CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 3 mai 2016 ( 1 )
Affaire C‑554/14
Procédure pénale
contre
Atanas Ognyanov
[demande de décision préjudicielle formée par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie)]
«Renvoi préjudiciel — Coopération policière et judiciaire en matière pénale — Décision-cadre 2008/909/JAI — Article 17 — Droit régissant l’exécution d’une mesure privative de liberté — Règle nationale de l’État d’exécution prévoyant l’octroi d’une remise de peine en raison du travail fourni par la personne condamnée pendant sa détention dans l’État d’émission — Admissibilité — Principe de territorialité de la loi pénale — Principe de l’individualisation de la peine — Objectif de réinsertion sociale
de l’intéressé — Obligation d’interprétation conforme»
I – Introduction
1. Le présent renvoi préjudiciel invite la Cour à se pencher sur un aspect de la coopération policière et judiciaire en matière pénale jusqu’à présent relativement peu développé par la jurisprudence. Il s’agit du droit et des modalités applicables à l’exécution d’une peine privative de liberté lorsqu’une personne condamnée est transférée, sur le fondement de la décision-cadre 2008/909/JAI ( 2 ), de l’État membre de condamnation ( 3 ) vers son État membre d’origine ou de résidence ( 4 ).
2. En particulier, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) s’interroge sur les règles applicables à l’octroi d’une remise de peine.
3. Par un jugement du 28 novembre 2012, M. Atanas Ognyanov, un ressortissant bulgare, a été condamné par les autorités judiciaires danoises à une peine privative de liberté de quinze ans en raison de la commission d’un vol aggravé et d’un meurtre sur le territoire danois. Celui-ci a été placé en détention dans un établissement pénitentiaire danois du 10 janvier 2012 au 1er octobre 2013, date à laquelle il a été transféré aux autorités judiciaires bulgares.
4. M. Ognyanov a travaillé au cours de sa détention au Danemark.
5. Le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) est aujourd’hui tenu de statuer sur des questions relatives aux modalités d’exécution de cette peine, et en particulier sur le reliquat de la peine restant à exécuter. C’est dans ce cadre que la question d’une remise de peine en raison du travail fourni par l’intéressé pendant sa détention au Danemark s’est posée.
6. La législation danoise ne permettant pas d’accorder une telle réduction de peine, la juridiction de renvoi se demande si elle est en droit, conformément à la jurisprudence du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), d’appliquer sa législation nationale plus douce à la période de détention accomplie par M. Ognyanov au Danemark. En effet, en application du Nakazatelen Kodeks (code pénal bulgare) ( 5 ), deux jours de travail sont assimilés à trois jours de privation de
liberté. Ainsi, l’intéressé bénéficierait d’une réduction de peine non pas d’un an, huit mois et vingt jours, mais de deux ans, six mois et vingt-quatre jours, ce qui lui permettrait d’être remis en liberté plus tôt ( 6 ).
7. À cette fin, la juridiction de renvoi se fonde sur les termes de l’article 17 de la décision-cadre.
8. Selon cette disposition, l’exécution d’une condamnation est régie par le droit de l’État d’exécution. Le législateur de l’Union européenne indique que les autorités judiciaires de cet État sont alors seules compétentes pour décider des modalités d’exécution de la peine et pour déterminer les mesures y afférentes, à condition, d’une part, de déduire intégralement la période de privation de liberté déjà subie dans l’État d’émission et, d’autre part, de respecter le devoir d’information visé au
paragraphe 3 de ladite disposition.
9. La juridiction de renvoi interroge donc la Cour sur le point de savoir si, aux termes de l’article 17 de la décision-cadre, elle est en droit de substituer sa législation nationale à la législation danoise, plus stricte, de façon à accorder à l’intéressé une remise de peine en raison du travail qu’il a fourni avant son transfèrement.
10. Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour de dire pour droit que l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre s’oppose à une règle nationale telle que celle en cause au principal, et ce même si cette dernière est plus favorable à la personne condamnée.
11. Notre analyse sera, en particulier, guidée par le respect de deux principes, celui de la territorialité de la loi pénale et celui de l’individualisation de la peine sur lequel repose tout droit de l’exécution des peines. Nous définirons la portée de ces principes et nous expliquerons les raisons pour lesquelles leur respect commande que l’exécution d’une peine privative de liberté, et en particulier l’octroi d’une réduction de peine, soit régie par le droit de l’État membre dans lequel la
personne condamnée est effectivement détenue. Nous insisterons également sur le nécessaire respect de la souveraineté nationale de l’État d’émission et sur ce qu’implique la confiance réciproque que les États membres doivent se porter dans le cadre de la mise en œuvre de la décision-cadre.
12. Si nous reconnaissons que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la législation bulgare semble effectivement plus douce pour l’intéressé, nous conclurons, néanmoins, que, compte tenu des champs de compétence territoriale respectifs, l’État d’exécution ne peut pas légitimement appliquer certaines dispositions de son code pénal à l’exécution de la peine sur le territoire de l’État d’émission. En l’absence d’applicabilité de la législation bulgare, la règle de la rétroactivité
de la loi pénale plus douce contenue à l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 7 ) ne pourra donc trouver à s’appliquer.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La décision-cadre
13. La décision-cadre repose sur le principe de reconnaissance mutuelle ( 8 ) des décisions judiciaires, en vertu duquel les décisions de justice sont exécutées directement dans toute l’Union sans aucune procédure de réception ( 9 ).
14. Conformément à son considérant 9 et à son article 3, paragraphe 1, la décision-cadre tend à assurer la reconnaissance et l’exécution des jugements ( 10 ) prononçant une condamnation ( 11 ) à une peine privative de liberté dans un État membre autre que l’État d’émission, et ce afin de faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée.
15. Pendant nécessaire de la liberté de circulation, le transfèrement de la personne condamnée vers son État membre d’origine ou de résidence doit accroître ses chances de réinsertion sociale en lui donnant la possibilité de conserver ses liens familiaux, linguistiques et culturels.
16. Après avoir acquis la certitude que l’exécution de la condamnation par l’État d’exécution contribuera à atteindre cet objectif, l’État d’émission transmet aux autorités de cet État le jugement de condamnation conformément aux modalités prescrites aux articles 4 et 5 de la décision-cadre.
17. Il joint, à cet égard, un certificat dûment complété et dont le modèle type figure à l’annexe I de la décision-cadre. Ce certificat comprend différentes rubriques permettant à l’État d’émission de donner des informations relatives à l’identité de l’individu poursuivi et de l’autorité ayant prononcé le jugement, à la nature de l’infraction commise ainsi qu’à la nature et à la durée de la condamnation.
18. Sous la rubrique i) de cet annexe, intitulée « Précisions sur le jugement prononçant la condamnation », le point 2, qui concerne les indications relatives à la durée de la condamnation, invite l’autorité compétente de l’État d’émission à compléter les points suivants :
« 2.1. Durée totale de la condamnation (en jours) : [...]
2.2. La période entière de privation de liberté déjà subie dans le cadre de la condamnation prononcée lors du jugement (en jours) :
[...] au [...] (indiquez la date à laquelle le calcul a été effectué : jj‑mm‑aaaa) : [...]
2.3. Nombre de jours à déduire de la longueur totale de la condamnation pour d’autres motifs que celui visé au point 2.2 [par exemple amnistie, pardon ou mesure de clémence déjà accordé(e) à propos de la condamnation] :
[...] au [...] (indiquez la date à laquelle le calcul a été effectué : jj‑mm‑aaaa) : [...]
[...] »
19. L’article 8 de la décision-cadre, intitulé « Reconnaissance du jugement et exécution de la condamnation », dispose, à son paragraphe 1 :
« L’autorité compétente de l’État d’exécution reconnaît le jugement qui lui a été transmis [...] et prend sans délai toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la condamnation, sauf si elle décide de se prévaloir d’un des motifs de non-reconnaissance et de non-exécution prévus à l’article 9. »
20. L’article 17 de la décision-cadre, intitulé « Droit régissant l’exécution », dont l’interprétation est ici demandée, est rédigé comme suit :
« 1. L’exécution d’une condamnation est régie par le droit de l’État d’exécution. Sous réserve des paragraphes 2 et 3, les autorités de l’État d’exécution sont seules compétentes pour décider des modalités d’exécution et déterminer les mesures y afférentes, y compris en ce qui concerne les motifs de libération anticipée ou conditionnelle.
2. L’autorité compétente de l’État d’exécution déduit intégralement la période de privation de liberté déjà subie dans le cadre de la condamnation prononcée lors du jugement de la durée totale de la privation de liberté à exécuter.
3. L’autorité compétente de l’État d’exécution informe l’autorité compétente de l’État d’émission, à la demande de cette dernière, des dispositions applicables en matière de libération anticipée ou conditionnelle. L’État d’émission peut accepter l’application de ces dispositions ou retirer le certificat.
4. Les États membres peuvent prévoir que toute décision relative à la libération anticipée ou conditionnelle peut tenir compte des dispositions de droit interne, communiquées par l’État d’émission, en vertu desquelles la personne peut prétendre à une libération anticipée ou conditionnelle à partir d’une certaine date. »
21. Aux termes de son article 26, paragraphe 1, premier tiret, la décision-cadre remplace, à compter du 5 décembre 2011, la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, signée à Strasbourg le 21 mars 1983 ( 12 ), ainsi que son protocole additionnel du 18 décembre 1997.
22. La décision-cadre devait, en vertu de son article 29, paragraphe 1, être mise en œuvre par les États membres avant le 5 décembre 2011. Le Royaume de Danemark l’a transposée, ce qui n’est pas le cas de la République de Bulgarie.
B – Le droit bulgare
23. L’article 41, paragraphe 3, du NK dispose que le travail accompli par la personne condamnée est pris en compte en vue de la réduction de la durée de la peine, deux jours de travail étant assimilés à trois jours de privation de liberté.
24. L’article 457 du Nakazatelno protsesualen Kodeks (code de procédure pénale bulgare) ( 13 ), intitulé « Résolution par la juridiction des questions liées à l’exécution du jugement », prévoit :
« 1. Une fois que la personne condamnée entre en République de Bulgarie ou qu’il est établi qu’elle se trouve sur son territoire, le procureur général transmet le jugement accepté pour exécution ainsi que les documents qui lui sont annexés au Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia [...]) avec une proposition concernant la résolution des questions liées à son exécution.
2. Le [Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia)] se prononce sur la proposition par ordonnance lors d’une audience à laquelle participe le procureur et au cours de laquelle la personne condamnée est appelée à comparaître.
3. L’ordonnance mentionne le numéro et la date du jugement pris aux fins d’exécution, l’affaire dans laquelle il a été adopté, le texte de loi bulgare prévoyant une responsabilité pour l’infraction pénale commise et la durée de la peine privative de liberté prononcée par la juridiction étrangère et détermine le régime initial de la peine à purger ainsi que le type d’établissement pénitentiaire.
4. Si la durée maximale de privation de liberté prévue par le droit bulgare pour l’infraction pénale commise est inférieure à la durée fixée dans le jugement, le [Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia)] réduit la peine prononcée à cette durée. Si le droit bulgare ne prévoit pas de privation de liberté pour l’infraction pénale commise, [il] fixe une peine qui correspond autant que possible à la condamnation prononcée dans le jugement.
5. La période de détention provisoire et de la peine déjà purgée dans l’État de condamnation est déduite et – si les condamnations sont différentes – prise en compte lors de la détermination de la durée de la peine.
6. Les peines complémentaires prononcées dans le jugement doivent être exécutées si elles sont prévues dans les dispositions correspondantes du droit bulgare et qu’elles n’ont pas été exécutées dans l’État de condamnation.
7. L’ordonnance du juge est susceptible de recours devant le Sofiyski Apelativen sad (Cour d’appel de la ville de Sofia[, Bulgarie]). »
III – Les faits du litige au principal
25. M. Ognyanov, un ressortissant bulgare, a été condamné au Danemark à une peine privative de liberté de quinze ans à la suite de la commission d’un vol aggravé et d’un meurtre sur le territoire danois. Celui-ci a été placé en détention dans un établissement pénitentiaire danois du 10 janvier 2012 au 1er octobre 2013, date à laquelle il a été transféré aux autorités judiciaires bulgares.
26. M. Ognyanov a travaillé au cours de sa détention au Danemark, plus précisément du 23 janvier 2012 au 30 septembre 2013.
27. Les autorités judiciaires danoises se sont fondées sur les dispositions de la décision-cadre afin de procéder au transfèrement de l’intéressé. Elles ont, notamment, demandé à leurs homologues bulgares de les renseigner quant à la peine que ces dernières comptaient faire exécuter et quant aux règles applicables en matière de libération anticipée. À cet égard, elles ont expressément indiqué que la législation danoise ne permet pas d’accorder une réduction de peine à l’intéressé en raison du
travail fourni par celui-ci au cours de sa détention. Il n’est pas exclu, selon nous, que les autorités judiciaires danoises aient tenu compte du travail fourni en détention par M. Ognyanov d’une autre façon.
28. Il ressort de la décision de renvoi que les autorités judiciaires bulgares ont reconnu le jugement rendu par les autorités judiciaires danoises et ont accepté d’exécuter la peine infligée. À cette fin et conformément aux termes de l’article 457 du NPK, le procureur général près le ministère public de la ville de Sofia a saisi la juridiction de renvoi afin qu’elle statue sur les questions liées aux modalités d’exécution de la peine, et en particulier qu’elle détermine la peine restant à exécuter.
29. Dans ce cadre, la juridiction de renvoi se demande si elle est en droit, conformément à la jurisprudence du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), d’accorder à l’intéressé une remise de peine en raison du travail accompli par ce dernier pendant son incarcération au Danemark.
30. En effet, dans un arrêt du 12 novembre 2013, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a considéré que, aux fins de l’application de l’article 457, paragraphe 5, du NPK, le « travail d’intérêt général accompli dans l’État de condamnation par le condamné bulgare transféré doit être pris en compte par le [Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia)] en vue de la réduction de la durée de la peine, sauf si la durée de la peine restant à purger déterminée par l’État d’émission
a été calculée après la prise en compte du travail accompli ».
31. Le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) s’est fondé sur les termes de l’article 9, paragraphe 3, de la convention sur le transfèrement ainsi que sur les précisions contenues dans le rapport explicatif de cette convention.
32. Selon lui, le transfèrement du détenu implique, notamment, que l’État d’exécution se voit accorder une compétence exclusive en ce qui concerne l’exécution de la peine, tant dans le cas de la poursuite de l’exécution que dans celui de la conversion de la condamnation.
33. Il est intéressant de relever la motivation du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) :
« La législation bulgare prévoit la possibilité de réduire la peine privative de liberté sur la base de l’article 41, paragraphe 3, du NK dès lors que le ressortissant bulgare transféré a effectué un travail d’intérêt général pendant qu’il la purgeait. Il ne fait aucun doute que le condamné doit bénéficier d’une remise [de peine] s’il travaille après son transfèrement en Bulgarie. Cette prise en compte s’impose cependant aussi s’il a accompli un travail tel que prévu par la disposition de
l’article 178 de la [zakon za izpalnenie na nakazaniyata i zadarzhanieto pod strazha (loi sur l’application des peines et la détention provisoire)] [ ( 14 )] dans l’État de condamnation, même si une telle prise en compte n’est pas prévue dans sa législation. En effet, l’accomplissement d’un travail est non pas un élément de la peine privative de liberté à proprement parler, mais une conséquence de son exécution. On peut en déduire que la prise en compte du travail accompli en vue d’une réduction
de la durée de la peine conformément à l’article 41, paragraphe 3, du NK n’est pas liée à l’individualisation (détermination) de la peine, mais qu’il s’agit d’un acte lié à son exécution. Cela engage la compétence de l’État d’exécution, dont les règles en matière d’exécution de la peine s’appliquent dans leur intégralité, y compris en ce qui concerne les motifs et les formes de commutation de la peine.
[...] La comptabilisation du travail accompli en vue d’une réduction de la durée de la peine conformément à l’article 41, paragraphe 3, du NK tient compte des effets positifs du travail sur le processus de rééducation et de réinsertion de la personne condamnée. L’inclusion professionnelle de la personne condamnée est une condition préalable importante à sa réinsertion dans la société, sa portée juridique et ses effets étant soumis à une évaluation unique, sans aucune distinction selon que le
travail est accompli à l’étranger ou sur le territoire de la République de Bulgarie. En vertu de la loi – sur la base de l’article 41, paragraphe 3, du NK –, la période pendant laquelle la personne condamnée a effectué des travaux d’intérêt général est considérée comme période d’exécution de la peine privative de liberté, indépendamment du lieu où les travaux ont été effectués. La déduction des jours de travail est un privilège légal qui constitue non pas une révision de la peine privative de
liberté prononcée par l’État de condamnation ni de la “durée” de cette peine, mais une conséquence favorable obligatoirement applicable, fondée sur le fait même que le condamné a effectué des travaux d’intérêt général pendant qu’il purgeait sa peine privative de liberté et pendant sa détention. Il s’agit, par conséquent, d’une commutation de la peine [ ( 15 )] au sens de l’article 12 de la convention sur le transfèrement.
[...]
Eu égard à ce qui précède, afin de trancher la question du transfèrement d’un ressortissant bulgare condamné entre le procureur général de la République de Bulgarie et l’autorité compétente de l’autre État, l’accord auquel sont parvenues ces deux parties doit être accompagné d’informations précises indiquant si la personne condamnée a accompli un travail (ou si elle a participé à des cours et à une formation) au cours de l’exécution d’une peine privative de liberté dans un établissement
pénitentiaire [...] à l’étranger, pendant quelle période, et si la durée de la peine restant à purger déterminée par l’État d’émission a été calculée postérieurement à la prise en compte du travail accompli à l’étranger» ( 16 ).
IV – Les questions préjudicielles
34. C’est dans ces conditions que le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions de la décision-cadre s’opposent-elles à ce que l’État d’exécution réduise, au cours de la procédure de transfèrement, le quantum de la peine privative de liberté infligée par l’État d’émission, sur le fondement du travail fourni pendant que cette peine était purgée dans l’État d’émission, de façon à ce que :
a) la réduction de la peine résulte de l’application, conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la décision-cadre, de la loi de l’État d’exécution à l’exécution de la peine. L’application, à l’exécution de la peine, de la loi de l’État d’exécution dès la procédure de transfèrement, concernant des faits (un travail fourni dans une prison de l’État d’émission) survenus au cours de la période pendant laquelle le condamné se trouvait sous la juridiction de l’État d’émission, est-elle
compatible avec cette disposition ;
b) la réduction de la peine résulte d’une déduction conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la décision-cadre. Une déduction, en application de la loi de l’État d’exécution, en vertu de laquelle il est porté une nouvelle appréciation juridique sur les faits survenus dans l’État d’émission (un travail fourni dans une prison de l’État d’émission), correspondant à une période plus longue que la privation de liberté ordonnée conformément à la loi de ce dernier, est-elle compatible avec
cette disposition ?
2) Si les dispositions susmentionnées de la décision-cadre, ou d’autres dispositions de celle-ci, sont applicables à la réduction de peine en cause, faut-il informer l’État d’émission qui a adressé une demande expresse en ce sens et faut-il mettre un terme à la procédure de transfèrement lorsque celui-ci s’oppose à ladite réduction ? En cas d’obligation d’informer, quelle doit être la nature de l’information : générale et abstraite, au sujet du droit applicable, ou bien au sujet de la réduction
de peine concrète que le tribunal accordera à la personne condamnée ?
3) Si la Cour estime que l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre s’oppose à une réduction de peine par l’État d’exécution sur le fondement du droit interne de ce dernier (en raison du travail fourni dans l’État d’émission), la décision du juge national d’appliquer malgré tout sa loi nationale, en raison du fait qu’elle est plus douce que l’article 17 de la décision-cadre, est-elle compatible avec le droit de l’Union ? »
35. Les gouvernements allemand, espagnol, néerlandais, autrichien et du Royaume-Uni ainsi que la Commission européenne ont formulé des observations.
36. Nous ne pouvons que regretter l’absence des parties au principal et celle du gouvernement bulgare. Ceux-ci n’ont déposé aucune observation écrite et n’étaient pas non plus présents lors de l’audience.
V – Observations liminaires
37. Avant d’aborder l’examen des questions posées par la juridiction de renvoi, deux remarques s’imposent afin de confirmer la compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel sur celles-ci et l’utilité d’interpréter l’article 17 de la décision-cadre.
38. Premièrement, contrairement à ce qui ressort de la décision de renvoi, le transfèrement de l’intéressé s’est opéré sur le fondement non pas des dispositions de la décision-cadre, mais de celles de la convention sur le transfèrement.
39. Cela ressort expressément de la demande de transfèrement de M. Ognyanov émise par le ministère de la Justice danois, le 26 mars 2013, et de l’ensemble des courriers subséquents y afférents, contenus dans le dossier national.
40. Les autorités judiciaires danoises se sont clairement référées aux dispositions de la convention sur le transfèrement en l’absence de transposition de la décision-cadre par la République de Bulgarie.
41. Cet élément entraîne-t-il ipso facto l’incompétence de la Cour ?
42. Nous ne le pensons pas.
43. En effet, nous pensons que c’est en toute connaissance de cause que la juridiction de renvoi a visé, dans ses questions, les dispositions de la décision-cadre. En effet, en vertu de l’article 29, paragraphe 1, de celle-ci, la République de Bulgarie était, en principe, tenue de transposer la décision-cadre au plus tard le 5 décembre 2011. C’est à compter de cette date que la décision-cadre, aux termes de son article 26, paragraphe 1, premier tiret, devait donc remplacer la convention sur le
transfèrement ainsi que son protocole additionnel.
44. La demande de transfèrement de M. Ognyanov ayant été émise le 26 mars 2013 et le transfèrement de celui-ci ayant eu lieu, à la suite de l’accord donné par les autorités judiciaires bulgares, le 1er octobre 2013, les seules dispositions applicables au transfèrement de l’intéressé entre les deux États membres auraient donc dû être, en principe, celles visées par la décision-cadre.
45. La juridiction de renvoi a donc fait le choix de saisir la Cour d’une question d’interprétation des dispositions de la décision-cadre.
46. Rappelons que, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour ( 17 ).
47. La présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée qu’à titre exceptionnel, s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée des dispositions du droit de l’Union visées dans les questions n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour
répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 18 ).
48. Or, aucune de ces circonstances n’est, en l’occurrence, réunie.
49. Par conséquent, nous ne voyons aucun obstacle à ce que la Cour statue dans la présente affaire en interprétant les dispositions de la décision-cadre.
50. Deuxièmement, il faut souligner que l’un des obstacles qui aurait pu se dresser à la mise en œuvre par la juridiction de renvoi de son obligation d’interprétation conforme du droit national – et nous visons ici la jurisprudence adoptée par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) quant à la portée de l’article 41, paragraphe 3, du NK – est aujourd’hui levé.
51. En effet, dans son arrêt du 19 avril 2016, DI ( 19 ), la Cour a jugé que l’exigence d’une interprétation conforme « inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive» ( 20 ).
52. Or, le principe que dégage la Cour s’impose dans la même mesure au regard de la décision-cadre.
53. Nous rappelons, en effet, que, dans son arrêt du 16 juin 2005, Pupino ( 21 ), la Cour a jugé que le caractère contraignant des décisions-cadres, formulé dans des termes identiques à ceux de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, ainsi que le principe de coopération loyale, qui s’impose dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale ( 22 ), entraînent dans le chef des autorités nationales, et en particulier des juridictions nationales, une obligation d’interprétation
conforme du droit national ( 23 ). Rappelons que cette obligation est inhérente au système du traité FUE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies ( 24 ).
54. Par conséquent, une interprétation de l’article 41, paragraphe 3, du NK conforme à l’article 17, paragraphe 1, de la décision-cadre est, à notre sens, parfaitement possible.
55. En outre, la juridiction de renvoi n’est pas limitée, dans cet exercice, par le nécessaire respect des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité. Nous savons que ces principes s’opposent, en vertu d’une jurisprudence constante, à ce que l’« obligation d’interprétation conforme puisse conduire à déterminer ou à aggraver, sur le fondement d’une décision-cadre et indépendamment [de l’existence] d’une loi prise pour la mise en œuvre de celle-ci, la responsabilité pénale de ceux qui
agissent en infraction à ses dispositions» ( 25 ).
56. Or, dans la présente affaire, la disposition qui fait l’objet de la demande de décision préjudicielle porte non pas sur l’étendue de la responsabilité pénale de l’intéressé, mais sur une modalité d’exécution de sa peine, et en particulier sur l’octroi d’une remise de peine.
57. Au vu de ces éléments, rien ne s’opposera, par conséquent et en l’absence de transposition de la décision-cadre en Bulgarie, à ce que la juridiction de renvoi interprète les règles pertinentes du NK dans toute la mesure possible à la lumière du texte et de la finalité de la décision-cadre afin d’atteindre le résultat visé par celle-ci.
VI – Notre analyse
A – Sur la première question
58. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale qui, dans une situation telle que celle en cause au principal, permettrait à l’État d’exécution d’accorder à la personne condamnée une remise de peine en raison du travail qu’elle a accompli pendant sa détention dans l’État d’émission.
59. Conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la décision-cadre, l’exécution d’une condamnation, y compris en ce qui concerne les motifs de libération anticipée ou conditionnelle, est régie par le droit de l’État d’exécution.
60. Dans la présente affaire, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) se demande donc s’il n’y a pas lieu d’appliquer le droit de l’État d’exécution, à savoir, en l’occurrence, l’article 41, paragraphe 3, du NK, à la période de détention connue par l’intéressé au Danemark.
61. Les termes que le législateur de l’Union emploie à l’article 17, paragraphe 1, première phrase, de la décision-cadre sont effectivement susceptibles de faire naître un doute quant à la répartition des compétences relatives à l’exécution de la peine privative de liberté et les travaux préparatoires relatifs à cette disposition n’apportent pas de réels éclaircissements quant à l’interprétation de ladite disposition.
62. D’une part, le législateur de l’Union ne définit pas ce qu’il faut entendre par l’« exécution d’une condamnation », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la décision-cadre.
63. D’autre part, il ne précise pas s’il s’agit de l’exécution de la peine dès le prononcé du jugement dans l’État d’émission ou à compter seulement du transfèrement de l’intéressé vers l’État d’exécution.
1. La définition de la notion d’« exécution de la peine »
64. La définition de la notion d’« exécution de la peine » est un préalable indispensable.
65. En effet, si nous devons statuer sur les compétences respectives de l’État d’émission et de l’État d’exécution en ce qui concerne l’exécution même d’une condamnation, nous devons, au préalable, prendre le soin de définir une telle notion.
66. Par ailleurs, si nous devons garantir la reconnaissance mutuelle des jugements prononçant une peine privative de liberté et assurer une exécution effective des condamnations dans un État autre que celui d’émission, nous devons définir cette notion « au niveau de l’Union », car la complexité et, parfois même, l’incertitude des législations et des pratiques d’exécution des condamnations pénales peuvent rendre cette tâche difficile. Or, l’effectivité de l’exécution des peines est une composante
essentielle de la politique pénale, en général, et de l’espace judiciaire européen en matière pénale, en particulier.
67. Nous devons donc débuter notre analyse par une définition de la notion d’« exécution de la peine ».
68. Aux termes de l’article 1er, sous b), de la décision-cadre, la « peine » ou, pour employer l’expression utilisée dans la version en langue française de la décision-cadre, la « condamnation» ( 26 ) vise une peine privative de liberté, prononcée pour une durée limitée ou illimitée par une juridiction nationale en raison d’une infraction pénale et à la suite d’une procédure pénale ( 27 ).
69. Les mesures constituant une « peine » relèvent de l’article 49 de la Charte et de l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ( 28 ).
70. Les mesures tendant à l’« exécution de la peine » visent donc la mise en œuvre d’une « peine » ou d’une « condamnation ». La Cour européenne des droits de l’homme estime que ces mesures ne font pas partie intégrante de la « peine » et ne relèvent pas, par conséquent, de l’article 7 de la CEDH ( 29 ).
71. L’exécution d’une peine intervient après le prononcé définitif de la condamnation. Il s’agit donc de la dernière phase du processus pénal, celle durant laquelle il est donné effet à la sentence.
72. Elle recouvre l’ensemble des mesures de nature, d’une part, à garantir l’exécution matérielle de la peine, telles que le mandat d’arrêt et, d’autre part, à assurer la réinsertion sociale de la personne condamnée. Dans ce cadre, les autorités judiciaires compétentes sont amenées à fixer les modalités relatives au déroulement de la peine et à l’aménagement de celle-ci, en décidant, par exemple, du placement à l’extérieur, des permissions de sortie, de la semi-liberté, du fractionnement et de la
suspension de la peine, des mesures de libération anticipée ou conditionnelle du détenu ou du placement sous surveillance électronique. Le droit de l’exécution des peines recouvre également les mesures susceptibles d’être adoptées après la libération de la personne condamnée, telles que sa mise sous surveillance judiciaire ou encore sa participation à des programmes de réhabilitation, ou les mesures d’indemnisation en faveur des victimes.
73. Dans le cadre du contentieux traité, la Cour européenne des droits de l’homme a souvent été confrontée à des situations dans lesquelles la distinction entre la peine et les mesures tendant à assurer l’exécution de celle-ci n’a pas toujours été nette en pratique. Il faut alors distinguer, parmi les mesures prises après le prononcé définitif de la condamnation, celles qui sont, en réalité, susceptibles de redéfinir ou de modifier la portée de la peine ( 30 ).
74. Cela étant dit, la définition de la notion d’« exécution de la peine » ne suffit pas à résoudre le problème soulevé dans la présente affaire.
2. Le sens et la portée de l’article 17 de la décision-cadre
75. La stricte application du principe selon lequel l’« exécution d’une condamnation est régie par le droit de l’État d’exécution » soulève, en soi, une difficulté dans la mesure où l’exécution de la peine a déjà débuté sur le territoire de l’État d’émission pour se poursuivre sous la juridiction de l’État d’exécution. De quelle « exécution » parlons-nous ? Le législateur de l’Union vise-t-il l’exécution de la condamnation dès le prononcé du jugement par l’État d’émission ou l’exécution de la
condamnation à compter du transfèrement de la personne condamnée aux autorités judiciaires de l’État d’exécution ?
76. La réponse s’impose si nous tenons compte des principes qui sous-tendent la décision-cadre et de l’économie dans laquelle s’insère l’article 17 de celle-ci.
a) Le principe de la territorialité de la loi pénale
77. L’article 17 de la décision-cadre vise à régler les conflits de lois et de compétences relatives à l’exécution de la peine, résultant inévitablement du transfèrement de la personne condamnée des autorités de l’État d’émission à celles de l’État d’exécution. En effet, le transfèrement d’une personne condamnée implique que celle-ci a débuté l’exécution de sa peine sur le territoire de l’État d’émission pour la poursuivre, le cas échéant, dans un établissement pénitentiaire de l’État d’exécution (
31 ).
78. Cela explique que, aux termes de l’article 17, paragraphe 2, de la décision-cadre, l’État d’exécution soit tenu, aux fins du calcul de la peine restant à exécuter sur son territoire, de déduire la période de privation de liberté « déjà subie » dans l’État d’émission.
79. Permettre à l’État d’exécution d’appliquer rétroactivement sa loi au début de l’exécution de la peine de l’intéressé dans l’État d’émission violerait le principe communément admis de la territorialité de la loi pénale.
80. Ce principe de la territorialité de la loi pénale est un principe commun à l’ensemble des États membres. La loi pénale est d’application territoriale parce qu’elle est l’expression de la souveraineté des États membres. La compétence territoriale des juridictions en matière pénale revêt donc, normalement, dans les législations nationales, un caractère d’ordre public. De la compétence territoriale va découler obligatoirement la loi nationale applicable.
81. Par conséquent, et par principe, la question n’est pas de savoir si, dans l’intérêt de la personne concernée, il serait mieux d’appliquer, au titre du principe de la rétroactivité in mitius ( 32 ) contenu à l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, la législation pénale bulgare parce qu’il s’agit d’une loi pénale plus favorable à l’intéressé, plutôt que la législation pénale danoise. Un tel choix n’existe pas dans une situation transfrontalière telle que celle en cause au
principal, car l’applicabilité de la loi pénale résulte du principe même de territorialité.
82. Le principe même de la rétroactivité in mitius ne nous semble d’ailleurs pas applicable ici. Traditionnellement en effet, ce principe trouve son champ d’application dans le domaine des conflits de lois dans le temps et non pas, comme ici, dans celui des conflits de lois dans l’espace. Sans conteste, ledit principe trouverait donc à s’appliquer si, par suite d’une modification de la loi pénale danoise, l’infraction commise par M. Ognyanov venait à disparaître postérieurement à la condamnation de
celui-ci, cette dernière étant en cours. Dans ces conditions, les autorités judiciaires bulgares n’auraient pas d’autre choix que de libérer l’intéressé. En revanche, si c’est la loi bulgare qui venait à dépénaliser l’acte commis par l’intéressé, nous doutons fortement que cela entraînerait ipso facto la libération de celui-ci. En effet, cet acte est puni par la loi danoise pour un trouble heurtant l’ordre public danois, étranger au champ d’application de la loi bulgare. En outre, il est
intéressant de signaler qu’une telle hypothèse aurait pour effet de rendre le transfèrement impossible au regard de l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la convention sur le transfèrement.
83. Les dispositions de la décision-cadre nous semblent d’ailleurs conforter notre opinion. En effet, ce texte n’exige pas la double incrimination pour les infractions énumérées à son article 7, paragraphe 1, et ne la prévoit pour les autres infractions qu’à titre de possibilité pour l’État d’exécution de l’exiger, au titre de son article 7, paragraphe 3. Cette règle nous semble donc confirmer le caractère territorial de la loi pénale et conduit à évincer comme inapproprié le principe de la
rétroactivité in mitius dans une hypothèse telle que la nôtre.
b) Le principe de l’individualisation de la peine
84. La décision-cadre a pour principal objectif de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées à une peine privative de liberté en permettant à l’individu privé de sa liberté à la suite d’une condamnation pénale de purger sa peine ou le reste de celle-ci dans son milieu social d’origine.
85. Cela transparaît clairement au considérant 9 et à l’article 3, paragraphe 1, de la décision-cadre ( 33 ).
86. Cela implique que l’ensemble des mesures relatives à l’exécution et à l’aménagement des peines soient individualisées par les autorités judiciaires de façon à favoriser, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, outre la prévention de la récidive, l’insertion ou la réinsertion sociale de la personne condamnée.
87. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 17 de la décision-cadre, le principe de l’individualisation de la peine, qui est l’une des fonctions même de la peine, commande donc une répartition claire des compétences entre l’État d’émission et l’État d’exécution de façon à garantir que les décisions concernant l’exécution de la peine soient adoptées par l’autorité judiciaire la mieux à même d’apprécier le comportement de l’individu.
88. Cela suppose que ce soient les autorités judiciaires du lieu de détention effective de l’individu qui se prononcent sur l’ensemble des mesures d’aménagement de la peine, y compris des mesures de réduction de peine susceptibles d’être accordées à la personne condamnée.
89. Or, il s’agit indéniablement des autorités qui lui sont proches, et donc celles de son lieu de détention effective ( 34 ).
90. S’agissant, en particulier, d’une réduction de peine pour travail pénitentiaire, cette mesure d’individualisation n’a de sens que si elle est adoptée par l’autorité qui a effectivement réalisé le suivi et l’évaluation du travail de l’individu.
91. Ainsi, il n’y a aucun sens ni même aucun fondement juridique pour appliquer l’article 41, paragraphe 3, du NK à la période de détention accomplie par M. Ognyanov au Danemark, en lieu et place de la législation danoise. Une telle initiative serait, en soi, contraire au principe de l’individualisation de la peine, dans la mesure où les autorités judiciaires bulgares seraient amenées à accorder une réduction de peine à une personne condamnée, d’une part, qu’elles n’ont jamais rencontrée et, d’autre
part, dont elles n’ont pas suivi le travail ni même les progrès. Rien ne s’oppose, en revanche, à ce que les autorités judiciaires bulgares, aux fins d’une appréciation plus globale des efforts de réinsertion sociale démontrés par l’individu, tiennent compte du travail accompli par M. Ognyanov pendant sa détention au Danemark ainsi que des appréciations portées, à cet égard, par leurs homologues danoises. Il s’agira d’un critère parmi d’autres, permettant aux autorités judiciaires compétentes
d’apprécier si le placement de l’individu sous le régime de la libération conditionnelle est justifié.
92. Ce n’est qu’une fois l’intéressé incarcéré dans un établissement pénitentiaire bulgare que les autorités judiciaires nationales pourront, le cas échéant, faire une application de l’article 41, paragraphe 3, du NK. Cette réduction de peine devra s’inscrire dans le cadre d’un suivi régulier et personnalisé de l’individu et ne devra pas revêtir, comme nous semblons le comprendre de l’arrêt du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), un caractère automatique ( 35 ).
93. Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous considérons donc que le respect des principes de la territorialité de la loi pénale et de l’individualisation de la peine sur lesquels repose la décision-cadre commande que l’exécution d’une peine privative de liberté, et en particulier l’octroi d’une réduction de peine, soit régie par le droit de l’État membre dans lequel la personne condamnée est effectivement détenue.
94. Cette interprétation est corroborée par l’économie de la décision-cadre dans laquelle s’insère l’article 17 de celle-ci.
c) L’économie de la décision-cadre
95. L’examen de l’économie de la décision-cadre tend à démontrer que l’article 17 de celle-ci fixe les principes applicables à l’exécution de la peine une fois le transfèrement de la personne condamnée effectué.
96. Premièrement, il faut tenir compte du contexte dans lequel les principes de l’article 17 de la décision-cadre ont été élaborés. En effet, la décision-cadre a été adoptée en se fondant sur un certain nombre d’instruments existants, et notamment sur la base de la convention sur le transfèrement ( 36 ). Il en est d’ailleurs fait mention aux considérants 4 et 5 de la décision-cadre.
97. Les termes de l’article 17, paragraphe 1, de la décision-cadre sont, en substance, identiques à ceux employés à l’article 9, paragraphe 3, de la convention sur le transfèrement. En effet, cette dernière disposition précise que « [l]’exécution de la condamnation est régie par la loi de l’État d’exécution et cet État est seul compétent pour prendre toutes les décisions appropriées ». Or, point important, ladite disposition est intitulée « Conséquences du transfèrement pour l’État d’exécution» ( 37
).
98. Compte tenu du contexte dans lequel la décision-cadre a été adoptée, il est donc très probable que, en intitulant l’article 17 de la décision-cadre « Droit régissant l’exécution », le législateur de l’Union ait entendu viser le droit régissant l’exécution de la condamnation « à la suite du transfèrement de la personne condamnée ».
99. Deuxièmement, il faut tenir compte du fait que chacun des principes de la décision-cadre est établi selon un ordre de succession chronologique.
100. Dans un premier temps, les articles 4 à 14 de la décision-cadre établissent les règles que les États membres doivent appliquer afin de procéder au transfèrement de la personne condamnée. En particulier, les articles 4 à 6 de la décision-cadre précisent les modalités relatives à la transmission du jugement et du certificat à l’État d’exécution. Les articles 7 à 14 de celle-ci établissent, ensuite, les principes applicables à la décision de reconnaissance du jugement et à la décision d’exécution
de la condamnation. L’article 13 de la décision-cadre indique, à cet égard, que l’État d’émission conserve le droit de retirer le certificat « [t]ant que l’exécution de la condamnation n’a pas commencé dans l’État d’exécution» ( 38 ).
101. Dans un second temps, l’article 15 de la décision-cadre établit les modalités applicables au transfèrement de la personne condamnée, alors que l’article 16 de celle-ci envisage des dispositions particulières en cas de transit de l’individu sur le territoire d’un autre État membre.
102. Ces dispositions s’inscrivent donc dans une suite parfaitement logique et l’article 17 de la décision-cadre en constitue manifestement le prolongement en fixant les principes applicables à l’exécution de la condamnation « une fois la personne condamnée transférée » aux autorités judiciaires de l’État d’exécution.
103. L’article 17 de la décision-cadre doit également être lu à la lumière des règles édictées dans les dispositions suivantes de la décision-cadre, et notamment à son article 22.
104. Cet article 22, intitulé « Conséquences du transfèrement de la personne condamnée », révèle particulièrement bien le transfert de compétences qui accompagne nécessairement le transfèrement de la personne condamnée.
105. Le législateur de l’Union indique en effet, à l’article 22, paragraphe 1, de la décision-cadre, que l’État d’émission ne peut plus exécuter une condamnation à partir du moment où « celle-ci a commencé dans l’État d’exécution ». Cela signifie très clairement que, à partir du moment où l’État d’exécution n’a pas débuté l’exécution de la condamnation, l’État d’émission reste, à cette fin, compétent aux fins de l’exécution de la condamnation. L’article 22, paragraphe 2, de la décision-cadre
précise, d’ailleurs, que, lorsque l’État d’exécution se trouve dans l’impossibilité d’exécuter la condamnation, en raison de l’évasion de la personne condamnée, « l’État d’émission reprend son droit d’exécuter la condamnation» ( 39 ).
106. Ce n’est donc qu’une fois le jugement reconnu par l’État d’exécution et le transfèrement de la personne condamnée effectué que s’applique le droit de l’État d’exécution à l’exécution stricto sensu de la peine privative de liberté. Tant que le jugement n’a pas été reconnu et tant que la personne condamnée se trouve encore sous la juridiction des autorités judiciaires de l’État d’émission, c’est le droit de ce dernier État qui est applicable à l’exécution de la peine. Il appartient donc à l’État
d’émission de trancher, conformément à sa législation nationale, les questions relatives aux réductions de peine.
107. Troisièmement, il faut relever que, dans le système de la décision-cadre, c’est bien à l’État d’émission qu’il appartient d’examiner s’il y a lieu d’organiser le transfèrement du détenu vers son État membre d’origine ou de résidence ( 40 ).
108. Or, le transfèrement est bel et bien une mesure d’exécution de la peine ( 41 ), peut-être l’une des dernières susceptibles d’être adoptées par les autorités judiciaires de l’État d’émission. Il s’agit, en particulier, d’une mesure d’individualisation de la peine ayant pour objectif de favoriser la réinsertion sociale de la personne condamnée.
109. Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de la décision-cadre, la transmission du jugement aux fins de sa reconnaissance ne peut avoir lieu qu’à partir du moment où les autorités judiciaires de l’État d’émission, le cas échéant après consultation des autorités judiciaires de l’État d’exécution, ont acquis la certitude que l’exécution de la condamnation par l’État d’exécution contribuera à atteindre cet objectif.
110. Pour acquérir une telle certitude, le législateur de l’Union précise, au considérant 9 de la décision-cadre, que les autorités judiciaires de l’État d’émission devront alors « tenir compte d’éléments tels que, par exemple, l’attachement de la personne à l’État d’exécution, le fait qu’elle le considère ou non comme un lieu où elle a des liens familiaux, linguistiques, culturels, sociaux ou économiques et autres ».
111. De la même façon qu’il incombe à l’État d’émission de mener cette appréciation, c’est également à lui seul qu’il appartient d’examiner si, aux termes de la période de détention connue par l’intéressé sur son territoire et compte tenu de ses efforts, celui-ci doit bénéficier des réductions de peine admises en application de la législation nationale.
112. Le fait que l’État d’émission soit tenu d’indiquer, dans le certificat joint au jugement, le nombre de jours supplémentaires qu’il convient de déduire de la période de privation de liberté déjà subie corrobore cette interprétation.
113. Le certificat est un formulaire type figurant à l’annexe I de la décision-cadre ( 42 ). Ce formulaire comprend différentes rubriques qui doivent être complétées par les autorités judiciaires de l’État d’émission. Ces rubriques lui permettent de donner des informations relatives, notamment, à l’autorité ayant prononcé le jugement, à l’individu poursuivi ainsi qu’à la nature de l’infraction commise et de préciser la nature et la durée de la condamnation. Ces informations doivent être certifiées
exactes par les autorités judiciaires de l’État d’émission ( 43 ). En effet, il s’agit d’informations essentielles qui doivent permettre à l’État d’exécution d’effectuer un contrôle minimal du jugement ( 44 ) et qui doivent, in fine, garantir la bonne exécution de la condamnation. L’autorité judiciaire de l’État d’exécution reconnaît le jugement en se fondant sur le certificat transmis par l’autorité judiciaire de l’État d’émission qui atteste de sa régularité et de son caractère exécutoire. À
défaut, si celui-ci n’est pas complet ou s’il est inexact, cela constitue un motif de non-reconnaissance du jugement et de non-exécution de la condamnation au titre de l’article 9 de la décision-cadre.
114. Aux fins de notre analyse, il faut se référer aux informations requises au point 2 de la rubrique i) du modèle de certificat figurant à l’annexe I de la décision-cadre, relatives à la durée de la condamnation. Ces informations garantissent l’effet utile de l’article 17, paragraphe 2, de la décision-cadre.
115. Au point 2.2 de cette rubrique, l’État d’émission est tenu d’indiquer, en nombre de jours, la période entière de privation de liberté déjà subie dans le cadre de la condamnation en cause. Il s’agit de la peine brute.
116. En revanche, conformément au point 2.3 de ladite rubrique, celui-ci est également libre de déduire de cette période un nombre de jours supplémentaires pour « d’autres motifs que celui visé au point 2.2 », le législateur de l’Union faisant référence, à titre d’exemples, à l’amnistie, au pardon ou aux mesures de clémence. Ce point 2.3 permet donc à l’État d’émission de donner des indications supplémentaires lorsque des circonstances particulières ont déjà entraîné une réduction de peine.
117. Ces éléments démontrent que c’est bien à l’État d’émission qu’il appartient de statuer sur les réductions de peine afférentes à la période de détention accomplie sur son territoire dans la mesure où, dans le certificat, l’État d’émission est tenu d’indiquer à l’État d’exécution s’il y a lieu de déduire un nombre de jours plus important que le nombre de jours concrètement passés en détention et, le cas échéant, le nombre de jours exacts. Les termes employés par le législateur de l’Union quant à
la nature des motifs susceptibles de fonder une réduction de peine sont manifestement assez vagues. En outre, la liste de ces motifs n’est pas exhaustive comme le montre l’emploi de la locution adverbiale « par exemple ». Le législateur de l’Union a donc entendu couvrir le plus largement possible l’ensemble des circonstances particulières qui peuvent entraîner une réduction de peine dans les différents États membres. Par conséquent, il est raisonnable de penser qu’une remise de peine accordée
au regard des progrès accomplis par la personne condamnée relève desdits motifs.
118. Au vu de ces éléments, nous sommes donc convaincu que l’État d’exécution ne peut substituer son droit de l’exécution des peines, et en particulier sa législation nationale relative aux remises de peine, à celui de l’État d’émission, revenant ainsi sur la déduction faite par ce dernier, au risque de porter une atteinte grave non seulement au principe de la reconnaissance mutuelle, mais également à la souveraineté territoriale du Royaume de Danemark.
119. En effet, dans une affaire telle que celle en cause au principal, le Royaume de Danemark a expressément indiqué ne pas accorder de réduction de peine en raison du travail pénitentiaire. Conformément au principe de la confiance mutuelle sur lequel repose la décision-cadre, la République de Bulgarie n’a donc pas d’autre choix que de respecter l’application du droit en vigueur dans l’État d’émission, même si, pour reprendre les termes de la Cour dans son arrêt du 11 février 2003, Gözütok et
Brügge ( 45 ), « la mise en œuvre de son propre droit national conduirait à une solution différente» ( 46 ).
120. Une telle initiative, si elle était engagée, entamerait donc inévitablement la confiance réciproque que se portent les États membres et risquerait de compromettre la réalisation des objectifs visés par la décision-cadre.
121. Rappelons, en outre, que le droit de punir constitue l’un des attributs essentiels de l’État et que le droit pénal, y compris le droit de l’exécution des peines, se situe au cœur de la souveraineté nationale. Le droit de l’exécution des peines relève donc du pouvoir reconnu aux États de décider de leur politique criminelle, ce dont témoigne son caractère territorial ( 47 ).
122. Or, dans la présente affaire, c’est bien l’ordre public du Royaume de Danemark auquel M. Ognyanov a porté atteinte par ses agissements. Ce sont donc bien les autorités judiciaires de cet État membre qui ont compétence pour le juger et pour le condamner au titre des infractions commises. C’est également bien sur le territoire danois et sous la juridiction des autorités danoises que la détention de M. Ognyanov s’est déroulée dans un premier temps.
123. Compte tenu des champs de compétence territoriale respectifs, il est donc évident que l’article 41, paragraphe 3, du NK « n’est pas applicable » à l’exécution de la peine sur le territoire danois sauf à méconnaître la souveraineté territoriale du Royaume de Danemark.
124. Enfin, si l’article 17 de la décision-cadre devait être interprété en ce sens qu’il admet l’application de la loi de l’État d’exécution à l’exécution de la peine dans l’État d’émission, cela porterait également atteinte au principe fondamental de l’égalité de traitement. En effet, des personnes effectuant leur peine dans le même établissement pénitentiaire seraient soumises ou seraient appelées à être soumises à des régimes juridiques différents s’agissant de l’exécution de leur peine, et en
particulier s’agissant des modalités de remises de peine.
125. Cela donnerait lieu à des situations inextricables qui ne permettraient pas de garantir une application équitable et juste des normes et risqueraient, de manière certaine, de compromettre le succès de la décision-cadre.
126. Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous considérons, par conséquent, que, compte tenu des principes sur lesquels repose la décision-cadre, à savoir, d’une part, la confiance mutuelle entre les États membres et, d’autre part, les principes de territorialité de la loi pénale et de l’individualisation de la peine, l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale permettant aux autorités judiciaires de l’État d’exécution
d’accorder à la personne condamnée une remise de peine en raison du travail fourni par cette dernière pendant sa détention dans l’État d’émission.
127. Nous reconnaissons qu’une telle interprétation ne permet pas de différencier la décision-cadre fondée sur le principe de la reconnaissance mutuelle des mécanismes de coopération judiciaire traditionnels conçus comme une coopération entre États souverains. Néanmoins, il s’agit, à notre sens, de la seule interprétation possible si nous voulons tenir pleinement compte de l’absence d’harmonisation des règles relatives à l’exécution des peines dans l’Union.
B – Sur la deuxième question
128. La deuxième question concerne la portée du devoir d’information incombant aux autorités judiciaires de l’État d’exécution au titre de l’article 17 de la décision-cadre. Elle se pose dans l’hypothèse où cette disposition permettrait aux autorités judiciaires bulgares d’appliquer l’article 41, paragraphe 3, du NK à la période de détention connue par l’intéressé au Danemark.
129. Le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) s’interroge sur le point de savoir si, lorsque les autorités judiciaires bulgares sont saisies d’une demande en ce sens, elles sont tenues d’informer leurs homologues danoises de l’applicabilité d’une telle législation et, le cas échéant, sur la nature des informations qui doivent, à cet égard, être communiquées.
130. Compte tenu de la réponse que nous proposons d’apporter à la première question, nous estimons qu’il n’est pas utile de répondre à la deuxième question.
C – Sur la troisième question
131. Dans l’hypothèse où la Cour jugerait que l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre s’oppose à une règle nationale telle que celle en cause au principal, la juridiction de renvoi demande en substance, par sa troisième question, si le droit de l’Union s’opposerait à ce qu’elle choisisse d’appliquer, « malgré tout », l’article 41, paragraphe 3, du NK à la période de détention connue par M. Ognyanov au Danemark au motif qu’il s’agirait d’une législation plus douce.
132. Il faut admettre, il est vrai, que la remise de peine en question n’est pas négligeable.
133. Dans la mesure où la législation danoise est plus stricte s’agissant des remises de peine pour travail en détention, l’application de l’article 41, paragraphe 3, du NK à la période de détention connue par M. Ognyanov au Danemark lui permettrait effectivement de bénéficier d’une réduction de peine non pas d’un an, huit mois et vingt jours, mais de deux ans, six mois et vingt-quatre jours, ce qui lui permettrait d’être remis en liberté bien plus tôt.
134. Néanmoins, la question que nous pose la juridiction de renvoi repose sur un postulat qu’il convient, d’emblée, de rejeter. En effet, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) nous demande, en réalité, s’il peut appliquer une règle nationale jugée néanmoins contraire au droit de l’Union au motif que celle-ci est plus favorable pour l’intéressé.
135. Cette question a été posée, dans des termes différents, par la juridiction de renvoi dans le cadre de la demande de décision préjudicielle formulée dans l’affaire Ognyanov (C‑614/14), pendante devant la Cour.
136. Nous répondrons, par conséquent, dans les mêmes termes que ceux employés dans le cadre de nos conclusions dans l’affaire Ognyanov ( 48 ), en ajoutant néanmoins quelques observations.
137. Premièrement, conformément à l’article 280 TFUE, « [l]es arrêts de la Cour [...] ont force exécutoire ». Ainsi que nous l’avons indiqué au point 111 de ces conclusions, la Cour, saisie sur le fondement de l’article 267 TFUE, ne rend pas un avis consultatif. Il résulte ainsi d’une jurisprudence constante qu’un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour lie le juge national, quant à l’interprétation ou à la validité des actes des institutions de l’Union en cause, pour la solution du litige au
principal ( 49 ).
138. Deuxièmement, si la Cour devait considérer que l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre s’oppose à une règle nationale telle que celle en cause au principal, la juridiction de renvoi serait tenue, nous l’avons vu, d’interpréter les termes de l’article 41, paragraphe 3, du NK à la lumière du texte et de la finalité de la décision-cadre, en écartant si besoin la jurisprudence établie par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), et ce compte tenu de son obligation
d’interprétation conforme.
139. Troisièmement, et en tout état de cause, nous rappelons à la juridiction de renvoi que, en l’absence d’applicabilité de l’article 41, paragraphe 3, du NK à la période de détention connue par l’intéressé au Danemark, la règle de la rétroactivité de la loi pénale plus douce contenue à l’article 49, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte (principe de la rétroactivité in mitius) ne peut trouver à s’appliquer.
140. Enfin, quatrièmement, la remise de peine sur laquelle se concentre la juridiction de renvoi nous fait oublier que le transfèrement de M. Ognyanov vers la Bulgarie est destiné, en soi, à lui être plus favorable dans la mesure où il pourra purger le reste de sa peine dans son milieu social d’origine, facilitant ainsi sa réinsertion sociale.
141. Compte tenu de ces considérations, et dans l’hypothèse où la Cour considérerait que l’article 17, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre s’oppose à une règle nationale telle que celle en cause au principal, la juridiction de renvoi serait donc tenue, conformément à son obligation d’interprétation conforme, d’écarter l’interprétation retenue par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) de l’article 41, paragraphe 3, du NK en laissant inappliquée cette disposition à la période de
détention connue par l’intéressé au Danemark.
142. À la suite de ces développements, nous souhaitons tirer quelques conclusions quant à la répartition des compétences établie par la décision-cadre entre les autorités judiciaires de l’État d’émission et celles de l’État d’exécution.
D – Le bilan relatif à la répartition des compétences établie par la décision-cadre entre les autorités judiciaires de l’État d’émission et celles de l’État d’exécution
1. Le droit régissant l’exécution de la peine privative de liberté avant le transfèrement de la personne condamnée
143. Lorsque, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’individu est, dans un premier temps, incarcéré dans l’État d’émission, le droit applicable à l’exécution de sa peine est évidemment le droit de cet État. L’ensemble des mesures grevant l’exécution de la peine sur le territoire dudit État, qu’il s’agisse des mesures relatives à la mise à exécution de la condamnation, telles que le mandat de dépôt, ou de celles concernant l’aménagement de la peine, telles que le placement à
l’extérieur, relèvent du droit de l’État d’émission.
144. Comme nous l’avons vu, c’est également bien à l’État d’émission qu’il appartient d’examiner s’il y a lieu d’organiser le transfèrement du détenu vers son État membre d’origine ou de résidence ( 50 ).
145. Or, le transfèrement est bel et bien une mesure d’exécution de la peine, et en particulier une mesure d’individualisation visant à ce que l’intéressé puisse exécuter sa détention aussi près que possible de son environnement familial et du milieu social qu’il devra réintégrer ( 51 ).
146. De la même façon qu’il incombe à l’État d’émission de mener cette appréciation, c’est à lui qu’il appartient également d’examiner si, conformément à sa législation nationale et au vu des efforts accomplis par le détenu, celui-ci peut bénéficier d’autres mesures d’aménagement de peine, y compris des mesures de réduction de peine.
147. Une telle répartition des compétences oblige l’État d’émission à statuer sur toutes les questions relatives aux remises de peine avant le transfèrement de la personne condamnée ( 52 ).
148. C’est d’ailleurs, nous le rappelons, l’objet même du point 2.3 de la rubrique i) du modèle de certificat figurant à l’annexe I de la décision-cadre.
149. En effet, le transfèrement de la personne condamnée ne doit pas priver de tout effet utile les remises de peine auxquelles celle-ci a, le cas échéant, droit en application de la loi de l’État d’émission et des décisions rendues par le juge compétent ( 53 ). Les autorités judiciaires de l’État d’émission doivent donc être capables de délivrer un certificat sur lequel sont précisés non seulement la durée de la condamnation et de la peine exécutée stricto sensu, mais également ce qui a été déduit
au titre des remises de peine prévues par la législation nationale. Elles devraient également pouvoir fournir quelques précisions quant à l’appréciation qui a été portée sur les efforts de réadaptation de l’individu.
150. L’État d’exécution ne peut donc pas substituer son droit de l’exécution des peines à celui de l’État d’émission, et ce quand bien même sa législation serait plus favorable à l’intéressé, car cela serait non seulement violer les termes de l’article 17 de la décision-cadre, mais également porter une atteinte grave à la souveraineté de l’État d’émission et, par là même, au principe de reconnaissance mutuelle.
2. La demande de renseignements préalable au transfèrement
151. Si la personne condamnée est transférée dans l’État d’exécution, il est parfaitement logique que les autorités judiciaires de l’État d’émission se renseignent sur les dispositions applicables en matière de libération anticipée ou conditionnelle, tel que cela est prévu à l’article 17, paragraphe 3, de la décision-cadre. Encore une fois, il faut garder à l’esprit que c’est bien l’ordre public de l’État d’émission qui a été atteint par la commission d’un crime ou d’un délit. Ce dernier doit donc
être sûr que l’exécution de la peine sur le territoire de l’État d’exécution apportera une solution adéquate au trouble à l’ordre public causé sur son territoire. L’État d’émission appréciera ainsi si, au regard de ces nouvelles dispositions, la peine gardera globalement la cohérence qui était la sienne au jour du prononcé. S’il craint que le transfèrement puisse conduire à ce qu’il estimerait être une libération prématurée ou s’il estime que la peine n’est plus proportionnée au regard de
l’atteinte, il peut décider de ne pas transférer la personne condamnée et de retirer le certificat.
152. La demande de renseignements doit être formulée avant le transfèrement de l’individu, car, une fois le transfert effectué, l’État d’émission ne peut plus imposer sa propre conception des mesures d’exécution des peines et ne peut revenir sur la décision de transfèrement.
3. Le droit régissant l’exécution de la peine privative de liberté après le transfèrement de la personne condamnée
153. Le transfèrement de l’intéressé entraîne automatiquement et nécessairement un transfert concomitant de compétences quant à l’exécution de la peine au profit de l’État d’exécution, et ce pour les mêmes raisons que celles évoquées précédemment. D’une part, parce que l’exécution de la peine se poursuit dorénavant sur le territoire et sous la juridiction de cet État. D’autre part, parce que, à compter de ce transfèrement, seules les autorités judiciaires de l’État d’exécution seront à même
d’aménager les conditions d’exécution de la peine au vu des efforts de réinsertion de l’intéressé ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.
154. Une fois le transfèrement effectué, il est évident que l’on ne peut exiger de l’État d’exécution qu’il sollicite l’autorisation de l’État d’émission avant d’adopter une mesure d’individualisation de la peine prenant, par exemple, la forme d’une réduction de peine ou d’une libération anticipée ou conditionnelle. Ainsi que nous l’avons vu, les questions relatives à l’existence, aux modalités d’exécution ainsi qu’aux justifications d’un régime de libération relèvent du pouvoir reconnu aux États de
décider de leur politique criminelle. Solliciter, dans une telle hypothèse, l’autorisation de l’État d’émission reviendrait alors à violer la souveraineté de l’État d’exécution ainsi que l’indépendance de son système judiciaire.
155. L’État d’exécution doit alors exécuter la condamnation comme si elle avait été rendue par ses propres autorités judiciaires. Quant à l’État d’émission, il n’a pas d’autres choix à son tour et conformément au principe de la confiance mutuelle que de respecter l’application du droit en vigueur dans l’État d’exécution, même si, pour reprendre une nouvelle fois les termes de la Cour dans son arrêt du 11 février 2003, Gözütok et Brügge ( 54 ), « la mise en œuvre de son propre droit national
conduirait à une solution différente» ( 55 ).
156. En adoptant la décision-cadre, les États membres avaient parfaitement conscience des différences existant entre leurs systèmes juridiques respectifs en ce qui concerne l’exécution des décisions pénales. S’agissant, par exemple, des règles applicables en matière de libération anticipée ou conditionnelle, dans certains États membres, la personne condamnée est libérée après avoir purgé les deux tiers de sa peine, alors que, dans d’autres, la libération ne peut avoir lieu qu’après l’exécution d’un
tiers de la peine. Les États membres étaient donc parfaitement conscients que le transfèrement d’une personne condamnée pouvait avoir un impact sur la durée concrète de la privation de liberté qui serait subie par rapport à la peine initialement prononcée et, par conséquent, sur la date de la libération ( 56 ). C’est d’ailleurs pour cette raison, et notamment pour éviter une libération, que l’État d’émission qualifierait d’« anticipée » au regard du délit ou du crime commis sur son territoire,
que le législateur de l’Union a prévu la « réserve » de l’article 17, paragraphe 3, de la décision-cadre ( 57 ).
157. Dans l’hypothèse où l’État d’exécution appliquerait des règles plus strictes, le transfèrement de la personne condamnée vers cet État serait, il est vrai, susceptible d’entraîner de facto une peine d’emprisonnement plus longue que celle qui aurait été purgée dans l’État d’émission.
158. La Cour européenne des droits de l’homme n’y voit pas d’objection au regard du droit à la liberté et à la sûreté consacré à l’article 5 de la CEDH pour autant que la durée de la détention n’excède pas celle prononcée au terme de la procédure pénale initiale. Elle n’exclut pas, néanmoins, qu’une peine de détention nettement plus longue de facto dans l’État d’exécution puisse engager la responsabilité de l’État d’émission sur le terrain de l’article 5 de la CEDH, et ce en raison des conséquences
qui étaient prévisibles au moment où le transfèrement a été décidé ( 58 ).
VII – Conclusion
159. Eu égard aux développements qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions posées par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) de la manière suivante :
1) Compte tenu des principes sur lesquels repose la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne, à savoir, d’une part, le principe de la confiance mutuelle entre les États membres et, d’autre part, les principes de la territorialité de la loi pénale et de l’individualisation
de la peine, l’article 17, paragraphes 1 et 2, de cette décision-cadre doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet aux autorités judiciaires de l’État membre auquel un jugement est transmis aux fins de sa reconnaissance et de son exécution d’accorder à la personne condamnée une remise de peine en raison du travail fourni par cette dernière pendant sa détention dans l’État membre dans lequel le jugement a été rendu.
2) Le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) est tenu, conformément à son obligation d’interprétation conforme, d’écarter l’interprétation retenue par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) de l’article 41, paragraphe 3, du Nakazatelen Kodeks (code pénal bulgare) en laissant inappliquée cette disposition à la période de détention connue par l’intéressé au Danemark.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Décision-cadre du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27, ci-après la « décision-cadre »).
( 3 ) Ci-après l’« État d’émission ». Aux termes de l’article 1er, sous c), de la décision-cadre, il s’agit de l’État membre dans lequel un jugement est rendu.
( 4 ) Ci-après l’« État d’exécution ». Aux termes de l’article 1er, sous d), de la décision-cadre, il s’agit de l’État membre auquel un jugement est transmis aux fins de sa reconnaissance et de son exécution.
( 5 ) Ci-après le « NK ».
( 6 ) Dans le cadre de la décision de renvoi de l’affaire Ognyanov (C‑614/14), pendante devant la cour, et également à notre rapport, le procureur général près le Sofiyska gradska prokuratura (ministère public de la ville de Sofia, Bulgarie) remet en cause le calcul opéré par la juridiction de renvoi dans la mesure où celle-ci ne tiendrait pas compte des jours chômés.
( 7 ) Ci-après la « Charte ».
( 8 ) Considérants 1, 2 et 5 de celle-ci.
( 9 ) Voir, à cet égard, conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999.
( 10 ) Aux termes de l’article 1er, sous a), de la décision-cadre, la notion de « jugement » vise « une décision définitive rendue par une juridiction de l’État d’émission prononçant une condamnation à l’encontre d’une personne physique ».
( 11 ) Aux termes de l’article 1er, sous b), de la décision-cadre, la notion de « condamnation » est définie comme « toute peine ou mesure privative de liberté prononcée pour une durée limitée ou illimitée en raison d’une infraction pénale à la suite d’une procédure pénale ».
( 12 ) Ci-après la « convention sur le transfèrement ». Cette convention est disponible sur le site Internet du Conseil de l’Europe. Elle a été ratifiée par 64 États et est entrée en vigueur le 1er juillet 1985. Parmi les États membres, seules la République de Croatie et la République de Finlande ne l’ont pas signée.
( 13 ) Ci-après le « NPK ».
( 14 ) DV no 25, du 3 avril 2009.
( 15 ) À notre sens, contrairement à ce que souligne le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), nous sommes ici dans l’hypothèse non pas d’une « commutation de la peine », mais bien d’une réduction de peine.
( 16 ) Italique ajouté par nos soins.
( 17 ) Arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 28 et jurisprudence citée).
( 18 ) Arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 29 et jurisprudence citée).
( 19 ) C‑441/14, EU:C:2016:278.
( 20 ) Point 33 et jurisprudence citée.
( 21 ) C‑105/03, EU:C:2005:386.
( 22 ) Point 42.
( 23 ) Point 34.
( 24 ) Voir, notamment, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 24 et jurisprudence citée).
( 25 ) Arrêt du 16 juin 2005, Pupino (C‑105/03, EU:C:2005:386, point 45). Il ressort de cet arrêt que l’« obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une décision-cadre lorsqu’il interprète les règles pertinentes de son droit national trouve ses limites dans les principes généraux du droit, et notamment dans ceux de sécurité juridique et de non-rétroactivité » (point 44).
( 26 ) Dans la version en langue anglaise de la décision-cadre, un seul et même terme est employé, à savoir celui de « sentence », pour désigner indistinctement la « peine » ou la « condamnation ».
( 27 ) Aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, « le point de départ de toute appréciation relative à l’existence d’une “peine” consiste à déterminer si la mesure en question a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale. D’autres éléments peuvent être jugés pertinents à cet égard : la nature et le but de la mesure en cause, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité
[...] La gravité de la mesure n’est toutefois pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent avoir un impact substantiel sur la personne concernée » (voir, à cet égard, Cour EDH, 21 octobre 2013, Del Río Prada c. Espagne, CE:ECHR:2013:1021JUD004275009, § 82 et jurisprudence citée).
( 28 ) Ci-après la « CEDH ».
( 29 ) Cour EDH, 29 novembre 2005, Uttley c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2005:1129DEC003694603, et 21 octobre 2013, Del Río Prada c. Espagne, CE:ECHR:2013:1021JUD004275009.
( 30 ) Cour EDH, 21 octobre 2013, Del Río Prada c. Espagne, CE:ECHR:2013:1021JUD004275009, § 59, 83, 85 et jurisprudence citée ainsi que 89. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi jugé que l’application de nouvelles modalités d’imputation des remises de peine pour travail en détention à une condamnation passée ne peut être assimilée à une mesure se rattachant exclusivement à l’exécution de la peine infligée. En entraînant une prolongation de près de neuf ans de
l’incarcération, ces nouvelles modalités ont, selon la Cour européenne des droits de l’homme, engendré une redéfinition de la portée de la « peine » imposée et doivent, dès lors, être appréciées au regard des garanties fixées à l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, de la CEDH (§ 109 et 110).
( 31 ) Néanmoins, il peut s’avérer que, dans certaines hypothèses, la personne condamnée se trouve déjà sur le territoire de l’État d’exécution.
( 32 ) Conformément au principe de la légalité des délits et des peines, la loi pénale ne peut s’appliquer de façon rétroactive. Le principe de la rétroactivité in mitius constitue une exception à ce principe en commandant l’application des dispositions pénales les plus favorables à la personne condamnée.
( 33 ) Voir, également, déclaration du Conseil de l’Union européenne concernant l’objectif de réinsertion de la décision-cadre, aux termes de laquelle, « [c]ompte tenu du fait que le succès de la réinsertion, dans un État avec lequel elle a les liens les plus étroits, d’une personne condamnée est l’objectif essentiel de la [...] décision-cadre [...] et convenant que la confiance réciproque entre États membres ne nécessite pas l’ajout d’un nouveau motif de refus fondé sur l’incompatibilité de la
reconnaissance du jugement avec l’objectif de réinsertion, le Conseil souligne que cet objectif devrait être un élément de première importance pour l’État d’émission à chaque fois que la décision sur la nécessité de transmettre le jugement et le certificat à l’État d’exécution doit être prise » (voir annexe II partie I du document du Conseil 6070/1/09 REV 1), ainsi que point 4.1 du rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre par les États membres des
décisions-cadres 2008/909/JAI, 2008/947/JAI et 2009/829/JAI concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de justice prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté, des mesures de probation et peines de substitution ainsi que des mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire [COM(2014) 57 final].
( 34 ) Voir communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen intitulée « Reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale » [COM(2000) 495 final], dans laquelle la Commission précisait déjà que « les décisions concernant l’exécution, qui reposent sur le comportement du détenu, doivent être du ressort de l’État membre qui exécute la peine [...] En effet, ce sont les autorités de l’État membre qui exécute la décision qui sont en contact direct avec le détenu et donc
les mieux placées pour juger de son comportement » (point 9.1).
( 35 ) En effet, celui-ci explique que la déduction des jours de travail constitue « une conséquence favorable obligatoirement applicable, fondée sur le fait même que le condamné a effectué des travaux d’intérêt général pendant qu’il purgeait sa peine privative de liberté et pendant sa détention » (italique ajouté par nos soins).
( 36 ) Voir, notamment, point 3.2.1.5 du livre vert sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l’exécution des sanctions pénales dans l’Union européenne [COM(2004) 334 final].
( 37 ) Italique ajouté par nos soins.
( 38 ) Italique ajouté par nos soins.
( 39 ) Italique ajouté par nos soins.
( 40 ) Voir article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre.
( 41 ) Voir, à cet égard, Cour EDH, 27 juin 2006, Szabó c. Suède, CE:ECHR:2006:0627DEC002857803, p. 12.
( 42 ) Le législateur de l’Union s’est inspiré de la technique du certificat consacrée à l’article 54 du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).
( 43 ) Article 5, paragraphe 2, de la décision-cadre.
( 44 ) Celui-ci va s’assurer, notamment, que la décision à exécuter émane bien de l’autorité compétente en vertu du droit de l’État d’émission et entre bien dans le champ d’application de la décision-cadre.
( 45 ) C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2003:87.
( 46 ) Point 33.
( 47 ) Voir, à cet égard, Cour EDH, 21 octobre 2013, Del Río Prada c. Espagne, CE:ECHR:2013:1021JUD004275009, § 84.
( 48 ) C‑614/14, EU:C:2016:111.
( 49 ) Arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 29 et jurisprudence citée).
( 50 ) Voir article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre.
( 51 ) Cour EDH, 27 juin 2006, Szabó c. Suède, CE:ECHR:2006:0627DEC002857803, p. 14.
( 52 ) Compte tenu de la répartition des compétences, les remises de peine sont imputées non pas sur la durée totale de l’emprisonnement, mais successivement sur chacune des périodes de détention dans l’État d’émission et dans l’État d’exécution.
( 53 ) Voir notamment, à cet égard, Cour EDH, 21 octobre 2013, Del Río Prada c. Espagne, CE:ECHR:2013:1021JUD004275009, § 107.
( 54 ) C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2003:87.
( 55 ) Point 33.
( 56 ) Voir étude de l’IRCP intitulée « Material detention condition, execution of custodial sentences and prisoner transfer in the EU Member States », 2011. Voir, également, point 4.1.8 du livre vert de la Commission mentionné à la note en bas de page 36 des présentes conclusions où celle-ci relève que « les différences dans les législations des États membres en ce qui concerne le délai minimum d’incarcération [...] ont créé des difficultés d’application et même des refus de transfert parce
qu’elles peuvent entraîner une peine moins sévère ou même une libération immédiate ». Ces difficultés se sont posées dans les mêmes termes dans l’application de la convention sur le transfèrement.
( 57 ) Nous rappelons que, conformément à cette disposition, « [l]’autorité compétente de l’État d’exécution informe l’autorité compétente de l’État d’émission, à la demande de cette dernière, des dispositions applicables en matière de libération anticipée ou conditionnelle. L’État d’émission peut accepter l’application de ces dispositions ou retirer le certificat ».
( 58 ) Cour EDH, 27 juin 2006, Szabó c. Suède, CE:ECHR:2006:0627DEC002857803, p. 9. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’intéressé pouvait raisonnablement espérer être libéré en Suède une fois les deux tiers de sa peine d’emprisonnement de dix ans purgés, soit au bout de six ans et huit mois. En raison de son transfèrement vers la Hongrie, celui-ci ne pouvait prétendre à une libération conditionnelle qu’après avoir purgé les quatre cinquièmes de cette peine, c’est-à-dire au bout de huit
ans. En droit, sa condamnation n’était donc pas aggravée, cependant, dans les faits, l’intéressé devait purger en Hongrie une peine d’emprisonnement dépassant d’un an et quatre mois celle qu’il aurait eu à subir en Suède. La Cour européenne des droits de l’homme devait donc examiner si le transfèrement de l’intéressé en Hongrie et l’allongement de facto de la durée de sa détention étaient susceptibles de constituer une violation de l’article 5 de la CEDH. En l’occurrence, elle a estimé que la
période supplémentaire de détention que l’intéressé risquera de purger en Hongrie équivaut à 20 % de la durée qu’il aurait pu s’attendre à purger en Suède. Après avoir relevé que la différence d’un an et quatre mois n’est pas négligeable, elle a jugé, néanmoins, que la durée de la détention que l’intéressé purgera demeure comprise dans les limites de la peine prononcée.