ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
14 juin 2016 ( *1 )
«Manquement d’État — Coordination des systèmes de sécurité sociale — Règlement (CE) no 883/2004 — Article 4 — Égalité de traitement en matière d’accès aux prestations de sécurité sociale — Droit de séjour — Directive 2004/38/CE — Législation nationale refusant l’octroi de certaines allocations familiales ou d’un crédit d’impôt pour enfant aux ressortissants des autres États membres n’ayant pas un droit de séjour légal»
Dans l’affaire C‑308/14,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 27 juin 2014,
Commission européenne, représentée par MM. D. Martin et M. Wilderspin, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. M. Holt et Mme J. Beeko, en qualité d’agents, assistés de Me J. Coppel, QC,
partie défenderesse,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. F. Biltgen, E. Levits, Mme M. Berger (rapporteur) et M. S. Rodin, juges,
avocat général : M. P. Cruz Villalón,
greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juin 2015,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 octobre 2015,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en exigeant des demandeurs d’allocations familiales ou d’un crédit d’impôt pour enfant qu’ils aient le droit de séjourner au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166,
p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 883/2004
2 L’article 1er, sous j) et z), du règlement no 883/2004 contient les définitions suivantes :
« Aux fins du présent règlement :
[...]
j) le terme “résidence” désigne le lieu où une personne réside habituellement ;
[...]
z) le terme “prestations familiales” désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’annexe I. »
3 L’article 3, paragraphe 1, sous j), de ce règlement prévoit :
« Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :
[...]
j) les prestations familiales. »
4 L’article 4 dudit règlement, intitulé « Égalité de traitement », dispose :
« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci. »
5 Aux termes de l’article 11, paragraphes 1 et 3, du même règlement :
« 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.
[...]
3. Sous réserve des articles 12 à 16 :
[...]
e) les personnes autres que celles visées aux points a) à d) sont soumises à la législation de l’État membre de résidence, sans préjudice d’autres dispositions du présent règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres États membres. »
6 L’article 67 du règlement no 883/2004 dispose :
«Une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier État membre. [...] »
Le règlement (CE) no 987/2009
7 Le règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1) prévoit, à son article 11, intitulé « Éléments pour la détermination de la résidence » :
« 1. En cas de divergence de vues entre les institutions de deux États membres ou plus au sujet de la détermination de la résidence d’une personne à laquelle le règlement de base s’applique, ces institutions établissent d’un commun accord le centre d’intérêt de la personne concernée en procédant à une évaluation globale de toutes les informations disponibles concernant les faits pertinents, qui peuvent inclure, le cas échéant :
a) la durée et la continuité de la présence sur le territoire des États membres concernés ;
b) la situation de l’intéressé, y compris :
i) la nature et les spécificités de toute activité exercée, notamment le lieu habituel de son exercice, son caractère stable ou la durée de tout contrat d’emploi ;
ii) sa situation familiale et ses liens de famille ;
iii) l’exercice d’activités non lucratives ;
iv) lorsqu’il s’agit d’étudiants, la source de leurs revenus ;
v) sa situation en matière de logement, notamment le caractère permanent de celui-ci ;
vi) l’État membre dans lequel la personne est censée résider aux fins de l’impôt.
2. Lorsque la prise en compte des différents critères fondés sur les faits pertinents tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 1 ne permet pas aux institutions concernées de s’accorder, la volonté de la personne en cause, telle qu’elle ressort de ces faits et circonstances, notamment les raisons qui l’ont amenée à se déplacer, est considérée comme déterminante pour établir le lieu de résidence effective de cette personne. »
La directive 2004/38/CE
8 La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77), dispose, à son article 7, intitulé « Droit de séjour de plus de trois
mois » :
«1. Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois :
a) s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil ; ou
b) s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil ; ou,
c) — s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et
— s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour ; ou
d) si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).
[...]
3. Aux fins du paragraphe 1, point a), le citoyen de l’Union qui n’exerce plus d’activité salariée ou non salariée conserve la qualité de travailleur salarié ou de non salarié dans les cas suivants :
a) s’il a été frappé par une incapacité de travail temporaire résultant d’une maladie ou d’un accident ;
b) s’il se trouve en chômage involontaire dûment constaté après avoir été employé pendant plus d’un an et s’est fait enregistrer en qualité de demandeur d’emploi auprès du service de l’emploi compétent ;
c) s’il se trouve en chômage involontaire dûment constaté à la fin de son contrat de travail à durée déterminée inférieure à un an ou après avoir été involontairement au chômage pendant les douze premiers mois et s’est fait enregistrer en qualité de demandeur d’emploi auprès du service de l’emploi compétent ; dans ce cas, il conserve le statut de travailleur pendant au moins six mois ;
d) s’il entreprend une formation professionnelle. À moins que l’intéressé ne se trouve en situation de chômage involontaire, le maintien de la qualité de travailleur suppose qu’il existe une relation entre la formation et l’activité professionnelle antérieure.
[...] »
9 En vertu de l’article 14, paragraphes 1 à 3, de cette directive :
« 1. Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.
2. Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 7, 12 et 13 tant qu’ils répondent aux conditions énoncées dans ces articles.
Dans certains cas spécifiques lorsqu’il est permis de douter qu’un citoyen de l’Union ou les membres de sa famille remplissent les conditions énoncées aux articles 7, 12 et 13, les États membres peuvent vérifier si c’est effectivement le cas. Cette vérification n’est pas systématique.
3. Le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement. »
10 Selon l’article 15, paragraphe 1, de ladite directive :
« Les procédures prévues aux articles 30 et 31 s’appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. »
11 L’article 24 de la même directive, intitulé «Égalité de traitement», dispose :
« 1. Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de
séjour permanent.
2. Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que
les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille. »
Le droit du Royaume-Uni
La réglementation relative aux allocations familiales
12 L’article 141 du Social Security Contributions and Benefits Act 1992 (loi de 1992 relative aux cotisations et aux prestations de sécurité sociale, ci-après la « loi de 1992 »), prévoit :
« Toute personne ayant à sa charge un enfant ou plus ou un jeune susceptible d’être pris en considération au cours de n’importe quelle semaine a le droit, conformément aux dispositions du présent titre, à des allocations […] correspondant à ladite semaine, pour le ou les enfants à sa charge ou les jeunes susceptibles d’être pris en considération. »
13 Les allocations visées à l’article 141 de la loi de 1992 (ci-après les « allocations familiales ») sont une prestation destinée, notamment, à compenser en partie les frais supportés par une personne ayant un ou plusieurs enfants à sa charge. Elles peuvent être versées pour chaque enfant, le montant versé pour le premier enfant étant supérieur à celui versé pour les suivants. Ces allocations constituent une prestation universelle non contributive dont les coûts sont financés de manière générale
par l’impôt. Les demandeurs d’allocations familiales disposant de revenus plus élevés sont cependant soumis à un prélèvement fiscal par lequel ils doivent rétrocéder un montant équivalent, au maximum, à la prestation reçue.
14 L’article 146 de la loi de 1992 dispose :
« 1) Aucune prestation hebdomadaire d’allocations familiales ne sera versée pour un enfant ou un jeune susceptible d’être pris en considération à moins que celui-ci ne se trouve en Grande-Bretagne durant la semaine concernée.
2) Nul ne peut prétendre à une prestation hebdomadaire d’allocations familiales à moins de se trouver en Grande-Bretagne durant la semaine concernée.
3) Des circonstances peuvent être déterminées dans lesquelles toute personne doit être traitée aux fins de la sous-section 1) ou 2) comme se trouvant, ou ne se trouvant pas, en Grande-Bretagne. »
15 La règle no 23 du Child Benefit (General) Regulations 2006 (SI 2006/223) [règlement (général) de 2006 en matière d’allocations familiales], prévoit:
« 1) Une personne doit être considérée comme ne se trouvant pas en Grande Bretagne aux fins de l’article 146, paragraphe 2, de la [loi de 1992] si elle ne réside pas de manière habituelle au Royaume‑Uni.
2) Le paragraphe 1 ne s’applique pas à un fonctionnaire de la Couronne en poste à l’étranger ou à son conjoint.
3) Une personne qui se trouve en Grande-Bretagne du fait de son éloignement, de son expulsion ou d’une autre interdiction légale du territoire d’un autre pays que la Grande-Bretagne doit être considérée comme résidant ordinairement au Royaume-Uni.
4) Une personne doit être considérée comme ne se trouvant pas en Grande Bretagne aux fins de l’article 146, paragraphe 2, de la loi de 1992 lorsqu’elle demande à bénéficier d’allocations familiales à compter du 1er mai 2004 et n’a pas le droit de séjourner au Royaume-Uni. »
16 Des dispositions équivalentes existent pour les demandes d’allocations familiales qui sont faites en Irlande du Nord. Il s’agit, d’une part, de l’article 142 du Social Security Contributions and Benefits (Northern Ireland) Act 1992 [loi (Irlande du Nord) de 1992 relative aux cotisations et aux prestations de sécurité sociale], cette disposition exigeant que le demandeur se trouve « en Irlande du Nord » au cours de la semaine en cause, et, d’autre part, de la règle no 27 du règlement (général) de
2006 en matière d’allocations familiales, qui définit des conditions similaires à celles prévues par la règle no 23 de ce règlement en ce qui concerne les demandes faites en Grande-Bretagne.
La réglementation relative au crédit d’impôt
17 Le Tax Credits Act 2002 (loi de 2002 relative au crédit d’impôt) prévoit un régime de crédit d’impôt pour enfant. Ce régime a été introduit, selon les précisions apportées par le Royaume-Uni dans son mémoire en défense, afin de regrouper l’aide aux familles dans le régime fiscal et social au sein d’une prestation sociale unique, ledit régime comprenant plusieurs formes déjà existantes d’aides sous condition de ressources en faveur des enfants. L’objectif poursuivi par l’introduction de cette loi
aurait été de lutter contre la pauvreté touchant les enfants. Le crédit d’impôt pour enfants est versé à la personne ou aux personnes qui sont responsables d’un ou de plusieurs enfants (article 8 de la loi de 2002 sur le crédit d’impôt). Son montant est lié aux ressources des personnes concernées, des prestations échelonnées étant payées en fonction du nombre d’enfants composant la famille et lorsque les revenus de cette dernière dépassent un certain seuil. Ce régime de crédit d’impôt a remplacé
des prestations éparses qui, justifiées par la présence d’enfants à charge, étaient versées aux bénéficiaires de prestations dont l’octroi et le montant étaient conditionnés par les ressources des demandeurs. Le crédit d’impôt pour enfants est une prestation dont le coût est financé de manière générale par l’impôt.
18 L’article 3 de la loi de 2002 sur le crédit d’impôt, intitulé « Demandes », prévoit :
« [...]
3) Une demande de crédit d’impôt peut être soumise
a) conjointement par les membres d’un couple âgés tous deux d’au moins seize ans et se trouvant au Royaume-Uni, ou
b) par une personne qui est âgée d’au moins seize ans et qui se trouve au Royaume-Uni, mais qui n’a pas le droit de soumettre une demande au titre du point a) (conjointement avec une autre).
[...]
7) Des circonstances peuvent être déterminées dans lesquelles une personne doit être traitée aux fins de la présente partie comme se trouvant, ou ne se trouvant pas, au Royaume-Uni. »
19 La règle 3 du Tax Credits (Residence) Regulations 2003 (SI 2003/654) [règlement de 2003 relatif aux crédits d’impôt (résidence)] dispose :
« 1) Une personne doit être considérée comme ne se trouvant pas au Royaume-Uni aux fins de la partie 1 de la loi de 2002 relative au crédit d’impôt si elle ne réside pas ordinairement au Royaume-Uni.
[...]
4) Aux fins du crédit d’impôt pour personnes en activité, une personne doit être considérée comme résidant habituellement au Royaume-Uni si elle y exerce ses droits en tant que travailleur conformément au règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, [du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO 1968, L 257, p. 2)], tel que modifié par la [directive no 2004/38] ou au règlement (CEE) no 1251/70 de la Commission, [du 29 juin 1970, relatif au droit
des travailleurs de demeurer sur le territoire d’un État membre après y avoir occupé un emploi (JO 1970, L 142, p. 24)] ou si elle a le droit de séjourner au Royaume-Uni conformément à la [directive no 2004/38].
5) Une personne doit être considérée comme ne se trouvant pas au Royaume-Uni aux fins de la partie 1 de la loi de 2002 relative au crédit d’impôt
a) si elle soumet une demande de crédit d’impôt pour enfant [...], à compter du 1er mai 2004; et
b) si elle n’a pas le droit de séjourner au Royaume-Uni. »
L’Immigration Act 1971
20 Aux termes de l’article 2, de l’Immigration Act 1971 (loi de 1971 sur l’immigration) :
« Déclaration du droit de résidence au Royaume-Uni
1) En vertu de la présente loi, une personne a le droit de résider au Royaume-Uni
a) s’il s’agit d’un citoyen britannique; ou
b) s’il s’agit d’un citoyen du Commonwealth qui
i) juste avant l’entrée en vigueur du British Nationality Act 1981 [(loi de 1981 relative à la nationalité britannique)], était un citoyen du Commonwealth ayant le droit de résider au Royaume‑Uni en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous d), ou de l’article 2, paragraphe 2, de la présente loi telle qu’en vigueur alors; et
ii) n’a pas cessé entre-temps d’être un citoyen du Commonwealth.
[…] »
La procédure précontentieuse
21 Après avoir reçu de nombreuses plaintes de ressortissants d’autres États membres résidant au Royaume-Uni qui dénonçaient le fait que les autorités britanniques compétentes leur avaient refusé le bénéfice de certaines prestations sociales au motif qu’ils ne jouissaient pas d’un droit de séjour dans cet État membre, la Commission a envoyé à ce dernier, au cours de l’année 2008, une demande de clarification.
22 Le Royaume-Uni a confirmé, par deux lettres datées du 1er octobre 2008 et du 20 janvier 2009, que, conformément à la législation nationale, alors que le droit de séjourner au Royaume-Uni est conféré à tous les ressortissants de cet État membre, il est considéré, dans certaines circonstances, que les ressortissants d’autres États membres n’en jouissent pas. Selon le Royaume-Uni, cette restriction est fondée sur la notion de « droit de séjour », au sens de la directive 2004/38, et sur les
limitations de ce droit établies par ladite directive, en particulier en ce qui concerne l’exigence qu’une personne économiquement non active dispose de ressources financières suffisantes afin de ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.
23 Le 4 juin 2010, la Commission a adressé au Royaume-Uni une lettre de mise en demeure concernant les dispositions de sa législation qui prévoient que, pour être admis au bénéfice de certaines prestations, les demandeurs doivent, à titre de condition préalable pour être considérés comme résidant habituellement au Royaume-Uni, avoir le droit d’y séjourner (ci-après le « critère du droit de séjour »).
24 Par lettre du 30 juillet 2010, le Royaume-Uni a répondu à la lettre de mise en demeure en exposant que son système national n’était pas discriminatoire et que le critère du droit de séjour se justifiait comme mesure proportionnée visant à garantir que les prestations soient versées à des personnes suffisamment intégrées au Royaume-Uni.
25 Le 29 septembre 2011, la Commission a émis un avis motivé auquel le Royaume-Uni a répondu par lettre datée du 29 novembre 2011.
26 N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a introduit le présent recours.
Sur le recours
Sur l’étendue du recours
27 Eu égard à l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565), la Commission a décidé de restreindre son recours aux allocations familiales et au crédit d’impôt pour enfant (ci-après les « prestations sociales en cause »), en excluant les « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif » qui faisaient également l’objet de l’avis motivé et qui, conformément à cet arrêt de la Cour, peuvent être qualifiées d’« assistance sociale », au sens de l’article 7, paragraphe 1,
sous b), de la directive 2004/38.
Sur le fond
Argumentation des parties
28 Le principal grief soulevé par la Commission à l’encontre du Royaume‑Uni réside dans le fait que, en exigeant du demandeur des prestations sociales en cause qu’il satisfasse au critère du droit de séjour pour être traité comme résidant habituellement dans cet État membre, le Royaume-Uni a ajouté une condition qui ne figure pas dans le règlement no 883/2004. Cette condition priverait les personnes qui ne la remplissent pas de la couverture prévue par la législation en matière de sécurité sociale
dans un des États membres, couverture que ledit règlement viserait à assurer.
29 Selon la Commission, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, une personne économiquement non active est, en principe, soumise à la législation de l’État membre de résidence. À cet égard, l’article 1er, sous j), de ce règlement définit la « résidence », aux fins dudit règlement, comme le lieu où une personne réside habituellement, la notion de « résidence habituelle » ayant une signification autonome dans le droit de l’Union.
30 Pour la Commission, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, et notamment au point 29 de l’arrêt du 25 février 1999, Swaddling (C‑90/97, EU:C:1999:96), cette notion désigne le lieu où se trouve le centre habituel des intérêts de la personne concernée. En vue de la détermination de ce centre d’intérêts, il conviendrait de tenir compte, en particulier, de la situation familiale du travailleur, des raisons qui l’ont amené à se déplacer, de la durée et de la continuité de sa résidence,
du fait de disposer, le cas échéant, d’un emploi stable et de l’intention de ce travailleur, telle qu’elle ressort de toutes les circonstances utiles.
31 Plus particulièrement, ce lieu devrait être déterminé en fonction des circonstances factuelles et de la situation des personnes concernées, indépendamment de leur statut juridique dans l’État membre d’accueil et du fait qu’elles bénéficient ou non du droit de séjourner sur son territoire sur la base, par exemple, de la directive 2004/38. En conséquence, le règlement no 883/2004 conférerait une signification spécifique à la notion de « résidence », laquelle serait indépendante du sens qui lui est
attribué dans d’autres actes du droit de l’Union ou dans le droit national et qui n’est pas subordonnée à d’éventuelles conditions légales préalables.
32 La finalité de l’article 11 du règlement no 883/2004 serait non pas d’harmoniser le droit matériel des États membres, mais plutôt de former un système de règles de conflit ayant comme effet de soustraire au législateur national le pouvoir de déterminer l’étendue et les conditions d’application de sa propre législation nationale en la matière. L’objectif poursuivi par ce système serait donc, d’une part, de garantir qu’un seul régime de sécurité sociale soit applicable et, d’autre part, d’empêcher
que les personnes visées par le règlement no 883/2004 soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable.
33 À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que, en imposant une condition au droit à certaines prestations de sécurité sociale qui est automatiquement remplie par ses propres ressortissants, telle que le critère du droit de séjour, le Royaume-Uni a créé une situation de discrimination directe à l’encontre des ressortissants d’autres États membres et a dès lors violé l’article 4 du règlement no 883/2004.
34 Selon la Commission, le Royaume-Uni a, au cours de la procédure précontentieuse, changé de position, en soutenant, dans un premier temps, que le critère du droit de séjour n’était que l’un des éléments à vérifier pour déterminer si une personne a sa résidence habituelle dans cet État membre et, dans un second temps, qu’il s’agissait d’une condition distincte de la résidence habituelle, discriminatoire, mais justifiée.
35 À cet égard, la Commission, s’appuyant sur les conclusions de l’avocat général présentées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a. (C‑73/08, EU:C:2010:181), considère que le critère du droit de séjour constitue une discrimination directe fondée sur la nationalité, étant donné qu’il s’agit d’une condition qui s’applique uniquement aux étrangers, puisque les ressortissants britanniques qui résident au Royaume-Uni la remplissent automatiquement.
36 Par ailleurs, même s’il fallait admettre que le critère du droit de séjour n’induit qu’une discrimination indirecte, comme l’affirme le Royaume-Uni, ce dernier n’a, selon la Commission, fourni aucun argument permettant de considérer que l’inégalité de traitement en cause est appropriée et proportionnée par rapport au but recherché par la législation nationale concernée, qui est de garantir l’existence d’un lien véritable entre le demandeur de la prestation et l’État membre d’accueil.
37 Par ailleurs, la Commission conteste l’argument avancé par le Royaume-Uni selon lequel les personnes économiquement non actives ne devraient pas devenir une charge pour le système de protection sociale de l’État d’accueil, sauf si ces personnes possèdent un certain degré de rattachement suffisant à cet État. La Commission admet qu’un État membre d’accueil veuille s’assurer de l’existence du lien que le demandeur de la prestation entretient avec cet État, mais, dans le cas des prestations de
sécurité sociale, c’est le législateur de l’Union lui-même, au travers du règlement no 883/2004, qui a déterminé les moyens de vérification de l’existence de ce lien – à savoir, en l’espèce, grâce au critère de la résidence habituelle –, sans que les États membres puissent modifier les dispositions dudit règlement ou les assortir d’exigences supplémentaires.
38 Le Royaume-Uni conteste, dans son mémoire en défense, le grief principal soulevé par la Commission en invoquant, notamment, l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565, point 44), dans lequel la Cour, après avoir rejeté des arguments identiques à ceux que la Commission invoque en l’espèce, a jugé que « rien ne s’oppose, en principe, à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les
conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil ».
39 Le Royaume-Uni précise que la Cour a également jugé que l’article 70, paragraphe 4, du règlement no 883/2004, qui prévoit, à l’instar de son article 11, une « règle de conflit » ayant pour but d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales à une même situation et d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application dudit règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable, n’a pas pour objet de
déterminer les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations sociales en cause, à savoir des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, de sorte qu’il appartient en principe à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions. Selon le Royaume-Uni, le même raisonnement s’applique à la règle de conflit prévue à l’article 11 du règlement no 883/2004, laquelle remplit la même fonction que l’article 70, paragraphe 4, dudit règlement, qui vise
spécifiquement les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, aux fins de la détermination de la législation qui s’applique au demandeur.
40 S’agissant du grief subsidiaire invoqué par la Commission, tiré de l’existence d’une discrimination directe et visé au point 33 du présent arrêt, le Royaume-Uni affirme que celui-ci ne figure pas dans l’avis motivé que la Commission lui a envoyé au cours de la procédure précontentieuse et apparaît pour la première fois dans la requête de sorte qu’il devrait être déclaré irrecevable par la Cour.
41 En outre, cet État membre fait valoir que la Cour a déjà jugé à maintes reprises qu’il peut légitimement être exigé de ressortissants de l’Union européenne économiquement non actifs qu’ils fournissent la preuve de ce qu’ils disposent d’un droit de séjour pour pouvoir bénéficier de prestations de sécurité sociale et que le législateur de l’Union, dans la directive 2004/38, autorise expressément les États membres d’accueil à subordonner leur intervention à une telle condition, afin que lesdits
citoyens ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de ces États. Le principe d’égalité de traitement visé à l’article 4 du règlement no 883/2004 devrait être lu au regard de cette exigence.
42 Enfin, le Royaume-Uni observe que la vérification du critère du droit de séjour n’est que l’une des trois conditions cumulatives qui doivent être remplies afin qu’il puisse être établi que le demandeur « se trouve » au Royaume-Uni, au sens de la législation nationale. Les deux autres conditions, à savoir la présence sur le territoire et la résidence habituelle, pourraient ou non être remplies indépendamment de la nationalité du demandeur, de sorte qu’un ressortissant britannique ne remplirait pas
automatiquement la condition tenant au fait de « se trouver » au Royaume-Uni, qui ouvre le droit aux prestations sociales en cause.
43 Certes, le Royaume-Uni reconnaît que ces conditions sont plus facilement remplies par ses propres ressortissants que par ceux d’autres États membres et qu’il s’agit d’une mesure indirectement discriminatoire. Cependant, se fondant sur les considérations de la Cour figurant au point 44 de l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565) et relevant d’un contexte similaire, cet État membre considère que la mesure est objectivement justifiée par la nécessité de protéger les finances
publiques, étant donné que les prestations sociales en cause sont financées non pas par les contributions des bénéficiaires, mais par l’impôt. Par ailleurs, rien n’indique que cette mesure serait disproportionnée pour atteindre l’objectif poursuivi, dans les termes exposés aux points 71 à 78 de cet arrêt de la Cour.
44 La Commission fait valoir, dans son mémoire en réplique, en ce qui concerne le grief principal, que l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565) concernait seulement l’application de la directive 2004/38 aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, qui possèdent à la fois les caractéristiques de sécurité sociale et d’assistance sociale, alors que la présente affaire porte sur deux prestations familiales, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du
règlement no 883/2004, c’est-à-dire de véritables prestations de sécurité sociale, auxquelles la directive 2004/38 ne s’applique pas. À cet égard, la Commission souligne l’existence d’un problème, au point 44 de cet arrêt, de divergence de traduction entre les versions en langues anglaise et allemande, la première utilisant les termes de « social security benefits » (« prestations de sécurité sociale »), tandis que dans la seconde, qui est la version faisant foi, c’est la notion plus large de
« Sozialleistungen » (« prestations sociales ») qui est employée.
45 En outre, la Commission soutient que la législation du Royaume-Uni, au lieu de favoriser la libre circulation des citoyens de l’Union, qui constitue l’objectif sous-jacent poursuivi par la législation de l’Union en matière de coordination des régimes de sécurité sociale, entrave celle-ci, en introduisant un obstacle à cette liberté, qui prend la forme d’une discrimination fondée sur la nationalité. Cela aurait pour conséquence qu’une personne pourrait n’avoir droit aux prestations sociales en
cause ni dans son État d’origine, dans lequel elle n’a plus sa résidence habituelle, ni dans l’État d’accueil, si elle ne jouit pas du droit de séjour dans ce dernier.
46 Enfin, en ce qui concerne le grief invoqué à titre subsidiaire, la Commission conteste l’interprétation du Royaume-Uni de la règle de conflit prévue à l’article 11 du règlement no 883/2004, car il résulterait de l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565) que le principe en vertu duquel les États membres peuvent légitimement imposer des restrictions afin d’éviter qu’un citoyen de l’Union qu’ils accueillent ne devienne une charge déraisonnable pour leur système d’assistance
sociale est limité à l’assistance sociale et ne s’étend pas aux prestations de sécurité sociale.
47 En outre, s’agissant d’une éventuelle justification de la condition liée au critère du droit de séjour, la Commission soutient que le Royaume-Uni n’avance aucun élément quant à la proportionnalité de celle-ci eu égard à l’objectif poursuivi par la législation nationale. Le test du « droit de résidence », à savoir la vérification du critère du droit de séjour, serait un mécanisme automatique qui empêcherait systématiquement et inéluctablement les demandeurs qui ne répondent pas à ce critère de
percevoir des prestations, quelle que soit leur situation personnelle et la mesure dans laquelle ils ont payé des impôts et versé des cotisations de sécurité sociale au Royaume-Uni. Ce mécanisme ne permettrait dès lors pas l’appréciation individuelle complexe que la Cour met à charge des États membres d’accueil aux termes de l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565).
48 Dans son mémoire en duplique, le Royaume-Uni insiste sur le fait que son droit national est applicable en vertu de la règle de conflit prévue par le règlement no 883/2004 et qu’une personne dont la résidence habituelle se trouve sur son territoire peut, malgré tout, ne pas avoir droit aux prestations sociales en cause.
49 S’agissant d’une divergence entre les versions linguistiques de l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565), le Royaume-Uni considère que l’expression « social benefits » est plus large que celle de « social security benefits » et que, si, dans cet arrêt, la Cour a retenu la première expression au lieu de la seconde dans les versions en langues allemande et française, cette circonstance élargit le champ d’application du principe énoncé au point 44 dudit arrêt, qui couvre
également les prestations de sécurité sociale. Selon cet État membre, il ne ressort en aucun cas de cet arrêt que les considérations exposées par la Cour se limiteraient exclusivement aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, ce qui a été, par ailleurs, confirmé par l’arrêt du 11 novembre 2014, Dano (C‑333/13, EU:C:2014:2358).
50 En outre, selon le Royaume-Uni, il est difficile de concevoir que les États membres ne soient pas tenus de verser des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, qui garantissent un revenu minimal de subsistance, aux citoyens de l’Union qui n’ont pas de droit de séjour, alors qu’ils auraient en revanche l’obligation de leur verser des prestations telles que les prestations sociales en cause et qui vont au-delà de la garantie d’un revenu minimal de subsistance, étant donné que
ces dernières prestations, dès lors qu’elles sont financées par l’impôt, peuvent également représenter une charge déraisonnable pour les finances publiques de l’État membre d’accueil, au sens de l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565).
51 Le Royaume-Uni ajoute que les prestations sociales en cause présentent en tout cas des caractéristiques propres à l’assistance sociale, bien qu’il ne s’agisse pas d’une condition requise pour que le principe établi dans l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565), qui concerne les « prestations sociales » en général, soit également applicable aux prestations sociales en cause. Selon cet État membre, la Cour a confirmé, dans l’arrêt du 11 novembre 2014, Dano (C‑333/13,
EU:C:2014:2358), que seuls les citoyens de l’Union économiquement non actifs dont le séjour remplit les conditions qui figurent à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 peuvent, en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales, prétendre à un droit à l’égalité de traitement par rapport aux ressortissants nationaux.
52 Enfin, cet État membre fait valoir que la Commission, en soutenant, pour la première fois dans son mémoire en réplique, que le critère du droit de séjour est « un mécanisme automatique » qui ne permet pas une appréciation des circonstances du cas concret comme l’exige la Cour dans l’arrêt du 19 septembre 2013, Brey (C‑140/12, EU:C:2013:565), soulève un nouveau grief, qui doit, à ce titre, conformément à l’article 127 du règlement de procédure de la Cour, être déclaré irrecevable.
53 À cet égard, le Royaume-Uni fait également valoir que la conception du fonctionnement du critère du droit de séjour, telle que présentée par la Commission dans ce nouveau grief, est erronée. En pratique, le service administratif qui gère les prestations sociales en cause prendrait en compte, parmi d’autres données, les informations fournies par le Department for Work and Pensions (département du travail et des pensions) pour déterminer si une personne a eu recours à l’assistance sociale. Ces
informations permettraient à ce service de déterminer si le demandeur dispose d’un droit de séjour au Royaume-Uni et s’il peut, partant, bénéficier des prestations sociales en cause. Lorsqu’il n’est pas possible de déterminer si ce demandeur dispose ou non de ce droit de séjour, il serait procédé à une évaluation individuelle de sa situation personnelle, y compris en ce qui concerne les cotisations sociales dont il s’est acquitté ainsi que le fait qu’il cherche activement du travail et a une
chance réelle d’être embauché.
Appréciation de la Cour
– Sur la qualification des prestations sociales en cause
54 Afin d’examiner le bien-fondé du présent recours en manquement, il importe de déterminer, à titre liminaire, si les prestations sociales en cause doivent être qualifiées de « prestations d’assistance sociale » ou de « prestations de sécurité sociale ».
55 À cet égard, il convient de rappeler que ce recours en manquement concerne les allocations familiales (child benefit) et le crédit d’impôt pour enfant (child tax credit), à savoir deux prestations en espèces qui ont pour objectif de contribuer à couvrir les charges de famille et qui sont financées non pas par les cotisations des bénéficiaires, mais par la contribution fiscale obligatoire.
56 Aucune de ces prestations n’a été inscrite par le Royaume-Uni à l’annexe X du règlement no 883/2004 et il n’est pas contesté entre les parties qu’il ne s’agit pas de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, au sens de l’article 70 dudit règlement.
57 S’agissant des allocations familiales, il ressort de l’article 141 de la loi de 1992 que toute personne qui a à sa charge au moins un enfant a droit à des allocations hebdomadaires pour chaque enfant, conformément aux dispositions de cette loi.
58 Il est constant que les allocations familiales constituent une prestation sociale destinée, notamment, à compenser en partie les frais que doit supporter une personne ayant un ou plusieurs enfants à sa charge. En principe, il s’agit d’une prestation universelle qui est octroyée à toute personne à sa demande. Toutefois, les demandeurs disposant de revenus élevés doivent rembourser, dans le cadre de leurs obligations fiscales, une somme d’un montant qui équivaut, au maximum, à la prestation perçue.
59 S’agissant du crédit d’impôt pour enfant, il est également constant qu’il s’agit d’une prestation en espèces versée à toute personne ayant un ou plusieurs enfants à charge, dont le montant varie en fonction des revenus familiaux, du nombre d’enfants à charge, ainsi que d’autres facteurs concernant la situation individuelle de la famille concernée. Malgré sa dénomination, le crédit d’impôt pour enfant correspond à une somme que l’administration compétente verse périodiquement aux bénéficiaires et
qui semble être associée à leur qualité de contribuables. Cette prestation a remplacé une série de prestations complémentaires qui étaient versées aux demandeurs de différentes allocations de subsistance, lesquelles étaient liées aux revenus et perçues au titre des enfants à charge, et dont l’objectif d’ensemble était de lutter contre la pauvreté touchant les enfants.
60 Selon la jurisprudence de la Cour, des prestations accordées automatiquement aux familles qui répondent à certains critères objectifs portant notamment sur leur taille, leurs revenus et leurs ressources en capital, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui visent à compenser les charges de famille, doivent être considérées comme des prestations de sécurité sociale (voir en ce sens, notamment, arrêts 16 juillet 1992, Hughes, C‑78/91,
EU:C:1992:331, point 22, et du 10 octobre 1996, Hoever et Zachow, C‑245/94 et C‑312/94, EU:C:1996:379, point 27).
61 L’application des critères visés au point précédent du présent arrêt aux prestations sociales en cause implique que ces dernières doivent être qualifiées de « prestations de sécurité sociale », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), de ce même règlement.
– Sur le grief principal
62 Par son grief principal invoqué à l’appui du présent recours, la Commission reproche au Royaume-Uni de subordonner l’octroi des prestations sociales en cause à la condition que le demandeur réponde, en sus du critère lié au fait qu’il « réside habituellement » sur le territoire de l’État membre d’accueil, prévu à l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous j), de ce même règlement, au critère du droit de séjour. L’examen de ce dernier
critère crée ainsi, selon la Commission, une condition supplémentaire qui n’est pas prévue.
63 À cet égard, il convient de relever que l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, sur lequel s’appuie la Commission, énonce une « règle de conflit » visant à déterminer la législation nationale applicable à la perception des prestations de sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, parmi lesquelles figurent les prestations familiales, auxquelles peuvent prétendre les personnes autres que celles visées aux points a) à d) de l’article 11,
paragraphe 3, dudit règlement, c’est-à-dire, notamment, les personnes économiquement non actives.
64 L’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 poursuit le but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales à une situation déterminée et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application de ce règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable (voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2013, Brey,
C‑140/12, EU:C:2013:565, point 40 et jurisprudence citée).
65 En revanche, en tant que telle, cette disposition n’a pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit aux prestations de sécurité sociale. Il appartient en principe à la législation de chaque État membre de déterminer ces conditions (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 41 ainsi que jurisprudence citée, et du 11 novembre 2014, Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 89).
66 Il ne saurait donc être inféré de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous j), de ce même règlement, que le droit de l’Union s’oppose à une disposition nationale subordonnant le droit à des prestations sociales, telles que les prestations sociales en cause, au fait, pour le demandeur, de disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre concerné.
67 En effet, le règlement no 883/2004 n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et a pour unique objet d’assurer une coordination entre ces derniers afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Il laisse ainsi subsister des régimes distincts engendrant des créances distinctes à l’égard d’institutions distinctes contre lesquelles le prestataire possède des droits directs en vertu soit du seul droit
interne, soit du droit interne complété si nécessaire par le droit de l’Union (arrêt du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 43).
68 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que rien ne s’oppose, en principe, à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 44, et du 11 novembre 2014, Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 83).
69 La règle de conflit prévue à l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 n’est dès lors pas dénaturée, contrairement à ce que fait valoir la Commission, par le critère du droit de séjour, celui-ci faisant partie intégrante des conditions d’octroi des prestations sociales en cause.
70 Cela étant, il y a lieu de relever que l’argument invoqué par la Commission selon lequel une personne qui ne remplit pas les conditions requises pour pouvoir bénéficier des prestations sociales en cause se trouve dans une situation dans laquelle ni le droit du Royaume-Uni ni aucun autre droit ne lui est applicable ne saurait non plus prospérer.
71 En effet, une telle situation n’est pas différente de celle dans laquelle se trouve un demandeur qui ne remplit pas l’une des conditions requises pour pouvoir bénéficier d’une prestation familiale pour une quelconque autre raison et qui, de ce fait, n’aurait effectivement droit à une telle prestation dans aucun État membre. Or, cette circonstance serait due non pas au fait qu’aucun droit ne lui serait applicable, mais au fait que ce demandeur ne remplirait pas les conditions de fond prévues par
l’État membre dont la législation lui est applicable en vertu des règles de conflit.
72 À cet égard, il importe également de rappeler que le Royaume-Uni, dès sa réponse à l’avis motivé, a contesté de manière constante avoir voulu subordonner la vérification du caractère habituel de la résidence du demandeur sur son territoire à la condition notamment qu’il y dispose d’un droit de séjour régulier. En effet, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, il ne ressort d’aucun élément du dossier soumis à la Cour que le Royaume-Uni aurait entendu
lier le critère du droit de séjour au contrôle de la résidence habituelle, au sens de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004. Comme cet État membre l’a fait valoir lors de l’audience, la légalité du séjour du demandeur sur son territoire constitue une condition de fond que les personnes économiquement non actives doivent remplir pour pouvoir bénéficier des prestations sociales en cause.
73 Eu égard aux considérations qui précèdent, dans la mesure où la Commission n’a pas démontré que le critère du droit de séjour introduit par la législation du Royaume-Uni affecte, en soi, la disposition de l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous j), de ce même règlement, il convient de rejeter le grief soulevé par cette institution à titre principal.
– Sur le grief subsidiaire
74 À titre subsidiaire, s’il devait être jugé que la vérification du critère du droit de séjour n’est pas, en tant que telle, incorporée à celle de la résidence habituelle du demandeur des prestations sociales en cause et que le contrôle de ce premier critère est effectué de manière autonome, la Commission soutient que l’introduction du critère du droit de séjour dans la législation nationale induit, inévitablement, une discrimination directe, ou à tout le moins indirecte, prohibée par l’article 4
du règlement no 883/2004.
75 Il convient de rappeler à cet égard que, comme il a été mentionné au point 68 du présent arrêt, rien ne s’oppose, en principe, à ce que l’octroi de prestations sociales à des citoyens de l’Union économiquement non actifs soit subordonné à la condition de fond que ceux-ci répondent aux exigences requises pour disposer d’un droit de séjour légal dans l’État membre d’accueil.
76 Il n’en demeure pas moins qu’un État membre d’accueil qui, aux fins de l’octroi de prestations sociales, telles que les prestations sociales en cause, requiert la régularité du séjour d’un ressortissant d’un autre État membre sur son territoire commet une discrimination indirecte.
77 En effet, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une disposition nationale doit être considérée comme indirectement discriminatoire, lorsqu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les ressortissants d’autres États membres que les ressortissants nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a., C‑73/08, EU:C:2010:181, point 41).
78 Dans le cadre du présent recours, la réglementation nationale impose aux demandeurs des prestations en cause qu’ils disposent d’un droit de séjour au Royaume-Uni. Ainsi, cette réglementation crée une inégalité de traitement entre les ressortissants britanniques et les ressortissants des autres États membres, une telle condition de résidence étant plus aisément remplie par les ressortissants nationaux, qui ont leur résidence habituelle le plus souvent au Royaume-Uni, que par les ressortissants
d’autres États membres, dont la résidence est en revanche située, en règle générale, dans un autre État membre que le Royaume-Uni (voir, par analogie, arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a., C‑73/08, EU:C:2010:181, point 45).
79 Pour être justifiée, une telle discrimination indirecte doit être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne saurait aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir notamment, en ce sens, arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 46).
80 À cet égard, il convient de constater qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la nécessité de protéger les finances de l’État membre d’accueil justifie en principe la possibilité de contrôler le caractère régulier du séjour au moment de l’octroi d’une prestation sociale notamment aux personnes provenant d’autres États membres et économiquement non actives, un tel octroi étant susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être accordée par cet État (voir, en
ce sens, notamment, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 44 ; du 15 mars 2005, Bidar, C‑209/03, EU:C:2005:169, point 56 ; du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 61, et du 11 novembre 2014, Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 63).
81 En ce qui concerne la proportionnalité du critère du droit de séjour, il convient de constater que, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 92 de ses conclusions, la vérification, par les autorités nationales, dans le cadre de l’octroi des prestations sociales en cause, du fait que le demandeur ne se trouve pas irrégulièrement sur le territoire doit être considérée comme un cas de figure de contrôle du caractère régulier du séjour des citoyens de l’Union, conformément à l’article 14,
paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2004/38, et doit par conséquent remplir les exigences de cette dernière.
82 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2004/38, les citoyens de l’Union et les membres de leur famille bénéficient du droit de séjour visé aux articles 7, 12 et 13 de cette directive tant qu’ils répondent aux conditions énoncées par ces articles. Dans certains cas spécifiques, lorsqu’il est permis de douter qu’un citoyen de l’Union ou les membres de sa famille remplissent les conditions énoncées auxdits articles, les États membres peuvent
vérifier si tel est effectivement le cas. Or, l’article 14, paragraphe 2, de la directive 2004/38 prévoit que cette vérification n’est pas systématique.
83 Il ressort des observations formulées par le Royaume-Uni lors de l’audience devant la Cour que, pour chacune des prestations sociales en cause, le demandeur doit indiquer, dans le formulaire de demande, une série de données qui font apparaître l’existence ou non d’un droit de séjour au Royaume-Uni, ces données étant par la suite vérifiées par les autorités compétentes pour l’octroi de la prestation concernée. Ce n’est que dans des cas particuliers qu’il est exigé des demandeurs qu’ils apportent
la preuve qu’ils jouissent effectivement d’un droit de séjour régulier sur le territoire du Royaume-Uni, ainsi qu’ils l’ont déclaré dans le formulaire de demande.
84 Il résulte ainsi des informations dont dispose la Cour que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, le contrôle du respect des conditions fixées par la directive 2004/38 pour l’existence du droit de séjour n’est pas effectué systématiquement et n’est par conséquent pas contraire aux exigences de l’article 14, paragraphe 2, de ladite directive. Ce n’est qu’en cas de doute que les autorités britanniques procèdent aux vérifications nécessaires pour déterminer si le demandeur remplit, ou
non, les conditions prévues par la directive 2004/38, notamment celles visées à son article 7, et, partant, s’il dispose d’un droit de séjour régulier sur le territoire de cet État membre, au sens de cette directive.
85 Dans ce contexte, la Commission, à laquelle incombe d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les preuves nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement (voir, notamment, arrêt 23 décembre 2015, Commission/Grèce, C‑180/14, EU:C:2015:840, point 60 et jurisprudence citée), n’a pas fourni d’éléments démontrant qu’un tel contrôle ne répond pas aux conditions de proportionnalité, qu’il n’est pas propre à garantir la réalisation de l’objectif de
protection des finances publiques et qu’il va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif.
86 Il résulte de ce qui précède que le fait que la législation nationale en cause dans le cadre du présent recours prévoit que, aux fins de l’octroi des prestations sociales en cause, les autorités compétentes du Royaume-Uni requièrent la régularité du séjour sur leur territoire des ressortissants d’autres États membres qui sollicitent le bénéfice de telles prestations ne constitue pas une discrimination prohibée en vertu de l’article 4 du règlement no 883/2004.
87 Par conséquent, le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
88 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume-Uni ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.