La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/09/2016 | CJUE | N°C-283/15

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, X contre Staatssecretaris van Financiën., 07/09/2016, C-283/15


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 7 septembre 2016 ( 1 )

Affaire C‑283/15

X

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]

«Renvoi préjudiciel — Impôts sur le revenu — Égalité de traitement — Revenus perçus dans plusieurs États membres — Avantage fiscal — Arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31)»

I – Introduction


1. La présente demande de décision préjudicielle adressée à la Cour par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) porte sur l’ap...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 7 septembre 2016 ( 1 )

Affaire C‑283/15

X

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]

«Renvoi préjudiciel — Impôts sur le revenu — Égalité de traitement — Revenus perçus dans plusieurs États membres — Avantage fiscal — Arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31)»

I – Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle adressée à la Cour par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) porte sur l’applicabilité de la jurisprudence inaugurée par l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), dans une configuration inédite. En effet, le litige au principal se caractérise par le fait que, d’une part, le contribuable perçoit un revenu si faible dans son État de résidence qu’il ne peut y bénéficier d’une réduction d’impôt relative à sa
situation personnelle et familiale et que, d’autre part, ses autres revenus sont imposés dans plusieurs États dont il n’est pas résident.

II – Le cadre juridique

2. Le traitement fiscal des résidents et des non-résidents aux Pays-Bas est régi par le Wet Inkomstenbelasting 2001 (loi relative à l’impôt sur les revenus de 2001, ci-après la « loi de 2001 »).

3. En vertu de l’article 2.3 de la loi de 2001 :

« L’impôt sur les revenus porte sur les revenus suivants, perçus par le contribuable au cours de l’année civile en cause :

a) les revenus imposables provenant du travail ou d’une habitation,

b) les revenus imposables provenant d’une participation importante et

c) les revenus imposables provenant de l’épargne et des placements. »

4. L’article 2.4 de la loi de 2001 prévoit :

« 1.   Les revenus imposables provenant du travail ou d’une habitation sont déterminés :

a) pour les contribuables nationaux : selon les dispositions du chapitre 3,

b) pour les contribuables étrangers : selon les dispositions de la section 7.2 […] »

5. Aux termes de l’article 2.5 de la loi de 2001 :

« 1.   Tout contribuable national qui ne réside aux Pays-Bas que pendant une partie de l’année civile et tout contribuable étranger qui réside dans un autre État membre de l’Union européenne ou sur le territoire d’une puissance désignée par arrêté ministériel, avec laquelle le Royaume des Pays-Bas a conclu un accord préventif de la double imposition prévoyant l’échange d’informations, et qui est assujetti à l’impôt dans ledit État membre ou sur le territoire de ladite puissance, peuvent opter
pour le régime fiscal que la présente loi prévoit pour les contribuables nationaux [...]

[...] »

6. Conformément à l’article 3.120, paragraphe 1, de la loi de 2001, un résident des Pays‑Bas est en droit de déduire les « revenus négatifs » provenant d’un logement lui appartenant en propre, situé aux Pays-Bas.

7. L’article 7.1, sous a), de la loi de 2001, énonce, par ailleurs, que l’impôt est prélevé sur les revenus imposables du fait d’un travail et d’un logement aux Pays-Bas, perçus au cours de l’année civile.

8. L’article 7.2, paragraphe 2, sous b) et f), de la loi de 2001 précise, en outre, que le salaire imposable relatif à un travail exercé aux Pays-Bas et, le cas échéant, les revenus imposables provenant d’un logement possédé en propre aux Pays-Bas font partie des revenus imposables du fait d’un travail et d’un logement.

III – Les faits du litige au principal

9. X est un ressortissant néerlandais qui, en 2007, résidait en Espagne. Il y possédait un logement lui appartenant en propre au sens de la loi de 2001 (ci-après le « logement propre »), pour lequel il était redevable d’intérêts afférents à un prêt hypothécaire.

10. Aux Pays-Bas, en vertu de la loi de 2001, l’impôt sur les revenus porte sur les revenus du travail, mais aussi sur ceux « provenant de l’habitation ». Lorsque cette dernière est possédée en propre, elle procure des avantages fiscaux (calculés en pourcentage de sa valeur) qui sont diminués des frais déductibles grevant ces avantages (dont les intérêts d’emprunt hypothécaire). Si le montant des intérêts hypothécaires excède celui des avantages, les revenus du contribuable seront dits « négatifs ».
C’était le cas pour X en 2007.

11. Au cours de cette même année, les revenus de l’activité professionnelle de X ont consisté en des sommes qui lui ont été versées par deux sociétés dans lesquelles il détenait des participations majoritaires et ayant leur siège, l’une aux Pays-Bas, l’autre en Suisse. Les revenus de source néerlandaise ont représenté 60 % de son revenu global imposable et ceux de source suisse 40 % de celui-ci. Aucun revenu n’a été perçu en Espagne.

12. Conformément aux conventions fiscales bilatérales applicables, les revenus de source néerlandaise ont été imposés aux Pays-Bas et ceux de source suisse en Suisse.

13. Aux Pays-Bas, X a, dans un premier temps, opté pour l’assimilation à un contribuable résident prévue à l’article 2.5 de la loi de 2001, qui a pour effet de soumettre l’intéressé à une obligation fiscale illimitée aux Pays-Bas. À ce titre, l’administration fiscale néerlandaise a pris en considération le revenu négatif afférent au logement propre en Espagne.

14. Or, le total de l’impôt ainsi calculé était supérieur à celui que X aurait dû acquitter s’il n’avait pas exercé l’option d’assimilation aux contribuables résidents (ce qui aurait eu comme conséquence qu’il aurait été imposé en Suisse pour les revenus perçus dans cet État, soit 40 % du total de ses revenus) et s’il avait, en outre, été autorisé à déduire intégralement les revenus négatifs provenant du logement propre.

15. Revenant sur sa demande d’option, il a contesté l’avis d’imposition devant les juridictions néerlandaises, en soutenant que les dispositions du droit de l’Union sur la libre circulation devaient être interprétées en ce sens qu’elles permettaient aux contribuables non-résidents d’obtenir la déduction des revenus négatifs afférents à leur logement propre, et ce sans que cela les oblige à opter pour une assimilation aux résidents.

16. À la suite du rejet de sa demande par le Rechtbank te Haarlem (tribunal de première instance de Haarlem, Pays-Bas) et par le Gerechtshof Amsterdam (Cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas), X a introduit un pourvoi en cassation auprès du Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).

17. Cette dernière juridiction éprouve des doutes sur la portée de la jurisprudence Schumacker ( 2 ), au regard du fait que, contrairement à la situation de fait prévalant dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, X ne perçoit pas (totalement ou presque exclusivement) son revenu familial dans un seul autre État membre compétent pour imposer ce revenu et qui, ainsi, pourrait tenir compte de sa situation personnelle et familiale.

18. Or, selon le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), les arrêts du 14 septembre 1999, Gschwind (C‑391/97, EU:C:1999:409), du 10 mai 2012, Commission/Estonie (C‑39/10, EU:C:2012:282), et du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750), pourraient être lus en ce sens que l’État d’activité doit toujours tenir compte de la situation personnelle et familiale de l’intéressé dès lors que l’État de résidence n’est pas en mesure de le faire.

19. C’est dans ce contexte que le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour à titre préjudiciel.

IV – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

20. Par décision du 22 mai 2015, parvenue à la Cour le 11 juin 2015, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de poser à la Cour, en vertu de l’article 267 TFUE, les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle un citoyen de l’Union qui réside en Espagne, et dont les revenus professionnels sont imposés à concurrence de 60 % environ par les Pays-Bas et à concurrence de 40 % environ par la Suisse, ne peut pas déduire de ses revenus professionnels imposés par les Pays-Bas ses revenus négatifs provenant du logement situé en Espagne
dont il est propriétaire et qu’il occupe personnellement, même s’il bénéficie dans l’État de résidence[, à savoir en] Espagne, d’un revenu à ce point modique que les revenus négatifs susmentionnés ne permettent pas de réduire l’impôt dans l’État de résidence durant l’exercice concerné ?

2) a) Si la première question appelle une réponse affirmative, chaque État dans lequel le citoyen de l’Union recueille une partie de ses revenus doit-il tenir compte de l’intégralité des revenus négatifs susmentionnés ? Ou bien cette obligation s’applique-t-elle uniquement à l’un des États d’exercice de l’activité professionnelle concernés et dans l’affirmative, lequel ? Ou encore, chacun des États dans lesquels il exerce son activité professionnelle (autres que l’État de résidence) doit-il
autoriser la déduction d’une partie de ces revenus négatifs ? Dans la dernière hypothèse, comment convient-il de déterminer cette partie à déduire ?

b) À cet égard, est-ce l’État membre dans lequel le travail est effectué en fait qui est déterminant, ou celui qui est compétent pour imposer les revenus obtenus dudit travail ?

3) La réponse aux questions formulées dans la deuxième question est-elle différente si l’un des États dans lesquels le citoyen de l’Union recueille ses revenus est la [Confédération suisse], qui n’est pas un État membre de l’Union et qui ne fait pas non plus partie de l’Espace économique européen (EEE) ?

4) Quelle incidence a, à cet égard, la question de savoir si la législation de l’État de résidence du contribuable (en l’espèce, le Royaume d’Espagne) lui permet de déduire les intérêts hypothécaires afférents à son logement, dont il est propriétaire, et d’imputer les pertes fiscales qui en résultent pendant l’exercice concerné sur les revenus éventuels des exercices suivants provenant de cet État ? »

21. Des observations écrites ont été déposées par X, les gouvernements néerlandais, belge, allemand, autrichien, portugais, suédois et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission européenne. À l’exception des gouvernements belge et portugais, tous se sont, en outre, exprimés lors de l’audience qui s’est tenue le 29 juin 2016.

V – Analyse

A – Remarque liminaire sur la liberté de circulation applicable

22. La juridiction de renvoi ne se prononce pas sur la qualification des prestations à l’origine des revenus de X ni, par conséquent, sur la liberté de circulation au regard de laquelle la réglementation néerlandaise devrait être examinée.

23. Les gouvernements autrichien, suédois et du Royaume-Uni considèrent néanmoins qu’il s’agit, a priori, d’appliquer l’article 49 TFUE et la liberté d’établissement qu’il consacre puisqu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que X contrôlerait et dirigerait l’activité des sociétés néerlandaise et suisse concernées au moyen de participations majoritaires. Il serait, par conséquent, un travailleur indépendant. Cette analyse semble pertinente.

24. Comme ces participations majoritaires excluent l’applicabilité de la libre circulation des capitaux, il suffit de rappeler que la Cour a d’ores et déjà eu l’occasion de confirmer que la solution dégagée dans l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), en matière de libre circulation des travailleurs devait être appliquée aux travailleurs indépendants ( 3 ).

B – Sur la première question préjudicielle

25. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’État d’emploi est tenu d’accorder un avantage fiscal prévu pour les résidents à un non-résident qui y perçoit 60 % du total de ses revenus professionnels, étant entendu que ce contribuable ne peut bénéficier de cet avantage dans l’État où il réside, à défaut d’y percevoir des revenus suffisants.

1. Les principes applicables en matière de fiscalité directe

26. Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les États membres doivent exercer leur compétence fiscale dans le respect du droit de l’Union ( 4 ), et plus particulièrement des dispositions du traité sur les libertés de circulation. Dès lors, les États membres sont tenus de s’abstenir de toute discrimination directe fondée sur la nationalité ou déguisée ( 5 ), fondée sur la résidence du contribuable, le critère de résidence étant généralement déterminant en matière fiscale.

27. Toute discrimination suppose un traitement différent de situations comparables. Or, la Cour a jugé que les résidents et les non-résidents ne sont pas, en règle générale, dans ce type de situations. En effet, le revenu perçu par un non-résident sur le territoire d’un État membre ne constitue, le plus souvent, qu’une partie de son revenu global, lequel est centralisé au lieu de sa résidence. Or, la capacité contributive personnelle du contribuable s’apprécie plus aisément par l’État de résidence,
puisqu’il s’agit de l’endroit où le contribuable a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux ( 6 ).

28. Toutefois, dans l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), la Cour a jugé que cette règle connaissait une exception lorsqu’un contribuable non-résident ne percevait pas de revenu significatif dans son État de résidence et tirait l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’État d’emploi, de sorte que l’État de résidence n’était pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale ( 7 )
(ci-après l’« exception Schumacker »).

29. Par ailleurs, la Cour a également jugé que la possibilité pour le contribuable résident de déduire de ses revenus imposables les « revenus négatifs » afférents à un bien immobilier situé dans son État de résidence constitue un avantage fiscal lié à sa situation personnelle ( 8 ).

30. Il reste donc à déterminer si le cas de X relève de l’exception Schumacker, autrement dit si sa situation de non-résident est comparable à celle d’un résident.

2. Les conditions de la comparabilité des situations

31. Tous les gouvernements qui ont déposé des observations écrites estiment que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation telle que celle dans l’affaire en cause au principal, car le fait de percevoir 60 % de ses revenus dans l’État d’emploi ne rend pas la situation d’un non-résident comparable à celle d’un résident.

32. Au point 36 de l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), la Cour a jugé que les situations étaient, par exception, comparables « dans un cas tel que celui de l’espèce au principal, où le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans l’État de sa résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’État d’emploi, de sorte que l’État de résidence n’est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de
sa situation personnelle et familiale» ( 9 ).

33. Trois conditions doivent, par conséquent, être réunies pour que les situations d’un résident et d’un non-résident soient comparables au sens de l’exception Schumacker. Deux de ces conditions concernent l’État de résidence, tandis que la troisième condition vise l’État d’emploi. Lorsque les trois conditions sont remplies, l’État d’emploi est obligé d’accorder, tant aux non-résidents qu’aux résidents, les mêmes avantages fiscaux liés à leur situation personnelle et familiale.

a) Les conditions liées à l’État de résidence

34. Les deux conditions sont liées dans le sens que la seconde découle de la première : le contribuable ne doit pas percevoir de revenus significatifs dans son État de résidence, de telle sorte que celui-ci n’est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale.

35. En application du droit fiscal international ( 10 ), ces avantages doivent, en principe, être accordés par l’État de résidence. Dès lors, le fait que le contribuable ne perçoive pas de revenu suffisant dans cet État a pour conséquence que sa situation personnelle et familiale ne sera prise en compte par aucun État si l’on s’en tient au principe selon lequel c’est à l’État de résidence qu’il appartiendra d’apprécier cette situation ( 11 ).

b) La condition liée à l’État d’emploi

36. Très logiquement, la Cour exige également que le contribuable non-résident « tire l’essentiel de ses [revenus] imposables d’une activité exercée dans l’État d’emploi» ( 12 ).

37. Dans ce cas alors, comme la Cour l’explique au point 38 de l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), « [s]’agissant d’un non-résident qui perçoit, dans un État membre autre que celui de sa résidence, l’essentiel de ses revenus et la quasi-totalité de ses revenus familiaux, la discrimination consiste en ce que la situation personnelle et familiale de ce non-résident n’est prise en compte ni dans l’État de résidence ni dans l’État d’emploi» ( 13 ).

38. En effet, « [i]l n’existe entre un tel non-résident et un résident exerçant une activité salariée [ou indépendante] comparable aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement en ce qui concerne la prise en considération, aux fins de l’imposition, de la situation personnelle et familiale du contribuable» ( 14 ).

39. Comme on le voit, l’exigence de percevoir dans l’État d’emploi l’essentiel de ses revenus est étroitement liée au fait que le contribuable n’a pas de revenu significatif dans son État de résidence.

40. Comme l’expliquait l’avocat général Léger dans ses conclusions dans l’affaire Schumacker (C‑279/93, EU:C:1994:391), « seule une appréciation de fait permettra de déterminer le seuil à compter duquel les revenus dans l’État de résidence sont suffisants pour que la situation personnelle de l’intéressé soit prise en compte par les autorités fiscales de cet État. Seuls les résidents de celui-ci qui n’ont pas atteint ce seuil pourront être assimilés aux résidents de l’État d’emploi où ils perçoivent
l’essentiel de leur revenus» ( 15 ).

41. Les arrêts du 14 septembre 1999, Gschwind (C‑391/97, EU:C:1999:409), et du 10 mai 2012, Commission/Estonie (C‑39/10, EU:C:2012:282), sont, à cet égard, révélateurs de l’importance, dans la détermination de la comparabilité des situations, du critère relatif à la capacité de l’État de résidence ou de l’État d’emploi de prendre en considération les charges personnelles et familiales.

42. Dans l’arrêt du 14 septembre 1999, Gschwind (C‑391/97, EU:C:1999:409), la Cour a, en effet, observé que, « compte tenu de ce que près de 42 % du revenu mondial du couple Gschwind sont perçus dans son État de résidence, ce dernier est en mesure de prendre en compte la situation personnelle et familiale de M. Gschwind selon les modalités prévues par la législation de cet État, puisque la base imposable y est suffisante pour permettre cette prise en compte» ( 16 ). Dans ces conditions, la situation
du couple marié non-résident dont l’un des conjoints travaille dans l’État d’imposition considéré n’a pas été jugée comparable à celle du couple marié résident.

43. En revanche, dans l’arrêt du 10 mai 2012, Commission/Estonie (C‑39/10, EU:C:2012:282), la Cour a commencé par indiquer que, lorsque près de 50 % des revenus totaux du contribuable sont perçus dans son État de résidence, « ce dernier devrait en principe être en mesure de prendre en compte sa capacité contributive» ( 17 ). Toutefois, la Cour a ajouté que, « [c]ependant, dans un cas tel que celui de la plaignante qui, du fait du faible montant de ses revenus globaux, n’est pas, en vertu de la
législation fiscale de l’État membre de résidence, imposable dans ce dernier, cet État n’est pas en mesure de prendre en compte la capacité contributive et la situation personnelle de l’intéressée» ( 18 ). La Cour en conclut que, dans de telles circonstances, le refus par l’État membre dans lequel les revenus en cause étaient perçus (en l’occurrence, une pension de retraite) d’octroyer un abattement prévu par sa réglementation fiscale pénalisait les non-résidents pour le simple fait d’avoir
exercé les libertés de circulation garanties par le traité.

44. La troisième condition est encore illustrée dans l’arrêt du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406). En effet, au point 28 de cet arrêt, la Cour a jugé que « la seule circonstance qu’un non-résident ait perçu, dans l’État d’emploi, des revenus dans les mêmes conditions qu’un résident de cet État ne suffit pas à rendre sa situation objectivement comparable à celle de ce résident. Encore faut-il, pour constater une telle comparabilité objective, que, en raison de la perception par ce
non-résident de l’essentiel de ses revenus dans l’État membre d’emploi, l’État membre de résidence ne soit pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale» ( 19 ).

45. Il découle nécessairement de ce qui précède que, dans une situation où il n’y a aucun revenu imposable dans l’État membre de résidence, une discrimination serait susceptible d’apparaître si la situation personnelle et familiale du contribuable n’était prise en compte ni dans l’État membre de résidence, ni dans l’État membre d’emploi ( 20 ).

46. Dans la présente affaire, X remplit indéniablement les deux premières conditions. Il ne perçoit aucun revenu imposable en Espagne. Cet État de résidence est, par conséquent, dans l’impossibilité de lui accorder les avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale. En ce qui concerne la troisième condition, il est clair qu’il perçoit l’essentiel (et même la totalité) de ses revenus professionnels ailleurs que dans l’État de résidence, à raison de 60 % aux Pays-Bas et de 40 % en
Suisse.

3. La comparabilité des situations en présence de plusieurs États d’emploi

47. Je ne pense pas que la circonstance que le contribuable perçoive l’essentiel de ses revenus dans plusieurs États d’emploi ait une influence sur l’application de principe de l’exception Schumacker.

48. En effet, le critère déterminant est bien celui de l’impossibilité pour un État de prendre en compte la situation personnelle et familiale du contribuable faute de revenus imposables suffisants, alors que cette prise en considération est possible ailleurs en raison d’une source de revenus adéquate.

49. Si la Cour n’a, jusqu’à présent, visé qu’un seul État d’emploi dans l’examen de la comparabilité des situations, c’est uniquement en raison du cadre factuel à l’origine des demandes de décision préjudicielle qui lui étaient adressées car, d’un point de vue théorique, la pluralité d’États d’emploi ne modifie pas les paramètres d’analyse.

50. Je vois, d’ailleurs, une confirmation de cette interprétation de l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), et de la jurisprudence qui l’a suivi à travers l’arrêt du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750).

51. En effet, dans l’arrêt de Groot, la Cour a expressément reconnu aux États membres la possibilité de « modifier cette corrélation entre la prise en compte par l’État de résidence, d’une part, de l’ensemble des revenus de ses résidents et, d’autre part, de leur situation personnelle et familiale globale par le biais de conventions, bilatérales ou multilatérales, de prévention de la double imposition» ( 21 ). Toutefois, la Cour a pris le soin de préciser que ces mécanismes doivent « assurer aux
contribuables des États concernés que, au total, l’ensemble de leur situation personnelle et familiale sera dûment prise en compte, quelle que soit la manière dont les États membres concernés ont réparti cette obligation entre eux, sous peine de créer une inégalité de traitement incompatible avec les dispositions du traité sur la libre circulation des travailleurs, qui ne résulteraient nullement des disparités existant entre les législations fiscales nationales» ( 22 ).

52. Il n’est donc pas exclu que la situation personnelle et familiale d’un contribuable soit prise en compte par plusieurs États membres, pour autant que, dans chacun de ces États, les revenus sont suffisants pour permettre cette prise en compte. De nouveau, la seule exigence est que l’ensemble de cette situation soit prise en considération, que ce soit par un ou plusieurs États membres.

53. En effet, ne serait-il pas paradoxal qu’un citoyen de l’Union qui exerce l’une des libertés fondamentales garanties par les traités dans deux États membres ne bénéficie pas de l’exception Schumacker, alors que le citoyen qui ne l’a exercée que dans un seul État membre en profiterait ? Il suffit d’imaginer que M. Schumacker, résidant en Belgique, aurait travaillé à mi-temps en Allemagne et à mi-temps aux Pays-Bas. L’exception n’aurait-elle pas joué ?

4. Conclusion intermédiaire

54. Au vu des considérations qui précèdent, je considère, par conséquent, que les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle un citoyen de l’Union, dont les revenus professionnels perçus et imposés à concurrence de 60 % environ par un État membre dans lequel il ne réside pas et à concurrence de 40 % environ par un État tiers, ne peut pas déduire de ses revenus professionnels imposés par le premier État d’emploi les
revenus négatifs relatifs au bien immobilier situé dans l’État de résidence et où il n’a aucun revenu significatif ou n’y a qu’un revenu à ce point modique qu’il ne permet pas d’y réduire l’impôt éventuellement dû.

55. Puisque je propose de répondre par l’affirmative à la première question, il convient d’aborder les autres questions posées par la juridiction de renvoi.

C – Sur la deuxième question préjudicielle

56. La deuxième question porte, en substance, sur le point de savoir si l’obligation d’accorder au contribuable les avantages fiscaux liés à sa situation personnelle incombe à un seul État membre ou à chaque État d’activité et dans quelle proportion. La juridiction de renvoi se demande également si l’État membre d’activité doit s’entendre comme l’État dans lequel l’activité est effectuée en fait ou comme celui qui est compétent pour imposer les revenus issus de l’activité.

57. Tout d’abord, puisqu’il s’agit de prendre en compte la situation personnelle et familiale d’un contribuable en vue de lui accorder un avantage fiscal, l’« État d’activité » ne peut être qu’un État qui possède une compétence fiscale à l’égard du contribuable. En effet, il n’est pas possible pour un État de prendre en compte la situation personnelle et familiale d’une personne si celle-ci n’y dispose pas de revenus imposables.

58. Ensuite, en ce qui concerne la répartition de cette prise en compte, la réponse doit de nouveau être cherchée dans l’objectif qui sous-tend l’ensemble de la jurisprudence inaugurée par l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31). Il s’agit d’assurer la prise en compte de la situation personnelle et familiale du contribuable.

59. Certes, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation au niveau du droit de l’Union, les États membres restent compétents pour déterminer les critères d’imposition des revenus en vue d’éliminer, le cas échéant par voie conventionnelle, les doubles impositions ( 23 ). Dans la même optique, la Cour a également jugé qu’il était loisible aux États membres de prendre en considération des avantages fiscaux éventuellement accordés par un autre État membre d’imposition. Toutefois, cette
possibilité est autorisée « sous la réserve [...] que, quelle que soit la manière dont ces États membres ont réparti entre eux cette obligation, il soit assuré à leurs contribuables que, au total, l’ensemble de leur situation personnelle et familiale sera dûment pris en compte» ( 24 ).

60. Il m’apparaît, dès lors, que la seule façon de concilier la liberté des États membres, d’une part, avec l’exigence de prise en compte globale de l’ensemble de la situation personnelle et familiale du contribuable, d’autre part, est d’accorder l’avantage en cause proportionnellement aux revenus imposés dans chaque État d’emploi concerné ( 25 ).

61. Cette solution est non seulement conforme aux objectifs des libertés fondamentales poursuivis par les traités, mais elle protège aussi la souveraineté des États membres en matière de fiscalité directe. La répartition du pouvoir d’imposition entre États membres est ainsi préservée.

62. Par ailleurs, j’observe que cette solution est également celle qui reçoit les faveurs de la doctrine ayant examiné l’hypothèse d’une pluralité d’États d’emploi ( 26 ).

63. Selon moi, il convient, dès lors, de répondre à la deuxième question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi en ce sens que, dans le cas où un contribuable n’a pas de revenu significatif dans son État de résidence, lequel ne peut, de ce fait, lui accorder les avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, chaque État membre dans lequel une activité est exercée et qui est compétent pour imposer les revenus issus de cette activité doit, au titre de la prise en compte de
la situation personnelle et familiale du contribuable, autoriser la déduction des revenus négatifs tels que ceux en cause dans la présente affaire au prorata des revenus qu’il taxe, pour autant que les revenus y sont suffisamment significatifs pour lui accorder les avantages en cause ( 27 ).

D – Sur la troisième question préjudicielle

64. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la réponse apportée à la question précédente est différente lorsque le non-résident perçoit une partie de ses revenus imposables sur le territoire d’un État tiers, par ailleurs non membre de l’EEE.

65. L’incidence de l’exercice d’une activité dans un État tiers sur l’examen de la comparabilité des situations au regard des critères dégagés par la Cour dans l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), a déjà été examinée par la Cour.

66. En effet, dans l’affaire à l’origine de l’arrêt du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406), le contribuable en cause était un ressortissant allemand, qui résidait en Allemagne et travaillait aux Pays‑Bas, mais qui était parti exercer une activité professionnelle aux États-Unis durant trois mois.

67. Dans son arrêt, la Cour a rappelé qu’un contribuable non‑résident qui n’a pas perçu dans l’État d’emploi la totalité ou la quasi‑totalité des revenus familiaux dont il a bénéficié au cours de l’ensemble de l’année considérée ne se trouve pas dans une situation comparable à celle des résidents de cet État. Elle en a déduit que l’État membre dans lequel le contribuable n’avait perçu qu’une partie de ses ressources imposables au cours de l’année entière considérée n’était pas tenu de lui accorder
les avantages qu’il accordait à ses propres résidents ( 28 ). En outre, la Cour a estimé que cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que l’intéressé avait quitté son emploi dans un État membre pour aller exercer son activité professionnelle non pas dans un autre État membre, mais dans un État tiers ( 29 ).

68. Les réponses apportées aux première et deuxième questions préjudicielles ne sont, par conséquent, pas différentes lorsque l’un des États dans lesquels le contribuable recueille ses revenus n’est ni un État membre de l’Union ni un État membre de l’EEE.

69. À titre surabondant, en ce qui concerne plus particulièrement la Confédération suisse, je suis d’avis que l’obligation de prise en compte partagée de la situation personnelle et familiale du contribuable lui serait opposable.

70. En effet, il s’agit là d’une application de l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), en présence de plusieurs États d’activité. Or, cet arrêt est antérieur à la signature de l’accord conclu entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 (JO 2002, L 114, p. 6, ci-après l’« accord »). Par conséquent, conformément à l’article 16,
paragraphe 2, de l’accord, il doit être tenu compte de cette jurisprudence ( 30 ).

E – Sur la quatrième question préjudicielle

71. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si la circonstance que la législation de l’État membre de résidence (en l’occurrence, le Royaume d’Espagne) permette au contribuable résident de déduire les intérêts hypothécaires afférents à son logement propre et d’imputer les pertes fiscales qui en résultent pendant l’exercice concerné sur les éventuels revenus perçus dans le même État au cours de quelques exercices suivants a une incidence sur les réponses apportées aux questions
précédentes.

1. Sur le caractère hypothétique de la quatrième question

72. Je remarque que, dans l’affaire en cause au principal, il ressort de la demande de décision préjudicielle que X n’aurait pas pu bénéficier d’un tel avantage en Espagne après 2007 ( 31 ).

73. La question apparaît donc hypothétique. Elle est, par conséquent, irrecevable ( 32 ).

74. Toutefois, si la Cour ne devait pas partager cette interprétation de la question, puisque le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) s’est référé à l’arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763), dans sa demande de décision préjudicielle et que le Royaume de Belgique et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont développé certains commentaires à ce sujet dans leurs observations écrites, j’aborderai également la question à titre subsidiaire.

2. À titre subsidiaire, sur l’absence d’incidence de la possibilité de report de l’avantage fiscal

75. Dans l’arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763), la Cour a jugé contraire au droit de l’Union une réglementation qui empêchait une société mère de déduire les pertes subies par une filiale non-résidente, lorsque celle-ci avait épuisé les possibilités de prise en compte des pertes dans son État de résidence au titre de l’exercice concerné ou des exercices ultérieurs.

76. L’analogie est tentante. Toutefois, je ne pense pas qu’elle soit pertinente.

77. Tout d’abord, comme le relève la Commission dans ses observations écrites, la réponse donnée par la Cour dans l’arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763), concerne l’imputation de pertes et non, comme en l’espèce, la déduction de coûts. De façon plus précise, j’observe que, dans l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), l’exception autorisée par la Cour ne concerne que les avantages liés à la situation personnelle et familiale du contribuable,
lesquels sont très différents de ceux en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763). En outre, celui-ci s’applique à une configuration juridique particulière, à savoir celle de deux personnes morales distinctes mais liées par leur actionnariat. En l’espèce, il s’agit d’un seul et même contribuable.

78. Ensuite, il est établi qu’un État membre ne saurait invoquer l’existence d’un avantage concédé de manière unilatérale par un autre État membre afin d’échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du traité ( 33 ).

79. Enfin, j’observe que, dans la même logique, la Cour a récemment étendu aux conséquences favorables la jurisprudence selon laquelle les conséquences défavorables qui résultent de l’exercice parallèle des compétences fiscales des États membres n’étaient pas nécessairement constitutives de restrictions interdites par le traité FUE.

80. En effet, dans l’arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet (C‑303/12, EU:C:2013:822), la Cour a écarté l’argument du gouvernement estonien qui voulait éviter le risque d’un double avantage en appliquant par analogie l’arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763). Selon la Cour, la possibilité éventuelle de bénéficier d’un double avantage ne serait, en tout état de cause, que le fruit de l’application parallèle des réglementations fiscales nationales en cause ( 34 ).

81. Cela étant dit, comme je l’ai déjà précisé précédemment, la Cour laisse aux États membres concernés la liberté de prendre en considération les avantages fiscaux éventuellement accordés par un autre État membre d’imposition à la condition que l’ensemble de la situation personnelle et familiale du contribuable soit dûment prise en compte ( 35 ).

82. À cet égard, la présence d’une pluralité d’États membres n’est pas de nature à rendre obsolète la jurisprudence de la Cour selon laquelle les éventuelles difficultés administratives liées à l’obtention des informations nécessaires peuvent être adéquatement surmontées grâce à l’assistance mutuelle de la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE ( 36 ).

83. En outre, il convient également de rappeler que, dans ce contexte, rien n’empêche les autorités fiscales concernées d’exiger du contribuable lui-même les preuves qu’elles jugent nécessaires pour apprécier s’il y a lieu ou non d’accorder la déduction demandée ( 37 ).

84. Enfin, j’ajouterai pour terminer que l’application de l’exception Schumacker au cas d’espèce de l’affaire au principal n’impose rien d’autre à l’État d’emploi que d’appliquer son droit national à la fraction des revenus perçus sur son territoire national.

85. Dès lors, il résulte des considérations qui précèdent que le fait que la législation de l’État de résidence du contribuable lui permette de déduire les revenus négatifs de son logement sur les revenus éventuels des exercices ultérieurs n’a pas d’incidence sur les réponses apportées aux trois premières questions.

VI – Conclusion

86. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) de la manière suivante :

«1) Les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle un citoyen de l’Union européenne, dont les revenus professionnels perçus sont imposés à concurrence de 60 % environ par un État membre dans lequel il ne réside pas et à concurrence de 40 % environ par un État tiers, ne peut pas déduire de ses revenus professionnels imposés par le premier État d’emploi les revenus négatifs relatifs au bien immobilier situé dans l’État
de résidence et où il n’a aucun revenu significatif ou n’y a qu’un revenu à ce point modique qu’il ne permet pas d’y réduire l’impôt éventuellement dû.

2) Dans le cas où un contribuable n’a pas de revenu significatif dans son État de résidence, lequel ne peut, de ce fait, lui accorder les avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale, chaque État membre dans lequel une activité est exercée et qui est compétent pour imposer les revenus issus de cette activité doit, au titre de la prise en compte de la situation personnelle et familiale du contribuable, autoriser la déduction des revenus négatifs, tels que ceux en cause dans la
présente affaire, au prorata des revenus qu’il taxe, pour autant que les revenus y sont suffisamment significatifs pour lui accorder les avantages en cause.

3) Les réponses apportées aux première et deuxième questions préjudicielles ne sont pas différentes lorsque l’un des États dans lesquels le contribuable recueille ses revenus n’est pas un État membre de l’Union européenne ni un État membre de l’Espace économique européen.

4) La quatrième question est irrecevable.

À titre subsidiaire, le fait que la législation de l’État de résidence du contribuable permette de déduire les revenus négatifs du logement personnel sur les revenus éventuels des exercices ultérieurs n’a pas d’incidence sur les réponses apportées aux trois premières questions. »

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31).

( 3 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 août 1995, Wielockx (C‑80/94, EU:C:1995:271) ; du 27 juin 1996, Asscher (C‑107/94, EU:C:1996:251), ainsi que, plus récemment, du 28 février 2013, Ettwein (C‑425/11, EU:C:2013:121, point 47).

( 4 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 21) ; du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763, point 29) ; du 18 juillet 2007, Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, point 18), ainsi que du 22 octobre 2014, Blanco et Fabretti (C‑344/13 et C‑367/13, EU:C:2014:2311, point 24).

( 5 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1999, Gschwind (C‑391/97, EU:C:1999:409, point 20).

( 6 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 32) ; du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750, point 90), ainsi que du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406, point 22).

( 7 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 36) ; du 18 juillet 2007, Lakebrink et Peters-Lakebrink (C‑182/06, EU:C:2007:452, point 30) ; du 16 octobre 2008, Renneberg (C‑527/06, EU:C:2008:566, point 61), ainsi que du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406, point 25).

( 8 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406, point 19).

( 9 ) C’est moi qui souligne.

( 10 ) Voir arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 32).

( 11 ) Tel était également le point de départ du raisonnement de l’avocat général Léger dans ses conclusions dans l’affaire Schumacker (C‑279/93, EU:C:1994:391, point 66).

( 12 ) Arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 36).

( 13 ) C’est moi qui souligne. Voir en ce sens, également, arrêts du 18 juillet 2007, Lakebrink et Peters-Lakebrink (C‑182/06, EU:C:2007:452, point 31) ; du 16 octobre 2008, Renneberg (C‑527/06, EU:C:2008:566, point 62), ainsi que du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406, point 26).

( 14 ) Arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 37).

( 15 ) Point 76.

( 16 ) Point 29. Cela implique, a fortiori, que la perception de près de 60 % de ses revenus dans un État – comme X aux Pays-Bas dans le cas d’espèce – permet, en principe, à cet État de prendre en compte la situation personnelle et familiale du contribuable en cause.

( 17 ) Point 54. C’est moi qui souligne.

( 18 ) Point 55. C’est moi qui souligne.

( 19 ) C’est moi qui souligne. Par ailleurs, comme en l’espèce, « [l]a circonstance que ledit travailleur soit parti exercer son activité professionnelle dans un État tiers et non dans un autre État membre de l’Union européenne est sans incidence sur cette interprétation » (arrêt du 18 juin 2015, Kieback,C‑9/14, EU:C:2015:406, dispositif).

( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2012, Commission/Estonie (C‑39/10, EU:C:2012:282, point 53), et, pour une application du principe, arrêt du 1er juillet 2004, Wallentin (C‑169/03, EU:C:2004:403, points 17 et 18).

( 21 ) Arrêt du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750, point 99).

( 22 ) Arrêt du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750, point 101).

( 23 ) Voir en ce sens, notamment, arrêt du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750, point 93 et jurisprudence citée).

( 24 ) Arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet (C‑303/12, EU:C:2013:822, point 79). C’est moi qui souligne.

( 25 ) Certes, cette solution avait été soutenue par le gouvernement néerlandais dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750), et la Cour l’avait expressément rejetée (voir point 98 de cet arrêt). Cependant, il s’agissait là d’envisager une prise en compte partielle par l’État de résidence, alors que le contribuable avait perçu dans cet État suffisamment de revenus pour que sa situation personnelle et familiale soit prise en compte. La Cour a
donc, logiquement et de façon pertinente, pu rejeter l’argument en se fondant sur le principe selon lequel la capacité contributive personnelle du contribuable, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus ainsi que de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier le plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, c’est-à-dire, en général, au lieu de sa résidence habituelle.

( 26 ) Voir, en ce sens, Niesten, H., « Growing Impetus for Harmonization of Personal and Family Allowances : Current State of Affairs of the Schumacker-Doctrine after Imfeld and Garcet », EC Tax Review, 2015-4, p. 185 à 201, en particulier p. 198 et 199. Selon cet auteur, « The rationale legis of the fractional taxation of non-residents, i.e., the proportional grant of the benefits in the source States, therefore seems fair and consistent » (p. 198). Voir, également, Wattel, P.-J., « Progressive
Taxation of Non-Residents and Intra-EC Allocation of Personal Tax Allowances : Why Schumacker, Asscher, Gilly and Gschwind Do Not Suffice », European Taxation, 2000, p. 210 à 223, en particulier p. 222.

( 27 ) En aucun cas, l’exception Schumacker ne peut donner lieu à un impôt négatif ou à un remboursement d’impôt au vu de l’insuffisance des revenus.

( 28 ) Voir arrêt du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406, point 34).

( 29 ) Voir arrêt du 18 juin 2015, Kieback (C‑9/14, EU:C:2015:406, point 35 et dispositif).

( 30 ) La Cour a confirmé l’application de la jurisprudence Schumacker dans le cadre de l’accord dans l’arrêt 28 février 2013, Ettwein (C‑425/11, EU:C:2013:121). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la République fédérale d’Allemagne refusait le bénéfice de l’imposition conjointe en application de la méthode dite du « splitting » à des époux ressortissants de cet État, assujettis dans ce même État, car ils résidaient en Suisse. La Cour a jugé que, à la lumière des arrêts du 14 février 1995,
Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31), du 11 août 1995, Wielockx (C‑80/94, EU:C:1995:271), ainsi que du 27 juin 1996, Asscher (C‑107/94, EU:C:1996:251), aucune partie contractante ne pouvait se prévaloir de la possibilité d’établir une distinction entre les contribuables qui ne sont pas dans des situations comparables pour refuser cet avantage à un couple dans la configuration des époux Ettwein (arrêt 28 février 2013, Ettwein,C‑425/11, EU:C:2013:121, point 48). Le tribunal fédéral suisse a également
affirmé l’application de la jurisprudence Schumacker dans un arrêt du 26 janvier 2010 (affaires jointes 2C.319/2009 et 2C.321/2009). Voir, à cet égard, Heuberger, R., et Oesterhelt, St., « Swiss Salary Withholding Tax Violates Free Movement of Persons Agreement with the European Union », European Taxation, 2010, p. 285 à 294.

( 31 ) Dans ses observations écrites et lors de l’audience du 29 juin 2016, X a confirmé l’information pour les exercices antérieurs à l’année 2007, ainsi que pour les exercices relatifs aux années 2007 à 2011. Il a également précisé que, après l’année 2011, il n’a plus été considéré comme un résident espagnol. Ces informations n’ont été contestées par aucun des intervenants à la procédure.

( 32 ) Voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2013, Radu (C‑396/11, EU:C:2013:39, point 24).

( 33 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet (C‑303/12, EU:C:2013:822, point 61).

( 34 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet (C‑303/12, EU:C:2013:822, point 78).

( 35 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet (C‑303/12, EU:C:2013:822, point 79).

( 36 ) JO 2011, L 64, p. 1. Voir, en ce sens, arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, EU:C:1995:31, point 45), ainsi que du 28 octobre 1999, Vestergaard (C‑55/98, EU:C:1999:533, point 26), et, en doctrine, Niesten, H., « Growing Impetus for Harmonization of Personal and Family Allowances : Current State of Affairs of the Schumacker-Doctrine after Imfeld and Garcet », EC Tax Review, 2015-4, p. 185 à 201, en particulier p. 194 ; Wattel, P.J., « Progressive Taxation of Non-Residents and
Intra-EC Allocation of Personal Tax Allowances : Why Schumacker, Asscher, Gilly and Gschwind Do Not Suffice », European Taxation, 2000, p. 210 à 223, en particulier p. 222.

( 37 ) Voir en ce sens, notamment, arrêts du 28 octobre 1999, Vestergaard (C‑55/98, EU:C:1999:533, point 26) ; du 11 octobre 2007, ELISA (C‑451/05, EU:C:2007:594, point 95), ainsi que du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (C‑436/08 et C‑437/08, EU:C:2011:61, point 100), et, en doctrine, Wattel, P. J., « Progressive Taxation of Non-Residents and Intra-EC Allocation of Personal Tax Allowances: Why Schumacker, Asscher, Gilly and Gschwind Do Not Suffice », European
Taxation, 2000, p. 210 à 223, en particulier p. 222 ; Cloer, A., et Vogel, N., « Swiss Frontier Worker Can Claim the Benefits of Schumacker : The ECJ Decision in Ettwein (Case C‑425/11) », European Taxation, 2003, p. 531 à 535, en particulier p. 534.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-283/15
Date de la décision : 07/09/2016
Type de recours : Recours préjudiciel - irrecevable, Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Législation fiscale – Impôt sur le revenu – Ressortissant d’un État membre percevant des revenus sur le territoire de cet État membre et sur celui d’un État tiers, et résidant sur le territoire d’un autre État membre – Avantage fiscal destiné à tenir compte de sa situation personnelle et familiale.

Droit d'établissement

Fiscalité

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : X
Défendeurs : Staatssecretaris van Financiën.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wathelet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:638

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award