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12/10/2016 | CJUE | N°C-582/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre Gerrit van Vemde., 12/10/2016, C-582/15


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 12 octobre 2016 ( 1 )

Affaire C‑582/15

Openbaar Ministerie

contre

Gerrit van Vemde

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas)]

«Renvoi préjudiciel — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Reconnaissance mutuelle de jugements — Décision-cadre 2008/909/JAI — Article 28 — Disposition transitoire — Déclaration d’un État membre — Notion de “pron

oncé du jugement définitif”»

1.  Le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation de l’article 28, paragr...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 12 octobre 2016 ( 1 )

Affaire C‑582/15

Openbaar Ministerie

contre

Gerrit van Vemde

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas)]

«Renvoi préjudiciel — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Reconnaissance mutuelle de jugements — Décision-cadre 2008/909/JAI — Article 28 — Disposition transitoire — Déclaration d’un État membre — Notion de “prononcé du jugement définitif”»

1.  Le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation de l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne ( 2 ).

2.  Ce renvoi a été présenté dans le cadre d’une procédure relative à une demande visant à l’autorisation de l’exécution, aux Pays-Bas, d’une décision judiciaire du hof van beroep Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique) comportant, entre autres, la condamnation de M. Gerrit van Vemde à une peine privative de liberté de trois ans.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3. Les considérants 1 et 2 de la décision-cadre sont ainsi libellés :

« (1) Le Conseil européen réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999 a approuvé le principe de reconnaissance mutuelle, qui devrait devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire tant en matière civile que pénale au sein de l’Union.

(2) Le 29 novembre 2000, conformément aux conclusions de Tampere, le Conseil a adopté un programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales [(JO 2001, C 12, p. 10)], qui prévoit d’évaluer dans quelle mesure des mécanismes plus modernes sont nécessaires pour la reconnaissance mutuelle des décisions définitives portant sur des peines privatives de liberté (mesure 14) et d’étendre le principe de transfèrement des personnes condamnées aux
personnes résidant dans un État membre (mesure 16). »

4. L’article 1er de la décision-cadre, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

a) “jugement”, une décision définitive rendue par une juridiction de l’État d’émission prononçant une condamnation à l’encontre d’une personne physique ;

b) “condamnation”, toute peine ou mesure privative de liberté prononcée pour une durée limitée ou illimitée en raison d’une infraction pénale à la suite d’une procédure pénale ;

c) “État d’émission”, l’État membre dans lequel un jugement est rendu ;

d) “État d’exécution”, l’État membre auquel un jugement est transmis aux fins de sa reconnaissance et de son exécution. »

5. L’article 26, paragraphe 1, de la décision-cadre, intitulé « Relations avec d’autres accords et arrangements », prévoit ce qui suit :

« Sans préjudice de leur application entre États membres et États tiers ni de leur application transitoire en vertu de l’article 28, la présente décision-cadre remplace, à partir du 5 décembre 2011, les dispositions correspondantes des conventions ci-après, applicables dans les relations entre les États membres :

— la convention européenne sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 mars 1983 et son protocole additionnel du 18 décembre 1997,

— la convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs du 28 mai 1970,

— le titre III, chapitre 5, de la convention d’application du 19 juin 1990 de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,

— la convention entre les États membres des Communautés européennes sur l’exécution des condamnations pénales étrangères du 13 novembre 1991. »

6. Aux termes de l’article 28 de la décision-cadre, intitulé « Disposition transitoire » :

« 1.   Les demandes reçues avant le 5 décembre 2011 continuent d’être régies conformément aux instruments juridiques existants en matière de transfèrement des personnes condamnées. Les demandes reçues après cette date sont régies par les règles adoptées par les États membres en exécution de la présente décision-cadre.

2.   Cependant, tout État membre peut faire, lors de l’adoption de la présente décision-cadre, une déclaration indiquant que, dans les cas où le jugement définitif a été prononcé avant la date qu’il indique, il continuera, en tant qu’État d’émission et d’exécution, à appliquer les instruments juridiques existants en matière de transfèrement des personnes condamnées applicables avant le 5 décembre 2011. Si une telle déclaration est faite, ces instruments s’appliquent dans de tels cas à tous les
autres États membres, que ceux-ci aient fait ou non la même déclaration. La date indiquée ne peut être postérieure au 5 décembre 2011. Ladite déclaration est publiée au Journal officiel de l’Union européenne. Elle peut être retirée à tout moment. »

7. Sur le fondement de l’article 28 de la décision-cadre, le Royaume des Pays-Bas a fait la déclaration suivante ( 3 ) :

« Conformément à l’article 28, paragraphe 2, les Pays-Bas déclarent que, dans les cas où le jugement définitif a été prononcé moins de trois ans après la date d’entrée en vigueur de la décision-cadre, ils continueront, en tant qu’État d’émission et d’exécution, à appliquer les instruments juridiques qui étaient applicables en matière de transfèrement des personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la décision-cadre. »

B – Le droit néerlandais

8. L’article 2:11 de la Wet wederzijdse erkenning en tenuitvoerlegging vrijheidsbenemende en voorwaardelijke sancties (loi sur la reconnaissance et l’exécution mutuelles de condamnations à des sanctions privatives de liberté assorties ou non d’un sursis, ci-après la « WETS »), qui met en œuvre la décision-cadre, prévoit :

« 1.   [Le] ministre [de la Sécurité et de la Justice] transmet la décision judiciaire [...] à l’avocat général du parquet près la cour d’appel.

2.   L’avocat général présente immédiatement la décision judiciaire [...] à la chambre spécialisée de la cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden [...]

[...]

8.   Dans un délai de six semaines suivant la date à laquelle elle a reçu la décision judiciaire [...], la chambre spécialisée de la cour d’appel transmet [au] ministre [de la Sécurité et de la Justice] l’appréciation écrite et motivée [...] »

9. En vertu de l’article 2:12 de la WETS, le ministre de la Sécurité et de la Justice décide de la reconnaissance de la décision judiciaire en tenant compte de l’appréciation de la chambre spécialisée de la cour d’appel.

10. L’article 5:2 de la WETS dispose :

« 1.   La présente loi se substitue à la Wet overdracht tenuitvoerlegging strafvonnissen (loi sur le transfert de l’exécution de jugements en matière pénale, ci-après la « WOTS ») dans les relations avec les États membres de l’Union européenne.

[...]

3.   La présente loi ne s’applique pas aux décisions judiciaires [...] qui sont devenues définitives avant le 5 décembre 2011.

[...] »

11. Selon l’article 2 de la WOTS, « [l]’exécution aux Pays-Bas de décisions judiciaires étrangères n’a lieu qu’en vertu d’une convention ». Par ailleurs, selon l’article 31, paragraphe 1, de la WOTS, « [l]orsqu’il estime admissible l’exécution de la décision judiciaire étrangère, le tribunal [d’Amsterdam] en accorde l’autorisation et, dans le respect de ce que la convention applicable prévoit à cet égard, il prononce la peine ou la mesure qui a été fixée pour l’infraction correspondante en droit
néerlandais ».

II – Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

12. M. Gerrit van Vemde a été arrêté aux Pays-Bas, le 27 octobre 2009, au titre d’un mandat d’arrêt européen émis par une autorité judiciaire belge aux fins de poursuites pénales. Après sa remise, il a été placé en détention en Belgique. M. Gerrit van Vemde a ensuite été libéré sous caution au cours de la procédure pénale belge et est revenu, par ses propres moyens, aux Pays-Bas, avant qu’un jugement ait été rendu.

13. Le 28 février 2011, le hof van beroep Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique) a prononcé la condamnation de M. Gerrit van Vemde à une peine privative de liberté d’une durée de trois ans. Le 6 décembre 2011, le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique) a rejeté le pourvoi en cassation contre cette décision et la décision du hof van beroep Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) est devenue définitive à cette même date. Une ordonnance de capture délivrée par le Procureur Generaal in Antwerpen
(procureur général d’Anvers, Belgique) a été notifiée à la personne condamnée le 13 février 2012.

14. Le 23 juillet 2013, les autorités belges ont demandé aux Pays-Bas de procéder à la reprise de l’exécution de la peine privative de liberté prononcée par l’arrêt du hof van beroep Antwerpen (cour d’appel d’Anvers). Par requête du 10 octobre 2013, le procureur du Roi (Belgique) a ensuite demandé au rechtbank d’Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas), la juridiction de renvoi, d’accorder l’autorisation de l’exécution de la peine privative de liberté prononcée par le hof van beroep Antwerpen
(cour d’appel d’Anvers).

15. Saisie de cette demande, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir si les dispositions applicables sont celles de la WOTS ou celles de la WETS, qui s’est substituée à la première loi. En effet, d’une part, la WETS, selon son article 5:2, paragraphe 3, ne s’appliquerait pas aux décisions judiciaires qui sont « devenues définitives » avant le 5 décembre 2011. Ainsi, l’arrêt du hof van beroep Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) étant devenu définitif après le 5 décembre 2011, c’est la
WETS qui serait, en principe, applicable.

16. D’autre part, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la conformité de cette disposition avec l’article 28 de la décision-cadre. En vertu du paragraphe 1 de cet article, les demandes de reprise de l’exécution d’une peine privative de liberté reçues après le 5 décembre 2011 sont régies par les règles adoptées par les États membres en exécution de la décision-cadre. Cependant, aux termes du paragraphe 2 de cet article, tout État membre pouvait faire, lors de l’adoption de celle-ci, une
déclaration indiquant que, dans les cas où le jugement définitif a été « prononcé » avant la date qu’il indique, il continuera, en tant qu’État d’émission et d’exécution, à appliquer les instruments juridiques existant en matière de transfèrement des personnes condamnées et applicables avant le 5 décembre 2011. Or, le Royaume des Pays-Bas a fait une telle déclaration sur l’application de la décision-cadre, déclaration qui reprend, en substance, le libellé de l’article 28, paragraphe 2, de cette
décision-cadre.

17. La juridiction de renvoi précise que, selon la jurisprudence du Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), l’article 5:2, paragraphe 3, de la WETS doit être interprété, en conformité avec l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre, en ce sens que le jugement concerné doit avoir été prononcé avant le 5 décembre 2011, indépendamment du moment où il est devenu définitif, si bien que, en l’espèce, les dispositions de la WOTS resteraient applicables. Toutefois, s’il fallait au
contraire interpréter l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre en ce sens que le jugement doit être devenu définitif avant le 5 décembre 2011, la juridiction de renvoi, sur la base des dispositions de la WETS, considère que, notamment, elle ne serait pas compétente pour statuer sur la demande visant l’autorisation de l’exécution de la peine privative de liberté prononcée contre la personne condamnée.

18. Dans ces conditions, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 28, paragraphe 2, première phrase, de la [décision-cadre] doit-il être interprété en ce sens que la déclaration qui y est visée ne peut porter que sur les jugements prononcés avant le 5 décembre 2011, indépendamment de la date à laquelle ces jugements sont devenus définitifs, ou doit-il être interprété en ce sens que la déclaration ne peut porter que sur les jugements qui sont devenus définitifs avant le 5 décembre 2011 ? »

III – Notre analyse

19. La question posée par la juridiction de renvoi vise, en substance, à préciser si, dans le cas où un État membre a fait la déclaration prévue à l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre, la date permettant de déterminer le régime juridique applicable au transfèrement des personnes condamnées à des peines privatives de liberté est celle du prononcé du jugement ou celle à laquelle celui-ci est devenu définitif.

20. Avant de répondre à cette question, il convient d’examiner, comme nous l’y invitent le gouvernement autrichien et la Commission européenne, si la déclaration faite par le Royaume des Pays-Bas en application de l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre est apte ou non à produire des effets juridiques.

A – Sur la prise en compte ou non de la déclaration faite par le Royaume des Pays-Bas en application de l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre

21. Il convient de souligner que l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre est sans ambigüité quant au moment où ce type de déclaration peut être fait.

22. En effet, conformément au libellé de cette disposition, c’est « lors de l’adoption de la [...] décision-cadre » que tout État membre avait la possibilité de faire une déclaration ayant pour effet de retarder l’application de cette décision-cadre.

23. Or, selon les éléments d’information qui ont été soumis à la Cour et comme le gouvernement néerlandais l’a reconnu lors de l’audience, la déclaration du Royaume des Pays-Bas a été envoyée au Conseil le 24 mars 2009, puis a été diffusée en tant que document du Conseil le 30 avril 2009, avant d’être publiée au Journal officiel le 9 octobre 2009 ( 4 ). Au vu de ces éléments, le gouvernement néerlandais ne nie pas que cette déclaration a été formellement présentée après l’adoption de la
décision-cadre.

24. Dans la lettre jointe à sa déclaration, et ainsi qu’il l’a exposé lors de l’audience, le Royaume des Pays-Bas a cependant indiqué que, au cours des discussions sur le projet de décision-cadre, il avait constamment plaidé pour que celle-ci ne puisse s’appliquer qu’aux cas futurs. Cet État membre explique que l’option prévue à l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre a été inscrite notamment à sa demande et qu’elle constituait pour lui un élément important de l’accord politique relatif à
cette décision-cadre conclu lors des sessions du Conseil JAI du 4 décembre 2006 et du 15 février 2007. Le Royaume des Pays-Bas a également précisé que la décision-cadre a été inscrite sur la liste des points « A » de l’ordre du jour si peu de temps avant la session du Conseil JAI du 27 novembre 2008 qu’il n’a pas été possible de suivre la procédure interne de préparation du Conseil sur ce point. Il en a résulté que, lors de l’adoption de cette décision-cadre au cours de la session du Conseil JAI
du 27 novembre 2008, le Royaume des Pays-Bas n’a pas transmis de déclaration au sens de l’article 28, paragraphe 2, de ladite décision-cadre. Cet État membre précise qu’il a toutefois, lorsque le Conseil JAI du 4 décembre 2006 est parvenu à un accord politique, communiqué qu’il ferait cette déclaration. Selon lui, cette communication peut être considérée comme ayant produit ses effets au moment de l’adoption de la décision-cadre, le 27 novembre 2008.

25. À l’instar de la Commission, nous estimons cependant qu’une telle communication n’équivaut pas à une déclaration faite « lors de l’adoption de la [...] décision-cadre », au sens de l’article 28, paragraphe 2, de cette décision-cadre. En effet, le seul fait d’exprimer l’intention de faire une déclaration ne suffit pas. La déclaration dont il est question à l’article 28, paragraphe 2, de celle-ci doit être faite par tout moyen au moment de l’adoption de cette dernière et doit faire apparaître
précisément le choix de l’État membre concerné relatif à la date du prononcé des jugements définitifs avant laquelle la décision-cadre ne s’applique pas. L’article 28, paragraphe 2, de cette décision-cadre laisse en effet aux États membres une certaine marge d’appréciation pour fixer cette date, pour autant qu’elle n’est pas postérieure au 5 décembre 2011.

26. En l’absence de toute formulation officielle de la déclaration précise du Royaume des Pays-Bas qui soit antérieure au document envoyé par cet État membre le 24 mars 2009, nous considérons, par conséquent, que la déclaration du Royaume des Pays-Bas n’a pas été faite valablement, car elle a été présentée hors délai.

27. En outre, nous relevons, comme la Commission, que les cas dans lesquels la décision-cadre autorise les États membres à faire une déclaration non seulement lors de l’adoption de celle-ci, mais aussi à une date ultérieure sont énoncés de façon très claire dans la décision-cadre. Nous nous référons notamment à l’article 4, paragraphe 7, et à l’article 7, paragraphe 4, de celle-ci.

28. Il découle des éléments qui précèdent que la déclaration du Royaume des Pays-Bas n’est pas apte à produire des effets juridiques.

29. Faute de déclaration respectant les conditions prévues à l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre, c’est l’article 28, paragraphe 1, de celle-ci qui détermine le champ d’application ratione temporis des règles contenues dans la décision-cadre, à savoir pour les demandes reçues après le 5 décembre 2011.

30. La demande adressée par les autorités belges aux autorités néerlandaises datant du 10 octobre 2013, il ne fait aucun doute que les règles contenues dans la décision-cadre sont pleinement applicables en l’espèce.

31. C’est uniquement à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour ne partagerait pas notre analyse conduisant à considérer que la déclaration du Royaume des Pays-Bas ne doit pas être prise en compte, que nous examinerons la question d’interprétation de l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre formulée par la juridiction de renvoi.

B – Sur l’interprétation de l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre

32. Nous estimons, à l’instar de la Commission, du gouvernement néerlandais, du gouvernement autrichien et de l’Openbaar Ministerie que la date à prendre en considération pour la mise en œuvre de l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre est celle à laquelle le jugement est devenu définitif.

33. Il découle de l’article 26, paragraphe 1, de cette décision-cadre que, à compter du 5 décembre 2011, le mécanisme uniforme prévu par ladite décision-cadre remplace en substance le système conventionnel préexistant.

34. Selon l’article 28, paragraphe 1, de la décision-cadre, « [l]es demandes reçues avant le 5 décembre 2011 continuent d’être régies conformément aux instruments juridiques existants en matière de transfèrement des personnes condamnées. Les demandes reçues après cette date sont régies par les règles adoptées par les États membres en exécution de la présente décision-cadre ».

35. L’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre permet cependant aux États membres, s’ils ont fait une déclaration en ce sens au moment de l’adoption de cette décision-cadre, de se fonder, aux fins de l’application de ladite décision-cadre, non pas sur la date de la demande, mais sur celle à laquelle le jugement définitif a été prononcé.

36. Ainsi, par dérogation à l’article 28, paragraphe 1, de la décision-cadre, dans lequel le point de référence est la date de réception de la demande, l’article 28, paragraphe 2, de cette décision-cadre prévoit comme point de référence la date du jugement définitif.

37. Conformément à cette dernière disposition, la déclaration faite par le Royaume des Pays-Bas prévoit que « dans les cas où le jugement définitif a été prononcé moins de trois ans après la date d’entrée en vigueur de la décision-cadre, [il continuera], en tant qu’État d’émission et d’exécution, à appliquer les instruments juridiques qui étaient applicables en matière de transfèrement des personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la décision-cadre» ( 5 ).

38. Cette déclaration trouve son expression en droit national à l’article 5:2, paragraphe 3, de la WETS, qui prévoit que « [l]a présente loi ne s’applique pas aux décisions judiciaires [...] qui sont devenues définitives avant le 5 décembre 2011» ( 6 ).

39. La présente demande de décision préjudicielle repose en grande partie sur la différence de rédaction qui existe entre, d’une part, l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre et la déclaration faite par le Royaume des Pays-Bas, qui visent la date à laquelle « le jugement définitif a été prononcé », et, d’autre part, l’article 5:2, paragraphe 3, de la WETS, qui vise la date à laquelle les décisions judiciaires sont « devenues définitives ».

40. Contrairement à la juridiction de renvoi, au défendeur au principal et au gouvernement polonais, nous estimons que, bien que rédigées différemment, ces dispositions désignent toutes le même événement juridique, à savoir le moment où un jugement a acquis un caractère définitif. En adoptant l’article 5:2, paragraphe 3, de la WETS, le législateur néerlandais a donc parfaitement mis en œuvre ce que prévoient l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre ainsi que la déclaration faite par le
Royaume des Pays-Bas.

41. L’interprétation selon laquelle l’article 28, paragraphe 2, de cette décision-cadre désigne le moment où un jugement a acquis un caractère définitif découle à la fois du libellé, de l’économie et de l’objectif de ladite décision-cadre.

42. S’agissant du libellé de l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre, nous relevons qu’il ne se contente pas de viser le moment où le jugement a été prononcé, mais qu’il désigne le jugement « définitif ». Cette précision quant au caractère définitif du jugement n’est pas spécifique à la version française de cette décision-cadre, mais se retrouve dans d’autres versions linguistiques ( 7 ).

43. Cette précision est cohérente avec l’économie de la décision-cadre, dans la mesure où une demande fondée sur cette décision-cadre n’est en toute hypothèse possible, conformément à la définition du « jugement » retenue par le législateur de l’Union à l’article 1er, sous a), de ladite décision-cadre, que lorsqu’un jugement est devenu définitif.

44. En outre, ainsi qu’il ressort notamment de ses considérants 1 et 2, la décision-cadre vise à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale en ce qui concerne l’exécution des décisions définitives portant sur des peines privatives de liberté. Cette mise en œuvre implique un mécanisme de coopération plus moderne et plus étendu que ne le permettait le droit conventionnel en vigueur.

45. Eu égard à l’importance fondamentale du principe de reconnaissance mutuelle dans le cadre de la création de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et dans la mesure où l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre constitue une dérogation autorisant les États membres à continuer d’appliquer le système conventionnel antérieur plus longtemps que ne le permet le régime général de l’article 28, paragraphe 1, de cette décision-cadre, l’article 28, paragraphe 2, de ladite décision-cadre
doit faire l’objet d’une interprétation stricte.

46. Une telle interprétation stricte, en limitant les cas continuant de relever du système conventionnel antérieur et en augmentant par conséquent les cas susceptibles de relever des règles prévues par la décision-cadre, est la mieux à même de garantir l’objectif poursuivi par celle-ci.

47. Nous précisons, à cet égard, que la décision-cadre a pour principal objectif de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées à une peine privative de liberté en permettant à l’individu privé de sa liberté à la suite d’une condamnation pénale de purger sa peine ou le reste de celle-ci dans son milieu social d’origine. Cela transparaît clairement au considérant 9 et à l’article 3, paragraphe 1, de la décision-cadre.

48. Cela implique que l’ensemble des mesures relatives à l’exécution et à l’aménagement des peines soient individualisées par les autorités judiciaires de façon à favoriser, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, outre la prévention de la récidive, l’insertion ou la réinsertion sociale de la personne condamnée ( 8 ).

49. Au vu des éléments qui précèdent, dans la mesure où le jugement de condamnation de M. Gerrit van Vemde a acquis un caractère définitif le 6 décembre 2011, c’est donc bien sous l’empire des règles contenues dans la décision-cadre que la reprise de l’exécution de la peine infligée à ce dernier doit être appréhendée.

IV – Conclusion

50. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre au rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) de la manière suivante :

À titre principal, dans la mesure où la déclaration du Royaume des Pays-Bas concernant l’article 28 de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne, a été faite après l’adoption de cette décision-cadre, contrairement à ce que requiert l’article 28, paragraphe 2, de ladite
décision-cadre, elle n’est pas apte à produire des effets juridiques.

À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où cette déclaration devrait être reconnue comme étant apte à produire des effets juridiques, l’article 28, paragraphe 2, de la décision-cadre 2008/909 doit être interprété en ce sens que la déclaration qui y est visée ne peut porter que sur les jugements qui sont devenus définitifs avant le 5 décembre 2011.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2008, L 327, p. 27, ci-après la « décision-cadre ».

( 3 ) JO 2009, L 265, p. 41, ci-après la « déclaration sur l’application de la décision-cadre ».

( 4 ) JO 2009, L 265, p. 41.

( 5 ) Souligné par nos soins.

( 6 ) Souligné par nos soins.

( 7 ) Voir, par exemple, en langue espagnole « en los casos en los que la sentencia firme haya sido dictada antes de la fecha que especi-ficará » ; en langue allemande « wonach er in Fällen, in denen das rechtskräftige Urteil vor dem angegebenen Zeitpunkt ergangen ist » ; en langue anglaise « in cases where the final judgment has been issued before the date it specifies », et en langue italienne « nei casi in cui la sentenza definitiva è stata emessa anteriormente alla data da esso indicata ».

( 8 ) Voir nos conclusions dans l’affaire Ognyanov (C‑554/14, EU:C:2016:319).


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-582/15
Date de la décision : 12/10/2016
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Reconnaissance mutuelle des jugements – Décision-cadre 2008/909/JAI – Champ d’application – Article 28 – Disposition transitoire – Notion de “prononcé du jugement définitif”.

Coopération judiciaire en matière pénale

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Coopération judiciaire en matière civile


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Gerrit van Vemde.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:766

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