ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
21 janvier 2016 ( * )
«Renvoi préjudiciel — Protection des indications géographiques des boissons spiritueuses — Règlement (CE) no 110/2008 — Article 16, sous b) — Évocation — Eau-de-vie de cidre produite en Finlande et commercialisée sous la dénomination ‘Verlados’ — Indication géographique protégée ‘Calvados’»
Dans l’affaire C‑75/15,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande), par décision du 13 février 2015, parvenue à la Cour le 19 février 2015, dans la procédure
Viiniverla Oy
contre
Sosiaali- ja terveysalan lupa- ja valvontavirasto,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, Mme C. Toader, M. A. Rosas, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,
avocat général: M. P. Mengozzi,
greffier: M. A. Calot Escobar,
considérant les observations présentées:
— pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et D. Colas ainsi que par Mme S. Ghiandoni, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Russo, avvocato dello Stato,
— pour la Commission européenne, par M. P. Aalto ainsi que par Mmes I. Galindo Martín et B. Eggers, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 16, sous b), du règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO L 39, p. 16).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Viiniverla Oy (ci-après «Viiniverla»), une société de droit finlandais, au Sosiaali- ja terveysalan lupa- ja valvontavirasto (Office d’autorisation et de supervision en matière sociale et sanitaire, ci-après l’«Office») au sujet d’une décision de ce dernier, du 18 novembre 2013, d’interdire à Viiniverla de commercialiser, à compter du 1er février 2014, une boisson dénommée «Verlados».
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 2 et 14 du règlement no 110/2008 se lisent comme suit:
«(2) Le secteur des boissons spiritueuses est un secteur important dans [l’Union européenne], pour les consommateurs, les producteurs et le secteur agricole. Les mesures applicables au secteur des boissons spiritueuses devraient contribuer à la réalisation d’un niveau élevé de protection des consommateurs, à la prévention de pratiques de nature à induire en erreur ainsi qu’à l’assurance de la transparence des marchés et d’une concurrence loyale. [...]
[...]
(14) Étant donné que le règlement (CE) no 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires [(JO L 93, p. 12), tel que modifié par le règlement (CE) no 1791/2006 du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 1)] ne s’applique pas aux boissons spiritueuses, il convient d’établir les règles relatives à la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses dans le
présent règlement. Il y a lieu d’enregistrer les indications géographiques en identifiant les boissons spiritueuses comme étant originaires du territoire d’un pays, d’une région, ou d’une localité située sur ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée de la boisson spiritueuse peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.»
4 L’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 110/2008 dispose:
«Le présent règlement s’applique à toutes les boissons spiritueuses mises sur le marché dans [l’Union], qu’elles soient produites dans [l’Union] ou dans des pays tiers, ainsi qu’à celles produites dans [l’Union] à des fins d’exportation. [...]»
5 L’article 15 du règlement no 110/2008, intitulé «Indications géographiques», prévoit:
«1. Aux fins du présent règlement, on entend par ‘indication géographique’ une indication qui identifie une boisson spiritueuse comme étant originaire du territoire d’un pays, d’une région ou d’une localité située sur ce territoire, lorsqu’une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée de la boisson spiritueuse peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.
2. Les indications géographiques visées au paragraphe 1 sont enregistrées à l’annexe III.
3. Les indications géographiques enregistrées à l’annexe III ne peuvent pas devenir génériques.
Les dénominations devenues génériques ne peuvent pas être enregistrées à l’annexe III.
Une dénomination devenue générique signifie que le nom de la boisson spiritueuse, bien qu’il soit lié au lieu ou à la région où le produit a été élaboré ou mis sur le marché initialement, est devenu le nom usuel d’une boisson spiritueuse dans [l’Union].
4. Les boissons spiritueuses portant une indication géographique enregistrée à l’annexe III répondent à toutes les spécifications arrêtées dans la fiche technique visée à l’article 17, paragraphe 1.»
6 L’article 16 dudit règlement, intitulé «Protection des indications géographiques», se lit comme suit:
«Sans préjudice de l’article 10, les indications géographiques enregistrées à l’annexe III sont protégées contre:
[...]
b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si la véritable origine du produit est indiquée ou si l’indication géographique est utilisée dans la traduction ou accompagnée d’une expression telle que ‘comme’, ‘type’, ‘style’, ‘élaboré’, ‘arôme’ ou tout autre terme similaire;
[...]»
7 L’annexe III du règlement no 110/2008, intitulée «Indications géographiques», mentionne que le «Calvados» a été enregistré dans la catégorie de produits no 10, «Eau-de-vie de cidre et de poiré», avec pour pays d’origine la France.
Le droit finlandais
8 En vertu de l’article 43, paragraphe 1, de la loi sur l’alcool [alkoholilaki (1143/1994), ci-après la «loi sur l’alcool»], le fabricant et l’importateur d’une boisson alcoolique répondent de la qualité et de la composition de la boisson alcoolique qu’ils mettent à la consommation ainsi que de la conformité du produit, de son étiquetage et des autres éléments de présentation aux dispositions législatives et réglementaires applicables en la matière.
9 En application de l’article 49, paragraphe 2, de la loi sur l’alcool, l’Office peut interdire la commercialisation d’une boisson alcoolique ou prononcer une obligation de retirer une boisson du marché sans indemnisation, dans le cas, notamment, où le produit ou sa présentation sont contraires aux dispositions législatives et réglementaires applicables en la matière.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Viiniverla, établie à Verla (Finlande), fabrique et commercialise depuis l’année 2001 de l’eau-de-vie de cidre dénommée «Verlados».
11 Le 23 novembre 2012, à la suite d’une plainte relative à l’utilisation prétendument abusive de l’indication géographique française «Calvados», la Commission européenne a saisi les autorités finlandaises d’une demande d’éclaircissements relative à l’utilisation de la dénomination «Verlados».
12 Dans leur réponse du 31 janvier 2013, les autorités finlandaises ont indiqué que la boisson dénommée «Verlados» est un produit local dont le nom fait directement référence au lieu de sa fabrication, à savoir au village de Verla et au domaine de Verla. Elles ont ajouté que les dénominations «Calvados» et «Verlados» n’ont que leur dernière syllabe en commun, ce qui est insuffisant au regard de la jurisprudence de la Cour, qui considère l’existence d’une «évocation» à partir de deux syllabes
identiques.
13 Le 6 mars 2013, la Commission a adressé aux autorités finlandaises une demande d’informations complémentaires. Dans celle-ci, la Commission a considéré, en application de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, que la dénomination «Verlados» n’était pas autorisée et a fait part à la République de Finlande de son intention d’engager une procédure d’infraction à son encontre si elle ne se conformait pas à cette interprétation. Selon la Commission, la terminaison «ados» de la dénomination
«Verlados» suffit à évoquer la dénomination «Calvados» au sens de la jurisprudence de la Cour.
14 En conséquence, l’Office a adopté, sur le fondement de l’article 49, paragraphe 2, de la loi sur l’alcool, une décision interdisant à Viiniverla de commercialiser la boisson dénommée «Verlados» à compter du 1er février 2014.
15 Viiniverla a saisi le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) d’un recours tendant à l’annulation de cette décision. Devant cette juridiction, elle a fait valoir que l’utilisation de la dénomination «Verlados» n’est constitutive d’aucune usurpation, imitation ou évocation du produit «Calvados» et n’enfreint donc pas le droit de l’Union relatif à la protection des indications géographiques.
16 Considérant que la jurisprudence de la Cour ne contient pas tous les éléments dont il estime avoir besoin pour trancher le litige dont il est saisi, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Faut-il, lors de l’appréciation du point de savoir s’il y a évocation au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, se référer au consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et éclairé?
2) Lors de l’appréciation de l’interdiction d’utiliser la dénomination ‘Verlados’ pour l’eau-de-vie de cidre commercialisée sous ce nom sur le territoire national, afin de protéger l’indication géographique ‘Calvados’, quelle importance convient-il de conférer aux circonstances ci-dessous dans le cadre de l’interprétation de la notion d’‘évocation’ au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, et de l’application dudit règlement:
a) le début de la dénomination ‘Verlados’ correspond au nom du village finlandais de Verla, et ce nom est susceptible d’être reconnu par le consommateur finlandais;
b) l’élément ‘Verla’, par lequel débute la dénomination ‘Verlados’, fait référence à l’entreprise Viiniverla, qui fabrique le produit ‘Verlados’;
c) le ‘Verlados’ est un produit local fabriqué dans le village de Verla, dont il se vend en moyenne quelques centaines de litres par an dans le restaurant du domaine, et que l’on peut en outre se procurer sur commande, dans une mesure limitée, auprès de l’entreprise d’État de distribution de boissons alcooliques prévue par la loi sur l’alcool;
d) les termes ‘Verlados’ et ‘Calvados’ n’ont qu’une seule syllabe, sur trois, en commun (‘dos’) mais, d’un autre côté, les quatre dernières lettres (‘ados’) de chacun des deux mots, c’est-à-dire la moitié de leur nombre total, sont identiques?
3) Si l’on considère qu’il y a ‘évocation’ au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, peut-on toutefois autoriser l’utilisation de la dénomination ‘Verlados’ pour une des raisons précitées ou pour une autre raison, telle que celle tenant au fait qu’au moins le consommateur finlandais ne risque pas de s’imaginer que le produit ‘Verlados’ est fabriqué en France?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
17 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer si elle est en présence d’une «évocation» au sens de cette disposition, il lui incombe de se référer à la perception d’un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.
18 Tandis que le gouvernement français propose de répondre à la première question par l’affirmative, le gouvernement italien et la Commission sont d’avis qu’il n’est pas nécessaire de se référer à la notion de «consommateur». À cet égard, le gouvernement italien relève qu’il peut y avoir «évocation» même en l’absence d’un quelconque risque de confusion de la part du public, la Commission estimant, pour sa part, que la constatation d’une évocation revêt un caractère objectif, fondé sur le seul examen
des dénominations en cause.
19 Selon l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 110/2008, l’expression «indication géographique» désigne une indication qui identifie une boisson spiritueuse comme étant originaire du territoire d’un pays, d’une région ou d’une localité située sur ce territoire, lorsqu’une qualité, une réputation ou une autre caractéristique déterminée de la boisson spiritueuse peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.
20 L’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 protège les indications géographiques contre toute «évocation», «même si la véritable origine du produit est indiquée ou si l’indication géographique est utilisée dans la traduction ou accompagnée d’une expression telle que ‘comme’, ‘type’, ‘style’, ‘élaboré’, ‘arôme’ ou tout autre terme similaire».
21 Selon la jurisprudence de la Cour, la notion d’«évocation» recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d’une dénomination protégée, de sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de cette dénomination [voir, pour ce qui concerne l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, arrêt Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10,
EU:C:2011:484, point 56; voir également, s’agissant de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), arrêts Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, point 25, et Commission/Allemagne, C‑132/05, EU:C:2008:117, point 44].
22 Certes, l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 ne se réfère pas de manière explicite à la notion de «consommateur». Toutefois, il ressort de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt que, afin de constater l’existence d’une «évocation», au sens de cette disposition, la Cour a considéré qu’il incombe au juge national de vérifier, outre l’incorporation d’une partie d’une dénomination protégée dans le terme utilisé pour désigner le produit en cause, que «le consommateur,
en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’appellation». Ainsi, le juge national doit essentiellement se fonder sur la réaction présumée, au regard du terme utilisé pour désigner le produit en cause, du consommateur, l’essentiel étant que ce dernier établisse un lien entre ledit terme et la dénomination protégée.
23 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la protection conférée par l’article 16 du règlement no 110/2008 aux indications géographiques doit être interprétée eu égard à l’objectif poursuivi par l’enregistrement de ces dernières, à savoir, ainsi qu’il ressort du considérant 14 de ce règlement, permettre l’identification de boissons spiritueuses comme étant originaires d’un territoire déterminé dans les cas où une qualité, une réputation ou une autre caractéristique de ces boissons peut être
essentiellement attribuée à cette origine géographique (arrêt Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 47).
24 Par ailleurs, le système d’enregistrement des indications géographiques des boissons spiritueuses, prévu par le règlement no 110/2008, vise non seulement à contribuer, ainsi que le rappelle le considérant 2 de ce règlement, à la prévention des pratiques de nature à induire en erreur ainsi qu’à l’assurance de la transparence des marchés et d’une concurrence loyale, mais également à la réalisation d’un niveau élevé de protection des consommateurs.
25 Or, il ressort d’une jurisprudence désormais consolidée, relative à la protection du consommateur, que, en règle générale, il y a lieu, dans ce domaine, de prendre en compte l’attente présumée d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, notamment, arrêts Mars, C‑470/93, EU:C:1995:224, point 24; Gut Springenheide et Tusky, C‑210/96, EU:C:1998:369, point 31; Estée Lauder, C‑220/98, EU:C:2000:8, point 30; Lidl Belgium, C‑356/04, EU:C:2006:585, point 78;
Severi, C‑446/07, EU:C:2009:530, point 61; Lidl, C‑159/09, EU:C:2010:696, point 47, ainsi que Teekanne, C‑195/14, EU:C:2015:361, point 36).
26 Il convient, afin d’apprécier la capacité d’un terme utilisé pour désigner un produit à évoquer une dénomination protégée, au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, de faire également application d’un tel critère, lequel est fondé sur le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt Estée Lauder, C‑220/98, EU:C:2000:8, point 28).
27 S’agissant, par ailleurs, du doute nourri par la juridiction de renvoi quant à la pertinence, dans le cadre de l’appréciation de la notion d’«évocation», au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, de la circonstance que la dénomination «Verlados» fait référence au lieu de fabrication du produit en cause au principal, qui serait connu du consommateur finlandais, il convient de rappeler que l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 protège les indications géographiques
enregistrées à son annexe III contre toute «évocation» sur l’ensemble du territoire de l’Union. Or, eu égard à la nécessité de garantir une protection effective et uniforme desdites indications géographiques sur ce territoire, il y a lieu de considérer, à l’instar du gouvernement italien et de la Commission, que la notion de «consommateur», à laquelle se réfère la jurisprudence rappelée au point 21 du présent arrêt, vise le consommateur européen et non le seul consommateur de l’État membre dans
lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de l’indication géographique protégée.
28 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question posée que l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer s’il existe une «évocation» au sens de cette disposition, il incombe à la juridiction nationale de se référer à la perception d’un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, cette dernière notion devant être comprise comme visant un consommateur
européen et non seulement un consommateur de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de l’indication géographique protégée.
Sur la deuxième question
29 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que, afin d’apprécier si la dénomination «Verlados» constitue une «évocation», au sens de cette disposition, de l’indication géographique protégée «Calvados», pour des produits analogues, elle doit prendre en considération, outre la parenté phonétique et visuelle entre ces dénominations, l’existence de circonstances qui tendent à indiquer que
l’utilisation de la dénomination «Verlados» n’est pas susceptible d’induire en erreur le consommateur finlandais.
30 En particulier, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’importance qu’il convient de conférer aux circonstances que, premièrement, le début de la dénomination «Verlados» correspond au nom du village finlandais de Verla, et que ce nom est susceptible d’être reconnu par le consommateur finlandais; deuxièmement, l’élément «Verla» fait référence à l’entreprise Viiniverla, qui fabrique la boisson dénommée «Verlados»; troisièmement, cette boisson est un produit local fabriqué et vendu en quantités
limitées, et, quatrièmement, les termes «Verlados» et «Calvados» n’ont qu’une seule syllabe en commun, tandis que les quatre dernières lettres de chacun de ces mots, à savoir la moitié de leur nombre total de lettres, sont identiques.
31 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier si la dénomination «Verlados» pour une eau-de-vie de cidre constitue une «évocation» au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, de l’indication géographique protégée «Calvados». Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans sa décision (voir, en ce sens, arrêts Severi,
C‑446/07, EU:C:2009:530, point 60, ainsi que, en ce sens, Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 49).
32 Ainsi qu’il résulte du point 21 du présent arrêt, afin d’apprécier l’existence d’une «évocation», au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, il incombe au juge national de vérifier si le consommateur, en présence de la dénomination «Verlados», serait amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’indication géographique protégée, à savoir, dans l’affaire au principal, le «Calvados».
33 À cet égard, la Cour a jugé qu’il était légitime de considérer qu’il y a évocation d’une dénomination protégée lorsque, s’agissant de produits d’apparence analogue, les dénominations de vente présentent une parenté phonétique et visuelle (voir, en ce sens, arrêts Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, point 27; Commission/Allemagne, C‑132/05, EU:C:2008:117, point 46, ainsi que Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484,
point 57).
34 La Cour a considéré qu’une telle parenté était manifeste lorsque le terme utilisé pour désigner le produit en cause se termine par les deux mêmes syllabes que la dénomination protégée et comprend le même nombre de syllabes que celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, point 27).
35 La Cour a également relevé qu’il devait, le cas échéant, être tenu compte de la «proximité conceptuelle» existant entre des termes relevant de langues différentes, une telle proximité ainsi que la parenté phonétique et visuelle visée au point 33 du présent arrêt étant de nature à amener le consommateur à avoir à l’esprit, comme image de référence, le produit dont l’indication géographique est protégée, lorsqu’il est en présence d’un produit comparable revêtu de la dénomination litigieuse (voir,
en ce sens, arrêt Commission/Allemagne, C‑132/05, EU:C:2008:117, points 47 et 48).
36 La Cour a, en outre, considéré que constituait une évocation, au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, l’enregistrement d’une marque contenant une indication géographique ou un terme correspondant à cette indication et sa traduction, pour des boissons spiritueuses ne répondant pas aux spécifications requises par cette indication (arrêt Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 58).
37 En l’occurrence, il y a lieu de relever que, selon la juridiction de renvoi, il n’est pas contesté que la dénomination «Verlados» est utilisée en Finlande pour des produits analogues à ceux bénéficiant de l’indication géographique protégée «Calvados», que ces produits présentent des caractéristiques objectives communes et qu’ils correspondent, du point de vue du public concerné, à des occasions de consommation largement identiques.
38 S’agissant de la parenté visuelle et phonétique entre les dénominations «Verlados» et «Calvados», la juridiction de renvoi doit tenir compte du fait que celles-ci comprennent toutes deux huit lettres, dont les quatre dernières sont identiques, ainsi que le même nombre de syllabes, et qu’elles partagent le même suffixe «dos», ce qui leur confère une parenté visuelle et phonétique certaine.
39 Il incombe également à la juridiction de renvoi de tenir compte, conformément à la jurisprudence de la Cour, des éventuels éléments pouvant indiquer que la parenté visuelle et phonétique entre les deux dénominations n’est pas le fruit de circonstances fortuites (voir, en ce sens, arrêt Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, point 28).
40 À cet égard, le gouvernement français fait valoir que le produit «Verlados» était initialement dénommé «Verla», le suffixe «dos» n’ayant été ajouté qu’ultérieurement, à la suite d’une croissance significative des exportations de «Calvados» vers la Finlande entre l’année 1990 et l’année 2001. En outre, le même gouvernement a relevé que la syllabe «dos» n’avait pas de signification particulière en langue finnoise. De telles circonstances, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier,
sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que la parenté visée au point 38 du présent arrêt n’est pas le fruit de circonstances fortuites.
41 S’agissant des circonstances énumérées par la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer, à l’instar de l’ensemble des parties ayant déposé des observations écrites, que ces circonstances ne sont pas pertinentes pour apprécier l’existence d’une «évocation» au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008.
42 En premier lieu, la juridiction de renvoi souligne que la dénomination «Verlados» se réfère, d’une part, au nom de l’entreprise Viiniverla, qui fabrique cette boisson, ainsi que, d’autre part, au village de Verla, qui serait connu du consommateur finlandais, de sorte que cette dénomination ne serait pas susceptible d’induire celui-ci en erreur.
43 À cet égard, il suffit de rappeler, tout d’abord, que, selon l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, il peut y avoir «évocation» même si la véritable origine du produit est indiquée (voir, en ce sens, arrêt Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 59).
44 Ensuite, il convient de préciser que l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 protège les indications géographiques enregistrées à son annexe III contre toute «évocation» sur l’ensemble du territoire de l’Union. À cet égard, il a été rappelé, au point 27 du présent arrêt, que la notion de «consommateur», à laquelle se réfère la jurisprudence rappelée au point 21 du présent arrêt, vise le consommateur européen et non le seul consommateur de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit
qui donne lieu à l’évocation de l’indication géographique protégée.
45 Enfin, la Cour a déjà jugé qu’il peut y avoir «évocation» même en l’absence de tout risque de confusion entre les produits concernés (arrêts Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, point 26, et Commission/Allemagne, C‑132/05, EU:C:2008:117, point 45), ce qui importe étant, notamment, que ne soit pas créée dans l’esprit du public une association d’idées quant à l’origine du produit, ni qu’un opérateur ne profite de manière indue de la réputation d’une indication
géographique protégée (voir, en ce sens, arrêt Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 46).
46 En second lieu, la juridiction de renvoi souligne la circonstance que la boisson dénommée «Verlados» est un produit local fabriqué dans le village de Verla, qui n’est commercialisé que localement et en faibles quantités, et que l’on peut en outre se procurer, sur commande, auprès de l’entreprise d’État de distribution de boissons alcoolisées prévue par la loi sur l’alcool.
47 À cet égard, indépendamment du fait que cette circonstance est contredite par le gouvernement français, qui a produit des documents qui indiquent que la boisson dénommée «Verlados» est également disponible au moyen de la vente à distance à destination de consommateurs situés dans d’autres États membres, il suffit de constater que, en tout état de cause, ladite circonstance est dénuée de pertinence dès lors que le règlement no 110/2008 s’applique, selon son article 1er, paragraphe 2, à toutes les
boissons spiritueuses mises sur le marché dans l’Union.
48 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question posée que l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que, afin d’apprécier si la dénomination «Verlados» constitue une «évocation», au sens de cette disposition, de l’indication géographique protégée «Calvados», pour des produits analogues, la juridiction de renvoi doit prendre en considération la parenté phonétique et visuelle entre ces dénominations, ainsi que
d’éventuels éléments pouvant indiquer qu’une telle parenté n’est pas le fruit de circonstances fortuites, de manière à vérifier que le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en présence du nom d’un produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de l’indication géographique protégée.
Sur la troisième question
49 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que l’utilisation d’une dénomination qualifiée d’«évocation», au sens de cette disposition, d’une indication géographique visée à l’annexe III dudit règlement peut néanmoins être autorisée au vu des circonstances mentionnées dans la deuxième question ou en l’absence de risque de confusion entre les produits concernés.
50 Ainsi qu’il résulte du libellé de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, «sans préjudice de l’article 10 [comportant des règles spécifiques concernant l’utilisation des dénominations de vente et des indications géographiques], les indications géographiques enregistrées à l’annexe III sont protégées contre [...] b) toute [...] évocation [...]». Par conséquent, en l’absence de telles règles spécifiques applicables dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dès lors
que la juridiction de renvoi constate qu’il y a «évocation» au sens de cette disposition, elle ne peut autoriser la dénomination «Verlados» au vu des circonstances mentionnées à la deuxième question.
51 Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 45 du présent arrêt, il peut y avoir «évocation», même en l’absence de tout risque de confusion entre les produits concernés.
52 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question posée que l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que l’utilisation d’une dénomination qualifiée d’«évocation», au sens de cette disposition, d’une indication géographique visée à l’annexe III de ce règlement, ne peut être autorisée, même en l’absence de tout risque de confusion.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
1) L’article 16, sous b), du règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil, doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer s’il existe une «évocation» au sens de cette disposition, il incombe à la juridiction nationale de se référer à la perception d’un
consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, cette dernière notion devant être comprise comme visant un consommateur européen et non seulement un consommateur de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de l’indication géographique protégée.
2) L’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que, afin d’apprécier si la dénomination «Verlados» constitue une «évocation», au sens de cette disposition, de l’indication géographique protégée «Calvados», pour des produits analogues, la juridiction de renvoi doit prendre en considération la parenté phonétique et visuelle entre ces dénominations, ainsi que d’éventuels éléments pouvant indiquer qu’une telle parenté n’est pas le fruit de circonstances fortuites,
de manière à vérifier que le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en présence du nom d’un produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de l’indication géographique protégée.
3) L’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 doit être interprété en ce sens que l’utilisation d’une dénomination qualifiée d’«évocation», au sens de cette disposition, d’une indication géographique visée à l’annexe III de ce règlement, ne peut être autorisée, même en l’absence de tout risque de confusion.
Signatures
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( * ) Langue de procédure: le finnois.