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21/09/2016 | CJUE | N°C-342/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Leopoldine Gertraud Piringer., 21/09/2016, C-342/15


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 21 septembre 2016 ( 1 )

Affaire C‑342/15

Leopoldine Gertraud Piringer

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

«Directive 77/249/CEE — Réglementation d’un État membre exigeant que l’authenticité de la signature d’une demande d’inscription au livre foncier soit attestée par un notaire — Article 56 TFUE — Justification — Bon fonctionnement du système du livre foncier»

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.  Dans la présente demande de décision préjudicielle présentée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) dans le cadre d...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 21 septembre 2016 ( 1 )

Affaire C‑342/15

Leopoldine Gertraud Piringer

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

«Directive 77/249/CEE — Réglementation d’un État membre exigeant que l’authenticité de la signature d’une demande d’inscription au livre foncier soit attestée par un notaire — Article 56 TFUE — Justification — Bon fonctionnement du système du livre foncier»

1.  Dans la présente demande de décision préjudicielle présentée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) dans le cadre d’un pourvoi en Revision formé par Mme Leopoldine Gertraud Piringer, une ressortissante autrichienne, un tribunal de district autrichien a refusé de procéder à l’inscription au livre foncier autrichien d’un projet de vente d’un bien immobilier au motif que l’authenticité de la signature de cette demande avait été attestée non pas par un notaire, mais par un avocat
tchèque.

2.  Je propose à la Cour d’affirmer que cette affaire doit être appréciée sous l’angle de la libre prestation des services, consacrée à l’article 56 TFUE. Dans ce contexte, il convient de donner à la juridiction de renvoi des éléments utiles aux fins de l’appréciation de la proportionnalité dans le cadre d’une justification susceptible d’être donnée à une restriction non discriminatoire.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats ( 2 ) :

« La présente directive s’applique, dans les limites et conditions qu’elle prévoit, aux activités d’avocat exercées en prestation de services.

Nonobstant les dispositions de la présente directive, les États membres peuvent réserver à des catégories déterminées d’avocats l’établissement d’actes authentiques habilitant à administrer les biens de personnes décédées ou portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers. »

4. L’article 4 de cette directive dispose :

« 1.   Les activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice ou devant des autorités publiques sont exercées dans chaque État membre d’accueil dans les conditions prévues pour les avocats établis dans cet État, à l’exclusion de toute condition de résidence ou d’inscription à une organisation professionnelle dans ledit État.

[...]

4.   Pour l’exercice des activités autres que celles visées au paragraphe 1, l’avocat reste soumis aux conditions et règles professionnelles de l’État membre de provenance sans préjudice du respect des règles, quelle que soit leur source, qui régissent la profession dans l’État membre d’accueil, notamment de celles concernant l’incompatibilité entre l’exercice des activités d’avocat et celui d’autres activités dans cet État [...]. Ces règles ne sont applicables que si elles peuvent être observées
par un avocat non établi dans l’État membre d’accueil et dans la mesure où leur observation se justifie objectivement pour assurer, dans cet État, l’exercice correct des activités d’avocat, la dignité de la profession et le respect des incompatibilités. »

5. Aux termes du considérant 10 de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise ( 3 ) :

« [...] [L]a présente directive n’affecte en rien les dispositions qui, dans tout État membre, réservent certaines activités à des professions autres que celle d’avocat [...] »

6. L’article 5, paragraphe 2, de cette directive, intitulé « Domaine d’activité », prévoit ce qui suit :

« Les États membres qui autorisent sur leur territoire une catégorie déterminée d’avocats à établir des actes habilitant à administrer les biens des personnes décédées ou portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers, qui dans d’autres États membres sont réservés à des professions différentes de celle de l’avocat, peuvent exclure de ces activités l’avocat exerçant sous un titre professionnel d’origine délivré dans un de ces derniers États membres. »

B – Le droit autrichien

7. L’article 31 du Allgemeines Grundbuchsgesetz (loi fédérale sur le livre foncier), tel que modifié en dernier lieu (BGBl. 87/2015 I ci-après le « GBG »), dispose :

« 1.   Il ne peut être procédé à l’inscription au livre foncier [...] que sur la base d’actes authentiques ou d’actes sous seing privé sur lesquels la signature des parties a été authentifiée par un tribunal ou un notaire et, lorsqu’il s’agit de personnes physiques, la mention d’authentification précise également la date de naissance.

[...]

3.   L’authentification des actes étrangers est réglementée par des conventions internationales. Les actes authentifiés par l’autorité de représentation autrichienne dans le ressort de laquelle ils ont été établis ou authentifiés ou par l’autorité de représentation nationale de l’État dans lequel ils ont été établis ou authentifiés ne nécessitent pas d’authentification supplémentaire.

[...] »

8. L’article 53 du GBG prévoit ce qui suit :

« 1.   Le propriétaire a le droit d’exiger que soit porté au registre un projet de vente ou de mise en gage, afin que les droits à inscrire à la suite de cette vente ou mise en gage prennent rang à compter de cette demande.

[...]

3.   Il n’est toutefois fait droit aux mentions de demandes telles que précitées que si, au regard des inscriptions figurant au livre foncier, le droit à inscrire pourrait être valablement inscrit ou le droit existant valablement radié et si la signature de la demande a été authentifiée par un tribunal ou un notaire. Les dispositions de l’article 31, paragraphes 3 à 5, sont applicables.

[...] »

II – Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles

9. Mme Piringer est propriétaire, pour moitié, d’un bien immobilier situé en Autriche.

10. Le 25 février 2009, elle a signé à České Budějovice (République tchèque) une demande d’inscription au livre foncier autrichien d’un projet de vente de sa quote‑part de ce bien immobilier pour prise de rang. La signature de la demanderesse figurant sur cette demande a été authentifiée par un avocat tchèque qui, conformément à son droit interne, a, à cette fin, apposé une mention précisant notamment la date de naissance de la demanderesse ainsi que les documents présentés par celle-ci afin de
prouver son identité. L’avocat signataire y confirme que Mme Piringer a personnellement signé ladite demande devant lui, en un seul exemplaire.

11. Le 15 juillet 2014, Mme Piringer a introduit cette demande d’inscription auprès du Bezirksgericht Freistadt (tribunal du district de Freistadt, Autriche), tribunal tenant le registre foncier. Celui-ci a rejeté cette demande, par décision du 18 juillet 2014, au motif que la signature de la demanderesse n’avait pas été authentifiée par un tribunal ou un notaire, comme le requiert l’article 53, paragraphe 3, du GBG. En outre, selon ce tribunal, l’authentification de la signature par un avocat
tchèque ne relève pas du champ d’application de la convention entre la République d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque sur la coopération judiciaire en matière civile, la reconnaissance des actes publics et la communication de renseignements juridiques, conclue le 10 novembre 1961 (BGBl. no 309/1962), qui est toujours applicable dans les rapports bilatéraux avec la République tchèque [BGBl. no 123/1997 (ci-après la « convention austro-tchèque »)], et, en tout état de cause, ne
comporte pas l’empreinte d’un sceau officiel, telle qu’exigée par les articles 21 et 22 de cette même convention.

12. Par ordonnance du 25 novembre 2015, le Landesgericht Linz (tribunal régional de Linz, Autriche) a confirmé cette décision en considérant notamment que, même si la déclaration attestant la véracité de la signature constituait un acte authentique au sens du droit tchèque, sa reconnaissance en Autriche relevait de l’article 21, paragraphe 2, de la convention austro-tchèque. Or, étant donné que cette disposition limite la reconnaissance mutuelle aux actes sous seing privé établis par « un tribunal,
une autorité administrative ou un notaire autrichien », l’extension de son champ d’application aux actes établis par des avocats tchèques serait non seulement en contradiction avec la lettre de cet article, mais également contraire à la volonté même des parties contractantes.

13. Saisi d’un pourvoi en Revision introduit par Mme Piringer, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) considère, en substance, que la convention austro-tchèque n’est pas applicable en l’espèce et émet des doutes quant à la compatibilité avec le droit de l’Union de l’exigence d’une attestation notariale posée par l’article 53, paragraphe 3, du GBG.

14. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 77/249, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation des services par les avocats, en ce sens qu’un État membre peut exclure de la libre prestation des services par les avocats l’authentification des signatures sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers et réserver l’exercice de cette activité aux notaires ?

2) Convient-il d’interpréter l’article 56 TFUE en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à une disposition du droit national de l’État du registre (Autriche) qui réserve aux notaires l’authentification des signatures sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers, avec la conséquence que la déclaration attestant la véracité de la signature, dressée dans son État d’établissement par un avocat établi en République tchèque, n’est pas reconnue dans l’État du
registre, alors que, en droit tchèque, cette déclaration a la même valeur juridique qu’une authentification par les autorités, notamment parce que

a) la question de la reconnaissance, dans l’État du registre, d’une déclaration, dressée en République tchèque par un avocat y établi, attestant la véracité de la signature sur une demande d’inscription au livre foncier, concerne la prestation, par un avocat, d’un service que ne peuvent pas fournir les avocats établis sur le territoire de l’État du registre et le refus de reconnaître une telle déclaration ne tombe donc pas sous le coup de l’interdiction des restrictions

ou

b) l’exclusivité reconnue aux notaires pour cette activité est justifiée par l’objectif de garantir la légalité et la sécurité juridique des actes (des documents relatifs à des transactions juridiques) et dès lors par des raisons impérieuses d’intérêt général et est de plus nécessaire pour atteindre cet objectif dans l’État du registre ? »

15. Mme Piringer, les gouvernements autrichien, tchèque, allemand, espagnol, français, letton, luxembourgeois, polonais et slovène, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations. Mme Piringer, les gouvernements autrichien, tchèque, allemand, espagnol, français, luxembourgeois et polonais ainsi que la Commission ont été entendus lors de l’audience qui s’est tenue le 6 juin 2016.

III – Analyse

A – Sur la première question

16. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les dispositions de la directive 77/249 s’opposent à ce qu’un État membre réserve aux notaires l’authentification des signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers.

1. Sur l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 77/249

17. En vertu de son article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, la directive 77/249 s’applique, dans les limites et les conditions qu’elle prévoit, aux activités d’avocat exercées en prestation de services.

a) Absence de déplacement du prestataire de services

18. La plupart des gouvernements ayant émis des observations sont d’avis que la directive 77/249 n’est pas applicable en l’espèce, car il n’y aurait pas eu de déplacement physique d’un avocat établi dans un État membre dans un autre État membre.

19. Je ne partage pas une telle interprétation des dispositions de la directive 77/249.

20. Le deuxième considérant de la directive 77/249 indique que cette directive « ne concerne que les mesures destinées à faciliter l’exercice effectif des activités d’avocat en prestation de services ». L’article 4 de cette directive régit les « activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice ou devant des autorités publiques » et établit une distinction claire entre l’État de provenance et l’État d’accueil de l’avocat.

21. Je déduis dès lors de cette disposition que, par la directive 77/249, le législateur de l’Union avait pour objectif d’encadrer le déplacement d’un avocat dans un autre État membre et souhaitait, en particulier, faciliter la représentation d’un client devant une autorité publique ou un tribunal, qui requiert la présence physique de l’avocat, dans le respect des conditions énoncées dans la directive 77/249.

22. Or, ainsi que le relève la Commission dans ses observations, cela n’exclut pas que d’autres formes de services transfrontaliers d’un avocat soient incluses dans la directive 77/249. Même si, par la force des choses, la directive 77/249, adoptée en 1977, ne pouvait traiter des rapports qu’entretiennent désormais les avocats, les clients, les autorités et les tribunaux grâce aux communications électroniques, aucune raison ne justifie de ne pas inclure ces modes de prestation de services dans le
champ d’application de la directive 77/249, pour autant que l’objectif de protection poursuivi par ses dispositions demeure non compromis.

23. Un service peut être fourni alors même que ce n’est pas l’avocat qui se déplace, mais le destinataire de ce service. Par ailleurs, on pourrait également envisager une situation dans laquelle ce serait le service qui se déplacerait, par exemple dans le cas d’un conseil juridique, donné par téléphone ou envoyé par courrier ou courriel.

b) Sur la notion d’« activité d’avocat »

24. La directive 77/249 elle-même ne fournit pas de définition de l’« activité d’avocat» ( 4 ).

25. En revanche, cette directive définit en détail, à son article 1er, paragraphe 2, ce qu’elle entend par un « avocat » dans les États membres respectifs de l’Union. Cela pourrait corroborer la thèse selon laquelle toute activité confiée à un avocat, selon son droit national, constitue une activité d’avocat et que, en d’autres termes, il s’agirait d’une notion non autonome au niveau de l’Union et décentralisée. Cela aurait pour conséquence qu’une activité telle que la « déclaration d’authenticité
de la signature », en vertu de l’article 25a de la loi tchèque sur la profession d’avocat, constituerait une activité d’avocat.

26. Par ailleurs, la directive 77/249 s’inscrit dans une logique de reconnaissance mutuelle, ainsi que cela ressort clairement de son article 2, aux termes duquel chaque État membre reconnaît comme avocat, pour l’exercice des activités visées à l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, toute personne visée au paragraphe 2 de ce même article. « Reconnaissance mutuelle » veut dire, en principe, que les standards, les normes ou les définitions proviennent du droit national.

27. Néanmoins, en vertu d’une jurisprudence constante, les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme ( 5 ).

28. Je ne considère pas que cette jurisprudence doive s’appliquer au cas d’espèce, étant donné que la notion d’« avocat », est définie par renvoi au droit national.

29. Je suis plutôt d’avis que la notion d’« activité d’avocat » est une notion hybride dans la mesure où elle contient des éléments autonomes et des éléments à définir par chaque État membre.

30. En ce qui concerne les éléments autonomes, il est fait référence, à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 77/249, aux « activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice ou devant des autorités publiques» ( 6 ).

31. De surcroît, on peut supposer que la notion d’« activité d’avocat » comprend également la fourniture d’un conseil juridique.

32. L’authentification d’une signature, en tant que telle, ne me semble guère répondre à une telle exigence, dès lors qu’aucune connaissance juridique n’est requise. J’aurais, par conséquent, de sérieux doutes à qualifier, à tout le moins au regard de la législation nationale en cause dans l’affaire au principal, une simple authentification de signature comme étant une « activité d’avocat », car cette notion contient des éléments autonomes de telle sorte qu’elle concerne des activités liées à la
possession de connaissances juridiques.

2. Sur l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 77/249

33. En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 77/249, les États membres peuvent réserver à des catégories déterminées d’avocats l’établissement d’actes authentiques habilitant à administrer les biens de personnes décédées ou portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers.

34. Ainsi que l’avancent le gouvernement allemand et la Commission, cette disposition a été insérée au profit du Royaume-Uni et de l’Irlande, afin de tenir compte de la situation juridique particulière de ces deux États membres, dans lesquels certaines catégories d’avocats exercent leurs activités dans le domaine du droit immobilier. Cette disposition vise ainsi à éviter que des avocats d’autres États membres puissent exercer les activités concernées au Royaume-Uni ou en Irlande.

35. En 1977, les États membres autres que le Royaume-Uni ou l’Irlande n’avaient pas besoin d’une telle réglementation dérogatoire, puisqu’ils réservaient déjà ce type d’activité aux notaires et il n’était pas contesté que de telles activités ne relevaient pas du champ d’application de la directive 77/249.

36. Dans le même ordre d’idées, l’article 5, paragraphe 2, de la directive 98/5 dispose que « [l]es États membres qui autorisent sur leur territoire une catégorie déterminée d’avocats à établir des actes habilitant à administrer les biens des personnes décédées ou portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers, qui dans d’autres États membres sont réservés à des professions différentes de l’avocat ( 7 ), peuvent exclure de ces activités l’avocat exerçant sous un titre
professionnel d’origine délivré dans un de ces derniers États membres ».

37. De surcroît, le considérant 10 de la directive 98/5, selon lequel « il convient de prévoir, comme dans la directive [77/249], la faculté d’exclure des activités des avocats exerçant sous leur titre professionnel d’origine au Royaume-Uni et en Irlande, certains actes en matière immobilière et successorale », confirme lui aussi cette interprétation.

38. Je suis d’avis que, si l’économie et les termes des dispositions de la directive 77/249 le permettent, cette directive devrait être interprétée en cohérence avec les dispositions de la directive 98/5. En effet, les directives 77/249 et 98/5 poursuivent le même but et s’insèrent dans une même logique, à savoir la libéralisation des activités professionnelles transfrontalières des avocats, que ce soit de manière temporaire, comme dans le cas de la directive 77/249, ou stable, comme dans le cas de
la directive 98/5 ( 8 ).

39. En conséquence, je propose de répondre à la première question préjudicielle que les dispositions de la directive 77/249 ne s’opposent pas à ce qu’un État membre réserve aux notaires l’authentification des signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers.

B – Sur la seconde question

40. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 56 TFUE s’oppose à ce qu’un État membre réserve aux notaires l’authentification des signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers.

41. Il convient de signaler d’emblée que les conditions de forme requises pour les inscriptions au livre foncier relèvent du droit national ( 9 ). Il s’ensuit que le droit applicable est celui de l’État membre qui tient le registre. Dans l’affaire au principal, c’est donc le droit autrichien qui prescrit les conditions de forme requises pour les inscriptions au livre foncier.

42. Si les conditions de forme requises pour les inscriptions au livre foncier relèvent du droit national, elles doivent évidemment être compatibles avec le droit de l’Union et, en l’occurrence, en particulier avec la liberté fondamentale de la libre prestation des services, consacrée à l’article 56 TFUE.

1. Sur la restriction de la libre prestation des services

43. En vertu de l’article 56 TFUE, les « restrictions » à la libre prestation des services sont interdites.

44. Il ressort d’une jurisprudence constante que la libre circulation des services prévue à l’article 56 TFUE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les
activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues ( 10 ).

45. En outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 56 TFUE exige la suppression de toute restriction à cette liberté fondamentale imposée au motif que le prestataire est établi dans un État membre différent de celui dans lequel la prestation est fournie ( 11 ).

46. Ainsi que le relève à juste titre la Commission dans ses observations, la réglementation en cause exclut que quiconque n’étant pas un notaire autrichien authentifie valablement une signature sur une demande d’inscription au livre foncier. Une telle mesure ne crée pas de discrimination entre les avocats autrichiens et tchèques par référence à l’origine du service. Elle limite néanmoins la libre prestation des services pour les avocats tchèques.

47. Nous sommes ainsi en présence d’une restriction à la libre prestation des services qui résulte du fait que le produit d’un service effectué dans un État membre n’est pas reconnu dans certaines situations dans un autre État membre. L’authentification d’une signature, effectuée en République tchèque, n’est pas utilisable en Autriche aux fins d’une inscription au livre foncier ( 12 ).

48. Enfin, il convient de souligner que la Cour a déjà amplement mis en évidence, dans l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Autriche ( 13 ), que l’activité d’authentification confiée aux notaires autrichiens ne comporte pas, en tant que telle, une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE . Par conséquent, l’exception de l’exercice de l’autorité publique, résultant de l’article 62 et de l’article 51, premier alinéa, TFUE, ne
saurait être invoquée.

2. Sur la justification

49. C’est à mon sens au niveau d’une éventuelle justification que se situe le noyau juridique de la présente affaire.

50. Bien que certains détails de leurs arguments diffèrent, tous les États membres ayant soumis des observations, à savoir les gouvernements autrichien, tchèque, allemand, espagnol, français, letton, luxembourgeois, polonais et slovène, considèrent que la législation en cause est justifiée, tandis que la Commission est d’un avis contraire.

a) Raison impérieuse d’intérêt général : le bon fonctionnement du système du livre foncier

51. Dans l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Autriche ( 14 ), la Cour a considéré que « le fait que les activités notariales poursuivent des objectifs d’intérêt général, qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers, constitue une raison impérieuse d’intérêt général qui permet de justifier d’éventuelles restrictions à l’article [49 TFUE] découlant des spécificités propres à l’activité notariale, telles que l’encadrement dont les notaires
font l’objet au travers des procédures de recrutement qui leur sont appliquées, la limitation de leur nombre et de leurs compétences territoriales ou encore leur régime de rémunération, d’indépendance, d’incompatibilités et d’inamovibilité, pour autant que ces restrictions permettent d’atteindre lesdits objectifs et sont nécessaires à cette fin».

52. Dans ce contexte, à l’instar des gouvernements allemand et polonais, je suis d’avis que le bon fonctionnement du système du livre foncier se rattache à la garantie de la légalité et de la sécurité juridique des actes.

53. Comme le souligne à juste titre le gouvernement allemand, le livre foncier revêt dans certains États membres, comme en Autriche et en Allemagne, de manière générale et en particulier dans les transactions immobilières, une importance décisive. En effet, l’inscription au livre foncier a un effet constitutif en ce sens que le droit de propriété ne naît que par l’inscription au livre foncier. La protection du livre foncier et de l’exactitude des inscriptions qui y sont portées contribue à garantir
le bon fonctionnement de la justice ( 15 ).

54. Il convient maintenant d’examiner la question de savoir si le fait de réserver aux notaires l’authentification d’une signature aux fins des inscriptions au livre foncier dans les circonstances de l’affaire au principal satisfait à l’exigence de proportionnalité.

b) Proportionnalité de la législation autrichienne

55. Pour satisfaire à l’exigence de proportionnalité, une mesure doit, premièrement, être propre (ou apte ou de nature) à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi.

56. L’aptitude à garantir la réalisation de l’objectif invoqué n’est reconnue que si la mesure en cause répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique ( 16 ).

57. Comme le souligne à juste titre le gouvernement polonais, l’aptitude de la législation autrichienne ne me semble pas faire de doute en l’occurrence. Le fait de réserver aux notaires la compétence d’authentifier des signatures est propre à assurer le bon fonctionnement du livre foncier.

58. Deuxièmement, la mesure ne doit pas aller au‑delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de son objectif. Lorsque plusieurs mesures permettent d’atteindre le même but, c’est celle qui restreint le moins la libre prestation des services qui devrait être retenue.

59. Je constate d’emblée que ni la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle ni le gouvernement autrichien dans ses observations n’ont abordé cette question, qui me semble pourtant constituer le cœur du problème. En particulier, ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement autrichien n’ont indiqué que les exigences auxquelles doivent satisfaire les notaires autrichiens et les avocats tchèques seraient telles du côté tchèque qu’elles compromettraient le bon fonctionnement du
système du livre foncier en Autriche.

60. Une authentification telle que celle en cause dans l’affaire au principal n’exige pas de connaissances en droit autrichien ni même, au demeurant, de connaissances en droit. Comme le souligne à juste titre la Commission, l’authentification ne requiert pas la rédaction d’actes ou la fourniture de conseils juridiques sur des questions complexes, mais revient simplement à constater l’identité de la personne présente et à confirmer qu’elle a bien signé un document.

61. Réserver systématiquement la prestation d’un tel service à un notaire autrichien pourrait sembler, à première vue, manifestement excessif.

62. Je considère néanmoins, sur la base des informations dont dispose la Cour, que la législation en cause, qui prévoit une réserve aux notaires en ce qui concerne l’authentification des signatures sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers, est proportionnée.

63. La République d’Autriche réserve la compétence aux notaires, car elle place une confiance élevée dans les tribunaux et les notaires aux fins de la tenue du livre foncier. Dans ce contexte, pour ce qui est en particulier des notaires, je n’entends pas remettre en cause le choix du législateur autrichien de réserver l’authentification à un professionnel du droit qui est soumis à un contrôle étatique strict.

64. De surcroît, il m’apparaît difficilement possible pour la République d’Autriche de surveiller à suffisance l’activité des avocats étrangers dans l’établissement de déclarations aux fins du livre foncier et de sanctionner d’éventuels manquements par des mesures disciplinaires. Un État membre comme la République d’Autriche, qui prévoit un système d’administration préventive de la justice avec l’instauration d’un livre foncier et les garanties qu’il contient afin de protéger la propriété
immobilière, peut difficilement renoncer à des fonctions de contrôle étatique et à une garantie effective du contrôle des inscriptions au livre foncier.

65. Pour ce qui est de l’affaire au principal, en tout état de cause, le système de surveillance des avocats tchèques, tel qu’exposé par le gouvernement tchèque, n’apporte pas de garanties suffisantes ( 17 ).

66. Sur la base des informations dont dispose la Cour, un tel système n’est pas, à mon sens, à même d’assurer un contrôle réel, performant et efficace qui serait comparable aux contrôles des notaires des pays du notariat latin et qui assurerait un degré élevé de confiance.

67. Je propose dès lors à la Cour de répondre à la seconde question que l’article 56 TFUE ne s’oppose pas à une réglementation nationale telle que l’article 31 du GBG qui réserve aux tribunaux et aux notaires l’authentification des signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers.

IV – Conclusions

68. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) de la manière suivante :

Ni les dispositions de la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats, ni l’article 56 TFUE ne s’opposent à ce qu’un État membre réserve aux notaires l’authentification des signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 1977, L 78, p. 17

( 3 ) JO 1998, L 77, p. 36.

( 4 ) Par ailleurs, cette directive ne précise pas si l’activité doit constituer une activité d’avocat dans l’État d’origine, c’est-à-dire en République tchèque, dans l’État d’accueil, c’est-à-dire en Autriche, ou bien s’il s’agit d’une notion autonome indépendante des activités exercées dans chacun de ces deux États membres.

( 5 ) Voir arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 45 et jurisprudence citée).

( 6 ) L’article 5, paragraphe 1, de cette directive fait également référence à l’« exercice des activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice ».

( 7 ) C’est moi qui souligne.

( 8 ) Voir, également, Barnard, C., The substantive law of the EU. The four freedoms, Oxford University Press, 4e édition, 2013, p. 320, selon laquelle ces deux directives font partie du même puzzle (jigsaw).

( 9 ) Au reste, sans préjudice du champ d’application de l’article 81 TFUE, il n’existe aucun instrument juridique de l’Union qui traite cette problématique.

( 10 ) Voir, notamment, arrêt du 18 juillet 2013, Citroën Belux (C‑265/12, EU:C:2013:498, point 35 et jurisprudence citée).

( 11 ) Voir arrêt du 19 juin 2014, Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor (C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 34 et jurisprudence citée).

( 12 ) L’argument du gouvernement allemand selon lequel, en vertu du caractère formel de la législation autrichienne, il n’y aurait pas d’effet limitatif sur l’activité d’avocat ne saurait dès lors être accueilli.

( 13 ) C‑53/08, EU:C:2011:338, points 91 à 95.

( 14 ) C‑53/08, EU:C:2011:338, point 96.

( 15 ) Lequel est, en vertu de la jurisprudence de la Cour, une raison impérieuse d’intérêt général. Voir arrêt du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede (C‑3/95, EU:C:1996:487, point 36).

( 16 ) Voir arrêt du 16 décembre 2010, Josemans (C‑137/09, EU:C:2010:774, point 70), ainsi que, s’agissant de la libre circulation des marchandises, mes conclusions dans l’affaire Deutsche Parkinson Vereinigung (C‑148/15, EU:C:2016:394, points 48 et suivants).

( 17 ) Le gouvernement tchèque a expliqué lors de l’audience que, pour l’authentification de signatures, en République tchèque, les registres tenus par les notaires et par les avocats sont régulièrement contrôlés. Les registres des notaires sont contrôlés à deux niveaux, dont celui du ministère de la Justice, tandis que ceux des avocats sont uniquement contrôlés par le barreau.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-342/15
Date de la décision : 21/09/2016
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Libre prestation de services par les avocats – Possibilité pour les États membres de réserver à des catégories déterminées d’avocats l’établissement d’actes authentiques portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers – Réglementation d’un État membre exigeant que l’authenticité de la signature d’une demande d’inscription au livre foncier soit attestée par un notaire.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Leopoldine Gertraud Piringer.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:710

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