ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)
22 septembre 2015 ( * )
«Fonction publique — Pension — Pension d’ancienneté — Mise à la retraite anticipée sans réduction des droits à pension — DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut — Exception d’illégalité des DGE — Intérêt du service — Définition — Absence — Durée de l’activité professionnelle du demandeur — Prise en compte de l’ensemble de la carrière professionnelle tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des institutions de l’Union — Marge d’appréciation de l’institution — Légalité»
Dans l’affaire F‑20/14,
ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,
Inge Barnett, ancienne fonctionnaire du Comité économique et social européen, demeurant à Roskilde (Danemark), représentée initialement par Me N. Nikolajsen, avocat, puis par Mes S. Orlandi et T. Martin, avocats,
partie requérante,
contre
Comité économique et social européen (CESE), représenté par Mme M. Pascua Mateo, M. L. Camarena Januzec et Mme K. Gambino, en qualité d’agents, assistés de Mes M. Troncoso Ferrer et F.-M. Hislaire, avocats,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (deuxième chambre),
composé de MM. K. Bradley, président, H. Kreppel et Mme M. I. Rofes i Pujol (rapporteur), juges,
greffier : M. P. Cullen, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 mai 2015,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 10 mars 2014, Mme Barnett demande l’annulation de la décision du Comité économique et social européen (CESE), du 11 juillet 2013, arrêtant la liste des bénéficiaires pour l’année 2013 de la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2013 (ci-après le « statut »), en tant que cette décision refuse son admission au bénéfice de ladite
mesure, et de la décision portant rejet de sa réclamation.
Cadre juridique
2 L’article 52 du statut dispose :
« Sans préjudice des dispositions de l’article 50 [du statut], le fonctionnaire est mis à la retraite :
[…]
b) soit sur sa demande, le dernier jour du mois pour lequel la demande a été présentée lorsqu’il est âgé d’au moins 63 ans ou que, ayant atteint un âge compris entre 55 et 63 ans, il réunit les conditions requises pour l’octroi d’une pension à jouissance immédiate, conformément à l’article 9 de l’annexe VIII [du statut]. […]
[…] »
3 Aux termes de l’article 77 du statut :
« Le fonctionnaire qui a accompli au moins dix années de service a droit à une pension d’ancienneté. Toutefois, il a droit à cette pension sans condition de durée de service s’il est âgé de plus de 63 ans, s’il n’a pu être réintégré au cours d’une période de disponibilité, ou en cas de retrait d’emploi dans l’intérêt du service.
[…]
Le droit à pension d’ancienneté est acquis à l’âge de 63 ans. »
4 L’article 9 de l’annexe VIII du statut est libellé comme suit :
« 1. Le fonctionnaire cessant ses fonctions avant l’âge de 63 ans peut demander que la jouissance de sa pension d’ancienneté soit :
a) différée jusqu’au premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel il atteint l’âge de 63 ans ;
b) immédiate, sous réserve qu’il ait atteint au moins l’âge de 55 ans. Dans ce cas, la pension d’ancienneté est réduite en fonction de l’âge de l’intéressé au moment de l’entrée en jouissance de sa pension.
Une réduction de 3,5 % sur la pension est opérée par année d’anticipation avant l’âge auquel le fonctionnaire aurait acquis le droit à une pension d’ancienneté, au sens de l’article 77 du statut. Si la différence entre l’âge auquel le droit à la pension d’ancienneté est acquis au sens de l’article 77 du statut et l’âge que l’intéressé a atteint dépasse un nombre exact d’années, une année supplémentaire est ajoutée dans le calcul de la réduction.
2. Dans l’intérêt du service, sur la base de critères objectifs et de procédures transparentes fixées par la voie de dispositions générales d’exécution, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut décider de ne pas appliquer la réduction susmentionnée aux fonctionnaires intéressés. Le nombre total de fonctionnaires et d’agents temporaires qui prennent ainsi leur retraite sans aucune réduction de leur pension chaque année n’est pas supérieur à 10 % du nombre total des fonctionnaires de
toutes les institutions ayant pris leur retraite l’année précédente. Ce pourcentage peut varier annuellement entre 8 % et 12 % dans le respect d’un total de 20 % sur deux ans et de la neutralité budgétaire. Dans un délai de cinq ans après l’adoption de cette mesure, la Commission [européenne] soumet au Parlement européen et au Conseil [de l’Union européenne] un rapport d’évaluation concernant sa mise en œuvre. Le cas échéant, la Commission [européenne] présente une proposition visant, au bout de
cinq ans, à fixer le pourcentage annuel maximal entre 5 et 10 % de tous les fonctionnaires de toutes les institutions ayant pris leur retraite l’année précédente, sur la base de l’article 336 [TFUE]. »
5 Par décision no 192/09 A, du 13 mars 2009, le président du CESE a arrêté les dispositions générales d’exécution (ci-après les « DGE ») visées à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut (ci-après les « DGE du CESE »). Les DGE du CESE ont été adoptées en deux versions, une en français et une en anglais.
6 Les DGE du CESE disposent, dans leur version française :
« […]
5. Les fonctionnaires ou agents temporaires intéressés doivent, pour être éligibles, remplir les conditions suivantes :
— être en activité au sens de l’article 36 du [s]tatut,
— être âgés au moins de 55 ans avant la fin de l’année civile considérée dans la demande au cours de laquelle le dispositif prévu à l’article 9, [paragraphe 2], de l’annexe VIII [du statut] sera mis en œuvre,
— avoir effectué au moins [quinze] années de service en tant que fonctionnaire ou/et agent dans une des institutions ou un des organes [de l’Union européenne], au sens des articles 1 bis et 1 ter du [s]tatut. Ne seront comptabilisées comme temps de service que les périodes d’activité au sens de l’article 36 du [s]tatut.
6. Afin d’identifier les demandes qui répondent le mieux à l’intérêt du service, et afin d’assurer une transparence complète dans la création de la liste de[s] fonctionnaires pouvant bénéficier de la mesure, un système d’attribution de points est créé comme suit :
a) En fonction de l’âge […] de l’intéressé :
[…]
57 ans ou plus 1,5 poin[t] ;
58 ans ou plus 2 points ;
59 ans ou plus 2,5 points ;
60 ans ou plus 3 points.
b) En fonction de la durée de l’activité professionnelle […] :
[d]e 15 à 20 ans d’activité professionnelle 0,5 point ;
[p]lus de 20 ans d’activité professionnelle 1 point ;
[p]lus de 21 ans d’activité professionnelle 1,5 poin[t] ;
[p]lus de 22 ans d’activité professionnelle 2 points ;
[p]lus de 23 ans d’activité professionnelle 2,5 points ;
[p]lus de 24 ans d’activité professionnelle 3 points ;
[p]lus de 25 ans d’activité professionnelle 3,5 points ;
[p]lus de 26 ans d’activité professionnelle 4 points.
c) En fonction de la moyenne arithmétique de[s] points des rapports de notation disponibles pour la période de [cinq] ans qui s’achève au 31 décembre de l’année d’application de la mesure de [retraite] anticipée […].
Jusqu’à 3 points inclus 0 point ;
[d]e plus de 3 points jusqu’à 3,5 points inclus 1 point ;
[…]
[d]e plus de 4 points jusqu’à 4,5 points inclus 3 points ;
[d]e plus de 4,5 points jusqu’à 5 points inclus 4 points.
Pour fixer la liste des fonctionnaires ayant droit à la mesure, l’[autorité investie du pouvoir de nomination] prend en considération le total des points a + b + c résultant du système décrit ci-dessus.
[…]
L’[autorité investie du pouvoir de nomination] ne peut s’écarter de cet ordre que dans des cas exceptionnels et sur avis de la [c]ommission paritaire, qui est consultée dans tous les cas.
7. En fonction des possibilités existantes et des critères précités, l’[autorité investie du pouvoir de nomination] arrête la liste des fonctionnaires et agents pouvant bénéficier de la mesure, au titre de l’intérêt d[u] service et pour l’année en cours. Cette liste est complétée le cas échéant par une liste complémentaire de réserve.
Les listes sont publiées [au sein de] l’institution et notifiées aux candidats. Les intéressés disposent de [dix] jours ouvrables pour décider éventuellement de renoncer à leur candidature. En cas de renonciation de candidats figurant dans la liste principale, il est fait appel à la liste complémentaire de réserve.
[…] »
7 Le paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE précise dans une note de bas de page que la « durée de l’activité professionnelle » correspond aux « [p]ériodes d’activité professionnelle réelles et dûment prouvées, calculées au 31 [décembre] de l’année d’application de la mesure de [retraite] anticipée ».
8 La version anglaise du paragraphe 6 des DGE du CESE dispose :
« In order to identify which applications best serve the interests of the service and to ensure complete transparency in the drawing-up of the list of officials who can benefit from the facility, a following points system shall be established based on the following criteria :
[…]
b) Length of employement […]
[…] »
9 Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour des comptes de l’Union européenne ont adopté leurs DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut respectivement les 6 octobre, 29 avril, 28 avril, 20 octobre et 21 décembre 2004.
10 S’agissant des DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut adoptées par le Parlement (ci-après les « DGE du Parlement »), leur article 5, intitulé « Examen de la candidature par la [direction générale] du [p]ersonnel et le [s]ervice ou [g]roupe politique d’affectation », prévoit :
« […]
4. Est considéré comme prioritaire, eu égard à l’intérêt du service, la demande du fonctionnaire qui fait l’objet de mesures de réorganisation décidées par l’[i]nstitution : cessation des tâches du fonctionnaire à la suite de mesures de réorganisation en cours, dès lors qu’aucune tâche nouvelle appropriée à l’intéressé(e) n’a été identifiée ou n’est susceptible de l’être dans un avenir proche.
5. En établissant les groupes de priorité […] ainsi que l’ordre de priorité de chacun d’eux, le service prend également en compte […] l’ancienneté acquise par le candidat auprès du Parlement européen ainsi que son âge[.]
[…] »
11 L’article 6 des DGE du Parlement, intitulé « Procédure de sélection par la [direction générale] du [p]ersonnel », dispose au paragraphe 2 :
« La [liste des fonctionnaires et agents temporaires que le directeur général de la direction générale du personnel propose d’admettre au bénéfice de la retraite anticipée] tient compte :
[…]
b) de l’intérêt du service, eu égard en particulier au nécessaire renouvellement des compétences à l’intérieur du Parlement […] ;
[…] »
12 S’agissant des DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut adoptées par le Conseil (ci-après les « DGE du Conseil »), leur article 5 dispose :
« 1. La notion de l’intérêt du service s’apprécie au regard des circonstances et de différents facteurs parmi lesquels :
— les nécessités de redéploiement structurel de certains services ;
— les nécessités de renouvellement ou de réorientation des compétences requises au sein du [s]ecrétariat général du Conseil en fonction des nouvelles missions qui lui sont imparties ainsi que des contraintes liées à l’élargissement.
2. L’[autorité investie du pouvoir de nomination] saisit en temps utile la [c]ommission paritaire afin que celle-ci formule un avis concernant les critères objectifs et concrets permettant la mise en œuvre du paragraphe 1 au cours de l’année considérée. La [c]ommission paritaire rend son avis dans un délai de [quinze] jours ouvrables à compter de la date de sa saisine. »
13 Après avoir consulté la commission paritaire conformément à l’article 5, paragraphe 2, des DGE du Conseil pour la mise en œuvre du critère de l’intérêt du service, prévu au paragraphe 1 dudit article, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») du Conseil a retenu pour l’année 2004 les critères suivants, portés à la connaissance du personnel par la communication au personnel no 105/04, du 15 juillet 2004 :
« a) l’intérêt du service, conformément à l’article 5 des DGE [du Conseil], qui s’apprécie au regard notamment :
— des nécessités de redéploiement structurel de certains services,
— des nécessités de renouvellement ou de réorientation des compétences requises au sein du [s]ecrétariat général du Conseil en fonction des nouvelles missions qui lui sont imparties ainsi que des contraintes liées à l’élargissement,
[50 points] ;
b) l’ancienneté effective de service auprès des Communautés européennes
[25 points] ;
c) les mérites du fonctionnaire au regard de ses prestations dans l’[i]nstitution et sur l’ensemble de sa carrière
[25 points]. »
14 S’agissant des DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut adoptées par la Commission (ci-après les « DGE de la Commission »), leur article 5, intitulé « Examen de la candidature par les services de la Commission », prévoit :
« […]
2. Tous les ans, chaque service ou direction générale établit une liste des candidats sur la base des critères fixés aux paragraphes 4, 5, 6 et 7.
Les candidats éligibles sont classés en trois groupes de priorité selon que l’intérêt du service est en l’espèce considéré comme grand, faible ou nul. […]
[…]
4. Le respect des critères suivants, relatifs aux tâches du fonctionnaire, est considéré comme conférant à sa demande un degré de priorité eu égard à l’intérêt du service :
a) Critères liés à des mesures de réorganisation :
i) cessation des tâches du fonctionnaire à la suite de mesures de réorganisation en cours, dès lors qu’aucune tâche nouvelle appropriée à l’intéressé n’a été identifiée ou n’est susceptible de l’être dans un avenir proche ;
ii) application de mesures de réorganisation ou de redéploiement en cours touchant un candidat auquel il est difficile de trouver une nouvelle affectation du fait de la nature de ses compétences ;
iii) mesures récentes de réorganisation ou de redéploiement touchant un candidat et impliquant pour celui-ci une affectation à de nouvelles tâches qui ne se sont pas révélées appropriées à ses compétences ;
iv) probabilité de l’application de mesures de réorganisation ou de redéploiement devant toucher le candidat dans un avenir proche, en particulier lorsque les tâches de l’intéressé sont susceptibles d’être supprimées progressivement ou substantiellement modifiées ou d’être considérées comme ne constituant plus un objectif prioritaire pour sa direction générale ou son service et que l’attribution d’une nouvelle affectation risque de se révéler difficile du fait de la nature de ses compétences ;
v) le candidat occupe un poste sensible, et il serait obligé d’assumer, dans les douze mois à venir, de nouvelles fonctions pour lesquelles aucun poste adéquat n’a été identifié ni n’est susceptible de l’être dans ce laps de temps.
b) Critères liés aux compétences du candidat :
— lorsque les nouvelles exigences du poste ne correspondent plus aux aptitudes ni aux compétences du candidat et que l’attribution d’une nouvelle affectation risque de se révéler difficile.
[…]
6. En établissant les groupes de priorité visés au paragraphe 2 ainsi que l’ordre de priorité de chacun d’eux, le service peut également prendre en compte […] l’ancienneté acquise par le candidat auprès de la Commission et/ou la part positive qu’il a prise au travail du service et/ou de la Commission.
[…] »
15 S’agissant des DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut adoptées par la Cour de justice (ci-après les « DGE de la Cour de justice »), leur article 5, deuxième alinéa, dispose :
« Dans un délai de [quinze] jours ouvrables à compter de sa saisine, la commission paritaire transmet à l’AIPN la liste, par ordre de priorité, des fonctionnaires et agents temporaires qu’elle considère, au vu de l’intérêt du service, comme pouvant bénéficier de la mesure. Cette liste est établie en tenant compte notamment des critères objectifs suivants :
— la situation professionnelle de l’intéressé à la suite, entre autres, de mesures de réorganisation du service
— l’âge
— l’ancienneté
[…] »
16 S’agissant des DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut adoptées par la Cour des comptes (ci-après les « DGE de la Cour des comptes »), leur article 5 est libellé comme suit :
« […]
Dans un délai de [quinze] jours ouvrables à compter de sa saisine, la commission paritaire transmet à l’AIPN la liste des fonctionnaires et agents temporaires qu’elle considère, au vu de l’intérêt du service, comme pouvant bénéficier de la mesure. Cette liste est établie en tenant compte notamment des critères objectifs énumérés ci-après par ordre de priorité :
— la situation professionnelle de l’intéressé à la suite, entre autres, de mesures de réorganisation du service
— la contribution de l’intéressé au fonctionnement de l’institution
— l’âge
— l’ancienneté de service aux Communautés européennes
— la situation personnelle ou familiale de l’intéressé.
[…] »
Faits à l’origine du litige
17 La requérante est entrée au service du CESE le 1er mars 1982 en qualité d’agent temporaire. Elle a été ensuite recrutée comme fonctionnaire stagiaire le 1er juin 1982, puis titularisée le 1er décembre 1982.
18 Par communication au personnel du 18 mars 2013 (ci-après la « communication du 18 mars 2013 »), publiée en français et en anglais, les membres du personnel du CESE ont été invités à manifester leur éventuel intérêt pour la possibilité de prendre leur retraite par anticipation sans réduction des droits à pension en présentant leur candidature au plus tard le 7 avril 2013. La communication susmentionnée faisait état de ce que le nombre des bénéficiaires avait été fixé à deux pour l’exercice 2013.
19 Huit fonctionnaires du CESE, dont la requérante, ont introduit leur candidature en temps utile.
20 Par décision du 11 juillet 2013, l’AIPN du CESE a fixé la liste des deux bénéficiaires, pour l’année 2013, de la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, en l’occurrence Mmes X et Y.
21 Par lettre du 14 août 2013, la requérante a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision du 11 juillet 2013 de l’AIPN du CESE arrêtant la liste des deux bénéficiaires pour l’année 2013 de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension, dans la mesure où elle ne l’y avait pas fait figurer et avait ainsi rejeté sa candidature présentée le 19 mars 2013 (ci-après la « décision attaquée »).
22 Par décision de l’AIPN du CESE du 9 décembre 2013, la réclamation a été rejetée (ci-après la « décision portant rejet de la réclamation »). Étaient annexés à cette décision deux tableaux faisant apparaître, le premier, le nombre de points attribués au titre du paragraphe 6, sous a), b) et c), des DGE du CESE à Mmes X et Y et à la requérante ainsi que le nombre total des points attribués, soit respectivement 9,5 points, 9,5 points et 8,5 points, et, le second, le classement des candidats ; selon
ce second tableau, la requérante était placée en troisième position, derrière Mmes X et Y.
23 Suite à sa demande, la requérante a été mise à la retraite à partir du 1er janvier 2014 ; par voie de conséquence, ses droits à pension ont subi une réduction.
Conclusions des parties et procédure
24 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
« [–] […] annuler la décision du CESE refusant [son] admission […], pour l’exercice 2013, au bénéfice de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut […], […] telle que cette décision de refus a été concrétisée par [la décision du 11 juillet 2013 arrêtant la liste des deux bénéficiaires pour l’année 2013 de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension et par la décision portant rejet de la réclamation] […] ;
[–] […] condamner [le CESE] aux dépens. »
25 Le CESE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— déclarer le recours recevable, mais non fondé ;
— condamner la requérante aux dépens.
26 Par lettre du greffe du 6 mars 2015, le CESE a été invité à répondre à des mesures d’organisation de la procédure, invitation à laquelle il a dûment déféré.
27 Également par lettres du greffe du 6 mars 2015, le Parlement, le Conseil, la Commission, la Cour de justice et la Cour des comptes ont été invités à répondre à des mesures d’instruction, et notamment à produire les DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut adoptées par leurs AIPN respectives. Ces institutions ont dûment déféré à cette invitation.
En droit
Sur l’objet du recours
28 Par son premier chef de conclusions, la requérante demande, outre l’annulation de la décision attaquée, l’annulation de la décision portant rejet de la réclamation.
29 Il y a lieu de rappeler que les conclusions en annulation formellement dirigées contre le rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée, lorsqu’elles sont, comme telles, dépourvues de contenu autonome (voir, en ce sens, arrêts du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8, et du 15 septembre 2011, Munch/OHMI, F‑6/10, EU:F:2011:139, point 25).
30 En l’espèce, le Tribunal constate que la décision attaquée ne contient pas les motifs pour lesquels la requérante n’a pas été admise au bénéfice de la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut et que la requérante n’est qu’indirectement visée par la liste des fonctionnaires admis au bénéfice de la mesure susmentionnée en ce qu’elle n’y figure pas. Or, la décision portant rejet de la réclamation confirme la décision attaquée et la complète en fournissant les motifs tant
de la décision d’inclure Mmes X et Y dans la liste des bénéficiaires que de celle d’en exclure la requérante.
31 En pareille hypothèse, c’est bien la légalité de l’acte initial faisant grief qui est examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec celle dudit acte (arrêt du 9 décembre 2009, Commission/Birkhoff, T‑377/08 P, EU:T:2009:485, points 58 et 59, et la jurisprudence citée).
32 Par conséquent, les conclusions en annulation de la décision portant rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome et le recours doit être regardé comme dirigé contre la décision attaquée dont la motivation est précisée par la décision portant rejet de la réclamation.
Sur le fond
33 À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens. Le premier moyen, soulevé à titre principal, est tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE. Le second moyen, soulevé à titre subsidiaire en cas de rejet par le Tribunal du premier moyen, est fondé sur une exception d’illégalité du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE.
Sur le premier moyen, soulevé à titre principal, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE
– Arguments des parties
34 À titre principal, la requérante fait valoir que la différence entre le nombre de points attribués à Mmes X et Y et le nombre de points qui lui ont été attribués est due à une erreur d’interprétation par le CESE du paragraphe 6, sous b), de ses DGE. En effet, pour attribuer les points au titre du critère de la durée de l’activité professionnelle prévu à cette disposition, le CESE aurait pris en compte toute l’activité professionnelle de Mmes X et Y, tant celle exercée au sein des institutions de
l’Union que celle exercée à l’extérieur, alors que seules les années de service auprès de l’Union auraient dû être prises en considération. Si le CESE avait correctement interprété le paragraphe 6, sous b), susvisé, la requérante aurait été classée en premier, car elle avait commencé sa carrière professionnelle au sein des institutions de l’Union plusieurs années avant Mmes X et Y.
35 À l’appui de son premier moyen, la requérante développe plusieurs arguments. En premier lieu, elle fait valoir que les paragraphes 5 et 6 des DGE du CESE doivent être lus l’un à la suite de l’autre et qu’ils visent forcément tous les deux les années de service auprès des institutions ou organes de l’Union.
36 En deuxième lieu, la requérante soutient que l’interprétation préconisée par le CESE, selon laquelle les expressions « durée de l’activité professionnelle » et « length of employment » employées respectivement dans les versions française et anglaise du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE recouvrent toute l’activité professionnelle que les candidats à la retraite anticipée sans réduction des droits à pension ont eue dans leur vie, rendrait pratiquement impossible d’utiliser la gamme complète
des points prévue à cette disposition, car elle conduirait presque nécessairement à ce que tout candidat reçoive le nombre maximum de points prévu pour ce critère.
37 En troisième lieu, la requérante affirme que l’expression « length of employment », employée dans la version anglaise du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, montre que seul le service rendu au sein des institutions de l’Union par les candidats au bénéfice de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension est visé. Par ailleurs, la version anglaise de la communication du 18 mars 2013 utiliserait l’expression « length of service » là où la version française utiliserait celle de
« durée de [l’]activité professionnelle », ce qui démontrerait plus encore que le CESE serait tenu de prendre en considération uniquement les années de travail accomplies au sein des institutions de l’Union.
38 En quatrième lieu, la requérante soutient que l’interprétation du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE préconisée par le CESE est susceptible de conduire à une situation dans laquelle les années d’activité professionnelle accomplies en dehors des institutions de l’Union sont prises en compte à égalité avec celles accomplies au sein de ces institutions, même d’une durée hebdomadaire limitée. Or, une telle situation pourrait donner lieu à une violation du principe d’égalité de traitement, car
elle rendrait possible « l’obtention d’un bénéfice sous forme de droits à pension supplémentaires au titre d’une même période d’emploi ».
39 En cinquième et dernier lieu, la requérante estime que, au vu de la divergence entre les deux versions linguistiques des DGE du CESE, il y a lieu d’interpréter le paragraphe 6, sous b), de ces DGE en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont cette disposition fait partie. Ainsi, il n’existerait aucune raison de croire que le CESE ait voulu accorder le même poids à l’expérience professionnelle acquise en dehors des institutions de l’Union qu’au service rendu au
sein de ces institutions. Au contraire, il apparaîtrait plus probable que le CESE ait voulu favoriser les fonctionnaires ayant consacré une plus grande partie de leur vie professionnelle à son service ou au service des institutions de l’Union par rapport à ceux ayant travaillé moins longtemps dans les institutions de l’Union. Tel serait par ailleurs le critère suivi par le Parlement, le Conseil et la Cour de justice.
40 Le CESE rétorque, en premier lieu, que c’est à dessein que les paragraphes 5 et 6 de ses DGE sont libellés différemment. Ainsi, le paragraphe 5 des DGE du CESE exigerait que le candidat à la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut ait accumulé quinze « années de service » en tant que fonctionnaire ou agent de l’Union, alors que le paragraphe 6, sous b), de ces DGE emploierait délibérément l’expression d’« activité professionnelle », expression utilisée à maintes
occasions dans le statut pour faire référence aux différentes activités professionnelles exercées par le fonctionnaire ou l’agent concerné en dehors des institutions de l’Union.
41 En deuxième lieu, le CESE estime que les paragraphes 5 et 6 des DGE du CESE ont une portée distincte. Ainsi, le paragraphe 5 des DGE du CESE aurait pour objet de définir les critères d’éligibilité devant être remplis par les candidats à la préretraite sans réduction des droits à pension, alors que le paragraphe 6 de ces DGE viserait à fixer les critères de sélection qui permettraient de départager les candidatures retenues.
42 En troisième lieu, le CESE fait valoir que la thèse de la requérante conduit à une violation du principe d’égalité de traitement, puisqu’elle aboutit à favoriser les fonctionnaires et agents ressortissants des États membres fondateurs ou des pays qui ont adhéré très tôt à l’Union.
43 En quatrième lieu, le CESE considère que la note de bas de page no 4 du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE (voir point 7 du présent arrêt) démontre que, pour appliquer cette disposition, il est permis de prendre en considération toutes les activités professionnelles exercées par le candidat, en ce compris celles exercées en dehors des institutions de l’Union. En effet, dans la mesure où cette note fait référence aux « [p]ériodes d’activité professionnelle réelles et dûment prouvées », elle ne
pourrait viser que l’expérience professionnelle acquise en dehors des institutions de l’Union, étant donné que la carrière professionnelle d’un fonctionnaire au sein de l’Union n’a pas besoin d’être prouvée à l’institution, celle-ci étant en possession de toutes les preuves nécessaires relatives à cette carrière.
44 En cinquième lieu, le CESE souligne que tant l’expression « durée de l’activité professionnelle » du texte en français que l’expression « [l]ength of employment » de la version anglaise correspondante figurant au paragraphe 6, sous b), de ses DGE soutiennent sa thèse selon laquelle toute l’expérience professionnelle du candidat peut être prise en considération, y compris les activités professionnelles qui ont été exercées en dehors des institutions de l’Union. Quant à la version anglaise de la
communication du 18 mars 2013, ce serait par suite d’une erreur matérielle que l’expression « length of service » aurait été utilisée là où la version française utiliserait celle de « durée de [l’]activité professionnelle ». En tout état de cause, une telle erreur matérielle contenue dans une communication au personnel ne saurait créer un droit quelconque, le seul texte valable étant celui du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, tant en français qu’en anglais.
45 En sixième lieu, le CESE conteste que son interprétation du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE puisse entraîner une violation du principe d’égalité de traitement, car la mesure en cause ne permettrait pas d’accorder des droits à pension supplémentaires à un fonctionnaire qui aurait un passé professionnel en dehors des institutions de l’Union, mais permettrait uniquement qu’il prenne sa retraite par anticipation sans que ses droits à pension soient réduits.
46 En septième et dernier lieu, le CESE, se référant à la jurisprudence constante de la Cour sur cette question, estime que les versions française et anglaise des DGE du CESE ne sont pas divergentes et que, en tout état de cause, l’économie générale et la finalité des DGE du CESE démontrent précisément que son interprétation de leur paragraphe 6, sous b), est correcte.
– Appréciation du Tribunal
47 Il ressort des deux tableaux annexés à la décision portant rejet de la réclamation que Mmes X et Y ont été classées toutes les deux à égalité en première position, avec chacune une moyenne de notation de 4,30 et un total de 9,5 points, se décomposant en 2,5 points pour avoir atteint l’âge de 59 ans au 31 décembre 2013, 4 points pour la durée de leur activité professionnelle, de respectivement 33 et 26 années, et 3 points pour leurs rapports de notation. La requérante a été placée immédiatement
après Mmes X et Y, en troisième position, avec une moyenne de notation de 4,50 et un total de 8,5 points, soit 1,5 point pour avoir atteint l’âge de 57 ans au 31 décembre 2013, 4 points pour la durée de son activité professionnelle de 31 années et 3 points pour ses rapports de notation.
48 Il ressort également du dossier que Mmes X et Y ont commencé toutes les deux leur carrière professionnelle au sein des institutions de l’Union en 1991. Ayant pris leur retraite en 2013, elles ont donc chacune travaillé dans les institutions de l’Union en tout cas pendant 22 ans et un peu moins de 23 ans. En ce qui concerne la requérante, il est constant qu’elle a travaillé pendant 31 ans au CESE.
49 Pour déterminer les points à attribuer au critère relatif à la durée de l’activité professionnelle de Mmes X et Y, respectivement de 33 années et de 26 années, le CESE a donc ajouté leurs années d’activité professionnelle en dehors des institutions de l’Union à leurs années de service au sein de celles-ci, en l’occurrence un peu moins de 23 années et en tout cas plus de 22 années. Or, si le CESE avait uniquement pris en considération leurs années de service auprès de l’Union, Mmes X et Y
n’auraient obtenu chacune que 2 points pour ce critère, ce qui aurait ramené leur total de points à 7,5 points et aurait conduit à ce que la requérante soit placée en première position.
50 Par conséquent, la question posée est celle de savoir si, pour calculer la durée de l’activité professionnelle des candidats, telle que prévue au paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, le CESE a pu prendre en compte l’ensemble des expériences professionnelles des candidats, accomplies tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des institutions de l’Union, ou s’il devait tenir compte exclusivement des années de service acquises auprès de l’Union.
51 À cet égard, le Tribunal constate, d’une part, que, en effet, la version française de la communication du 18 mars 2013 utilise l’expression « durée de [l’]activité professionnelle » là où la version anglaise utilise celle de « length of service », à savoir la durée des années de service. Or, cette divergence linguistique ne saurait créer un droit quelconque en faveur de la requérante, dans la mesure où la communication du 18 mars 2013 est une mesure d’exécution des DGE du CESE et par conséquent
une disposition de rang inférieur à celles-ci. D’autre part, le Tribunal observe que les expressions « durée de l’activité professionnelle » et « length of employement », contenues dans les versions française et anglaise du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, ne sont pas divergentes, mais que leur libellé ne permet pas de donner une réponse claire à la question visée au point précédent. Une interprétation téléologique et contextuelle du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE s’impose donc.
52 Une telle interprétation du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE requiert qu’elle soit compatible avec les normes supérieures et, au premier chef, avec l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2006, De Soeten/Conseil, F‑86/05, EU:F:2006:87, point 42, et la jurisprudence citée), ce qui amène en premier lieu le Tribunal à examiner la ratio legis de cette dernière disposition.
53 Sur ce point, le Tribunal relève que deux documents rédigés dans le cadre des travaux préparatoires de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, produits par le Conseil en réponse aux mesures d’instruction, contiennent des indications sur la finalité de cette disposition. Ainsi, selon la note no 9522/03 de la présidence du Conseil, du 19 mai 2003, contenant la proposition de la présidence du Conseil concernant la révision du statut adressée au Conseil, la disposition en cause « vise
à faciliter la gestion du personnel, notamment au sein des petites institutions ». Aux termes de la note no 12957/03 de la présidence du Conseil, du 26 septembre 2003, portant sur l’approbation des résultats de la commission de concertation dans le cadre de la révision du statut, adressée au comité des représentants permanents, ladite disposition est destinée à « assurer aux institutions une flexibilité appropriée, notamment en liaison avec le processus d’élargissement [de l’Union] ». Le Tribunal
relève que, par la suite, a été adopté le considérant 33 du règlement (CE, Euratom) no 723/2004 du Conseil, du 22 mars 2004, modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés (JO L 124, p. 1), lequel prévoit que « [l]e système [du départ en préretraite] devrait être destiné à faciliter la gestion des ressources humaines, en particulier dans les plus petites institutions ».
54 Le Tribunal estime que la ratio legis de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut consiste à faciliter, moyennant l’octroi de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension, la gestion des ressources humaines au sein des institutions de l’Union. Cette disposition ne vise donc pas à favoriser les fonctionnaires ou agents qui, à la fin de leur carrière professionnelle, justifient d’un nombre plus élevé d’années de service dans les institutions de l’Union par rapport à ceux
qui justifient d’un nombre moins élevé d’années de service dans les institutions de l’Union du fait que leur carrière s’est déroulée dans une plus grande mesure que pour les premiers en dehors de ces institutions.
55 En second lieu, il convient de relever que, conformément à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, le bénéfice de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension ne peut être attribué que « [d]ans l’intérêt du service ». À cet égard, il a été jugé que l’appréciation de l’intérêt du service doit avoir lieu sur la base de critères objectifs et de procédures transparentes fixés par voie de DGE et que le législateur a entendu encadrer le pouvoir d’appréciation de
l’administration quant à l’intérêt du service. Il a également été jugé que l’importance de l’avantage statutaire et les garanties dont le législateur a entouré son attribution justifient l’exercice par le juge de l’Union d’un contrôle précis, sur la base des critères définis par les institutions elles-mêmes, de l’appréciation de l’intérêt du service par l’AIPN (arrêt du 12 septembre 2006, De Soeten/Conseil, F‑86/05, EU:F:2006:87, point 48). Chaque institution de l’Union adopte par voie de DGE sa
définition de l’intérêt du service justifiant l’octroi de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension.
56 Il résulte également de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut que le législateur a entendu laisser à l’AIPN de chacune des institutions de l’Union un pouvoir d’appréciation quant aux critères à utiliser pour sélectionner les fonctionnaires et les agents auxquels accorder le bénéfice de la préretraite sans réduction des droits à pension, pourvu que ces critères soient objectifs et fixés au préalable. La disposition susvisée n’exige donc pas que toutes les institutions de l’Union
adoptent des critères communs pour départager les candidats. Ainsi que le fait valoir à juste titre le CESE, si telle avait été la volonté du législateur, il aurait pu imposer aux institutions de les établir d’un commun accord ou il aurait pu les édicter directement dans le statut, ce qu’il n’a pas fait. Étant donné qu’il n’existe pas non plus un principe général du droit qui aurait obligé toutes les institutions de l’Union à retenir les mêmes critères lors de l’adoption de leurs DGE de
l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, il y a lieu de conclure que les institutions de l’Union pouvaient librement, dans leurs DGE respectives, définir chacune l’intérêt du service justifiant l’octroi de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension et fixer les critères objectifs qu’elles considéraient chacune opportuns aux fins de départager les candidatures à cette mesure.
57 Par conséquent, puisque l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut n’oblige pas les institutions à considérer l’ancienneté de service au sein des institutions de l’Union comme un critère objectif permettant de départager les candidats à la retraite anticipée sans réduction des droits à pension, mais puisqu’il n’interdit pas non plus que les institutions se fondent sur ce critère pour départager les candidats, il n’est pas exclu qu’une institution choisisse d’utiliser sa marge
d’appréciation en établissant dans ses DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, parmi d’autres critères, celui de l’ancienneté de service au sein de l’Union. Un tel choix revient alors à donner la priorité aux fonctionnaires qui ont passé plus d’années au service des institutions de l’Union, en leur assurant un meilleur rang sur la liste de classement des candidats au bénéfice de la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut que leurs collègues dont
le parcours professionnel s’est déroulé dans une moindre mesure à l’intérieur des institutions de l’Union.
58 Tel est d’ailleurs, ainsi que cela ressort des points 9 à 16 du présent arrêt, le choix qui a été opéré par le Parlement, le Conseil, la Commission, la Cour de justice et la Cour des comptes. En effet, s’agissant du Parlement et de la Commission, l’article 5, paragraphe 5, des DGE du Parlement et l’article 5, paragraphe 6, des DGE de la Commission disposent tous deux que l’ancienneté de service acquise auprès de l’institution concernée constitue un des critères à prendre en compte pour
sélectionner les candidats. S’agissant du Conseil et de la Cour des comptes, il ressort du paragraphe 3 de la communication au personnel no 105/04 du Conseil et de l’article 5 des DGE de la Cour des comptes que l’ancienneté dans le service au sein de n’importe quelle institution de l’Union est valorisée. S’agissant de la Cour de justice, l’article 5 des DGE de la Cour de justice dispose que l’« ancienneté » constitue l’un des critères objectifs. Interrogée à cet égard par le Tribunal dans le
cadre des mesures d’instruction, la Cour de justice a précisé que ce terme incluait non seulement les périodes de service passées par un fonctionnaire au service de la Cour de justice, mais également celles effectuées au service d’autres institutions de l’Union.
59 Le choix fait par les institutions citées au point précédent ne liant aucunement le CESE, celui-ci était en droit de faire usage de sa marge d’appréciation en établissant dans ses DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, en tant que critère objectif pour sélectionner les candidats, la durée de toute l’activité professionnelle des intéressés, sans la limiter à la seule activité professionnelle exercée au sein des institutions de l’Union.
60 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre par l’affirmative à la question de savoir si, pour calculer la durée de l’activité professionnelle, telle que prévue au paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, le CESE a pu prendre en compte l’ensemble des expériences professionnelles des candidats, accomplies tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des institutions de l’Union.
61 Il convient encore d’ajouter que cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument de la requérante selon lequel une telle interprétation du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE pourrait entraîner une violation du principe d’égalité de traitement en ce que les candidats retenus dont l’activité professionnelle aurait été exercée aussi à l’extérieur des institutions de l’Union se verraient octroyer des « droits à pension supplémentaires au titre d’une même période d’emploi ».
62 En effet, dans la mesure où les droits à pension sont calculés sur la base des années de service rendu aux institutions de l’Union et, le cas échéant, sur la base des droits à pension nationaux transférés, le fait d’accorder la retraite anticipée sans réduction des droits à pension à un fonctionnaire pouvant se prévaloir d’une activité professionnelle exercée en dehors des institutions de l’Union ne lui donnera pas de droits à pension supplémentaires par rapport à la situation d’un fonctionnaire,
également bénéficiaire de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension, ayant acquis toute son expérience professionnelle au sein des institutions de l’Union.
63 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme non fondé. Il convient, par suite, de statuer sur le moyen soulevé à titre subsidiaire par la requérante.
Sur le second moyen, soulevé à titre subsidiaire, tiré de l’exception d’illégalité du paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE
– Arguments des parties
64 À titre subsidiaire, la requérante fait valoir que le paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, dans la mesure où cette disposition est à interpréter en ce sens qu’elle englobe également le travail effectué en dehors des institutions de l’Union, est illégal. En effet, si les institutions disposent d’une certaine marge d’appréciation quant aux critères objectifs qu’elles adoptent en application de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, encore faudrait-il que ces critères servent
effectivement l’intérêt du service. Dans la mesure où seul le service rendu au sein des institutions de l’Union, à l’exclusion du travail effectué en dehors de celles-ci, servirait effectivement l’intérêt du service, le paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE méconnaîtrait l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut.
65 À l’audience, la requérante a soutenu à cet égard que le CESE était tenu d’adopter des critères objectifs par rapport à l’intérêt du service particulier auquel il était confronté et que le juge de l’Union devait pouvoir exercer un contrôle de légalité sur cet intérêt du service. Elle a souligné que le juge de l’Union devait connaître cet intérêt du service et examiner si les critères objectifs fixés par le CESE permettaient d’atteindre celui-ci. Or, dans le cas de l’espèce, les DGE du CESE ne
contiendraient aucun élément permettant d’apprécier l’intérêt du service poursuivi par le CESE lorsqu’il applique le critère prévu au paragraphe 6, sous b), de ses DGE, relatif à la durée de l’activité professionnelle.
66 Le CESE rétorque qu’il dispose d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il adopte des mesures dans l’intérêt du service et que le juge de l’Union, dans son contrôle du respect du principe de non-discrimination, doit se limiter à vérifier qu’il n’a pas procédé à une différenciation arbitraire ou manifestement contraire à l’intérêt du service. Le CESE poursuit que les critères objectifs contenus au paragraphe 6 de ses DGE ne sont ni arbitraires ni contraires à l’intérêt du service.
– Appréciation du Tribunal
67 Ainsi qu’il a été relevé aux points 55 et 56 du présent arrêt, le bénéfice de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension au titre de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut peut être accordé si l’intérêt du service le justifie, intérêt qui est librement défini par chaque institution de l’Union dans ses DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut. Ensuite, pour départager les candidats, l’AIPN doit établir et appliquer des critères objectifs et des
procédures transparentes, fixés également dans les DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut adoptées par l’institution.
68 À cet égard, le Tribunal constate que les DGE du Parlement, du Conseil, de la Commission, de la Cour de justice et de la Cour des comptes contiennent bien une définition de l’intérêt du service au sens de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut. Ainsi, s’agissant du Parlement, l’article 5, paragraphe 4, des DGE du Parlement fait référence aux mesures de réorganisation décidées par le Parlement et notamment à la cessation des tâches d’un fonctionnaire à la suite de mesures de
réorganisation en cours, dès lors qu’aucune tâche nouvelle appropriée à ce dernier n’a été identifiée ou n’est susceptible de l’être dans un avenir proche. De même, s’agissant du Conseil, l’article 5, paragraphe 1, des DGE du Conseil dispose que la notion de l’intérêt du service s’apprécie au regard des circonstances et de différents facteurs, parmi lesquels les nécessités de redéploiement structurel de certains services et les nécessités de renouvellement ou de réorientation des compétences
requises au sein du secrétariat général du Conseil en fonction des nouvelles missions qui lui sont imparties ainsi que des contraintes liées à l’élargissement de l’Union. S’agissant de la Commission, l’article 5, paragraphe 4, des DGE de la Commission fixe des critères liés à des mesures de réorganisation aux fins d’apprécier l’intérêt du service, tels que des mesures de réorganisation ou de redéploiement en cours. S’agissant de la Cour de justice et de la Cour des comptes, l’article 5 des DGE de
la Cour de justice et l’article 5 des DGE de la Cour des comptes identifient l’intérêt du service comme la réorganisation de celui-ci.
69 Ensuite, le Tribunal constate que les DGE des cinq institutions mentionnées au point précédent procèdent à l’établissement des critères objectifs permettant d’accorder l’avantage à certains candidats plutôt qu’à d’autres, tels que leur âge, la durée de leur expérience professionnelle ou encore leur situation personnelle et familiale, ainsi que la procédure à suivre par les candidats et par l’institution.
70 En revanche, s’agissant des DGE du CESE, leur paragraphe 6 dispose que, « [a]fin d’identifier les demandes qui répondent le mieux à l’intérêt du service, et afin d’assurer une transparence complète dans la création de la liste de[s] fonctionnaires pouvant bénéficier de la mesure, un système d’attribution de points est créé ». Selon le paragraphe 6 des DGE du CESE, ce système d’attribution de points tient compte de l’âge de l’intéressé [paragraphe 6, sous a), des DGE du CESE], de la durée de son
activité professionnelle [paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE], laquelle doit être entendue, comme il vient d’être jugé au point 60 du présent arrêt, comme recouvrant l’ensemble de l’expérience professionnelle de l’intéressé, et de la moyenne arithmétique des points des rapports de notation des cinq dernières années [paragraphe 6, sous c), des DGE du CESE].
71 Il ressort ainsi du libellé du paragraphe 6 des DGE du CESE que le CESE s’est limité à établir, d’une part, des critères liés à l’âge, à la durée de l’expérience professionnelle et aux mérites que les candidats ont démontrés au cours de leurs dernières années de service au sein du CESE ou des institutions, critères destinés tout simplement à départager les candidats, et, d’autre part, la procédure à suivre tant par ces derniers pour introduire leurs demandes que par l’AIPN pour adopter sa
décision, mais qu’il a omis d’identifier l’intérêt du service justifiant l’octroi de la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut.
72 L’examen qui vient d’être fait du libellé du paragraphe 6 des DGE du CESE démontre que le CESE a considéré qu’il était dans l’intérêt du service de cet organe de faciliter le départ à la retraite anticipée de ses fonctionnaires les plus âgés, ayant travaillé le plus grand nombre d’années au cours de leur carrière et disposant du nombre le plus élevé de points dans leurs derniers rapports de notation. Or, ces critères ne répondent pas, à eux seuls, à la ratio legis de l’article 9, paragraphe 2, de
l’annexe VIII du statut, lequel, tel que rappelé au point 54 du présent arrêt, consiste à faciliter la gestion des ressources humaines par les institutions.
73 Interrogé à cet égard lors de l’audience, le CESE a confirmé que les DGE du CESE n’identifient pas l’intérêt du service tel que visé à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut. Selon ses déclarations, le CESE examine d’abord s’il existe « un intérêt général de l’ensemble du service » à ce que l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut soit appliqué et, dans l’affirmative, il lance la procédure d’appel aux candidatures pour tout le personnel du CESE. Tous les candidats
éligibles qui remplissent les trois critères établis au paragraphe 6 des DGE du CESE, relatifs à l’âge, à la durée de l’activité professionnelle et aux mérites dans le service, sont inscrits sur une liste suivant l’ordre décroissant du nombre de points obtenus. Cette liste est publiée et communiquée aux candidats. Par la suite, les candidats peuvent décider de renoncer ou non au bénéfice de la retraite anticipée.
74 Le Tribunal se doit donc de constater que le CESE a omis de définir dans ses DGE de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut l’intérêt du service justifiant l’octroi du bénéfice de la retraite anticipée sans réduction des droits à pension et que, dans la pratique, le CESE a assimilé l’intérêt du service avec le départ à la retraite anticipée de ses fonctionnaires les plus âgés, ayant travaillé le plus grand nombre d’années au cours de leur carrière et disposant du nombre le plus
élevé de points dans leurs derniers rapports de notation.
75 Toutefois, le critère relatif à la durée de l’activité professionnelle, qu’elle ait été acquise au sein des institutions de l’Union ou en dehors de ces dernières, prévu au paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, ne permet pas, ni seul ni conjointement avec les critères relatifs à l’âge et aux mérites, contenus respectivement au paragraphe 6, sous a) et c), desdites DGE, de définir l’intérêt du service justifiant l’octroi de la préretraite sans réduction des droits à pension.
76 Il s’ensuit que le paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE, ni seul ni lu en combinaison avec le même paragraphe 6, sous a) et c), ne permettait pas au CESE d’apprécier l’intérêt du service, au sens de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, au regard duquel il était tenu d’examiner les demandes, telles que celle de la requérante, de bénéficier de cette dernière disposition.
77 Par conséquent, et après avoir entendu à l’audience les parties s’exprimer sur la question de savoir si la manière dont l’intérêt du service avait été pris en compte par le CESE dans ses DGE était susceptible de justifier l’annulation de la décision attaquée, il y a lieu de faire droit à l’exception d’illégalité soulevée, de déclarer que le paragraphe 6, sous b), des DGE du CESE est inapplicable au cas d’espèce et d’accueillir le second moyen.
78 Étant donné que la décision attaquée est fondée sur une disposition illégale, cette décision est illégale et doit dès lors être annulée.
Sur les dépens
79 Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux
dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.
80 Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que le CESE est la partie qui succombe. En outre, la requérante a, dans ses conclusions, expressément demandé que le CESE soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, le CESE doit supporter ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision du Comité économique et social européen, du 11 juillet 2013, arrêtant la liste des bénéficiaires, pour l’année 2013, de la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, en ce qu’elle refuse l’admission de Mme Barnett au bénéfice de ladite mesure, est annulée.
2) Le Comité économique et social européen supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par Mme Barnett.
Bradley
Kreppel
Rofes i Pujol
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 septembre 2015.
Le greffier
W. Hakenberg
Le président
K. Bradley
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( * ) Langue de procédure : le français.