ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
17 décembre 2015 ( * )
«Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 805/2004 — Titre exécutoire européen pour les créances incontestées — Conditions de la certification — Droits du débiteur — Réexamen de la décision»
Dans l’affaire C‑300/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique), par décision du 16 juin 2014, parvenue à la Cour le 20 juin 2014, dans la procédure
Imtech Marine Belgium NV
contre
Radio Hellenic SA,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan (rapporteur), Mmes A. Prechal et K. Jürimäe, juges,
avocat général: M. P. Cruz Villalón,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet, M. J.‑C. Halleux et Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et E. Pedrosa, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par M. G. Wils et Mme A.‑M. Rouchaud‑Joët, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2015,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (JO L 143, p. 15).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Imtech Marine Belgium NV (ci‑après «Imtech Marine»), établie en Belgique, à Radio Hellenic SA (ci‑après «Radio Hellenic»), établie en Grèce, au sujet de sa demande de certification en tant que titre exécutoire européen au sens du règlement no 805/2004 d’un jugement rendu par défaut portant sur une créance assortie d’une clause pénale et d’intérêts de retard.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE) no 44/2001
3 L’article 34, point 2, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), dispose qu’une décision n’est pas reconnue si «l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la
décision alors qu’il était en mesure de le faire».
Le règlement no 805/2004
4 Aux termes des considérants 10 à 14, 18 et 19 du règlement no 805/2004:
«(10) Lorsqu’une juridiction d’un État membre a rendu une décision au sujet d’une créance incontestée en l’absence de participation du débiteur à la procédure, la suppression de tout contrôle dans l’État membre d’exécution est indissolublement liée et subordonnée à la garantie suffisante du respect des droits de la défense.
(11) Le présent règlement vise à promouvoir les droits fondamentaux et tient compte des principes qui sont reconnus notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci‑après la ‘Charte’]. En particulier, il vise à assurer le plein respect du droit à accéder à un tribunal impartial, reconnu par l’article 47 de la Charte.
(12) Il convient d’établir les normes minimales auxquelles doit satisfaire la procédure conduisant à la décision, afin de garantir que le débiteur soit informé, en temps utile et de telle manière qu’il puisse organiser sa défense, de l’action en justice intentée contre lui, des conditions de sa participation active à la procédure pour contester la créance en cause et des conséquences d’une absence de participation.
(13) Eu égard aux différences entre les États membres en ce qui concerne les règles de procédure civile, notamment celles qui régissent la signification et la notification des actes, il y a lieu de donner une définition précise et détaillée de ces normes minimales. En particulier, un mode de signification ou de notification fondé sur une fiction juridique en ce qui concerne le respect de ces normes minimales ne peut être jugé suffisant aux fins de la certification d’une décision en tant que titre
exécutoire européen.
(14) Tous les modes de signification et notification visés aux articles 13 et 14 se caractérisent soit par une certitude absolue (article 13) soit par un très haut degré de probabilité (article 14) que l’acte signifié ou notifié est parvenu à son destinataire. Dans le second cas, une décision ne devrait être certifiée en tant que titre exécutoire européen que si l’État membre d’origine dispose d’un mécanisme approprié permettant au débiteur de demander un réexamen complet de la décision dans les
conditions prévues à l’article 19, dans les cas exceptionnels où, bien que les dispositions de l’article 14 aient été respectées, l’acte n’est pas parvenu au destinataire.
[...]
(18) La confiance mutuelle dans l’administration de la justice dans les États membres fait en sorte qu’une juridiction d’un État membre peut considérer que toutes les conditions de la certification en tant que titre exécutoire européen sont remplies pour permettre l’exécution d’une décision dans tous les autres États membres, sans contrôle juridictionnel de l’application correcte des normes minimales de procédure dans l’État membre où la décision doit être exécutée.
(19) Le présent règlement n’impose pas aux États membres l’obligation d’adapter leur législation nationale aux normes minimales de procédure qu’il prévoit. Il les y incite en ne permettant une exécution plus efficace et plus rapide des décisions dans les autres États membres que si ces normes minimales sont respectées.»
5 L’article 6 de ce règlement, intitulé «Conditions de la certification en tant que titre exécutoire européen», dispose, à son paragraphe 1:
«Une décision relative à une créance incontestée rendue dans un État membre est, sur demande adressée à tout moment à la juridiction d’origine, certifiée en tant que titre exécutoire européen si les conditions suivantes sont remplies:
a) la décision est exécutoire dans l’État membre d’origine;
b) la décision n’est pas incompatible avec les dispositions en matière de compétence figurant dans les sections 3 et 6 du chapitre II du règlement (CE) no 44/2001;
c) la procédure judiciaire dans l’État membre d’origine a satisfait aux exigences énoncées au chapitre III dans le cas d’une créance incontestée au sens de l’article 3, paragraphe 1, point b) ou c); et
d) la décision a été rendue dans l’État membre où le débiteur a son domicile au sens de l’article 59 du règlement (CE) no 44/2001, dans le cas:
— où il s’agit d’une créance incontestée au sens de l’article 3, paragraphe 1, point b) ou c) du présent règlement; et
— où elle se rapporte à un contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle; et
— où le débiteur est le consommateur.»
6 L’article 9 du règlement no 805/2004, intitulé «Délivrance du certificat de titre exécutoire européen», est libellé comme suit:
«1. Le certificat de titre exécutoire européen est délivré au moyen du formulaire type figurant à l’annexe I.
2. Le certificat de titre exécutoire européen est rempli dans la langue de la décision.»
7 L’article 10 du règlement no 805/2004, intitulé «Rectification ou retrait du certificat de titre exécutoire européen», énonce:
«1. Le certificat de titre exécutoire européen donne lieu, sur demande adressée à la juridiction d’origine,
a) à rectification dans les cas où, suite à une erreur matérielle, il existe une divergence entre la décision et le certificat;
b) à retrait s’il est clair que le certificat a été délivré indûment, eu égard aux conditions prévues dans le présent règlement.
2. Le droit de l’État membre d’origine est applicable à la rectification et au retrait du certificat de titre exécutoire européen.
3. La rectification ou le retrait d’un certificat de titre exécutoire européen peut être demandé au moyen du formulaire type figurant à l’annexe VI.
4. La délivrance d’un certificat de titre exécutoire européen n’est par ailleurs pas susceptible de recours.»
8 L’article 13 dudit règlement, intitulé «Signification ou notification assortie de la preuve de sa réception par le débiteur», prévoit:
«1. L’acte introductif d’instance ou un acte équivalent peut avoir été signifié ou notifié au débiteur par l’un des modes suivants:
a) signification ou notification à personne, le débiteur ayant signé un accusé de réception portant la date de réception;
b) signification ou notification à personne au moyen d’un document signé par la personne compétente qui a procédé à la signification ou à la notification, spécifiant que le débiteur a reçu l’acte ou qu’il a refusé de le recevoir sans aucun motif légitime, ainsi que la date à laquelle l’acte a été signifié ou notifié;
c) signification ou notification par voie postale, le débiteur ayant signé et renvoyé un accusé de réception portant la date de réception;
d) signification ou notification par des moyens électroniques comme la télécopie ou le courrier électronique, le débiteur ayant signé et renvoyé un accusé de réception portant la date de réception.
2. Toute citation à comparaître peut avoir été signifiée ou notifiée au débiteur conformément au paragraphe 1 ou oralement au cours d’une audience précédente concernant la même créance et consignée dans le procès‑verbal de cette audience.»
9 Aux termes de l’article 14 du règlement no 805/2004, intitulé «Signification ou notification non assortie de la preuve de sa réception par le débiteur»:
«1. L’acte introductif d’instance ou d’un acte équivalent ainsi que de toute citation à comparaître peut également avoir été signifié ou notifié au débiteur par l’un des modes suivants:
a) notification ou signification à personne, à l’adresse personnelle du débiteur, à des personnes vivant à la même adresse que celui‑ci ou employées à cette adresse;
b) si le débiteur est un indépendant ou une personne morale, signification ou notification à personne, dans les locaux commerciaux du débiteur, à des personnes employées par le débiteur;
c) dépôt de l’acte dans la boîte aux lettres du débiteur;
d) dépôt de l’acte dans un bureau de poste ou auprès d’une autorité publique compétente et communication écrite de ce dépôt dans la boîte aux lettres du débiteur, à condition que la communication écrite mentionne clairement la nature judiciaire de l’acte ou le fait qu’elle vaut notification ou signification et a pour effet de faire courir les délais;
e) par voie postale non assortie de l’attestation visée au paragraphe 3, lorsque le débiteur a une adresse dans l’État membre d’origine;
f) par des moyens électroniques avec accusé de réception automatique, à condition que le débiteur ait expressément accepté à l’avance ce mode de signification ou de notification.
2. Aux fins du présent règlement, la signification ou la notification au titre du paragraphe 1 n’est pas admise si l’adresse du débiteur n’est pas connue avec certitude.
3. La signification ou la notification d’un acte en application du paragraphe 1, points a) à d), est attestée par:
a) un acte signé par la personne compétente ayant procédé à la signification ou à la notification mentionnant les éléments suivants:
i) le mode de signification ou de notification utilisé;
ii) la date de la signification ou de la notification, et
iii) lorsque l’acte a été signifié ou notifié à une personne autre que le débiteur, le nom de cette personne et son lien avec le débiteur,
ou
b) un accusé de réception émanant de la personne qui a reçu la signification ou la notification, pour l’application du paragraphe 1, points a) et b).»
10 L’article 19 du même règlement, intitulé «Normes minimales pour un réexamen dans des cas exceptionnels», est rédigé comme suit:
«1. Sans préjudice des articles 13 à 18, une décision ne peut être certifiée en tant que titre exécutoire européen que si le débiteur a droit, en vertu de la loi de l’État membre d’origine, de demander un réexamen de la décision en question, lorsque les conditions suivantes sont remplies:
a) i) l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent ou, le cas échéant, la citation à comparaître a été signifié ou notifié par l’un des modes prévus à l’article 14, et
ii) la signification ou la notification n’est pas intervenue en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense sans qu’il y ait eu faute de sa part;
ou
b) le débiteur a été empêché de contester la créance pour des raisons de force majeure ou par suite de circonstances extraordinaires, sans qu’il y ait eu faute de sa part,
à condition qu’il agisse rapidement dans les deux cas.
2. Le présent article ne porte pas atteinte à la possibilité qu’ont les États membres d’autoriser un réexamen de la décision dans des conditions plus favorables que celles visées au paragraphe 1.»
11 L’article 21 du règlement no 805/2004, intitulé «Refus d’exécution», dispose:
«1. Sur demande du débiteur, l’exécution est refusée par la juridiction compétente dans l’État membre d’exécution si la décision certifiée en tant que titre exécutoire européen est incompatible avec une décision rendue antérieurement dans tout État membre ou dans un pays tiers lorsque:
a) la décision antérieure a été rendue entre les mêmes parties dans un litige ayant la même cause; et que
b) la décision antérieure a été rendue dans l’État membre d’exécution ou réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre d’exécution; et que
c) l’incompatibilité des décisions n’a pas été et n’aurait pas pu être invoquée au cours de la procédure judiciaire dans l’État membre d’origine.
2. La décision ou sa certification en tant que titre exécutoire européen ne peut en aucun cas faire l’objet d’un réexamen au fond dans l’État membre d’exécution.»
12 Aux termes de l’article 30 dudit règlement, intitulé «Informations relatives aux procédures de recours, aux langues et aux autorités»:
«1. Les États membres notifient à la Commission:
a) les procédures de rectification et de retrait prévues à l’article 10, paragraphe 2, et la procédure de réexamen prévue à l’article 19, paragraphe 1;
[...]»
Le droit belge
13 Aux termes de l’article 50 du code judiciaire:
«Les délais établis à peine de déchéance ne peuvent être abrégés, ni prorogés, même de l’accord des parties, à moins que cette déchéance n’ait été couverte dans les conditions prévues par la loi.
Néanmoins, si le délai d’appel ou d’opposition prévu aux articles 1048 et 1051 et 1253 quater, c) et d) prend cours et expire pendant les vacances judiciaires, il est prorogé jusqu’au quinzième jour de l’année judiciaire nouvelle».
14 L’article 55 de ce code dispose:
«Lorsque la loi prévoit qu’à l’égard de la partie qui n’a ni domicile, ni résidence, ni domicile élu en Belgique, il y a lieu d’augmenter les délais qui lui sont impartis, cette augmentation est:
1° de quinze jours, lorsque la partie réside dans un pays limitrophe ou dans le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne [et d’Irlande du Nord];
2° de trente jours, lorsqu’elle réside dans un autre pays d’Europe;
3° de quatre‑vingts jours, lorsqu’elle réside dans une autre partie du monde».
15 L’article 860 dudit code énonce:
«Quelle que soit la formalité omise ou irrégulièrement accomplie, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul si la nullité n’est pas formellement prononcée par la loi.
Les délais prévus pour former un recours sont prescrits à peine de déchéance.
Les autres délais ne sont établis à peine de déchéance que si la loi le prévoit.»
16 Aux termes de l’article 1047 du même code:
«Tout jugement par défaut peut être frappé d’opposition, sauf les exceptions prévues par la loi.
[...]»
17 L’article 1048 du code judiciaire prévoit:
«Sous réserve des délais prévus dans des dispositions impératives supranationales et internationales, le délai d’opposition est d’un mois, à partir de la signification du jugement ou de la notification de celui‑ci faite conformément à l’article 792, alinéa 2 et 3.
Lorsque le défaillant n’a en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu, le délai d’opposition est augmenté conformément à l’article 55.»
18 L’article 1051 du code judiciaire dispose:
«Sous réserve des délais prévus dans des dispositions impératives supranationales et internationales, le délai pour interjeter appel est d’un mois à partir de la signification du jugement ou de la notification de celui‑ci faite conformément à l’article 792, alinéa 2 et 3.
Ce délai court également du jour de cette signification, à l’égard de la partie qui a fait signifier le jugement.
Lorsqu’une des parties à qui le jugement est signifié ou à la requête de laquelle il a été signifié n’a en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu, le délai d’appel est augmenté conformément à l’article 55.
[...]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 Imtech Marine a accompli diverses prestations pour Radio Hellenic, laquelle lui était redevable de ce fait d’un montant de 23506,99 euros. Selon les conditions générales d’Imtech Marine, une clause pénale de 10 % et des intérêts de retard à un taux annuel de 12 % sont dus en cas de non‑paiement.
20 Malgré diverses mises en demeure, Radio Hellenic n’a pas rempli ses obligations de paiement.
21 Par citation signifiée le 25 mars 2013, Imtech Marine a demandé au rechtbank van koophandel te Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers) de condamner Radio Hellenic au paiement des sommes dues et que le jugement emportant cette condamnation soit, sur le fondement du règlement no 805/2004, certifié en tant que titre exécutoire européen. Par jugement du 5 juin 2013, cette juridiction a déclaré cette demande recevable et partiellement fondée. Radio Hellenic a été condamnée par défaut à payer le
montant de 23506,99 euros, augmenté de la clause pénale de 10 % et des intérêts de retard. Toutefois, ladite juridiction a considéré ne pas pouvoir certifier ce jugement en tant que titre exécutoire européen, en l’absence d’une législation interne adaptée.
22 Le 3 septembre 2013, Imtech Marine a fait appel dudit jugement devant la juridiction de renvoi. Dans sa requête, elle demande que l’arrêt à intervenir soit certifié en tant que titre exécutoire européen au sens du règlement no 805/2004.
23 La juridiction de renvoi relève que la question de savoir si le droit belge est conforme aux exigences de l’article 19 du règlement no 805/2004 prête effectivement à discussion, de même que les attributions respectives du juge et du greffier quant à la certification d’un jugement en tant que titre exécutoire européen. La carence du législateur national créerait une insécurité juridique pour le justiciable. Malgré l’effet direct dudit règlement, les tribunaux belges se montreraient plutôt peu
disposés à de telles certifications.
24 En particulier, la juridiction de renvoi relève que, s’agissant de la procédure de réexamen visée à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004, le délai de recours contre une décision rendue par défaut peut, en droit belge, expirer avant que le débiteur n’ait été en mesure de l’exercer.
25 C’est dans ces conditions que le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Le fait de ne pas appliquer directement le règlement no 805/2004 constitue‑t‑il une violation de l’article 288 TFUE, en ce que:
a) le législateur belge a omis de transposer ce règlement dans la législation belge, et que
b) le législateur belge a omis – même si la législation belge prévoit l’opposition et l’appel – d’instaurer une procédure de réexamen?
2) Si la première question appelle une réponse négative, étant donné qu’un règlement est directement applicable, que faut‑il entendre par les termes ‘réexamen d’une décision’ contenus à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004? Faut‑il prévoir une procédure de réexamen dans le seul cas où une citation ou un acte introductif d’instance a été signifié ou notifié dans un mode prévu à l’article 14 de ce règlement, en d’autres termes sans que la signification ou la notification soit
assortie de la preuve de sa réception? En prévoyant l’opposition conformément aux articles 1047 et suivants du code judiciaire belge et l’appel conformément aux articles 1050 et suivants du même code, la législation belge n’offre‑t‑elle pas de garanties suffisantes pour satisfaire aux critères de la procédure de ‘réexamen’ prévue à l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement?
3) L’article 50 du code judiciaire belge, qui permet de proroger les délais de déchéance mentionnés aux articles 860, deuxième alinéa, 55 et 1048 du même code en cas de force majeure ou de circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté de l’intéressé, offre‑t‑il une protection suffisante au sens de l’article 19, paragraphe 1, sous b), du règlement no 805/2004?
4) La certification en tant que titre exécutoire européen pour les créances incontestées est‑elle un acte juridictionnel dont la demande doit être formulée dans l’acte introductif d’instance? Dans l’affirmative, le juge doit‑il certifier la décision en tant que titre exécutoire européen et le greffier doit‑il délivrer le certificat de titre exécutoire européen?
Dans la négative, la tâche de certifier la décision en tant que titre exécutoire européen peut‑elle incomber à un greffier?
5) Au cas où la certification en tant que titre exécutoire européen ne constitue pas un acte juridictionnel, le demandeur – qui n’aura pas fait usage de l’acte introductif d’instance pour demander un titre exécutoire européen – peut‑il demander au greffier ultérieurement, après que la décision est devenue définitive, de certifier la décision en tant que titre exécutoire européen?»
26 Une demande d’informations a été adressée à la juridiction de renvoi le 7 aout 2014, à laquelle celle‑ci a répondu le 16 octobre 2014.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
27 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 19 du règlement no 805/2004, lu à la lumière de l’article 288 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres d’instaurer, en droit interne, une procédure de réexamen telle que visée audit article 19.
28 L’article 19 dudit règlement dispose qu’une décision ne peut être certifiée en tant que titre exécutoire européen que si le débiteur a le droit, en vertu de la loi de l’État membre d’origine, de demander un réexamen de la décision en question. Or, selon le considérant 19 du règlement no 805/2004, celui‑ci n’impose pas aux États membres l’obligation d’adapter leur législation nationale aux normes minimales de procédure qu’il prévoit ni, donc, d’instaurer une procédure spécifique de réexamen au
sens dudit article 19.
29 La seule conséquence de l’absence d’une procédure de réexamen est, ainsi que l’article 19 du règlement no 805/2004 le prévoit lui‑même, l’impossibilité de certifier une décision en tant que titre exécutoire européen dans les conditions que ce dernier vise.
30 Dans ces circonstances et indépendamment de l’obligation de notifier à la Commission, en vertu de l’article 30, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, une procédure de réexamen qui existerait, le cas échéant, en droit interne, un État membre qui, conformément aux termes du même règlement, choisit de ne pas adapter sa législation, ne saurait violer l’article 288 TFUE.
31 Il y a donc lieu de répondre à la première question que l’article 19 du règlement no 805/2004, lu à la lumière de l’article 288 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas aux États membres d’instaurer, en droit interne, une procédure de réexamen telle que visée audit article 19.
Sur les deuxième et troisième questions
32 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, à quelles conditions l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004 soumet la certification en tant que titre exécutoire européen d’une décision rendue par défaut.
33 L’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004 prévoit que, dans les hypothèses visées au paragraphe 1, sous a) et b), de cet article, une décision ne peut être certifiée en tant que titre exécutoire européen que si le débiteur a droit, en vertu de la loi de l’État membre d’origine, de demander un réexamen de la décision en question.
34 L’hypothèse visée à l’article 19, paragraphe 1, sous a), du règlement no 805/2004 est celle selon laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a été signifié ou notifié au débiteur suivant l’un des modes prévus à l’article 14 de ce règlement, la signification ou la notification n’étant toutefois pas intervenue en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense, sans qu’il y ait eu faute de sa part.
35 Relève de l’article 19, paragraphe 1, sous b), du règlement no 805/2004 l’hypothèse selon laquelle le débiteur a été empêché de contester la créance pour des raisons de force majeure ou par suite de circonstances extraordinaires, sans qu’il y ait eu faute de sa part. Cette hypothèse peut également concerner une situation où l’empêchement persisterait au stade où est ouvert le délai pour former le recours contre la décision en cause.
36 Si les États membres peuvent avoir mis en place, dans leur droit national, une procédure de réexamen des décisions spécifique aux hypothèses visées à l’article 19, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 805/2004, il n’est également pas exclu que les procédures qui existaient, dans un État membre, avant l’entrée en vigueur de ce règlement permettent au débiteur de demander un tel réexamen. Sans préjudice de l’obligation pour les États membres de notifier à la Commission, conformément à
l’article 30, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, les procédures en question, le caractère contraignant, en vertu de l’article 288 TFUE, de tous les éléments de ce même règlement emporte l’obligation pour le juge saisi d’une demande de certification d’examiner si la condition prévue à cet égard à l’article 19, paragraphe 1, du même règlement est remplie, à savoir si le droit interne permet effectivement et sans exception de demander un réexamen de la décision en cause dans lesdites
hypothèses.
37 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 24 de ses conclusions, il peut s’agir de voies de recours qui respectent suffisamment les droits de la défense du débiteur et le droit à un procès équitable, visés aux considérants 10 et 11 du règlement no 805/2004, dès lors que le droit de l’Union ne régit pas la procédure de réexamen et que le règlement no 805/2004 renvoie expressément à la législation de l’État membre d’origine.
38 Or, afin de respecter les droits de la défense du débiteur et le droit à un procès équitable garantis par l’article 47, paragraphe 2, de la Charte, il y a lieu d’exiger que, pour constituer une procédure de réexamen au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004, interprété à la lumière du considérant 14 de celui‑ci, les voies de recours en question doivent permettre, premièrement, un réexamen complet de la décision, en droit et en fait.
39 Deuxièmement, lesdites voies de recours doivent permettre au débiteur invoquant l’une des hypothèses envisagées à l’article 19, paragraphe 1, sous a) et b), de ce règlement, de demander un tel réexamen au‑delà des délais ordinaires prévus par le droit national pour former opposition ou appel de la décision. Tel est le cas, notamment, si le droit national prévoit la possibilité de proroger ces délais, de telle sorte que ceux‑ci courent à nouveau, au plus tôt, à compter du jour où le débiteur a
effectivement eu la possibilité de prendre connaissance du contenu de la décision ou d’exercer un recours.
40 Afin de satisfaire, spécifiquement, aux exigences de l’article 19, paragraphe 1, sous b), du règlement no 805/2004, le droit interne doit permettre une telle prorogation des délais de recours tant en cas de force majeure qu’en présence de circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté du débiteur, et sans qu’il y ait eu faute de sa part, étant donné que cette disposition opère une distinction entre les deux notions.
41 Les informations fournies par la juridiction de renvoi indiquent que l’ordre juridique belge prévoit principalement deux voies de recours pour contester une décision dans une affaire telle que celle en cause au principal, à savoir l’opposition, spécifiquement conçue pour contester les jugements rendus par défaut, prévue aux articles 1047 et suivants du code judiciaire, et l’appel, prévu aux articles 1050 et suivants du code judiciaire. Il incombe à la juridiction de renvoi, seule compétente pour
interpréter ces dispositions de son droit interne, de tirer les conséquences de l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004 donnée aux points 38 à 40 du présent arrêt et de déterminer si la législation nationale satisfait aux conditions minimales de procédure que cette disposition établit. En pareille hypothèse, et pour autant que toutes les autres conditions requises à cette fin sont satisfaites, il revient à cette juridiction de procéder à la certification.
42 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles que l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004 doit être interprété en ce sens que, pour procéder à la certification en tant que titre exécutoire européen d’une décision rendue par défaut, le juge saisi d’une telle demande doit s’assurer que son droit interne permet, effectivement et sans exception, un réexamen complet, en droit et en fait, d’une telle décision dans les deux hypothèses
visées à cette disposition et qu’il permet de proroger les délais pour former un recours contre une décision relative à une créance incontestée non pas uniquement en cas de force majeure, mais également lorsque d’autres circonstances extraordinaires, indépendantes de la volonté du débiteur, ont empêché ce dernier de contester la créance en cause.
Sur les quatrième et cinquième questions
43 Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 6 du règlement no 805/2004 doit être interprété en ce sens que la certification de la décision en tant que titre exécutoire européen est un acte de nature juridictionnelle, et donc réservé au juge, qui doit être demandé dans l’acte introductif d’instance.
44 L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 805/2004 dispose que la demande de certification, en tant que titre exécutoire européen, d’une décision relative à une créance incontestée doit être adressée à la juridiction d’origine, sans préciser qui, à l’intérieur de cette juridiction, est compétent pour délivrer une telle certification.
45 Cela étant, au regard de l’économie du règlement no 805/2004, il est possible de distinguer entre la certification proprement dite d’une décision en tant que titre exécutoire européen et l’acte formel de délivrance du certificat qui est visé à l’article 9 dudit règlement. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 52 de ses conclusions, cet acte formel, après que la décision relative à la certification en tant que titre exécutoire européen a été adoptée, n’est pas nécessairement un acte
devant être réalisé par le juge, de sorte qu’il peut être confié au greffier.
46 En revanche, la certification proprement dite exige un examen juridictionnel des conditions prévues par le règlement no 805/2004.
47 En effet, les qualifications juridiques d’un juge sont indispensables pour apprécier correctement, dans un contexte d’incertitude quant au respect des normes minimales visant à garantir le respect des droits de la défense du débiteur et du droit à un procès équitable, les voies de recours internes conformément aux points 38 à 40 du présent arrêt. Par ailleurs, seule une juridiction au sens de l’article 267 TFUE pourra assurer que, moyennant un renvoi préjudiciel à la Cour, les normes minimales
établies par le règlement no 805/2004 fassent l’objet d’une interprétation et d’une application uniformes dans l’Union européenne.
48 Quant à la question de savoir si la certification d’une décision en tant que titre exécutoire européen doit être demandée dans l’acte introductif d’instance, l’article 6 du règlement no 805/2004 dispose qu’une décision relative à une créance incontestée rendue dans un État membre est, sur demande adressée à tout moment à la juridiction d’origine, certifiée en tant que titre exécutoire européen.
49 Au surplus, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 56 de ses conclusions, exiger que la demande de certification soit en toute hypothèse formulée dans l’acte introductif d’instance serait illogique puisqu’il n’est pas encore possible de savoir, à ce stade, si la créance sera contestée ou non, et donc si la décision qui sera rendue à la clôture de cette procédure respectera les conditions nécessaires pour être certifiée en tant que titre exécutoire européen.
50 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’article 6 du règlement no 805/2004 doit être interprété en ce sens que la certification d’une décision en tant que titre exécutoire européen, qui peut être demandée à tout moment, doit être réservée au juge.
Sur les dépens
51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
1) L’article 19 du règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, lu à la lumière de l’article 288 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas aux États membres d’instaurer, en droit interne, une procédure de réexamen telle que visée audit article 19.
2) L’article 19, paragraphe 1, du règlement no 805/2004 doit être interprété en ce sens que, pour procéder à la certification en tant que titre exécutoire européen d’une décision rendue par défaut, le juge saisi d’une telle demande doit s’assurer que son droit interne permet, effectivement et sans exception, un réexamen complet, en droit et en fait, d’une telle décision dans les deux hypothèses visées à cette disposition et qu’il permet de proroger les délais pour former un recours contre une
décision relative à une créance incontestée non pas uniquement en cas de force majeure, mais également lorsque d’autres circonstances extraordinaires, indépendantes de la volonté du débiteur, ont empêché ce dernier de contester la créance en cause.
3) L’article 6 du règlement no 805/2004 doit être interprété en ce sens que la certification d’une décision en tant que titre exécutoire européen, qui peut être demandée à tout moment, doit être réservée au juge.
Signatures
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( * ) Langue de procédure: le néerlandais.