ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
22 octobre 2015 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Espace de liberté, de sécurité et de justice — Règlement (CE) no 1896/2006 — Procédure européenne d’injonction de payer — Opposition tardive — Article 20, paragraphe 2 — Demande de réexamen de l’injonction de payer européenne — Exception d’incompétence de la juridiction d’origine — Injonction de payer européenne délivrée à tort au vu des exigences fixées par le règlement — Absence de caractère ‘manifeste’ — Absence de circonstances ‘exceptionnelles’»
Dans l’affaire C‑245/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche), par décision du 8 avril 2014, parvenue à la Cour le 21 mai 2014, dans la procédure
Thomas Cook Belgium NV
contre
Thurner Hotel GmbH,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan, Mmes A. Prechal et K. Jürimäe, juges
avocat général: M. P. Cruz Villalón,
greffier: M. K. Malacek, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 avril 2015,
considérant les observations présentées:
— pour Thurner Hotel GmbH, par Mes C. Linser et P. Linser, Rechtsanwälte,
— pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et E. Pedrosa, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 juillet 2015,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 20, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO L 399, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 936/2012 de la Commission, du 4 octobre 2012 (JO L 283, p. 1, ci‑après le «règlement no 1896/2006»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Thomas Cook Belgium NV (ci‑après «Thomas Cook»), société établie en Belgique, à Thurner Hotel GmbH (ci‑après «Thurner Hotel»), société établie en Autriche, au sujet d’une procédure européenne d’injonction de payer.
Le cadre juridique
Le règlement no 1896/2006
3 Le considérant 9 du règlement no 1896/2006 est ainsi rédigé:
«Le présent règlement a pour objet de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de procédure dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer [...]»
4 Le considérant 16 de ce règlement dispose:
«La juridiction devrait examiner la demande, y compris la question de la compétence et la description des éléments de preuve, sur la base des informations fournies dans le formulaire de demande. Elle devrait ainsi être en mesure d’examiner prima facie le bien‑fondé de la demande et notamment de rejeter les demandes manifestement non fondées ou irrecevables. Cet examen ne devrait pas nécessairement être effectué par un juge.»
5 Le considérant 25 dudit règlement énonce:
«Après l’expiration du délai prévu pour former opposition, le défendeur devrait avoir le droit, dans certains cas exceptionnels, de demander un réexamen de l’injonction de payer européenne. Le droit de demander un réexamen dans des circonstances exceptionnelles ne devrait pas signifier que le défendeur dispose d’une deuxième possibilité de s’opposer à la créance. Au cours de la procédure de réexamen, l’évaluation du bien‑fondé de la créance devrait se limiter à l’examen des moyens découlant des
circonstances exceptionnelles invoquées par le défendeur. Les autres circonstances exceptionnelles pourraient notamment désigner le cas où l’injonction de payer européenne était fondée sur de fausses informations fournies dans le formulaire de demande.»
6 Aux termes du considérant 29 de ce même règlement, l’objectif poursuivi par celui‑ci est «l’instauration d’un mécanisme rapide et uniforme de recouvrement des créances pécuniaires incontestées dans l’ensemble de l’Union européenne».
7 L’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006 dispose:
«Le présent règlement a pour objet:
a) de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer;
[...]»
8 Aux termes de l’article 5 de ce règlement, la «juridiction d’origine» est définie comme la «juridiction qui délivre l’injonction de payer européenne».
9 L’article 6 dudit règlement, intitulé «Compétence», prévoit, à son paragraphe 1:
«Aux fins de l’application du présent règlement, la compétence est déterminée conformément aux règles de droit communautaire applicables en la matière, notamment au règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 12, p. 1)].»
10 L’article 7, paragraphe 2, de ce même règlement dispose:
«La demande [d’injonction de payer européenne] comprend les éléments suivants:
a) le nom et l’adresse des parties, et le cas échéant de leurs représentants, ainsi que de la juridiction saisie de la demande;
[...]
e) une description des éléments de preuve à l’appui de la créance;
f) les chefs de compétence;
[...]»
11 L’article 8, du règlement no 1896/2006, intitulé «Examen de la demande», est rédigé dans ces termes:
«La juridiction saisie d’une demande d’injonction de payer européenne examine, dans les meilleurs délais et en se fondant sur le formulaire de demande, si les conditions énoncées aux [articles 6 et 7] sont réunies et si la demande semble fondée. Cet examen peut être effectué au moyen d’une procédure automatisée.»
12 L’article 12, paragraphes 1 et 3 à 5, du règlement no 1896/2006 est libellé comme suit:
«1. Si les conditions visées à l’article 8 sont réunies, la juridiction délivre l’injonction de payer européenne dans les meilleurs délais et en principe dans un délai de trente jours à compter de l’introduction de la demande, au moyen du formulaire type E figurant dans l’annexe V.
[...]
3. Dans l’injonction de payer européenne, le défendeur est informé de ce qu’il a la possibilité:
a) de payer au demandeur le montant figurant dans l’injonction de payer;
ou
b) de s’opposer à l’injonction de payer en formant opposition auprès de la juridiction d’origine, qui doit être envoyée dans un délai de trente jours à compter de la signification ou de la notification de l’injonction qui lui aura été faite.
4. Aux termes de l’injonction de payer européenne, le défendeur est informé que:
a) l’injonction a été délivrée sur le seul fondement des informations fournies par le demandeur et n’a pas été vérifiée par la juridiction;
b) l’injonction deviendra exécutoire à moins qu’il ait été formé opposition auprès de la juridiction conformément à l’article 16;
[...]
5. La juridiction veille à ce que l’injonction de payer soit signifiée ou notifiée au défendeur conformément au droit national, selon des modalités conformes aux normes minimales établies aux articles 13, 14 et 15».
13 L’article 16, paragraphes 1 à 3, de ce règlement est libellé comme suit:
«1. Le défendeur peut former opposition à l’injonction de payer européenne auprès de la juridiction d’origine [...]
2. L’opposition est envoyée dans un délai de trente jours à compter de la signification ou de la notification de l’injonction au défendeur.
3. Le défendeur indique dans l’opposition qu’il conteste la créance, sans être tenu de préciser les motifs de contestation.»
14 Sous l’intitulé «Réexamen dans des cas exceptionnels», l’article 20, paragraphe 2, dudit règlement prévoit:
«Après expiration du délai prévu à l’article 16, paragraphe 2, le défendeur a également le droit de demander le réexamen de l’injonction de payer européenne devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine lorsqu’il est manifeste que l’injonction de payer a été délivrée à tort, au vu des exigences fixées par le présent règlement, ou en raison d’autres circonstances exceptionnelles.»
Le règlement no 44/2001
15 L’article 5 du règlement no 44/2001 prévoit:
«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:
— [...]
— pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
[...]»
16 L’article 23 de ce règlement est libellé comme suit:
«1. Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. [...]
[...]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17 Le 3 septembre 2009, l’agence de voyages Thomas Cook a conclu avec Thurner Hotel un contrat de fourniture de services hôteliers.
18 Thurner Hotel a introduit devant le Bezirksgericht für Handelssachen Wien (tribunal cantonal pour les affaires commerciales de Vienne) une demande d’injonction de payer européenne visant Thomas Cook aux fins du paiement d’une somme de 15232,28 euros en règlement des factures correspondant aux prestations fournies par cette première société dans le cadre de ce contrat. Thurner Hotel a fait valoir que la juridiction saisie était compétente au titre du lieu d’exécution desdites prestations.
19 Le 26 juin 2013, l’injonction de payer européenne a été notifiée à Thomas Cook conformément aux dispositions du règlement no 1896/2006.
20 Cette dernière a formé opposition le 25 septembre 2013, soit postérieurement à l’expiration du délai d’opposition de trente jours prévu à l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006, en demandant également au Bezirksgericht für Handelssachen Wien (tribunal cantonal pour les affaires commerciales de Vienne) de procéder au réexamen de l’injonction de payer européenne conformément à l’article 20, paragraphe 2, de ce règlement.
21 À cet effet, Thomas Cook a soutenu que Thurner Hotel ne lui avait pas fourni, à tout le moins en temps utile, les factures correspondantes et que la créance litigieuse était fondée sur de fausses prétentions. Par ailleurs, Thomas Cook a soulevé une exception d’incompétence des juridictions autrichiennes, se prévalant de l’existence d’une clause attributive de juridiction au profit des juridictions belges qui figurerait dans les conditions générales du contrat litigieux. Invoquant les dispositions
de l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006, Thomas Cook a fait valoir que l’incompétence de la juridiction d’origine constituait un motif de réexamen au sens de cette disposition.
22 Par ordonnance du 28 octobre 2013, le Bezirksgericht für Handelssachen Wien (tribunal cantonal pour les affaires commerciales de Vienne) a rejeté cette demande au motif que la possibilité de réexamen prévue à l’article 20, paragraphe 2, de ce règlement doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Selon cette juridiction, la délivrance d’une injonction de payer européenne par une juridiction incompétente ne constitue pas une circonstance permettant au débiteur de demander le réexamen de cette
injonction de payer sur le fondement de cette disposition.
23 Thomas Cook a fait appel de cette ordonnance devant la juridiction de renvoi, faisant valoir que le litige devant la juridiction de première instance avait fait l’objet d’une appréciation juridique erronée et que l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006 devait lui permettre de demander le réexamen de l’injonction de payer européenne.
24 Selon la juridiction de renvoi, la doctrine autrichienne défend une interprétation stricte de l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006, cette dernière étant toutefois partagée sur la question de savoir si la délivrance d’une injonction de payer européenne par une juridiction incompétente constitue un motif de réexamen valable au sens de cette disposition. La juridiction de renvoi relève, en outre, que les «circonstances exceptionnelles» prévues à cette disposition, dont l’existence
conditionne le réexamen d’une injonction de payer européenne, ne sont pas définies par ce règlement.
25 Dans ces conditions, le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Le règlement no 1896/2006 doit‑il être interprété en ce sens que le défendeur peut également demander le réexamen, par le juge, de l’injonction de payer européenne en vertu de l’article 20, paragraphe 2, [de ce règlement], lorsque l’injonction de payer lui a été certes valablement notifiée, mais que, sur la base des éléments relatifs à la compétence figurant dans le formulaire de demande, c’est une juridiction incompétente qui l’a délivrée?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, le fait que l’injonction de payer européenne a été délivrée sur le fondement d’éléments figurant dans le formulaire de demande qui sont susceptibles de se révéler ultérieurement faux, en particulier lorsque la compétence de la juridiction en dépend, suffit‑il à caractériser des circonstances extraordinaires au sens de l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006 conformément au considérant 25 de (la proposition modifiée de
règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure européenne d’injonction de payer, présentée par la Commission conformément à l’article 250, paragraphe 2 du traité CE, [COM(2006) 57 final])?»
Sur les questions préjudicielles
26 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à ce qu’un défendeur, qui s’est vu notifier, conformément à ce règlement, une injonction de payer européenne soit fondé à demander le réexamen de cette injonction en faisant valoir que la juridiction d’origine s’est déclarée
à tort compétente en se fondant sur des informations prétendument fausses fournies par le demandeur dans le formulaire de demande de cette injonction de payer.
27 Il y a lieu de relever d’emblée que, ainsi qu’il ressort de l’article 12, paragraphe 3, du règlement no 1896/2006, une fois l’injonction de payer européenne délivrée au défendeur, conformément à ce règlement, ledit défendeur est informé de ce qu’il a la possibilité soit de payer au demandeur le montant figurant dans cette injonction, soit de s’y opposer, conformément à l’article 16 dudit règlement, auprès de la juridiction d’origine dans un délai de trente jours à compter de la signification ou
de la notification de ladite injonction de payer.
28 Ainsi que la Cour l’a jugé au point 30 de son arrêt Goldbet Sportwetten (C‑144/12, EU:C:2013:393), cette possibilité qu’a le défendeur de former opposition vise à compenser le fait que le système instauré par le règlement no 1896/2006 ne prévoit pas la participation dudit défendeur à la procédure européenne d’injonction de payer, en lui permettant de contester la créance après la délivrance de l’injonction de payer européenne.
29 Quant à la possibilité de réexaminer l’injonction de payer européenne, une fois le délai pour former opposition écoulé, ce réexamen ne peut intervenir, ainsi que l’indique l’intitulé même de l’article 20 dudit règlement, que dans des «cas exceptionnels».
30 À cet égard, il ressort du libellé de l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006 qu’il peut être procédé au réexamen d’une injonction de payer européenne en cas de non‑respect du délai pour former opposition lorsqu’il est manifeste que l’injonction de payer a été délivrée à tort, au vu des exigences fixées par le règlement no 1896/2006 ou en raison d’autres circonstances exceptionnelles.
31 Le législateur de l’Union ayant entendu limiter la procédure de réexamen à des situations exceptionnelles, ladite disposition doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, par analogie, arrêt Commission/Conseil, C‑111/10, EU:C:2013:785, point 39 et jurisprudence citée).
32 Il convient, en premier lieu, de déterminer si, dans une situation telle que celle en cause au principal, il est «manifeste» que cette injonction a été délivrée à tort au vu des exigences fixées par le règlement no 1896/2006.
33 Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, de ce règlement, la demande d’injonction de payer européenne comprend, notamment, l’indication de la juridiction saisie de la demande d’injonction de payer ainsi que le chef sur lequel se fonde la compétence de cette juridiction.
34 En vertu de l’article 8 dudit règlement, ladite juridiction examine, dans les meilleurs délais et en se fondant sur le formulaire de demande de l’injonction de payer européenne (ci‑après le «formulaire de demande»), si les conditions énoncées notamment à l’article 6 de ce même règlement, aux termes duquel la compétence est déterminée conformément aux règles du droit de l’Union applicables en la matière, notamment au règlement no 44/2001, sont remplies et si la demande semble fondée. Si les
conditions visées à l’article 8 du règlement no 1896/2006 sont réunies, la juridiction délivre l’injonction de payer européenne dans les meilleurs délais et, en principe, dans un délai de trente jours à compter de l’introduction de la demande, au moyen du formulaire type E figurant à l’annexe V de ce règlement, conformément à l’article 12, paragraphe 1, dudit règlement.
35 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que Thomas Cook a soulevé l’incompétence de la juridiction d’origine en se prévalant de l’existence, dans les conditions générales du contrat litigieux conclu avec Thurner Hotel, d’une clause attributive de compétence au profit des juridictions belges.
36 À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 23 du règlement no 44/2001 dispose que, si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents, cette compétence étant exclusive, sauf convention contraire des parties.
37 Toutefois, à supposer que cet article s’applique dans une situation telle que celle en cause au principal, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort du considérant 16 du règlement no 1896/2006, la juridiction saisie devrait examiner la demande, y compris la question de la compétence et la description des éléments de preuve, sur la base des informations fournies dans le formulaire de demande. En effet, conformément à l’article 8 de ce règlement, cette juridiction examine, dans les
meilleurs délais et en se fondant sur le formulaire de demande, si les conditions énoncées, notamment aux articles 6 et 7 dudit règlement, sont réunies et si la demande semble fondée.
38 Par ailleurs, l’article 12, paragraphe 4, sous a), du règlement no 1896/2006 précise que le défendeur est informé, aux termes de l’injonction de payer européenne, notamment du fait que l’injonction a été délivrée sur le seul fondement des informations fournies par le demandeur et n’a pas été vérifiée par ladite juridiction et l’article 12, paragraphe 4, sous b), de ce règlement spécifie que cette injonction deviendra exécutoire à moins qu’il n’ait été formé opposition auprès de la juridiction,
conformément à l’article 16. C’est également ce qui ressort clairement de la notification au défendeur, au moyen du formulaire type E, figurant à l’annexe V du règlement no 1896/2006, de l’injonction de payer européenne.
39 Ainsi, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, il appartient au défendeur, lorsque celui‑ci souhaite soulever une exception d’incompétence de la juridiction d’origine en raison du caractère prétendument faux des informations fournies par le demandeur dans le formulaire de demande, d’agir dans le délai d’opposition prévu à l’article 16 du règlement no 1896/2006.
40 Il convient, à cet égard, de rappeler que cette possibilité d’action est facilitée par le fait que le défendeur n’est pas tenu de préciser les motifs de contestation et qu’il peut se limiter à contester la créance, conformément à l’article 16, paragraphe 3, dudit règlement.
41 L’intérêt de la procédure instaurée par le règlement no 1896/2006 étant de concilier la rapidité et l’efficacité d’une procédure judiciaire avec le respect des droits de la défense, le défendeur doit dès lors exercer ses droits dans les délais qui lui sont impartis et ne saurait disposer, par la suite, que de moyens limités pour s’opposer à l’exécution de l’injonction de payer européenne.
42 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 33 de ses conclusions, la vérification de la compétence par la juridiction d’origine dans le cadre de la procédure européenne d’injonction de payer est susceptible de soulever des points de droit complexes, tels que la validité d’une clause attributive de juridiction, dont l’appréciation pourrait nécessiter un examen plus approfondi que celui qu’il convient d’effectuer dans le cadre de l’article 8 du
règlement no 1896/2006.
43 Il s’ensuit que, dans les circonstances particulières de l’affaire au principal, il ne saurait être considéré qu’il est manifeste que l’injonction de payer européenne délivrée à l’encontre du défendeur l’a été à tort au vu des exigences fixées par le règlement no 1896/2006.
44 Il convient, en second lieu, de déterminer si, dans une situation telle que celle en cause au principal, il convient de considérer qu’il est «manifeste» que cette injonction a été délivrée à tort en raison d’autres «circonstances exceptionnelles», au sens de l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006.
45 À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort du considérant 25 de ce règlement, lequel reflète le considérant 25 de la proposition modifiée de règlement COM(2006) 57 final, auquel fait référence la juridiction de renvoi, que ces «autres circonstances exceptionnelles» pourraient notamment désigner le cas où l’injonction de payer européenne était fondée sur de fausses informations fournies par le demandeur dans le formulaire de demande.
46 Néanmoins, en l’occurrence, ainsi qu’il a été rappelé au point 35 du présent arrêt, le défendeur a excipé, à l’appui de sa demande de réexamen, de l’incompétence de la juridiction d’origine, en soutenant que les deux parties au contrat en cause au principal se sont accordées sur la juridiction compétente au profit des juridictions belges.
47 Dans ces conditions, une fois l’injonction de payer européenne notifiée au défendeur, conformément au règlement no 1896/2006, ce dernier, ne pouvant ignorer l’existence d’une telle clause attributive de juridiction, a pu apprécier le caractère prétendument faux des informations fournies par le demandeur dans le formulaire de demande, relatif, en l’occurrence, à la compétence de la juridiction d’origine. Il avait, dès lors, la possibilité de l’invoquer dans le cadre de l’opposition prévue à
l’article 16 du règlement no 1896/2006.
48 Ainsi qu’il est indiqué au considérant 25 de ce règlement, la possibilité de réexamen de l’injonction, prévue à l’article 20 du règlement no 1896/2006, ne doit pas aboutir à conférer au défendeur une seconde possibilité de s’opposer à la créance.
49 Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, il ne saurait être considéré que l’injonction de payer a été délivrée à tort en raison de «circonstances exceptionnelles», au sens de l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006.
50 Une telle interprétation de cette disposition est corroborée par l’objectif poursuivi par ledit règlement. En effet, il ressort du considérant 9 et de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de ce même règlement que celui‑ci a pour objet de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de procédure dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer. Le considérant 29 du règlement no 1896/2006 ajoute que
l’objectif poursuivi par ce dernier est d’instaurer un mécanisme rapide et uniforme de recouvrement de ces créances.
51 Or, cet objectif serait mis en cause si, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006 devait être interprété comme permettant au défendeur de demander le réexamen de la demande d’injonction de payer européenne.
52 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1896/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à ce qu’un défendeur, qui s’est vu notifier, conformément à ce règlement, une injonction de payer européenne soit fondé à demander le réexamen de cette injonction en faisant valoir que la juridiction d’origine s’est déclarée à tort compétente en se fondant
sur des informations prétendument fausses fournies par le demandeur dans le formulaire de demande.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
L’article 20, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer, tel que modifié par le règlement (UE) no 936/2012 de la Commission, du 4 octobre 2012, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à ce qu’un défendeur, qui s’est vu notifier, conformément à ce règlement, une injonction de payer européenne soit fondé à
demander le réexamen de cette injonction en faisant valoir que la juridiction d’origine s’est déclarée à tort compétente en se fondant sur des informations prétendument fausses fournies par le demandeur dans le formulaire de demande de cette injonction de payer.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.