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10/09/2015 | CJUE | N°C-151/14

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République de Lettonie., 10/09/2015, C-151/14


ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

10 septembre 2015 ( *1 )

«Manquement d’État — Article 49 TFUE — Liberté d’établissement — Notaires — Condition de nationalité — Article 51 TFUE — Participation à l’exercice de l’autorité publique»

Dans l’affaire C‑151/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 31 mars 2014,

Commission européenne, représentée par Mme I. Rubene et M. H. Støvlbæk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
> partie requérante,

contre

République de Lettonie, représentée par Mme D. Pelše ainsi que par MM. I. Kalniņš et K. Freimanis, en qu...

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

10 septembre 2015 ( *1 )

«Manquement d’État — Article 49 TFUE — Liberté d’établissement — Notaires — Condition de nationalité — Article 51 TFUE — Participation à l’exercice de l’autorité publique»

Dans l’affaire C‑151/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 31 mars 2014,

Commission européenne, représentée par Mme I. Rubene et M. H. Støvlbæk, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Lettonie, représentée par Mme D. Pelše ainsi que par MM. I. Kalniņš et K. Freimanis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par:

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

Hongrie, représentée par Mme M. Tátrai et M. M. Fehér, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur) et J. L. da Cruz Vilaça, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en imposant une condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire, la République de Lettonie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 TFUE et 51 TFUE.

Le cadre juridique

L’organisation générale de la profession de notaire en Lettonie

2 L’organisation du notariat est régie par la loi sur le notariat (Notariāta likums), du 9 juillet 1993 (Latvijas Vēstnesis, 1993, no 48, ci‑après la «loi sur le notariat»).

3 L’article 1er, paragraphe 2, de cette loi précise que celle‑ci régit l’activité professionnelle et corporative des notaires, lesquels exercent, aux termes de l’article 238 de cette même loi, une profession libérale.

4 Aux termes de l’article 3 de ladite loi, les notaires sont considérés comme des officiers publics. Ils sont, en vertu de l’article 5 de celle‑ci, exclusivement soumis à la loi et exercent leurs fonctions en toute indépendance.

5 Conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la loi sur le notariat, le notaire est nommé, transféré et révoqué par le ministre de la Justice.

6 S’agissant des conditions d’accès aux fonctions de notaire, l’article 9, paragraphe 1, de ladite loi dispose que «peuvent être notaires les personnes qui sont ressortissants de la République de Lettonie».

7 En vertu de l’article 38, paragraphe 1, de la loi sur le notariat, le notaire exerce ses fonctions dans l’étendue de l’arrondissement judiciaire de son établissement. Conformément à l’article 39, paragraphe 1, de cette loi, le notaire peut fournir son assistance aux personnes qui le sollicitent même lorsque leur lieu de résidence ou leur propriété, auxquels l’acte notarié se réfère, sont situés en dehors de cet arrondissement.

8 Aux termes de l’article 39, paragraphe 2, de ladite loi, le notaire ne peut refuser d’exercer ses activités, sauf dans les cas prévus par la loi. Néanmoins, il est obligé, conformément à l’article 40 de cette même loi, de refuser ses services lorsque sa collaboration est requise pour participer à des activités qui ont manifestement un objet illicite et immoral.

Les activités notariales en Lettonie

9 S’agissant des différentes activités exercées par le notaire dans l’ordre juridique letton, la principale mission de celui‑ci consiste à établir des actes authentiques.

10 L’article 82.1 de la loi sur le notariat prévoit que, «lorsqu’il certifie une manifestation de volonté, le notaire doit établir un acte authentique» et l’article 87.1 de cette loi précise, notamment, que le notaire est tenu de constater la volonté des parties dans l’acte et les termes de l’accord et d’informer ces dernières sur les éventuelles conséquences juridiques de cet accord.

11 En ce qui concerne l’exécution des actes notariés, l’article 107.4 de ladite loi indique qu’un créancier peut présenter au notaire un acte notarié en vue de l’exécution forcée d’une obligation dans un délai d’un an à compter du jour où l’obligation est exigible. Si le débiteur est d’avis que la demande du créancier n’est pas fondée, il peut, aux termes de l’article 107.9 de cette même loi, introduire un recours conformément aux dispositions prévues à l’article 406 du code de procédure civile
(Latvijas Vēstnesis, 1998, no 326/330).

12 En vertu des articles 108 à 139 de ladite loi, le notaire authentifie, notamment, des signatures, des copies et des traductions, et atteste la réalité de certains faits, telle la circonstance qu’une personne soit en vie.

13 Le notaire exerce, conformément aux articles 140 à 145 de la loi sur le notariat, des activités de conservation de fonds, de valeurs mobilières et de documents.

14 En matière de successions, l’article 264 de cette loi prévoit que le notaire doit établir un acte notarié lorsque l’époux survivant et les héritiers qui ont accepté la succession sont parvenus à un accord. L’article 315 de ladite loi précise que tout désaccord en matière de succession doit être tranché par le tribunal conformément aux procédures applicables.

15 L’article 320 de la loi sur le notariat indique que le notaire peut procéder au partage du patrimoine à condition qu’il n’y ait pas de désaccord entre les héritiers à cet égard. Tout désaccord doit, conformément à l’article 250.1, paragraphe 1, du code de procédure civile, être soumis au juge qui peut, aux termes de l’article 250.2, paragraphe 3, de ce code, confier au notaire la supervision du déroulement du partage du patrimoine. Dans cette hypothèse, l’article 250.3, paragraphe 3, dudit code
prévoit que le notaire doit, lorsqu’il rédige le projet de partage du patrimoine, prendre les mesures permettant de concilier les parties concernées et susceptibles de faciliter la conclusion d’un accord entre elles. L’article 250.3, paragraphe 5, de ce même code précise que le notaire doit soumettre au juge l’inventaire, l’évaluation et le projet de partage du patrimoine.

16 En ce qui concerne la compétence du notaire en matière de divorce, les articles 325 et 327 de la loi sur le notariat prévoient que le notaire peut dissoudre un mariage en cas de demande conjointe de la part des époux, s’ils n’ont pas d’enfant en commun et ne possèdent pas ensemble une propriété. Dans les cas contraires, il peut prononcer cette dissolution si les intéressés ont préalablement conclu un contrat concernant la garde de l’enfant, les modalités des droits de visite et les moyens
nécessaires à son entretien ou encore le partage de la propriété.

17 L’article 338 de cette loi précise que le notaire transmet les informations relatives à un divorce transnational au ministère des Affaires étrangères.

La procédure précontentieuse

18 Par une lettre du 12 octobre 2006, la Commission a mis en demeure la République de Lettonie de lui présenter, dans un délai de deux mois, ses observations au sujet de la conformité aux articles 49 TFUE et 51 TFUE de la condition de nationalité requise pour l’accès à la profession de notaire en Lettonie.

19 La République de Lettonie a répondu à cette lettre de mise en demeure par une lettre du 21 décembre 2006, dans laquelle elle exposait les raisons pour lesquelles, de son point de vue, l’article 51, premier alinéa, TFUE est applicable aux notaires.

20 N’ayant pas été convaincue par les arguments avancés par la République de Lettonie, la Commission a, par lettre du 17 octobre 2007, adressé à celle‑ci un avis motivé, auquel la République de Lettonie a répondu par lettre du 3 janvier 2008.

21 Le 24 mai 2011, dans les arrêts Commission/Belgique (C‑47/08, EU:C:2011:334); Commission/France (C‑50/08, EU:C:2011:335); Commission/Luxembourg (C‑51/08, EU:C:2011:336); Commission/Autriche (C‑53/08, EU:C:2011:338); Commission/Allemagne (C‑54/08, EU:C:2011:339), et Commission/Grèce (C‑61/08, EU:C:2011:340), la Cour a jugé que la condition de nationalité requise, respectivement, en Belgique, en France, au Luxembourg, en Autriche, en Allemagne et en Grèce, pour l’accès à la profession de notaire,
constitue une discrimination fondée sur la nationalité interdite par l’article 43 CE (devenu article 49 TFUE). La République de Lettonie était intervenue, devant la Cour, au soutien de ces États membres.

22 La Commission a, par une lettre du 9 novembre 2011, attiré l’attention de la République de Lettonie sur les arrêts mentionnés au point précédent du présent arrêt.

23 La République de Lettonie a répondu à cette lettre par un courrier du 5 janvier 2012.

24 Le 22 novembre 2012, la Commission a adressé un avis motivé complémentaire à la République de Lettonie, dans lequel n’étaient abordées que les questions que la Cour n’avait pas traitées dans le cadre des arrêts mentionnés au point 21 du présent arrêt.

25 Par une lettre du 21 janvier 2013, la République de Lettonie a répondu à cet avis en exposant les motifs pour lesquels elle estimait que la position défendue par la Commission n’était pas fondée.

26 C’est dans ces conditions que la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Sur le recours

Argumentation des parties

27 La Commission estime que les activités exercées par le notaire dans l’ordre juridique letton ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE, tel qu’interprété par la Cour.

28 S’agissant, premièrement, de l’activité d’authentification des actes et des conventions, la Commission fait valoir, d’une part, que l’intervention du notaire suppose l’existence préalable d’un consentement des parties et, d’autre part, que le notaire ne peut modifier unilatéralement un acte sans avoir recueilli au préalable le consentement des parties concernées. Elle se réfère, à cet égard, à la jurisprudence de la Cour selon laquelle cette activité d’authentification ne saurait être assimilée à
une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

29 En outre, l’authentification des signatures des citoyens dans le cadre de la procédure de dépôt d’initiatives législatives citoyennes devrait faire l’objet de la même appréciation.

30 S’agissant, deuxièmement, des missions du notaire en matière de conservation de fonds, de valeurs mobilières et de documents, la Commission considère également qu’elles ne participent pas non plus à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE.

31 Troisièmement, les missions du notaire en matière de successions seraient, à l’instar des affaires qu’il gère en matière de divorce, non contentieuses, l’article 315 de la loi sur le notariat prévoyant que tout litige dans ce domaine doit être tranché dans le cadre d’un recours en justice.

32 Selon la Commission, ces activités revêtent un caractère préparatoire à l’exercice de l’autorité publique dans la mesure où elles aboutissent à l’établissement d’un inventaire du patrimoine, d’une évaluation de celui‑ci et d’un projet de partage de la succession que le notaire doit ensuite transmettre au juge. Il ne saurait, dès lors, être considéré que le notaire dispose, à cet égard, d’un pouvoir décisionnel contraignant.

33 En ce qui concerne, quatrièmement, les activités du notaire en matière de divorce, la Commission souligne que la loi sur le notariat ne confère aux notaires que le prononcé des divorces par consentement mutuel. Seul le juge serait compétent en cas de conflit entre les époux. Quant aux divorces transnationaux, le notaire ne procéderait qu’à la constatation purement formelle que l’un des époux se trouve effectivement domicilié sur le territoire letton.

34 Par ailleurs, le caractère spécifique du statut du notaire dans le droit letton, le serment de fidélité que celui‑ci doit prêter envers l’État letton, l’accès dont il dispose aux informations placées sous la responsabilité de l’État et l’utilisation des symboles étatiques ne seraient pas directement pertinents aux fins de l’appréciation de la nature des activités exercées par les notaires.

35 En particulier, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, en ce qui concerne le statut spécifique des notaires, c’est au regard de la nature des activités en cause, prises en elles‑mêmes, et non pas au regard de ce statut en tant que tel, qu’il convient de vérifier si ces activités relèvent de la dérogation prévue à l’article 51, premier alinéa, TFUE.

36 La Commission souligne également que la Cour a précisé que, s’il est vrai qu’une partie des honoraires des notaires est fixée par la loi, il n’en reste pas moins que la qualité des services fournis peut varier d’un notaire à l’autre en fonction des aptitudes professionnelles de ces derniers. La Cour aurait ainsi conclu que, dans les limites de leurs compétences territoriales respectives, les notaires exercent leur profession dans des conditions de concurrence, ce qui ne caractérise pas l’exercice
de l’autorité publique.

37 La République de Lettonie, soutenue par la République tchèque et la Hongrie, fait valoir, en premier lieu, que la profession de notaire ne saurait être considérée comme une activité d’entreprise au sens de l’article 49 TFUE, comme l’attesterait l’article 239 de la loi sur le notariat qui indique que l’activité professionnelle des notaires consiste en un travail intellectuel qui n’a pas pour but la réalisation de profits.

38 En outre, les notaires n’exerceraient pas leur profession dans une situation de libre concurrence, puisqu’ils ne choisiraient ni les services qu’ils fournissent, ni le lieu de leur délivrance, ni la rémunération en contrepartie de laquelle ces services sont fournis.

39 En tout état de cause, les notaires exerceraient en Lettonie des activités relevant de la participation à l’exercice de l’autorité publique, au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE, quand bien même ce ne serait pas le cas des notaires exerçant dans les États membres ayant fait l’objet, par les arrêts mentionnés au point 21 du présent arrêt, d’un constat en manquement.

40 En effet, d’une part, le notaire disposerait d’un pouvoir d’appréciation dans la mesure où il pourrait légalement refuser d’établir des actes notariés en lien avec des activités illégales.

41 D’autre part, les actes établis par les notaires dans l’accomplissement de leurs missions seraient pris au nom de l’État.

42 La République de Lettonie soutient, en deuxième lieu, que la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255, p. 22), telle que modifiée par la directive 2013/55/UE (JO L 354, p. 132, ci‑après la «directive 2005/36»), ne s’applique pas aux notaires, ce qui a pour effet de les exclure du champ d’application de la libre prestation de services et de la liberté d’établissement.

43 En troisième lieu, en ce qui concerne les activités exercées par les notaires, la République de Lettonie souligne que l’établissement d’actes authentiques constitue une manifestation de l’exercice de l’autorité publique, puisque l’authentification d’un document le rend opposable aux tiers.

44 Les actes authentiques établis par le notaire jouiraient ainsi d’une force probante parfaite ainsi que de la force exécutoire, et le fait qu’un acte notarié puisse faire l’objet d’un recours juridictionnel n’impliquerait pas qu’il constitue seulement un acte auxiliaire ou préparatoire.

45 En ce qui concerne les compétences du notaire en matière de successions, celui‑ci exercerait ses missions de manière indépendante et serait chargé d’établir des actes relatifs à la confirmation des droits des héritiers.

46 S’agissant des activités exercées par le notaire en matière de divorce, la République de Lettonie avance qu’il importe peu que ces activités soient limitées aux divorces par consentement mutuel, dans la mesure où la décision que le notaire est amené à prendre en la matière est une décision définitive s’imposant aux parties comme aux tiers. Le notaire ne serait soumis à aucune surveillance judiciaire dans l’accomplissement de ces fonctions particulières, y compris lorsque les divorces revêtent un
caractère transnational.

47 En outre, la circonstance que les divorces sont enregistrés à l’état civil confirmerait que la mission du notaire en cette matière participe à l’exercice de l’autorité publique (arrêt Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española, C‑405/01, EU:C:2003:515, point 42).

Appréciation de la Cour

48 Il y a lieu de relever tout d’abord que, dans les arrêts mentionnés au point 21 du présent arrêt, la Cour a considéré que la liberté d’établissement, telle que consacrée à l’article 49 TFUE, est applicable à la profession de notaire.

49 L’argument de la République de Lettonie, tel que résumé aux points 37 et 38 du présent arrêt, selon lequel la profession de notaire ne saurait être considérée comme une activité d’entreprise, n’est pas de nature à remettre en cause une telle appréciation.

50 En effet, d’une part, selon l’article 238 de la loi sur le notariat, les notaires exercent une profession libérale. D’autre part, il est constant que, en dehors des cas où le notaire est désigné par la loi, chaque partie a le libre choix du notaire. S’il est vrai que les honoraires des notaires sont fixés par la loi, il n’en reste pas moins que la qualité des services fournis peut varier d’un notaire à l’autre en fonction, notamment, des aptitudes professionnelles des personnes concernées.

51 Il s’ensuit que, dans les limites de leurs compétences territoriales respectives, les notaires exercent leur profession dans des conditions de concurrence.

52 Il convient, ensuite, de rappeler que l’article 49 TFUE vise à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d’un État membre qui s’établit dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité résultant des législations nationales en tant que restriction à la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêts Commission/France, 270/83, EU:C:1986:37, point 14, et Commission/Pays‑Bas, C‑157/09, EU:C:2011:794,
point 53).

53 Or, en l’espèce, la législation nationale litigieuse réserve l’accès à la profession de notaire aux seuls ressortissants lettons, consacrant ainsi une différence de traitement en raison de la nationalité, prohibée, en principe, par l’article 49 TFUE.

54 La République de Lettonie fait cependant valoir que les activités notariales sont soustraites du champ d’application de l’article 49 TFUE, puisqu’elles participent à l’exercice de l’autorité publique, au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE.

55 Il y a lieu de relever, à cet égard, que, dans les affaires qui ont donné lieu aux arrêts cités au point 21 du présent arrêt, il a été considéré que les activités confiées aux notaires concernés ne comportaient pas, au sens de la jurisprudence de la Cour, une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

56 Il convient dès lors de vérifier, à la lumière de cette jurisprudence, si les activités confiées aux notaires dans l’ordre juridique letton comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

57 En premier lieu, s’agissant de l’activité d’authentification, il n’est pas contesté que celle‑ci se caractérise par le fait que le notaire est tenu de vérifier, notamment, que toutes les conditions légalement exigées pour la réalisation de l’acte sont réunies.

58 En outre, font l’objet d’une authentification, en vertu de la législation lettone, les actes ou les conventions auxquels les parties ont librement souscrit. En effet, celles‑ci peuvent elles‑mêmes, dans les limites posées par la loi, déterminer la portée de leurs droits ainsi que de leurs obligations, et choisir librement les stipulations auxquelles elles entendent se soumettre lorsqu’elles présentent au notaire un acte ou une convention aux fins d’authentification. L’intervention de ce dernier
suppose, ainsi, l’existence préalable d’un consentement des parties ou d’un accord de volonté entre celles‑ci.

59 À cet égard, la Cour a jugé que l’activité d’authentification ainsi confiée aux notaires ne comporte pas, en tant que telle, une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE (voir par analogie, notamment, arrêt Commission/Belgique, C‑47/08, EU:C:2011:334, point 92).

60 Certes, ainsi que le souligne la République de Lettonie, lorsqu’il doit vérifier, avant de procéder à l’authentification d’un acte ou d’une convention, que toutes les conditions légalement exigées pour la réalisation de cet acte ou de cette convention sont réunies, le notaire poursuit un objectif d’intérêt général, à savoir garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers. Toutefois, la seule poursuite de cet objectif ne saurait justifier que les prérogatives
nécessaires à cette fin soient réservées aux seuls notaires ressortissants de l’État membre concerné (arrêt Commission/Belgique, C‑47/08, EU:C:2011:334, points 94 et 95).

61 Il est également vrai que le notaire doit refuser d’authentifier un acte ou une convention qui ne remplit pas les conditions légalement requises, et cela indépendamment de la volonté des parties. Cependant, à la suite d’un tel refus, ces dernières restent libres soit de remédier à l’illégalité constatée, soit de modifier les stipulations de l’acte ou de la convention en cause, soit encore de renoncer à cet acte ou à cette convention (voir arrêt Commission/Belgique, C‑47/08, EU:C:2011:334,
point 98).

62 Ainsi, à l’exception de l’argument relatif à l’opposabilité de l’acte aux tiers, lequel ne saurait néanmoins valablement prospérer en ce que ladite opposabilité se rattache seulement à la force probante de l’acte, il y a lieu de constater que la République de Lettonie ne fait état d’aucun élément qui permettrait de distinguer les activités notariales au sein de cet État membre de celles exercées dans les États membres qui ont fait l’objet, par les arrêts mentionnés au point 21 du présent arrêt,
d’un constat en manquement.

63 En outre, l’authentification par le notaire des signatures de citoyens dans le cadre de la procédure de dépôt d’initiatives législatives citoyennes ne saurait davantage, eu égard aux considérations figurant aux points 60 et 61 du présent arrêt, être considérées comme une participation à l’exercice de l’autorité publique.

64 Il convient, en deuxième lieu, de vérifier si les autres activités confiées au notaire dans l’ordre juridique letton et auxquelles la République de Lettonie fait référence comportent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

65 En ce qui concerne, premièrement, les activités relatives à la conservation des fonds, des valeurs mobilières et des documents, il y a lieu de constater que la République de Lettonie n’a pas contesté que de telles activités ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE.

66 À l’égard, deuxièmement, des missions exercées en matière de successions, il convient de souligner, d’une part, que le notaire ne peut procéder au partage du patrimoine qu’en l’absence de désaccord entre les héritiers et, d’autre part, qu’il est tenu, en cas de désaccord, conformément à l’article 250.3, paragraphe 5, du code de procédure civile, de transmettre au juge l’inventaire, l’évaluation et le projet de partage du patrimoine.

67 Les tâches confiées au notaire en matière successorale étant ainsi exercées, soit sur une base consensuelle, soit en tant que tâches préparatoires sous la surveillance du juge, elles ne sauraient, en conséquence, être considérées comme participant, en tant que telles, directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique.

68 S’agissant, troisièmement, des activités exercées en matière de divorce, il convient de relever que, conformément aux articles 325 et 327 de la loi sur le notariat, le notaire est compétent pour dissoudre un mariage dans la seule hypothèse où les deux époux ont exprimé leur accord sur le principe du divorce et où, lorsqu’ils ont un enfant en commun ou possèdent ensemble une propriété, ils ont conclu un contrat concernant la garde de l’enfant, les modalités des droits de visite et les moyens
nécessaires à son entretien, ou encore le partage de la propriété.

69 En outre, s’agissant des autres cas de divorce, il ressort des termes de l’article 233 du code de procédure civile, lequel fait partie du chapitre 29, intitulé «Aspects relatifs à l’annulation et à la dissolution du mariage», que leur traitement relève de la compétence du pouvoir judiciaire.

70 Force est ainsi de constater que la compétence du notaire en matière de divorce, qui repose exclusivement sur la volonté des parties et laisse intactes les prérogatives du juge en l’absence d’accord de celles‑ci, ne comporte aucune participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique.

71 Quant à l’argument que tire la République de Lettonie de l’arrêt Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española (C‑405/01, EU:C:2003:515), relativement au fait que, en Lettonie, le divorce par consentement mutuel prononcé par le notaire est enregistré par les services de l’état civil, il ressort du point 42 de cet arrêt que, lorsqu’elle a jugé que les fonctions confiées aux capitaines et aux seconds des navires marchands battant pavillon espagnol constituent une participation à l’exercice de
prérogatives de puissance publique, la Cour visait l’ensemble des fonctions exercées par ceux‑ci, en ce compris les prérogatives liées au maintien de la sécurité et à l’exercice des pouvoirs de police, lesquelles sont assorties, le cas échéant, de pouvoirs d’enquête, de coercition ou de sanction, et non les seules attributions dont disposent ces capitaines et ces seconds en matière d’état civil.

72 La conclusion énoncée au point 70 du présent arrêt n’est pas davantage remise en cause par la compétence confiée aux notaires en matière de divorces transnationaux, dans la mesure où, d’une part, ces divorces reposent sur la volonté commune des époux de dissoudre leur mariage et, d’autre part, la mission du notaire, à cet égard, consiste à vérifier que l’ensemble des conditions légalement exigées pour le prononcé d’un tel divorce sont réunies. Or, ainsi qu’il ressort des points 60 et 61 du
présent arrêt, cette tâche ne saurait être considérée comme participant directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique.

73 En ce qui concerne, en troisième lieu, le statut spécifique des notaires dans l’ordre juridique letton, il suffit de rappeler que c’est au regard de la nature des activités exercées par ces notaires, prises en elles‑mêmes, et non pas au regard de ce statut en tant que tel, qu’il convient de vérifier si ces activités relèvent de la dérogation prévue à l’article 51, premier alinéa, TFUE (voir, notamment, arrêt Commission/Belgique, C‑47/08, EU:C:2011:334, point 85).

74 Il est constant, par ailleurs, comme il a été dit au point 51 du présent arrêt, que les notaires exercent leur profession dans des conditions de concurrence, ce qui n’est pas caractéristique de l’exercice de l’autorité publique (voir par analogie, notamment, arrêt Commission/Belgique, C‑47/08, EU:C:2011:334, point 117).

75 Enfin, l’argument que tire la République de Lettonie de ce que la directive 2005/36 ne s’applique pas aux notaires n’emporte pas davantage la conviction. En effet, le fait que le législateur a choisi d’exclure les activités notariales du champ d’application d’un acte donné, en l’occurrence de cette directive, ne signifie pas pour autant que ces dernières relèvent nécessairement de la dérogation prévue à l’article 51, premier alinéa, TFUE (voir en ce sens, notamment, arrêt Commission/Belgique,
C‑47/08, EU:C:2011:334, point 119).

76 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les activités notariales, telles qu’elles sont définies en l’état actuel de l’ordre juridique letton, ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique au sens de l’article 51, premier alinéa, TFUE.

77 Il convient, par conséquent, de constater que la condition de nationalité requise par la législation lettone pour l’accès à la profession de notaire constitue une discrimination fondée sur la nationalité interdite par l’article 49 TFUE.

78 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le recours de la Commission est fondé.

Sur les dépens

79 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Lettonie et celle‑ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

80 Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République tchèque et la Hongrie supporteront, en conséquence, leurs propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête:

  1) En imposant une condition de nationalité pour l’accès à la profession de notaire, la République de Lettonie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE.

  2) La République de Lettonie est condamnée aux dépens.

  3) La République tchèque supporte ses propres dépens.

  4) La Hongrie supporte ses propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: le letton.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-151/14
Date de la décision : 10/09/2015
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d’État – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Notaires – Condition de nationalité – Article 51 TFUE – Participation à l’exercice de l’autorité publique.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Lettonie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Cruz Villalón
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2015:577

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