CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 9 novembre 2016 ( 1 )
Affaire C‑559/15
Onix Asigurări SA
contre
Istituto per la Vigilanza Sulle Assicurazioni (IVASS)
[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]
«Renvoi préjudiciel — Rapprochement des législations — Assurance directe autre que l’assurance sur la vie — Directive 92/49/CEE — Article 40, paragraphe 6 — Étendue des pouvoirs de l’État membre d’accueil — Mesure d’interdiction de conclure de nouveaux contrats sur son territoire prise à l’encontre d’une entreprise d’assurance agréée dont le dirigeant et actionnaire de référence a été condamné pénalement»
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive « assurance non vie ») ( 2 ).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Onix Asigurări SA ( 3 ), une société d’assurance de droit roumain ayant son siège en Roumanie, à l’Istituto per la Vigilanza Sulle Assicurazioni ( 4 ), autorité de contrôle des assurances italiennes, au sujet de la décision prise par cette dernière d’interdire à Onix de conclure de nouveaux contrats d’assurance sur le territoire italien.
3. La présente affaire pose la question de l’existence et de l’étendue des pouvoirs de l’État membre de la libre prestation de services lorsqu’il découvre qu’une entreprise d’assurance agréée, qui dirige l’essentiel de ses activités sur son territoire, a pour principal dirigeant et actionnaire l’un de ses ressortissants qui, à la suite, notamment, d’une condamnation pénale, n’a plus le droit d’accéder dans ledit État à l’activité d’assurance. Les principes de la licence unique et du contrôle par le
pays d’origine s’opposent-ils, dans de telles circonstances, à ce que l’État membre d’accueil interdise la poursuite des activités de cette entreprise sur son territoire, afin de protéger les intérêts des souscripteurs et des bénéficiaires des contrats d’assurance ?
4. Si cette question nous convie à un exercice, toujours délicat, de mise en balance de principes et d’intérêts concurrents, nous avons la conviction que le droit de l’Union doit être porteur de l’exigence absolue selon laquelle le principe du contrôle par le pays d’origine ne saurait servir de fondement ou, plutôt, d’alibi à des stratégies d’évitement des règles de droit susceptibles d’être gravement préjudiciables à l’intérêt général.
5. Dans les présentes conclusions, nous soutiendrons que l’article 8, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 73/239 ( 5 ) doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité de contrôle de l’État membre d’accueil prenne, à l’égard d’une entreprise d’assurance opérant sur son territoire sous le régime de la libre prestation de services, des mesures telles que l’interdiction de conclure de nouveaux contrats, fondées exclusivement sur le non-respect des
conditions d’agrément, telle celle relative à la réputation des actionnaires.
6. Toutefois, nous ferons valoir que ces dispositions ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, où l’entreprise d’assurance agréée par l’État membre d’origine, d’une part, a pour actionnaire de référence une personne physique qui, ayant notamment été condamnée pénalement pour tentative d’escroquerie, est interdite d’accès au marché de l’assurance dans l’État membre d’accueil, et, d’autre part, dirige principalement ses activités vers le territoire de cet
État membre, à ce que les autorités de contrôle dudit État membre adoptent, sur le fondement de l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49 et en tenant compte de l’urgence résultant de l’inaction des autorités de contrôle de l’État membre d’origine, vainement mises en demeure de retirer l’agrément, des mesures restreignant la liberté de prestation de services de l’entreprise concernée sur son territoire, telles que l’interdiction de continuer de conclure de nouveaux contrats, afin de
prévenir le risque de contournement, par personne morale interposée, de l’interdiction d’accès au marché et le risque corrélatif de réitération des irrégularités pour lesquelles l’actionnaire de référence a été sanctionné.
I – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La directive 73/239
7. La directive 73/239, telle que modifiée par la directive 92/49, disposait, à son article 6 :
« L’accès aux activités d’assurance directe est subordonné à l’octroi d’un agrément administratif préalable.
Cet agrément doit être sollicité auprès des autorités de l’État membre d’origine par :
a) l’entreprise qui fixe son siège social sur le territoire de cet État membre ;
b) l’entreprise qui, après avoir reçu l’agrément visé au premier alinéa, étend ses activités à l’ensemble d’une branche ou à d’autres branches. »
8. Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, sous e), et paragraphe 3, de cette directive :
« 1. L’État membre d’origine exige que les entreprises d’assurance qui sollicitent l’agrément :
[...]
e) soient dirigées de manière effective par des personnes qui remplissent les conditions requises d’honorabilité et de qualification ou d’expérience professionnelles ;
[...]
3. La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres maintiennent ou introduisent des dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui prévoient l’approbation des statuts et la communication de tout document nécessaire à l’exercice normal du contrôle.
Toutefois, les États membres ne prévoient pas de dispositions exigeant l’approbation préalable ou la communication systématique des conditions générales et spéciales des polices d’assurance, des tarifs et des formulaires et autres imprimés que l’entreprise a l’intention d’utiliser dans ses relations avec les preneurs d’assurance.
Les États membres ne peuvent maintenir ou introduire la notification préalable ou l’approbation des majorations de tarifs proposées qu’en tant qu’élément d’un système général de contrôle des prix.
[...] »
9. L’article 13, paragraphes 1 et 2, de la même directive, prévoyait :
« 1. La surveillance financière d’une entreprise d’assurance, y compris celle des activités qu’elle exerce par le biais de succursales et en prestation de services, relève de la compétence exclusive de l’État membre d’origine.
2. La surveillance financière comprend notamment la vérification, pour l’ensemble des activités de l’entreprise d’assurance, de son état de solvabilité et de la constitution de provisions techniques et des actifs représentatifs conformément aux règles ou aux pratiques établies dans l’État membre d’origine, en vertu des dispositions adoptées au niveau communautaire.
[...] »
10. L’article 22, paragraphe 1, de cette directive, tel que modifié, énonçait :
« 1. L’agrément accordé à l’entreprise d’assurance par l’autorité compétente de l’État membre d’origine peut être retiré par cette autorité lorsque l’entreprise :
[...]
b) ne satisfait plus aux conditions d’accès ;
[...]
d) manque gravement aux obligations qui lui incombent en vertu de la réglementation qui lui est applicable.
[...] »
2. La directive 92/49
11. Les considérants 5 à 7 et 9 de la directive 92/49 énonçaient :
« (5) considérant que la démarche retenue consiste à réaliser l’harmonisation essentielle, nécessaire et suffisante pour parvenir à une reconnaissance mutuelle des agréments et des systèmes de contrôle prudentiel, qui permette l’octroi d’un agrément unique valable dans toute la Communauté et l’application du principe du contrôle par l’État membre d’origine ;
(6) considérant qu’en conséquence l’accès à l’activité d’assurance et l’exercice de celle-ci sont dorénavant subordonnés à l’octroi d’un agrément administratif unique, délivré par les autorités de l’État membre où l’entreprise d’assurance a son siège social ; que cet agrément permet à l’entreprise de se livrer à ses activités partout dans la Communauté, soit en régime d’établissement, soit en régime de libre prestation de services ; que l’État membre de la succursale ou de la libre prestation de
services ne pourra plus demander de nouvel agrément au[x] entreprises d’assurance qui souhaitent y exercer leurs activités d’assurance et qui ont déjà été agréées dans l’État membre d’origine [...] ;
(7) considérant qu’il incombe désormais aux autorités compétentes de l’État membre d’origine d’assurer la surveillance de la solidité financière de l’entreprise d’assurance, notamment en ce qui concerne son état de solvabilité et la constitution de provisions techniques suffisantes ainsi que leur représentation par des actifs congruents ;
[...]
(9) considérant que les autorités compétentes des États membres doivent disposer des moyens de contrôle nécessaires pour assurer un exercice ordonné des activités de l’entreprise d’assurance dans l’ensemble de la Communauté, qu’elles soient effectuées en régime d’établissement ou en régime de libre prestation de services ; qu’en particulier, elles doivent pouvoir adopter des mesures de sauvegarde appropriées ou imposer des sanctions ayant pour but de prévenir des irrégularités et des infractions
éventuelles aux dispositions en matière de contrôle des assurances ».
12. L’article 8 de la directive 92/49 disposait :
« Les autorités compétentes de l’État membre d’origine n’accordent pas l’agrément permettant l’accès d’une entreprise à l’activité d’assurance avant d’avoir obtenu communication de l’identité des actionnaires ou associés, directs ou indirects, personnes physiques ou morales, qui y détiennent une participation qualifiée, et du montant de cette participation.
Ces mêmes autorités refusent l’agrément si, pour tenir compte du besoin de garantir une gestion saine et prudente de l’entreprise d’assurance, elles ne sont pas satisfaites de la qualité des actionnaires ou associés. »
13. L’article 15, paragraphe 1, de cette directive, dont le libellé était issu de la directive 2007/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 septembre 2007 ( 6 ), exigeait la notification préalable des projets d’acquisition d’une participation qualifiée dans une entreprise d’assurance.
14. Aux termes de l’article 15 ter, paragraphe 1, de ladite directive :
« 1. En procédant à l’évaluation de la notification prévue à l’article 15, paragraphe 1, et des informations visées à l’article 15 bis, paragraphe 2, les autorités compétentes apprécient, afin de garantir une gestion saine et prudente de l’entreprise d’assurance visée par l’acquisition envisagée et en tenant compte de l’influence probable du candidat acquéreur sur l’entreprise d’assurance, le caractère approprié du candidat acquéreur et la solidité financière de l’acquisition envisagée en
appliquant l’ensemble des critères suivants :
a) la réputation du candidat acquéreur ;
b) la réputation et l’expérience de toute personne qui assurera la direction des activités de l’entreprise d’assurance à la suite de l’acquisition envisagée ;
[...] »
15. L’article 40, paragraphes 3 à 7, de la directive 92/49 prévoyait :
« 3. Si les autorités compétentes d’un État membre constatent qu’une entreprise ayant une succursale ou opérant en régime de libre prestation de services sur son territoire ne respecte pas les règles de droit de cet État qui lui sont applicables, elles invitent l’entreprise concernée à mettre fin à cette situation irrégulière.
4. Si l’entreprise en question ne fait pas le nécessaire, les autorités compétentes de l’État membre concerné en informent les autorités compétentes de l’État membre d’origine. Celles-ci prennent, dans les plus brefs délais, toutes les mesures appropriées pour que l’entreprise concernée mette fin à cette situation irrégulière. La nature de ces mesures est communiquée aux autorités compétentes de l’État membre concerné.
5. Si, en dépit des mesures ainsi prises par l’État membre d’origine ou parce que ces mesures apparaissent inadéquates ou font défaut dans cet État, l’entreprise persiste à enfreindre les règles de droit en vigueur dans l’État membre concerné, ce dernier peut, après en avoir informé les autorités compétentes de l’État membre d’origine, prendre les mesures appropriées pour prévenir ou réprimer de nouvelles irrégularités et, pour autant que cela soit absolument nécessaire, empêcher l’entreprise
de continuer à conclure de nouveaux contrats d’assurance sur son territoire. Les États membres veillent à ce qu’il soit possible d’effectuer sur leur territoire les notifications aux entreprises d’assurance.
6. Les paragraphes 3, 4 et 5 n’affectent pas le pouvoir des États membres concernés de prendre, en cas d’urgence, des mesures appropriées pour prévenir les irrégularités commises sur leur territoire. Ceci comporte la possibilité d’empêcher une entreprise d’assurance de continuer à conclure de nouveaux contrats d’assurance sur leur territoire.
7. Les paragraphes 3, 4 et 5 n’affectent pas le pouvoir des États membres de sanctionner les infractions sur leur territoire.
[...] »
16. Les directives 73/239 et 92/49 ont été abrogées à compter du 1er janvier 2016 par la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) ( 7 ).
3. La communication interprétative de la Commission européenne
17. Le 16 février 2000, la Commission a adopté une communication interprétative intitulée « Liberté de prestation de services et intérêt général dans le secteur des assurances» ( 8 ).
18. Aux termes du point I.A.5 de cette communication, intitulé « Contrôle par le pays d’accueil des conditions d’octroi de l’agrément unique » :
« La Commission estime que les dispositions des directives sur l’assurance [...] ne permettent pas à l’État membre d’accueil d’exercer un contrôle visant à vérifier le respect, par une entreprise d’assurance ayant l’intention de travailler sur son territoire en liberté de prestation de services ou par le biais d’une succursale, des conditions harmonisées dans lesquelles l’agrément unique lui a été octroyé par l’État membre d’origine. Ce contrôle n’incombe en effet qu’à l’État membre d’origine
seul. C’est sous la responsabilité de ce dernier que l’agrément unique est délivré et l’État membre d’accueil ne peut remettre en cause cet octroi [...].
Si l’État membre d’accueil a des raisons de douter du respect de ces conditions, il peut faire usage de l’article 227 du traité ou inviter la Commission à agir en manquement sur la base de l’article 226 du traité. »
4. Les lignes directrices pour l’évaluation prudentielle des acquisitions
19. Les lignes directrices pour l’évaluation prudentielle des acquisitions et augmentations de participation dans les établissements financiers, requises par la directive 2007/44 ( 9 ), énonçaient aux points 27 et 28 :
« 27. Les autorités de surveillance seront particulièrement attentives aux situations suivantes, qui sont susceptibles de jeter le doute sur l’intégrité du candidat acquéreur :
— Condamnation pour infraction pénale : les autorités de surveillance examineront en particulier :
— toute infraction à la législation régissant, d’une part, les activités bancaires, financières ou d’assurance et les services financiers et, d’autre part, les marchés de valeurs mobilières, les valeurs mobilières et les instruments de paiement – y compris à la législation relative au blanchiment de capitaux, à la manipulation de marché, aux délits d’initiés et à l’usure ;
— toute pratique malhonnête ou frauduleuse, tout délit financier majeur, ainsi que toute autre infraction au droit des sociétés ou à la législation en matière de faillite, d’insolvabilité ou de protection des consommateurs [...]
— Toute infraction pénale faisant ou ayant fait l’objet d’une procédure judiciaire peut également être prise en compte, dès lors qu’elle jette le doute sur l’intégrité du candidat acquéreur et peut donc signifier que les exigences d’intégrité ne sont pas rencontrées.
28. L’intégrité du candidat acquéreur sera évaluée à l’aune non seulement des décisions de justice et des procédures judiciaires en cours mais aussi des situations suivantes, qui sont susceptibles de jeter le doute sur l’intégrité du candidat acquéreur :
— enquêtes en cours ou clôturées et/ou mesures coercitives concernant le candidat acquéreur ou sanctions administratives pour non-respect de dispositions régissant les activités bancaires, financières ou d’assurance, les services financiers, les marchés de valeurs mobilières, les valeurs mobilières ou les instruments de paiement, ou de toute autre législation relative aux services financiers ;
— enquêtes en cours ou clôturées et/ou mesures coercitives imposées par tout organisme professionnel ou de réglementation pour non-respect de dispositions applicables. »
B – Le droit italien
20. L’article 193 du codice delle assicurazioni private (code des assurances privées) ( 10 ), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, disposait :
« 1. Les entreprises d’assurance qui ont leur siège social dans d’autres États membres sont soumises au contrôle prudentiel de l’autorité de l’État membre d’origine, y compris pour l’activité exercée en régime d’établissement ou en régime de libre prestation de services sur le territoire de la République.
2. Sans préjudice de ce qui est prévu audit paragraphe 1, lorsque l’[ISVAP] ( 11 ) constate que l’entreprise d’assurance ne respecte pas les dispositions de la loi italienne en vigueur, elle lui notifie cette violation et lui ordonne de se conformer aux lois en vigueur.
3. Si l’entreprise ne se conforme pas aux lois en vigueur, l’[ISVAP] en informe l’autorité de contrôle de l’État membre d’origine et lui demande que soient adoptées les mesures nécessaires pour faire cesser les irrégularités constatées.
4. Lorsque l’autorité de l’État d’origine ne prend pas de mesures ou lorsque celles-ci se révèlent inadéquates, lorsque les irrégularités commises peuvent porter préjudice à l’intérêt général, ou lorsqu’il y a urgence à protéger les intérêts des assurés et des autres personnes ayant droit à des prestations d’assurance, l’[ISVAP] peut adopter à l’égard de l’entreprise d’assurance, après en avoir informé l’autorité de contrôle de l’État membre d’origine, les mesures nécessaires, y compris
l’interdiction de conclure de nouveaux contrats d’assurance en régime d’établissement ou de libre prestation de services avec les effets visés à l’article 167.
5. Si l’entreprise d’assurance qui a commis l’infraction exerce ses activités par l’intermédiaire d’une succursale ou possède des biens sur le territoire de la République, les sanctions administratives applicables en vertu des dispositions de la loi italienne sont adoptées à l’égard de ladite succursale ou prennent la forme d’une confiscation des biens présents sur le territoire italien.
6. Les mesures qui imposent des sanctions ou des restrictions à l’exercice d’activités en régime d’établissement ou de libre prestation de services sont notifiées à l’entreprise concernée. Dans ses échanges avec l’[ISVAP], l’entreprise d’assurance communique en italien. »
II – Le litige au principal et la question préjudicielle
21. Onix est une société d’assurance de droit roumain ayant son siège à Bucarest (Roumanie) qui exerce, depuis le 24 octobre 2012, des activités en Italie en régime de libre prestation de services, en particulier dans le domaine de l’assurance-caution, en fournissant des polices fidéjussoires à des organismes publics dans le cadre de procédures d’appel d’offres.
22. D’après les informations communiquées par l’Autoritatea de supraveghere financiara (Autorité de surveillance financière) roumaine ( 12 ) à l’IVASS, pendant les deux mois au cours desquels Onix a exercé ses activités en 2012, la société a encaissé des primes à hauteur de 795363 euros, dont environ 75 % en Italie et le reste en Roumanie.
23. À la suite d’une demande d’informations émanant de l’IVASS, qui avait elle-même reçu des demandes de renseignements de la part d’administrations publiques titulaires de polices fidéjussoires, l’ASF a indiqué que l’actionnaire de référence d’Onix était un citoyen italien, Simone Lentini, contrôlant, en tant qu’actionnaire personne physique, 0,01 % du capital d’Onix et, en tant qu’actionnaire unique de la société Egady Company, les 99,99 % du capital restant. L’ASF a également précisé que
M. Lentini était également président et directeur général d’Onix.
24. L’IVASS a considéré que les informations reçues faisaient apparaître que la réputation de M. Lentini était problématique, en particulier parce qu’il avait été condamné, le 29 juillet 2013, par le Tribunale di Marsala (Tribunal de Marsala, Italie) pour tentative d’escroquerie aggravée au préjudice de l’État italien.
25. Par lettre du 4 octobre 2013, l’IVASS a transmis à l’ASF les informations et les documents en sa possession, lui demandant d’adopter toute mesure appropriée visant à protéger les assurés, et l’avertissant que, en l’absence d’intervention, elle prendrait elle-même toute mesure utile et nécessaire pour protéger les intérêts des assurés italiens.
26. Par lettre du 8 novembre 2013, l’ASF a offert sa collaboration, annonçant la mise en place d’un groupe de travail interne chargé d’apprécier les mesures à adopter et a demandé à l’IVASS de collaborer avec elle.
27. Par lettre du 19 novembre 2013, l’IVASS a confirmé qu’elle était disposée à collaborer, tout en soulignant l’urgence du dossier et en annonçant que si l’ASF n’avait pas, dans les 30 jours, révoqué l’agrément d’Onix, elle se verrait dans l’obligation d’interdire à cette société de conclure de nouveaux contrats d’assurance en Italie.
28. Le 9 décembre 2013, une réunion a eu lieu entre les deux autorités de contrôle, au cours de laquelle l’ASF aurait indiqué qu’elle n’était pas en mesure de révoquer l’agrément octroyé à Onix, notamment parce que les critères prévus par les lignes directrices du 18 juillet 2008 n’avaient pas été transposées dans l’ordre juridique interne.
29. Par décision du 20 décembre 2013, adoptée sur le fondement de l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49 et de l’article 193, paragraphe 4, du CAP, l’IVASS a interdit à Onix de conclure de nouveaux contrats d’assurance sur le territoire italien.
30. Onix a formé contre cette décision un recours devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), lequel, par jugement du 14 janvier 2015, l’a rejeté en considérant que l’absence de réputation constituait l’urgence qui justifiait l’adoption de mesures visant à protéger les intérêts des assurés.
31. Onix a interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) en soutenant, en particulier, que l’autorité de contrôle de l’État membre d’accueil n’a pas le pouvoir d’interdire à l’opérateur d’assurance agréé dans l’État membre d’origine de conclure de nouveaux contrats sur son territoire au motif que la condition relative à la réputation ne serait pas respectée.
32. La juridiction de renvoi envisage de rejeter le recours en considérant que l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49 autorise les autorités de contrôle de l’État membre d’accueil, en raison des antécédents pénaux avérés de l’actionnaire de référence, à interdire préventivement à l’entreprise d’assurance de poursuivre ses activités sur son territoire afin de protéger les intérêts des assurés.
33. Ayant, toutefois, des doutes sur la compatibilité d’une telle solution avec le droit de l’Union, et notamment avec le principe de l’agrément unique et du contrôle de la condition relative à la réputation par l’État membre d’origine, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante : « Le droit [de l’Union] et en particulier l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49, la communication interprétative 2000/C 43/03,
point 5, et le principe [...] du contrôle par le pays d’origine s’opposent-ils à une interprétation (telle que celle faite de l’article 193, paragraphe 4, du [CAP] et que partage la juridiction de céans) selon laquelle l’autorité de contrôle d’un État accueillant un opérateur d’assurance en libre prestation de services peut prendre d’urgence, afin de protéger les intérêts des assurés et des personnes ayant droit à des prestations d’assurance, des décisions d’interdiction et en particulier
l’interdiction de conclure de nouveaux contrats sur le territoire de l’État membre d’accueil, fondées sur le non-respect allégué, originaire ou constaté postérieurement, et apprécié discrétionnairement, d’une condition subjective d’autorisation prévue pour l’octroi de l’agrément pour l’exercice de l’activité d’assurance, et notamment la condition relative à la réputation ? »
III – Notre appréciation
34. Pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il nous faut partir de la prémisse, rappelée par la Commission dans ses observations écrites, que la directive 92/49 a consacré les principes de l’agrément unique et de la compétence exclusive de l’État membre dans lequel est situé le siège social de l’entreprise d’assurance en ce qui concerne la surveillance financière de cette entreprise. Conformément à son considérant 1, cette directive a pour but d’achever le marché intérieur
dans le secteur de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, sous le double aspect de la liberté d’établissement de la libre prestation de services, afin de faciliter aux entreprises d’assurance ayant leur siège social dans l’Union européenne la couverture des risques situés à l’intérieur de cette dernière.
35. Il ressort, en outre, du considérant 5 de la directive 92/49 que, afin d’atteindre ces objectifs, la démarche retenue par le législateur de l’Union consiste en la réalisation de « l’harmonisation essentielle, nécessaire et suffisante pour parvenir à une reconnaissance mutuelle des agréments et des systèmes de contrôle prudentiel, qui permette l’octroi d’un agrément unique valable dans toute la Communauté et l’application du principe du contrôle par l’État membre d’origine ».
36. L’État membre d’origine est ainsi exclusivement compétent, conformément aux articles 6 et 13 de la directive 73/239, modifiés, pour vérifier la réunion des conditions nécessaires à la délivrance de l’agrément administratif préalable et procéder à leur surveillance financière. Ainsi que le précise explicitement l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, la délivrance de cet agrément par l’État membre d’origine donne accès à l’activité d’assurance dans l’ensemble de l’Union.
37. Dans la mesure où les conditions d’agrément sont harmonisées, la libre prestation de services ne peut être limitée par l’instauration, par les autres États membres, de conditions supplémentaires auxquelles ils subordonneraient l’exercice sur leur territoire des activités d’assurance, soit en régime d’établissement, soit en régime de libre prestation de services. Il convient de considérer que, de même, la libre prestation de services ne pourrait pas non plus être pleinement réalisée si les autres
États membres pouvaient refuser le bénéfice des dispositions du droit de l’Union à une entreprise d’assurance qui a obtenu un agrément administratif préalable en se livrant à une appréciation différente de la situation de cette entreprise au regard des conditions fixées par le législateur de l’Union.
38. Le principe de l’agrément unique s’oppose donc incontestablement à un réexamen par l’État membre d’accueil des conditions harmonisées prévues pour la délivrance de cet agrément, lequel ne peut être retiré, lorsque l’entreprise d’assurance ne satisfait plus à ces conditions, que par l’État membre d’origine.
39. Les conditions d’agrément sont énumérées à l’article 8 de la directive 73/239, qui prévoit en particulier que, en vue d’obtenir l’agrément, l’entreprise qui se constitue doit adopter l’une des formes juridiques prévues par cette directive ( 13 ), limiter son objet social à l’activité d’assurance et aux opérations qui en découlent directement, à l’exclusion de toute autre activité commerciale ( 14 ), et présenter un programme d’activités indiquant notamment la nature des risques garantis et les
précisions relatives aux primes et aux sinistres.
40. Pour ce qui concerne plus particulièrement la présente affaire, il convient de relever que l’article 8, paragraphe 1, sous e), de la directive 73/239 prévoit que les entreprises d’assurance doivent être dirigées de manière effective par des personnes qui remplissent les conditions requises « d’honorabilité et de qualification ou d’expérience professionnelles », tandis que les articles 8 et 15 ter de la directive 92/49 prévoient des conditions portant sur la « qualité » des actionnaires ou
associés, laquelle doit garantir une gestion saine et prudente, le second de ces deux articles précisant qu’en cas d’acquisition par un nouvel acquéreur, celui-ci doit remplir un critère de « réputation ».
41. Ces deux directives subordonnent donc explicitement la délivrance et le maintien de l’agrément à des conditions d’« honorabilité » des dirigeants et de « réputation » des actionnaires.
42. Il en résulte deux conséquences.
43. Premièrement, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la portée exacte des lignes directrices du 18 juillet 2008, il convient de relever que l’adoption de ces lignes directrices à caractère interprétatif ne signifie évidemment pas que, avant cette interprétation, les dispositions fixant des conditions de réputation ne revêtaient aucun caractère obligatoire pour les États membres. C’est donc à tort que les autorités de contrôle roumaines ont cru pouvoir s’abriter derrière l’absence de
transposition des lignes directrices pour légitimer leur refus de retirer l’agrément d’Onix en raison des antécédents judiciaires de son actionnaire de référence.
44. Deuxièmement, si les termes relativement vagues de « réputation » et d’« honorabilité », laissent assurément une certaine marge d’appréciation aux autorités compétentes de l’État membre d’origine, ils ne sauraient, toutefois, être interprétés comme habilitant les autorités de contrôle de l’État membre d’accueil à se livrer à une appréciation de ces critères, concurrente de celle effectuée par les autorités de contrôle de l’État membre d’origine. Si marge d’appréciation il y a, elle appartient
exclusivement à l’État membre d’origine et ne saurait valoir attribution de compétence concurrente à l’État membre d’accueil. En d’autres termes, l’absence de délimitation précise des contours de la notion « standard » de réputation ou de celle d’honorabilité ne saurait justifier l’immixtion des autorités de contrôle de l’État membre d’accueil dans les compétences réservées à celles de l’État membre d’origine.
45. Nous considérons donc que la condition de réputation n’échappe pas à la règle, rappelée par la Commission dans sa communication interprétative, selon laquelle le respect des conditions harmonisées d’agrément n’incombe qu’à l’État membre d’origine, sous la responsabilité duquel l’agrément unique est délivré.
46. Nous partageons donc pleinement la déduction qu’en fait cette institution, à savoir que l’autorité de l’État membre d’accueil n’est, en principe, pas habilitée à pallier l’inaction de l’autorité de l’État membre d’origine en arrêtant une mesure exclusivement fondée sur la méconnaissance de l’une des conditions requises pour l’agrément des sociétés d’assurance.
47. Nous proposons donc à la Cour d’énoncer en règle générale que l’article 8, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 73/239 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité de contrôle de l’État membre d’accueil prenne, à l’égard d’une entreprise d’assurance opérant sur son territoire sous le régime de la libre prestation de services, des mesures telles que l’interdiction de conclure de nouveaux contrats, fondées exclusivement sur le non-respect des
conditions d’agrément, telle celle relative à la réputation des actionnaires.
48. De là à déduire abruptement de l’énoncé de cette règle que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’État italien serait dépourvu, hormis au moyen de l’action en manquement, de toute possibilité d’agir pour assurer la protection des assurés et des preneurs d’assurance, il y a un pas qu’il faut se garder, selon nous, de franchir.
49. En effet, l’analyse selon laquelle le principe de l’agrément unique et la règle du contrôle par l’État membre d’origine impliqueraient que l’État membre d’accueil est privé de toute possibilité d’agir à l’encontre d’une entreprise d’assurance agréée qui ne respecterait pas les règles de droit applicables sur son territoire repose sur une vision tronquée de la directive 92/49, dont d’importantes dispositions réservent aux autorités de l’État membre d’accueil la possibilité d’intervenir pour
mettre fin aux irrégularités constatées.
50. En premier lieu, l’article 28 de cette directive reconnaît à l’État membre d’accueil le pouvoir d’empêcher la conclusion d’un contrat qui serait « en opposition avec les dispositions légales d’intérêt général en vigueur ». L’intérêt général constitue donc un premier garde-fou qui permet de justifier une mesure qui restreint la liberté de prestation de services d’une entreprise agréée. La solution ainsi consacrée par le législateur de l’Union fait directement écho à la jurisprudence de la Cour,
issue de son arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral ( 15 ), dit « Cassis de Dijon », qui a admis que des raisons impérieuses d’intérêt général peuvent justifier des restrictions à la libre circulation.
51. En second lieu, l’article 40 de la directive 92/49 prévoit une clause de sauvegarde qui permet l’adoption par l’État membre d’accueil de mesures destinées à garantir le respect par les entreprises ayant une succursale ou opérant un régime de libre prestation de services sur son territoire des règles y applicables.
52. Cet article instaure deux procédures différentes selon qu’il y a ou non urgence.
53. La procédure normale prévue à l’article 40, paragraphes 3 à 5, de la directive 92/49 permet à l’État membre d’accueil de prévenir ou de réprimer les irrégularités commises sur son territoire par une entreprise agréée. L’autorité de contrôle de cet État membre doit d’abord inviter l’entreprise concernée à mettre fin à la situation irrégulière, puis, si l’entreprise concernée ne fait pas le nécessaire, en informer les autorités compétentes de l’État membre d’origine afin que celles-ci prennent,
« dans les plus brefs délais, toutes les mesures appropriées pour que l’entreprise concernée mette fin à cette situation irrégulière» ( 16 ). Ce n’est que dans l’hypothèse où l’entreprise persiste à enfreindre les règles de droit en vigueur en dépit des mesures prises ou parce que ces mesures apparaissent « inadéquates» ( 17 ) ou « font défaut» ( 18 ) que l’État membre d’accueil peut lui-même prendre « les mesures appropriées pour prévenir ou réprimer de nouvelles irrégularités» ( 19 ),
lesquelles comprennent, « pour autant que cela soit absolument nécessaire» ( 20 ), l’interdiction de continuer à conclure de nouveaux contrats d’assurance.
54. La procédure d’urgence prévue à l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49 permet aux États membres concernés de prendre, en cas d’urgence, des mesures appropriées pour prévenir les irrégularités commises sur leur territoire, dont l’interdiction de continuer à conclure de nouveaux contrats d’assurance.
55. En l’occurrence, il est constant que la mesure d’interdiction de conclure de nouveaux contrats en Italie a été prise sur le fondement de l’article 193 du code des assurances privées, qui a fusionné en une seule la procédure d’urgence et la procédure ordinaire. Toutefois, il ressort également de la décision de renvoi que cette mesure a été motivée par l’existence d’une situation d’urgence caractérisée par la nécessité de protéger les assurés. C’est la raison pour laquelle la juridiction de renvoi
a centré sa question sur l’interprétation de l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49.
56. Les parties ayant présenté des observations devant la Cour ont livré de cette disposition des lectures opposées.
57. Alors qu’Onix soutient que cette disposition limite le pouvoir d’intervention de l’État membre d’accueil à la seule hypothèse de violation des dispositions d’intérêt général relevant de la « réglementation opérationnelle » applicable dans cet État membre en ce qui concerne la conclusion et l’exécution des contrats d’assurance, le gouvernement italien considère que ce pouvoir peut être fondé sur la seule circonstance que l’un des actionnaires ne remplit plus la condition relative à la réputation,
dès lors qu’il est établi que l’intérêt général des assurés ne peut pas être protégé de façon adéquate dans l’État membre d’origine. Ce gouvernement ajoute, s’agissant plus particulièrement de la procédure d’urgence prévue à l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49, que la notion de « prévention des irrégularités » est très large et comprend toutes les circonstances dont il peut résulter un danger réel pour les intérêts des assurés ou d’atteinte à la régularité et à l’efficience du
marché des assurances dans son ensemble. La Commission fait valoir de son côté que, pour déclencher la procédure d’urgence, l’autorité de l’État membre d’accueil doit non pas se limiter à démontrer que l’une des conditions d’agrément n’est pas ou plus remplie, mais prouver l’existence d’une nécessité particulière d’intervenir pour empêcher que des infractions soient commises. Elle admet, cependant, qu’il incombe à cette autorité de déterminer si, dans des circonstances telles que celles de
l’affaire au principal, des infractions risquaient d’être commises sur le territoire national et si, afin de les empêcher, l’interdiction de conclure de nouveaux contrats était strictement nécessaire, la situation concrète des personnes responsables de l’exploitation de l’entreprise et le non-respect, de leur part, de l’exigence d’honorabilité pouvant être pris en considération à cet effet.
58. À notre sens, la préservation de l’effet utile des dispositions du droit de l’Union qui régissent la répartition des compétences entre l’État membre d’origine et l’État membre d’accueil implique, comme l’expose à juste titre la Commission, que les autorités de l’État membre d’accueil ne puissent pas faire usage de la procédure de sauvegarde en se fondant exclusivement sur la circonstance que l’entreprise d’assurance exerçant en vertu de la liberté d’établissement ou de la libre prestation de
services ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’agrément. En effet, admettre que le non-respect des conditions d’agrément suffit en lui-même à justifier la compétence de l’État membre d’accueil reviendrait à transformer l’exception de l’article 40 de la directive 92/49 en principe et à dénaturer en une compétence concurrente une compétence seulement supplétive, s’exerçant à défaut d’intervention des autorités de l’État membre d’origine.
59. En revanche, nous ne pensons pas que les principes de l’agrément unique et du contrôle par l’État membre d’origine imposent de considérer que les autorités de contrôle de l’État membre d’accueil ne peuvent agir sur le fondement de l’article 40 de la directive 92/49 qu’en cas d’irrégularités aux dispositions qui demeurent de la compétence des États membres.
60. Cette interprétation rencontre en effet plusieurs objections.
61. Premièrement, elle nous paraît reposer sur une lecture exagérément restrictive de l’article 40 de la directive 92/49, qui, s’il énonce à la règle du contrôle par l’État membre d’origine une exception qui doit être interprétée strictement, est, toutefois, rédigé en termes généraux sans faire de distinction selon l’origine des irrégularités dont la prévention est recherchée.
62. Deuxièmement, l’analyse selon laquelle l’article 40 de la directive 92/49 paraît avoir été précisément conçu non seulement comme une disposition d’ordre procédural, mais aussi comme une exception au principe du contrôle par l’État membre d’origine, rendant compétent l’État membre d’accueil sous certaines conditions, est corroborée par les travaux préparatoires de la directive 92/49. En effet, selon l’exposé des motifs de la proposition de troisième directive du Conseil portant coordination des
dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et modifiant les directives 73/239 et 88/357 [COM(90)348 final] ( 21 ), si le régime juridique instauré afin de permettre l’adoption de mesures et de sanctions à l’encontre de l’entreprise d’assurance qui ne respecte pas les règles qui lui sont applicables lors de l’exercice des activités en libre prestation de services « est fondé sur les principes de dévolution du
pouvoir général d’adoption des mesures et des sanctions à l’État membre d’origine ainsi que sur la collaboration des différents État membres concernés» ( 22 ), l’État membre d’accueil « garde néanmoins ( 23 ) la possibilité d’adopter directement ( 24 ) des mesures contre l’entreprise qui opère sur son territoire pour prévenir ou réprimer les irrégularités commises par celle-ci sur son territoire à l’égard des dispositions qui lui sont applicables» ( 25 ). Il est indiqué qu’« [i]l en est de même
lorsque les mesures prises par l’État membre d’origine sont insuffisantes ou font défaut» ( 26 ). Le mécanisme de sauvegarde est donc bien envisagé comme une dérogation au principe de « dévolution du pouvoir général » à l’État membre d’origine, permettant à l’État membre d’accueil d’adopter des mesures pour prévenir ou réprimer les irrégularités sur son territoire. L’apport de ce mécanisme n’est donc pas uniquement procédural. Loin de se limiter à coordonner l’action des États membres dans le
respect de leurs champs de compétence respectifs, il reconnaît une certaine compétence à l’État membre d’accueil pour la prévention et la répression des irrégularités commises sur son territoire par une entreprise exerçant ses activités en régime de libre prestation de services.
63. Au demeurant, le principe du contrôle par le pays d’origine n’est pas un principe absolu et, « ne s’agissant pas d’un principe établi par le traité» ( 27 ), le législateur de l’Union peut s’en écarter ( 28 ). Ce principe, tel qu’il est établi par la directive 92/49, a d’ailleurs une portée limitée puisqu’il « s’étend seulement à la surveillance financière des entreprises d’assurances» ( 29 ) et « n’exclut pas la possibilité de contrôles» ( 30 ) par les autorités de l’État membre d’accueil.
64. Troisièmement, il nous paraît important de souligner que, sous l’optique des irrégularités pouvant être reprochées aux entreprises d’assurance, il n’y a pas d’étanchéité absolue entre les dispositions qui relèvent de l’État membre d’origine et celles qui relèvent de l’État membre d’accueil, des faits constitutifs d’un manquement aux dispositions harmonisées pouvant également être constitutifs d’une irrégularité au regard de la législation nationale non harmonisée ou, du moins, faire courir un
risque d’irrégularité.
65. À cet égard, il existe une différence de formulation significative entre l’article 40, paragraphe 3, de la directive 92/49 et l’article 40, paragraphe 6, de cette directive. Alors que la première de ces deux dispositions subordonne le déclenchement de la procédure ordinaire à la constatation que l’entreprise ayant une succursale ou opérant en régime de libre prestation de services sur le territoire d’un État membre « ne respecte pas les règles de droit de cet État qui lui sont applicables », la
seconde ne comporte pas de disposition similaire pour la mise en œuvre de la procédure d’urgence. Le déclenchement de la procédure ordinaire est donc subordonné à la constatation d’une « situation irrégulière » qui consiste à ne pas respecter les règles de droit de l’État membre d’accueil. Cette procédure vise, en conséquence, à faire cesser et à sanctionner une irrégularité déjà commise par l’entreprise concernée.
66. L’aspect préventif de la procédure d’urgence prévue à l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49 permet en revanche une mise en œuvre plus souple. Cette procédure n’obéit pas aux mêmes conditions que la procédure ordinaire puisqu’il suffit, pour que l’État membre d’accueil puisse la déclencher, que soit démontrée la nécessité de « prévenir les irrégularités » qui pourraient être commises sur son territoire. La protection des assurés nationaux contre les risques d’irrégularités est donc de
nature à justifier l’intervention de l’État membre d’accueil, à condition bien sûr que ces risques soient dûment avérés.
67. Nous déduisons des considérations qui précèdent que la clause de sauvegarde prévue dans la directive 92/49 n’a pas été conçue par le législateur de l’Union comme une disposition exclusivement procédurale qui aurait seulement vocation à organiser la coopération entre l’État membre d’origine et l’État membre d’accueil s’agissant du contrôle des entreprises d’assurance exerçant sous le régime de la liberté d’établissement ou sur celui de la libre prestation de services, sans modifier les règles de
répartition des compétences. Cette clause, conçue comme une exception au principe du contrôle par l’État membre d’origine, vise également à reconnaître des pouvoirs d’intervention à l’État membre d’accueil tout en les encadrant par de strictes conditions d’exercice, tant de fond que procédurales.
68. En définitive, si nous partageons pleinement l’analyse de la Commission selon laquelle l’autorité de l’État membre d’accueil n’est, en principe, pas habilitée à pallier l’inaction de l’autorité de l’État membre d’origine en arrêtant une mesure fondée sur la méconnaissance de l’une des conditions requises pour l’agrément des sociétés d’assurance, nous estimons cependant que, dans une hypothèse telle que celle de l’affaire au principal, l’article 40, paragraphe 6, peut servir de fondement à une
mesure d’interdiction de conclure de nouveaux contrats, dès lors que cette mesure est en réalité fondée non pas sur la méconnaissance de l’une des conditions requises pour l’agrément, mais sur l’existence d’un risque d’irrégularités pesant sur les assurés et les bénéficiaires des contrats de cautionnement.
69. Or, tel est précisément le cas dans l’affaire au principal, qui a trait à une situation dans laquelle il existe des circonstances particulières qui démontrent le caractère patent des risques d’irrégularités invoqués par les autorités de contrôle italiennes ainsi que l’urgence à prendre des mesures à l’encontre d’Onix afin d’assurer la protection du marché italien de l’assurance.
70. Il nous faut rappeler, à cet égard, qu’il ressort de la décision de renvoi que la décision d’interdiction de conclure de nouveaux contrats d’assurance en Italie a été prise par l’IVASS sur le fondement des constatations suivantes :
— D’abord, M. Lentini, qui contrôle le capital d’Onix en tant qu’actionnaire personne physique et en tant qu’actionnaire unique de la société Egady Company, a, le 29 juillet 2013, été condamné pour tentative d’escroquerie aggravée commise au préjudice de l’État italien afin d’obtenir des concours financiers publics.
— Ensuite, M. Lentini était l’administrateur unique de la société G.C.C. Garanzie Crediti e Cauzioni SpA, laquelle, par une décision de la Banca d’Italia (Banque d’Italie) du 28 août 2007 et une décision du ministre de l’Économie du 10 juin 2008, a été radiée des listes des intermédiaires financiers pour cause d’irrégularités de gestion et de non-respect des exigences minimales en matière de fonds propres, tandis que, pour les mêmes raisons, était infligée à M. Lentini une sanction
administrative d’un montant de 80000 euros.
— Enfin, la société Garanzie Crediti e Cauzioni Srl, anciennement société Garanzie Crediti e Cauzioni SpA, a subi à deux reprises des séquestres sur décision de l’Agenzia delle Entrate (administration fiscale) en raison de cautionnements fournis et non honorés.
71. À notre sens, en se fondant sur cette triple série d’antécédents, l’IVASS a caractérisé l’existence d’un risque particulièrement sérieux de réitération, via Onix, personne morale interposée, des irrégularités pour lesquelles des sanctions ont été déjà prononcées à l’encontre de M. Lentini personnellement ou des sociétés qu’il contrôle. Or, ces irrégularités passées font elles-mêmes naître le risque qu’Onix ne soit pas en mesure d’honorer ses engagements de caution et cause, par voie de
conséquence, un grave préjudice tant aux entreprises ayant financé la souscription de contrats d’assurance auprès de cette société que pour les personnes morales publiques bénéficiaires de ces engagements. Dans les circonstances particulières de l’affaire en cause au principal, la démonstration d’un risque d’irrégularités justifiant le recours à la procédure de l’article 40, paragraphe 6, nous paraît donc clairement établie, indépendamment du constat du non-respect de la condition de réputation
nécessaire à l’obtention de l’agrément.
72. Nous estimons de surcroît que l’IVASS a mis en évidence l’existence d’une situation d’urgence résultant de l’absence de coopération et du défaut de diligence des autorités de contrôle roumaines, de la circonstance qu’Onix dirigeait principalement ses activités vers le territoire italien puisque, habilitée à y exercer seulement depuis le 24 octobre 2012, la société y avait encaissé 75 % de ses primes d’assurance pendant ses deux mois d’activité en 2012 et des demandes alarmistes d’informations
présentées par des administrations publiques exprimant leurs inquiétudes en leur qualité de bénéficiaires des garanties souscrites auprès d’Onix.
73. En cela, nous partageons pleinement l’avis du président de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) ( 31 ), qui, statuant sur le bien-fondé de la plainte déposée par Onix le 5 février 2014 contre l’IVASS, a décidé ( 32 ) de ne pas ouvrir d’enquête en retenant, en particulier, que le pouvoir de l’autorité de l’État membre d’accueil de prendre, en cas d’urgence, des mesures appropriées, prévu à l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49, peut être exercé
lorsqu’il ne peut être répondu aux préoccupations de ladite autorité d’une autre manière, notamment au moyen de la coopération entre autorités de contrôle.
74. En définitive, nous considérons que les conditions de mise en œuvre de la procédure d’urgence prévue à l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49 sont remplies dans la présente affaire dans la mesure où l’IVASS ne s’est pas limitée à constater le non-respect de la condition de réputation par Onix, mais a fait ressortir l’existence d’une situation d’urgence nécessitant l’adoption de mesures destinées à prévenir des irrégularités.
75. L’analyse selon laquelle l’intervention de l’État membre d’accueil est légitime et justifiée dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal nous paraît corroborée par l’important corpus jurisprudentiel relatif à la sanction de l’abus de droit.
76. L’invocation de l’abus de droit pour justifier la légitimité de certaines restrictions à la libre prestation de services est devenue familière dans la jurisprudence de la Cour depuis l’arrêt du 3 décembre 1974, van Binsbergen ( 33 ). Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit qu’« on ne saurait dénier à un État membre le droit de prendre des dispositions destinées à empêcher que la liberté [de prestation de services] soit utilisée par un prestataire dont l’activité serait entièrement ou
principalement tournée vers son territoire, en vue de se soustraire aux règles professionnelles qui lui seraient applicables au cas où il serait établi sur le territoire de cet État [...]» ( 34 ).
77. La Cour a ultérieurement énoncé qu’« un État membre est en droit de prendre des mesures destinées à empêcher que, à la faveur des facilités créées en vertu du traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l’emprise de leur législation nationale» ( 35 ) et que les justiciables « ne sauraient abusivement ou frauduleusement se prévaloir des normes [du droit de l’Union]» ( 36 ). Elle a considéré que, dans de telles circonstances, les juridictions nationales
peuvent, en se fondant sur des éléments objectifs, tenir compte du comportement abusif ou frauduleux des personnes concernées pour leur refuser, le cas échéant, le bénéfice des dispositions du droit de l’Union invoquées, sous réserve de prendre en considération, dans l’appréciation d’un tel comportement, les objectifs poursuivis par les dispositions en cause ( 37 ).
78. Si cette jurisprudence n’autorise pas un État membre à exclure de façon générale que certains services puissent être fournis par des opérateurs établis dans d’autres États membres, car cela reviendrait à supprimer la libre prestation de services ( 38 ), elle lui permet, en revanche, d’adopter « au cas par cas» ( 39 ) des mesures d’interdiction spécifique.
79. La Cour exige que la caractérisation d’une situation d’abus de droit repose sur des éléments objectifs. Parmi les éléments qui sont généralement pris en compte figure le critère tiré de l’orientation de l’activité, la situation dans laquelle cette activité est entièrement ou principalement tournée vers le territoire de l’État membre d’accueil relevant du droit d’établissement et non de la libre prestation de services.
80. Or, les circonstances de l’affaire au principal font ressortir des éléments objectifs de contournement de la législation italienne. Il est, en effet, constant qu’Onix, dès qu’elle a été autorisée à exercer sous le régime de la libre prestation de services, a dirigé 75 % de ses activités vers le territoire italien alors qu’elle était dirigée et contrôlée par une personne à laquelle il a été interdit d’accéder au marché de l’assurance italien ( 40 ). Il ressort de ces éléments que M. Lentini s’est
établi en Roumanie pour exercer à nouveau sur le territoire italien, par personne morale interposée, la même activité que celle qu’il lui est interdit d’exercer.
81. Alors que la qualification d’abus est habituellement retenue dans des situations où un opérateur implante son établissement dans un État membre ayant une réglementation avantageuse afin d’échapper à la réglementation plus contraignante d’un autre État membre, l’affaire au principal correspond à une hypothèse de fraude plus évidente et grave, dans laquelle une personne cherche à échapper à une interdiction d’exercice en usant de la liberté de prestation de services.
82. Si nous partageons l’idée, éloquemment exposée lors de l’audience par la Commission, selon laquelle les risques de contournement ne doivent pas conduire à « jeter le bébé avec l’eau du bain » en remisant au placard le principe du contrôle par l’État membre d’origine, nous sommes également convaincus, pour poursuivre la métaphore, qu’il ne faut pas « laver le bébé à l’eau sale ». Accepter que les principes de l’agrément unique et du contrôle par l’État membre d’origine puissent naviguer dans les
eaux troubles, voire particulièrement saumâtres, de la fraude à la loi est non pas les préserver, mais conduire à leur perte.
83. À notre sens, c’est la crédibilité de l’ordre juridique de l’Union qui se joue dans la présente affaire. Refuser de sanctionner des comportements de fraude à la loi consistant à utiliser la libre prestation de services comme un moyen de contournement d’une décision d’interdiction d’accès à un marché national justifiée, notamment, par des antécédents pénaux revient à fournir un argument de poids à tous ceux qui expriment de fortes réticences à l’égard du principe du pays d’origine, qui constitue
pourtant la clé de voûte de la construction du marché intérieur. Ce principe mérite mieux qu’une approche dogmatique qui, en le parant d’un absolutisme dangereux, le rigidifie à l’excès pour, finalement, le fragiliser et menacer tout l’édifice.
84. Finalement, admettre que la clause de sauvegarde voulue par le législateur de l’Union puisse fonctionner dans les circonstances de l’affaire au principal consiste, ni plus ni moins, à « réaliser cet assouplissement bienfaisant, cette compression sociale en dehors de laquelle le droit deviendrait odieux, puisqu’il pourrait servir indifféremment à consacrer la justice ou l’injustice, au gré des scrupules ou des appétits de chacun» ( 41 ). Et refuser que la liberté de prestation de services soit
asservie à l’appétit des fraudeurs qui cherchent à échapper à une interdiction d’exercice dans un État membre en trouvant refuge dans un autre État membre n’est pas remettre en cause les acquis du marché intérieur.
85. Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons à la Cour de répondre que l’article 8, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 73/239 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité de contrôle de l’État membre d’accueil prenne, à l’égard d’une entreprise d’assurance opérant sur son territoire sous le régime de la libre prestation de services, des mesures telles que l’interdiction de conclure de nouveaux contrats, fondées exclusivement sur le
non-respect des conditions d’agrément, telle celle relative à la réputation des actionnaires.
86. En revanche, ces dispositions ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, où l’entreprise d’assurance agréée par l’État membre d’origine, d’une part, a pour actionnaire de référence une personne physique qui, ayant notamment été condamnée pénalement pour tentative d’escroquerie, est interdite d’accès au marché de l’assurance dans l’État membre d’accueil, et, d’autre part, dirige principalement ses activités vers le territoire de cet État membre, à ce
que les autorités de contrôle dudit État membre adoptent, sur le fondement de l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49 et en tenant compte de l’urgence résultant de l’inaction des autorités de contrôle de l’État membre d’origine, vainement mises en demeure de retirer l’agrément, des mesures restreignant la liberté de prestation de services de l’entreprise concernée sur son territoire, telles que l’interdiction de continuer de conclure de nouveaux contrats, afin de prévenir le risque de
contournement, par personne morale interposée, de l’interdiction d’accès au marché et le risque corrélatif de réitération des irrégularités pour lesquelles l’actionnaire de référence a été sanctionné.
87. Même si la juridiction de renvoi n’interroge pas la Cour sur la question de savoir selon quelles modalités procédurales des mesures peuvent être prises par l’autorité de contrôle de l’État membre d’accueil sur le fondement de l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49, sa constatation selon laquelle la mesure d’interdiction de conclure de nouveaux contrats a été prise à l’encontre d’Onix sans audition préalable de celle-ci nous amène à préciser qu’à notre sens, le droit d’être entendu
dans toute procédure doit s’appliquer même lorsqu’il est fait usage de la procédure d’urgence prévue par cette disposition. En effet, le respect du droit d’être entendu trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief ( 42 ) et s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité ( 43 ).
IV – Conclusion
88. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) :
L’article 8, paragraphe 1, et l’article 13, paragraphe 1, de la première directive 73/239/CEE du Conseil, du 24 juillet 1973, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et son exercice, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’autorité de contrôle de l’État membre d’accueil prenne, à l’égard d’une entreprise d’assurance opérant sur son
territoire sous le régime de la libre prestation de services, des mesures telles que l’interdiction de conclure de nouveaux contrats, fondées exclusivement sur le non-respect des conditions d’agrément, telle celle relative à la réputation des actionnaires.
En revanche, ces dispositions ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, où l’entreprise d’assurance agréée par l’État membre d’origine, d’une part, a pour actionnaire de référence une personne physique qui, ayant notamment été condamnée pénalement pour tentative d’escroquerie, est interdite d’accès au marché de l’assurance dans l’État membre d’accueil, et, d’autre part, dirige principalement ses activités vers le territoire de cet État membre, à ce
que les autorités de contrôle dudit État membre adoptent, sur le fondement de l’article 40, paragraphe 6, de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive « assurance non vie ») et en tenant compte de l’urgence résultant de l’inaction des autorités de contrôle de l’État
membre d’origine, vainement mises en demeure de retirer l’agrément, des mesures restreignant la liberté de prestation de services de l’entreprise concernée sur son territoire, telles que l’interdiction de continuer de conclure de nouveaux contrats, afin de prévenir le risque de contournement, par personne morale interposée, de l’interdiction d’accès au marché et le risque corrélatif de réitération des irrégularités pour lesquelles l’actionnaire de référence a été sanctionné.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) JO 1992, L 228, p. 1.
( 3 ) Ci-après « Onix ».
( 4 ) IVASS.
( 5 ) Première directive du Conseil du 24 juillet 1973, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité de l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie, et son exercice (JO 1973, L 228, p. 3).
( 6 ) Directive modifiant la directive 92/49/CEE du Conseil et les directives 2002/83/CE, 2004/39/CE, 2005/68/CE et 2006/48/CE en ce qui concerne les règles de procédure et les critères d’évaluation applicables à l’évaluation prudentielle des acquisitions et des augmentations de participation dans des entités du secteur financier (JO 2007, L 247, p. 1).
( 7 ) JO 2009, L 335, p. 1.
( 8 ) JO 2000, C 43, p. 5.
( 9 ) CEBS/2008/214, CEIOPS-3L3-19/08, CESR/08-543b. Ci-après les « lignes directrices du 18 juillet 2008 ».
( 10 ) Supplément ordinaire à la GURI no 239, du 13 octobre 2005.
( 11 ) Istituto per la vigilanza sulle assicurazioni private e di interesse collettivo, devenu IVASS.
( 12 ) Ci-après l’« ASF ».
( 13 ) Article 8, paragraphe 1, sous a), de la directive 73/239.
( 14 ) Article 8, paragraphe 1, sous b), de la directive 73/239.
( 15 ) 120/78, EU:C:1979:42.
( 16 ) Article 40, paragraphe 4, de la directive 92/49.
( 17 ) Article 40, paragraphe 5, de la directive 92/49.
( 18 ) Article 40, paragraphe 5, de la directive 92/49.
( 19 ) Article 40, paragraphe 5, de la directive 92/49.
( 20 ) Article 40, paragraphe 5, de la directive 92/49.
( 21 ) JO 1990, C 244, p. 28.
( 22 ) Article 35, paragraphe 2, première phrase, de la proposition de la Commission.
( 23 ) Italique ajouté par nos soins.
( 24 ) Italique ajouté par nos soins.
( 25 ) Article 35, paragraphe 2, deuxième phrase, de la proposition de la Commission.
( 26 ) Article 35, paragraphe 2, troisième phrase, de la proposition de la Commission.
( 27 ) Arrêt du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil (C‑233/94, EU:C:1997:231, point 64).
( 28 ) Arrêt du 13 mai 1997, Allemagne/Parlement et Conseil (C‑233/94, EU:C:1997:231, point 64).
( 29 ) Arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie (C‑518/06, EU:C:2009:270, point 115).
( 30 ) Arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie (C‑518/06, EU:C:2009:270, point 117).
( 31 ) Instituée par le règlement (UE) no 1094/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles), modifiant la décision no 716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/79/CE de la Commission (JO 2010, L 331, p. 48), l’AEAPP, conformément à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, du règlement (UE) no 1092/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relatif à
la surveillance macroprudentielle du système financier dans l’Union européenne et instituant un Comité européen du risque systémique (JO 2010, L 331, p. 1), fait partie du Système européen de surveillance financière (SESF), dont le but est d’assurer la surveillance du système financier de l’Union.
( 32 ) Décision EIOPA-14-267 du président de l’AEAPP relative à l’ouverture d’une enquête au titre de l’article 17 du règlement no 1094/2010.
( 33 ) 33/74, EU:C:1974:131.
( 34 ) Arrêt du 3 décembre 1974, van Binsbergen (33/74, EU:C:1974:131, point 13).
( 35 ) Voir, notamment, arrêt du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126, point 24).
( 36 ) Voir, notamment, arrêts du 2 mai 1996, Paletta (C‑206/94, EU:C:1996:182, point 24, dans lequel la Cour a considéré qu’un employeur peut apporter des éléments de preuve permettant, le cas échéant, à la juridiction nationale de constater l’existence d’un comportement abusif ou frauduleux résultant du fait qu’un travailleur, bien qu’il fasse état d’une incapacité de travail à l’aide d’un certificat médical établi à l’étranger, n’est en réalité pas malade), et du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97,
EU:C:1999:126, point 24).
( 37 ) Voir, notamment, arrêts du 2 mai 1996, Paletta (C‑206/94, EU:C:1996:182, point 25), et du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126, point 25).
( 38 ) Voir, notamment, arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Belgique (C‑11/95, EU:C:1996:316, point 65 et jurisprudence citée).
( 39 ) Voir, notamment, arrêt du 9 mars 1999, Centros (C‑212/97, EU:C:1999:126, point 25), et du 21 juillet 2011, Oguz (C‑186/10, EU:C:2011:509, point 25).
( 40 ) L’existence d’une telle interdiction frappant M. Lentini à la suite des sanctions prononcées à son encontre est explicitement relevée dans la décision de renvoi (point 1.2., sous b).
( 41 ) Josserand, L., De l’esprit des droits et de leur relativité, Théorie dite de l’abus des droits, 2e édition, Dalloz, Paris, 2006.
( 42 ) Voir, notamment, arrêt du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics (C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 30 et jurisprudence citée).
( 43 ) Voir, notamment, arrêt du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics (C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, point 31 et jurisprudence citée).