CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 28 septembre 2016 ( 1 )
Affaire C‑323/15 P
Polynt SpA
contre
Agence européenne des produits chimiques (ECHA)
et
Affaire C‑324/15 P
Hitachi Chemical Europe GmbH,
Polynt SpA
contre
Agence européenne des produits chimiques (ECHA)
«Pourvoi — Règlement (CE) no 1907/2006 (Règlement REACH) — Article 57, sous f) — Substances extrêmement préoccupantes — Établissement d’une liste des substances soumises à terme à autorisation — Décision identifiant l’anhydride cyclohexane-1,2-dicarboxylique, l’anhydride cis-cyclohexane-1,2-dicarboxylique et l’anhydride trans-cyclohexane-1,2-dicarboxylique — Décision identifiant l’hexahydromethylphthalic anhydride, l’hexahydro-4-methylphthalic anhydride, l’hexahydro-1-methylphthalic anhydride et
l’hexahydro-3-methylphthalic anhydride (MHHPA) — Inclusion sur la liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV — Évaluation des dangers des propriétés intrinsèques des substances — Évaluation et mesure de gestion des risques»
I – L’introduction
1. Par leurs pourvois, Polynt SpA, dans l’affaire C‑323/15 P, et Hitachi Chemical Europe GmbH et Polynt SpA, dans l’affaire C‑324/15 P, demandent, respectivement, l’annulation des arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA (T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254), et du 30 avril 2015, Hitachi Chemical Europe e.a./ECHA (T‑135/13, EU:T:2015:253) (ci-après, ensemble, les « arrêts attaqués »).
2. Par ces arrêts, le Tribunal a rejeté les recours de ces sociétés tendant à l’annulation partielle de la décision ED/169/2012 de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 18 décembre 2012, relative à l’inclusion de substances extrêmement préoccupantes dans la liste des substances candidates (ci‑après la « décision litigieuse »), au titre de l’article 59 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et
l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission ( 2 ), tel que modifié par le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement
européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 ( 3 ) (ci-après le « règlement REACH »).
3. Plus précisément, par la décision litigieuse contre laquelle les recours en première instance ont été rejetés, l’ECHA a identifié, d’une part, l’anhydride cyclohexane-1,2-dicarboxylique (CE no 201-604-9), l’anhydride cis‑cyclohexane‑1,2-dicarboxylique (CE no 236-086-3) et l’anhydride trans‑cyclohexane-1,2‑dicarboxylique (CE no 238-009-9) (ci-après le « HHPA ») et, d’autre part, l’anhydride hexahydrométhylphtalique (CE no 247-094-1), l’anhydride hexahydro-4-méthylphtalique (CE no 243-072-0),
l’anhydride hexahydro‑1‑méthylphtalique (CE no 256-356-4) et l’anhydride hexahydro‑3‑méthylphtalique (CE no 260-566-1) (ci-après le « MHHPA ») comme des substances qui répondent aux critères visés à l’article 57, sous f), du règlement REACH, conformément à l’article 59 de ce même règlement.
4. Ces pourvois donnent l’occasion à la Cour d’interpréter, pour la première fois, l’article 57, sous f), du règlement REACH relatif à l’identification d’une substance, en l’espèce des sensibilisants respiratoires, comme substance extrêmement préoccupante, cette identification constituant la première étape de la procédure d’autorisation prévue par le règlement REACH. En particulier, ces litiges doivent conduire la Cour à trancher la question de savoir si, aux fins de l’identification comme substance
extrêmement préoccupante, en application de l’article 57, sous f), du règlement REACH, une évaluation des risques que suscite une substance est nécessaire, thèse que les requérantes font valoir dans leurs pourvois et qu’elles reprochent au Tribunal d’avoir écartée en première instance. En effet, il est constant que ce dernier a jugé que seule une évaluation des dangers causés par les propriétés intrinsèques des substances était suffisante aux fins de l’identification visée à l’article 57,
sous f), du règlement REACH.
II – Le cadre juridique
5. Le titre VII du règlement REACH, qui comprend les articles 55 à 65 de ce dernier, régit la procédure d’autorisation.
6. L’article 56 du règlement REACH dispose :
« 1. Un fabricant, importateur ou utilisateur en aval s’abstient de mettre sur le marché une substance en vue d’une utilisation ou de l’utiliser lui-même si cette substance est incluse à l’annexe XIV, sauf :
[...]
5. Dans le cas des substances qui sont soumises à autorisation uniquement parce qu’elles répondent aux critères énoncés à l’article 57, points a), b) ou c), ou parce qu’elles sont identifiées conformément à l’article 57, point f), uniquement à cause de dangers pour la santé humaine, les paragraphes 1 et 2 du présent article ne sont pas applicables aux utilisations suivantes :
[...] »
7. L’article 57 du règlement REACH, intitulé « Substances à inclure dans l’annexe XIV », énonce :
« Les substances suivantes peuvent être incluses dans l’annexe XIV conformément à la procédure prévue à l’article 58 :
a) les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.6, du règlement (CE) no 1272/2008 ;
b) les substances répondant aux critères de classification comme substances mutagènes sur les cellules germinales, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.5 du règlement (CE) no 1272/2008 ;
c) les substances répondant aux critères de classification comme substances toxiques pour la reproduction, de catégorie 1A ou 1B, ayant des effets néfastes sur la fonction sexuelle et la fertilité ou sur le développement, conformément à l’annexe I, section 3.7 du règlement (CE) no 1272/2008 ;
d) les substances qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;
e) les substances qui sont très persistantes et très bioaccumulables, conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;
f) les substances, – telles que celles possédant des propriétés perturbant le système endocrinien ou celles possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables, qui ne remplissent pas les critères visés aux points d) ou e) – pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation
d’autres substances énumérées aux points a) à e) et qui sont identifiées, au cas par cas, conformément à la procédure prévue à l’article 59. »
8. L’article 58 du règlement REACH, intitulé « Inclusion des substances dans l’annexe XIV », prévoit :
« 1. Lorsqu’il est décidé d’inclure dans l’annexe XIV des substances visées à l’article 57, la décision est prise conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 4. Pour chaque substance, cette décision précise :
a) l’identité de la substance, conformément à l’annexe VI, section 2 ;
b) la ou les propriétés intrinsèques de la substance visée à l’article 57 ;
c) des dispositions transitoires :
[...]
d) le cas échéant, les périodes de révision pour certaines utilisations ;
e) les utilisations ou catégories d’usages exemptées, le cas échéant, de l’obligation d’autorisation et les conditions éventuelles dont sont assorties les exemptions.
[...] »
9. L’article 59 du règlement REACH, intitulé « Identification des substances visées à l’article 57 », dispose :
« 1. La procédure prévue aux paragraphes 2 à 10 du présent article est applicable aux fins de l’identification des substances remplissant les critères visés à l’article 57 et de l’établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV. L’Agence indique les substances qui, sur cette liste, figurent dans son programme de travail conformément à l’article 83, paragraphe 3, point e).
2. La Commission peut demander à l’Agence d’élaborer un dossier, conformément aux sections pertinentes de l’annexe XV, pour les substances dont elle estime qu’elles répondent aux critères énoncés à l’article 57. [...]
3. Tout État membre peut élaborer un dossier conformément à l’annexe XV pour les substances dont il estime qu’elles répondent aux critères énoncés à l’article 57 et le transmettre à l’Agence. [...]
[...] »
10. L’article 60 du règlement REACH, intitulé « Octroi des autorisations », énonce :
« 1. La Commission est compétente pour prendre des décisions concernant les demandes d’autorisation conformément au présent titre.
2. Sans préjudice du paragraphe 3, une autorisation est octroyée si le risque que représente pour la santé humaine ou pour l’environnement l’utilisation d’une substance en raison de ses propriétés intrinsèques, visées à l’annexe XIV, est valablement maîtrisé conformément à l’annexe I, section 6.4, comme le démontre le rapport sur la sécurité chimique du demandeur, en tenant compte de l’avis du comité d’évaluation des risques visé à l’article 64, paragraphe 4, point a). Lors de l’octroi de
l’autorisation et dans toutes les conditions que celle-ci impose, la Commission prend en compte tous les rejets, émissions et pertes, en ce compris les risques découlant d’utilisations dispersives ou diffuses, connus au moment de la décision.
[...]
3. Le paragraphe 2 n’est pas applicable :
a) aux substances répondant aux critères énoncés à l’article 57, points a), b), c) ou f), pour lesquelles il n’est pas possible de déterminer un seuil conformément à l’annexe I, section 6.4 ;
b) aux substances répondant aux critères énoncés à l’article 57, points d) ou e) ;
c) aux substances identifiées en vertu de l’article 57, point f), possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables.
4. Lorsqu’une autorisation ne peut être octroyée en application du paragraphe 2 ou pour les substances énumérées au paragraphe 3, elle ne peut être octroyée que s’il est démontré que les avantages socioéconomiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement et qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées. [...]
[...] »
11. L’article 62 du règlement REACH, intitulé « Demandes d’autorisation », prévoit :
« 1. Les demandes d’autorisation sont adressées à l’Agence.
[...]
4. Une demande d’autorisation contient les éléments suivants :
[...]
d) sauf s’il a déjà été présenté dans le cadre de l’enregistrement, un rapport sur la sécurité chimique, établi conformément à l’annexe I couvrant les risques qu’entraîne pour la santé humaine et/ou l’environnement l’utilisation de la ou des substances en raison des propriétés intrinsèques visées à l’annexe XIV ;
[...] »
III – Les antécédents des litiges
12. Il ressort des points 1 à 3 des arrêts attaqués que le HHPA et le MHHPA sont des anhydrides d’acide cyclique. Ces substances sont utilisées comme intermédiaires ou monomères, ainsi que pour la fabrication d’articles et la production de résines polymères ( 4 ).
13. Ces substances ont notamment été classifiées parmi les sensibilisants respiratoires de catégorie 1, qui peuvent provoquer des symptômes allergiques ou d’asthme ou des difficultés respiratoires par inhalation. Le HHPA et le MHHPA ont été inclus dans le tableau 3.1 figurant dans la partie 3 de l’annexe VI du règlement no 1272/2008.
14. Le 6 août 2012, le Royaume des Pays-Bas a transmis à l’ECHA un dossier proposant d’identifier le HHPA et le MHHPA comme des substances extrêmement préoccupantes, à inclure dans l’annexe XIV du règlement REACH conformément aux dispositions de l’article 57 de ce règlement. Il ressort des points 4 des arrêts attaqués que le Royaume des Pays-Bas proposait d’identifier le HHPA et le MHHPA comme des substances pour lesquelles il était scientifiquement prouvé qu’elles pouvaient avoir des effets graves
sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitaient un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH, conformément à l’article 57, sous f), de ce même règlement.
15. À la suite des observations des requérantes sur les dossiers relatifs à l’identification du HHPA et du MHHPA, l’ECHA a renvoyé ces dossiers à son comité des États membres, tel que visé à l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement REACH, qui est parvenu, le 13 décembre 2012, à un accord unanime sur l’identification du HHPA et du MHHPA comme substances extrêmement préoccupantes répondant aux critères énoncés à l’article 57, sous f), du règlement REACH. Le même jour, le comité des États
membres de l’ECHA a adopté les documents d’appui respectifs pour l’identification du HHPA et du MHHPA comme substances extrêmement préoccupantes en raison de leurs propriétés de sensibilisation respiratoire sur la base de l’article 57, sous f), du règlement REACH (ci-après les « documents d’appui »).
16. Au terme de la procédure prévue à l’article 59 du règlement REACH, l’ECHA a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a identifié le HHPA et le MHHPA comme substances répondant aux critères visés à l’article 57, sous f), de ce règlement. En particulier, l’ECHA a considéré que ces substances suscitent un niveau de préoccupation équivalent aux substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, énumérées à l’article 57, sous a) à c), du règlement REACH.
IV – La procédure devant le Tribunal et les arrêts attaqués
17. Le 28 février 2013, les requérantes ont introduit leurs recours respectifs tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse.
18. Le Tribunal a autorisé la Commission et le Royaume des Pays-Bas à intervenir au soutien des conclusions de l’ECHA dans les affaires T‑134/13 et T‑135/13. Il a également autorisé REACh ChemAdvice GmbH et New Japan Chemical à intervenir au soutien des requérantes. Par ordonnance du 15 octobre 2014, le Tribunal a joint les deux affaires aux fins de la procédure orale.
19. Par les arrêts attaqués, le Tribunal a rejeté les recours des requérantes dans leur intégralité et les a condamnées aux dépens.
V – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
20. Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 30 juin 2015, les requérantes ont introduit les présents pourvois.
21. Chacune des requérantes demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué qui la concerne ainsi que la décision litigieuse en ce qu’elle la concerne ou, subsidiairement, de renvoyer les affaires au Tribunal et de condamner l’ECHA aux dépens.
22. L’ECHA et la Commission demandent à la Cour de rejeter les pourvois et de condamner les requérantes aux dépens.
23. New Japan Chemical, REACh ChemAdvice ont déposé des observations écrites au soutien des conclusions des requérantes. Le Royaume des Pays-Bas a déposé des observations écrites au soutien des conclusions de l’ECHA.
24. La Cour a posé une série de questions pour réponses écrites aux parties. Les requérantes, l’ECHA ainsi que la Commission y ont répondu dans les délais impartis.
25. Les requérantes, l’ECHA, la Commission, ainsi que Sitre Srl, qui est intervenue au soutien des conclusions des requérantes devant la Cour ( 5 ), ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par la Cour lors de l’audience, commune aux deux affaires, qui s’est tenue le 15 juin 2016.
VI – L’analyse
26. À l’appui de leurs pourvois, les requérantes soulèvent quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une contradiction de motifs et d’erreurs de droit entraînant une erreur d’interprétation et d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Le deuxième moyen est tiré d’une motivation incohérente et d’erreurs de droit conduisant à une erreur d’interprétation et d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Le troisième moyen est tiré d’un défaut de motivation, en ce que le
Tribunal s’est appuyé à tort sur l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH. Enfin, le quatrième moyen est tiré d’erreurs de droit dans l’appréciation des arguments concernant l’absence d’exposition du consommateur ou du travailleur à la substance, conduisant à une application erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
A – Sur le premier moyen, pris d’une contradiction de motifs et d’erreurs de droit entraînant une erreur d’interprétation et d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH
27. Ce moyen repose sur deux branches. D’une part, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH en retenant que cette disposition ne requiert pas une évaluation des risques pour l’identification d’une substance extrêmement préoccupante. D’autre part, les requérantes allèguent que les points 71 et 73 des arrêts attaqués dénoteraient une contradiction de motifs.
1. Sur la première branche, tirée de l’erreur de droit dans l’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH
a) Résumé des arguments des parties
28. Cette première branche du premier moyen est dirigée contre les points 71, 81 et 94 des arrêts attaqués en ce que le Tribunal aurait exclu qu’une évaluation des risques soit nécessaire pour identifier les substances en cause, en application de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
29. Les requérantes contestent cette interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
30. Elles soutiennent que le législateur de l’Union a entendu opérer une distinction entre, d’une part, les substances couvertes par l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH et celles relevant de l’article 57, sous f), de ce règlement. Les substances ne relevant pas des cas visés à l’article 57, sous a) à e), de ce règlement ne pourraient être considérées comme extrêmement préoccupantes qu’au terme d’un examen complémentaire, au cas par cas. Cet examen ne pourrait être qu’une évaluation des
risques, qui doit prendre en compte les mesures de gestion des risques, puisque les sensibilisants respiratoires ne relèvent pas de la catégorie des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, visées à l’article 57, sous a) à c), du règlement REACH.
31. En réponse aux questions écrites adressées par la Cour, les requérantes ont fait valoir que cette interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH était confirmée par l’usage du terme « utilisation » dans la version française de cette disposition dudit règlement.
32. À l’audience, les requérantes ont précisé que l’évaluation des risques à laquelle elles ont fait référence dans leur pourvoi correspondait à une évaluation des risques au sens de l’annexe I du règlement REACH.
33. L’ECHA soutient que les requérantes n’ont pas compris les termes des arrêts attaqués. Cette agence fait valoir que le Tribunal a correctement appliqué la jurisprudence Etimine (arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504) en distinguant entre les dangers et les risques. En effet, le Tribunal aurait jugé à bon droit que, à l’instar des substances visées à l’article 57, sous a) à e), l’article 57, sous f), du règlement REACH, n’exige pas de procéder à une évaluation des risques.
L’identification du caractère extrêmement préoccupant d’une substance peut uniquement résulter de l’évaluation des dangers des propriétés intrinsèques de cette substance. En outre, l’ECHA rappelle que, en l’absence de seuil d’exposition, comme c’est le cas en l’espèce pour ces sensibilisants respiratoires, une évaluation normale des risques n’est pas possible.
34. À l’audience, l’ECHA a précisé que, d’une part, la prise en compte des données sur l’exposition humaine permettant d’apprécier les dangers que posent les propriétés intrinsèques des substances et, d’autre part, l’évaluation de l’exposition ainsi que l’évaluation des risques, sont des processus entièrement différents.
35. La Commission estime aussi que c’est à juste titre que le Tribunal a retenu que l’article 57, sous f), du règlement REACH n’impose pas une évaluation des risques pour l’identification des substances qui ne relèvent pas des autres lettres de cet article. Cela résulterait du libellé et de l’économie dudit règlement.
b) Appréciation
36. Aux points 69 des arrêts attaqués, le Tribunal a relevé que la Cour avait déjà jugé dans l’arrêt du 21 juillet 2011, Etimine (C‑15/10, EU:C:2011:504, points 74 et 75), qu’il y a lieu de différencier entre les dangers et les risques. L’évaluation des dangers constitue la première étape du processus d’évaluation des risques, laquelle représente un concept plus précis. Ainsi, une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques d’une substance ne doit pas être limitée en considération de
circonstances d’utilisation spécifiques, comme dans le cas d’une évaluation des risques, et peut être réalisée de manière valable indépendamment du lieu d’utilisation de la substance, de la voie par laquelle pourrait se produire le contact avec celle-ci et de niveaux éventuels d’exposition à la substance.
37. Bien que l’intitulé du premier moyen exposé par les requérantes mentionne les points 69 des arrêts attaqués, ces dernières ne contestent pas l’appréciation retenue par le Tribunal dans ces points ainsi que la distinction qu’il a effectuée entre l’évaluation des dangers et l’évaluation des risques, ce dont il convient de prendre acte.
38. À cet égard, et pour mieux comprendre la distinction entre l’évaluation des dangers et celle des risques, en particulier dans les présentes affaires, je me permets d’ajouter que l’évaluation des dangers pour la santé humaine a pour objectif d’établir le niveau maximal d’exposition à la substance auquel l’être humain peut être soumis sans que cette exposition n’entraîne d’effets néfastes. Ce niveau d’exposition, appelé « niveau dérivé sans effet » (Derived No-Effect Level, ci-après « DNEL »),
repose sur l’évaluation des données humaines et non humaines disponibles ( 6 ).
39. L’évaluation de l’exposition a pour objet d’établir les niveaux d’exposition connue ou raisonnablement prévisible de l’homme à cette substance ( 7 ). Cette évaluation tient compte des conditions d’exploitation et des mesures de gestion des risques. La caractérisation des risques consiste en une comparaison entre, d’une part, les niveaux d’exposition connue ou raisonnablement prévisible de l’homme à cette substance et, d’autre part, les DNEL pertinents. Le risque peut être considéré comme étant
valablement maîtrisé si les niveaux d’exposition connue ou raisonnablement prévisible de l’homme à cette substance ne dépassent pas le DNEL ( 8 ).
40. Ces premières précisions faites, il ressort des points 70 des arrêts attaqués, qui ne font pas non plus l’objet de critiques de la part des requérantes, que la classification et l’étiquetage des substances dangereuses au niveau de l’Union, tels que cela ressort désormais du règlement no 1272/2008, sont fondés sur l’évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques des substances.
41. Aux points 71 des arrêts attaqués, le Tribunal en a déduit que « [d]ès lors que la classification parmi les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction de catégorie 1 est suffisante pour identifier une substance comme extrêmement préoccupante, en vertu de l’article 57, sous a) à c), du règlement [REACH], il ne saurait être conclu que, pour l’identification d’une substance conformément à l’article 57, sous f), du règlement [REACH], l’ECHA doit prendre en considération une
évaluation des risques ».
42. Aux points 81 des arrêts attaqués, le Tribunal a de même rejeté l’argumentation des requérantes concernant l’absence de prise en considération des mesures de gestion des risques, des contrôles et conditions relatives à la protection des travailleurs au motif qu’il « suffit de relever, d’une part, que les dangers découlant des propriétés intrinsèques du HHPA et du MHHPA n’ont pas changé et, d’autre part, que le fait que les effets négatifs d’une substance liés à son utilisation peuvent être
contrôlés de manière appropriée n’empêche pas son identification comme extrêmement préoccupante ».
43. Le Tribunal a ainsi considéré que les dangers causés par les propriétés intrinsèques du HHPA et du MHHPA suffisent à justifier leur identification comme substance extrêmement préoccupante.
44. Cette appréciation a été confirmée respectivement au point 95 de l’arrêt attaqué dans l’affaire T‑134/13 et au point 94 de l’arrêt attaqué dans l’affaire T‑135/13.
45. Le Tribunal a donc retenu que, pour identifier des substances au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH aucune évaluation des risques n’était nécessaire, seule une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques de ces substances était exigée.
46. Les requérantes contestent cette interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH et soutiennent que cette disposition requiert la prise en compte d’une évaluation des risques.
47. Malgré une motivation quelque peu laconique des arrêts attaqués, je ne partage pas cet avis.
48. Il convient avant tout de rappeler que le règlement REACH instaure un système intégré de contrôle des substances chimiques incluant leur enregistrement, leur évaluation, ainsi que leur autorisation et d’éventuelles restrictions à leur emploi ( 9 ).
49. Le règlement REACH accorde une attention particulière aux substances considérées comme extrêmement préoccupantes, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 63, 69 et 70 de ce règlement ( 10 ) et auxquelles s’applique la procédure d’autorisation prévue au titre VII dudit règlement, qui comprend les articles 55 à 66 du règlement REACH.
50. La procédure d’autorisation subordonne l’utilisation et la mise sur le marché des substances incluses à l’annexe XIV du règlement REACH à l’octroi d’une autorisation. Cette procédure comprend trois étapes.
51. En bref, la première étape consiste à identifier les substances extrêmement préoccupantes au titre de l’article 57 du règlement REACH et à les inclure dans la liste des substances candidates à une inclusion à terme dans l’annexe XIV de ce règlement, intitulée « Liste des substances soumises à autorisation ». Je reviendrai bien entendu par la suite sur cette première étape, qui constitue le cœur des présents pourvois. La deuxième étape de la procédure consiste à inclure certaines substances
candidates dans ladite annexe XIV, conformément à l’article 58 du règlement REACH. La troisième étape de la procédure d’autorisation concerne l’octroi de l’autorisation relative aux substances incluses à l’annexe XIV du règlement REACH. En principe, à défaut d’autorisation, la substance ne peut ni être utilisée ni être mise sur le marché.
52. L’article 57 du règlement REACH, qui comme indiqué précédemment, participe de la première étape de la procédure d’autorisation, prévoit les critères d’identification des substances extrêmement préoccupantes et qui peuvent être incluses dans l’annexe XIV dudit règlement. Cet article vise sous les lettres a) à c), les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I du
règlement no 1272/2008 (ci-après les « substances CMR ») et, sous les lettres d) et e), les substances qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques (PBT) ainsi que les substances très persistantes et très bioaccumulables (vPvB), conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du règlement REACH ( 11 ) (ci-après les « substances PBT et vPvB »).
53. La lettre f) de l’article 57 du règlement REACH vise quant à elle « les substances – telles que celles possédant des propriétés perturbant le système endocrinien ou celles possédant [des] propriétés [PBT et vPvB], qui ne remplissent pas les critères visés aux points d) ou e) – pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation des
substances énumérées aux points a) à e) et qui sont identifiées, cas par cas, conformément à la procédure prévue à l’article 59 [du règlement REACH] ».
54. Il est constant que le HHPA et le MHHPA sont classifiés en tant que sensibilisants respiratoires conformément à l’annexe I, section 3.4, du règlement no 1272/2008.
55. Par ailleurs, comme cela a plus amplement été clarifié à l’audience devant la Cour, les requérantes ne contestent pas, dans leurs pourvois respectifs, les appréciations du Tribunal figurant aux points 45 à 48 des arrêts attaqués selon lesquelles les sensibilisants respiratoires relèvent bien du champ d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH, l’énumération des substances qui y est effectuée étant, en effet, non exhaustive.
56. Il n’est pas non plus contesté que les substances CMR, PBT et vPvB relèvent de la catégorie de substances extrêmement préoccupantes sur la seule base de leur classification au titre du règlement no 1272/2008 qui repose elle-même exclusivement sur l’évaluation des dangers liés à leurs propriétés intrinsèques.
57. Selon les requérantes, et contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé aux points 71 des arrêts attaqués, il en irait tout à fait autrement pour les substances visées à l’article 57, sous f), du règlement REACH. À l’appui de leur thèse selon laquelle l’article 57, sous f), du règlement REACH exigerait, au stade de l’identification des substances extrêmement préoccupantes, non seulement une évaluation des dangers, mais aussi une évaluation des risques, les requérantes se fondent sur l’idée que
les substances ne relevant pas de l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH ne peuvent être identifiées comme substances extrêmement préoccupantes qu’à la suite d’un examen complémentaire qui, selon elles, ne pourrait être qu’une évaluation des risques. D’après les requérantes, une telle évaluation des risques comprendrait une évaluation de l’exposition prenant en compte les mesures de gestion des risques, telle qu’elle est prévue à l’annexe I, sections 5 et 6, du règlement REACH. Dans
leurs réponses aux questions écrites de la Cour ainsi qu’à l’audience, les requérantes ont également indiqué que l’usage du terme « utilisation » dans la version française du règlement REACH viendrait confirmer leur thèse selon laquelle une évaluation des risques serait nécessaire au stade de l’identification prévue à l’article 57, sous f), de ce règlement.
58. Il convient d’emblée de rejeter l’argument des requérantes tiré de la référence au terme « utilisation » qui figure dans la version française de l’article 57, sous f), du règlement REACH. En effet, comme la Commission l’a souligné, aucune des autres versions linguistiques de cet article ne contient ce terme et il s’agit d’une « erreur malencontreuse » dans la version française. En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que la nécessité d’une interprétation uniforme du droit de
l’Union exclut que, en cas de doute, le texte d’une disposition soit considéré isolément et exige au contraire qu’il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles ( 12 ).
59. Or, il ressort clairement de ces versions ( 13 ) que le « niveau de préoccupation équivalent » visé à l’article 57, sous f), du règlement REACH se rapporte aux substances, énumérées aux lettres a) à e) de cet article, en tant que telles et non pas à leur utilisation.
60. Cela étant, il est vrai que l’identification des substances CMR comme substances extrêmement préoccupantes repose exclusivement sur la classe de danger telle qu’elle résulte du règlement no 1272/2008, et que celle des substances PBT et vPvB repose uniquement sur les critères de l’annexe XIII du règlement REACH.
61. Il est tout aussi vrai que l’appartenance à une classe de danger particulière au titre du règlement no 1272/2008 n’est pas une condition requise pour que des substances données entrent dans le champ d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH ( 14 ). En effet, même si, en l’espèce, le HHPA et le MHHPA relèvent bien de la classe de danger relative aux sensibilisants respiratoires de l’annexe I du règlement no 1272/2008, les perturbateurs endocriniens, quant à eux, n’appartiennent,
à ce jour, à aucune classe de danger alors même qu’ils sont mentionnés dans l’énumération de l’article 57, sous f), du règlement REACH comme substances susceptibles d’être identifiées comme substances extrêmement préoccupantes.
62. Pour qu’une telle qualification soit retenue, l’article 57, sous f), du règlement REACH requiert deux conditions, à savoir, d’une part, qu’il soit « scientifiquement prouvé que les substances peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement » et, d’autre part, que ces effets suscitent « un niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par les substances énumérées aux points a) à e) du même article.
63. Comme l’ont admis l’ECHA et la Commission, dans le cas où, comme en l’espèce, des substances relèvent bien d’une classe de danger en vertu de l’annexe I du règlement no 1272/2008, cette classification est une première étape, qui est prise en considération pour la satisfaction de la première condition énoncée au point précédent. Elle n’est toutefois pas suffisante pour que les substances en cause soient considérées comme des substances extrêmement préoccupantes au sens de l’article 57, sous f),
du règlement REACH.
64. Cela ne signifie en revanche pas que la démonstration scientifique que les substances en cause puissent engendrer des effets graves sur la santé ou sur l’environnement exige qu’une évaluation des risques soit menée s’agissant desdites substances. Bien entendu, comme cela est précisé aux sections 1 à 4 de l’annexe I du règlement REACH, des données historiques relatives à l’exposition humaine aux substances peuvent être prises en considération aux fins d’apprécier les dangers liés aux propriétés
de ces substances. Ni l’ECHA ni la Commission ne le contestent. Le Tribunal n’a pas non plus affirmé le contraire. En effet, s’agissant de sensibilisants respiratoires utilisés dans l’industrie, ces données et leur analyse permettent de mieux identifier le niveau de dangerosité intrinsèque de ces substances et de vérifier, au cas par cas, si ces substances engendrent des effets graves sur la santé humaine.
65. Cet examen n’équivaut cependant ni à une évaluation de l’exposition pas plus que des risques ni, a fortiori, ne conduit à prendre en considération des mesures de gestion des risques, comme le Tribunal l’a correctement jugé dans les arrêts attaqués.
66. En d’autres termes, la référence aux « effets graves » qu’engendrent les substances en cause ne signifie aucunement qu’il faille procéder à une évaluation des risques. Les « effets graves » se réfèrent au niveau ou au degré de dangerosité lié aux propriétés des substances. Ainsi, selon la section 1 de l’annexe I du règlement REACH, l’évaluation des dangers pour la santé humaine doit prendre en considération non seulement le profil toxicocinétique (c’est-à-dire absorption, métabolisme,
distribution et élimination) de la substance examinée, mais aussi « les groupes d’effets » énumérés, dont celui de la sensibilisation, sans qu’il soit exigé que les conditions d’utilisation de la substance examinée soient prises en compte. Le considérant 115 du règlement REACH confirme aussi que la notion d’« effets » renvoie aux propriétés des substances sans que la détermination de ces effets inclue une évaluation des risques ( 15 ).
67. Toutefois, selon l’article 57, sous f), du règlement REACH, la condition relative aux effets graves engendrés par les substances en cause n’est pas suffisante pour identifier les substances en cause comme des substances extrêmement préoccupantes. Il faut encore démontrer scientifiquement que ces effets graves suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH.
68. Or, en renvoyant « au niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH, c’est-à-dire à un niveau de préoccupation fondé exclusivement sur les dangers liés aux propriétés intrinsèques de ces substances, l’article 57, sous f), du règlement REACH exige de comparer des niveaux de dangerosité liés aux propriétés des substances et non des niveaux de risque. C’est ainsi que, comme cela ressort des documents d’appui
adoptés le 13 décembre 2012, l’ECHA a développé un certain nombre de critères permettant de déterminer, sur la base de la dangerosité des substances examinées, si celles-ci peuvent être considérées comme suscitant un « niveau de préoccupation équivalent » à celui des substances CMR ( 16 ). Ces critères et leur appréciation ne font pas l’objet des présents pourvois.
69. L’interprétation littérale de l’article 57, sous f), du règlement REACH, ici défendue, est corroborée par plusieurs autres dispositions de ce règlement.
70. Ainsi, selon l’article 58, paragraphe 1, sous b), du règlement REACH, la décision d’inclusion des substances dans l’annexe XIV de ce règlement doit notamment préciser « la ou les propriétés intrinsèques de la substance visée à l’article 57 », sans que cette disposition établisse de distinction entre les lettres de a) à f) de l’article 57 dudit règlement. La première colonne de ladite annexe XIV confirme que les informations demandées consistent uniquement à indiquer « la ou les propriétés
intrinsèques des substances visées à l’article 57 », y compris donc les substances relevant de la lettre f) de cet article.
71. De plus, l’annexe XV du règlement REACH précise, s’agissant du dossier relatif notamment à l’identification d’une substance suscitant un degré de préoccupation équivalent, conformément à l’article 59 de ce règlement, qu’« il y a lieu, conformément aux parties pertinentes des sections 1 à 4 de l’annexe I, de procéder [...] à une évaluation des dangers et à une comparaison [des informations disponibles concernant cette substance] avec l’article 57, sous f)» ( 17 ).
72. De surcroît, l’article 56, paragraphe 5, l’article 60, paragraphe 2, et l’article 62, sous d), du règlement REACH évoquent l’identification des substances visées à l’article 57, sous f), de ce règlement en fonction uniquement des « dangers » que représentent ces substances ou de leurs « propriétés intrinsèques », sans jamais mentionner une évaluation des risques ni a fortiori la prise en compte de mesures de gestion des risques ( 18 ).
73. L’interprétation selon laquelle seul l’examen de la dangerosité des substances est requis au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH est également étayée par l’économie générale du système d’autorisation instauré par le titre VII de ce règlement.
74. En effet, comme évoqué au point 51 des présentes conclusions, le système d’autorisation comprend trois étapes, à savoir l’identification des substances extrêmement préoccupantes et l’inclusion de ces substances dans la liste des substances candidates à une inscription à terme dans la liste des substances soumises à autorisation (articles 57 et 59 du règlement REACH), l’inscription dans la liste des substances soumises à autorisation (article 58 du règlement REACH) et l’octroi des autorisations
demandées (articles 60 à 64 du règlement REACH).
75. Or, il ressort de ce système que l’évaluation des risques n’est exigée qu’au stade de l’octroi des autorisations.
76. En effet, selon l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH, une autorisation est octroyée si le risque que représente pour la santé humaine ou pour l’environnement l’utilisation d’une substance, en raison de ses propriétés intrinsèques, visées à l’annexe XIV dudit règlement, est valablement maîtrisé, comme le démontre l’évaluation des risques prévue à la section 6 de l’annexe I du règlement REACH.
77. Par ailleurs, dans les cas où l’autorisation ne peut être octroyée en vertu de l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH ou pour les substances pour lesquelles il n’est pas possible de déterminer le niveau maximal d’exposition à la substance auquel l’être humain peut être soumis (DNEL), comme c’est le cas pour le HHPA et le MHHPA, l’article 60, paragraphe 4, de ce règlement prévoit que l’autorisation ne peut être accordée que s’il est démontré que les avantages socio‑économiques l’emportent
sur les risques qu’entraînent l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement et qu’il n’existe pas de substances de remplacement. Cette décision doit notamment prendre en compte le risque lié aux utilisations de la substance ainsi que la pertinence et l’efficacité des mesures de gestion des risques proposées.
78. Enfin, souscrire à l’interprétation défendue par les requérantes, selon laquelle la prise en compte d’une évaluation des risques, qui comprend des mesures de gestion des risques, au stade de l’identification d’une substance serait requise, conduirait à soustraire un grand nombre de substances potentiellement extrêmement dangereuses à toutes les étapes de la procédure d’autorisation prévue par le règlement REACH. En particulier, la prise en compte de mesures de gestion des risques au stade de
l’identification des substances pour lesquelles l’autorisation ne peut être octroyée que s’il est démontré qu’il n’existe pas de substances de remplacement appropriées ( 19 ), comme c’est le cas en l’espèce, permettrait à l’industrie d’échapper à toute nécessité de rechercher l’existence même de telles substances. Or, cette conséquence irait à l’encontre de l’un des objectifs importants du règlement REACH qui est d’inciter et, dans certains cas, de veiller à ce que les substances extrêmement
préoccupantes soient remplacées à terme par des substances moins dangereuses lorsque des solutions de remplacement appropriées et viables existent ( 20 ).
79. Au vu de ces considérations, j’estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’identification des substances comme substances extrêmement préoccupantes, prévue à l’article 57, sous f), du règlement REACH, n’exigeait pas la prise en compte d’une évaluation des risques.
2. Sur la seconde branche, tirée de la contradiction de motifs entre les points 71 et 73 des arrêts attaqués
a) Résumé des arguments des parties
80. Les requérantes soutiennent que les points 71 et 73 des arrêts attaqués sont entachés d’une contradiction de motifs. En effet, tandis que, aux points 71 des arrêts attaqués, le Tribunal a affirmé que, pour être identifiée comme substance extrêmement préoccupante au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH, une substance ne doit pas faire l’objet d’une évaluation des risques, il aurait déclaré le contraire aux points 73 des mêmes arrêts.
81. L’ECHA et la Commission proposent de rejeter cette branche. Elles estiment que les requérantes interprètent erronément les points 73 des arrêts attaqués. En particulier, ces parties font valoir que le guide de l’ECHA requiert non pas une analyse des risques, mais de déterminer si une évaluation normale des risques permet d’agir adéquatement contre le risque. Or, une évaluation normale des risques ne peut avoir lieu pour les substances pour lesquelles il n’est pas possible, comme en l’espèce, de
définir un DNEL, c’est-à-dire, le niveau maximal d’exposition auquel l’être humain peut être soumis sans que cette exposition entraîne d’effets graves.
b) Analyse
82. À titre principal, la seconde branche du premier moyen doit, selon moi, être rejetée comme étant inopérante. En effet, dans la mesure où, comme cela a été analysé plus haut, l’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH, retenue par le Tribunal aux points 71 des arrêts attaqués, est, à mes yeux, fondée, le fait qu’il aurait affirmé le contraire aux points 73 desdits arrêts n’emporte aucune conséquence sur le dispositif de ces derniers et ne sauraient donc entraîner leur
annulation ( 21 ).
83. Si la Cour devait cependant considérer qu’il importe d’examiner au fond la branche tirée de la contradiction de motifs, j’estime, en tout état de cause, que celle-ci doit être rejetée.
84. Il y a lieu avant tout de rappeler que, aux points 73 des arrêts attaqués, le Tribunal a indiqué que, « s’agissant du fait que le point 6.3 du document d’appui, qui fait référence au guide [de l’ECHA] pour l’identification de substances extrêmement préoccupantes à cet égard, mentionne l’évaluation normale des risques, il convient de relever que, selon ce point, la possibilité de prévenir les effets d’une substance dans le cadre d’une évaluation normale des risques ne constitue qu’une des
considérations qui devraient être prises en compte par l’ECHA dans le cadre de la procédure d’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante au titre de l’article 57, sous f), du règlement [REACH] ».
85. Le point 6.3 des deux documents d’appui pertinents, auxquels fait référence le Tribunal, reproduisent littéralement le point 3.3.3.2 du guide de l’ECHA pour la préparation d’un dossier annexe XV relatif à l’identification des substances extrêmement préoccupantes (ci-après le « guide de l’ECHA »).
86. Or, le point 3.3.3.2 du guide de l’ECHA, qui énonce les circonstances dont doit notamment tenir compte l’ECHA lorsqu’elle examine une substance au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH, requiert non pas la réalisation d’une évaluation des risques, mais simplement de déterminer si une évaluation normale des risques permet d’agir adéquatement contre le risque.
87. À ce titre, il convient de préciser que l’évaluation normale des risques évoquée par le guide de l’ECHA et par le Tribunal aux points 73 des arrêts attaqués correspond à l’évaluation des risques telle que prévue à la section 6.4 de l’annexe I du règlement REACH, laquelle repose sur une comparaison entre le niveau d’exposition estimé et le DNEL pertinent (le niveau maximal d’exposition auquel l’être humain peut être soumis sans que cette exposition entraîne d’effets néfastes).
88. Or, comme je l’ai déjà mis en exergue aux points 38 et 39 des présentes conclusions, une évaluation normale des risques ne peut avoir lieu pour les substances pour lesquelles il n’est pas possible de définir un DNEL, ce qui est le cas pour le HHPA et le MHHPA.
89. Ainsi, il apparaît clairement que l’objet des points 73 des arrêts attaqués était uniquement de rappeler la conclusion du comité des États membres de l’ECHA, contenue dans les documents d’appui respectifs, selon laquelle une évaluation normale des risques n’était pas adéquate s’agissant du HHPA et du MHHPA et non pas d’exiger de l’ECHA la prise en compte d’une évaluation des risques au stade de l’identification d’une substance au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
90. Dans de telles circonstances, il ne saurait être considéré, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, que le Tribunal a entendu affirmer, aux points 73 des arrêts attaqués, que l’ECHA était obligée de tenir compte d’une évaluation des risques afin de déterminer si une substance peut être identifiée comme extrêmement préoccupante en application de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Il s’ensuit, à mon sens, que les points 71 et 73 des arrêts attaqués ne sont pas contradictoires.
91. Partant, à défaut d’être inopérante, la seconde branche du premier moyen est, à mes yeux, non fondée.
92. Dans ces circonstances, je propose à la Cour de rejeter le premier moyen.
B – Sur le deuxième moyen, tiré d’une motivation incohérente et d’erreurs de droit conduisant à une erreur d’interprétation et d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH
1. Résumé des arguments des parties
93. Les requérantes soulignent que, aux points 49 des arrêts attaqués, le Tribunal a affirmé que les guides interprétatifs, tels que le guide de l’ECHA, ne constituaient pas des conseils de nature juridique. Toutefois, selon les requérantes, il ressortirait de la jurisprudence que de telles règles de conduite générale ne sont pas dépourvues d’effets juridiques, puisque, par ces instruments, les institutions qui en sont les auteurs s’autolimitent dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire ( 22
). Outre la contradiction entre les motifs exposés aux points 49 et 73 des arrêts attaqués, le Tribunal aurait méconnu cette jurisprudence constante.
94. Les requérantes soutiennent que, en omettant de prendre en considération le guide de l’ECHA lors de l’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH, le Tribunal n’aurait pas dûment pris en compte l’évaluation des risques. Par conséquent, en retenant les motifs exposés aux points 65 à 91 des arrêts attaqués, le Tribunal aurait erronément interprété et appliqué l’article 57, sous f), du règlement REACH.
95. L’ECHA et la Commission estiment que ce moyen repose sur une lecture erronée des points 49 et 73 des arrêts attaqués et proposent de le rejeter.
2. Appréciation
96. Je considère que ce moyen se fonde sur une lecture erronée de la portée des points 49 des arrêts attaqués.
97. Pour bien comprendre l’appréciation qui a été menée par le Tribunal, il convient de rappeler que, aux points 45 à 48 des arrêts attaqués, ce dernier a rejeté la première branche du premier moyen exposé devant lui, par laquelle les requérantes prétendaient que les sensibilisants respiratoires ne relevaient pas du champ d’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Ainsi que je l’ai déjà mis en exergue au point 55 des présentes conclusions, les requérantes ne contestent pas, au stade
du pourvoi, l’appréciation contenue aux points 45 à 48 des arrêts attaqués.
98. Dans les points 49 de ces arrêts, introduits par l’expression « Par ailleurs », le Tribunal a également écarté l’argument des requérantes, toujours à l’appui de la première branche du premier moyen exposé en première instance, selon lequel le guide de l’ECHA confirmerait l’inapplicabilité de l’article 57, sous f), du règlement REACH aux sensibilisants respiratoires. Le Tribunal a motivé ce rejet en précisant que « ce document constitue un outil de travail produit par l’ECHA pour faciliter
l’application du règlement [REACH]. Ainsi qu’indiqué à juste titre dans ledit guide, le texte du règlement [REACH] est la seule référence légale authentique et l’information contenue dans ce guide ne constitue pas un conseil de nature juridique» ( 23 ).
99. L’appréciation contenue aux points 49 des arrêts attaqués a donc été opérée à titre surabondant. Il s’ensuit, selon moi, que les critiques dirigées contre ces points des arrêts attaqués peuvent être considérées comme étant inopérantes ( 24 ).
100. Cela étant, les requérantes reprochent également au Tribunal d’avoir omis de prendre en considération le guide de l’ECHA lors de l’examen de la seconde branche du premier moyen présentée en première instance, tirée de l’absence d’un niveau de préoccupation équivalent à celui des substances CMR.
101. Or, comme les requérantes le notent elles-mêmes, le Tribunal a bien pris en compte ce document aux points 73 des arrêts attaqués, qui s’inscrivent dans la réponse donnée par le Tribunal à la seconde branche de leur premier moyen exposé devant celui-ci. Que le Tribunal n’ait pas souscrit à l’interprétation de ce guide défendue par les requérantes est une autre question, que j’ai d’ailleurs déjà abordée dans l’examen du premier moyen des pourvois.
102. Contrairement à ce que les requérantes allèguent, le fait que le Tribunal ait tenu compte du guide de l’ECHA aux points 73 des arrêts attaqués ne contredit pas l’appréciation faite aux points 49 de ces arrêts. En effet, il est tout à fait correct, à mes yeux, de refuser de prendre en considération ce guide pour l’interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH, tout comme il est entièrement justifié, ainsi que le Tribunal l’a fait aux points 73 des arrêts attaqués, de tenir compte
de ce guide lorsqu’il s’agit de contrôler de quelle manière sont appliquées les dispositions du règlement REACH à des substances données, en particulier pour vérifier si ces substances revêtent un « niveau de préoccupation équivalent » à celui des substances CMR.
103. Partant, il n’y a pas lieu selon moi d’examiner le grief tiré du caractère contraignant ou non du guide de l’ECHA dans la mesure où le Tribunal n’a pas statué, de manière générale, sur cette question. En effet, les points 49 des arrêts attaqués n’ont pas la portée générale que lui prêtent les requérantes, en ce sens que le Tribunal a uniquement (et correctement) statué dans ces points de ces arrêts sur le fait que le juge de l’Union n’était pas lié par l’interprétation de l’article 57, sous f),
du règlement REACH contenue dans le guide de l’ECHA. En d’autres termes, le Tribunal ne s’est pas fondé (et à juste titre) sur la motivation exposée aux points 49 des arrêts attaqués pour conclure que l’évaluation des risques n’était pas requise aux fins de l’identification d’une substance comme étant extrêmement préoccupante en application de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
104. Par conséquent, je suggère de rejeter le deuxième moyen des pourvois comme étant en partie inopérant et en partie non fondé.
C – Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation, en ce que le Tribunal se serait appuyé à tort sur l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH
1. Résumé des arguments des parties
105. Les requérantes reprochent, en substance, au Tribunal de s’être appuyé, aux points 61 et 68 des arrêts attaqués, sur l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH pour confirmer sa thèse selon laquelle l’évaluation des risques n’est pas requise dans le cadre de l’identification d’une substance en application de l’article 57, sous f), de ce règlement. En effet, d’une part, de l’avis des requérantes, le Tribunal aurait lui-même admis, aux points 73 des arrêts attaqués, que l’article 60,
paragraphe 2, du règlement REACH ne serait pas applicable au HHPA et au MHHPA. D’autre part, si les requérantes concèdent qu’il peut exister un lien entre la procédure afférant à l’identification des substances et la procédure relative à l’octroi de l’autorisation, le fait qu’une autorisation puisse être délivrée ne renseignerait pas sur la décision d’identifier ou non une substance comme étant extrêmement préoccupante.
106. L’ECHA et la Commission considèrent que les requérantes procèdent à une lecture erronée des points concernés des arrêts attaqués. En particulier, l’ECHA fait valoir que, loin d’avoir évoqué à tort l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH, le Tribunal aurait, à juste titre, utilisé cette disposition afin d’illustrer le fait que si les substances dont les utilisations peuvent être maitrisées ne pouvaient être identifiées comme extrêmement préoccupantes et incluses dans l’annexe XIV dudit
règlement, alors l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH serait vidé de sa substance.
2. Appréciation
107. Il est constant que, aux points 61 des arrêts attaqués, le Tribunal a jugé qu’« il ressort de l’article 60, paragraphe 2, du règlement [REACH] que le fait que les effets négatifs d’une substance liés à son utilisation peuvent être contrôlés de manière appropriée n’empêche pas son identification comme une substance extrêmement préoccupante. Dans le cas contraire, la possibilité d’autoriser une substance dont les risques peuvent valablement être maîtrisés, en vertu de la disposition en cause,
serait dénuée de portée, ainsi que l’affirme l’ECHA ».
108. Aux points 68 des arrêts attaqués, le Tribunal a confirmé cette appréciation.
109. Il ressort des arrêts attaqués que cette appréciation a été menée dans le but d’expliciter l’économie de la procédure d’autorisation, y inclus la première étape qui, comme déjà précisé, consiste à identifier les substances extrêmement préoccupantes, en particulier en application de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
110. S’il est vrai que l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH ne s’applique pas aux substances pour lesquelles aucun DNEL ne peut être déterminé, ce qui est le cas pour le HHPA et le MHHPA, les points 61 et 68 des arrêts attaqués ne font pas spécifiquement référence aux substances en cause, mais visent à expliquer, de manière générale, l’articulation entre la première étape consistant à identifier les substances et la troisième relative à l’octroi des autorisations. Il est donc tout à fait
correct, indépendamment de l’application concrète de l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH aux substances en cause dans la présente affaire, d’affirmer, à l’instar du Tribunal, que l’adoption de mesures de gestion des risques n’empêche pas l’identification d’une substance comme substance extrêmement préoccupante, en application de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Il est d’ailleurs possible, selon moi, d’être plus catégorique et d’affirmer que l’étape consistant à identifier
ces substances est un préalable indispensable à celle consistant à vérifier et à évaluer les risques que ces substances posent.
111. De surcroît, contrairement à ce qu’insinuent les requérantes, le fait qu’il ne soit pas possible pour une substance donnée de déterminer un DNEL ne signifie pas qu’il faille procéder à une évaluation des risques ou qu’il faille prendre en considération des mesures de gestion des risques préalablement ou au moment de l’identification de cette substance au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH.
112. Je propose donc de rejeter le troisième moyen avancé par les requérantes comme étant non fondé.
D – Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs de droit dans l’appréciation des arguments concernant l’absence d’exposition du consommateur ou du travailleur au HHPA et au MHHPA, conduisant à une application erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH
1. Résumé des arguments des parties
113. Les requérantes rappellent que, aux points 67 des arrêts attaqués, le Tribunal aurait rejeté leur argumentation, relative à l’absence de risque posé par le HHPA et le MHHPA en raison de la faible exposition des travailleurs et des consommateurs à ces substances, en précisant que toute exposition au HHPA et au MHHPA ne peut être exclue en ce qui concerne les consommateurs et les travailleurs. Selon les requérantes, cette analyse s’écarterait de la jurisprudence selon laquelle le « risque zéro »
n’existe pas dans le cadre d’une évaluation des risques qui applique le principe de précaution ( 25 ). Le Tribunal se serait donc appuyé sur un test juridique erroné pour rejeter leurs arguments concernant l’absence d’exposition des consommateurs et des travailleurs au HHPA et au MHHPA.
114. Selon l’ECHA, le Tribunal ne se serait pas référé à un « risque zéro ». De surcroît, les arrêts attaqués ne suggéreraient pas que les requérantes devaient prouver l’existence d’un risque zéro.
115. La Commission soutient notamment que l’évaluation de l’exposition du consommateur ou du travailleur à une substance fait partie de l’évaluation des risques. Or, une telle évaluation n’étant pas requise au stade de l’identification d’une substance en tant que substance extrêmement préoccupante, l’absence d’exposition du consommateur ou du travailleur serait également dénuée de pertinence aux fins de cette identification.
2. Appréciation
116. Il y a lieu de rappeler que, devant le Tribunal, les requérantes ont notamment fait valoir que, en vertu des programmes de surveillance des produits et des prescriptions légales applicables, le HHPA et le MHHPA seraient utilisés dans des systèmes fermés qui préviendraient l’exposition et assureraient un risque d’exposition très limité s’approchant de zéro ( 26 ).
117. Aux points 67 des arrêts attaqués, le Tribunal a écarté cette thèse en soulignant, en premier lieu, que « même selon l’argumentation des requérantes, toute exposition » au HHPA et au MHHPA « ne peut être exclue en ce qui concerne les consommateurs et les travailleurs ».
118. Il ressort des points 68 des arrêts attaqués et des points 69 à 73 de ces arrêts que le Tribunal a, en deuxième lieu, rejeté la prise en compte des mesures de gestion des risques invoquées par les requérantes sur la base des arguments que j’ai examinés dans le cadre des premier et troisième moyens des pourvois et que je propose également de rejeter. En effet, les points 68 des arrêts attaqués sont introduits par le membre de phrase « à supposer même que tous les utilisateurs du [HHPA et du
MHHPA] mettent en œuvre des mesures efficaces de gestion des risques », ce qui implique, implicitement mais nécessairement, que les appréciations effectuées aux points 67 des arrêts attaqués soient « absorbées » ou, en d’autres termes, soient devenues subsidiaires à celles effectuées aux points 68 à 73 desdits arrêts.
119. Par conséquent, en critiquant les points 67 des arrêts attaqués, les requérantes articulent un moyen à l’encontre d’une appréciation subsidiaire du Tribunal. De telles critiques sont inopérantes, car à supposer même qu’elles soient fondées, elles seraient sans influence sur le dispositif des arrêts attaqués et ne pourraient donc pas entraîner leur annulation.
120. En tout état de cause, le Tribunal n’a pas exigé des requérantes qu’elles démontrent un « risque zéro », puisque l’évaluation des risques et la prise en considération de mesures de gestion des risques ne sont pas requises lors de l’identification de substances, en application de l’article 57, sous f), du règlement REACH, ainsi que le Tribunal l’a correctement jugé, en substance, aux points 68 à 73 des arrêts attaqués.
121. Partant, je suggère de rejeter le quatrième moyen.
122. Pour l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de rejeter les pourvois.
VII – Sur les dépens
123. En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
124. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
125. L’ECHA ayant conclu à la condamnation des requérantes dans les deux affaires, il y a lieu de condamner les requérantes, outre à leurs propres dépens, à ceux encourus par l’ECHA.
126. Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. En vertu de l’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut décider qu’une partie autre que celles notamment mentionnées à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement supportera ses propres dépens.
127. La Commission et le Royaume des Pays-Bas, étant intervenus aux litiges, doivent supporter leurs propres dépens. Je propose également que New Japan Chemical, REACh ChemAdvice et Sitre, qui sont intervenus au soutien des requérantes dans la procédure devant la Cour, supportent leurs propres dépens.
VIII – Conclusion
128. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer de la manière suivante :
— les pourvois sont rejetés ;
— Polynt SpA, dans l’affaire C‑323/15 P et Hitachi Chemical Europe GmbH et Polynt SpA, dans l’affaire C‑324/15 P, sont condamnées aux dépens ;
— la Commission européenne, le Royaume des Pays-Bas, New Japan Chemical, REACh ChemAdvice GmbH et Sitre Srl supportent leurs propres dépens.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) JO 2006, L 396, p. 1.
( 3 ) JO 2008, L 353, p. 1.
( 4 ) Ces substances sont notamment utilisées comme durcisseurs pour les matériaux isolants à base de résine époxy. La résine époxy est fréquemment utilisée dans l’industrie de production des équipements et des systèmes électriques, plus particulièrement dans l’isolation des équipements soumis à haute tension dans la transmission et la distribution d’électricité, y compris l’isolation des générateurs d’énergie éolienne et des diodes électroluminescentes [light-emitting diode (LED)].
( 5 ) Sitre était requérante dans les deux affaires devant le Tribunal.
( 6 ) Voir section 1 de l’annexe I du règlement REACH.
( 7 ) Voir section 5 de l’annexe I du règlement REACH.
( 8 ) Voir section 6 de l’annexe I du règlement REACH.
( 9 ) Voir arrêts du 10 septembre 2015, FCD et FMB (C‑106/14, EU:C:2015:576, point 32), ainsi que du 17 mars 2016, Canadian Oil Company Sweden et Rantén (C‑472/14, EU:C:2016:171, point 25).
( 10 ) Voir arrêt du 10 septembre 2015, FCD et FMB (C‑106/14, EU:C:2015:576, point 34).
( 11 ) L’annexe XIII dudit règlement énumère les critères d’identification des substances PBT ainsi que les substances vPvB.
( 12 ) Voir, notamment, arrêts du 2 avril 1998, EMU Tabac e.a. (C–296/95, EU:C:1998:152, point 36), ainsi que du 11 juin 2015, Pfeifer & Langen (C–51/14, EU:C:2015:380, point 34).
( 13 ) Voir, notamment, les versions en langues espagnole (« que suscitan un grado di preocupación equivalente al que suscitan otras sustancias enumeradas en las letras a) a e) »], allemande (« die ebenso besorgniserregend sind wie diejenigen anderer in den Buchstaben a bis e aufgeführter Stoffe »), anglaise [« which give rise to an equivalent level of concern to those of other substances listed in points a) to e) » ], italienne (« che danno adito ad un livello di preoccupazione a quella suscitata
dalle altre sostanze di cui alle lettere da a) a e) »] et finnoise (« jotka antavat aihetta samantasoiseen huoleen kuin muiden a-e alakohdassa lueteltujen aineiden vaikutukset »).
( 14 ) Voir, également, section 1.3.1 de l’annexe I du règlement REACH.
( 15 ) Le considérant 115 du règlement REACH précise que « [l]es ressources devraient être ciblées sur les substances les plus préoccupantes. Des substances devraient donc être ajoutées [...] lorsqu’elles répondent aux critères de classification des substances comme [substances CMR], comme allergènes respiratoires ou, en ce qui concerne d’autres effets, cas par cas ».
( 16 ) Il convient de relever, à ce titre, que le guide de l’ECHA pour la préparation d’un dossier annexe XV relatif à l’identification des substances extrêmement préoccupantes énonce les éléments scientifiques et techniques qui peuvent être utilisés pour démontrer qu’une substance suscite un niveau de préoccupation équivalent aux substances CMR. Conformément à ce guide, les « préoccupations concernant les substances qui présentent des propriétés carcinogènes, mutagènes et toxiques pour la
reproduction découlent de divers facteurs (la gravité des effets, la nature souvent irréversible des effets, les conséquences pour la société et les difficultés à effectuer une évaluation des risques basée sur la concentration de la substance) qui doivent être pris en compte pour déterminer si une substance présente un niveau de préoccupation équivalent au [la substance CMR (catégorie 1 ou 2)] ». Aussi, comme le souligne l’ECHA dans ses réponses aux questions de la Cour, ces facteurs sont liés à
l’évaluation des dangers telle que prévue aux sections 1 à 4 de l’annexe I du règlement REACH.
( 17 ) Italiques ajoutés par mes soins.
( 18 ) Vient également à l’appui de cette thèse le fait que, contrairement au dossier relatif à l’identification d’une substance suscitant un degré de préoccupation équivalent, le dossier relatif aux propositions de restriction doit, selon l’annexe XV du règlement REACH, contenir tant une évaluation des dangers qu’une évaluation des risques de la substance concernée.
( 19 ) Conformément à l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH.
( 20 ) Voir considérant 12 et article 55 du règlement REACH.
( 21 ) Voir, en ce sens, ordonnances du 26 janvier 2007, Righini/Commission (C‑57/06 P, EU:C:2007:65, points 62 et 63), ainsi que du 13 mars 2007, Arizona Chemical e.a./Commission (C‑150/06 P, non publiée, EU:C:2007:164, point 47 et jurisprudence citée).
( 22 ) Les requérantes se réfèrent à cet égard à l’arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 209 à 212).
( 23 ) Italiques ajoutés par mes soins.
( 24 ) En effet, selon une jurisprudence constante, des griefs dirigés contre des motifs surabondants sont considérés comme inopérants. Voir, notamment, arrêt du 13 février 2014, Hongrie/Commission (C‑31/13 P, EU:C:2014:70, point 82).
( 25 ) Les requérantes se réfèrent à cet égard à l’arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil (T‑13/99, EU:T:2002:209, point 145).
( 26 ) Voir résumé de leur argumentation aux points 65 des arrêts attaqués.