CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES BOT
présentées le 25 février 2016 ( 1 )
Affaire C‑159/15
Franz Lesar
contre
Beim Vorstand der Telekom Austria AG eingerichtetes Personalamt
[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche)]
«Renvoi préjudiciel — Politique sociale — Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Article 2, paragraphes 1 et 2, sous a) — Article 6, paragraphe 2 — Détermination des droits de pension des anciens fonctionnaires — Périodes d’apprentissage ou d’emploi contractuel pour lesquelles des cotisations à l’assurance pension obligatoire ont dû être versées — Prise en compte — Exclusion de telles périodes accomplies avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans»
1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, paragraphes 1 et 2, sous a), ainsi que 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 2 ).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Lesar au Beim Vorstand der Telekom Austria AG eingerichtetes Personalamt (service du personnel de la direction de Telekom Austria AG, ci-après le «service du personnel»), au sujet du refus de ce dernier de prendre en compte, pour le calcul de ses droits à pension, les périodes d’apprentissage et de travail précédant l’entrée en service de M. Lesar que celui-ci a accomplies avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans.
3. Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour d’examiner la réglementation nationale en cause au principal au regard de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 plutôt qu’au regard de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive. Nous parviendrons, au terme de notre analyse, à la conclusion que les articles 2, paragraphes 1 et 2, sous a), ainsi que 6, paragraphe 2, de ladite directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation
nationale, telle que celle en cause au principal, qui exclut la prise en compte des périodes d’apprentissage et de travail accomplies par un fonctionnaire avant l’âge de 18 ans aux fins de l’octroi du droit à pension et du calcul du montant de sa pension de retraite, dans la mesure où cette réglementation vise à garantir la fixation uniforme, au sein d’un régime de retraite des fonctionnaires, d’un âge d’adhésion à ce régime ainsi que d’un âge d’admissibilité aux prestations de retraite qui sont
servies dans le cadre dudit régime.
I – Le cadre juridique
A – La directive 2000/78
4. Aux termes de son article 1er, la directive 2000/78 «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».
5. L’article 2 de cette directive énonce:
«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.
2. Aux fins du paragraphe 1:
a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;
[...]»
6. L’article 6 de ladite directive est ainsi libellé:
«1. Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:
a) la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;
b) la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;
[...]
2. Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité, y compris la fixation, pour ces régimes, d’âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs et l’utilisation, dans le cadre de ces régimes, de critères d’âge dans les calculs
actuariels, à condition que cela ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe.»
B – Le droit autrichien
7. Les articles 53 et 54 de la loi fédérale relative aux droits à pension des fonctionnaires fédéraux, de leurs survivants et des membres de leur famille (loi relative aux pensions de 1965) [Bundesgesetz über die Pensionsansprüche der Bundesbeamten, ihrer Hinterbliebenen und Angehörigen (Pensionsgesetz 1965)], du 18 novembre 1965 ( 3 ), dans leur version en vigueur à l’époque des faits du litige au principal, étaient libellés comme suit:
«Périodes antérieures à l’entrée en service à prendre en considération pour le calcul des points de retraite
Article 53
(1) Les périodes assimilables sont celles qui sont énumérées aux paragraphes 2 à 4 dans la mesure où elles sont antérieures à la date à partir de laquelle commence à courir le temps de service fédéral susceptible d’être pris en considération aux fins de la retraite. Ces périodes sont comptabilisées par voie d’imputation.
(2) Sont comptabilisées les périodes suivantes:
a) le temps accompli dans une relation de service, de formation ou autre relation de travail auprès d’un employeur de droit public national,
[...]
h) la durée d’un cycle d’études complet accompli [...] dans un collège de l’enseignement technique ou professionnel, dans un lycée de l’enseignement technique ou professionnel, dans une académie ou dans un établissement d’enseignement apparenté pourvu que la durée minimum de scolarité n’ait pas été dépassée,
[...]
k) le temps accompli dans le cadre d’une relation de formation professionnelle dans la mesure où cette formation constituait une condition préalable au recrutement du fonctionnaire ou lorsqu’elle a été effectuée auprès d’un employeur de droit public national,
l) la période d’un emploi fondant une obligation à des cotisations à l’assurance pension aux termes des dispositions [de la loi générale relative à la sécurité sociale (Allgemeines Sozialversicherungsgesetz), du 9 septembre 1955 ( 4 )], applicables au 31 décembre 2004,
[...]
Exclusion de la prise en compte et renonciation
Article 54
[...]
(2) Ne sont pas prises en compte les périodes assimilables suivantes:
a) les périodes que le fonctionnaire a accomplies avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans; cette restriction ne s’applique pas aux périodes qui doivent être prises en compte conformément à l’article 53, paragraphe 2, sous a), d), k) et l), lorsqu’un montant dit de transfert doit être versé pour celles-ci en application des règles du droit de la sécurité sociale;
[...]
(5) Le paragraphe 2, sous a), deuxième proposition s’applique uniquement aux fonctionnaires auxquels l’article 88, paragraphe 1, ne s’applique pas [...]»
8. L’article 88, paragraphe 1, du PG 1965, dans sa version en vigueur à l’époque des faits du litige au principal, vise les fonctionnaires entrés au service d’une collectivité locale autrichienne avant le 1er mai 1995 qui, entre la date de leur entrée en fonction et la date à laquelle celle-ci prend fin, sont demeurés sans interruption au service d’une collectivité locale autrichienne.
II – Le litige au principal et la question préjudicielle
9. M. Lesar est né le 3 juin 1949. Entre l’âge de 14 ans et l’âge de 18 ans (du 9 septembre 1963 au 8 mars 1967), il a travaillé sous contrat d’apprentissage auprès de l’administration des postes et des télégraphes de l’État fédéral (Post- und Telegraphenverwaltung des Bundes). À partir du 9 mars 1967, il a été engagé par celle-ci en qualité d’agent contractuel. En marge de son travail, il a repris des études, du 14 septembre 1967 au 17 février 1972, au lycée fédéral pour étudiants exerçant une
activité professionnelle. Le 1er juillet 1972, il a été engagé par l’État fédéral (Bund) en qualité d’agent contractuel dans une relation de service de droit public.
10. Avant son admission en qualité de fonctionnaire, M. Lesar a versé des cotisations de pension à l’office des pensions des employés (Pensionsversicherungsanstalt der Angestellten, ci-après l’«organisme assureur») tout au long de la période de son contrat d’apprentissage et de sa relation de travail, et ce tant avant qu’après avoir atteint l’âge de 18 ans.
11. Par une décision de la direction de l’administration des postes et des télégraphes de Styrie (Post- und Telegraphendirektion für Steiermark) du 23 août 1973, cinq ans et quinze jours compris entre la date à laquelle il a atteint l’âge de 18 ans et la date à laquelle il a entamé sa carrière dans le service public lui ont été inconditionnellement reconnus à titre de périodes antérieures à l’entrée en service à prendre en considération aux fins du calcul des droits à pension. Ces périodes se
répartissent comme suit:
— du 3 juin 1967 au 13 septembre 1967, activité en qualité d’agent contractuel;
— du 14 septembre 1967 au 17 février 1972, études au lycée fédéral pour étudiants exerçant une activité professionnelle, et
— du 1er mars 1972 au 30 juin 1972, activité en qualité d’agent contractuel.
12. Par une décision du 22 mai 1974, l’organisme assureur a décidé d’accorder et de verser à l’État fédéral un montant dit «de transfert» pour les périodes d’activité en tant qu’agent contractuel assimilées que M. Lesar avait accomplies après avoir atteint l’âge de 18 ans. Ce montant de transfert s’élevait à 4785 schillings autrichiens (ATS).
13. Par décisions des 28 mars 1974 et 22 mai 1974, la somme de 33160,05 ATS a été accordée à M. Lesar à titre de remboursement, notamment, des cotisations de pension qu’il avait versées pour les périodes de sa relation de contrat d’apprentissage et de sa relation de travail en qualité d’agent contractuel accomplies avant qu’il ait atteint l’âge de 18 ans.
14. M. Lesar a été admis au bénéfice de la retraite le lendemain du 31 août 2004. Dans ce contexte, le service du personnel a déterminé le montant de sa pension en tenant compte des périodes antérieures reconnues par la décision du 23 août 1973.
15. Au mois d’août 2011, M. Lesar a sollicité une reconnaissance des périodes d’apprentissage et des périodes d’emploi qu’il avait accomplies avant d’atteindre l’âge de 18 ans, en tant que périodes assimilables supplémentaires. Le service du personnel a rejeté cette demande par décision du 23 août 2012. M. Lesar a alors introduit un recours contre cette décision devant le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle). Cette juridiction s’est toutefois déclarée incompétente pour examiner ce
recours. M. Lesar s’est, dès lors, tourné vers la juridiction de renvoi à laquelle il a adressé la même réclamation.
16. Selon cette dernière, le rejet de la demande ne serait pas justifié si, à la suite de l’entrée en vigueur de la directive 2000/78, la situation juridique s’était trouvée modifiée. Elle considère que, en l’espèce, le refus d’une prise en considération des périodes d’apprentissage et d’emploi accomplies avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans en tant que périodes antérieures à l’entrée en service constitue une différence de traitement fondée sur l’âge, mais elle se demande si celle-ci pourrait
toutefois être justifiée.
17. Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les articles 2, paragraphes 1 et 2, sous a), ainsi que 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à une réglementation telle que la réglementation nationale en cause au principal conformément à laquelle les périodes d’apprentissage et les périodes de travail accomplies par un agent contractuel au service de l’État fédéral avant son admission dans la fonction publique en cette qualité, périodes pour lesquelles des cotisations à
l’assurance pension obligatoire ont dû être versées,
a) sont prises en considération pour le calcul des droits à une pension de fonctionnaire lorsque l’intéressé les a accomplies après avoir atteint l’âge de 18 ans, auquel cas l’organisme assureur verse à l’État fédéral un montant dit ‘de transfert’ pour la prise en compte de ces périodes en application des règles du droit des assurances sociales, mais, en revanche,
b) ne sont pas en prises en considération pour le calcul des droits à une pension de fonctionnaire lorsque l’intéressé les a accomplies avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans, auquel cas l’organisme assureur n’a pas à verser de montant de transfert à l’État fédéral et rembourse à l’assuré les cotisations qu’il a versées, eu égard au fait, en particulier, que, si la prise en compte de ces périodes est obtenue a posteriori en application des règles du droit de l’Union, l’organisme assureur pourrait
exiger du fonctionnaire qu’il lui reverse les cotisations qui lui avaient été remboursées et pourrait également se voir dans l’obligation de verser a posteriori un montant de transfert à l’État fédéral?»
III – Notre analyse
18. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20), la Cour était interrogée sur le point de savoir si les articles 2, paragraphes 1 et 2, sous a), ainsi que 6, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui exclut la prise en compte des périodes de scolarité accomplies par un fonctionnaire avant l’âge de 18 ans aux fins de l’octroi du droit à pension et du calcul du montant de sa pension
de retraite, alors que ces périodes sont prises en compte lorsqu’elles sont accomplies après qu’il a atteint cet âge.
19. Dans un premier temps, la Cour a estimé que, en excluant, aux fins du calcul d’une pension de retraite, une partie des fonctionnaires du bénéfice de la prise en compte des périodes de scolarité accomplies avant l’âge de 18 ans, l’article 54, paragraphe 2, sous a), du PG 1965 affecte les conditions de rémunération de ces fonctionnaires, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78. Dès lors, cette dernière s’applique à une situation telle que celle en cause dans cette
affaire.
20. À cet égard, la Cour a rappelé que le champ d’application de la directive 2000/78 doit s’entendre, à la lumière de l’article 3, paragraphes 1, sous c), et 3, de cette directive, lu en combinaison avec le considérant 13 de celle-ci, comme ne couvrant pas les régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération, au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 157, paragraphe 2, TFUE ( 5 ). Elle a également rappelé que la notion
de «rémunération», au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE, comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient payés, serait-ce indirectement, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ( 6 ).
21. Or, dans ladite affaire, était en cause l’absence de prise en compte, pour le calcul des points de retraite, de périodes de scolarité accomplies par M. Felber avant l’âge de 18 ans et antérieures à son entrée au service de l’État fédéral. Il était établi que le montant de la pension de retraite dépend des périodes de service et des périodes assimilables ainsi que du traitement que percevait le fonctionnaire et que la pension de retraite constitue un futur paiement en espèces, versé par
l’employeur à ses employés, en conséquence directe de la relation d’emploi de ces derniers. En effet, cette pension est, en droit national, considérée comme une rémunération qui continue à être versée dans le cadre d’une relation de service qui se poursuit après l’admission du fonctionnaire au bénéfice des prestations de retraite. Ladite pension constitue, à ce titre, une rémunération au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE ( 7 ).
22. Dans un deuxième temps, la Cour a considéré que la réglementation nationale en cause instaure une différence de traitement directement fondée sur le critère de l’âge, au sens de l’article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive 2000/78 ( 8 ).
23. Dans un troisième temps, la Cour a examiné si cette différence de traitement n’était néanmoins pas susceptible d’être justifiée au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.
24. La Cour a, d’abord, relevé que la prise en considération des périodes antérieures à l’entrée en service du fonctionnaire accomplies par celui-ci en dehors de la relation de service est une règle dérogatoire qui a été introduite pour ne pas défavoriser, en termes d’acquisition de droits à pension, les fonctionnaires ayant, préalablement à leur entrée en fonction au service de l’État fédéral, accompli une formation supérieure par rapport à ceux dont l’engagement n’est soumis à aucune condition de
formation particulière et qui ont, par conséquent, pu entrer en fonction au service de l’État fédéral dès l’âge de 18 ans. Ainsi, les règles du régime de pension des fonctionnaires seraient conçues de manière à ce que la carrière globale à prendre en considération aux fins du calcul du montant de la pension de retraite remonte jusqu’à l’âge minimum requis pour l’entrée au service de l’État. La réglementation nationale en cause viserait à uniformiser la date de début de cotisation au régime de
pension et, partant, le maintien de l’âge d’admission au bénéfice de la retraite. Dans ce contexte, l’exclusion de la prise en compte des périodes de formation scolaire accomplies avant l’âge de 18 ans serait justifiée par le fait que l’intéressé n’exerce en principe, durant ces périodes, aucune activité rémunérée donnant lieu au versement de cotisations au régime de pension ( 9 ).
25. Selon la Cour, dans la mesure où la poursuite d’un tel objectif permet d’assurer le respect du principe de l’égalité de traitement pour toutes les personnes d’un secteur donné et en rapport avec un élément essentiel de leur relation de travail, tel que le moment de départ à la retraite, cet objectif constitue un objectif légitime de la politique de l’emploi ( 10 ).
26. La Cour a, ensuite, vérifié, comme le requiert l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, si les moyens mis en œuvre pour réaliser ledit objectif sont appropriés et nécessaires.
27. S’agissant, d’une part, du caractère approprié de l’article 54, paragraphe 2, sous a), du PG 1965, la Cour a noté que l’âge minimum de recrutement dans le service public est fixé à 18 ans et que, partant, un fonctionnaire ne peut être affilié au régime de pension des fonctionnaires et cotiser à ce régime qu’à partir de cet âge ( 11 ). Par conséquent, l’exclusion, en vertu de cette disposition, de la prise en compte des périodes de formation scolaire accomplies avant l’âge de 18 ans est, selon la
Cour, apte à atteindre l’objectif légitime consistant à adopter une politique de l’emploi de nature à permettre à tous les affiliés au régime de pension des fonctionnaires de commencer à cotiser au même âge, d’acquérir le droit de percevoir une pension de retraite complète et, ainsi, à garantir une égalité de traitement entre les fonctionnaires ( 12 ).
28. S’agissant, d’autre part, de la question de savoir si la réglementation nationale en cause ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif qu’elle poursuit, la Cour a relevé que la demande à l’origine du litige tendait à la prise en compte non pas de périodes d’emploi, à l’instar de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hütter (C‑88/08, EU:C:2009:381), mais uniquement de périodes de formation accomplies dans un collège ou un lycée de l’enseignement technique ou professionnel ( 13
).
29. À cet égard, la Cour a considéré que la réglementation nationale en cause est cohérente au regard de la justification mise en avant par la juridiction de renvoi, à savoir exclure du calcul de la pension de retraite les périodes durant lesquelles l’intéressé ne verse pas de cotisations au régime de pension ( 14 ). Elle en a conclu qu’une mesure telle que celle prévue à l’article 54, paragraphe 2, sous a), du PG 1965 est appropriée pour atteindre les objectifs pris en considération et ne va pas
au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs ( 15 ).
30. Dans le cadre de la présente affaire, la juridiction de renvoi a formulé sa question afin que la Cour lui précise, en substance, si cette conclusion peut être transposée aux périodes d’apprentissage et aux périodes de travail accomplies par un agent contractuel qui a été au service de l’État fédéral avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans. En d’autres termes, elle souhaite savoir si les articles 2, paragraphes 1 et 2, sous a), ainsi que 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 font obstacle ou non
à une réglementation nationale en vertu de laquelle les périodes d’apprentissage et les périodes de travail accomplies par un agent contractuel au service de l’État fédéral ne sont pas prises en considération pour le calcul des droits à une pension de fonctionnaire lorsque l’intéressé les a accomplies avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans.
31. Nous relevons, d’emblée, que, alors qu’elle était interrogée sur l’existence d’une justification au regard du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de l’article 6 de la directive 2000/78, la Cour a choisi, dans son arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20), de limiter son examen au regard du seul paragraphe 1 de cet article. C’est certainement ce qui explique que, dans la question qu’elle a formulée dans le cadre de la présente affaire, la juridiction de renvoi n’a pas fait mention du paragraphe 2 dudit
article.
32. C’est pourtant bien au regard de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 que la présente affaire nous paraît devoir être examinée.
33. Nous rappelons, à cet égard, que, même si la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait ou non référence dans l’énoncé de sa question ( 16 ).
34. Nous relevons également que, dans ses observations écrites, le gouvernement autrichien a considéré que la différence de traitement en cause au principal était justifiée non seulement au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, mais également au regard de l’article 6, paragraphe 2, de cette directive. Toutes les parties ont, d’ailleurs, été invitées par la Cour à prendre position lors de l’audience sur l’interprétation et l’applicabilité, en l’espèce, de cette dernière
disposition.
35. Il n’est, à notre avis, pas approprié d’examiner la réglementation nationale en cause au principal prioritairement au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 dans la mesure où l’objectif que vise cette réglementation est précisément le même que celui que l’article 6, paragraphe 2, de cette directive permet aux États membre de poursuivre, à savoir la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite
ou d’invalidité.
36. Or, c’est bien à cet objectif que la Cour fait référence dans son arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20) lorsqu’elle considère que la réglementation nationale en cause est apte à atteindre l’objectif légitime consistant à adopter une politique de l’emploi de nature à permettre à tous les affiliés au régime de pension des fonctionnaires de commencer à cotiser au même âge, d’acquérir le droit de percevoir une pension de retraite complète et, ainsi, à garantir une égalité de traitement entre les
fonctionnaires ( 17 ).
37. Comme le gouvernement autrichien l’a démontré, c’est bien en vue d’uniformiser la date de début de cotisation au régime de pension des fonctionnaires et, partant, de maintenir l’âge d’admission au bénéfice de la retraite que la réglementation nationale en cause au principal exclut la prise en compte des périodes d’apprentissage ou de travail antérieures à l’âge de 18 ans. Une telle réglementation est donc une expression de la liberté dont disposent les États membres, en vertu de l’article 6,
paragraphe 2, de la directive 2000/78, de fixer, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, un âge d’adhésion à un régime de retraite des fonctionnaires ou d’admissibilité aux prestations de retraite qui sont servies dans le cadre de ce régime. Par ailleurs, le libellé de cette disposition est tel qu’il permet aux États membres non seulement de fixer des âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs, mais également d’adopter des mesures propres à
garantir, au sein d’un régime professionnel de sécurité sociale, un âge uniforme d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité.
38. Dans ses arrêts HK Danmark (C‑476/11, EU:C:2013:590) et Dansk Jurist- og Økonomforbund (C‑546/11, EU:C:2013:603), la Cour a dit pour droit que, dès lors que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 permet aux États membres de prévoir une exception au principe de non-discrimination fondée sur l’âge, cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation restrictive ( 18 ).
39. Selon la Cour, une interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 selon laquelle cette disposition aurait vocation à s’appliquer à tout type de régime professionnel de sécurité sociale aurait pour effet d’élargir le champ d’application de celle-ci, en méconnaissance du caractère restrictif de l’interprétation dont ladite disposition doit faire l’objet ( 19 ).
40. Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 n’a vocation à s’appliquer qu’aux régimes professionnels de sécurité sociale qui couvrent les risques de vieillesse et d’invalidité ( 20 ). En outre, ont vocation à relever du champ d’application de cette disposition non pas l’ensemble des éléments caractérisant un régime professionnel de sécurité sociale couvrant de tels risques, mais uniquement ceux qui y sont expressément mentionnés ( 21 ).
41. Par conséquent, afin de vérifier si une mesure nationale relève de l’exception prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78, il convient de vérifier, d’une part, si elle s’inscrit dans le cadre d’un régime professionnel de sécurité sociale qui couvre le risque de vieillesse ou d’invalidité et, d’autre part, si elle relève des hypothèses visées à cette disposition, à savoir la «fixation [...] d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité», y
compris l’«utilisation [...] de critères d’âge dans les calculs actuariels».
42. À l’instar du gouvernement autrichien, nous sommes d’avis que les conditions d’application de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78 sont remplies en l’espèce.
43. En effet, nous sommes en présence d’une réglementation nationale applicable à un régime professionnel de sécurité sociale et qui a pour objet la fixation uniforme d’un âge d’adhésion à un régime de pension des fonctionnaires ainsi que d’un âge d’admissibilité aux prestations de retraite.
44. Si la directive 2000/78 ne définit pas ce qu’il convient d’entendre par «régimes professionnels de sécurité sociale», une définition de cette notion figure, en revanche, à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail ( 22 ). Il résulte ainsi de cette disposition que les
régimes professionnels de sécurité sociale sont «les régimes non régis par la directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ( 23 ) qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des
prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative».
45. Or, comme l’indique à juste titre le gouvernement autrichien, le régime de retraite des fonctionnaires est un régime qui fournit aux membres d’un secteur professionnel des prestations destinées à se substituer aux prestations du régime général d’assurance retraite au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54. En ce sens, les fonctionnaires fédéraux sont, conformément à l’article 5, paragraphe 1, point 3, sous a), de l’ASVG, exclus du régime de l’assurance retraite mis
en place par l’ASVG en raison de leur emploi dans la fonction publique de l’État fédéral parce que leur relation de travail leur confère un droit à des prestations de retraite équivalentes à celles que prévoit le régime de l’assurance retraite.
46. Il convient, en outre, de mentionner l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2006/54, qui codifie la jurisprudence de la Cour ( 24 ) en assimilant à des régimes professionnels de sécurité sociale les «régimes de pension destinés à une catégorie particulière de travailleurs, comme celle des fonctionnaires, si les prestations payables en vertu du régime sont versées en raison de la relation de travail avec l’employeur public», le fait qu’un tel régime fasse partie d’un régime légal général
étant, à cet égard, indifférent.
47. Il résulte de ce qui précède que, par analogie, le régime de retraite des fonctionnaires en cause au principal doit, dès lors, être assimilé à un régime professionnel de sécurité sociale au sens de la directive 2000/78.
48. Le gouvernement autrichien est, par conséquent, fondé, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78, à appliquer une réglementation nationale destinée à maintenir, au sein de ce régime, un âge uniforme d’adhésion audit régime et d’admissibilité aux prestations de retraite qui sont servies dans le cadre de ce dernier.
IV – Conclusion
49. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons de répondre à la question posée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) de la manière suivante:
Les articles 2, paragraphes 1 et 2, sous a), ainsi que 6, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui exclut la prise en compte des périodes d’apprentissage et de travail accomplies par un fonctionnaire avant l’âge de 18 ans aux
fins de l’octroi du droit à pension et du calcul du montant de sa pension de retraite, dans la mesure où cette réglementation vise à garantir la fixation uniforme, au sein d’un régime de retraite des fonctionnaires, d’un âge d’adhésion à ce régime ainsi que d’un âge d’admissibilité aux prestations de retraite qui sont servies dans le cadre dudit régime.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) JO L 303, p. 16.
( 3 ) BGBl. 340/1965, ci-après le «PG 1965».
( 4 ) BGBl. 189/1955, ci-après l’«ASVG».
( 5 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 20 et jurisprudence citée).
( 6 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 21 et jurisprudence citée).
( 7 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 23).
( 8 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, points 25 à 27).
( 9 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 31).
( 10 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 32).
( 11 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 34).
( 12 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 35).
( 13 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 36).
( 14 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 37).
( 15 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 39).
( 16 ) Voir, notamment, arrêt HK Danmark (C‑476/11, EU:C:2013:590, point 56 et jurisprudence citée).
( 17 ) Arrêt Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 35).
( 18 ) Arrêts HK Danmark (C‑476/11, EU:C:2013:590, point 46) et Dansk Jurist- og Økonomforbund (C‑546/11, EU:C:2013:603, point 41).
( 19 ) Arrêts HK Danmark (C‑476/11, EU:C:2013:590, point 47) et Dansk Jurist- og Økonomforbund (C‑546/11, EU:C:2013:603, point 42).
( 20 ) Arrêts HK Danmark (C‑476/11, EU:C:2013:590, point 48) et Dansk Jurist- og Økonomforbund (C‑546/11, EU:C:2013:603, point 43).
( 21 ) Arrêt HK Danmark (C‑476/11, EU:C:2013:590, point 52).
( 22 ) JO L 204, p. 23.
( 23 ) JO 1979, L 6, p. 24.
( 24 ) Voir, notamment, arrêts Beune (C‑7/93, EU:C:1994:350) et Griesmar (C‑366/99, EU:C:2001:648).