ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
9 juin 2016 ( *1 )
«Pourvoi — Ententes — Article 81 CE — Marché espagnol du bitume routier — Répartition du marché et coordination des prix — Durée excessive de la procédure devant le Tribunal de l’Union européenne — Durée excessive de la procédure devant la Commission européenne — Pourvoi sur les dépens»
Dans l’affaire C‑608/13 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 25 novembre 2013,
Compañía Española de Petróleos (CEPSA) SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes O. Armengol i Gasull et J. M. Rodríguez Cárcamo, abogados,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. C. Urraca Caviedes et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents, assistés de Me A. J. Rivas, avocat,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la cinquième chambre, MM. D. Šváby (rapporteur), A. Rosas et C. Vajda, juges,
avocat général : M. N. Jääskinen,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Compañía Española de Petróleos (CEPSA) SA demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 septembre 2013, CEPSA/Commission (T‑497/07, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2013:438), par lequel ce dernier a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2007) 4441 final de la Commission, du 3 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] [affaire COMP/38.710 – Bitume (Espagne)] (ci‑après la « décision litigieuse »), en
tant qu’elle la concerne ainsi que, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.
Le cadre juridique
2 L’article 3 du règlement no 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385), dispose que « les textes adressés par les institutions à un État membre ou à une personne relevant de la juridiction d’un État membre sont rédigés dans la langue de cet État ».
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
3 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 91 ainsi que 107 et 108 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.
4 Le produit concerné par l’infraction est le bitume de pénétration, à savoir un bitume n’ayant fait l’objet d’aucune transformation et qui est utilisé pour la construction et l’entretien des routes.
5 Le marché espagnol du bitume compte, d’une part, trois producteurs, les groupes Repsol, CEPSA-PROAS et BP, et, d’autre part, des importateurs, au nombre desquels figurent les groupes Nynäs et Petrogal.
6 Le groupe CEPSA-PROAS est un groupe international de sociétés du secteur de l’énergie coté en Bourse et présent dans plusieurs pays. Productos Asfálticos (PROAS) SA, filiale à 100 % de CEPSA depuis le 1er mars 1991, commercialise du bitume produit par CEPSA et produit ainsi que commercialise d’autres produits bitumeux.
7 PROAS a réalisé en Espagne, au titre de ses ventes de bitume de pénétration à des tiers, un chiffre d’affaires de 90700000 euros au cours de l’exercice commercial 2001, soit 31,67 % du marché en cause. Le chiffre d’affaires total consolidé de CEPSA-PROAS s’est élevé à 18474000000 euros en 2006.
8 À la suite d’une demande d’immunité présentée le 20 juin 2002 par l’une des sociétés du groupe BP en application de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération de 2002 »), des vérifications ont été effectuées les 1er et 2 octobre 2002 auprès de sociétés des groupes Repsol, CEPSA-PROAS, BP, Nynäs et Petrogal.
9 Le 6 février 2004, la Commission européenne a envoyé aux entreprises concernées une première série de demandes de renseignements en application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 et 82 CE] (JO 1962, 13, p. 204).
10 Par télécopies, respectivement, du 31 mars 2004 et du 5 avril 2004, des sociétés du groupe Repsol ainsi que PROAS ont présenté à la Commission une demande au titre de la communication sur la coopération de 2002, accompagnée d’une déclaration d’entreprise.
11 Après avoir adressé quatre autres demandes de renseignements aux entreprises concernées, la Commission a formellement ouvert une procédure et notifié, du 24 au 28 août 2006, une communication des griefs aux sociétés concernées des groupes BP, Repsol, CEPSA‑PROAS, Nynäs et Petrogal.
12 Préalablement à la notification de la communication des griefs aux sociétés concernées du groupe CEPSA-PROAS, la Commission a demandé à CEPSA, par lettre du 19 juillet 2006, si elle acceptait que la Commission lui adresse tout document officiel, communication des griefs ou décision que celle-ci pourrait adopter à son égard en langue anglaise. Par lettre du 20 juillet 2006, CEPSA a déclaré que la Commission pouvait lui notifier une communication des griefs en langue anglaise.
13 Le 3 octobre 2007, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté que les treize sociétés qui en étaient destinataires avaient participé à un ensemble d’accords de répartition du marché et de coordination des prix du bitume de pénétration routier en Espagne (à l’exception des îles Canaries).
14 La Commission a considéré que chacune des deux restrictions à la concurrence constatées, à savoir les accords horizontaux de partage du marché et la coordination des prix, relevait, par sa nature même, des types d’infractions à l’article 81 CE les plus graves, lesquels sont susceptibles de justifier, selon la jurisprudence, la qualification d’infractions « très graves ».
15 La Commission a fixé le « montant de départ » des amendes à infliger à la somme de 40000000 euros, en prenant en compte la gravité de l’infraction, la valeur du marché en cause, estimée à 286400000 euros pour l’année 2001, dernière année complète d’infraction, et le fait que l’infraction était limitée aux ventes de bitume effectuées dans un seul État membre.
16 La Commission a ensuite classé les sociétés destinataires de la décision litigieuse en différentes catégories, définies en fonction de leur importance relative sur le marché en cause, aux fins de l’application du traitement différencié, de façon à tenir compte de leur capacité économique effective à causer un préjudice grave à la concurrence.
17 Le groupe Repsol et PROAS, dont les parts du marché en cause s’élevaient, respectivement, à 34,04 % et à 31,67 % au titre de l’exercice 2001, ont été classés dans la première catégorie, le groupe BP, avec une part de marché de 15,19 %, dans la deuxième catégorie et les groupes Nynäs et Petrogal, dont les parts de marché variaient entre 4,54 % et 5,24 %, dans la troisième catégorie. Sur cette base, les « montants de base » des amendes à infliger ont été adaptés comme suit :
— première catégorie, pour le groupe Repsol et PROAS : 40000000 euros ;
— deuxième catégorie, pour le groupe BP : 18000000 euros, et
— troisième catégorie, pour les groupes Nynäs et Petrogal : 5500000 euros.
18 Après majoration du « montant de base » des amendes en fonction de la durée de l’infraction, à savoir une période de onze ans et sept mois s’agissant de PROAS (du 1er mars 1991 au 1er octobre 2002), la Commission a considéré que le montant de l’amende à infliger à celle-ci devait être majoré de 30 % au titre des circonstances aggravantes, cette entreprise ayant compté parmi les « moteurs » significatifs de l’entente en cause.
19 La Commission a également décidé que, en application de la communication sur la coopération de 2002, PROAS avait droit à une réduction de 25 % du montant de l’amende qui aurait dû normalement lui être infligée.
20 Sur la base de ces éléments, CEPSA et PROAS se sont vu infliger conjointement et solidairement une amende de 83850000 euros.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
21 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 20 décembre 2007, la requérante a demandé l’annulation de la décision litigieuse en tant que celle-ci la concerne ainsi que, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée. Elle a également demandé que la Commission soit condamnée aux dépens.
22 À l’appui de son recours, la requérante a soulevé sept moyens.
23 Le Tribunal a rejeté chacun de ces moyens et, dès lors, le recours dans son ensemble.
24 À titre reconventionnel, la Commission a demandé au Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de majorer le montant de l’amende imposée à CEPSA, demande à laquelle il a refusé de faire droit.
Les conclusions des parties
25 Par son pourvoi, CEPSA demande à la Cour :
— d’annuler les premier et troisième points du dispositif de l’arrêt attaqué ;
— de statuer définitivement sur le litige, sans renvoyer l’affaire devant le Tribunal, en réduisant le montant de l’amende retenu dans la décision litigieuse à un montant qu’elle estimera correct, et
— de condamner la Commission aux dépens du pourvoi.
26 La Commission demande à la Cour :
— de rejeter le pourvoi et
— de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
27 À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque six moyens.
28 Les deux premiers moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, sont tirés de la violation des formes substantielles et de la dénaturation des faits en ce qui concerne le régime linguistique. Le troisième moyen porte sur la méconnaissance du principe de proportionnalité dans la détermination du montant de l’amende infligée à la requérante. Par ses quatrième et cinquième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, la requérante fait valoir que le Tribunal a méconnu le principe du respect du délai
raisonnable. Le sixième moyen est tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, dans sa version applicable au litige.
Sur les premier et deuxième moyens, tirés de la violation des formes substantielles et de la dénaturation des faits en ce qui concerne le régime linguistique
Argumentation des parties
29 Par son premier moyen, dirigé contre les points 113 à 115 et 119 de l’arrêt attaqué, la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir annulé la décision litigieuse pour violation des formes substantielles, laquelle découlerait de l’envoi par la Commission à CEPSA d’une communication des griefs en langue anglaise, en violation de l’article 3 du règlement no 1, de l’article 3 TUE ainsi que de l’article 41, paragraphe 4, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la
« Charte »), ainsi qu’elle l’aurait fait valoir, notamment, dans le cadre de sa réplique ainsi que lors de l’audience de plaidoiries. À cet égard, la requérante soutient qu’est sans pertinence le fait qu’elle ait accepté librement et volontairement cette violation.
30 La Commission estime que le moyen tiré de la violation des formes substantielles et du règlement no 1 constitue un moyen nouveau, irrecevable au stade du pourvoi. Subsidiairement, elle considère qu’il est non fondé.
31 Par son deuxième moyen, dirigé contre, d’une part, les points 109, 110 et 114 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, le point 115 de cet arrêt, la requérante reproche au Tribunal d’avoir dénaturé les faits en constatant qu’elle avait accepté librement la violation du régime linguistique et qu’il n’a pas été porté atteinte à ses droits de la défense en conséquence de cette violation.
32 À cet égard, celle-ci fait valoir, d’une part, qu’elle a renvoyé, le 20 juillet 2006, le document par lequel elle acceptait de recevoir la communication des griefs en langue anglaise, dans le seul but d’éviter une augmentation de la sanction induite par le fait qu’un envoi de la communication des griefs postérieurement au 1er septembre 2006 aurait conduit la Commission à prononcer à son égard une sanction considérablement plus lourde.
33 D’autre part, elle soutient que le fait que cette communication n’ait pas été rédigée dans la langue requise devait être regardé par le Tribunal non seulement comme une violation du règlement no 1, mais également comme une atteinte à ses droits de la défense, dans la mesure où elle a dû faire traduire ce document avant de pouvoir y répondre et a ainsi été privée de l’exactitude et de l’authenticité attachées à tout original.
34 La Commission considère, pour sa part, que le Tribunal n’a commis aucune dénaturation des faits et que, en tout état de cause, aucune violation des droits de la défense ne peut être établie, dès lors que, en l’absence de l’irrégularité alléguée, la procédure n’aurait pas abouti à un résultat différent.
Appréciation de la Cour
35 La fin de non-recevoir soulevée par la Commission doit être écartée. En effet, une partie est recevable à soulever devant la Cour des moyens visant à critiquer en droit la solution retenue par le Tribunal (voir arrêt du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, non publié, EU:C:2007:730, point 17). Or, aux points 107 à 119 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a explicitement répondu aux griefs de la requérante tirés d’une violation des formes substantielles et du
règlement no 1. Dès lors, la requérante est recevable à soulever des moyens critiquant en droit la partie de l’arrêt attaqué rejetant ces moyens.
36 S’agissant des griefs tirés d’une violation des formes substantielles et du règlement no 1 ainsi que de l’article 3 TUE et de l’article 41, paragraphe 4, de la Charte, il ressort de la jurisprudence de la Cour citée par le Tribunal au point 115 de l’arrêt attaqué que l’utilisation de la langue prévue à l’article 3 du règlement no 1 ne constitue pas une forme substantielle, au sens de l’article 263 TFUE, dont la violation affecte nécessairement la régularité de tout document adressé à une personne
dans une autre langue (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, EU:C:1970:71, points 47 à 52). En effet, selon cette jurisprudence, si une institution adresse à une personne relevant de la juridiction d’un État membre un texte qui n’est pas rédigé dans la langue de cet État, un tel procédé ne vicie la procédure que si des conséquences préjudiciables en résultent pour cette personne dans le cadre de la procédure administrative.
37 Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, ce n’est que si l’utilisation d’une langue autre que celle prévue à l’article 3 du règlement no 1, lors de l’envoi de la communication des griefs, a eu des conséquences préjudiciables pour la requérante que la régularité de cet envoi et, partant, celle de la procédure ainsi engagée peuvent être remises en cause.
38 À ce dernier égard, l’argumentation de la requérante, avancée dans le cadre du deuxième moyen, selon laquelle le Tribunal aurait dénaturé les faits en constatant qu’elle avait librement consenti à recevoir la communication des griefs dans sa version en langue anglaise doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire que la Cour se prononce sur son éventuel bien-fondé. En effet, la dénaturation alléguée en l’espèce ne saurait aboutir à l’annulation de l’arrêt attaqué que dans la mesure où il serait
démontré que le vice du consentement qui en découlerait, le cas échant, avait donné lieu à une violation des droits de la défense de la requérante dans le cadre de la procédure administrative.
39 Or, aux fins d’établir une telle violation, la requérante se prévaut, en substance, des mêmes arguments que ceux qu’elle a déjà présentés devant le Tribunal et qui ont été rejetés au point 113 de l’arrêt attaqué pour des motifs à l’égard desquels la requérante n’invoque aucune dénaturation des faits. Dès lors, ces arguments doivent être rejetés comme étant irrecevables et il s’ensuit que le deuxième moyen ne saurait prospérer en ce qu’il est fondé sur une prétendue dénaturation des faits.
40 Partant, les premier et deuxième moyens du pourvoi doivent être rejetés dans leur ensemble.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation par le Tribunal du principe de proportionnalité
Argumentation des parties
41 Par son troisième moyen, dirigé contre les points 321 à 332 de l’arrêt attaqué, la requérante reproche au Tribunal d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’un défaut de motivation ainsi que d’avoir violé le principe de proportionnalité, tel qu’interprété par la Cour.
42 Le Tribunal aurait dû, à l’instar de la solution qu’il a retenue dans l’arrêt du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T‑77/92, EU:T:1994:85), invoqué par la requérante au soutien de son recours, réduire le montant de l’amende infligée conjointement et solidairement à CEPSA et à PROAS, dans la mesure où la Commission n’avait pas tenu compte de la faible proportion – à savoir 0,77 % – que représentait le chiffre d’affaires du produit concerné par l’infraction par rapport au chiffre d’affaires
global du groupe CEPSA-PROAS, conduisant à ce que le montant final de l’amende imposée à CEPSA représentait plus de 90 % du chiffre d’affaires réalisé par PROAS durant la dernière année complète de l’infraction.
43 Or, le Tribunal aurait refusé de faire application de l’enseignement déduit de cet arrêt en se limitant à constater, d’une part, que le plafond de 10 % du chiffre d’affaires a été correctement appliqué en l’espèce sans procéder à un examen du caractère pertinent ou non du faible chiffre d’affaires du produit affecté par l’infraction et, d’autre part, que ledit arrêt ne concerne pas un groupe de sociétés.
44 Ce faisant, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en confirmant un niveau de sanction non seulement inapproprié, mais également excessif au point d’être disproportionné, au sens du point 126 de l’arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, EU:C:2012:738).
45 La Commission estime que ce moyen est dépourvu de fondement.
Appréciation de la Cour
46 En ce que la requérante fait grief au Tribunal d’avoir insuffisamment motivé le rejet de l’argumentation relative au caractère disproportionné de l’amende infligée au groupe CEPSA-PROAS, il convient de constater que cette allégation procède d’une lecture manifestement erronée de l’arrêt attaqué.
47 En effet, pour écarter le grief tenant au caractère disproportionné de l’amende infligée conjointement et solidairement à CEPSA et à PROAS, le Tribunal a constaté, premièrement, au point 316 de l’arrêt attaqué, que, s’agissant du groupe CEPSA-PROAS, seules les ventes de bitume de pénétration de PROAS avaient été prises en compte. Il a, deuxièmement, relevé, aux points 317 et 318 de cet arrêt, qu’aucun coefficient multiplicateur n’avait été appliqué par la Commission. Il a, troisièmement,
considéré, au point 323 de cet arrêt, que l’arrêt du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T‑77/92, EU:T:1994:85), n’était pas pertinent en l’espèce compte tenu, d’une part, du fait que, dans la décision litigieuse, la Commission a seulement pris en compte le montant des ventes du produit faisant l’objet de l’infraction et, d’autre part, du fait que, dans l’arrêt du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T‑77/92, EU:T:1994:85), il s’agissait d’une société indépendante, de telle sorte que
l’éventuelle prise en considération d’un chiffre d’affaires global du groupe ne se posait pas. Quatrièmement, en réponse à l’argument de CEPSA quant au dépassement du plafond de 10 % du chiffre d’affaires prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 et 82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), il a considéré, au point 324 dudit arrêt, que le fait que le montant de l’amende infligée
au groupe CEPSA-PROAS soit presque égal au chiffre total des ventes de PROAS au cours de la dernière année complète de l’infraction en cause ne permettait pas, à lui seul, de conclure à une méconnaissance du principe de proportionnalité, constatant à cet égard, aux points 327 à 329 du même arrêt, que la Commission avait, à bon droit, considéré que PROAS et CEPSA constituaient une unité économique et que ce plafond devait être calculé sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés
constituant l’entité économique unique agissant en tant qu’entreprise au sens de l’article 81 CE.
48 En ce que la requérante allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant le caractère proportionné du montant de l’amende, il y a lieu de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union. Ainsi, ce n’est
que dans la mesure où la Cour estimerait que le niveau de la sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné, qu’il y aurait lieu de constater une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant d’une amende (arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 205 ainsi que jurisprudence citée).
49 À cet égard, il convient de rappeler, ainsi que l’a fait à bon droit le Tribunal, au point 328 de l’arrêt attaqué, que le plafond prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 doit être calculé sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés constituant l’entité économique unique agissant en tant qu’entreprise au sens de l’article 81 CE, auquel correspond aujourd’hui l’article 101 TFUE (voir arrêts du 8 mai 2013, Eni/Commission, C‑508/11 P, EU:C:2013:289, point 109 ;
du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, EU:C:2013:464, points 172 et 173, ainsi que du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 56). En effet, la proportionnalité d’une sanction doit notamment s’apprécier eu égard à l’objectif de dissuasion que vise son imposition et la prise en compte de ce chiffre cumulé est donc nécessaire aux fins de cette appréciation, afin de prendre en compte la puissance économique de ladite entité (voir, en
ce sens, arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, EU:C:2016:26, points 83 et 84).
50 Or, en faisant essentiellement valoir que le montant de l’amende infligée au groupe CEPSA-PROAS représente plus de 90 % du chiffre d’affaires de PROAS, la requérante n’apporte, au soutien de son allégation, aucun élément de nature à démontrer que le montant de l’amende qui lui a été infligée et qui représente moins de 1 % du chiffre d’affaires du groupe CEPSA-PROAS serait excessif au point d’être disproportionné, au sens de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 48 du présent arrêt.
51 Pour autant que la requérante reproche au Tribunal, en se fondant sur l’arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, EU:C:1983:158), de s’être abstenu de contrôler si l’amende infligée était proportionnée non seulement au chiffre d’affaires global du groupe, mais également à l’ampleur de l’infraction, il suffit de constater que le Tribunal a correctement appliqué cette jurisprudence dès lors qu’il a tenu compte non seulement du chiffre d’affaires global du
groupe mais également des ventes de bitume de pénétration réalisées par les participants à l’entente, y compris celles de PROAS. Par ailleurs, la requérante n’a pas contesté les points 315, 316 et 322 de l’arrêt attaqué, selon lesquels PROAS a participé à l’infraction pendant une période de onze ans et sept mois. Elle n’a pas davantage contesté l’augmentation par la Commission du montant de base de l’amende pour tenir compte de cette longue période de participation à l’infraction.
52 Compte tenu de ce qui précède, le troisième moyen du présent pourvoi doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur les quatrième et cinquième moyens, tirés de la violation du principe du respect du délai raisonnable
Argumentation des parties
53 Par son quatrième moyen, dirigé contre les points 267 à 269 de l’arrêt attaqué, la requérante reproche au Tribunal d’avoir violé l’article 261 TFUE et l’article 31 du règlement no 1/2003, en refusant de statuer sur les conséquences de son propre retard à rendre l’arrêt attaqué. À cet égard, elle fait valoir que la compétence de pleine juridiction dont dispose le Tribunal lui imposait de tenir compte de toutes les circonstances de fait et de droit de l’affaire, et notamment du principe du respect
du délai raisonnable.
54 Le cinquième moyen, tiré également de la violation du principe du respect du délai raisonnable résultant de l’article 41, paragraphe 1, et de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, est divisé en trois branches. En conséquence de cette violation et à titre de réparation, la requérante demande à ce que le montant de l’amende qui lui a été infligée soit réduit de 25 %. À cet égard, elle fait valoir que chaque année de retard dans le traitement de l’affaire devrait entraîner une réduction de
10 % du montant de l’amende infligée et chaque période de plus de six mois et de moins d’un an une réduction de 5 % de ce montant.
55 Par la première branche de ce moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir violé son obligation de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable, compte tenu du délai de cinq ans et neuf mois qui s’est écoulé entre l’introduction par celle-ci de son recours et le prononcé de l’arrêt attaqué, en ce compris une période de quatre ans et deux mois entre la clôture de la procédure écrite et la phase orale de la procédure.
56 Par la deuxième branche dudit moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir violé le principe du respect du délai raisonnable en n’appréciant pas conjointement la durée des procédures administrative et juridictionnelle qui, dans son ensemble, a dépassé onze années. Au soutien de son argumentation, elle renvoie au point 240 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:256).
57 Par la troisième branche du même moyen, dirigée contre les points 245 à 265 de l’arrêt attaqué, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré que la procédure administrative avait été traitée dans un délai raisonnable.
58 Au soutien de cette branche, elle fait valoir que la période de traitement de cinq ans de la présente affaire par la Commission ne saurait être justifiée par la complexité du litige ou le comportement des entreprises poursuivies, qui ont toutes collaboré à la procédure.
59 Elle relève également que, aux points 245 à 250 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a erronément pris en considération, aux fins de l’analyse de la durée de la procédure administrative, le fait que la Commission avait respecté le délai de prescription pour imposer des amendes en matière de concurrence. Elle reproche encore au Tribunal de n’avoir pas tenu compte dans le cadre de son appréciation, aux points 251 à 265 de l’arrêt attaqué, du début de la procédure administrative, à savoir la période
s’étant écoulée entre le mois d’octobre 2002 et le mois de juin 2004, au cours de laquelle la Commission avait pu analyser la demande de clémence du groupe BP et se livrer aux contrôles requis par cette demande.
60 La Commission fait valoir que, s’agissant des allégations de violation du délai raisonnable dans le cadre des procédures tant administrative que juridictionnelle, prises séparément ou conjointement, il revient à la requérante de saisir le Tribunal d’une action en réparation. Elle ajoute que, en tout état de cause, celle-ci n’apporte aucun élément de nature à démontrer que la procédure devant la Commission et/ou le Tribunal a été excessivement longue au regard des circonstances de l’espèce.
Appréciation de la Cour
61 S’agissant de la troisième branche du cinquième moyen, par laquelle la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en considérant que la procédure administrative n’avait pas excédé un délai raisonnable, il convient de rappeler que, si la violation du principe du respect du délai raisonnable est susceptible de justifier l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une procédure administrative fondée sur l’article 101 ou 102 TFUE dès lors qu’elle emporte également une
violation des droits de la défense de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, EU:C:2006:592, points 42 et 43), la violation par la Commission du délai raisonnable d’une telle procédure administrative, à la supposer établie, n’est pas susceptible de conduire à une réduction du montant de l’amende infligée (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission,
C‑414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, point 109).
62 Or, en l’occurrence, ainsi que cela ressort des points 54 ainsi que 57 à 59 du présent arrêt, il est constant que, par ses griefs portant tant sur la prise en considération par le Tribunal du défaut d’écoulement du délai de prescription pour constater l’absence de durée excessive de la procédure administrative que sur le défaut de prise en considération par le Tribunal d’une partie de la procédure administrative litigieuse, la requérante tend uniquement à obtenir la réduction du montant de
l’amende qui lui a été infligée.
63 Sans égard à son bien-fondé, la troisième branche du cinquième moyen doit, en conséquence, être rejetée comme étant inopérante.
64 S’agissant du quatrième moyen ainsi que de la première branche du cinquième moyen du pourvoi, tirée de la violation par le Tribunal du délai raisonnable de jugement, il convient de rappeler que la violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation, résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit, nonobstant la compétence de pleine juridiction reconnue au Tribunal en application de l’article 261 TFUE et
de l’article 31 du règlement no 1/2003, trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif. Ainsi, une demande visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non‑respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable ne peut être soumise directement à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, mais doit être introduite devant le Tribunal lui-même (voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de
España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 66 ; du 9 octobre 2014, ICF/Commission, C‑467/13 P, EU:C:2014:2274, point 57, ainsi que du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, points 17 et 18).
65 Le Tribunal, compétent en vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, saisi d’une demande d’indemnité, est tenu de statuer sur une telle demande dans une formation différente de celle ayant eu à connaître du litige qui a donné lieu à la procédure dont la durée est critiquée (voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 67 ; du 9 octobre 2014, ICF/Commission, C‑467/13 P, EU:C:2014:2274, point 58, ainsi que du
12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 19).
66 Cela étant, dès lors qu’il est manifeste, sans que soit nécessaire la production par les parties d’éléments supplémentaires à cet égard, que le Tribunal a violé de manière suffisamment caractérisée son obligation de juger l’affaire dans un délai raisonnable, la Cour peut le relever (voir, notamment, arrêts du 9 octobre 2014, ICF/Commission, C‑467/13 P, EU:C:2014:2274, point 59, ainsi que du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 20).
67 En l’occurrence, tel est le cas. La durée de la procédure devant le Tribunal, à savoir près de cinq ans et neuf mois, laquelle comporte, en particulier, une période de quatre ans et un mois qui s’est écoulée, ainsi que cela ressort des points 92 à 94 de l’arrêt attaqué, sans aucun acte de procédure, entre la fin de la procédure écrite et l’audience de plaidoiries, ne saurait s’expliquer ni par la nature ou la complexité de l’affaire ni par le contexte de celle-ci.
68 En effet, d’une part, le litige soumis au Tribunal ne présentait pas un degré de complexité particulier. D’autre part, il ne ressort ni de l’arrêt attaqué ni des éléments fournis par les parties que cette période d’inactivité était objectivement justifiée ou encore que la requérante avait contribué à celle-ci.
69 Il résulte toutefois des considérations exposées au point 64 du présent arrêt que le quatrième moyen ainsi que la première branche du cinquième moyen du présent pourvoi doivent être rejetés.
70 S’agissant de la deuxième branche du cinquième moyen, par laquelle la requérante fait grief au Tribunal de n’avoir pas apprécié conjointement la durée des phases administrative et juridictionnelle afin d’apprécier, dans sa globalité, le caractère raisonnable de celles-ci, il doit encore être relevé qu’elle vise à obtenir une réduction du montant de l’amende infligée à la requérante.
71 Or, à supposer même que, contrairement aux constatations du Tribunal dans l’arrêt attaqué, une violation du droit au respect du délai raisonnable puisse être établie en raison de la longue durée de la procédure administrative et juridictionnelle à laquelle CEPSA a été soumise, une telle violation ne saurait, à elle seule, amener le Tribunal, ou la Cour dans le cadre d’un pourvoi, à réduire le montant de l’amende qui a été infligée à cette société au titre de l’infraction en cause (voir, en ce
sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C‑414/12 P, EU:C:2014:301, point 107).
72 Partant, la deuxième branche du cinquième moyen doit être rejetée.
73 En conséquence, les quatrième et cinquième moyens doivent être rejetés dans leur ensemble.
Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dans sa version applicable au litige
74 Par son sixième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a violé l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, dans sa version applicable au litige, en condamnant CEPSA aux dépens alors qu’il aurait dû, compte tenu du fait que les deux parties ont succombé dans leur argumentation, répartir les dépens entre celles-ci.
75 À cet égard, il est de jurisprudence constante que, dans l’hypothèse où tous les autres moyens d’un pourvoi ont été rejetés, les conclusions concernant la prétendue irrégularité de la décision du Tribunal sur les dépens doivent être rejetées comme étant irrecevables, en application de l’article 58, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, aux termes duquel un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens (voir, en ce sens, ordonnance du
13 janvier 1995, Roujansky/Conseil, C‑253/94 P, EU:C:1995:4, points 13 et 14, ainsi que arrêt du 2 octobre 2014, Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, point 151).
76 La requérante ayant succombé en ses cinq premiers moyens du pourvoi, le dernier moyen, relatif à la répartition des dépens, doit, dès lors, être déclaré irrecevable.
77 Partant, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.
Sur les dépens
78 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
79 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
80 La Commission ayant conclu à la condamnation de CEPSA et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Compañía Española de Petróleos (CEPSA) SA est condamnée aux dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.