ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
26 novembre 2015 ( * )
«Renvoi préjudiciel — Marchés publics — Directive 89/665/CEE — Principes d’effectivité et d’équivalence — Procédures de recours en matière de passation de marchés publics — Délai de recours — Législation nationale subordonnant l’action en réparation à la constatation préalable de l’illégalité de la procédure — Délai de forclusion commençant à courir indépendamment de la connaissance de l’illégalité par le demandeur»
Dans l’affaire C‑166/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 25 mars 2014, parvenue à la Cour le 7 avril 2014, dans la procédure
MedEval – Qualitäts‑, Leistungs‑ und Struktur‑Evaluierung im Gesundheitswesen GmbH,
en présence de:
Bundesminister für Wissenschaft, Forschung und Wirtschaft,
Hauptverband der österreichischen Sozialversicherungsträger,
Pharmazeutische Gehaltskasse für Österreich,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Šváby, A. Rosas, E. Juhász (rapporteur) et C. Vajda, juges,
avocat général: Mme J. Kokott,
greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 avril 2015,
considérant les observations présentées:
— pour MedEval – Qualitäts‑, Leistungs‑ und Struktur‑Evaluierung im Gesundheitswesen GmbH, par Mes M. Oder et A. Hiersche, Rechtsanwälte,
— pour le Hauptverband der österreichischen Sozialversicherungsträger, par Me G. Streit, Rechtsanwalt,
— pour le gouvernement autrichien, par M. M. Fruhmann, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. De Stefano, avvocato dello Stato,
— pour la Commission européenne, par MM. B.‑R. Killmann et A. Tokár, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 mai 2015,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO L 335, p. 31, ci‑après la
«directive 89/665»), ainsi que des principes d’effectivité et d’équivalence.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours formé par MedEval – Qualitäts‑, Leistungs‑ und Struktur‑Evaluierung im Gesundheitswesen GmbH (ci‑après «MedEval») contre une décision du Bundesvergabeamt (Office fédéral des adjudications, ci‑après l’«Office»), par laquelle ce dernier a rejeté la demande de MedEval visant à faire constater l’illégalité de la procédure de passation d’un marché public menée par le Hauptverband der österreichischen Sozialversicherungsträger (Fédération des
organismes autrichiens de sécurité sociale, ci‑après la «Fédération») et concernant la mise en œuvre d’un système de gestion électronique de la prescription de médicaments, marché public qui a été attribué à la Pharmazeutische Gehaltskasse für Österreich (Caisse salariale des pharmaciens).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 2, 13, 14, 25 et 27 de la directive 2007/66 énoncent:
«(2) [La directive 89/665] [...] ne s’[applique] donc qu’aux marchés relevant du champ d’application [de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114),] [...] selon l’interprétation qui en est faite par la Cour de justice [de l’Union européenne], quels que soient la procédure concurrentielle ou le moyen de mise en concurrence
utilisés, y compris les concours, les systèmes de qualification et les systèmes d’acquisition dynamique. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, les États membres devraient veiller à l’existence de moyens de recours efficaces et rapides contre les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices sur la question de savoir si un marché déterminé relève ou non du champ d’application personnel et matériel [de la directive 2004/18] [...]
[...]
(13) Afin de lutter contre la passation illégale de marchés de gré à gré, que la Cour de justice [...] a qualifiée de violation la plus importante du droit [de l’Union] en matière de marchés publics de la part d’un pouvoir adjudicateur ou d’une entité adjudicatrice, il convient de prévoir une sanction effective, proportionnée et dissuasive. Par conséquent, un contrat résultant d’un marché de gré à gré illégal devrait être considéré en principe comme dépourvu d’effets. L’absence d’effets ne devrait
pas être automatique mais devrait être établie par une instance de recours indépendante ou découler d’une décision prise par une telle instance.
(14) L’absence d’effets est la manière la plus efficace de rétablir la concurrence et de créer de nouvelles perspectives commerciales pour les opérateurs économiques qui ont été privés illégalement de la possibilité de participer à la procédure de passation de marché. [...]
[...]
(25) En outre, la nécessité d’assurer dans le temps la sécurité juridique des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices requiert que soit fixé un délai minimal raisonnable de prescription des recours visant à faire constater l’absence d’effets du marché.
[...]
(27) Sachant que la présente directive renforce les procédures de recours nationales, particulièrement en cas de marchés de gré à gré illégaux, il conviendrait d’encourager les opérateurs économiques à recourir à ces nouveaux mécanismes. Par souci de sécurité juridique, l’invocabilité de l’absence d’effets d’un marché est limitée dans le temps. L’effectivité de cette limitation dans le temps devrait être respectée.»
4 L’article 1er de la directive 89/665 dispose:
«1. La présente directive s’applique aux marchés visés par la [directive 2004/18], sauf si ces marchés sont exclus en application des articles 10 à 18 de ladite directive.
[...]
Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application de la directive [2004/18], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés
publics ou les règles nationales transposant ce droit.
[...]
3. Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.
[...]»
5 L’article 2 de cette directive, intitulé «Exigences en matière de procédures de recours», prévoit:
«1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant:
[...]
b) d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;
c) d’accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation.
[...]
6. Les États membres peuvent prévoir que, lorsque des dommages et intérêts sont réclamés au motif que la décision a été prise illégalement, la décision contestée doit d’abord être annulée par une instance ayant la compétence nécessaire à cet effet.
7. Sauf dans les cas prévus aux articles 2 quinquies à 2 septies, les effets de l’exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 du présent article sur le contrat conclu à la suite de l’attribution d’un marché sont déterminés par le droit national.
En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l’octroi de dommages et intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat intervenue conformément à l’article 1er, paragraphe 5, au paragraphe 3 du présent article ou aux articles 2 bis à 2 septies, les pouvoirs de l’instance responsable des procédures de recours se limitent à l’octroi de dommages et intérêts à toute personne lésée par une violation.
[...]»
6 L’article 2 quater de ladite directive, intitulé «Délais d’introduction d’un recours», est libellé dans les termes suivants:
«Lorsqu’un État membre prévoit que tout recours contre une décision d’un pouvoir adjudicateur prise dans le cadre d’une procédure de passation de marché relevant du champ d’application de la directive [2004/18] ou en liaison avec une telle procédure doit être formé avant l’expiration d’un délai déterminé, ce délai est égal à dix jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour où la décision du pouvoir adjudicateur est envoyée au soumissionnaire ou au candidat si un télécopieur ou un
moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, soit à quinze jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour où la décision du pouvoir adjudicateur est envoyée au soumissionnaire ou au candidat, soit à dix jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour de réception de la décision du pouvoir adjudicateur. La décision du pouvoir adjudicateur est communiquée à chaque soumissionnaire ou candidat, accompagnée d’un exposé synthétique des motifs
pertinents. En cas d’introduction d’un recours concernant des décisions visées à l’article 2, paragraphe 1, point b), de la présente directive, qui ne font pas l’objet d’une notification spécifique, le délai est de dix jours calendaires au moins à compter de la date de publication de la décision concernée.»
7 Sous le titre «Absence d’effets», l’article 2 quinquies, paragraphe 1, de la même directive dispose:
«Les États membres veillent à ce qu’un marché soit déclaré dépourvu d’effets par une instance de recours indépendante du pouvoir adjudicateur ou à ce que l’absence d’effets dudit marché résulte d’une décision d’une telle instance dans chacun des cas suivants:
a) si le pouvoir adjudicateur a passé un marché sans avoir préalablement publié un avis de marché au Journal officiel de l’Union européenne, sans que cela soit autorisé en vertu des dispositions de la directive [2004/18];
[...]»
8 Aux termes de l’article 2 septies de la directive 89/665, intitulé «Délais»:
«1. Les États membres peuvent prévoir que l’introduction d’un recours en application de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, doit intervenir:
[...]
b) et en tout état de cause avant l’expiration d’un délai minimal de six mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat.
2. Dans tous les autres cas, y compris en ce qui concerne les recours formés conformément à l’article 2 sexies, paragraphe 1, les délais impartis pour l’introduction d’un recours sont déterminés par le droit national, sous réserve des dispositions de l’article 2 quater.»
Le droit autrichien
9 Les dispositions transposant la directive 89/665 figurent, pour l’essentiel, au chapitre II de la quatrième partie de la loi fédérale de 2006 relative à la passation des marchés publics (Bundesvergabegesetz 2006, ci‑après la «loi fédérale relative à la passation des marchés publics»), qui a été modifiée à diverses reprises.
10 Dans sa version en vigueur au 1er mars 2011, date à laquelle MedEval a saisi l’Office, l’article 312, paragraphe 3, point 3, de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics prévoyait que cet office était compétent pour constater l’illégalité d’une procédure de passation de marché public, notamment au motif que cette procédure a eu lieu sans publication préalable d’un avis de marché ou sans appel préalable à la concurrence.
11 En vertu de l’article 331 de cette loi:
«(1) Un entrepreneur qui avait un intérêt à la conclusion d’un marché relevant du champ d’application de la présente loi fédérale peut, dans la mesure où la violation du droit invoquée lui a causé ou risque de lui causer un préjudice, demander qu’il soit constaté que:
[...]
2. La procédure de passation de marché menée sans publication préalable d’un avis de marché ou sans appel préalable à la concurrence était illégale pour violation de la présente loi fédérale, des règlements pris pour son application ou du droit communautaire d’application directe, [...]
[...]»
12 L’article 332, paragraphe 3, de ladite loi, intitulé «Contenu et recevabilité de l’action en constatation», était libellé comme suit:
«Les demandes au titre de l’article 331, paragraphe 1, points 2 à 4, doivent être formées dans le délai de six mois à compter du lendemain de l’attribution du marché. [...]»
13 L’article 334, paragraphe 2, de la même loi prévoyait que, lorsque l’Office constate qu’un marché a été adjugé de façon illégale, parce qu’il n’a pas été précédé d’un avis de marché, il doit en règle générale annuler ce marché.
14 Sous le titre «Compétences et procédure», l’article 341, paragraphe 2, de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics disposait:
«Une action en dommages et intérêts n’est recevable que si l’autorité de contrôle de la passation des marchés compétente a au préalable constaté que:
[...]
2. la procédure de passation de marché menée sans publication préalable d’un avis de marché ou sans appel préalable à la concurrence était illégale pour violation de la présente loi fédérale, des règlements pris pour son application ou du droit communautaire d’application directe, [...]
[...]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
15 Le 10 août 2010, la Fédération a conclu un contrat avec la Caisse salariale des pharmaciens concernant «l’exécution d’un projet pilote pour le projet de gestion électronique de la prescription de médicaments dans trois régions pilotes, y compris les prestations d’aménagement et de fonctionnement nécessaires à cet effet». Il ressort de la décision de renvoi que la date de conclusion du contrat correspond au jour de l’attribution du marché.
16 Le 1er mars 2011, MedEval a saisi l’Office aux fins de faire constater que la procédure de passation de marché était illégale pour violation de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics, au motif que le marché en cause n’avait pas fait l’objet d’une publication préalable ou d’un appel préalable à la concurrence.
17 L’Office a, sur le fondement de l’article 332, paragraphe 3, de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics, déclaré, le 13 mai 2011, le recours de MedEval irrecevable. Cet office a, en effet, considéré que le point de départ du délai de six mois prévu à cet article et imparti pour introduire une action en constatation d’illégalité commençait à courir à compter du lendemain de la date d’attribution du marché, indépendamment du point de savoir si MedEval avait eu ou non
connaissance, à ce moment, de l’illégalité affectant la procédure en cause, ce qui, selon ledit office, était autorisé par l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665.
18 MedEval a formé un recours devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) contre cette décision.
19 La juridiction de renvoi constate que l’article 312, paragraphe 3, de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics donne compétence à l’Office pour procéder, après attribution du marché, à certaines constatations, dont celle relative à l’illégalité du marché concerné du fait de l’absence d’un avis préalable de marché ou d’un appel préalable à la concurrence. À cet égard, cette juridiction souligne que les actions en constatation d’illégalité doivent être introduites dans un délai
de six mois suivant la date du lendemain du jour de l’attribution du marché conformément à l’article 332, paragraphe 3, de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics.
20 Elle relève que l’article 341, paragraphe 2, de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics prévoit qu’une action en dommages et intérêts liée à la passation illégale d’un marché public n’est recevable que si, au préalable, l’Office a constaté que la procédure de passation de marché, menée sans publication préalable d’un avis de marché, était illégale, et ce en vertu d’une action en constatation d’illégalité qui n’est recevable que si ladite action est formée dans le délai de six
mois prévu à l’article 332, paragraphe 3, de cette même loi.
21 La juridiction de renvoi précise que la particularité de son droit national tient au fait que, dans l’hypothèse où l’Office constate l’illégalité de la procédure de passation du marché du fait de l’absence de publication de l’avis préalable de marché, cet office doit, en principe, prononcer la nullité du contrat. Cette particularité est ainsi de nature à placer sous un rapport étroit les actions ayant pour objet l’obtention de dommages et intérêts et celles ayant pour finalité d’annuler le
contrat conclu dans le cadre de la passation d’un marché.
22 La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le fait de subordonner la recevabilité d’une action ayant pour finalité l’obtention de dommages et intérêts pour violation des règles en matière de marchés publics à un délai de forclusion de six mois, qui commence à courir à compter du lendemain de la date de l’attribution du marché, sans considération de la connaissance ou non de cet événement par le demandeur à l’action, est conforme à la directive 89/665 ainsi qu’aux principes
d’équivalence et d’effectivité.
23 Au soutien de cette interrogation, cette juridiction s’appuie notamment sur l’arrêt Uniplex (UK) (C‑406/08, EU:C:2010:45), aux termes duquel le délai pour former un recours aux fins de l’obtention de dommages et intérêts ne peut commencer à courir qu’à compter de la date à laquelle le demandeur a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de l’illégalité alléguée.
24 Ladite juridiction souligne, enfin, le fait que cet arrêt de la Cour est toutefois intervenu avant l’adoption de la directive 2007/66, époque à laquelle la directive 89/665 ne prévoyait pas de disposition précise concernant les délais relatifs à l’exercice des recours en matière de contestation de marchés publics.
25 Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
Sur la question préjudicielle
26 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, notamment les principes d’effectivité et d’équivalence, s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’introduction d’un recours, aux fins de l’obtention de dommages et intérêts pour violation d’une règle du droit des marchés publics, à la constatation préalable de l’illégalité de la procédure de passation du marché concerné en raison de l’absence de publication préalable d’un avis de marché,
lorsque cette action en constatation d’illégalité est soumise à un délai de forclusion de six mois commençant à courir à compter du lendemain de la date de l’attribution du marché public en cause, et ce indépendamment du point de savoir si le demandeur à l’action était en mesure ou non de connaître l’existence de l’illégalité affectant cette décision du pouvoir adjudicateur.
27 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de la directive 89/665, lu à la lumière du considérant 2 de la directive 2007/66, la directive 89/665 ne s’applique, dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, qu’aux marchés relevant du champ d’application de la directive 2004/18, à l’exception toutefois des cas où ces marchés sont exclus en application des articles 10 à 18 de cette dernière directive. Les
considérations qui suivent sont donc fondées sur la prémisse que la directive 2004/18 est applicable au marché en cause au principal et, donc, que la directive 89/665 est également applicable à la procédure au principal, ce qu’il incombe cependant à la juridiction de renvoi de vérifier.
28 Il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665 impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’existence de recours efficaces et aussi rapides que possible contre les décisions des pouvoirs adjudicateurs incompatibles avec le droit de l’Union et assurant une large accessibilité des recours dans le chef de toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une
violation alléguée (arrêt Orizzonte Salute, C‑61/14, EU:C:2015:655, point 43).
29 À cet effet, la directive 89/665 dispose, à son article 2, paragraphe 1, que les États membres sont obligés de prévoir dans leur droit national trois types de recours permettant à une personne lésée dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public de solliciter auprès de l’instance responsable des procédures de recours, premièrement, «des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher qu’il soit encore porté atteinte aux intérêts concernés, y
compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation [du] marché public en cause ou l’exécution de toute décision prise par le pouvoir adjudicateur», deuxièmement, l’annulation des décisions illégales et, troisièmement, des dommages et intérêts.
30 Quant aux délais de recours, l’article 2 septies, paragraphe 1, de la directive 89/665, inséré dans celle‑ci par la directive 2007/66, précise que les États membres peuvent prévoir des délais applicables aux recours en application de l’article 2 quinquies de celle‑ci tendant à déclarer dépourvu d’effet un contrat et, en particulier, un délai minimal de forclusion de six mois, qui commence à courir à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat.
31 À cet égard, les considérants 25 et 27 de la directive 2007/66 indiquent que la limitation dans le temps de l’invocabilité de l’absence d’effet d’un marché se justifie par «la nécessité d’assurer dans le temps la sécurité juridique des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices», ce qui requiert que «l’effectivité de cette limitation devrait être respectée».
32 En ce qui concerne toutes les autres actions en justice se rapportant aux marchés publics, y compris les actions ayant pour objet d’obtenir des dommages et intérêts, l’article 2 septies, paragraphe 2, de la directive 89/665 précise que, sous réserve des dispositions de l’article 2 quater de cette directive, au demeurant non pertinentes au regard de la question posée, «les délais impartis pour l’introduction d’un recours sont déterminés par le droit national». Partant, il appartient à chaque État
membre de définir ces délais de procédure.
33 Le fait que le législateur de l’Union européenne a décidé, d’une part, de réglementer expressément les délais relatifs aux recours ayant pour objet de déclarer des contrats dépourvus d’effet et, d’autre part, de renvoyer au droit des États membres en ce qui concerne les délais se rapportant aux recours de nature différente démontre que ce législateur a accordé une importance particulière à cette première catégorie d’actions, au regard de l’efficacité du système de recours en matière de passation
de marchés publics.
34 Ainsi, l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665 ne s’oppose pas à des dispositions de droit national, telles que celles en cause au principal, qui prévoient qu’un recours visant à priver d’effet un marché public conclu sans publication préalable d’un avis de marché ou sans appel à concurrence doit être introduit dans un délai de six mois à compter du lendemain de l’attribution de ce marché, dans la mesure où la date de l’attribution du marché correspond au jour de la
conclusion du contrat. De telles dispositions répondent également au but poursuivi par l’article 2 septies, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/665, exprimé notamment au considérant 27 de la directive 2007/66, aux termes duquel la limitation de l’invocabilité de l’absence d’effets d’un marché devrait être respectée.
35 S’agissant des actions en dommages et intérêts, il y a lieu de relever que la directive 89/665 prévoit, à son article 2, paragraphe 6, que les États membres peuvent subordonner l’exercice d’une telle action à l’annulation préalable de la décision contestée «par une instance ayant la compétence nécessaire à cet effet», sans pour autant contenir une règle relative aux délais de recours ou à d’autres conditions de recevabilité de telles actions.
36 En l’occurrence, il apparaît, en principe, que l’article 2, paragraphe 6, de la directive 89/665 ne s’oppose pas à une disposition de droit national, telle que l’article 341, paragraphe 2, de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics, selon laquelle la constatation d’une violation du droit des marchés y mentionnée est la condition préalable à l’exercice d’une action en dommages et intérêts. Toutefois, l’application combinée des articles 341, paragraphe 2, et 332, paragraphe 3,
de la loi fédérale relative à la passation des marchés publics a pour effet qu’un recours en dommages et intérêts est irrecevable en l’absence de l’obtention préalable d’une décision constatant l’illégalité du marché en cause, laquelle intervient en vertu d’une procédure soumise à un délai de forclusion de six mois commençant à courir à compter du lendemain de la date d’attribution du marché public concerné, et ce indépendamment du point de savoir si le demandeur à l’action était en mesure ou non
de connaître l’existence de l’illégalité affectant cette décision d’attribution.
37 Eu égard aux considérations figurant aux points 32 et 35 du présent arrêt, il appartient aux États membres de régler les modalités procédurales des recours en dommages et intérêts. Toutefois, ces modalités procédurales ne doivent pas être moins favorables que celles se rapportant à des recours similaires prévus pour la protection des droits tirés de l’ordre juridique interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits
conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts eVigilo, C‑538/13, EU:C:2015:166, point 39, ainsi que Orizzonte Salute, C‑61/14, EU:C:2015:655, point 46).
38 Il convient, en conséquence, d’examiner si les principes d’effectivité et d’équivalence s’opposent à une réglementation nationale telle que celle exposée au point 36 du présent arrêt.
39 En ce qui concerne le principe d’effectivité, il convient de souligner que le degré d’exigence de la sécurité juridique concernant les conditions de la recevabilité des recours n’est pas identique selon qu’il s’agit de recours en dommages et intérêts ou de recours tendant à priver d’effets un contrat.
40 En effet, priver d’effet un contrat conclu à l’issue d’une procédure de passation de marché public met fin à l’existence et éventuellement à l’exécution dudit contrat, ce qui constitue une intervention substantielle de l’autorité administrative ou juridictionnelle dans les relations contractuelles intervenant entre les particuliers et les organismes étatiques. Une telle décision peut ainsi causer une perturbation considérable et des pertes économiques non seulement à l’adjudicataire du marché
public concerné, mais également au pouvoir adjudicateur et, par conséquent, au public, bénéficiaire final de la fourniture des travaux ou des services faisant l’objet du marché public en cause. Ainsi qu’il ressort des considérants 25 et 27 de la directive 2007/66, le législateur de l’Union a accordé une plus grande importance à l’exigence de la sécurité juridique concernant les recours tendant à priver d’effets un contrat que pour les recours en dommages et intérêts.
41 Subordonner la recevabilité des actions en dommages et intérêts à la constatation préalable de l’illégalité de la procédure de passation du marché concerné en raison de l’absence de publication préalable d’un avis de marché, lorsque cette action en constatation est soumise à un délai de forclusion de six mois, sans tenir compte de la connaissance ou non par la personne lésée de l’existence d’une violation d’une règle de droit, est susceptible de rendre pratiquement impossible ou excessivement
difficile l’exercice du droit d’intenter une action en dommages et intérêts.
42 En effet, en cas d’absence de publication préalable d’un avis de marché, un tel délai de six mois risque de ne pas permettre à une personne lésée de rassembler les informations nécessaires en vue d’un recours éventuel, ce qui fait ainsi obstacle à l’introduction de ce recours.
43 Accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par la violation des règles de passation des marchés publics constitue l’un des remèdes que le droit de l’Union garantit. Ainsi, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, la personne lésée serait privée non seulement de la possibilité de faire annuler la décision du pouvoir adjudicateur, mais aussi de tous les remèdes prévus à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/665.
44 Par conséquent, le principe d’effectivité s’oppose à un régime tel que celui en cause au principal.
45 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner si le principe d’équivalence s’oppose à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.
46 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que le droit de l’Union et notamment le principe d’effectivité s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’introduction d’un recours, aux fins de l’obtention de dommages et intérêts pour violation d’une règle du droit des marchés publics, à la constatation préalable de l’illégalité de la procédure de passation du marché concerné en raison de l’absence de publication préalable d’un avis de marché,
lorsque cette action en constatation d’illégalité est soumise à un délai de forclusion de six mois commençant à courir à compter du lendemain de la date de l’attribution du marché public en cause, et ce indépendamment du point de savoir si le demandeur à l’action était en mesure ou non de connaître l’existence de l’illégalité affectant cette décision du pouvoir adjudicateur.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
Le droit de l’Union européenne, notamment le principe d’effectivité, s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’introduction d’un recours, aux fins de l’obtention de dommages et intérêts pour violation d’une règle du droit des marchés publics, à la constatation préalable de l’illégalité de la procédure de passation du marché concerné en raison de l’absence de publication préalable d’un avis de marché, lorsque cette action en constatation d’illégalité est soumise à un délai de
forclusion de six mois commençant à courir à compter du lendemain de la date de l’attribution du marché public en cause, et ce indépendamment du point de savoir si le demandeur à l’action était en mesure ou non de connaître l’existence de l’illégalité affectant cette décision du pouvoir adjudicateur.
Signatures
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( * ) Langue de procédure: l’allemand.