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15/10/2015 | CJUE | N°C-247/14

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, HeidelbergCement AG contre Commission européenne., 15/10/2015, C-247/14


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 15 octobre 2015 ( 1 )

Affaire C‑247/14 P

HeidelbergCement AG

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Marchés du ciment et des produits connexes — Article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil — Pouvoirs de la Commission de demander des renseignements — Motivation — Caractère nécessaire des renseignements demandés — Modèle des renseignements demandés — Proportionnalité de la demande — Auto-incrimination»


1.  Quelles sont les conditions et les limites des pouvoirs de la Commission européenne de demander aux entr...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 15 octobre 2015 ( 1 )

Affaire C‑247/14 P

HeidelbergCement AG

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Marchés du ciment et des produits connexes — Article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil — Pouvoirs de la Commission de demander des renseignements — Motivation — Caractère nécessaire des renseignements demandés — Modèle des renseignements demandés — Proportionnalité de la demande — Auto-incrimination»

1.  Quelles sont les conditions et les limites des pouvoirs de la Commission européenne de demander aux entreprises, par voie de décision, de fournir des renseignements dans le cadre d’une enquête portant sur des infractions éventuelles aux règles de concurrence de l’Union européenne?

2.  Telles sont, en substance, les questions essentielles soulevées dans le pourvoi introduit par HeidelbergCement AG (ci-après «HeidelbergCement» ou la «requérante») contre l’arrêt du Tribunal HeidelbergCement/Commission (T‑302/11, EU:T:2014:128) rejetant son recours en annulation d’une décision de la Commission adoptée sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 ( 2 ) et ordonnant à cette société de fournir un volume considérable de renseignements.

3.  Des questions sensiblement similaires sont également posées dans trois autres pourvois formés par d’autres sociétés opérant sur le marché du ciment contre trois arrêts du Tribunal rejetant également la plupart de leurs griefs dirigés contre des décisions de la Commission semblables à celle contestée par HeidelbergCement. Je présenterai également aujourd’hui mes conclusions dans ces trois autres affaires ( 3 ). Les présentes conclusions doivent ainsi être lues conjointement avec ces autres
conclusions.

I – Le cadre juridique

4. Le considérant 23 du règlement no 1/2003 énonce:

«La Commission doit disposer dans toute la Communauté du pouvoir d’exiger les renseignements qui sont nécessaires pour déceler les accords, décisions et pratiques concertées interdits par l’article [101 TFUE] ainsi que l’exploitation abusive d’une position dominante interdite par l’article [102 TFUE]. Lorsqu’elles se conforment à une décision de la Commission, les entreprises ne peuvent être contraintes d’admettre qu’elles ont commis une infraction, mais elles sont en tout cas obligées de
répondre à des questions factuelles et de produire des documents, même si ces informations peuvent servir à établir à leur encontre ou à l’encontre d’une autre entreprise l’existence d’une infraction.»

5. Les dispositions pertinentes de l’article 18 du règlement no 1/2003 (intitulé «Demandes de renseignements») prévoient:

«1.   Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut, par simple demande ou par voie de décision, demander aux entreprises et associations d’entreprises de fournir tous les renseignements nécessaires.

2.   Lorsqu’elle envoie une simple demande de renseignements à une entreprise ou à une association d’entreprises, la Commission indique la base juridique et le but de la demande, précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis. Elle indique aussi les sanctions prévues à l’article 23 au cas où un renseignement inexact ou dénaturé serait fourni.

3.   Lorsque la Commission demande par décision aux entreprises et associations d’entreprises de fournir des renseignements, elle indique la base juridique et le but de la demande, précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis. Elle indique également les sanctions prévues à l’article 23 et indique ou inflige les sanctions prévues à l’article 24. Elle indique encore le droit de recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.

[…]»

II – Les antécédents du litige

6. En 2008 et en 2009, la Commission a effectué en vertu de l’article 20 du règlement no 1/2003 plusieurs inspections dans les locaux de différentes sociétés opérant dans le secteur cimentier, au nombre desquelles figurait HeidelbergCement. Ces inspections ont été suivies en 2009 et en 2010 par l’envoi d’un certain nombre de demandes de renseignements au titre de l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

7. Par lettre du 8 novembre 2010, la Commission a informé HeidelbergCement de son intention de lui adresser une décision de demande de renseignements en vertu de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et lui a communiqué le projet de questionnaire qu’elle envisageait d’annexer à cette décision. HeidelbergCement a présenté ses observations à la Commission le 16 novembre 2010.

8. Le 6 décembre 2010, la Commission a informé HeidelbergCement qu’elle avait décidé d’ouvrir une procédure contre elle et sept autres sociétés, sur le fondement de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 et de l’article 2 du règlement (CE) no 773/2004 ( 4 ). Cette procédure était motivée par des présomptions d’infractions à l’article 101 TFUE consistant en des restrictions d’importations dans l’Espace économique européen (EEE) en provenance de pays extérieurs à l’EEE, des répartitions de
marchés, des coordinations des prix et des pratiques anticoncurrentielles connexes sur le marché du ciment et les marchés des produits connexes.

9. Le 30 mars 2011, la Commission a adopté la décision C(2011) 2361 final, relative à une procédure d’application de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 (affaire 39520 – Ciment et produits connexes) (ci-après la «décision contestée»).

10. Dans cette décision, la Commission a indiqué que, conformément à l’article 18 du règlement no 1/2003, pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par ce règlement, elle peut, par simple demande ou par voie de décision, demander aux entreprises et associations d’entreprises de fournir tous les renseignements nécessaires (considérant 3 de la décision contestée). Après avoir rappelé que la requérante avait été informée de son intention d’adopter une décision conformément à
l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et que celle-ci avait présenté ses observations sur le projet de questionnaire (considérants 4 et 5 de la décision contestée), la Commission a demandé par voie de décision à la requérante de répondre au questionnaire figurant en annexe I. En particulier, celle-ci comprenait 94 pages et 11 séries de questions. Les instructions relatives aux réponses à ce questionnaire figuraient à l’annexe II, et les modèles de réponse, à l’annexe III.

11. La Commission a également souligné (considérant 2 de la décision contestée) la nature des infractions présumées, qu’elle a décrites comme suit: «[l]es infractions présumées concernent des restrictions des flux commerciaux dans l’espace économique européen (EEE), y compris des restrictions d’importations dans l’EEE en provenance de pays extérieurs à l’EEE, des répartitions de marchés, des coordinations des prix et des pratiques anticoncurrentielles connexes sur le marché du ciment et les marchés
des produits connexes». En se référant à la nature et à la quantité des renseignements demandés ainsi qu’à la gravité des infractions présumées aux règles de concurrence, la Commission a estimé qu’il convenait d’accorder à la requérante un délai de réponse de 12 semaines pour les 10 premières séries de questions et de deux semaines pour la onzième (considérant 8 de la décision contestée).

12. Le dispositif de la décision contestée se lit comme suit:

«Article premier

[HeidelbergCement] (avec ses filiales situées dans l’UE et contrôlées directement ou indirectement par elle) fournira les renseignements mentionnés à l’annexe I de la présente décision, sous la forme demandée à l’annexe II et à l’annexe III de cette dernière, dans un délai de réponse de douze semaines pour les questions 1-10 et de deux semaines pour la question 11, à compter de la date de notification de la présente décision. Toutes les annexes constituent une partie intégrante de la présente
décision.

Article 2

[HeidelbergCement] (avec ses filiales situées dans l’UE et contrôlées directement ou indirectement par elle) est destinataire de la présente décision.»

13. Après réception de la décision contestée, HeidelbergCement a sollicité une prorogation de délai pour répondre à certaines séries de questions. Après un refus initial, la Commission a consenti à HeidelbergCement, sur nouvelle demande de celle-ci, une prorogation du délai à raison de 5 semaines supplémentaires pour répondre aux 10 premières séries de questions.

14. HeidelbergCement a répondu au questionnaire de la Commission les 18 avril, 6 mai et 2 août 2011.

III – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15. Par requête déposée le 10 juin 2011, HeidelbergCement a demandé au Tribunal d’annuler la décision contestée.

16. Par acte séparé, déposé le 17 juin 2011, HeidelbergCement a demandé au Tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution de la décision contestée. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 29 juillet 2011 du président du Tribunal, HeidelbergCement/Commission (T‑302/11 R, EU:T:2001:405).

17. Par l’arrêt attaqué ( 5 ), le Tribunal a rejeté le recours et condamné HeidelbergCement aux dépens.

IV – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

18. Dans le pourvoi qu’elle a introduit devant la Cour le 20 mai 2014, HeidelbergCement conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— annuler l’arrêt attaqué;

— annuler la décision contestée;

— à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue à nouveau;

— condamner la Commission aux dépens des deux instances.

19. La Commission, partie défenderesse, conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

— rejeter le pourvoi;

— à titre subsidiaire, en cas d’annulation de l’arrêt attaqué, rejeter le recours;

— condamner HeidelbergCement aux dépens.

20. HeidelbergCement et la Commission ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue le 3 juin 2015.

V – Appréciation des moyens du pourvoi

21. HeidelbergCement développe sept moyens au soutien de son pourvoi. Néanmoins, avant d’en examiner le bien-fondé, je vais brièvement exposer certains aspects essentiels du dispositif du règlement no 1/2003 encadrant les demandes de renseignements émises par la Commission.

A – Introduction

22. Le règlement no 1/2003 attribue à la Commission d’importants pouvoirs d’enquête ( 6 ) visant à lui permettre d’accomplir en vertu des traités de l’Union sa mission consistant à assurer l’application effective et uniforme des règles de concurrence au sein de l’Union ( 7 ). À cette fin, la Commission dispose d’une marge d’appréciation étendue pour décider tout d’abord de faire usage de ces pouvoirs ( 8 ) et ensuite, le cas échéant, pour arrêter le moment approprié à cet effet ( 9 ), et définir les
faits relevant de l’enquête ( 10 ).

23. Cette marge d’appréciation n’est toutefois pas absolue. Dans l’exercice de ses pouvoirs d’enquête, la Commission est en effet tenue de respecter les principes généraux du droit et les droits fondamentaux reconnus par l’ordre juridique de l’Union ( 11 ). Dans ce contexte, la nécessité de sauvegarder les droits de la défense des entreprises pendant toute la procédure ( 12 ), y compris, sous certaines conditions, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, revêt une importance
particulière ( 13 ).

24. En outre, la Cour a itérativement souligné que la nécessité de protéger les particuliers contre les interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée, notamment aux fins de l’application des règles de concurrence, constitue un principe général du droit de l’Union ( 14 ). Une mesure d’enquête est arbitraire, quand elle est adoptée en l’absence de faits aptes à justifier une ingérence dans les droits fondamentaux d’une entreprise ( 15 ), et
disproportionnée, lorsqu’elle entraîne une ingérence démesurée et, partant, intolérable dans ces droits ( 16 ).

25. Dans l’exercice de son pouvoir de demander des renseignements par voie de décision, la Commission peut évidemment adresser une telle décision à toute entreprise susceptible de posséder des informations pertinentes, quelle que soit son implication dans l’infraction présumée. Ce pouvoir comporte le droit de demander aux entreprises de répondre à des questions spécifiques et de communiquer les documents en leur possession ( 17 ). Les renseignements demandés doivent être «nécessaires» pour permettre
à la Commission de donner effet aux articles 101 TFUE et 102 TFUE.

26. S’il incombe à la Commission la charge d’établir une infraction aux règles de concurrence de l’Union ( 18 ), les entreprises soumises à une enquête sont néanmoins tenues à une obligation de coopération active avec l’institution ( 19 ).

27. Afin de mettre les entreprises en mesure de saisir la portée de leur obligation de collaboration, tout en préservant en même temps leurs droits de la défense ( 20 ), la Commission doit indiquer dans sa décision la base juridique et le but de la demande ( 21 ).

28. C’est sous le bénéfice de ces observations que j’examinerai maintenant les moyens du pourvoi développés par la requérante.

B – Les moyens du pourvoi

1. But de la demande de renseignements

a) Arguments des parties

29. Par son premier moyen, dirigé contre les points 23 à 43 et 47 de l’arrêt attaqué, HeidelbergCement soutient que le Tribunal a fait une interprétation et une application erronées de l’article 18 du règlement no 1/2003 en rejetant son moyen tiré d’une motivation insuffisante de la décision contestée. La requérante fait en particulier valoir que cette décision manquait de précision sur la nature des infractions présumées ainsi que sur les produits et les marchés géographiques en cause.
HeidelbergCement argue également d’une insuffisance de la motivation fournie sur ce point par le Tribunal.

30. La Commission conclut au rejet du moyen. Elle souligne que la procédure se trouvait encore à un stade précoce lorsque la décision contestée a été prise. Une demande de renseignements ne pourrait pas comporter le niveau de détail exigé des actes adoptés au terme de l’instruction, tels que la communication des griefs.

b) Appréciation

31. Je rappelle, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence bien établie, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être
appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée ( 22 ).

32. S’agissant des décisions ordonnant une inspection en vertu de l’article 20 du règlement no 1/2003, la Cour a confirmé récemment que la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle dispose sur des infractions présumées, ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, pour autant qu’elle indique clairement les présomptions qu’elle entend vérifier. S’il incombe à la Commission d’indiquer avec autant de
précision que possible ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification, il n’est en revanche pas indispensable de faire apparaître dans une décision d’inspection une délimitation précise du marché en cause, ni la qualification juridique exacte des infractions présumées ou l’indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, à condition que cette décision d’inspection contienne les éléments essentiels exposés ci-dessus. En effet, les
inspections interviennent au début de l’enquête et, par conséquent, la Commission ne dispose pas encore, à ce stade, d’informations précises sur ces aspects. Le but de l’inspection consiste précisément à recueillir des preuves relatives à une infraction soupçonnée, de façon que la Commission puisse vérifier le bien-fondé de ses soupçons et émettre un avis juridique plus précis ( 23 ).

33. Ces principes me paraissent applicables mutatis mutandis aux décisions de demande de renseignements au titre de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003. Les deux types de mesures poursuivent évidemment le même but et consistent à collecter des éléments factuels. Bien que le libellé des deux dispositions ne soit pas identique, leur relative similitude semble également militer en faveur de leur lecture uniforme ( 24 ).

34. Dans ce contexte, la question capitale consiste à déterminer si le Tribunal a correctement examiné le caractère suffisant de la motivation de la décision contestée. Autrement dit, la question se pose en ces termes: eu égard au stade de la procédure auquel la décision a été adoptée, la motivation litigieuse est-elle suffisamment claire pour, d’une part, permettre au destinataire d’exercer ses droits de la défense et d’évaluer son obligation de coopération avec la Commission et, d’autre part,
mettre le juge de l’Union en mesure d’exercer son contrôle de légalité?

35. Cette question devrait, à mon sens, recevoir une réponse négative.

36. La requérante critique trois éléments de la motivation: i) la description des infractions présumées; ii) leur étendue géographique et iii) les produits concernés. Il est vrai que chacun de ces éléments est rédigé, selon l’expression du Tribunal, «en des termes très généraux qui auraient mérité d’être précisés et [encourent] donc la critique à cet égard» ( 25 ).

37. À propos des infractions présumées, le considérant 2 de la décision contestée dispose qu’elles «concernent des restrictions des flux commerciaux […], y compris des restrictions d’importations […], des répartitions de marchés, des coordinations des prix et des pratiques anticoncurrentielles connexes […]». Cette description des éventuelles infractions paraît non seulement très vague («restrictions des flux commerciaux […], y compris des restrictions d’importations»), mais également générique
(«pratiques anticoncurrentielles connexes»). En raison d’une telle généralité, la référence aux «répartitions de marchés» et aux «coordinations des prix» ne contribue guère à définir plus précisément la nature du comportement présumé par la Commission. La plupart des ententes comportent en réalité des éléments de répartition des marchés et des pratiques de fixation des prix. En fait, la grande majorité des catégories d’accords interdits à l’article 101 TFUE semblent être couvertes par cette
description.

38. Quant à l’étendue géographique des infractions présumées, la décision contestée fait état de restrictions des flux commerciaux dans l’EEE, y compris des restrictions d’importations dans l’EEE en provenance de pays extérieurs à l’EEE. S’il est vrai que la portée géographique du marché en cause ne doit pas être nécessairement définie dans une décision au titre de l’article 18 ( 26 ), il aurait dû être néanmoins possible de mentionner au moins certains des pays concernés. En particulier, l’on ne
discerne pas exactement si le marché éventuellement affecté s’étend à l’ensemble ou à certaines des zones géographiques de l’EEE, ni, dans ce dernier cas, à quelles zones.

39. Enfin, la décision contestée est encore plus évasive lorsqu’il s’agit de déterminer les produits faisant l’objet de l’enquête. En réalité, le ciment est le seul matériau à être désigné comme produit en cause, car, pour les autres, la décision fait seulement état de «marchés des produits connexes». De nouveau, cette description est non seulement extrêmement vague (quel doit être le degré de «connexité» entre ces produits et le ciment?), mais également apte à englober tous les types de produits
relevant de l’activité de la requérante (en qualité de vendeur ou d’acheteur).

40. Selon le Tribunal ( 27 ), le manque de précision de la décision contestée est en partie pallié par son renvoi explicite à la décision de la Commission portant ouverture de la procédure, qui contenait des informations supplémentaires sur l’étendue géographique des infractions présumées et sur le type de produits visés.

41. HeidelbergCement conteste qu’un simple renvoi à une décision antérieure puisse remédier aux carences de la décision contestée et fait observer en tout état de cause que la décision d’ouverture de la procédure est également entachée du même défaut de précision.

42. J’estime que les actes imposant des obligations qui comportent des ingérences dans la sphère privée des particuliers ou des entreprises et dont le non‑respect expose les intéressés au risque de lourdes amendes doivent en principe comporter une motivation autonome ( 28 ). Il est en effet important de mettre en mesure ces particuliers ou ces entreprises de percevoir les motifs de ces actes sans efforts d’interprétation démesurés ( 29 ), de façon qu’ils puissent exercer leurs droits efficacement et
en temps opportun. Il en va particulièrement ainsi des actes renvoyant expressément à des actes antérieurs comportant une motivation différente. Toute divergence notable entre les deux actes peut être source d’incertitude pour le destinataire.

43. Nonobstant ce qui précède, je considère en l’espèce que le Tribunal a pu, à titre exceptionnel, juger à bon droit que la motivation de la décision contestée et celle de la décision d’ouverture de la procédure pouvaient être lues conjointement. Ces deux décisions ont été adoptées dans le cadre de la même enquête et portent visiblement sur les mêmes infractions présumées. Elles sont également intervenues dans un court laps de temps et, ce qui est plus important, leur motivation n’apparaît pas
sensiblement différente. Je pense donc que la première décision pouvait être regardée en l’espèce comme le «contexte» de la seconde, ce que le destinataire ne pouvait ignorer ( 30 ).

44. Cependant, s’il est vrai que la première décision comportait une description sensiblement plus détaillée de la portée géographique des infractions présumées (en spécifiant qu’elles concernaient la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, le Luxembourg, l’Autriche, les Pays-Bas et le Royaume‑Uni), elle ne définissait pas avec autant de précision la nature de ces infractions ni les produits concernés. En particulier, les éclaircissements que la note au bas de
la page 4 de cette décision apporte à la notion de «ciment et produits connexes» recouvrent un ensemble de produits qui peut être très vaste et hétérogène.

45. Cela dit, je considère que le caractère trop générique ou un peu vague qu’un exposé des motifs peut présenter sur certains aspects ne constitue pas un vice de légalité, si le reste de la décision permet au destinataire et au juge de l’Union de comprendre avec suffisamment de précision quels renseignements la Commission souhaite obtenir et pour quelles raisons ( 31 ). En effet, l’objet des questions posées peut apporter, ne serait-ce qu’indirectement ou implicitement, un éclairage supplémentaire
sur un exposé des motifs qui a pu être rédigé sans la précision nécessaire. En définitive, des questions très précises et ciblées révèlent nécessairement l’objet de l’enquête diligentée par la Commission. Cela me semble être particulièrement le cas des actes adoptés à un stade précoce de la procédure, lorsque l’objet de l’enquête n’est pas intégralement et définitivement défini et peut en fait devoir être limité ou élargi ultérieurement à la suite des renseignements alors obtenus.

46. Cependant, nous sommes en réalité dans un cas de figure différent dans la présente affaire. Les questions posées à HeidelbergCement sont extrêmement nombreuses et portent sur des types de renseignements très diversifiés. Il est, à mon avis, singulièrement difficile d’établir le fil conducteur de questions qui vont du volume et des coûts des émissions de CO2 générées par les sites de production ( 32 ) aux moyens de transport et à la distance de transport des expéditions de marchandises vendues (
33 ), du type de conditionnement des expéditions ( 34 ) aux coûts de leur transport et de leur assurance ( 35 ), des statistiques des permis de construire ( 36 ) aux numéros de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des clients ( 37 ) ainsi que de la technologie et du combustible utilisés dans les sites de production ( 38 ) aux coûts de réparation et d’entretien de ces sites ( 39 ). En outre, certaines questions posées ne semblent pas concorder entièrement avec les développements de la décision
précédente portant ouverture de la procédure: par exemple, les questions 3 et 4 (qui induisent un volume particulièrement élevé de renseignements portant sur une période de 10 ans ( 40 )) ne sont pas cantonnées aux États membres cités dans la décision d’ouverture de la procédure comme susceptibles d’être concernés.

47. D’ailleurs, si le fil conducteur de ces questions devait être la constitution d’une cartographie complète de la structure des revenus et des coûts de l’entreprise, afin de permettre à la Commission d’appréhender cette structure par des méthodes économétriques (en la comparant avec celle d’autres sociétés opérant dans le secteur cimentier), l’on pourrait alors se demander s’il était même approprié d’adopter sur le fondement de l’article 18 une demande de renseignements aussi vaste et générique. À
moins que la Commission soit en possession d’indices concrets suggérant l’existence d’une conduite répréhensible à laquelle une telle analyse serait susceptible d’apporter la confirmation nécessaire, une telle demande de renseignements semblerait plutôt convenir à une enquête par secteur au sens de l’article 17 du règlement no 1/2003 ( 41 ).

48. Dans ces conditions, je considère, à l’instar de la requérante, que le but de la demande de renseignements émise par la Commission n’était pas assez clair et univoque. Il était donc extrêmement difficile pour cette entreprise de discerner la nature des infractions présumées, de façon à apprécier la portée de son obligation de collaboration avec la Commission et, si nécessaire, à exercer ses droits de la défense, en refusant, par exemple, de répondre aux questions qu’elle estimait illégales. Il
en va d’autant plus ainsi que, comme le Tribunal l’a admis lui-même, certaines questions portaient sur des renseignements qui n’étaient pas de nature purement factuelle, mais comportaient un jugement de valeur ( 42 ) et que d’autres questions étaient relativement vagues ( 43 ). Ainsi, la requérante ne pouvait pas aisément exclure le risque d’apporter à ces questions des réponses contribuant à sa propre incrimination.

49. Ce défaut de précision ne peut, comme le soutient la Commission, se justifier par le fait que la décision contestée a été adoptée à un stade précoce de l’enquête. En effet, cette décision est intervenue presque trois ans après le début de l’enquête. Au cours de cette période, un certain nombre d’inspections avaient eu lieu et la Commission avait déjà adressé des demandes de renseignements circonstanciées, auxquelles les entreprises destinataires, y compris HeidelbergCement, avaient répondu. La
Commission estimait effectivement quelques mois avant l’adoption de la décision contestée avoir recueilli suffisamment d’éléments pour engager une procédure en vertu de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 et de l’article 2 du règlement no 773/2004. Ces données auraient dû permettre à la Commission d’étoffer la motivation de la décision contestée.

50. La Commission a elle-même déclaré lors de l’audience que le niveau de détail exigé d’une motivation dépend, entre autres, des informations dont elle dispose quand elle adopte une décision au titre de l’article 18. J’estime que ce point de vue est fondé. Cependant, à mon avis, il implique nécessairement que, si une motivation est susceptible d’être validée quand elle se rapporte à une décision adoptée au début d’une enquête (par exemple, une décision ordonnant à une entreprise de se soumettre à
une inspection en vertu de l’article 20 ou la toute première décision de demande de renseignements au titre de l’article 18, paragraphe 3), cette motivation pourrait ne pas être admise dans la même mesure quand elle vient au soutien d’une décision prise à un stade nettement plus avancé de l’enquête, alors que la Commission dispose d’informations plus fournies sur les infractions présumées.

51. Dans ces conditions, il me paraît inexcusable que, en dépit de toutes les informations d’ores et déjà communiquées à la Commission au cours des années précédentes et des contraintes supplémentaires qu’impliquait la décision contestée, HeidelbergCement ait été encore «tenue dans l’ignorance» de l’objet précis de l’enquête conduite par la Commission.

52. J’estime en outre que le contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union sur la décision contestée en a été rendu sensiblement plus difficile. Comment les rares informations livrées dans cette décision sur les infractions présumées (même si elle est lue dans le contexte de la décision d’ouverture de la procédure) vont‑elles permettre au juge de l’Union d’apprécier, par exemple, le caractère nécessaire de certains éléments d’information spécifiques ou le caractère proportionné de la demande
dans son ensemble ( 44 )?

53. D’une part, plus la formulation d’une motivation est large et vague, plus la corrélation entre l’infraction présumée et les renseignements demandés pourrait apparaître évidente. L’on ne saurait toutefois admettre qu’une motivation rédigée, par négligence ou délibérément, sans la précision requise puisse produire l’effet involontaire d’étendre la portée des types de renseignements susceptibles d’être considérés comme «nécessaires» au sens de l’article 18.

54. D’autre part, étant donné que la proportionnalité d’une demande de renseignements est notamment fonction de critères tels que la gravité de l’infraction présumée, la nature de l’implication de l’entreprise concernée, l’importance des éléments de preuve recherchés, l’ampleur et le type des renseignements utiles détenus, selon la Commission, par l’entreprise en cause ( 45 ), cette évaluation se révèle, à nouveau, très difficile. Si le juge de l’Union peut bien apprécier le volume de travail induit
par une demande de renseignements spécifique, il ne peut toutefois déterminer, en l’absence de toute autre précision sur ces éléments, si les efforts exigés d’une entreprise pour répondre à une telle demande sont ou non justifiés dans l’intérêt général.

55. Pour ces raisons, j’estime que le Tribunal a fait une interprétation et une application erronées de l’article 296 TFUE et de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 au regard de la motivation exigée d’une décision de demande de renseignements. Il y a donc lieu d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où, pour les raisons exposées en ses points 23 à 43, le Tribunal a considéré que la décision contestée était motivée à suffisance de droit.

2. Choix de l’instrument juridique et délais impartis

a) Arguments des parties

56. Par son deuxième moyen, dirigé contre les points 44 à 46 de l’arrêt attaqué, HeidelbergCement fait valoir que le Tribunal a jugé à tort qu’il n’était pas nécessaire de traiter dans la motivation de la décision contestée, d’une part, le choix de l’acte juridique adopté par la Commission (une décision au titre de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, de préférence à une simple demande de renseignements prévue à l’article 18, paragraphe 2, de ce règlement) et, d’autre part, les délais
impartis par ce même acte.

57. La Commission conclut au rejet du moyen.

b) Appréciation

58. Je suis d’avis que le Tribunal a pertinemment retenu qu’il n’était pas nécessaire d’inclure dans la décision contestée une motivation spécifique et explicite des raisons du choix de l’acte juridique auquel la Commission a eu recours et des délais qu’elle a impartis pour fournir les informations demandées.

59. À l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, le législateur exige seulement de la décision qu’elle «indique la base juridique et le but de la demande, précise les renseignements demandés et fixe le délai dans lequel ils doivent être fournis». Si cette disposition prévoit que la Commission indique, notamment, le but de la demande, elle ne requiert pas, du moins formellement, d’explication sur le choix de l’acte juridique ni sur le délai imparti.

60. Il est donc permis de penser que le législateur de l’Union a estimé que les motifs du choix de l’acte et du délai peuvent normalement être déduits, par implication, d’une description suffisamment détaillée du but de l’enquête. L’arrêt de la Cour National Panasonic/Commission ( 46 ), cité au point 44 de l’arrêt attaqué, me paraît applicable en l’espèce, par voie d’analogie, et conforter ainsi l’interprétation proposée de l’obligation de motivation visée à l’article 18.

61. En outre, je ne pense pas que toute autre obligation incombant à la Commission à cet égard puisse être déduite de l’article 296 TFUE. Comme exposé ci-dessus, une jurisprudence constante n’exige pas que la motivation d’un acte spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte est suffisante doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques
régissant la matière concernée ( 47 ). Le fait que le destinataire d’un acte d’une institution ait connaissance des circonstances ayant entouré l’adoption de cet acte ( 48 ), pour avoir, par exemple, été associé ou avoir contribué à la procédure ayant conduit à son édiction ( 49 ), peut justifier une motivation relativement succincte.

62. La décision contestée a été prise dans le cadre d’une enquête portant sur d’éventuelles infractions à l’article 101 TFUE, auxquelles la requérante était soupçonnée d’avoir participé. La requérante avait en réalité été déjà impliquée dans cette enquête à plusieurs reprises et informée au préalable de l’intention de la Commission d’adopter une décision sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.

63. En outre, la requérante n’a pas pu ignorer, au vu des modèles spécifiques de réponse imposés et de la mention des autres entreprises visées dans la décision d’ouverture de la procédure, que les renseignements visés dans la décision contestée consistaient pour l’essentiel en des données que la Commission avait requises de toutes les entreprises, à des fins de comparaison ( 50 ). La Commission ne pouvait procéder utilement à une telle comparaison que si les renseignements demandés étaient fournis
à peu près au même moment et étaient exacts et complets. Des erreurs ou des retards, même de la part d’un seul destinataire, auraient entraîné l’impossibilité ou, en tout cas, une fiabilité insuffisante de la comparaison envisagée par la Commission.

64. Dans ces conditions, la Commission était fondée à considérer que l’adoption d’une décision obligatoire au titre de l’article 18, paragraphe 3, était la méthode la plus apte à garantir que les renseignements demandés soient aussi complets et exacts que possible et présentés dans les délais souhaités. La Commission était également en droit de présumer que le destinataire de la décision aurait pu comprendre les raisons du choix exercé en faveur d’une décision obligatoire.

65. Quant au choix des délais fixés pour la communication des réponses aux questions, j’observe que, comme le dispose à juste titre le point 46 de l’arrêt attaqué, le considérant 2 de la décision contestée a bien fourni une brève explication des deux différents délais impartis pour répondre aux différentes séries de questions posées dans la décision contestée. La requérante a été ainsi mise à même de comprendre que ces délais avaient été fixés après pondération par la Commission du volume des
informations requises, d’une part, et de la nécessité de poursuivre assez rapidement l’enquête, d’autre part.

66. Le Tribunal n’encourt donc pas la critique sous ces deux aspects. Cette conclusion ne prive pas les entreprises d’une protection juridictionnelle effective, comme semble le sous-entendre la requérante, puisque le juge de l’Union est manifestement mis en mesure de vérifier si le choix de l’acte juridique ou du délai imparti est entaché d’une erreur de droit, telle que la violation du principe de proportionnalité ( 51 ). La requérante n’a toutefois développé aucun argument de cette nature dans le
cadre du présent pourvoi.

67. Au vu des éléments qui précèdent, j’estime que le deuxième moyen doit être rejeté.

3. Nécessité des renseignements demandés

a) Arguments des parties

68. Par son troisième moyen, dirigé contre les points 48 à 80 de l’arrêt attaqué, HeidelbergCement conteste l’interprétation que le Tribunal a donnée de la condition de «nécessité» des renseignements demandés sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et développe plusieurs arguments à l’appui de ce moyen. Premièrement, HeidelbergCement soutient que le Tribunal n’a pas examiné si la Commission était en possession, avant l’adoption de la décision contestée, d’indices
suffisants étayant ses soupçons d’une éventuelle infraction à l’article 101 TFUE. À défaut d’un tel examen, il serait impossible d’exercer tout contrôle juridictionnel sur le point de savoir si la condition de nécessité était remplie en l’espèce. Deuxièmement, HeidelbergCement fait valoir que l’interprétation de l’article 18 adoptée par le Tribunal confère en substance à la Commission une marge d’appréciation absolue, incompatible avec le libellé de cette disposition. Troisièmement,
HeidelbergCement allègue que le Tribunal n’a pas examiné la nécessité de certains types de renseignements demandés par la Commission, dans la mesure où il a affirmé que le contrôle de légalité pouvait être effectué à un stade ultérieur de la procédure. Quatrièmement, HeidelbergCement reproche au Tribunal d’avoir admis que la Commission était habilitée à demander des renseignements d’ores et déjà en sa possession.

69. La Commission oppose à la requérante que son argumentation porte uniquement sur les questions 1A, 1B, 3 et 4 du questionnaire. Elle affirme ensuite que le Tribunal ne saurait être critiqué pour ne pas avoir examiné si la Commission détenait des indices suffisant à justifier l’adoption d’une décision au titre de l’article 18, paragraphe 3, dès lors que la requérante n’a pas fait valoir cet argument en première instance. La Commission prétend également qu’elle ne peut pas être tenue à un stade
précoce de l’enquête d’établir une corrélation précise entre les infractions présumées et les renseignements demandés. En toute hypothèse, la Commission estime que le Tribunal a bien vérifié l’existence de cette relation avec les renseignements demandés. Enfin, la Commission convient avec le Tribunal qu’elle est en droit, sous certaines conditions, d’émettre une nouvelle demande portant sur des renseignements déjà fournis par une entreprise.

b) Appréciation

i) Sur la condition de nécessité

70. Les renseignements demandés par la Commission en vertu de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 doivent être «nécessaires» pour permettre à la Commission de donner effet aux articles 101 TFUE et 102 TFUE ( 52 ). La Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation à cet égard ( 53 ). En particulier, il appartient, en principe, à la Commission de décider si un renseignement ou un document donné est nécessaire à son enquête ( 54 ).

71. Ce pouvoir d’appréciation n’est cependant pas sans limites et il est en tout état de cause soumis au contrôle du juge de l’Union ( 55 ). Certes, le terme «nécessaire» ne peut pas faire l’objet d’une interprétation trop littérale au point de considérer le renseignement demandé comme une conditio sine qua non de l’établissement des infractions présumées par la Commission ( 56 ). Toutefois, une interprétation trop laxiste du terme n’est pas non plus acceptable: comme l’avocat général Jacobs l’a
relevé dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire SEP/Commission, un simple rapport entre un document et l’infraction alléguée ne suffit pas à justifier une demande de communication de la Commission ( 57 ). Je partage ce point de vue. En fait, si le législateur de l’Union avait entendu conférer à la Commission un pouvoir d’appréciation quasi illimité en la matière, il aurait sans doute utilisé à l’article 18, paragraphe 3, les expressions renseignements «pertinents» ou «afférents» au
lieu de renseignements «nécessaires».

72. Le terme «nécessaire» doit ainsi être compris comme exigeant entre les renseignements demandés et l’infraction présumée une corrélation suffisamment étroite, en ce sens que la Commission peut raisonnablement supposer, au moment de l’émission de la demande de renseignements, que ceux-ci lui faciliteront l’exercice de sa mission dans le cadre de l’enquête en cours ( 58 ). En d’autres termes, l’examen de la condition de nécessité oblige à déterminer si, du point de vue adopté par la Commission au
moment de la demande, les renseignements requis d’une entreprise sont de nature à aider l’institution à vérifier si l’infraction présumée a été commise et à en déterminer la nature précise et l’étendue.

73. Il me paraît important d’ajouter ici qu’une demande de renseignements au sens de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 n’a pas pour objet de déceler toute éventuelle infraction aux règles de concurrence de l’Union commise dans un secteur particulier ou par une entreprise donnée. En effet, cette disposition, tout comme l’article 20 de ce même règlement, relatif aux inspections, impose à la Commission de détenir un certain nombre d’indices la conduisant à soupçonner l’existence de
certaines infractions spécifiques ( 59 ), même si le destinataire de la demande ne doit pas nécessairement figurer au nombre des entreprises tenues pour responsables de ces infractions. À défaut de tout indice concret constituant un motif raisonnable de soupçon ( 60 ), l’adoption d’une décision de demande de renseignements en vertu dudit article 18, paragraphe 3, peut être considérée comme une mesure d’instruction arbitraire ( 61 ).

74. L’absence d’indices concrets justifiant une demande de renseignements au titre de l’article 18 n’implique pas que la Commission soit privée de la faculté de conduire des enquêtes, lorsqu’elle considère que certains secteurs de l’économie du marché intérieur ne fonctionnent pas convenablement. En réalité, l’article 17 du règlement no 1/2003 permet à la Commission de mener des enquêtes sur des secteurs de l’économie ou sur des types d’accords dans divers secteurs de l’économie, lorsque les
échanges entre États membres, la rigidité des prix ou d’autres circonstances indiquent que la concurrence au sein du marché intérieur peut être restreinte ou faussée. Ledit article 17 prévoit toutefois un instrument juridique différent: en vertu de l’article 18, base légale de la décision contestée, la Commission ne peut adopter des décisions de demande de renseignements sur la base de suppositions, sans nourrir de véritables soupçons ( 62 ).

75. Comme le Tribunal l’a affirmé, une décision au titre de l’article 18, paragraphe 3, ne doit pas nécessairement comporter une référence à ces indices, pour autant qu’elle définit clairement les faits présumés faisant l’objet de l’enquête ( 63 ). Selon la jurisprudence constante de la Cour, la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision ordonnant une inspection toutes les informations dont elle dispose sur les infractions présumées ( 64 ). Ce principe me paraît
également applicable aux décisions de demande de renseignements adressées aux entreprises en vertu dudit article 18, paragraphe 3.

76. L’existence et le caractère suffisant des indices étayant l’adoption d’une décision au titre de l’article 18 sont soumis au contrôle juridictionnel, lorsqu’une entreprise en conteste la légalité ( 65 ). Au cours de la procédure juridictionnelle, la Commission peut être ainsi tenue de divulguer les preuves sur lesquelles reposaient ses motifs de suspicion, afin de mettre le juge de l’Union en mesure de vérifier si la décision litigieuse était ou non arbitraire ( 66 ). Néanmoins, le caractère
arbitraire d’une décision est une question distincte de la «nécessité» des renseignements demandés dans cette décision. C’est également une question que le juge de l’Union ne peut pas relever d’office, mais qu’il appartient aux plaideurs d’invoquer devant lui dans le cadre d’un moyen spécifique.

ii) L’affaire sous examen

77. Je dois tout d’abord examiner deux exceptions que la Commission a soulevées à l’encontre de la recevabilité du présent moyen.

78. D’une part, il m’apparaît que la Commission est parfaitement fondée à faire observer que la requérante ne lui a pas opposé en première instance l’absence d’indices suffisant à justifier l’adoption de la décision contestée. J’estime donc, à l’instar de la Commission, que le Tribunal n’encourt aucune critique pour ne pas avoir vérifié ce point.

79. D’autre part, je ne pense pas que la Commission ait raison de soutenir que ce troisième moyen est cantonné aux constatations du Tribunal relatives aux questions 1A, 1B, 3 et 4. En réalité, la requérante a bien critiqué en première instance l’insuffisance de la motivation de la décision contestée, en ce qu’elle ne lui aurait pas permis de vérifier si les renseignements demandés étaient «nécessaires» au sens de l’article 18 du règlement no 1/2003.

80. Comme il ressort très clairement de son recours en première instance, HeidelbergCement a soutenu à titre principal que le défaut de précision de la décision contestée ne lui avait pas permis de vérifier le caractère nécessaire des renseignements demandés. Les questions spécifiques auxquelles la Commission se réfère n’ont été invoquées qu’à titre d’exemples pour indiquer, comme la requérante s’est employée à le souligner, que, même si la motivation devait être considérée comme suffisante, il
n’apparaissait pas de corrélation entre les renseignements demandés et les infractions présumées. L’argumentation centrée sur les seules questions 1A, 1B, 3 et 4 n’a donc été développée qu’à titre subsidiaire et accessoire.

81. Cela étant précisé, l’argumentation principale de la requérante me paraît fondée pour les raisons exposées à propos du premier moyen: comment le destinataire d’une demande de renseignements peut-il vérifier, en l’absence de définition relativement précise du but de cette demande, s’il a été ou non satisfait aux exigences de l’article 18 pour chaque série de questions présentée dans la demande?

82. Le Tribunal a lui-même souligné dans sa jurisprudence antérieure l’importance d’une corrélation entre l’indication du but de l’enquête et le caractère nécessaire des renseignements demandés. Comme le Tribunal l’a jugé, le critère de nécessité énoncé à l’article 18 doit s’apprécier en fonction de la finalité de l’enquête, telle qu’elle est obligatoirement précisée dans la demande de renseignements elle-même. Seule peut être requise par la Commission la communication de renseignements susceptibles
de lui permettre de vérifier les présomptions d’infraction qui justifient la conduite de l’enquête et qui sont indiquées dans la demande de renseignements ( 67 ). L’avocat général Jacobs a lui aussi souligné l’importance que revêt l’indication dans la décision elle-même de précisions suffisantes sur l’objet de l’enquête ( 68 ).

83. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a donc non seulement admis le caractère «nécessaire» des renseignements demandés, sur le fondement d’une motivation insuffisante (en méconnaissance de sa jurisprudence antérieure sur ce point), mais, plus important, il a également donné une interprétation erronée de la condition de «nécessité». Le Tribunal semble en fait admettre que toute corrélation entre les renseignements demandés et l’infraction présumée suffit à satisfaire à cette exigence.

84. En premier lieu, l’application par le Tribunal d’un critère de nécessité erroné apparaît à la lecture des points 54 à 58 de l’arrêt attaqué. HeidelbergCement avait soutenu que certains renseignements demandés par la Commission ne pouvaient pas être utiles à l’enquête, car ils portaient sur une gamme de divers produits regroupés faisant l’objet d’une tarification différente. Dans ces conditions, la requérante estimait qu’aucune comparaison des prix pratiqués dans l’EEE ne pouvait être utilement
effectuée. Sans examiner le bien‑fondé des arguments de HeidelbergCement, le Tribunal les a promptement écartés, pour les motifs suivants: i) ces renseignements pouvaient être considérés comme présentant un rapport avec les infractions présumées; ii) la critique dirigée contre le manque de fiabilité des données fournies était sans incidence sur la légalité de la demande de renseignements, et iii) il appartenait à la Commission d’apprécier si les informations recueillies lui permettaient de
retenir à l’encontre de la requérante l’existence d’une ou de plusieurs infractions, la faculté étant ouverte, le cas échéant, à la requérante de contester le caractère probant des renseignements demandés dans sa réponse à une éventuelle communication des griefs ou à l’appui d’un recours en annulation de la décision finale.

85. Le raisonnement du Tribunal sur ce point apparaît erroné. Que les objections soulevées par HeidelbergCement aient été ou non fondées, le Tribunal ne pouvait les rejeter en se bornant à affirmer qu’il existait un certain rapport entre les renseignements demandés et les infractions présumées et qu’un tel rapport était suffisant. La question essentielle consiste à déterminer si ces renseignements pouvaient raisonnablement être censés apporter une aide à la Commission. Le Tribunal écarte toutefois
explicitement l’importance de cette considération en retenant qu’une éventuelle inutilité des renseignements demandés serait en tout état de cause sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Cette position est manifestement erronée. Je conviens que la Commission doit disposer d’un large pouvoir d’appréciation pour décider quels renseignements peuvent être regardés comme utiles (et, partant, «nécessaires», au sens de l’article 18), mais le juge de l’Union ne peut se dispenser de tout
contrôle juridictionnel sur l’exercice d’un tel pouvoir. Si les renseignements demandés avaient été manifestement dépourvus de pertinence aux fins de l’enquête, la légalité de la décision contestée en aurait été affectée, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal.

86. La possibilité dont aurait disposé la requérante pour contester la valeur probante des renseignements en cause dans sa réponse à une éventuelle communication des griefs ou à l’appui d’un recours en annulation de la décision finale n’a aucune incidence sur la légalité de la décision contestée. Une décision demandant la communication de renseignements non nécessaires au sens de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 est illégale (en tout ou en partie) et doit être, en tant que telle,
annulée par le juge de l’Union. Le libellé de cette disposition indique tout à fait clairement que la légalité d’une telle décision peut être directement soumise au contrôle juridictionnel; ce même article 18, paragraphe 3, précise que la décision de la Commission doit «indique[r] encore le droit de recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision».

87. En second lieu, l’application erronée par le Tribunal du critère de nécessité ressort des points 60 à 80 de l’arrêt attaqué. HeidelbergCement avait soutenu que la décision contestée violait l’article 18 en ce qu’un grand nombre des questions posées l’obligeaient à fournir des renseignements qu’elle avait déjà communiqués dans ses réponses à des demandes de renseignements antérieures.

88. Le Tribunal a tout d’abord rappelé sa jurisprudence selon laquelle les demandes de renseignements visant à obtenir des informations sur un document déjà en possession de la Commission ne peuvent, en principe, être considérées comme justifiées par les nécessités de l’enquête. Il a également estimé qu’une décision imposant au destinataire de fournir, pour la seconde fois, des renseignements demandés antérieurement, au motif que seuls certains d’entre eux seraient inexacts, selon la Commission,
pourrait induire une charge démesurée par rapport aux nécessités de l’enquête et ne serait donc pas conforme au principe de proportionnalité ni à la condition de nécessité. Enfin, le Tribunal a ajouté que, selon lui, la recherche d’une facilité de traitement des réponses fournies par les entreprises ne saurait justifier qu’il leur soit imposé de fournir sous un nouveau modèle des renseignements déjà détenus par la Commission ( 69 ).

89. Le raisonnement tenu sur ce point me paraît convaincant. Les principes énoncés semblent découler directement du critère de «nécessité» posé à l’article 18 ( 70 ). Toutefois, l’application de ces principes au cas d’espèce n’emporte pas pour autant l’adhésion.

90. Le Tribunal a estimé que le questionnaire contraignait dans une très large mesure la requérante à fournir à nouveau des renseignements qu’elle avait déjà livrés à la Commission. Dans ces conditions, il a rejeté l’argument de la Commission selon lequel la décision contestée visait également à corriger de prétendues erreurs entachant les renseignements antérieurement fournis par HeidelbergCement: le Tribunal n’a été en mesure de relever qu’un seul exemple d’erreurs supposées. En outre, le Tribunal
a constaté que la Commission avait adopté des décisions au titre de l’article 18 pratiquement identiques pour toutes les entreprises concernées par l’enquête. En d’autres termes, la Commission n’avait pas tenu compte des renseignements livrés par chacune de ces entreprises (y compris HeidelbergCement). En réalité, le Tribunal a jugé que la décision avait été adoptée, au moins en partie, dans le but bien arrêté d’obtenir de la requérante une codification de ses réponses antérieures ( 71 ).

91. En dépit de ces constats, le Tribunal a rejeté les arguments de la requérante, au motif que certaines des questions portaient sur des renseignements qui n’avaient pas été demandés auparavant, tandis que d’autres questions étaient plus approfondies que celles antérieurement posées, dans la mesure où elles présentaient un niveau de précision supérieur en raison de la modification de leur objet ou de l’adjonction de variables supplémentaires. Le Tribunal en a déduit que le fait que le questionnaire
visait à obtenir des renseignements nouveaux ou plus détaillés démontrait le caractère nécessaire des renseignements demandés ( 72 ).

92. La conclusion du Tribunal laisse perplexe: il semble admettre que toute modification du libellé des questions impliquant que les réponses sont de nature à livrer des renseignements nouveaux ou plus détaillés peut être considérée comme satisfaisant aux exigences de l’article 18. Il en serait ainsi, même si les renseignements nouveaux ou plus détaillés ne constituaient qu’une partie relativement faible de l’ensemble des informations demandées. En effet, même une comparaison sommaire des questions
mentionnées dans l’arrêt attaqué avec celles déjà posées à la requérante dans des demandes de renseignements antérieures révèle que l’ampleur des modifications apportées est souvent plutôt minime. Il est indiscutable que, comme la décision contestée le dispose elle-même en son considérant 6, l’un de ses objectifs consistait à obtenir une codification des renseignements antérieurement fournis. En particulier, cette codification devait être livrée conformément au modèle exigé par la Commission, de
façon à permettre une comparaison rapide de toutes les données obtenues.

93. En outre, il est constant que certains renseignements demandés par la Commission appartenaient au domaine public et que la Commission aurait pu facilement les obtenir par d’autres moyens (par le truchement de recherches sur Internet, par exemple).

94. Au-delà de la question de sa proportionnalité, je ne vois guère comment une telle demande de renseignements satisfait à la condition de «nécessité», convenablement interprétée.

95. Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, j’estime que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son application de la condition de nécessité au sens de l’article 18 du règlement no 1/2003. Il y a donc lieu d’accueillir le troisième moyen du pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où, en ses points 48 à 80, le Tribunal a rejeté le moyen de la requérante mettant en cause la nécessité des renseignements demandés dans la décision contestée.

4. Modèle des renseignements demandés

a) Arguments des parties

96. Par son quatrième moyen, HeidelbergCement reproche au Tribunal d’avoir fait aux points 81 à 85 de l’arrêt attaqué une interprétation et une application erronées de l’article 18 du règlement no 1/2003, en admettant que la Commission était habilitée à exiger du destinataire d’une décision la présentation selon un modèle spécifique des renseignements demandés. La requérante soutient que la Commission n’est pas en droit d’exiger des entreprises la présentation de ces renseignements selon des
instructions spécifiques et contraignantes.

97. La Commission estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur à cet égard. Elle devrait être autorisée à demander à une entreprise de fournir les renseignements demandés selon le modèle estimé nécessaire. Cette interprétation de l’article 18 serait également confortée par le considérant 23 du règlement no 1/2003 ( 73 ), lequel fait mention des «renseignements qui sont nécessaires».

b) Appréciation

i) Sur l’obligation de fournir des renseignements

98. Il convient de rappeler tout d’abord que les instructions menées en vertu du règlement no 1/2003 ne revêtent pas un caractère pénal, mais constituent des procédures administratives pouvant néanmoins aboutir à l’imposition de lourdes amendes aux entreprises convaincues de violations des règles de concurrence de l’Union.

99. Il n’existe pas en soi un droit au silence absolu dans le cadre de ces procédures ( 74 ). Comme il ressort d’une jurisprudence bien établie, les entreprises soumises à ces procédures sont tenues à un devoir de collaboration active à l’enquête de la Commission et, partant, à l’obligation de tenir à la disposition de l’institution tous les éléments d’information relatifs à l’objet de cette enquête ( 75 ).

100. L’article 18 du règlement no 1/2003 confère à la Commission le pouvoir d’enjoindre aux entreprises de répondre à des questions spécifiques et de communiquer les documents en leur possession ( 76 ). Une entreprise est tenue d’obtempérer, même si la Commission peut utiliser à son détriment les renseignements à fournir ( 77 ).

101. En effet, les pouvoirs d’enquête de la Commission sont uniquement ceux qui lui ont été conférés par le règlement no 1/2003 et, pour pouvoir déceler et poursuivre les infractions aux règles de concurrence, elle est largement tributaire des renseignements fournis par les entreprises elles-mêmes (de même que des documents découverts au cours des inspections).

102. Cela dit, il convient de souligner une nouvelle fois que, selon le dispositif institué dans le règlement no 1/2003, il incombe à la Commission (ou, le cas échéant, aux autorités nationales de la concurrence) la charge d’établir l’existence d’une infraction aux règles de concurrence de l’Union ( 78 ). Par conséquent, même si elles ne disposent pas du droit au silence, les entreprises ne peuvent être requises d’exécuter des tâches qui, à proprement parler, font partie de l’enquête et de
l’instruction de l’affaire.

103. La question essentielle soulevée par le présent moyen consiste à définir le rôle joué par la Commission dans l’enquête sur une infraction présumée aux règles de concurrence et par les entreprises faisant l’objet de l’enquête, au titre de leur coopération avec la Commission. Plus précisément, l’un des points cruciaux soulevés dans l’affaire sous examen est de savoir si la notion de «renseignements» au sens de l’article 18 du règlement no 1/2003 peut être interprétée comme permettant à la
Commission d’exiger des entreprises la présentation selon un modèle très précis des renseignements demandés.

104. J’estime que la réponse à cette question devrait être, en principe, négative.

105. Je conviens avec la Commission que le libellé du considérant 23 et de l’article 18 du règlement no 1/2003 indique (par la référence à la «nécessité» des renseignements) que l’institution peut demander aux destinataires la présentation des renseignements selon un modèle qui puisse être utile à son enquête. La nécessité de préserver l’effet utile de ses pouvoirs d’enquête au titre du règlement no 1/2003 implique inéluctablement que les renseignements fournis doivent être non seulement exacts et
complets, mais également aisément compréhensibles et exploitables par l’institution. La présentation de ces renseignements ne doit donc pas être désordonnée, décousue ni parcellaire. En outre, une entreprise ne doit pas submerger la Commission de documents et d’éléments non requis, en laissant à la Commission le soin de filtrer les renseignements pertinents.

106. Cependant, la notion de «renseignement» ne peut pas être étendue jusqu’à exiger des entreprises d’accomplir des tâches relevant de la constitution d’un dossier et, par conséquent, de la compétence normale des agents de la Commission. L’article 18 du règlement no 1/2003 impose seulement l’obligation de «fournir des renseignements» ou, comme la Cour l’a affirmé dans sa jurisprudence, de tenir les éléments d’information à la disposition de la Commission ( 79 ). En aucune de ses dispositions, cet
article n’édicte expressément des obligations allant au-delà de la fourniture de renseignements.

107. J’estime donc que la Commission n’est pas, en principe, autorisée aux termes de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 à imposer au destinataire d’une décision de demande de renseignements l’obligation de présenter en toutes circonstances ces renseignements selon un modèle spécifique. Une entreprise ne peut pas pour autant, à tout moment, ignorer purement et simplement le modèle exigé par la Commission pour la fourniture des renseignements. Un tel comportement serait contraire à son
obligation de coopération active. Une entreprise doit ainsi tenir dûment compte du modèle requis par la Commission pour la production des renseignements demandés.

108. En pratique, la formalisation que la Commission peut demander à une entreprise d’effectuer dépend, à mon sens, de la nature des renseignements à produire. Les renseignements en cause dans le cas d’espèce peuvent se subdiviser en trois catégories différentes: i) les renseignements nécessitant un certain degré de formalisation et de regroupement pour être aisément interprétés et exploités par la Commission; ii) les renseignements existant selon un modèle se prêtant à une communication immédiate à
la Commission, puisque celle-ci pouvait les interpréter et exploiter aisément, et iii) les renseignements relevant du domaine public.

109. La première catégorie de renseignements se composait de données que le destinataire devait nécessairement formaliser avant de pouvoir les soumettre à la Commission. Il me paraît donc résulter de son obligation de coopération active qu’une entreprise se trouvant dans une telle situation puisse logiquement être réputée à même de produire l’effort de respecter le modèle requis par la Commission. Dans la mesure où le modèle choisi par celle-ci n’est pas sensiblement plus onéreux que d’autres
modèles exploitables, l’entreprise en cause pouvait raisonnablement être tenue de se conformer aux instructions de la Commission.

110. S’agissant toutefois des deuxième et troisième catégories de renseignements, je ne crois pas possible de tenir pour admissible une demande imposant leur reformatage. Puisque le destinataire de la décision était immédiatement en mesure de fournir les renseignements demandés sous une forme que la Commission pouvait aisément comprendre et traiter, je ne vois pas pourquoi les agents de la Commission n’auraient pas pu effectuer eux-mêmes les opérations de reformatage des données selon le modèle
considéré par la Commission comme le plus adéquat à son enquête.

111. Dans ces conditions, la demande de la Commission de reformater un important volume de données serait, mutatis mutandis, comparable à une demande de traduction dans une autre langue d’un grand nombre de documents volumineux détenus par une entreprise. L’éventuelle absence des compétences linguistiques nécessaires au sein du personnel de la Commission ne justifierait pas, à mon avis, une telle demande.

112. À cet égard, il ne faut pas perdre de vue que, contrairement aux procédures nationales applicables aux domaines comme la fiscalité ou les valeurs mobilières, l’ordre juridique de l’Union n’est pas pourvu de normes définissant explicitement les modalités obligatoires de classement et de conservation par les entreprises des renseignements et des documents de nature à présenter un intérêt pour les enquêtes conduites en vertu du règlement no 1/2003. Les entreprises sont donc libres d’utiliser les
méthodes qui leur semblent les meilleures pour classer et conserver les données en leur possession. Si la Commission en souhaite une présentation différente dans le cadre d’une enquête sur une infraction présumée aux règles de concurrence, la tâche correspondante relève à proprement parler de la constitution du dossier.

ii) L’affaire sous examen

113. Le Tribunal a affirmé dans l’arrêt attaqué que le pouvoir de la Commission de demander des renseignements en vertu de l’article 18 du règlement no 1/2003 doit, en principe, impliquer nécessairement la faculté de demander la présentation des renseignements selon un modèle spécifique. Il a également ajouté que l’exercice de cette faculté est toutefois limité par le principe de proportionnalité et le droit de l’entreprise de ne pas contribuer à sa propre incrimination ( 80 ). Le Tribunal a examiné
ensuite la décision contestée au regard de sa proportionnalité et conclu qu’en dépit de la «charge de travail particulièrement importante» imposée au destinataire ( 81 ), elle n’avait pas méconnu ce principe ( 82 ).

114. Pour les raisons exposées aux points 98 à 112 des présentes conclusions, j’estime que ce raisonnement est erroné. Il s’ensuit que le Tribunal a donné en l’espèce une interprétation erronée de la notion de «renseignement» au sens de l’article 18 du règlement no 1/2003.

115. Je considère que cette disposition, correctement interprétée, ne permettait pas à la Commission d’exiger de la requérante la présentation de tous les renseignements demandés dans la décision contestée selon le modèle spécifique défini aux annexes II et III ( 83 ) de cette décision.

116. Les instructions données sur les modalités contraignantes de présentation des renseignements à la Commission étaient d’une rigueur extrême. La parfaite conformité avec le modèle requis était assurée par la menace explicite de sanctions. La Commission précise (en caractères gras et soulignés) dans l’encadré figurant au début du questionnaire: «Veuillez noter que votre réponse pourra être considérée comme inexacte ou dénaturée en cas de non-respect des définitions et instructions ci-après.»

117. La Commission n’a donc pas seulement requis un modèle spécifique de présentation des renseignements que la requérante devait formaliser, mais elle a également exigé en réalité qu’ils soient intégralement présentés selon ce modèle, quels que soient leur volume et leur nature ( 84 ).

118. Ces exigences sont, à mon sens, inacceptables. La demande de la Commission a eu l’effet de contraindre la requérante à réaliser des opérations de formatage (et de reformatage) qui auraient dû, en principe, être effectuées par la Commission.

119. En premier lieu, comme la requérante l’a expliqué, sans être contredite par la Commission, une grande partie des données requises pouvaient être directement fournies selon le modèle de conservation de ses banques de données. En revanche, l’exigence de la part de la Commission d’un modèle très spécifique et contraignant de présentation de ces données a généré un surcroît de travail important aux fins de leur seul reformatage.

120. En deuxième lieu, la Commission a également demandé à la requérante de lui fournir des renseignements relevant manifestement du domaine public. Ainsi, le point 10 de l’annexe II de la décision contestée est rédigé comme suit: «Toutes les valeurs monétaires doivent être exprimées en euros. Si la monnaie locale utilisée n’est pas l’euro, veuillez la convertir en euros au taux de change officiel publié par la Banque centrale européenne au cours de la période de référence.» Invitée lors de
l’audience à expliquer pourquoi ses propres agents ne pouvaient pas effectuer ces calculs, la Commission n’a pas répondu.

121. En troisième lieu, si le volume des renseignements demandés n’est pas mis en cause par le présent moyen, il est incontestable que les travaux de formatage exigés de la requérante étaient nombreux, complexes et onéreux. HeidelbergCement a rapporté dans sa requête en première instance certaines estimations détaillées du nombre d’heures de travail nécessaires pour répondre au questionnaire de la Commission et leurs coûts induits. Elle a également produit des éléments de preuve au soutien de ses
estimations. Pour sa part, la Commission s’est bornée à les contester en soutenant que la requérante n’avait pas produit de preuves suffisantes ou fiables. La Commission n’a toutefois pas avancé d’élément concret à l’appui de ses objections ni décelé d’éventuelles erreurs dans ces estimations. Il lui a été ainsi demandé au cours de l’audience pourquoi elle pensait que la requérante avait surestimé ces chiffres et quels seraient, à son avis, des chiffres plus fiables. La Commission n’a été en
mesure de fournir aucune évaluation approximative ni aucune explication sur les raisons pour lesquelles les estimations données par la requérante n’auraient pas dû être considérées comme crédibles.

122. Il m’apparaît, en substance, que la requérante était en l’espèce tenue d’exécuter des travaux de secrétariat et d’administration tellement conséquents, complexes et longs pour fournir les renseignements demandés que la constitution du dossier de l’affaire apparaissait véritablement «externalisée» auprès de l’entreprise visée par l’enquête.

123. Pour toutes ces raisons, j’estime que la requérante est fondée à affirmer que le Tribunal a donné une interprétation erronée de l’article 18 du règlement no 1/2003. Le quatrième moyen de la requérante doit donc être accueilli et l’arrêt attaqué annulé en ce que, pour les motifs exposés en ses points 23 à 43, le Tribunal a considéré que la Commission était en droit de demander la présentation des renseignements figurant à l’annexe I de la décision contestée selon le modèle reproduit à ses
annexes II et III.

5. Délais de réponse

a) Arguments des parties

124. Par son cinquième moyen, dirigé contre les points 101 à 108 de l’arrêt attaqué, HeidelbergCement conteste l’appréciation portée par le Tribunal sur la proportionnalité des délais de réponse fixés dans la décision contestée. HeidelbergCement reproche en particulier au Tribunal d’avoir admis le caractère raisonnable de ces délais, en se référant aux moyens dont dispose une entreprise de sa taille et de son envergure. Il s’ensuivrait des demandes de renseignements fixant des délais différents en
fonction des ressources des entreprises concernées.

125. La Commission relève de son côté que la requérante ne conteste que le point 107 de l’arrêt attaqué, à l’exclusion du reste de la motivation du Tribunal, et conclut au rejet du moyen par la Cour.

b) Appréciation

126. Les observations présentées par la Commission sur la portée du présent moyen sont fondées: la requérante fait seulement grief au Tribunal de s’être référé aux ressources d’une entreprise de sa taille et de son envergure pour apprécier la proportionnalité des délais en cause.

127. J’ajoute que les arguments de la requérante sur ce point n’emportent pas totalement ma conviction.

128. Pour respecter le principe de proportionnalité quand elle fixe les délais de réponse dans une demande de renseignements, la Commission (comme le juge de l’Union dans l’exercice de son contrôle de légalité) doit nécessairement prendre en considération les ressources dont dispose le destinataire de cette demande. Comment serait-il possible autrement de déterminer si une demande de renseignements impose une charge excessive ou disproportionnée à une entreprise donnée? L’équation que la Commission
et le juge de l’Union doivent résoudre à cet égard comporte deux variables principales: d’une part, le volume et la complexité des renseignements demandés et, d’autre part, la capacité effective du destinataire à fournir ces renseignements.

129. Le volume et la complexité des renseignements demandés sont évidemment fonction de nombreuses variables: la gravité de l’infraction présumée, la nature de l’implication de l’entreprise en cause, l’importance des éléments de preuve recherchés, le volume et le type de renseignements utiles que la Commission estime détenus par cette entreprise ( 85 ).

130. La capacité effective du destinataire à fournir les renseignements demandés dépend principalement de ses ressources (humaines, techniques et financières).

131. Il s’ensuit que les moyens dont dispose habituellement une entreprise de la taille et de l’envergure du destinataire d’une décision au titre de l’article 18, paragraphe 3, me paraissent être l’un des éléments susceptibles d’être retenus pour déterminer si, en réalité, ce destinataire peut raisonnablement être réputé capable de répondre dans le délai imparti par la Commission. Il est évident que, comme la requérante le reconnaît elle-même, une tâche éventuellement excessive pour une petite
entreprise familiale peut être moins lourde pour une société multinationale perfectionnée employant plusieurs milliers de salariés.

132. Cependant, cela n’implique pas nécessairement que la Commission doive, comme le soutient la requérante, adopter des demandes de renseignements fixant un délai différent à chacun des destinataires. En effet, lorsqu’elle envoie la même demande de renseignements à diverses entreprises, la Commission peut également fixer un délai approprié pour toutes les entreprises concernées.

133. Cela dit, je crois que l’importance des moyens d’une entreprise ne doit pas non plus être surestimée. En particulier, la charge imposée à une entreprise ne peut pas représenter une proportion arithmétique de ses ressources. Une grande entreprise peut disposer d’un personnel plus étoffé, de ressources financières plus importantes et d’outils informatiques plus perfectionnés, mais il n’en résulte pas que la Commission soit en droit d’exiger d’elle des efforts exceptionnels. En définitive, il
n’entre pas dans les attributions d’une société d’accomplir les tâches incombant à la Commission, et cela indépendamment de sa taille et de ses moyens.

134. La requérante n’a toutefois pas allégué au soutien du présent moyen que le Tribunal ait fait une pondération erronée de la charge de travail induite dans la décision contestée, d’une part, et de sa capacité de réponse, d’autre part, ou méconnu d’autres éléments pertinents aux fins de l’appréciation de la proportionnalité des délais impartis dans la décision contestée. Comme il a été dit, elle a seulement reproché au Tribunal d’avoir tenu compte des ressources dont elle dispose. Il n’est donc
pas nécessaire de procéder à une analyse plus approfondie de la proportionnalité de la décision contestée.

135. Au vu des éléments qui précèdent, j’estime que les critiques portées par la requérante contre les points 101 à 108 de l’arrêt attaqué sont dépourvues de fondement.

6. Imprécision des questions

a) Arguments des parties

136. Par son sixième moyen, HeidelbergCement allègue que le Tribunal n’a pas sanctionné aux points 109 à 114 de l’arrêt attaqué l’imprécision de certaines questions reprises dans la décision contestée. En premier lieu, la motivation de l’arrêt attaqué serait contradictoire, dans la mesure où le Tribunal a tout d’abord affirmé que la demande de renseignements était vague, avant de considérer qu’elle était suffisamment claire. En second lieu, le Tribunal encourrait le reproche d’avoir privé
HeidelbergCement d’une protection juridictionnelle effective en affirmant que l’imprécision de certaines questions pourrait, le cas échéant, être contestée dans le cadre d’un recours contre une éventuelle sanction infligée à cette entreprise pour défaut de réponse à ces questions.

137. La Commission soutient de son côté que la décision contestée ne comportait pas de questions obscures ou ambiguës. Elle posait tout au plus des questions formulées en termes généraux, laissant ainsi à la requérante une grande marge de manœuvre pour leur apporter une réponse adéquate.

b) Appréciation

138. Sur ce point également, l’arrêt attaqué, au lieu de constituer un «jugement de Salomon» avisé, me paraît en réalité avoir, en quelque sorte, «coupé le bébé en deux», à titre de concession aux deux plaideurs. Toutefois, la conclusion tirée par le Tribunal ne me paraît pas pouvoir emporter l’adhésion.

139. Le Tribunal rappelle tout d’abord la jurisprudence de la Cour selon laquelle le principe de sécurité juridique exige que tout acte de l’administration produisant des effets de droit soit clair et précis, afin que l’intéressé puisse connaître sans ambiguïté ses droits et ses obligations et prendre ses dispositions en conséquence ( 86 ). Cette prescription est d’autant plus importante en l’espèce que, comme le Tribunal l’a lui-même relevé, la requérante était exposée, en sa qualité de
destinataire d’une décision de demande de renseignements au titre de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, au risque de se voir infliger non seulement une amende ou une astreinte en cas de fourniture de renseignements incomplets ou tardifs ou en l’absence de fourniture de renseignements, mais également une amende en cas de communication d’un renseignement tenu par la Commission pour inexact ou dénaturé ( 87 ).

140. Le Tribunal a ensuite affirmé que certaines questions faisaient effectivement usage de termes «relativement vagues», mais que cette circonstance ne pouvait pas être considérée comme une violation du principe de sécurité juridique, étant donné que la Commission ne pourrait pas reprocher à l’entreprise concernée d’avoir apporté une réponse insuffisante à une question imprécise. L’imprécision d’une question devrait par conséquent être prise en compte par le juge de l’Union dans le cadre de son
contrôle de légalité d’une décision infligeant une amende à l’entreprise en cause ( 88 ).

141. À mon avis, les deux griefs développés sur ce point par HeidelbergCement sont fondés.

142. Premièrement, j’estime que l’extrême brièveté et, dans une certaine mesure, la contradiction inhérente à l’arrêt attaqué devraient être sanctionnées. Si le Tribunal a bien constaté, même si ce n’est que dans une certaine mesure («relativement vagues»), l’imprécision affectant la formulation de certaines questions, il a promptement ajouté qu’elles n’étaient pas suffisamment vagues pour que la décision contestée puisse être tenue pour entachée d’une ambiguïté de nature à constituer une violation
du principe de sécurité juridique.

143. Cette motivation encourt deux critiques. Tout d’abord, le Tribunal semble sous-entendre que l’imprécision d’une question (ou de plusieurs questions) ne serait pertinente que dans la mesure où l’ambiguïté affecterait l’intégralité de la décision contestée. Cette position est erronée: si certaines questions étaient véritablement imprécises, le Tribunal n’aurait dû dans ce cas annuler que les parties correspondantes de la décision contestée ( 89 ). Ensuite, la Cour est dans l’impossibilité de
vérifier si, oui ou non, certaines questions étaient suffisamment imprécises, comme le soutient HeidelbergCement. L’arrêt attaqué ne comporte aucune indication sur l’identité ou sur le nombre des questions qualifiées de vagues, ni sur les raisons pour lesquelles ces questions n’étaient que relativement vagues. Or, dans son recours en première instance, HeidelbergCement avait pourtant énuméré les questions qu’elle estimait insuffisamment précises et exposé en détail les raisons (techniques
ou linguistiques) à l’appui de sa contestation de ces questions.

144. Il convient de relever à cet égard que la requérante avait annexé à sa requête en première instance sa lettre du 16 novembre 2010 adressée à la Commission, signalant les ambiguïtés de différentes questions reprises dans le projet de questionnaire et sollicitant de la Commission un certain nombre de clarifications. L’institution ne conteste pas, en substance, que, en dépit de plusieurs contacts établis entre ses agents et les représentants de la requérante au cours des mois suivants, les
préoccupations exprimées dans cette lettre sont restées largement sans réponse.

145. Deuxièmement, l’éventuel droit de la requérante de contester une amende infligée pour livraison de renseignements incomplets ou dénaturés en raison de l’imprécision des questions correspondantes ne signifie pas que les juridictions de l’Union ne peuvent pas (et ne doivent pas) tirer les conséquences nécessaires d’une éventuelle violation du principe de sécurité juridique par la Commission. Comme relevé ci-dessus, le raisonnement du Tribunal sur ce point apparaît priver pour partie de son effet
utile l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 ( 90 ).

146. Au vu des considérations qui précèdent, il convient d’accueillir le moyen pris d’une motivation insuffisante et contradictoire des points 109 à 114 de l’arrêt attaqué.

7. Auto-incrimination

a) Arguments des parties

147. Par son septième moyen, dirigé contre les points 115 à 139 de l’arrêt attaqué, HeidelbergCement soutient que le Tribunal a donné une interprétation indûment restrictive de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et qu’il n’a pas non plus protégé ce droit en l’espèce.

148. La Commission conteste l’argumentation de la requérante. Elle souligne que la question 1D demandait à HeidelbergCement non pas de livrer une appréciation ni une évaluation juridique d’un comportement donné, mais simplement d’indiquer une méthode de calcul des marges brutes trimestrielles. Si une telle méthode était étrangère à HeidelbergCement, celle-ci aurait pu s’abstenir de répondre.

b) Appréciation

149. Il échet d’emblée de rappeler que le considérant 23 du règlement no 1/2003 mentionne le droit des entreprises d’éviter de contribuer à leur propre incrimination, lorsqu’elles se conforment à une décision de demande de renseignements de la Commission. La Cour avait déjà reconnu ce droit ( 91 ) avant même l’adoption de ce règlement. Ce droit constitue en effet l’un des éléments fondamentaux des droits de la défense d’une entreprise, qu’il importe de sauvegarder pendant toute la durée des
procédures engagées par la Commission en vertu du règlement no 1/2003.

150. Je vais tout d’abord entreprendre l’examen de certains arguments, non convaincants selon moi, que la Commission a avancés à titre préliminaire. Premièrement, la Commission n’est manifestement pas fondée à alléguer que HeidelbergCement aurait pu s’abstenir de répondre si une méthode de calcul telle que celle requise lui était étrangère. En fait, le Tribunal a déjà rejeté cet argument en soulignant que la question était rédigée sur un mode impératif et que, pour cette raison, la requérante était
tenue d’y répondre ( 92 ). Deuxièmement, la Commission dénature, selon moi, la question 1D: celle-ci demandait à HeidelbergCement d’indiquer non pas la méthode de calcul utilisée, le cas échéant, pour calculer les marges brutes trimestrielles, mais celle jugée appropriée par cette société pour le calcul de ces marges. La différence n’est pas sans importance; la question est non seulement de nature factuelle, mais elle imposait également à la requérante de prendre position, comme l’a affirmé à
juste titre le Tribunal ( 93 ).

151. Sous le bénéfice de ces précisions, je vais maintenant examiner, en premier lieu, si le Tribunal n’a pas donné une interprétation trop restrictive du droit de ne pas contribuer à son incrimination et, en second lieu, s’il a fait une application correcte de ce droit en l’espèce.

152. Le Tribunal a considéré au point 121 de l’arrêt attaqué qu’il convenait de distinguer selon que les questions pouvaient ou non être qualifiées de purement factuelles. Ce n’est que si une question ne peut être qualifiée de purement factuelle qu’il faut, selon le Tribunal, déterminer si elle peut impliquer la reconnaissance par l’entreprise concernée de l’existence d’une infraction dont il appartient à la Commission d’établir la preuve. Le Tribunal a jugé au point 124 de l’arrêt attaqué qu’une
question ordonnant à l’entreprise de compiler des données, sans lui demander de prendre une position quelconque sur ces données, ne pouvait pas violer les droits de la défense de l’entreprise.

153. Il s’agit là, à mon sens, d’une interprétation erronée du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Malgré le libellé un peu ambigu du considérant 23 du règlement no 1/2003 ( 94 ), la question de savoir si une question invite une entreprise à ne fournir qu’un renseignement d’ordre factuel (comme la compilation de données, la clarification de circonstances factuelles, la description de faits objectifs, etc.) est un élément important à cet égard, mais non nécessairement déterminant.
Le fait qu’aucun renseignement de nature subjective ne soit demandé à une entreprise n’exclut pas l’éventualité que, dans certaines circonstances, son droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination puisse être méconnu.

154. La Cour a toujours fait référence à des questions par lesquelles «[l’entreprise] serait amenée à admettre l’existence de l’infraction» ( 95 ). Les termes choisis par la Cour ne sont pas dénués de signification ( 96 ). Dans son arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit «PVC II», la Cour a encore explicité le critère de l’auto-incrimination: le point crucial consiste à savoir si une réponse donnée par l’entreprise destinataire de la question équivaudrait en réalité à l’aveu d’une
infraction ( 97 ).

155. Il se déduit de cette jurisprudence que la Commission n’est pas autorisée à poser des questions dont les réponses pourraient impliquer un aveu de culpabilité de la part de l’entreprise en cause.

156. Il ne fait ainsi aucun doute, selon moi, que la Commission n’est pas en droit de demander aux entreprises si, au cours d’une réunion donnée, leurs représentants sont convenus avec ceux de leurs concurrents d’augmenter les prix ou de ne pas se livrer concurrence sur certains marchés nationaux. Bien que ces questions puissent être qualifiées de purement factuelles, elles méconnaîtraient manifestement le droit de l’entreprise de ne pas fournir des renseignements de nature auto-incriminante,
puisqu’une réponse peut être équipollente à une reconnaissance explicite d’une infraction à l’article 101 TFUE.

157. L’interprétation proposée du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination est également confortée par la jurisprudence de la Cour. Tant dans l’affaire Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387) que dans l’affaire Solvay/Commission (27/88, EU:C:1989:388), la Cour a annulé partiellement des décisions de demande de renseignements de la Commission fondées sur l’article 11 du règlement (CEE) no 17 alors en vigueur ( 98 ). La Cour a jugé que certaines questions avaient porté atteinte aux droits
de la défense des entreprises en cause, en ce qu’elles auraient pu les amener à admettre l’existence d’une infraction dont il appartient à la Commission d’établir la preuve ( 99 ). En particulier, certaines de ces questions pouvaient être intégralement ou largement considérées comme factuelles. Dans l’affaire Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P, EU:C:2006:432), la Cour a confirmé que la Commission ne pouvait pas contraindre une entreprise à lui indiquer le nom d’autres opérateurs présents dans le
secteur des électrodes de graphite que cette entreprise avait, selon ses propres dires, avertis de la possibilité d’une enquête de la Commission à leur égard ( 100 ). Cette question peut, elle aussi, être qualifiée de purement factuelle.

158. Ainsi, une question peut, dans certains cas, encourir la critique, dans la mesure où la réponse qu’elle appelle pourrait impliquer un aveu de culpabilité, même lorsqu’elle ne porte que sur des faits et ne sollicite aucune prise de position sur ces faits. Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination.

159. À plus forte raison, contrairement à ce que la Commission laisse entendre, des questions peuvent porter atteinte au droit d’une entreprise à ne pas contribuer à sa propre incrimination, même lorsqu’elle n’est pas invitée à donner une appréciation ou un avis juridique. Cela ressort très clairement de la jurisprudence mentionnée au point 157 des présentes conclusions: aucune des questions censurées par la Cour ne demandait une appréciation juridique aux entreprises concernées. Dans ces
conditions, le fait que la question 1D n’invitait pas HeidelbergCement à se prononcer en droit n’exclut pas nécessairement la possibilité que cette question ait pu porter atteinte à son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

160. Étant parvenu à cette conclusion, je vais maintenant examiner, par souci d’exhaustivité, si le Tribunal n’a pas fait en l’espèce une application erronée du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

161. Le Tribunal a considéré au point 132 de l’arrêt attaqué que l’appréciation que la requérante devait fournir dans sa réponse à la question 1D revenait effectivement à «commenter le niveau de ses marges bénéficiaires» et que celui-ci «[pouvait] constituer un indice révélateur de l’existence de pratiques restrictives de concurrence». Bien que sa rédaction ne soit pas parfaitement claire, l’arrêt attaqué semble disposer qu’en répondant à cette question, la requérante aurait pu en fait être incitée
à admettre sa participation aux infractions présumées.

162. Le Tribunal a toutefois poursuivi en déclarant qu’en dépit de la nature auto-incriminante de la question 1D, il y avait également lieu de prendre en compte la faculté ouverte à la requérante, à un stade ultérieur de la procédure administrative ou dans le cadre d’un recours contre la décision finale de la Commission, de défendre une autre interprétation de sa réponse à la question 1D que celle éventuellement retenue par la Commission ( 101 ). C’est pour ce motif que le Tribunal a rejeté les
arguments de HeidelbergCement.

163. Le raisonnement du Tribunal est plutôt déconcertant. La faculté ouverte à HeidelbergCement de contester également la nature auto-incriminante de la question 1D dans l’hypothèse et au moment de l’adoption par la Commission d’une décision infligeant une amende (en raison soit d’un défaut de réponse à cette question, soit d’une violation de l’article 101 TFUE) ne signifie pas que les juridictions de l’Union ne peuvent pas (et ne doivent pas) sanctionner dans le cadre du présent litige la
méconnaissance par la Commission des droits de la défense de l’entreprise. Comme indiqué aux points 86 et 145 des présentes conclusions, le raisonnement du Tribunal sur ce point priverait le destinataire d’une décision de son droit d’en faire contrôler la légalité par le juge de l’Union, comme le prévoit expressément l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.

164. La nécessité d’une protection immédiate des droits de la défense d’une entreprise revêt, dans une situation comme celle de la requérante, d’autant plus d’importance que la Cour n’a pas encore déterminé à ce jour si une entreprise qui répond à une question obligatoire de nature auto-incriminante renonce par là même à l’exercice de ses droits, de sorte que la Commission serait en droit d’utiliser cette réponse à titre d’élément probatoire ( 102 ). Certains commentateurs considèrent que, en de
telles circonstances, l’entreprise en cause ne peut pas contester ultérieurement l’utilisation de ces renseignements en soutenant que la question a porté atteinte à ses droits de la défense et que, en tant que telle, elle n’aurait jamais dû être posée ( 103 ).

165. La question cruciale sur laquelle le Tribunal aurait dû concentrer son analyse à ce sujet consiste à déterminer si une réponse à la question 1D aurait pu équivaloir à l’aveu d’une infraction pour HeidelbergCement.

166. Le Tribunal semble toutefois avoir contourné le problème et ne pas avoir pris fermement position à son sujet. J’observe pour ma part que la rédaction de la question 1D comporte certaines similitudes avec deux questions que la Cour a sanctionnées dans les affaires Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387) et Solvay/Commission (27/88, EU:C:1989:388), en ce qu’elles pouvaient contraindre l’entreprise à admettre sa participation à un accord prohibé à l’article 85 CEE alors en vigueur ( 104 ). Dans
l’affaire sous examen il ne peut pas non plus être manifestement exclu que, en demandant à l’entreprise de donner son avis sur la meilleure méthode de calcul des marges brutes trimestrielles, la Commission ait tenté d’inciter cette entreprise à admettre avoir fixé ou coordonné les prix en collusion avec ses concurrents.

167. Néanmoins comme il est évident que le Tribunal a donné en tout état de cause une interprétation erronée du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, je n’estime pas nécessaire d’approfondir ce point.

168. Au vu des éléments qui précèdent, j’estime donc que l’arrêt attaqué doit être annulé, dans la mesure où, en ses points 115 à 139, le Tribunal a rejeté le moyen pris par la requérante d’une violation de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

VI – Les conséquences de l’appréciation

169. En vertu de l’article 61, paragraphe 1, du statut de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

170. J’ai conclu qu’il y avait lieu d’accueillir cinq des sept moyens du pourvoi développés par la requérante et d’annuler, par voie de conséquence, l’arrêt attaqué.

171. Au vu des faits constatés et des échanges de vues qui ont eu lieu devant le Tribunal et devant la Cour, celle-ci peut, selon moi, statuer définitivement sur cette affaire ( 105 ).

172. Dans son recours en première instance, HeidelbergCement avait invoqué cinq moyens au soutien de sa demande d’annulation de la décision contestée.

173. Au vu des considérations exposées ci-dessus, j’estime que la décision contestée est illégale pour trois raisons principales: elle comporte une motivation insuffisante du but de la demande de renseignements (voir points 31 à 55 des présentes conclusions), ne satisfait pas à l’exigence de nécessité (voir points 70 à 95 des présentes conclusions) et donnait une interprétation erronée de la notion de «renseignement» au sens de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 (voir points 98 à 123
des présentes conclusions). Chacune de ces erreurs de droit suffit en elle-même à emporter l’annulation de l’intégralité de la décision contestée. Je n’estime donc pas nécessaire d’examiner le bien-fondé des autres moyens invoqués par la requérante en première instance.

VII – Sur les dépens

174. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens par la partie qui l’emporte.

175. Si la Cour partage mon appréciation du présent pourvoi, alors, conformément aux articles 137, 138 et 184 de son règlement de procédure, la Commission doit être condamnée aux dépens aussi bien de la procédure de première instance que du présent pourvoi.

VIII – Conclusion

176. Compte tenu de toutes les considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit:

— annuler l’arrêt du Tribunal du 14 mars 2014, HeidelbergCement/Commission (T‑302/11, EU:T:2014:128);

— annuler la décision C(2011) 2361 final de la Commission du 30 mars 2011, relative à une procédure d’application de l’article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire 39520 – Ciment et produits connexes);

— condamner la Commission européenne aux dépens des deux instances.

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( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

( 3 ) Affaires Schwenk Zement/Commission (C‑248/14 P); Buzzi Unicem/Commission (C‑267/14 P) ainsi qu’Italmobiliare/Commission (C‑268/14 P).

( 4 ) Règlement de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO L 123, p. 18).

( 5 ) EU:T:2014:128.

( 6 ) Comme je l’ai souligné dans des conclusions antérieures, il est généralement admis que la Commission doit disposer de tels pouvoirs étendus et d’une marge d’appréciation appropriée dans l’exercice de ces pouvoirs, car les infractions aux règles de concurrence constituent des violations graves de la législation économique sur laquelle l’Union est fondée. Voir point 62 de mes conclusions dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission (C‑583/13 P, EU:C:2015:92).

( 7 ) Voir, en ce sens, considérant 1 du règlement no 1/2003. Voir également arrêt Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 25).

( 8 ) Voir arrêts Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, points 15 et 16) ainsi que Solvay/Commission (27/88, EU:C:1989:388, points 12 et 13).

( 9 ) Voir, en ce sens, arrêt Ufex e.a./Commission (C‑119/97 P, EU:C:1999:116, point 88); et arrêt du Tribunal Automec/Commission (T‑24/90, EU:T:1992:97, point 77).

( 10 ) Voir, en ce sens, arrêt AM & S Europe/Commission (155/79, EU:C:1982:157).

( 11 ) Voir considérant 37 du règlement no 1/2003; voir également arrêt Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337).

( 12 ) Voir, en ce sens, arrêts Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, points 14 et 15) ainsi qu’Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 32).

( 13 ) Voir considérant 23 du règlement no 1/2003.

( 14 ) Voir arrêts Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 19) ainsi que Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, points 27, 50 et 52).

( 15 ) Arrêts Dow Chemical Ibérica e.a./Commission (97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 52) ainsi que Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, point 55).

( 16 ) Voir, en ce sens, arrêt Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, points 76 et 80 ainsi que jurisprudence citée).

( 17 ) Voir, en ce sens, arrêts Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 61) ainsi que Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P, EU:C:2006:432, point 41).

( 18 ) Article 2 du règlement no 1/2003.

( 19 ) Voir arrêt Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 27).

( 20 ) Voir, de manière générale, arrêt Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, point 47 et jurisprudence citée).

( 21 ) Article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.

( 22 ) Voir arrêt Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

( 23 ) Ibidem (points 34 à 37 et jurisprudence citée).

( 24 ) L’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 dispose que la décision doit «indique[r] la base juridique et le but de la demande, précise[r] les renseignements demandés et fixe[r] le délai dans lequel [les renseignements] doivent être fournis». L’article 20, paragraphe 4, de ce même règlement prévoit que la décision doit «indique[r] l’objet et le but de l’inspection, fixe[r] la date à laquelle elle commence […]».

( 25 ) Point 42 de l’arrêt attaqué.

( 26 ) Points 35 à 38 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:223).

( 27 ) Points 41 et 42 de l’arrêt attaqué.

( 28 ) Voir point 22 des conclusions que l’avocat général Léger a présentées dans l’affaire BPB Industries et British Gypsum/Commission (C‑310/93 P, EU:C:1994:408).

( 29 ) Voir point 59 des conclusions que l’avocat général Lenz a présentées dans l’affaire SITPA (C‑27/90, EU:C:1990:407).

( 30 ) Voir jurisprudence citée au point 31 des présentes conclusions.

( 31 ) L’avocat général Kokott relève au point 52 des conclusions qu’elle a présentées dans l’affaire Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:223) qu’«il s’agit moins d’une indication aussi précise que possible des marchés concernés que d’une description compréhensible pour les entreprises en cause des infractions aux règles de concurrence présumées par la Commission».

( 32 ) Questions 5(AG) et (AH).

( 33 ) Questions 3(Z), (AB) et (AD).

( 34 ) Question 3(AH).

( 35 ) Question 4(Z).

( 36 ) Question 2.

( 37 ) Questions 3(Y) et 4(W).

( 38 ) Questions 5(F) et (G).

( 39 ) Question 5(AF).

( 40 ) La requérante a estimé que ces questions portaient à elles seules sur quelque 500000 opérations commerciales.

( 41 ) Voir également point 74 des présentes conclusions.

( 42 ) Voir point 126 de l’arrêt attaqué.

( 43 ) Voir point 112 de l’arrêt attaqué.

( 44 ) Voir point 30 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire SEP/Commission (C‑36/92 P, EU:C:1993:928).

( 45 ) Voir points 99 et 100 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Buzzi Unicem/Commission (C‑267/14 P).

( 46 ) 136/79, EU:C:1980:169, points 24 à 27.

( 47 ) Voir point 31 des présentes conclusions.

( 48 ) Voir, notamment, arrêt Conseil/Bamba (C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 54 et jurisprudence citée).

( 49 ) Voir, notamment, arrêts Pays-Bas/Commission (13/72, EU:C:1973:4 , point 12) et Acciaierie e Ferriere Lucchini/Commission (1252/79, EU:C:1980:288, point 14).

( 50 ) Voir également considérants 4 et 6 de la décision contestée.

( 51 ) Voir, respectivement, sur ces points, les conclusions que j’ai présentées dans les affaires Schwenk Zement/Commission (C‑248/14 P) et Buzzi Unicem/Commission (C‑267/14 P).

( 52 ) Voir considérant 23 du règlement no 1/2003.

( 53 ) Voir point 22 des présentes conclusions.

( 54 ) Arrêt AM & S Europe/Commission (155/79, EU:C:1982:157, point 17).

( 55 ) Voir point 66 des conclusions que l’avocat général Darmon a présentées dans l’affaire Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:207).

( 56 ) La Cour a jugé, par exemple, que, même si elle dispose déjà d’éléments de preuve relatifs à l’existence d’une infraction, la Commission peut légitimement estimer nécessaire de demander des éléments supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’étendue de l’infraction, la détermination de sa durée ou du cercle des entreprises impliquées. Voir arrêt Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 15).

( 57 ) C‑36/92 P, EU:C:1993:928, point 21.

( 58 ) Voir arrêts AM & S/Commission (155/79, EU:C:1982:157, point 15) et SEP/Commission (C‑36/92 P, EU:C:1994:205, point 21) ainsi que points 20 à 22 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées dans l’affaire SEP/Commission (C‑36/92 P, EU:C:1993:928).

( 59 ) Voir arrêt Cementos Portland Valderrivas/Commission (T‑296/11, EU:T:2014:121, point 40).

( 60 ) Voir, en ce sens, par analogie, arrêt Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, points 54 et 55).

( 61 ) Voir point 24 des présentes conclusions.

( 62 ) Voir, par analogie, point 43 des conclusions que l’avocat général Kokott a présentées dans l’affaire Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:223).

( 63 ) Point 37 de l’arrêt attaqué.

( 64 ) Voir arrêts Dow Chemical Ibérica e.a./Commission (97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 45) ainsi que Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 35).

( 65 ) Voir, par analogie, arrêt Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, point 54).

( 66 ) Arrêt Cementos Portland Valderrivas/Commission (T‑296/11, EU:T:2014:121, points 41 à 56).

( 67 ) Arrêt du Tribunal Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission (T‑446/05, EU:T:2010:165, point 333 et jurisprudence citée).

( 68 ) Voir point 34 des conclusions qu’il a présentées dans l’affaire SEP/Commission (C‑36/92 P, EU:C:1993:928).

( 69 ) Voir points 71 à 74 de l’arrêt attaqué et jurisprudence citée.

( 70 ) Voir point 66 des conclusions que l’avocat général Darmon a présentées dans l’affaire Orkem/Commission (EU:C:1989:207).

( 71 ) Points 64 et 70 de l’arrêt attaqué.

( 72 ) Points 76 à 79 de l’arrêt attaqué.

( 73 ) Cet argument est également mentionné au point 84 de l’arrêt attaqué.

( 74 ) Seul le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination est reconnu, dans certaines limites, aux entreprises soumises à ces procédures: voir points 149 à 168 des présentes conclusions.

( 75 ) Arrêt Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 27).

( 76 ) Voir point 25 des présentes conclusions.

( 77 ) Il n’est pas dénué d’intérêt de relever que le droit d’émettre des demandes de renseignements juridiquement contraignantes limite le besoin de l’institution de conduire des inspections dans les locaux des entreprises. Il est évident que les demandes de renseignements empiètent généralement moins sur la sphère privée d’une entreprise et perturbent moins ses activités quotidiennes. Voir point 155 des conclusions que l’avocat général Darmon a présentées dans l’affaire Orkem/Commission (374/87,
EU:C:1989:207).

( 78 ) Voir point 26 des présentes conclusions.

( 79 ) Voir point 99 des présentes conclusions.

( 80 ) Points 85 et 86 de l’arrêt attaqué.

( 81 ) Points 96 et 106 de l’arrêt attaqué.

( 82 ) Points 89 à 108 de l’arrêt attaqué.

( 83 ) L’annexe II (Instructions détaillées pour les réponses au questionnaire) et l’annexe III (Modèles de réponse) de la décision contestée représentent ensemble près de 30 pages d’instructions extrêmement circonstanciées.

( 84 ) Il s’agit des renseignements relevant de la catégorie décrite aux points 108 à 110 des présentes conclusions.

( 85 ) Voir, par analogie, arrêt Roquette Frères (C‑94/00, EU:C:2002:603, point 79).

( 86 ) Point 111 de l’arrêt attaqué.

( 87 ) Point 104 de l’arrêt attaqué.

( 88 ) Points 112 et 113 de l’arrêt attaqué.

( 89 ) Voir, en ce sens, par analogie, arrêt Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 42).

( 90 ) Dans le passage rédigé comme suit: «la décision de la Commission indique encore le droit de recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision».

( 91 ) Voir, notamment, arrêts Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 35) et Solvay/Commission (27/88, EU:C:1989:388, point 32).

( 92 ) Points 128 à 131 de l’arrêt attaqué.

( 93 ) Points 126 et 132 de l’arrêt attaqué.

( 94 ) Le considérant 23 fait mention, comme indiqué, de «questions factuelles». La jurisprudence illustre également le problème du choix des termes les plus aptes à définir le type de questions qui, en raison de leur contenu matériel, ne peuvent méconnaître le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Par exemple, l’avocat général Geelhoed a mentionné au point 77 des conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P, EU:C:2006:53) les questions
«concern[ant] […] des faits de nature objective». Le Tribunal utilise généralement les expressions «questions de caractère purement factuel» ou «questions purement factuelles» (voir, notamment, arrêts du Tribunal Mannesmannröhren‑Werke/Commission, T‑112/98, EU:T:2001:61, point 77 ainsi que Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 539). Il est intéressant de noter que la Cour européenne des droits de l’homme a parfois écarté la violation
du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination en présence de questions exigeant de particuliers qu’ils «exposent un simple fait» qui «n’était pas, en soi, incriminant» (Cour EDH, Weh c. Austria, no 38544/97, CEDH 2004, ainsi qu’O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni, nos 15809/02 et 25624/02, CEDH 2008).

( 95 ) Arrêts Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 35) et Solvay/Commission (27/88, EU:C:1989:388, point 32).

( 96 ) Le point est tout aussi évocateur en français (langue de procédure des affaires Orkem/Commission et Solvay/Commission). Le passage pertinent est libellé comme suit: «la Commission ne saurait imposer à l’entreprise l’obligation de fournir des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l’existence de l’infraction» (mise en italique par mes soins).

( 97 ) Arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit PVC II (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 273). Mise en italique par mes soins.

( 98 ) Règlement du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204).

( 99 ) Voir arrêts Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, points 38, 39 et 41) ainsi que Solvay/Commission (27/88, EU:C:1989:388, points 35 à 37).

( 100 ) Arrêt Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P, EU:C:2006:432, points 66 à 70) ainsi que points 70 à 77 des conclusions que l’avocat général Gelhoed a présentées dans cette même affaire (EU:C:2006:53).

( 101 ) Point 133 de l’arrêt attaqué.

( 102 ) Voir, notamment, arrêt PVC II (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, points 286 à 292).

( 103 ) Voir, notamment, Nuijten, J., «The Investigation of Cartels – Public Enforcer’s Perspective», Wijckmans, Tuytschaever (Réd.), Horizontal Agreements and Cartels in EU Competition Law, 2015, Oxford University Press, p. 128.

( 104 ) Voir, en particulier, arrêts Orkem/Commission (374/87, EU:C:1989:387, point 39) et Solvay/Commission (27/88, EU:C:1989:388, point 36).

( 105 ) Il en va ainsi pour tous les moyens du pourvoi, à l’exception du sixième. Si la Cour ne devait accueillir que ce moyen, l’arrêt attaqué ne devrait être annulé qu’en ses points 109 à 114 et, en raison de sa motivation insuffisante du rejet du moyen tiré par la requérante de l’imprécision de certaines questions, faire l’objet d’un renvoi devant le Tribunal aux fins d’un nouvel examen de cette question.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-247/14
Date de la décision : 15/10/2015
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Marché du ‘ciment et des produits connexes’ – Procédure administrative – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 18, paragraphes 1 et 3 – Décision de demande de renseignements – Motivation – Précision de la demande.

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : HeidelbergCement AG
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wahl

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2015:694

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