ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
22 juin 2016 ( *1 )
«Pourvoi — Environnement — Directive 2003/87/CE — Article 10 bis — Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre — Règles transitoires concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit à partir de l’année 2013 — Décision 2011/278/UE — Mesures nationales d’exécution présentées par la République fédérale d’Allemagne — Rejet de l’inscription de certaines installations sur les listes des installations qui reçoivent des quotas d’émission alloués à titre gratuit —
Disposition relative aux cas présentant des “difficultés excessives” — Compétences d’exécution de la Commission»
Dans l’affaire C‑540/14 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 novembre 2014,
DK Recycling und Roheisen GmbH, établie à Duisbourg (Allemagne), représentée par Mes S. Altenschmidt et P.‑A. Schütter, Rechtsanwälte,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. E. White et C. Hermes ainsi que par Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. A. Arabadjiev, J.‑C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et E. Regan, juges,
avocat général : M. P. Mengozzi,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mars 2016,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, DK Recycling und Roheisen GmbH (ci-après « DK Recycling ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 26 septembre 2014, DK Recycling und Roheisen/Commission (T‑630/13, EU:T:2014:833, ci-après l’« arrêt attaqué »), par lequel celui‑ci n’a que partiellement fait droit à ses conclusions à fin d’annulation de la décision 2013/448/UE de la Commission, du 5 septembre 2013, concernant les mesures nationales d’exécution pour l’allocation transitoire à titre
gratuit de quotas d’émission de gaz à effet de serre conformément à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2013, L 240, p. 27), en ce que, à son article 1er, paragraphe 1, lu en combinaison avec son annexe I, point A, cette décision ne retient pas l’inscription, sur la liste prévue à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas
d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE (JO 2003, L 275, p. 32), telle que modifiée par la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009 (JO 2009, L 140, p. 63) (ci‑après la « directive 2003/87 »), des installations dont les codes d’identification sont DE000000000001320 et DE-new-14220-0045, ainsi que les quantités annuelles totales provisoires de quotas d’émission de gaz à effet de serre allouées à titre gratuit et
proposées par la République fédérale d’Allemagne pour ces installations (ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Aux termes de son considérant 5, la directive 2003/87 contribue à réaliser les engagements de l’Union et de ses États membres de réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre « de manière plus efficace, par le biais d’un marché européen performant de quotas d’émission de gaz à effet de serre et en nuisant le moins possible au développement économique et à l’emploi ».
3 Le considérant 7 de ladite directive énonce :
« Il est nécessaire d’adopter des dispositions communautaires relatives à l’allocation de quotas par les États membres, afin de contribuer à préserver l’intégrité du marché intérieur et d’éviter des distorsions de concurrence. »
4 Les considérants 8, 15, 23, 44 et 45 de la directive 2009/29 sont ainsi rédigés :
« (8) Même si l’expérience acquise durant la première période d’échanges témoigne du potentiel offert par le système communautaire et si la finalisation des plans nationaux d’allocation pour la deuxième période d’échanges garantit des réductions significatives des émissions d’ici à 2012, un réexamen entrepris en 2007 a confirmé qu’il était impératif de mettre en place un système plus harmonisé d’échange de quotas d’émission afin de mieux tirer parti des avantages de l’échange de quotas, d’éviter
les distorsions du marché intérieur et de faciliter l’établissement de liens entre les différents systèmes d’échange. [...]
[…]
(15) L’effort supplémentaire fourni par l’économie communautaire exige notamment que le système communautaire révisé offre une efficacité économique maximale et que les conditions d’allocation soient parfaitement harmonisées au sein de la Communauté. Il convient dès lors que l’allocation repose sur le principe de la mise aux enchères, qui est généralement considérée comme le système le plus simple et le plus efficace du point de vue économique. La mise aux enchères doit également exclure les
bénéfices exceptionnels et placer les nouveaux entrants et les économies dont la croissance est supérieure à la moyenne dans des conditions de concurrence comparables à celles des installations existantes.
[…]
(23) Il convient que l’allocation transitoire de quotas gratuits aux installations soit réalisée suivant des règles harmonisées à l’échelle de la Communauté (“référentiels préétablis”), afin de réduire au minimum les distorsions de la concurrence dans la Communauté. Il est opportun que ces règles tiennent compte des techniques les plus efficaces en matière de gaz à effet de serre et d’énergie, des solutions et des procédés de production de substitution, de l’utilisation de la biomasse, des
énergies renouvelables, ainsi que du captage et du stockage du CO2. Il y a lieu d’éviter que les règles ainsi adoptées n’encouragent les exploitants à augmenter leurs émissions et de veiller à ce qu’une proportion croissante de ces quotas soit mise aux enchères. Il convient que les allocations soient fixées avant la période d’échanges de manière à garantir le bon fonctionnement du marché. [...]
[...]
(44) Il y a lieu d’arrêter les mesures nécessaires pour la mise en œuvre de la présente directive en conformité avec la décision 1999/468/CE du Conseil du 28 juin 1999 fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission [(JO 1999, L 184, p. 23)].
(45) Il convient en particulier d’habiliter la Commission à arrêter des mesures concernant l’harmonisation des règles relatives à [...] l’allocation transitoire de quotas pour l’ensemble de la Communauté [...]. Ces mesures ayant une portée générale et ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels de la directive 2003/87/CE, y compris en la complétant par l’ajout de nouveaux éléments non essentiels, elles doivent être arrêtées selon la procédure de réglementation avec contrôle prévue à
l’article 5 bis de la décision [1999/468]. »
5 Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2003/87, relatif à la « [m]ise aux enchères des quotas » :
« À compter de 2013, les États membres mettent aux enchères l’intégralité des quotas qui ne sont pas délivrés à titre gratuit conformément aux articles 10 bis et 10 quater. [...] »
6 L’article 10 bis de la directive 2003/87, intitulé « Règles communautaires transitoires concernant la délivrance de quotas à titre gratuit », édicte :
« 1. Le 31 décembre 2010 au plus tard, la Commission arrête des mesures d’exécution pleinement harmonisées à l’échelle communautaire relatives à l’allocation harmonisée des quotas visés aux paragraphes 4, 5, 7 et 12, y compris toute disposition nécessaire pour l’application harmonisée du paragraphe 19.
Ces mesures, qui visent à modifier des éléments non essentiels de la présente directive en la complétant, sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 23, paragraphe 3.
Les mesures visées au premier alinéa déterminent, dans la mesure du possible, des référentiels ex ante pour la Communauté, de façon à garantir que les modalités d’allocation des quotas encouragent l’utilisation de techniques efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et améliorer le rendement énergétique [...].
Pour chaque secteur et sous-secteur, en principe, le référentiel est calculé pour les produits et non pour les intrants, de manière à maximiser la réduction des émissions de gaz à effet de serre et les gains d’efficacité énergétique tout au long du processus de production du secteur ou du sous-secteur concerné.
[...]
2. Pour définir les principes d’établissement des référentiels ex ante par secteur ou sous-secteur, le point de départ est la performance moyenne des 10 % d’installations les plus efficaces d’un secteur ou sous-secteur de la Communauté pendant les années 2007-2008. La Commission consulte les parties intéressées, y compris les secteurs et sous-secteurs concernés.
[...] »
7 L’article 11 de la directive 2003/87, intitulé « Mesures nationales d’exécution », énonce :
« 1. Chaque État membre publie et présente à la Commission, au plus tard le 30 septembre 2011, la liste des installations couvertes par la présente directive qui se trouvent sur son territoire, ainsi que les quotas gratuits alloués à chaque installation située sur son territoire, calculés conformément aux règles visées à l’article 10 bis, paragraphe 1, et à l’article 10 quater.
2. Au plus tard le 28 février de chaque année, les autorités compétentes délivrent la quantité de quotas allouée pour l’année concernée, calculée conformément aux articles 10, 10 bis et 10 quater.
3. Les États membres ne peuvent octroyer de quotas à titre gratuit en vertu du paragraphe 2 aux installations dont la Commission a refusé l’inscription sur la liste visée au paragraphe 1. »
8 Par la décision 2011/278/UE, du 27 avril 2011, définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bis de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 130, p. 1), la Commission a déterminé les bases harmonisées sur lesquelles les États membres sont tenus de calculer, pour chaque année, le nombre de quotas d’émission alloués à titre gratuit à chacune des
installations située sur leur territoire.
9 Les considérants 4 et 12 de la décision 2011/278 énoncent :
« (4) Dans la mesure du possible, la Commission a élaboré des référentiels pour les produits, ainsi que pour les produits intermédiaires échangés entre les installations, qui sont issus des activités énumérées à l’annexe I de la directive 2003/87/CE. En principe, il y a lieu de définir un référentiel pour chaque produit. [...]
[...]
(12) Dans les cas où il n’a pas été possible de calculer un référentiel de produit mais où des émissions de gaz à effet de serre pouvant donner lieu à l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit sont générées, il convient que ces quotas soient alloués sur la base d’options de repli génériques. Une hiérarchie de trois options de repli a été établie afin d’optimiser les réductions des émissions de gaz à effet de serre et les économies d’énergie pour certaines parties au moins des procédés de
production concernés. Le référentiel de chaleur est utilisé pour les procédés consommant de la chaleur dans lesquels la chaleur mesurable est transportée au moyen d’un vecteur thermique. Le référentiel de combustibles est utilisé en cas de consommation de chaleur non mesurable. Les valeurs des référentiels de chaleur et de combustibles ont été calculées sur la base des principes de transparence et de simplicité en utilisant le rendement de référence d’un combustible largement disponible qui
peut être considéré comme une solution de deuxième choix en termes d’efficacité sur le plan des émissions de gaz à effet de serre, compte tenu des techniques écoénergétiques. Pour les émissions de procédé, il convient que les quotas d’émission soient alloués sur la base des émissions historiques. Afin de garantir que l’allocation de quotas à titre gratuit pour ces émissions encourage suffisamment les réductions des émissions de gaz à effet de serre et afin d’éviter toute différence de
traitement entre les émissions de procédé pour lesquelles des quotas d’émission sont alloués sur la base des émissions historiques et celles qui sont comprises dans les limites du système d’un référentiel de produit, il convient de multiplier le niveau d’activité historique de chaque installation par un facteur égal à 0,9700 pour déterminer le nombre de quotas d’émission gratuits. »
Le droit allemand
10 En Allemagne, la directive 2003/87 et la décision 2011/278 ont été mises en œuvre, notamment, par le Treibhausgas-Emissionshandelsgesetz (loi sur les échanges de droits d’émission de gaz à effet de serre), du 21 juillet 2011 (ci-après le « TEHG »).
11 L’article 9, paragraphe 5, du TEHG prévoit ce qui suit :
« Si l’allocation de quotas opérée sur la base de l’article 10 entraîne des difficultés excessives pour l’exploitant de l’installation et pour une entreprise liée qui, pour des raisons tenant au droit commercial et au droit des sociétés, doit répondre en propre des risques économiques dudit exploitant, l’autorité compétente alloue, sur demande de l’exploitant, des quotas supplémentaires dans la quantité nécessaire pour une juste compensation, à condition que la Commission européenne ne refuse pas
cette allocation sur la base de l’article 11, paragraphe 3, de la directive [2003/87]. »
Les antécédents du litige
12 À la date de la décision litigieuse, DK Recycling exploitait sur le territoire allemand une installation de recyclage de résidus de l’industrie de l’acier contenant du fer et du zinc ainsi qu’une station énergétique, toutes deux soumises au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre établi par la directive 2003/87.
13 Sur le fondement de l’article 9, paragraphe 5, du TEHG, cette société a obtenu des autorités allemandes l’inscription de ces installations sur la liste visée à l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2003/87.
14 Par la décision litigieuse, la Commission n’a pas retenu cette inscription ni, par conséquent, l’allocation de quotas gratuits correspondante.
15 Ce refus a été motivé, en substance, par les considérations suivantes.
16 Premièrement, la décision 2011/278 n’aurait pas prévu l’allocation de quotas à laquelle la République fédérale d’Allemagne a souhaité procéder sur la base de l’article 9, paragraphe 5, du TEHG.
17 Deuxièmement, la République fédérale d’Allemagne n’aurait pas démontré que l’allocation des quotas sur la base des règles fixées par la décision 2011/278 était manifestement inappropriée, eu égard à l’objectif d’harmonisation totale des allocations visé par cette décision.
18 Troisièmement, le fait d’allouer davantage de quotas à titre gratuit à certaines installations aurait faussé ou risqué de fausser la concurrence, et exercé des effets transfrontières dans la mesure où tous les secteurs couverts par la directive 2003/87 participeraient aux échanges à l’échelle de l’Union.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 novembre 2013, DK Recycling a demandé l’annulation de la décision litigieuse.
20 À l’appui de son recours, DK Recycling a soulevé quatre moyens tirés, premièrement, d’une méconnaissance de la décision 2011/278, deuxièmement, d’une violation des droits fondamentaux et du principe de proportionnalité, troisièmement, d’une violation de l’obligation de motivation et, quatrièmement, d’une violation du droit d’être entendu. Après avoir écarté l’exception d’irrecevabilité opposée par la Commission, le Tribunal a, par l’arrêt attaqué, écarté les premier, deuxième et quatrième moyens,
mais accueilli le troisième.
21 Le Tribunal en a conclu que la décision litigieuse devait être annulée, mais en tant seulement qu’elle ne retient pas l’allocation proposée par la République fédérale d’Allemagne de quotas d’émission à titre gratuit pour une sous-installation avec émissions de procédé pour la production de zinc dans le haut fourneau et les procédés connexes.
22 En revanche, le Tribunal a rejeté le surplus des conclusions de la requête de DK Recycling, concernant le refus de prendre en compte un cas de « difficultés excessives » dans l’allocation des quotas gratuits.
23 Le Tribunal a, pour ce faire, jugé notamment, au terme d’un examen de la proportionnalité de la décision 2011/278, que celle-ci, en ce qu’elle ne permet pas d’allouer des quotas gratuits dans les cas de « difficultés excessives », ne méconnaissait pas les droits fondamentaux de DK Recycling et le principe de proportionnalité.
Les conclusions des parties devant la Cour
24 La requérante demande à la Cour :
— d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il rejette le surplus de ses conclusions ;
— jugeant l’affaire au fond, d’annuler la décision litigieuse dans son intégralité ;
— à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;
— de condamner la Commission aux dépens.
25 La Commission demande à la Cour :
— de rejeter le pourvoi dans son intégralité ;
— de condamner DK Recycling aux dépens.
Sur la demande tendant à l’ouverture de la phase orale de la procédure
26 Par lettre déposée au greffe de la Cour le 23 mars 2016, DK Recycling a demandé que soit ordonnée la réouverture de la procédure orale, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, cette dernière invoque la nécessité de prendre position sur les conclusions présentées par M. l’avocat général et notamment la constatation de ce dernier selon laquelle les moyens du pourvoi sont inopérants.
27 Il convient de rappeler que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité, pour les parties, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 4 septembre 2014, Vnuk, C‑162/13, EU:C:2014:2146, point 30 et jurisprudence citée).
28 Cela étant, la Cour peut, en vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour.
29 Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la Cour, l’avocat général entendu, considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer et que l’affaire ne doit pas être examinée au regard d’un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur sa décision ou d’un argument qui n’a pas été débattu devant elle.
30 Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.
Sur le pourvoi
Observations liminaires
31 Sans demander expressément une substitution de motifs de l’arrêt attaqué, la Commission soutient que, même s’il est possible d’écarter individuellement chaque moyen du pourvoi, celui-ci doit, à titre principal, être rejeté pour un motif selon elle « plus fondamental ».
32 Elle expose, à cet égard, que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, au point 50 de l’arrêt attaqué, que la directive 2003/87 l’habilitait à prévoir, dans la décision 2011/278, une attribution de quotas à titre gratuit dans les cas où l’application des modalités harmonisées de cette décision entraînerait pour les exploitants des « difficultés excessives ».
33 La Commission ne demandant pas pour autant – et ne pouvant d’ailleurs pas demander – l’annulation de l’arrêt attaqué, il convient de regarder son argumentation comme tendant à ce que la Cour procède à une substitution de motifs.
34 En effet, ainsi que le fait valoir la Commission, s’il s’avérait que, comme elle le soutient, la directive 2003/87 ne lui aurait pas permis l’allocation de quotas gratuits supplémentaires en cas de « difficultés excessives », tout moyen qu’aurait pu soulever DK Recycling dans le cadre du présent pourvoi serait inopérant.
35 Il convient, dès lors, d’examiner cette argumentation de la Commission préalablement aux moyens du pourvoi.
Sur la demande de substitution de motifs
Argumentation des parties
36 La Commission soutient que l’article 10 bis, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de la directive 2003/87 ne lui conférait aucun pouvoir d’introduire, dans la décision 2011/278, une disposition permettant l’allocation de quotas gratuits aux entreprises qui connaîtraient des « difficultés excessives ». À cet égard, la Commission conteste l’interprétation du Tribunal, énoncée au point 50 de l’arrêt attaqué, selon laquelle une violation des droits fondamentaux et du principe de
proportionnalité par cette décision ne pouvait être d’emblée exclue, dans la mesure où le pouvoir d’appréciation dont disposait la Commission en vertu de la directive 2003/87 lui aurait permis de prévoir l’allocation de quotas à titre gratuit dans les cas de « difficultés excessives ».
37 La Commission estime au contraire que l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87 ne lui permettait pas de déroger au principe en vertu duquel devaient être adoptées, en matière d’allocation de quotas à titre gratuit, des mesures d’exécution pleinement harmonisées à l’échelle de l’Union, l’objectif visé par le législateur étant, comme l’indiquent d’autres dispositions de cette directive ainsi que le considérant 23 de la directive 2009/29, de réduire au minimum les distorsions de
concurrence dans l’Union et d’éviter que l’accroissement des émissions ne soit encouragé. Or, des règles qui permettraient d’allouer des quotas supplémentaires à une installation qui serait en tous points comparable, du point de vue de ses produits, à une autre installation et qui ne s’en distinguerait que du seul fait que l’application du système d’échange de quotas lui occasionnerait des « difficultés excessives » en raison de l’absence de capacité financière, iraient à l’encontre de ces
objectifs et ne sauraient donc être considérées comme des mesures pleinement harmonisées à l’échelle communautaire.
38 En outre, l’exigence de règles pleinement harmonisées à l’échelle communautaire relèverait des éléments essentiels de la directive 2003/87, que la Commission, aux termes de l’article 10 bis, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette dernière, ne saurait modifier.
39 Enfin, la Commission considère que l’expression « dans la mesure du possible », utilisée à l’article 10 bis, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 2003/87, ne lui conférerait de latitude qu’en ce qui concerne l’approche réglementaire à adopter pour chaque secteur ou sous-secteur, et aucunement pour une entreprise déterminée.
40 Dans son mémoire en réplique, DK Recycling conteste l’argumentation de la Commission et précise que, si la Cour décidait de la retenir, elle exciperait de l’incompatibilité de la directive 2003/87 avec la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
41 Dans son mémoire en duplique, la Commission estime que cette exception d’illégalité, à titre principal, n’est pas recevable et, à titre subsidiaire, n’est pas fondée, eu égard à la conformité de la directive 2003/87 aux droits fondamentaux et au principe de proportionnalité.
Appréciation de la Cour
– Sur la recevabilité de la demande de substitution de motifs
42 Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une demande de substitution de motifs soit recevable, elle suppose l’existence d’un intérêt à agir, en ce sens qu’elle doit être susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a présentée. Tel peut être le cas lorsque la demande de substitution de motifs constitue une défense contre un moyen soulevé par la partie requérante (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a.,
C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 23 ; du 21 décembre 2011, Iride/Commission, C‑329/09 P, EU:C:2011:859, points 48 à 51, ainsi que du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 42).
43 En l’espèce, la demande de substitution de motifs vise à faire constater par la Cour que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87 habilitait la Commission à introduire, dans la décision 2011/278, une disposition relative aux cas présentant des « difficultés excessives ». Or, si la Cour devait faire droit à une telle demande, les moyens par lesquels DK Recycling reproche à la Commission de ne pas avoir adopté une telle
disposition, et au Tribunal de ne pas avoir conclu de ce fait à l’annulation de cette décision, deviendraient inopérants.
44 Il s’ensuit que la demande de substitution de motifs, qui est susceptible d’avoir une incidence sur plusieurs des arguments soulevés dans le pourvoi, est recevable.
– Sur le bien-fondé de la demande de substitution de motifs
45 Il convient de déterminer si le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, juger que la Commission était compétente pour introduire, dans la décision 2011/278, une disposition permettant l’attribution de quotas gratuits supplémentaires à certaines entreprises pour lesquelles l’attribution des quotas selon les règles sectorielles prévues par cette décision entraînerait des « difficultés excessives ».
46 Il importe à cet égard de rappeler que le considérant 45 de la directive 2009/29 mentionne la nécessité « d’habiliter la Commission à arrêter des mesures concernant l’harmonisation des règles relatives à [...] l’allocation transitoire de quotas pour l’ensemble de la Communauté ». L’article 10 bis, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2003/87, précise que ces mesures d’exécution « visent à modifier des éléments non essentiels » de cette dernière.
47 Il y a lieu de constater que la Cour a déjà jugé que les dispositions dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union ne sauraient faire l’objet d’une délégation de sa part et que, par suite, les mesures d’exécution adoptées par la Commission ne sauraient ni modifier des éléments essentiels d’une réglementation de base ni compléter celle-ci par de nouveaux éléments essentiels (arrêt du 5 septembre 2012, Parlement/Conseil,
C‑355/10, EU:C:2012:516, points 65 et 66).
48 L’identification des éléments d’une matière qui doivent être qualifiés d’essentiels doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et impose de prendre en compte les caractéristiques et les particularités du domaine concerné (arrêt du 10 septembre 2015, Parlement/Conseil, C‑363/14, EU:C:2015:579, point 47).
49 En ce qui concerne les éléments de la directive 2003/87 devant être qualifiés d’essentiels au sens des dispositions et de la jurisprudence citées aux points 46 à 48 du présent arrêt, il convient de souligner que, si l’objectif principal de cette directive est de réduire de manière substantielle les émissions de gaz à effet de serre, cet objectif doit être atteint dans le respect d’une série de sous-objectifs. Ainsi que l’exposent les considérants 5 et 7 de ladite directive, ces sous-objectifs
sont, notamment, la préservation du développement économique et de l’emploi ainsi que celle de l’intégrité du marché intérieur et des conditions de concurrence (arrêts du 29 mars 2012, Commission/Pologne, C‑504/09 P, EU:C:2012:178, point 77, et Commission/Estonie, C‑505/09 P, EU:C:2012:179, point 79, ainsi que du 17 octobre 2013, Iberdrola e.a., C‑566/11, C‑567/11, C‑580/11, C‑591/11, C‑620/11 et C‑640/11, EU:C:2013:660, point 43).
50 La mention réitérée du sous-objectif relatif à la préservation des conditions de concurrence dans le marché intérieur, non seulement aux considérants 5 et 7 de la directive 2003/87, mais aussi aux considérants 8 et 15 de la directive 2009/29, atteste du caractère essentiel de ce sous‑objectif dans le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
51 En ce qui concerne plus spécifiquement les règles transitoires relatives à l’allocation de quotas à titre gratuit, il convient de relever que le considérant 23 de la directive 2009/29 prévoit également l’exigence de réduire au minimum les distorsions de concurrence dans la Communauté. À cette fin, il est précisé que l’allocation transitoire de quotas gratuits doit être réalisée suivant des règles harmonisées à l’échelle de la Communauté.
52 Ainsi, à l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87, le législateur a, d’une part, insisté sur l’impératif d’harmonisation complète en prévoyant que « la Commission arrête des mesures d’exécution pleinement harmonisées à l’échelle communautaire relatives à l’allocation harmonisée des quotas », d’autre part, indiqué à la Commission selon quels critères l’harmonisation devait être entreprise, à savoir, en substance, sur la base de référentiels par secteurs et sous‑secteurs.
53 En prévoyant une telle méthode d’allocation des quotas gratuits, pleinement harmonisée sur une base sectorielle, le législateur a concrétisé l’exigence essentielle de réduire au minimum les distorsions de concurrence dans le marché intérieur.
54 Dès lors, la Commission ne saurait, sans aller à l’encontre de cette exigence et, partant, sans modifier un élément essentiel de la directive 2003/87, prévoir des règles d’allocation de quotas à titre gratuit qui ne seraient pas pleinement harmonisées et sectorielles.
55 Or, il n’est pas douteux que l’introduction par la Commission, dans la décision 2011/278, d’une disposition permettant l’attribution de quotas gratuits à certaines entreprises se trouvant confrontées à des « difficultés excessives » à la suite de la mise en œuvre des critères sectoriels prévus par cette décision serait allée à l’encontre du principe d’une allocation harmonisée et sectorielle des quotas gratuits, puisqu’elle aurait nécessairement impliqué une approche au cas par cas fondée sur la
survenance de circonstances particulières et individuelles, propres à chaque exploitant concerné par de telles « difficultés excessives ». Partant, une telle disposition aurait été de nature à modifier un élément essentiel de la directive 2003/87, remettant ainsi en cause le système qu’elle établit.
56 Dans ces conditions, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 50 de l’arrêt attaqué, que la Commission aurait été habilitée, en vertu de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87, à introduire une telle disposition.
57 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les termes « dans la mesure du possible » et « en principe » employés à l’article 10 bis, paragraphe 1, troisième et quatrième alinéas, de la directive 2003/87. Si ces termes confèrent une certaine marge d’appréciation à la Commission pour déterminer les référentiels ex ante dans les cas où il n’est pas possible d’avoir recours à un référentiel calculé à partir des produits, ils n’ont pas pour objet d’ouvrir à la Commission la possibilité de
déroger au principe d’une allocation harmonisée et sectorielle des quotas. Du reste, une analyse contextuelle de ces termes permet de corroborer, s’il en était besoin, l’interprétation selon laquelle l’établissement des référentiels ex ante doit se faire « par secteur et sous-secteur », puisque tels sont les mots employés par l’article 10 bis, paragraphe 2, de la directive 2003/87.
58 C’est donc à tort que le Tribunal a rejeté le recours de DK Recycling en partant de la prémisse selon laquelle la Commission aurait pu légalement adopter une disposition prévoyant l’allocation de quotas à titre gratuit dans les cas de « difficultés excessives », au lieu de se borner à relever que la Commission était, en tout état de cause, incompétente pour adopter une telle disposition.
59 Par suite, la demande de substitution de motifs doit être accueillie.
Sur le bien-fondé du pourvoi
60 Il résulte de ce qui précède que les moyens par lesquels DK Recycling reproche au Tribunal de ne pas avoir censuré l’absence, dans la décision 2011/278, de disposition prévoyant l’allocation à titre gratuit de quotas supplémentaires dans les cas de « difficultés excessives » sont inopérants et doivent être écartés.
61 Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation de DK Recycling concernant l’illégalité de la directive 2003/87 en ce qu’elle n’a pas prévu une telle disposition, à supposer même que DK Recycling ait, comme elle le prétend, excipé de l’illégalité de cette directive devant le Tribunal, il ressort des pièces du dossier de la procédure écrite devant la Cour qu’elle n’a produit pour la première fois ce moyen dans le cadre du pourvoi que dans son mémoire en réplique, et non dans sa requête introductive.
62 Or, il résulte de l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi par l’article 190 de ce même règlement, que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
63 Une telle exception ne saurait être appliquée au moyen présenté par DK Recycling dans son mémoire en réplique en réaction à la remarque par laquelle la Commission, dans son mémoire en défense, s’est bornée à observer, sans apporter d’élément de droit ou de fait nouveau, que la légalité de la directive 2003/87 n’était pas mise en cause dans la requête en pourvoi.
64 Le moyen tiré de l’illégalité de la directive 2003/87 doit donc être jugé irrecevable.
65 Par suite, il y a lieu de rejeter le pourvoi.
Sur les dépens
66 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
67 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
68 La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) DK Recycling und Roheisen GmbH est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.