ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
12 octobre 2016 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Fiscalité — Taxe sur la valeur ajoutée — Sixième directive 77/388/CEE — Article 4, paragraphes 1 et 4 — Directive 2006/112/CE — Articles 9 et 11 — Notion d’“assujetti” — Sociétés civiles commercialisant leurs produits sous une marque commune et par l’intermédiaire d’une société de capitaux — Notion d’“entreprises indépendantes” — Refus de la qualité d’assujetti — Rétroactivité — Sixième directive 77/388 — Article 25 — Directive 2006/112 — Articles 272 et 296 — Régime
forfaitaire des producteurs agricoles — Exclusion du régime forfaitaire — Rétroactivité»
Dans l’affaire C‑340/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche), par décision du 29 juin 2015, parvenue à la Cour le 7 juillet 2015, dans la procédure
Christine Nigl e.a.
contre
Finanzamt Waldviertel,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. M. Vilaras (rapporteur), J. Malenovský, M. Safjan et D. Šváby, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 avril 2016,
considérant les observations présentées :
— pour Mme Nigl e.a., par Me H. Nigl, Rechtsanwalt, et M. J. Auer,
— pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, MM. S. Pfeiffer et F. Koppensteiner, en qualité d’agents,
— pour Commission européenne, par MM. R. Lyal et M. Wasmeier, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 juin 2016,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2004/66/CE du Conseil, du 26 avril 2004 (JO 2004, L 168, p. 35) (ci-après la « sixième directive »), et de la directive 2006/112/CE du
Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci‑après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les membres de la famille Nigl, associés de trois sociétés civiles exerçant toutes une activité viticole, au Finanzamt Waldviertel (administration fiscale de Waldviertel, Autriche, ci-après l’« administration fiscale ») au sujet, d’une part, de la détermination de la qualité d’assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et, d’autre part, du refus d’appliquer le régime commun forfaitaire des producteurs agricoles à ces sociétés
civiles.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La sixième directive
3 L’article 4 de la sixième directive, intitulé « Assujettis », dispose :
« 1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
[…]
4. Le terme “d’une façon indépendante” utilisé au paragraphe 1 exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur.
Sous réserve de la consultation prévue à l’article 29, chaque État membre a la faculté de considérer comme un seul assujetti les personnes établies à l’intérieur du pays qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation.
[…] »
4 L’article 25 de la sixième directive, intitulé « Régime commun forfaitaire des producteurs agricoles », prévoit :
« 1. Les États membres ont la faculté d’appliquer aux producteurs agricoles, pour lesquels l’assujettissement au régime normal de la [TVA] ou, le cas échéant, au régime simplifié prévu à l’article 24 se heurterait à des difficultés, un régime forfaitaire tendant à compenser la charge de la [TVA] payée sur les achats de biens et services des agriculteurs forfaitaires, conformément au présent article.
[…]
9. Chaque État membre a la faculté d’exclure du régime forfaitaire certaines catégories de producteurs agricoles, ainsi que les producteurs agricoles pour lesquels l’application du régime normal de la [TVA] ou, le cas échéant, du régime simplifié prévu à l’article 24, paragraphe 1, ne présente pas de difficultés administratives.
[…] »
La directive TVA
5 L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, figurant au titre III de celle-ci intitulé « Assujettis », dispose :
« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »
6 L’article 10 de cette directive énonce :
« La condition que l’activité économique soit exercée d’une façon indépendante visée à l’article 9, paragraphe 1, exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l’employeur. »
7 L’article 11, premier alinéa, de ladite directive prévoit :
« Après consultation du comité consultatif de la [TVA], chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l’organisation. »
8 Aux termes de l’article 296, paragraphes 1 et 2, de la même directive :
« 1. Les États membres peuvent appliquer aux producteurs agricoles pour lesquels l’assujettissement au régime normal de la TVA ou, le cas échéant, au régime particulier prévu au chapitre 1 se heurterait à des difficultés, un régime forfaitaire visant à compenser la charge de la TVA payée sur les achats de biens et services des agriculteurs forfaitaires, conformément au présent chapitre.
2. Chaque État membre peut exclure du régime forfaitaire certaines catégories de producteurs agricoles, ainsi que les producteurs agricoles pour lesquels l’application du régime normal de la TVA ou, le cas échéant, des modalités simplifiées prévues à l’article 281 ne présente pas de difficultés administratives. »
Le droit autrichien
9 L’article 2 de l’Umsatzsteuergesetz 1994 (loi de 1994 relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, ci‑après l’« UStG »), intitulé « Entrepreneur, entreprise », dispose :
« 1. Est entrepreneur celui qui exerce d’une façon indépendante une activité commerciale ou professionnelle. L’entreprise comprend l’ensemble de l’activité commerciale ou professionnelle de l’entrepreneur. On entend par activité commerciale ou professionnelle toute activité permanente exercée en vue d’en tirer des recettes, même si l’intention lucrative fait défaut ou qu’un groupement de personnes n’exerce ses activités qu’à l’égard de ses membres.
2. L’activité commerciale ou professionnelle n’est pas exercée d’une façon indépendante :
1) si des personnes physiques sont, individuellement, ou ensemble, intégrées à une entreprise de sorte qu’elles sont tenues de suivre les instructions de l’entrepreneur ;
2) si une personne morale est subordonnée à la volonté d’un entrepreneur de telle sorte qu’elle n’a pas de volonté propre. Une personne morale est subordonnée à la volonté d’un entrepreneur de telle sorte qu’elle n’a pas de volonté propre (entité affiliée) si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait, elle est intégrée à l’entreprise sur les plans financier, économique et de l’organisation.
[…] »
10 L’article 22 de l’UStG dispose que, pour les entrepreneurs non soumis à l’obligation de tenir une comptabilité, qui réalisent des opérations dans le cadre d’une exploitation agricole et sylvicole, la taxe due au titre de ces opérations est fixée à 10 % de l’assiette, une telle obligation dépendant, selon les articles 124 et 125 de la Bundesabgabenordnung (code fédéral des impôts), du niveau de chiffre d’affaires et de la valeur de l’exploitation agricole.
11 En outre, l’article 1175 de l’Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (code civil général) prévoit qu’une société civile est formée par deux ou plusieurs personnes qui décident, par voie contractuelle, d’exercer une activité commune en vue d’un but commun. Un tel contrat n’est soumis à aucune condition de forme.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Depuis l’année 1998, les requérants au principal exercent une activité d’exploitation viticole au travers de trois sociétés civiles, chacune d’elles exploitant des vignes sur des sites différents et étant assujettie à la TVA. La première de ces sociétés civiles a été constituée par M. Martin Nigl et Mme Christine Nigl, la deuxième par Mme Gisela Nigl (senior) et M. Josef Nigl, et la troisième société par M. Martin Nigl et Mme Gisela Nigl (junior). Aucun contrat écrit n’a été établi lors de la
création des trois sociétés civiles.
13 Pour faire face à la demande accrue de vins de qualité élevée, segment développé par M. Martin Nigl, les requérants au principal ont créé, au cours de l’année 2001, Wein-Gut Nigl GmbH (ci-après la « société commerciale »). Principalement, cette société procède soit à l’achat de vins provenant des exploitations des sociétés civiles pour les vendre à des revendeurs, soit à la commercialisation de tels vins auprès des consommateurs finaux, au nom et pour le compte de chaque société civile concernée.
Par ailleurs, elle produit du vin à partir d’achats faits à des viticulteurs liés par contrat et elle exploite un hôtel‑restaurant.
14 Les sociétés civiles ont fait l’objet de déclarations auprès des autorités publiques, au nombre desquelles figure l’administration fiscale, laquelle a qualifié ces sociétés d’assujetties indépendantes en tant qu’entreprises, au regard des taxes sur le chiffre d’affaires, et en tant que coentreprises, au regard de l’impôt sur les bénéfices.
15 Les recettes et les dépenses des trois sociétés civiles sont comptabilisées séparément, au moyen de comptes bancaires propres à chacune d’elles, les bénéfices sont répartis au sein de chaque société civile entre ses membres et il n’existe aucun patrimoine ou compte bancaire commun à ces sociétés. Chaque société civile exploite séparément des vignes qui lui appartiennent ou qu’elle a affermées, emploie des travailleurs salariés et dispose de ses propres équipements, tels que des tracteurs ou des
machines. Les outils d’exploitation, pour 15 % à 20 % de ceux-ci, sont achetés de façon centralisée par la société commerciale, puis répartis entre les sociétés civiles, en fonction des quantités de vin produites. Les coûts d’exploitation des bâtiments et les frais de gaz et d’électricité sont refacturés en fin d’année par la société commerciale.
16 La vinification s’effectue séparément pour les différentes exploitations, mais l’embouteillage est réalisé au moyen d’une installation commune. Les vins produits par les sociétés civiles sont commercialisés sous une marque commune, Weingut Nigl, par la société commerciale, et vendus à des prix fixés en commun, les prix d’achat par cette dernière société étant déterminés par application d’un abattement sur ses propres prix de vente. Ni la publicité ni le site Internet ou les tarifs ne font
référence aux différentes exploitations ou sociétés civiles productrices. Enfin, la société commerciale effectue toutes les tâches administratives pour le compte des trois sociétés civiles.
17 Jusqu’à l’année 2012, l’administration fiscale considérait que l’exploitation était effectuée par quatre sujets fiscaux, à savoir les trois sociétés civiles et la société commerciale.
18 À l’issue d’un contrôle fiscal effectué pendant l’année 2012, l’administration fiscale a considéré que, au vu de l’interpénétration économique et organisationnelle étroite existant entre les sociétés civiles, les membres de celles-ci avaient constitué, depuis l’année 2005, un groupement de personnes unique. Selon elle, il n’existe qu’une seule source de revenus, dont le produit doit être affecté aux différents membres des trois sociétés civiles.
19 Au regard de la TVA, l’administration fiscale a considéré qu’il existait, rétroactivement depuis l’année 2005, deux entreprises assujetties, à savoir le groupement de personnes unique, constituée des membres des trois sociétés civiles, et la société commerciale. Des avis d’imposition concernant la TVA ont été adressés à tous les membres des trois sociétés civiles et à la société commerciale, et, par une décision du 18 juillet 2012, le numéro d’identification à la TVA de chacune des sociétés
civiles a été limité.
20 En conséquence, l’administration fiscale a remis en cause le régime commun forfaitaire des producteurs agricoles dont bénéficiaient les sociétés civiles.
21 Saisie de recours aux fins de déterminer si les requérants au principal ont exploité, en tant qu’entreprises indépendantes, quatre ou seulement deux exploitations viticoles, le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche) rappelle que, dans le droit autrichien, toute structure qui apparaît en tant que telle à l’égard des tiers et qui fournit de façon indépendante des prestations, au sens du droit des taxes sur le chiffre d’affaires, possède la capacité à être une entreprise, même
s’il s’agit d’un groupement de personnes dépourvu de la capacité juridique.
22 En outre, cette juridiction relève qu’elle a déjà jugé que, à défaut pour la République d’Autriche d’avoir demandé la consultation du comité consultatif de la TVA mentionné à l’article 29 de la sixième directive, des coentreprises indépendantes les unes des autres au regard de l’impôt sur les bénéfices ne constituent pas une entreprise unique au regard du droit des taxes sur le chiffre d’affaires, quels que soient les rapports ou les relations existant entre elles.
23 C’est dans ce contexte que le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Trois groupements de personnes qui se composent de différents membres d’une famille, qui apparaissent en tant que tels de façon indépendante à l’égard de leurs fournisseurs et à l’égard des autorités publiques, qui disposent, chacun, à l’exception de deux biens économiques, de leurs propres outils d’exploitation, mais qui commercialisent une grande partie de leurs produits sous une marque commune par l’intermédiaire d’une société de capitaux dont les parts sont détenues par les membres des
groupements de personnes ainsi que par d’autres membres de la famille, sont-ils trois entreprises indépendantes (assujettis) ?
2) Pour le cas où les trois groupements de personnes ne seraient pas à considérer comme trois entreprises indépendantes (assujettis), est-ce alors
a) la société de capitaux assurant la commercialisation, ou
b) un groupement de personnes composé des membres des trois groupements de personnes, qui n’apparaît en tant que tel sur le marché ni à l’égard des fournisseurs ni à l’égard des clients, ou
c) un groupement de personnes composé des trois groupements de personnes et de la société de capitaux, qui n’apparaît en tant que tel sur le marché ni à l’égard des fournisseurs ni à l’égard des clients,
qui doit être considéré comme une entreprise indépendante ?
3) Pour le cas où les trois groupements de personnes ne seraient pas à considérer comme trois entreprises indépendantes (assujettis), le refus de cette qualité (assujetti)
a) peut-il leur être opposé rétroactivement, ou
b) ne peut-il leur être opposé que pour le futur, ou
c) ne peut-il pas leur être opposé du tout,
si, dans un premier temps, ces groupements de personnes ont été, après des contrôles fiscaux, reconnus par [l’administration fiscale] comme des entreprises indépendantes (assujettis) ?
4) Pour le cas où les trois groupements de personnes seraient à considérer comme trois entreprises indépendantes (assujettis), celles-ci sont-elles, en tant que viticulteurs et, partant, en tant que producteurs agricoles, des agriculteurs forfaitaires si chacun de ces groupements de personnes, qui coopèrent sur le plan économique, relève certes individuellement du régime forfaitaire des producteurs agricoles, mais que la société de capitaux, un groupement de personnes propre constitué des membres
des trois groupements de personnes ou un groupement de personnes propre constitué de la société de capitaux et des membres des trois groupements de personnes est exclu de ce régime par le droit national en raison de la taille de l’exploitation ou de la forme juridique ?
5) Pour le cas où le régime forfaitaire des producteurs agricoles devrait être en principe exclu pour les trois groupements de personnes, cette exclusion
a) s’applique-t-elle rétroactivement, ou
b) ne s’applique-t-elle que pour le futur, ou
c) ne s’applique-t-elle pas du tout ? »
Sur les questions préjudicielles
24 À titre liminaire, il convient de relever que, eu égard à la période pour laquelle l’administration fiscale a constaté que les membres des trois sociétés civiles avaient créé un groupement de personnes unique, à savoir de l’année 2005 à l’année 2012, les dispositions pertinentes respectives de la sixième directive et de la directive TVA trouvent à s’appliquer.
Sur la première question
25 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 4, paragraphe 1 et paragraphe 4, premier alinéa, de la sixième directive, d’une part, ainsi que l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 10 de la directive TVA, d’autre part, doivent être interprétés en ce sens que plusieurs sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, qui apparaissent en tant que telles de façon indépendante à l’égard de leurs fournisseurs, des autorités publiques
et, dans une certaine mesure, de leurs clients, et dont chacune assure sa propre production en utilisant pour l’essentiel ses moyens de production, mais qui commercialisent une grande partie de leurs produits sous une marque commune par l’intermédiaire d’une société de capitaux, dont les parts sont détenues par les membres de ces sociétés civiles ainsi que par d’autres membres de la famille concernée, doivent être considérées comme des entreprises indépendantes assujetties à la TVA.
26 Il importe, à cet égard, de rappeler que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la sixième directive et de l’article 9 de la directive TVA, est considéré comme « assujetti » quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité (voir, notamment, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, 235/85, EU:C:1987:161, point 6 ; du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a., C‑288/07,
EU:C:2008:505, point 27, ainsi que du 29 octobre 2009, Commission/Finlande, C‑246/08, EU:C:2009:671, point 35).
27 Les termes utilisés à l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, de la sixième directive et à l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, notamment le terme « quiconque », donnent de la notion d’« assujetti » une définition large axée sur l’indépendance dans l’exercice d’une activité économique, en ce sens que toutes les personnes, physiques ou morales, aussi bien publiques que privées, ainsi que les entités dépourvues de personnalité juridique, qui, d’une manière objective, remplissent les
critères figurant à cette disposition, doivent être considérées comme des assujetties à la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław, C‑276/14, EU:C:2015:635, point 28).
28 Pour constater l’indépendance de l’exercice d’une activité économique, il convient de contrôler si la personne concernée accomplit ses activités en son nom, pour son propre compte et sous sa propre responsabilité, et si elle supporte le risque économique lié à l’exercice de ces activités (arrêts du 27 janvier 2000, Heerma, C‑23/98, EU:C:2000:46, point 18 ; du 18 octobre 2007, van der Steen, C‑355/06, EU:C:2007:615, point 23, ainsi que du 29 septembre 2015, Gmina WrocławC‑276/14, EU:C:2015:635,
point 34).
29 C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient de répondre à la première question.
30 La circonstance que des sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, exploitent séparément des vignes qui leur appartiennent ou qu’elles ont affermées, également de façon séparée, que chacune d’elles utilise, quasi exclusivement, ses propres moyens de production et emploie ses propres salariés, qu’elles apparaissent en tant que telles de façon indépendante à l’égard de leurs fournisseurs, des autorités publiques et, dans une certaine mesure, de leurs clients, témoigne du fait que
chacune de ces sociétés exerce une activité en son nom propre, pour son propre compte et sous sa responsabilité.
31 Dans ce contexte, l’existence d’une certaine coopération entre de telles sociétés civiles et une société de capitaux, notamment en ce qui concerne la commercialisation de leurs produits sous une marque commune, ne saurait suffire à mettre en cause l’indépendance de ces sociétés civiles à l’égard de cette dernière société.
32 En effet, la circonstance que de telles sociétés civiles mettent en commun une partie de leurs activités en confiant celle-ci à une société tierce relève d’un choix dans l’organisation desdites activités et ne saurait permettre de conclure que ces sociétés civiles n’exercent pas leurs activités de façon indépendante ou qu’elles ne supporteraient pas le risque économique lié à leur activité économique.
33 En outre, le rôle déterminant de l’un des membres d’une des sociétés civiles telles que celles en cause au principal dans l’élaboration des vins de ces sociétés et dans la représentation de celles-ci n’apparaît pas susceptible de remettre en cause le constat de l’exercice indépendant de leurs activités par ces dernières, en ce que chacune d’elles agit en son nom propre, pour son propre compte et sous sa responsabilité.
34 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 4, paragraphe 1 et paragraphe 4, premier alinéa, de la sixième directive, d’une part, ainsi que l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 10 de la directive TVA, d’autre part, doivent être interprétés en ce sens que plusieurs sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, qui apparaissent en tant que telles de façon indépendante à l’égard de leurs fournisseurs, des
autorités publiques et, dans une certaine mesure, de leurs clients, et dont chacune assure sa propre production en utilisant pour l’essentiel ses moyens de production, mais qui commercialisent une grande partie de leurs produits sous une marque commune par l’intermédiaire d’une société de capitaux, dont les parts sont détenues par les membres de ces sociétés civiles ainsi que par d’autres membres de la famille concernée, doivent être considérées comme des entreprises indépendantes assujetties à
la TVA.
35 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.
Sur la quatrième question
36 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à déterminer si l’article 25 de la sixième directive et l’article 296 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la possibilité de refuser l’application du régime commun forfaitaire des producteurs agricoles, prévu à ces articles, à plusieurs sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, considérées comme des entreprises indépendantes assujetties à la TVA et qui
coopèrent entre elles, au motif qu’une société de capitaux, un groupement de personnes constitué des membres de ces sociétés civiles ou un groupement de personnes constitué de cette société de capitaux et des membres desdites sociétés civiles ne pourrait pas être soumis à ce régime, en raison de la taille de son exploitation ou de sa forme juridique.
37 Il convient de rappeler que le régime commun forfaitaire des producteurs agricoles est un régime dérogatoire qui constitue une exception au régime général de la sixième directive et de la directive TVA et qui, dès lors, ne doit être appliqué que dans la mesure nécessaire pour atteindre son objectif (arrêts du 15 juillet 2004, Harbs, C‑321/02, EU:C:2004:447, point 27 ; du 26 mai 2005, Stadt Sundern, C‑43/04, EU:C:2005:324, point 27, et du 8 mars 2012, Commission/Portugal, C‑524/10, EU:C:2012:129,
point 49).
38 Parmi les deux objectifs assignés à ce régime, figure celui tenant à un impératif de simplification, lequel doit être concilié avec celui de la compensation de la charge de TVA supportée en amont par les agriculteurs (voir, en ce sens, arrêts du 26 mai 2005, Stadt Sundern, C‑43/04, EU:C:2005:324, point 28, et du 8 mars 2012, Commission/Portugal, C‑524/10, EU:C:2012:129, point 50).
39 Il convient, également, de rappeler que, conformément à l’article 25, paragraphe 1, de la sixième directive et à l’article 296, paragraphe 1, de la directive TVA, les États membres « ont la faculté » ou « peuvent » appliquer aux agriculteurs un régime forfaitaire si leur assujettissement au régime normal de taxation, ou au régime simplifié, se heurterait à des difficultés, notamment de nature administrative.
40 En outre, il résulte des termes de l’article 25, paragraphe 9, de la sixième directive et de l’article 296, paragraphe 2, de la directive TVA que, d’une part, les États membres « peuvent exclure » du régime forfaitaire certaines catégories de producteurs agricoles.
41 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la législation nationale ne prévoit pas, de manière générale, l’exclusion du régime forfaitaire d’une catégorie de producteurs agricoles au motif que ces producteurs sont unis par une étroite collaboration économique au moyen d’une société de capitaux ou d’un groupement, tels que ceux mentionnés au point 36 du présent arrêt.
42 D’autre part, ces dispositions prévoient que sont exclus du régime forfaitaire des producteurs agricoles ceux pour lesquels l’application du régime normal ou du régime simplifié ne présente pas de difficultés administratives.
43 Or, la circonstance, invoquée par la juridiction de renvoi, qu’une société de capitaux, un groupement de personnes constitué des membres de plusieurs sociétés civiles ou un groupement de personnes constitué de cette société de capitaux et des membres de ces sociétés civiles ne puisse pas être soumis au régime commun forfaitaire des producteurs agricoles, en raison de sa taille ou de sa forme juridique, ne saurait avoir d’incidence sur le bénéfice, pour ces sociétés civiles, dudit régime,
puisqu’une telle circonstance ne permet pas, par elle-même, d’établir que l’application du régime normal ou du régime simplifié ne présenterait pas, pour ces dernières, de difficultés administratives.
44 Il en serait, toutefois, autrement si des sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, étaient, en raison de leurs liens avec une société de capitaux ou un groupement, tels que ceux mentionnés au point 36 ci-dessus, matériellement en mesure de faire face aux charges administratives qu’impliquent les tâches découlant de l’application du régime normal ou du régime simplifié, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
45 Dans cette hypothèse, le fait que l’application du régime forfaitaire soit tout de même de nature à diminuer les coûts administratifs liés à l’application du régime de la TVA ne saurait, en revanche, être pris en compte dans la mesure où le législateur de l’Union a instauré le régime forfaitaire au seul bénéfice des producteurs agricoles dont l’assujettissement au régime normal de taxation, ou au régime simplifié, se heurterait à des difficultés, notamment de nature administrative.
46 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 25 de la sixième directive et l’article 296 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la possibilité de refuser l’application du régime commun forfaitaire des producteurs agricoles, prévu à ces articles, à plusieurs sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, considérées comme des entreprises indépendantes assujetties à la TVA et qui
coopèrent entre elles, au motif qu’une société de capitaux, un groupement de personnes constitué des membres de ces sociétés civiles ou un groupement de personnes constitué de cette société de capitaux et des membres desdites sociétés civiles ne pourrait pas être soumis à ce régime, en raison de la taille de son exploitation ou de sa forme juridique, même si ces sociétés civiles ne font pas partie d’une catégorie de producteurs exclus de ce régime forfaitaire, pour autant qu’elles sont, en raison
de leurs liens avec cette société ou l’un de ces groupements, matériellement en mesure de faire face aux charges administratives qu’impliquent les tâches découlant de l’application du régime normal ou du régime simplifié de TVA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur la cinquième question
47 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à déterminer si, dans le cas où le régime commun forfaitaire des producteurs agricoles devrait être, en principe, exclu pour des sociétés civiles telles que celles en cause au principal, cette exclusion s’appliquerait rétroactivement, ne s’appliquerait que pour le futur ou ne s’appliquerait pas du tout.
48 Il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale procède, dans le délai de prescription, à un redressement de TVA portant sur la taxe déduite ou sur des services déjà réalisés, qui auraient dû être soumis à cette taxe (voir, en ce sens, arrêts du 6 février 2014, Fatorie, C‑424/12, EU:C:2014:50, points 47 et 48, ainsi que du 9 juillet 2015, Cabinet Medical Veterinar Dr. Tomoiagă Andrei, C‑144/14, EU:C:2015:452, point 42).
49 Une telle règle doit également prévaloir lorsqu’un régime dont bénéficie un redevable de la TVA est remis en cause par l’administration fiscale, y compris pour une période antérieure à la date à laquelle une telle appréciation est émise, mais sous réserve que ladite appréciation intervienne dans le délai de prescription de l’action de l’administration, et que ses effets ne rétroagissent pas à une date antérieure à celle à laquelle les éléments de droit et de fait sur lesquels elle repose sont
survenus.
50 Dans ces conditions, la circonstance que l’administration fiscale ait, dans un premier temps, reconnu le bénéfice du régime forfaitaire à plusieurs sociétés civiles n’est pas susceptible d’influer sur la réponse à apporter à la question posée, dès lors que les éléments de droit et de fait sur lesquels repose la nouvelle appréciation de cette administration sont postérieurs à cette reconnaissance et qu’ils sont survenus dans le délai de prescription de l’action de celle‑ci.
51 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question que, dans le cas où le régime commun forfaitaire des producteurs agricoles devrait être, en principe, exclu pour des sociétés civiles telles que celles en cause au principal, cette exclusion s’appliquerait à la période antérieure à la date à laquelle l’appréciation sur laquelle elle est fondée a été effectuée, sous réserve que ladite appréciation intervienne dans le délai de prescription de l’action de
l’administration fiscale et que ses effets ne rétroagissent pas à une date antérieure à celle à laquelle les éléments de droit et de fait sur lesquels elle repose sont survenus.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) L’article 4, paragraphe 1 et paragraphe 4, premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 2004/66/CE du Conseil, du 26 avril 2004, d’une part, ainsi que l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 10 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du
28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, d’autre part, doivent être interprétés en ce sens que plusieurs sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, qui apparaissent en tant que telles de façon indépendante à l’égard de leurs fournisseurs, des autorités publiques et, dans une certaine mesure, de leurs clients, et dont chacune assure sa propre production en utilisant pour l’essentiel ses moyens de production, mais qui commercialisent une grande
partie de leurs produits sous une marque commune par l’intermédiaire d’une société de capitaux, dont les parts sont détenues par les membres de ces sociétés civiles ainsi que par d’autres membres de la famille concernée, doivent être considérées comme des entreprises indépendantes assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée.
2) L’article 25 de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 2004/66, et l’article 296 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la possibilité de refuser l’application du régime commun forfaitaire des producteurs agricoles, prévu à ces articles, à plusieurs sociétés civiles, telles que celles en cause au principal, considérées comme des entreprises indépendantes assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et qui coopèrent entre
elles, au motif qu’une société de capitaux, un groupement de personnes constitué des membres de ces sociétés civiles ou un groupement de personnes constitué de cette société de capitaux et des membres desdites sociétés civiles ne pourrait pas être soumis à ce régime, en raison de la taille de son exploitation ou de sa forme juridique, même si ces sociétés civiles ne font pas partie d’une catégorie de producteurs exclus de ce régime forfaitaire, pour autant qu’elles sont, en raison de leurs
liens avec cette société ou l’un de ces groupements, matériellement en mesure de faire face aux charges administratives qu’impliquent les tâches découlant de l’application du régime normal ou du régime simplifié de taxe sur la valeur ajoutée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
3) Dans le cas où le régime commun forfaitaire des producteurs agricoles devrait être, en principe, exclu pour des sociétés civiles telles que celles en cause au principal, cette exclusion s’appliquerait à la période antérieure à la date à laquelle l’appréciation sur laquelle elle est fondée a été effectuée, sous réserve que ladite appréciation intervienne dans le délai de prescription de l’action de l’administration fiscale et que ses effets ne rétroagissent pas à une date antérieure à celle à
laquelle les éléments de droit et de fait sur lesquels elle repose sont survenus.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.