Ensuite, lorsque, conformément aux règles et aux pratiques en vigueur dans l’État d’importation, le titulaire y utilise plusieurs tailles d’emballage différentes, il ne suffit pas de constater que l’une de ces tailles est également commercialisée dans l’État partie à l’accord EEE d’exportation pour conclure qu’un reconditionnement n’est pas nécessaire. En effet, il existerait un cloisonnement des marchés si l’importateur ne pouvait commercialiser le produit que sur une partie limitée du marché de
celui-ci (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a.,C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93, EU:C:1996:282, point 54).
23 Enfin, il incombe à l’importateur parallèle d’établir l’existence des conditions empêchant le titulaire de la marque de s’opposer légitimement à la commercialisation ultérieure des médicaments (voir, par analogie, arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a.,C‑348/04, EU:C:2007:249, point 52).
24 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, dans tous les États parties à l’accord EEE où il est mis sur le marché, y compris dans les États concernés par l’affaire au principal, le Klyx est commercialisé par Ferring dans les mêmes emballages.
25 En revanche, il ne ressort pas des informations à la disposition de la Cour que l’une des situations exposées au point 21 du présent arrêt se soit vérifiée en l’occurrence ou que, en raison de circonstances particulières prévalant au moment de la commercialisation, l’accès effectif du Klyx au marché danois soit entravé.
26 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si l’une ou plusieurs des circonstances auxquelles se réfère le point 21 du présent arrêt sont présentes dans le litige au principal. Si tel n’est pas le cas, le titulaire de la marque peut s’opposer au reconditionnement litigieux, dès lors que le produit faisant l’objet d’importations parallèles peut être commercialisé au Danemark dans le même conditionnement que celui dans lequel ce produit est commercialisé en Norvège.
27 Orifarm, dans ses observations écrites, soutient que le cloisonnement des marchés est une conséquence intrinsèque de l’opposition au reconditionnement, dans la mesure où l’importateur ne pourrait pénétrer le sous-marché danois constitué par les boîtes contenant une dose individuelle de Klyx qu’en important de la Norvège le produit dans le même emballage. Ainsi, sans le reconditionnement litigieux, le produit importé ne pourrait être commercialisé que sur une partie limitée du marché danois.
28 À cet égard, il y a lieu de constater que le dossier ne contient aucun élément permettant de constater que le marché du Klyx en conditionnement de dix doses représenterait seulement une partie limitée du marché de l’État d’importation, à savoir le Danemark. Il appartient, en tout état de cause, à la juridiction de renvoi de vérifier si une telle condition est remplie dans le litige au principal.
29 Dans ces conditions, il convient de répondre aux questions posées que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque peut s’opposer à la poursuite de la commercialisation d’un médicament par un importateur parallèle lorsque ce dernier a procédé au reconditionnement de ce médicament dans un nouvel emballage et y a réapposé la marque, dès lors que, d’une part, le médicament en cause peut être commercialisé dans l’État partie à
l’accord EEE d’importation dans le même conditionnement que celui dans lequel ce produit est commercialisé dans l’État partie à l’accord EEE d’exportation et, d’autre part, l’importateur n’a pas démontré que le produit importé ne peut être commercialisé que sur une partie limitée du marché de l’État d’importation, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
30 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque peut s’opposer à la poursuite de la commercialisation d’un médicament par un importateur parallèle lorsque ce dernier a procédé au reconditionnement de ce médicament dans un nouvel emballage et y a réapposé la marque, dès lors que, d’une part, le médicament en
cause peut être commercialisé dans l’État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, d’importation dans le même conditionnement que celui dans lequel ce produit est commercialisé dans l’État partie à l’accord sur l’Espace économique européen d’exportation et, d’autre part, l’importateur n’a pas démontré que le produit importé ne peut être commercialisé que sur une partie limitée du marché de l’État d’importation, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le danois.