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18/06/2015 | CJUE | N°C-33/14

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Mory SA e.a. contre Commission européenne., 18/06/2015, C-33/14


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 18 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑33/14 P

Mory SA, en liquidation

Mory Team, en liquidation

Superga Invest

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Aide d’État — Recours en annulation — Aide illégale et incompatible — Obligation de récupération — Continuité économique — Décision ‘sui generis’ — Recevabilité — Intérêt à agir — Action devant les juridictions nationales — Qualité pour agir»

1.  Par le présent pourvoi, Mory SA, Mory Team et Superga Invest (ci‑après, prises ensemble, les «requérantes») demandent l’annulation de l’ordonnance du Trib...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 18 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑33/14 P

Mory SA, en liquidation

Mory Team, en liquidation

Superga Invest

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Aide d’État — Recours en annulation — Aide illégale et incompatible — Obligation de récupération — Continuité économique — Décision ‘sui generis’ — Recevabilité — Intérêt à agir — Action devant les juridictions nationales — Qualité pour agir»

1.  Par le présent pourvoi, Mory SA, Mory Team et Superga Invest (ci‑après, prises ensemble, les «requérantes») demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne Mory e.a./Commission ( 2 ) (ci‑après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui‑ci a rejeté comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir leur recours visant à l’annulation de la décision de la Commission européenne, du 4 avril 2012, concernant la reprise des actifs du groupe Sernam dans le cadre de son
redressement judiciaire ( 3 ) (ci‑après la «décision litigieuse»).

2.  La présente affaire s’inscrit dans le cadre de la tentative de restructuration du groupe Sernam, actif sur le marché du transport express de colis et de palettes, qui a donné lieu à plusieurs décisions de la Commission concernant des aides d’État octroyées à ce groupe. La décision litigieuse est la quatrième, et la dernière, de ces décisions. Dans cette décision, qualifiée par la Commission de «sui generis», cette institution, sur demande du gouvernement français, a constaté l’absence de
continuité économique entre le groupe Sernam et les repreneurs de ses actifs et a informé ledit gouvernement qu’il n’y avait pas lieu d’étendre à ces derniers la récupération des aides illégales et incompatibles octroyées au groupe Sernam. Les requérantes, qui se présentent comme ayant été des concurrentes directes de ce groupe, ont attaqué cette décision devant le Tribunal. Cependant, elles ont entre‑temps, comme le groupe Sernam, été mises en liquidation, ce qui a soulevé la question de leur
intérêt à agir devant le Tribunal.

3.  En bref, cette affaire soulève plusieurs questions importantes concernant, d’une part, l’intérêt à agir, et notamment ses relations avec la qualité pour agir et les conditions nécessaires pour disposer d’un tel intérêt en raison de l’existence d’actions engagées devant les juridictions nationales, et, d’autre part, les conditions de recevabilité pour attaquer les décisions adoptées par la Commission concernant la continuité économique entre le bénéficiaire d’une aide et le repreneur de certains
de ses actifs.

I – Les antécédents du litige

4. Par une décision adoptée le 23 mai 2001 ( 4 ) (ci‑après la «décision Sernam 1»), la Commission a autorisé, sous certaines conditions, une aide à la restructuration en faveur du groupe Sernam, d’un montant total de 503 millions d’euros.

5. Par une deuxième décision adoptée en 2004 ( 5 ) (ci‑après la «décision Sernam 2»), la Commission a constaté que certaines des conditions imposées par la décision Sernam 1 n’avaient pas été respectées, ce qui avait donné lieu à une application abusive de l’aide autorisée. Dans ce contexte, d’une part, elle a déclaré que, sous réserve du respect de nouvelles conditions, l’aide de 503 millions d’euros approuvée par la décision Sernam 1 était compatible avec le marché intérieur et, d’autre part, elle
a relevé la présence d’une aide supplémentaire de 41 millions d’euros, incompatible avec le marché intérieur et devant donc être récupérée par les autorités françaises.

6. À la suite de plaintes formées par des concurrents, parmi lesquels une société du groupe Mory, qui faisaient valoir que la décision Sernam 2 avait été appliquée abusivement, la Commission, par lettre du 16 juillet 2008 ( 6 ), a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE au sujet de l’application par cette dernière de la décision Sernam 2.

7. Le 27 juin 2011, Mory SA et Mory Team (ci‑après les «sociétés Mory») ont été placées en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny. En janvier et en février 2012, les sociétés constituant le groupe Sernam ont également été placées en redressement judiciaire.

8. Le 9 mars 2012, la Commission a adopté une troisième décision ( 7 ) (ci‑après la «décision Sernam 3»). Dans cette décision, la Commission a constaté que l’aide d’État d’un montant de 503 millions d’euros approuvée par la décision Sernam 2 avait été mise en œuvre de manière abusive, que le groupe Sernam avait bénéficié de cette aide, ainsi que de l’aide d’État d’un montant de 41 millions d’euros et d’autres aides d’État incompatibles avec le marché commun. Aux termes de l’article 2 du dispositif
de cette décision, la République française était tenue de récupérer toutes ces aides auprès du groupe Sernam.

9. Le même jour, deux offres de reprise ont été transmises à l’administrateur judiciaire du groupe Sernam, émanant la première de Geodis Calberson (ci‑après «Calberson»), la filiale du groupe Geodis (ci‑après «Geodis») active dans le secteur de la messagerie, la seconde de BMV. L’offre de reprise de Calberson était soumise à la condition qu’«aucune charge de restitution de tout ou partie des aides illégales versées à Sernam ne puisse être transférée avec les actifs repris ou du fait de la reprise,
ou être mise à la charge du repreneur». L’offre présentée par BMV n’était pas assortie d’une telle condition, mais était présentée comme étant indissociable de l’offre présentée par Calberson et devenait caduque si l’offre de cette dernière était refusée.

10. Le 23 mars 2012, les autorités françaises ont demandé à la Commission de confirmer que l’obligation de remboursement des aides d’État imposée au groupe Sernam par la décision Sernam 3 ne serait pas étendue à Geodis et à BMV, en cas de reprise par celles‑ci d’une partie des actifs du groupe Sernam dans le cadre de son redressement judiciaire.

11. Le 4 avril 2012, la Commission a adopté la décision litigieuse. Elle l’a qualifiée de décision sui generis au titre de la compétence attribuée à la Commission pour le contrôle des aides d’État prévu à l’article 108 TFUE, ainsi que de l’obligation de coopération loyale avec les États membres prévue à l’article 4, paragraphe 3, TUE ( 8 ). Elle a spécifié que cette décision ne concernait que l’objet de la notification reçue et non le caractère avisé ou non de l’investissement concernant la reprise
de certains actifs du groupe Sernam et qu’elle ne préjugeait pas de l’appréciation de ces investissements au regard de l’article 107 TFUE ( 9 ). À la suite de l’analyse de différents facteurs, la Commission a constaté qu’il n’y avait pas de continuité économique entre le groupe Sernam et les repreneurs d’une partie de ses actifs, Geodis et BMV. Elle a ainsi informé la République française que, au vu de ladite analyse et compte tenu de ses engagements, il n’y avait pas lieu d’étendre à Geodis et
à BMV la récupération des aides d’État déclarées illégales et incompatibles dans la décision Sernam 3, et dont avait bénéficié le groupe Sernam ( 10 ).

12. Le 13 avril 2012, le tribunal de commerce de Nanterre a retenu les offres de reprise déposées par Calberson ainsi que BMV et ordonné le transfert à leur profit de certains actifs du groupe Sernam avec une entrée en jouissance le 7 mai 2012.

13. Le 10 juillet 2012, les sociétés Mory ont été mises en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny.

II – La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

14. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 décembre 2012, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

15. Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir des requérantes.

16. Après avoir rappelé que, selon la jurisprudence, c’est au requérant qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir, le Tribunal a considéré qu’aucun des quatre arguments avancés par les requérantes n’était de nature à établir l’existence à leur endroit d’un intérêt à agir ( 11 ). En premier lieu, le Tribunal a rejeté l’argument des requérantes selon lequel le statut de partie intéressée d’une d’entre elles au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la
décision Sernam 3 et sa participation personnelle à cette procédure justifieraient leur intérêt à agir contre la décision litigieuse ( 12 ). En deuxième lieu, le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel l’intérêt à agir des requérantes se justifiait au regard de deux actions qu’elles avaient introduites devant les juridictions françaises, l’une en récupération des aides d’État accordées au groupe Sernam et l’autre en indemnité ( 13 ). En troisième lieu, le Tribunal a rejeté l’argument tiré de
ce que l’intérêt à agir des requérantes se justifiait par la circonstance que Superga Invest, en tant qu’actionnaire principal de Mory, subissait directement les conséquences des troubles concurrentiels soufferts par celle‑ci ( 14 ). Enfin, en quatrième lieu, le Tribunal a rejeté l’argument tiré de ce que, par la décision litigieuse, la Commission aurait implicitement écarté l’éventualité de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, privant ainsi les requérantes du bénéfice du droit
procédural à intervenir pour faire connaître leurs observations ( 15 ).

17. En conséquence, le Tribunal a conclu que, les requérantes n’ayant pas justifié de leur intérêt à agir contre la décision litigieuse, leur recours devait être déclaré irrecevable.

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

18. Par leur pourvoi, les requérantes concluent à ce que la Cour:

— annule l’ordonnance attaquée;

— renvoie l’affaire devant le Tribunal pour y être examinée sur le fond; et

— réserve les dépens.

19. La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérantes aux dépens.

20. Par acte déposé au greffe de la Cour le 19 mai 2014, Calberson SAS a demandé, sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du président de la Cour du 27 février 2015, cette demande a été rejetée.

IV – Analyse

21. À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent deux moyens: le premier tiré de l’existence d’erreurs de droit commises par le Tribunal lors de l’examen de leur intérêt à agir en annulation contre la décision litigieuse; le second tiré de la violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, en ce que le Tribunal a omis de constater qu’elles étaient directement et individuellement concernées par cette décision.

A – Observations liminaires: les relations entre qualité pour agir et intérêt à agir

22. Avant d’examiner les deux moyens soulevés par les requérantes, il convient d’analyser l’argumentation qu’elles ont avancée à titre préalable, selon laquelle il n’existerait pas de ligne de séparation entre, d’une part, la notion d’intérêt à agir et, d’autre part, celle d’affectation directe et individuelle (à savoir, de qualité pour agir), ces notions se confondant même totalement. Selon les requérantes, en considérant que ces notions sont distinctes, le Tribunal aurait commis une violation de
l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En effet, la démonstration qu’une personne est directement et individuellement concernée suffirait à elle seule à établir la recevabilité de son recours.

23. Cette argumentation ne saurait prospérer. Elle est en contradiction manifeste tant avec la finalité de ces notions, qu’avec la jurisprudence constante de laquelle il découle clairement que la qualité pour agir et l’intérêt à agir constituent deux conditions distinctes de recevabilité, qui font l’objet d’analyses séparées par les juges de l’Union ( 16 ).

24. Ainsi, la qualité pour agir est la condition de recevabilité qui permet d’identifier, parmi l’ensemble des personnes physiques ou morales, celles qui sont habilitées à introduire un recours en annulation contre un acte de l’Union. En effet, la possibilité d’attaquer en justice un acte de l’Union n’est pas ouverte indistinctement à toute personne. Elle est ouverte exclusivement à ceux qui peuvent faire valoir qu’ils se trouvent dans une situation particulière par rapport à l’acte de l’Union dont
ils veulent contester la légalité. C’est cette situation particulière qui les habilite à chercher auprès du juge de l’Union une protection juridictionnelle effective par rapport à cet acte.

25. L’article 263, quatrième alinéa, TFUE précise à quelles conditions une personne physique ou morale est recevable à introduire un recours en annulation contre un acte de l’Union. Ainsi, aux termes de cette disposition, se trouvent dans une situation particulière qui leur donne le droit d’introduire un tel recours: premièrement, les personnes, physiques ou morales qui sont le destinataire de l’acte en cause; deuxièmement, les personnes qui sont directement et individuellement concernées par
celui‑ci; troisièmement, les personnes qui sont directement concernées par un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution ( 17 ).

26. L’intérêt à agir, en revanche, tout en étant également une condition de recevabilité tenant au requérant, a trait à une exigence différente.

27. En effet, contrairement à ce que font valoir les requérantes, même si la personne qui conteste la légalité d’un acte de l’Union devant les juridictions de l’Union dispose de la qualité pour agir, cette circonstance n’est pas nécessairement suffisante pour garantir la recevabilité de son recours. Afin qu’il puisse saisir les juridictions de l’Union d’un recours en annulation, il est également nécessaire que le requérant dispose d’un intérêt à agir, à savoir d’un intérêt à voir annuler l’acte
attaqué.

28. Selon la jurisprudence, un tel intérêt suppose que l’annulation de l’acte attaqué soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté ( 18 ). Il s’ensuit que, afin que son recours puisse être considéré comme recevable, non seulement le requérant doit se trouver dans une situation particulière par rapport à l’acte dont il entend contester la légalité, mais encore l’annulation de cet
acte doit produire des effets positifs dans sa situation juridique. L’intérêt dont le requérant doit disposer ne doit pas se caractériser nécessairement en termes d’intérêt ou de bénéfice économique. Il peut également relever d’une exigence ou d’une nécessité de protection juridique ( 19 ). C’est cette exigence ou nécessité qui justifie la possibilité de saisir le juge de l’Union. Si le requérant ne peut tirer aucun bénéfice du fait que son recours soit éventuellement accueilli, la saisine du
juge ne saurait être justifiée. C’est donc afin de garantir la bonne administration de la justice, en évitant que le juge de l’Union ne soit saisi de questions purement théoriques, dont la solution n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences juridiques ou de procurer un bénéfice au requérant que toute personne introduisant une action en justice doit, indépendamment de la voie de recours choisie, avoir un intérêt à agir ( 20 ).

29. L’intérêt à agir, qualifié dans la jurisprudence de condition essentielle et première de tout recours ( 21 ), doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui‑ci, sous peine d’irrecevabilité ( 22 ) et doit, à cette date, être né et actuel ( 23 ). Il s’ensuit qu’il ne peut pas être évalué en fonction d’un événement futur et hypothétique ( 24 ). Il doit en outre perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non‑lieu à statuer ( 25 ). Enfin,
comme l’a relevé à juste titre le Tribunal au point 27 de l’ordonnance attaquée, c’est au requérant qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir.

30. Il découle des considérations qui précèdent que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, en droit de l’Union, la qualité pour agir et l’intérêt à agir sont deux conditions de recevabilité distinctes ( 26 ). Cette constatation trouve d’ailleurs confirmation dans la circonstance que, dans certaines affaires, le juge de l’Union a reconnu l’existence de la qualité pour agir dans le chef d’un requérant, mais il a nié l’existence d’un intérêt à agir ( 27 ).

B – Sur le premier moyen tiré d’erreurs dans l’examen de l’intérêt à agir des requérantes

31. Par un premier moyen, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis des erreurs en ne constatant pas qu’elles disposaient d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse. Ce moyen est subdivisé en quatre branches, qui visent chacune un des quatre arguments ‐ mentionnés au point 16 ci‑dessus ‐ avancés par les requérantes devant le Tribunal au soutien de l’existence de leur intérêt à agir et rejetés par celui‑ci dans l’ordonnance attaquée.

32. Si, dans le cadre de la première et de la quatrième branche, les requérantes confondent des arguments relatifs à la qualité pour agir et à l’intérêt à agir et, si la troisième branche a un caractère subsidiaire par rapport aux autres branches, c’est, en revanche, dans le cadre de la deuxième branche, relative à un éventuel fondement de l’intérêt à agir sur deux actions qu’elles ont engagées devant les juridictions nationales, que l’argumentation des requérantes concerne purement leur intérêt à
agir. J’estime donc opportun d’analyser d’abord la deuxième branche du premier moyen.

1. Sur la deuxième branche du premier moyen: intérêt à agir et instances introduites devant les juridictions nationales

33. Par la deuxième branche de leur premier moyen, les requérantes visent les points 36 à 51 de l’ordonnance attaquée et font valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit et d’appréciation en jugeant que les deux actions engagées devant les juges français à leur initiative ne permettaient pas d’établir leur intérêt à agir. La première de ces actions a été engagée par les requérantes devant le tribunal administratif de Paris le 25 avril 2007 et tend à contraindre l’État français à récupérer
les aides octroyées au group Sernam. La seconde action a été introduite devant le tribunal de commerce de Paris le 7 mai 2013, à savoir après l’introduction du recours en annulation devant le Tribunal contre la décision litigieuse, et tend à obtenir du groupe Sernam et de Geodis la réparation des préjudices que ces sociétés leur auraient causés en conséquence des avantages concurrentiels dont elles ont bénéficié en raison de l’octroi des aides illégales. Il y a lieu d’analyser séparément les
griefs des requérantes concernant chacune de ces deux instances.

a) Sur l’action en récupération des aides d’État introduite devant le tribunal administratif de Paris

i) L’ordonnance attaquée

34. Les requérantes contestent les points 39 à 41 de l’ordonnance attaquée, dans lesquels le Tribunal a exclu que leur intérêt à agir puisse se fonder sur le recours qu’elles ont introduit devant le tribunal administratif de Paris en 2007 pour contraindre l’État français à récupérer les aides d’État accordées au group Sernam. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a relevé, d’une part, que ce recours tendait non pas à la réparation du préjudice subi, mais à la récupération des aides accordées
au groupe Sernam et, d’autre part, que les requérantes n’avaient entrepris aucune démarche pendant de nombreuses années aux fins d’obtenir réparation du prétendu préjudice résultant de la distorsion de concurrence induite par lesdites aides.

ii) Arguments des parties

35. Les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur en écartant la possibilité pour eux de fonder leur intérêt à agir sur l’action en récupération des aides d’État qu’elles ont engagée devant le tribunal administratif de Paris. Contrairement à ce que laisserait entendre le Tribunal, il ne ressortirait d’aucun texte que l’intérêt à agir contre un acte de l’Union puisse se justifier uniquement par l’introduction d’une action en réparation devant les juridictions nationales. D’autres
instances valablement engagées devant une juridiction nationale pourraient tout à fait justifier un tel intérêt, telles que l’action qu’elles ont introduite devant le tribunal administratif de Paris. Cette action tendrait à obtenir la récupération des aides incompatibles par l’État français auprès de tous leurs bénéficiaires successifs, y compris Geodis. En outre, elles auraient mis expressément en cause Geodis dans le cadre de cette action, ce qui ressortirait de certains documents produits
devant la Cour. Or, la décision du Tribunal administratif sur cette action en récupération serait conditionnée par une éventuelle annulation de la décision litigieuse, dans la mesure où une telle annulation permettrait aux requérantes d’étendre leur demande de récupération des aides d’État à Geodis. Dans ces conditions, le Tribunal aurait dû reconnaître qu’une éventuelle annulation de la décision litigieuse produirait des conséquences juridiques sur l’action en récupération et qu’elle
procurerait ainsi un bénéfice aux requérantes, ce qui fonderait leur intérêt à agir. Les requérantes font également valoir qu’une décision du tribunal administratif de Paris condamnant l’État français à récupérer les aides illégales auprès de Geodis renforcerait les chances de succès de l’action en réparation engagée devant le tribunal de commerce de Paris.

36. La Commission observe, en revanche, que les sociétés Mory ne subsistent que pour les besoins de leur liquidation. Il serait donc exclu qu’elles puissent trouver un intérêt à agir dans la restauration de leur position concurrentielle grâce à la récupération des aides illégales et incompatibles accordées à Sernam. Dans leur requête devant le Tribunal, les requérantes n’auraient d’ailleurs invoqué que la possibilité d’engager une action en réparation des préjudices pour tenter de justifier un
intérêt à agir. En outre, l’argument tiré de l’extension de la demande de récupération des aides auprès de Geodis serait irrecevable, car cette extension aurait été effectuée postérieurement à l’ordonnance attaquée et ne pourrait ainsi pas être considérée pour en apprécier la légalité. D’ailleurs, la requête introductive d’instance devant le Tribunal ne mentionnerait pas cet argument puisque, à ce moment, Geodis n’avait pas encore acquis les actifs de Sernam. L’extension du recours à Geodis
n’aurait donc rien d’automatique. À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que, en tout état de cause, il n’est aucunement établi que ledit argument ait le moindre fondement ni la moindre chance de succès en droit national.

37. De surcroît, il semblerait, selon la Commission, que le tribunal administratif de Paris s’acheminait vers une ordonnance de non‑lieu à statuer. En effet, une fois que la Commission a statué en déclarant les aides en cause incompatibles et en ordonnant leur récupération, comme en l’espèce, l’instance entamée antérieurement devant le juge national perdrait son objet. Enfin, l’argument selon lequel une décision du tribunal administratif de Paris favorable aux requérantes renforcerait les chances de
succès de leur action en réparation serait un argument nouveau, donc irrecevable, et en tout cas non fondé.

iii) Analyse

38. Il convient, à titre liminaire, de relever qu’une lecture de la requête introductive d’instance ainsi que des observations sur l’exception d’irrecevabilité déposées par les requérantes devant le Tribunal montre sans aucun doute qu’elles se sont référées à plusieurs reprises à l’action en récupération qu’elles ont engagée devant le tribunal administratif de Paris et se sont appuyées sur cette action pour établir leur intérêt à agir. Il s’ensuit que l’argument tiré de cette action ne constitue
pas, en tant que tel, un élément nouveau dans le cadre du pourvoi et doit ainsi être considéré recevable.

39. Cela étant dit, l’argument utilisé par le Tribunal au point 40 de l’ordonnance attaquée pour nier l’existence d’un intérêt à agir dans le chef des requérantes, fondé sur l’action en récupération engagée devant le tribunal administratif de Paris ‐ à savoir que cette action ne visait pas la réparation de leurs éventuels préjudices ‐ ainsi que l’argumentation des requérantes y afférente soulèvent la question de caractère général de savoir quel type d’action engagée par un requérant devant une
juridiction nationale peut fonder un intérêt à agir devant les juridictions de l’Union. Est‑ce que seule une action en réparation peut fonder un tel intérêt, ainsi qu’il ressort du raisonnement du Tribunal, ou est‑ce que, ainsi que le font valoir les requérantes, toute action visant à la disparition d’un trouble concurrentiel causé par des aides incompatibles peut établir un tel intérêt?

40. La réponse à cette question se trouve, à mon avis, dans la définition d’intérêt à agir telle que développée par la jurisprudence ( 28 ), aux termes de laquelle l’intérêt à agir suppose que l’annulation de l’acte attaqué puisse procurer un bénéfice au requérant. À la lumière de cette définition, il convient de considérer que peut fonder un intérêt à agir devant le juge de l’Union toute action introduite par un requérant devant une juridiction nationale dans le cadre de laquelle l’éventuelle
annulation de l’acte attaqué devant le juge de l’Union peut procurer un avantage pour le requérant, notamment en relation avec cette action. Cette interprétation de l’intérêt à agir est confirmée par la circonstance que la Cour a reconnu l’existence d’un intérêt à agir en raison d’actions judiciaires autres qu’une action en indemnité ( 29 ).

41. Il s’ensuit, à mon avis, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 40 de l’ordonnance attaquée, que l’action engagée par les requérantes devant le tribunal administratif de Paris n’était pas en mesure de fonder leur intérêt à agir devant lui au seul motif que ladite action ne visait pas la réparation des préjudices éventuellement subis par les requérantes. Le Tribunal aurait en effet dû vérifier si, dans le cadre de leur action engagée devant ledit juge national, les
requérantes auraient pu tirer un bénéfice de l’annulation de la décision litigieuse.

42. Se pose donc la question de savoir si les requérantes auraient effectivement pu tirer un avantage de l’annulation de la décision litigieuse dans le cadre de leur action devant le tribunal administratif de Paris.

43. À cet égard, il convient d’abord de rejeter l’argument de la Commission selon lequel cette action aurait perdu son objet à la suite de la décision Sernam 3. En effet, bien qu’une lettre envoyée par le tribunal administratif aux requérantes et produite par celles‑ci devant la Cour puisse faire transparaître que le tribunal administratif ait eu des doutes quant à la volonté de celles‑ci de maintenir leur action ( 30 ), force est toutefois de constater qu’aucun élément du dossier n’étaye l’argument
de la Commission et que, en tout état de cause, il ne revient pas aux juridictions de l’Union de déclarer, dans le cadre d’un pourvoi, qu’une action engagée devant une juridiction nationale aurait perdu l’objet.

44. Or, les requérantes font valoir, en substance, qu’elles auraient pu tirer deux types d’avantages liés à l’action qu’elles ont engagée devant le tribunal administratif de Paris, qui auraient fondé leur intérêt à agir. D’une part, l’annulation de la décision litigieuse leur permettrait d’étendre la demande en récupération des aides d’État à Geodis dans le cadre de cette action. D’autre part, une décision favorable du tribunal administratif de Paris renforcerait les chances de succès de leur action
en réparation engagée devant le tribunal de commerce.

45. En ce qui concerne, en premier lieu, l’éventuel élargissement à Geodis du cercle des personnes auprès desquelles l’État devrait récupérer les aides incompatibles, la Commission soutient que cet argument serait irrecevable, car il ne figurait pas dans la requête introductive d’instance et l’extension à Geodis de la demande de récupération des aides d’État serait un élément postérieur à l’ordonnance attaquée qui ne pourrait donc pas être pris en considération pour en apprécier la légalité. Il
serait constant que, au moment où le Tribunal a rendu l’ordonnance attaquée, il n’existait pas d’action valablement engagée par les requérantes à l’encontre de Geodis devant le tribunal administratif de Paris.

46. Toutefois, à cet égard, force est de constater que, comme je l’ai déjà mentionné au point 38 ci‑dessus, dans leur requête en première instance et dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité déposée devant le Tribunal, les requérantes ont bien exposé qu’elles avaient intenté une action en récupération des aides d’État devant le tribunal administratif de Paris. Dans ce contexte, elles ont exposé, d’une part, que cette action visait à contraindre le ministère de l’Économie français à
récupérer les aides illicites auprès de tout bénéficiaire et détenteur éventuel de ces aides, ce que la Commission reconnaît, et, d’autre part, qu’il existait un lien direct entre cette action et la procédure devant le Tribunal, dans la mesure où, si Geodis était considérée comme ayant bénéficié d’un transfert des aides illicites antérieurement accordées au groupe Sernam, cette société aurait dû les restituer à l’État.

47. Dans ces conditions, la Commission ne saurait soutenir que l’argument en cause serait nouveau et donc irrecevable. Une autre question, sur laquelle je reviendrai tout de suite, est celle de savoir si la circonstance que, au moment où le Tribunal a rendu l’ordonnance attaquée, l’action en récupération n’avait pas encore été étendue à Geodis a une influence sur le caractère né et actuel de l’éventuel intérêt à agir des requérantes.

48. Une fois admise la recevabilité de cet argument, il faut en vérifier le fondement. À cet égard, il convient d’abord de rappeler que, ainsi que je l’ai exposé au point 11 ci‑dessus, par la décision litigieuse, la Commission a constaté qu’il n’y avait pas de continuité économique entre, d’une part, le groupe Sernam et, d’autre part, Geodis et BMV et que, pour cette raison, il n’y avait pas lieu pour les autorités françaises d’étendre à ces deux dernières sociétés la récupération des aides d’État
octroyées au groupe Sernam. Or, dans la mesure où l’action pendante devant le tribunal administratif de Paris concerne la récupération de ces mêmes aides auprès de tout bénéficiaire, l’existence d’une connexion directe entre la décision litigieuse et la procédure nationale me semble difficilement niable. En effet, en excluant l’obligation de récupération des aides en cause auprès de Geodis et de BMV, la décision litigieuse est susceptible d’avoir un impact sur la procédure pendante devant le
tribunal administratif de Paris en ce que ce juge ne pourra pas, le cas échéant, ordonner la récupération des aides d’État auprès de ces personnes. Il s’ensuit que, en principe, en supprimant un obstacle au possible élargissement du cercle des personnes auprès desquelles les aides peuvent être récupérées, l’annulation de la décision litigieuse procurerait un bénéfice aux requérantes en relation avec l’action pendante devant ledit juge national. À cet égard, toutefois, trois considérations me
semblent pertinentes.

49. Premièrement, l’existence d’un véritable bénéfice pour les requérantes en relation avec l’action pendante devant le tribunal administratif de Paris en cas d’annulation de la décision litigieuse, bénéfice qui justifierait l’intérêt à agir, dépend de l’effet que ladite décision a sur l’instance nationale. Autrement dit, il convient de vérifier si le juge national est lié par la décision litigieuse.

50. À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments pour les destinataires qu’elles désignent. En conséquence, l’État membre destinataire d’une décision de la Commission concernant la récupération des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur est tenu, en vertu de cet article, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de ladite décision. Ce caractère obligatoire
s’impose à tous les organes de l’État destinataire, y compris à ses juridictions ( 31 ).

51. En l’espèce, la décision litigieuse a la forme d’une décision aux termes de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE qui est adressée à la République française. À la lumière de la jurisprudence mentionnée au point précédent, elle s’impose à l’État membre destinataire, y compris à ses juridictions dans son contenu. Il s’ensuit, à mon avis, que le tribunal administratif de Paris est lié par une telle décision et que, sauf en cas d’annulation, il ne pourra pas la contredire en ordonnant la
récupération des aides d’État octroyées au group Sernam auprès de Geodis et de BMV ( 32 ).

52. Deuxièmement, il convient de vérifier si la circonstance que, au moment où le Tribunal a rendu l’ordonnance attaquée, l’action en récupération n’avait pas encore été étendue à Geodis empêche de reconnaître un intérêt à agir né et actuel dans le chef des requérantes. À cet égard, il est vrai, ainsi qu’il ressort des documents versés au dossier, que l’extension concrète de l’action en récupération à Geodis est intervenue à une date postérieure à l’ordonnance attaquée. Toutefois, force est de
constater que, lorsque le recours devant le Tribunal a été introduit, ladite action avait déjà été engagée et elle était encore en cours au moment de l’adoption de l’ordonnance attaquée. Cette action visait tous les bénéficiaires et détenteurs éventuels des aides d’État en cause, y compris, donc, Geodis, dans le cas où, contrairement à ce qu’a établi la décision litigieuse, celle‑ci aurait été reconnue comme bénéficiaire successif de ces aides. En outre, dans leurs observations sur l’exception
d’irrecevabilité déposée devant le Tribunal, les requérantes avaient mis en exergue leur intérêt à étendre la récupération des aides d’État à Geodis et le lien direct entre la décision litigieuse et l’issue de la procédure pendante devant le juge national. Dans ces circonstances, je ne crois pas que l’on puisse considérer l’extension de l’action en récupération à Geodis comme un événement purement hypothétique qui ne saurait fonder un intérêt à agir né et actuel devant le Tribunal.

53. Troisièmement, il convient d’analyser l’argument de la Commission selon lequel, les sociétés Mory étant en liquidation et n’étant donc plus actives sur le marché, elles n’auraient pas d’intérêt à la restauration de leur position concurrentielle par la récupération des aides d’État et ainsi elles n’auraient pas d’intérêt à agir contre la décision litigieuse.

54. Toutefois, par cet argument, la Commission confond, à mon avis, l’intérêt à agir dans la procédure devant le juge national avec l’intérêt à agir nécessaire devant les juridictions de l’Union. En effet, comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises, selon la jurisprudence des juges de l’Union, l’intérêt à agir suppose que l’annulation de l’acte attaqué puisse produire un bénéfice au requérant. Or, j’ai relevé qu’une éventuelle annulation de la décision litigieuse supprimerait un obstacle empêchant
d’étendre l’action en récupération pendante devant le juge national à d’autres bénéficiaires potentiels des aides d’État déclarées incompatibles. C’est celui‑ci le bénéfice pour les requérantes qui justifie leur intérêt à agir contre la décision litigieuse.

55. En revanche, c’est devant le tribunal administratif de Paris et non devant les juges de l’Union qu’est demandée la récupération des aides d’État. Or, affirmer que les requérantes n’ont plus d’intérêt à récupérer lesdites aides d’État équivaudrait à déclarer qu’elles n’ont plus d’intérêt à poursuivre la procédure nationale, ce qu’il ne revient pas au juge de l’Union de faire. Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’elle a affirmé à l’audience, c’est la Commission elle‑même qui par son argument
risque d’importer dans la procédure devant les juridictions de l’Union une condition de recevabilité de l’action engagée devant le juge national. Cet argument doit donc être rejeté.

56. En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argument des requérantes selon lequel leur intérêt à agir se justifierait par le fait qu’une décision favorable du tribunal administratif de Paris renforcerait les chances de succès de leur action en réparation engagée devant le tribunal de commerce, je relève que, indépendamment de la question de sa recevabilité, les requérantes n’expliquent pas quel serait le lien entre les deux actions qui justifierait le prétendu renforcement des chances de succès de
l’action en réparation. Dans ces conditions, cet argument ne saurait prospérer.

57. Dans la mesure où cet argument doit être compris en ce sens que, si le tribunal administratif de Paris devait reconnaître l’obligation de récupérer les aides auprès de Geodis en tant que bénéficiaire des aides, alors Geodis pourrait être éventuellement reconnue comme responsable des préjudices subis par les sociétés Mory, il se confond avec l’argumentation relative à l’action en réparation et sera analysé dans la partie y relative.

58. Il s’ensuit de tout ce qui précède que, en ne constatant pas que, dans le cadre de leur action engagée devant le tribunal administratif de Paris, les requérantes auraient pu tirer un bénéfice de l’annulation de la décision litigieuse, le Tribunal a, à mon avis, commis une erreur de droit. Je propose donc d’annuler l’ordonnance attaquée.

b) Sur l’action en indemnité introduite devant le tribunal de commerce de Paris

i) L’ordonnance attaquée

59. Les requérantes contestent, ensuite, les points 42 à 50 de l’ordonnance attaquée, dans lesquels le Tribunal a constaté qu’elles n’avaient pas établi qu’une annulation de la décision litigieuse faciliterait le recours en indemnité qu’elles ont introduit devant le tribunal de commerce de Paris, tendant à la condamnation solidaire du groupe Sernam et de Geodis à réparer les préjudices que ces sociétés leur auraient causés en bénéficiant des aides d’État illégales. À cet égard, le Tribunal a
constaté, d’une part, que l’annulation de la décision litigieuse n’apporterait aucun bénéfice aux requérantes pour autant que l’action vise le groupe Sernam, dès lors que la décision Sernam 2 avait déjà indiqué que les aides dont a bénéficié le groupe Sernam étaient illégales et incompatibles. Ainsi, les requérantes auraient pu agir en réparation depuis l’adoption de cette décision.

60. D’autre part, quant à Geodis, le Tribunal a considéré que, ayant repris les activités du groupe Sernam à une date postérieure à celle de la décision litigieuse, Geodis ne saurait être responsable de la mauvaise situation financière des requérantes. Celles‑ci n’auraient pas non plus établi que Geodis pourrait être tenue pour responsable en droit national du prétendu préjudice causé par le groupe Sernam pour la seule raison qu’elle a repris certains des actifs de ce groupe. Par ailleurs, le
Tribunal a considéré que, les sociétés Mory ayant cessé toute activité économique depuis leur liquidation, elles ne sauraient subir aucun préjudice ultérieur qui serait causé par la reprise des actifs du groupe Sernam par Geodis.

ii) Arguments des parties

61. Les requérantes soutiennent que le Tribunal a considéré à tort que l’action en réparation introduite devant le tribunal de commerce de Paris ne peut pas fonder leur intérêt à agir. D’abord, cette action ne serait pas tardive. En effet, elle ne serait devenue possible qu’avec l’adoption de la décision Sernam 3 déclarant les aides incompatibles, les décisions Sernam 1 et 2 étant des décisions d’autorisation conditionnelle. Ensuite, le fait que l’action en réparation n’avait pas été encore
introduite lorsque le Tribunal a été saisi du recours en annulation ne permettrait pas de conclure au défaut d’intérêt à agir. En effet, d’une part, cette action avait été expressément annoncée dans la requête devant le Tribunal et, d’autre part, elle a été engagée avant l’adoption de l’ordonnance attaquée. En outre, le Tribunal ne pourrait pas – aux fins de la détermination de l’existence d’un intérêt à agir devant lui – substituer son appréciation sur le bien‑fondé d’une action en réparation
contre Geodis à celle de la juridiction nationale et considérer que cette action serait vouée à l’échec. Une action contre Geodis serait, en tout état de cause, légitime dès lors que celle‑ci, d’une part, a été responsable de la non‑application de la décision Sernam 1 et, d’autre part, devrait être considérée comme le bénéficiaire actuel des aides incompatibles et, à ce titre, débitrice de l’obligation d’en réparer les conséquences préjudiciables pour les sociétés Mory, solidairement avec les
bénéficiaires successifs desdites aides et leur dispensateur. Enfin, si la décision litigieuse était annulée, les requérantes pourraient invoquer à l’encontre de Geodis la théorie de l’enrichissement sans cause. S’agissant d’un argument au soutien d’un moyen plus général déjà développé devant le Tribunal, cet argument serait recevable dans le cadre d’un pourvoi.

62. Selon la Commission, afin de justifier d’un intérêt à agir, il n’est pas suffisant de se prévaloir de n’importe quel recours en indemnité futur ou présent introduit devant un juge national, sans égard pour la possibilité d’obtenir gain de cause. Selon la jurisprudence, un requérant devrait établir un intérêt réel et caractérisé à l’annulation demandée dans le cadre d’un recours en responsabilité (même éventuel) devant les juridictions nationales qui, toutefois, ne soit pas purement hypothétique.
Dans les autres cas, le droit du requérant s’exercerait, si les conditions sont remplies, par exception d’illégalité devant les juridictions nationales, ce qui permettrait d’éviter de saisir les juges de l’Union de litiges inutiles. Or, en l’espèce, une démonstration de l’intérêt réel à l’annulation demandée aurait fait manifestement défaut en première instance. Les requérantes n’auraient déposé leur recours en responsabilité que pour répondre à l’exception d’irrecevabilité de la Commission, et
cela plus d’un an après la décision Sernam 3. L’argument selon lequel Geodis pourrait être considérée comme responsable de la non‑application de la décision Sernam 1 serait un argument nouveau irrecevable dans le cadre d’un pourvoi. Il serait, en outre, manifestement non fondé, car cette décision aurait imposé une obligation non à Geodis, mais à l’État français. Enfin, l’argument fondé sur l’enrichissement sans cause serait également manifestement irrecevable, car il aurait été avancé pour la
première fois dans le cadre du pourvoi. En tout état de cause, aucun argument sérieux ne serait présenté à l’appui de cette théorie.

iii) Analyse

63. Afin qu’un requérant puisse disposer d’un intérêt à agir né et actuel devant le juge de l’Union fondé sur une action, notamment en indemnité, intentée devant une juridiction nationale, est‑il nécessaire qu’il ait déjà intenté cette action au moment de l’introduction du recours devant le juge de l’Union? Ce requérant doit‑il prouver – et, si oui, quel est le standard de preuve – que l’action qu’il a intentée devant le juge national a des chances de succès? Et jusqu’à quel point le juge de l’Union
doit‑il – voire, peut‑il ‐ apprécier les chances de succès de l’action intentée devant le juge national pour conclure qu’elle est susceptible de fonder un intérêt à agir né et actuel devant lui?

64. Telles sont certaines des questions soulevées dans cette partie du pourvoi des requérantes.

65. Afin de répondre à ces questions, il convient, à mon avis, d’une part, de rappeler que la jurisprudence a caractérisé l’intérêt à agir comme un intérêt né et actuel qui ne peut pas être évalué en fonction d’un événement futur et hypothétique ( 33 ). D’autre part, j’estime utile d’effectuer une analyse de la jurisprudence et, notamment, des affaires dans lesquelles l’intérêt à agir devant le juge de l’Union a été examiné au regard des liens entre le recours en annulation et une autre action en
justice. Une telle analyse donne en effet des indications utiles.

– Analyse de la jurisprudence: intérêt à agir et actions judiciaires

66. Une analyse de la jurisprudence pertinente permet d’identifier trois types d’affaires.

67. Une première série d’affaires concerne des cas dans lesquels l’existence de l’intérêt à agir a été examinée en relation avec l’introduction d’un recours en indemnité contre l’Union devant les juridictions de l’Union. Dans ce type d’affaires, selon une jurisprudence constante, le requérant dispose d’un intérêt à demander l’annulation d’un acte l’affectant directement pour obtenir la constatation, par le juge de l’Union, d’une illégalité commise à son égard, de sorte qu’une telle constatation
puisse servir de base à un recours éventuel en indemnité destiné à réparer de façon adéquate le dommage causé par l’acte attaqué ( 34 ). Dans ce contexte, la Cour a spécifié que la persistance (et donc, a fortiori, l’existence) de l’intérêt à agir d’un requérant doit être appréciée in concreto, en tenant compte, notamment, des conséquences de l’illégalité alléguée et de la nature du préjudice prétendument subi ( 35 ).

68. Ainsi, force est de constater que, selon la jurisprudence, dans cette première série d’affaires, la simple éventualité de l’introduction d’un recours en indemnité est suffisante pour fonder un intérêt à agir né et actuel. Il n’est en revanche aucunement nécessaire à cette fin que le recours en indemnité ait déjà été introduit au moment de l’introduction du recours en annulation.

69. À cet égard, il convient encore de relever, d’une part, que, dans cette hypothèse, la constatation de l’illégalité de la part de l’Union constitue nécessairement un préalable au recours en indemnité contre l’Union elle‑même, et, d’autre part, que, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 29 et 65 ci‑dessus, l’introduction d’un tel recours en indemnité ne doit pas, en tout état de cause, être purement hypothétique. Ainsi, dans l’affaire Socratec/Commission ( 36 ), le Tribunal a
constaté, sur la base d’une série d’éléments, que le recours en indemnité contre l’Union invoqué, en l’espèce, par la requérante pour justifier son intérêt à agir avait un caractère purement hypothétique. Le Tribunal a ainsi conclu au défaut d’intérêt à agir de la requérante et, par conséquent, à l’irrecevabilité de son recours ( 37 ).

70. Une deuxième série d’affaires, toutes tranchées par le Tribunal et parmi lesquelles se trouvent les affaires Sniace/Commission ( 38 ) et Salvat père & fils e.a./Commission ( 39 ), auxquelles s’est référée la Commission dans ses écritures, concerne une situation différente ( 40 ). Dans ces affaires, en effet, les requérants prétendaient fonder leur intérêt à agir sur le risque que des tiers puissent intenter des actions en justice contre eux devant les juridictions nationales. Le Tribunal a
adopté une approche selon laquelle l’intérêt à agir peut être déduit soit de l’existence d’un risque avéré que la situation juridique des requérants soit affectée par des actions en justice, soit de l’existence d’un risque né et actuel d’actions en justice ( 41 ).

71. Alors que, dans les affaires Sniace/Commission et Salvat père & fils e.a./Commission, citées par la Commission, le Tribunal avait conclu à l’absence d’un risque avéré, dans l’affaire TV2/Danmark e.a./Commission, il a, en revanche, conclu à l’existence d’un tel risque. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a notamment pris en considération le fait que, après le dépôt du recours en annulation devant lui, une action en indemnité avait effectivement été engagée par un tiers contre la
requérante afin d’obtenir le remboursement du prétendu préjudice causé par l’utilisation de l’aide d’État illégale en cause. Selon le Tribunal, l’engagement de cette action avait matérialisé l’existence du risque avéré qu’une telle action soit engagée ( 42 ).

72. Force est donc de constater que, également dans cette deuxième série d’affaires, comme dans la première, selon la jurisprudence, l’existence, à la date d’introduction du recours en annulation devant le juge de l’Union, d’un risque d’actions en justice qui puissent affecter la situation juridique du requérant en relation avec l’acte attaqué, pour autant qu’il soit avéré, suffit à établir l’intérêt à agir, sans qu’il soit nécessaire que l’action ait déjà été intentée.

73. Dans une troisième série d’affaires, le juge de l’Union a analysé l’intérêt à agir d’un requérant au regard d’éventuelles actions susceptibles d’être intentées par lui‑même devant les juridictions nationales. Ainsi, dans l’affaire Lech‑Stahlwerke/Commission ( 43 ), la Cour a reconnu l’existence d’un intérêt à agir dans le chef de la requérante fondé sur une action qu’elle aurait éventuellement pu intenter devant un juge national ( 44 ). Dans l’ordonnance First Data e.a./Commission ( 45 ), qui
portait sur l’article 101 TFUE, le Tribunal a en revanche nié l’existence d’un intérêt à agir des requérantes en considérant que l’annulation de la décision litigieuse n’était pas nécessaire pour fonder leur éventuel recours en indemnité contre le bénéficiaire d’une décision d’attestation négative ( 46 ).

74. Or, l’analyse de la jurisprudence que je viens d’effectuer permet, à mon avis, de tirer certains enseignements quant à la possibilité d’invoquer d’autres actions judiciaires pour fonder l’existence d’un intérêt à agir dans le cadre d’un recours en annulation devant le juge de l’Union.

75. En premier lieu, afin qu’une action judiciaire, notamment en indemnité, puisse fonder l’intérêt à agir d’un requérant, il n’est pas absolument nécessaire que cette action ait déjà été intentée au moment de l’introduction du recours en annulation devant le juge de l’Union. Cependant, il est nécessaire que, à ce moment, l’engagement d’une telle action ne soit pas purement hypothétique, mais qu’il existe une probabilité avérée qu’une telle action soit intentée. La circonstance que cette action soit
intentée au cours de l’instance a été considérée comme matérialisant une telle probabilité avérée.

76. En deuxième lieu, il est nécessaire qu’il existe un lien direct entre l’éventuelle annulation de l’acte de l’Union attaqué et l’action (notamment, en indemnité) invoquée pour étayer l’existence de l’intérêt à agir pour obtenir l’annulation de cet acte. Ce lien direct présuppose que l’annulation de l’acte attaqué soit nécessaire afin que la situation juridique du requérant soit affectée dans le cadre de l’action judiciaire invoquée. Ainsi que je l’ai mentionné au point 29 ci‑dessus, il incombe au
requérant d’établir l’existence de ce lien direct existant entre l’éventuelle annulation de l’acte de l’Union et l’affectation de sa situation juridique.

77. En troisième lieu, force est de constater que, dans aucune des affaires examinées, le juge de l’Union ne s’est livré à une analyse (encore moins à une analyse détaillée) des chances de succès de l’action invoquée pour reconnaître l’intérêt à agir, et cela indépendamment de la circonstance que cette action ait été (potentiellement) intentée devant le juge de l’Union lui‑même ou devant un juge national. Dans aucune de ces affaires les juridictions de l’Union n’ont nié l’existence de l’intérêt à
agir sur la base d’une analyse au fond des chances de succès de l’action en justice invoquée.

78. Or, la question du degré de probabilité de succès de l’action intentée devant le juge national, qu’un requérant devrait prouver pour établir son intérêt à agir, et celle, connexe, de l’appréciation que devrait en faire le juge de l’Union, sont des questions délicates. En effet, elles présupposent une mise en balance d’exigences différentes: d’un côté, l’exigence que le juge de l’Union ne soit pas saisi de questions purement théoriques, dont la solution n’est pas susceptible d’entraîner des
conséquences juridiques, et, d’un autre côté, l’exigence de respecter les domaines de compétence respectifs du juge de l’Union et des juges nationaux.

79. Dans cette perspective, si le juge de l’Union doit, certes, contrôler que le requérant a établi l’existence d’un intérêt réel à l’annulation demandée dans le cadre d’un recours, même éventuel, devant les juridictions nationales, en revanche, il ne doit pas ‐ ni ne peut – se substituer à la juridiction nationale pour statuer sur le bien‑fondé de ce recours, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission elle‑même.

80. Dans ces conditions, à la lumière de l’analyse de la jurisprudence effectuée aux points 67 à 73 ci‑dessus, j’estime que, si un requérant a prouvé le caractère non hypothétique de l’action invoquée au soutien de son intérêt à agir, ainsi que l’existence d’un lien direct entre l’éventuelle annulation de l’acte de l’Union attaqué et l’affectation de sa situation juridique dans le cadre de ladite action, cela devrait suffire à étayer son intérêt à agir, sauf dans les cas où cette action avait un
caractère artificiel ou fictif ou elle était manifestement irréaliste. En effet, une appréciation des chances de succès d’une action engagée devant le juge national, même sommaire, comporte nécessairement un examen au fond de cette action sur la base du droit national. Or, une telle analyse ne relève pas, à mon avis, du juge de l’Union.

81. À cet égard, il convient encore de relever qu’il est vrai, ainsi que le fait valoir la Commission, qu’un éventuel rejet d’un recours en annulation en raison d’un défaut d’intérêt à agir laisse intacte la possibilité, pour ce dernier, de mettre en cause la validité de l’acte de l’Union objet dudit recours dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, s’il apparaît ultérieurement que la légalité de cet acte puisse être considérée comme déterminante par le juge national pour statuer sur le recours pendant
devant lui. Cette circonstance a, d’ailleurs, été mentionnée dans la jurisprudence ( 47 ). Cependant, cette possibilité n’enlève rien au fait que le requérant qui dispose d’un intérêt à agir né et actuel, tel que défini dans la jurisprudence ( 48 ), ainsi que de la qualité pour agir, doit pouvoir être en mesure d’attaquer l’acte devant les juridictions de l’Union.

– Application en l’espèce

82. C’est donc à la lumière de ces principes qu’il convient d’analyser les griefs avancés par les requérantes à l’encontre de l’ordonnance attaquée. Il y a ainsi lieu de vérifier si, ainsi que l’a considéré le Tribunal, l’annulation de la décision litigieuse n’aurait procuré aux requérantes aucun avantage dans le cadre de l’action en réparation intentée devant le tribunal de commerce de Paris et que donc elles ne disposaient pas d’un intérêt à agir contre cette décision.

83. À cet égard, il convient, à titre liminaire, de rejeter l’argument avancé par la Commission (et évoqué au point 41 de l’ordonnance attaquée), selon lequel une telle action aurait été tardive. En effet, bien que l’action en indemnité contre le groupe Sernam et Geodis n’ait pas été encore intentée lors de l’introduction du recours en annulation devant le Tribunal, ainsi que je l’ai relevé ci‑dessus, cette circonstance n’est, selon la jurisprudence, pas décisive. En l’espèce, en revanche, force est
de constater que les requérantes ont bien mentionné dans leur requête introductive d’instance une telle action. Cette action s’est ensuite matérialisée en cours d’instance par l’introduction du recours en responsabilité devant le tribunal de commerce de Paris. Dans ces conditions, j’estime qu’il ne peut pas être considéré que, au moment de l’introduction du recours devant le Tribunal, une telle action avait un caractère purement hypothétique ( 49 ). D’ailleurs, s’il est vrai que l’action en
indemnité contre le groupe Sernam aurait pu être intentée plus tôt, l’action en indemnité contre Geodis ne pouvait toutefois pas être intentée avant que celle‑ci ait acquis les actifs du groupe Sernam, ce qui a certainement pu avoir lieu après la décision litigieuse, comme l’a relevé le Tribunal lui‑même au point 44 de l’ordonnance attaquée.

84. Ensuite, dans la mesure où l’action en indemnité introduite devant le tribunal de commerce de Paris visait solidairement le groupe Sernam et Geodis, le Tribunal a effectué une distinction entre le préjudice prétendument causé aux requérantes par le groupe Sernam et celui prétendument causé par Geodis.

85. En ce qui concerne, en premier lieu, la réparation du prétendu préjudice causé aux requérantes par le groupe Sernam en raison des bénéfices découlant de l’octroi des aides d’État, je partage l’analyse du Tribunal exposée au point 43 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle l’annulation de la décision litigieuse ne serait susceptible d’apporter aucun avantage à cet égard aux requérantes. En effet, les décisions Sernam 2 et Sernam 3 avaient déjà constaté que le groupe Sernam avait bénéficié des
aides illégales et incompatibles et pouvaient donc déjà constituer la base d’un recours en indemnité contre le groupe Sernam. La décision litigieuse concerne en revanche exclusivement la question de l’existence d’une continuité économique entre le groupe Sernam et Geodis. Dans ces conditions, force est de constater qu’elle ne saurait être invoquée au soutien d’une éventuelle responsabilité du groupe Sernam. Son annulation ne comporterait aucune conséquence à cet égard. En d’autres termes, il n’y
a aucun lien direct entre l’annulation de la décision litigieuse et l’action en indemnité contre le groupe Sernam ( 50 ).

86. En ce qui concerne, en deuxième lieu, la réparation du prétendu préjudice causé aux requérantes par Geodis, le Tribunal a exclu que Geodis puisse avoir été responsable de la mauvaise situation financière des requérantes et de leur liquidation ( 51 ). Ensuite, il a jugé que les requérantes n’avaient pas établi qu’en droit national Geodis pourrait théoriquement être tenue pour responsable du prétendu préjudice causé aux requérantes par le groupe Sernam du simple fait qu’elle a repris certains de
ses actifs ( 52 ). Enfin, il a considéré que, les sociétés Mory ayant cessé toute activité économique depuis leur liquidation, elles ne pouvaient subir un préjudice causé par Geodis.

87. Or, à mon avis, de telles constatations de la part du Tribunal s’approchent – voire, au moins en partie, relèvent ‐ d’une appréciation au fond de l’action pendante devant le juge national, ce qu’il n’appartient pas au juge de l’Union d’effectuer, comme je l’ai relevé au point 80 ci‑dessus. La question fondamentale afin d’établir si les requérantes disposent ou non d’un intérêt à agir n’est pas celle de déterminer si Geodis est ou non responsable des préjudices prétendument subis par les
requérantes, ce qu’il revient au juge national de déterminer.

88. Une fois établi que l’action n’est pas manifestement irréaliste ( 53 ), la question pertinente est plutôt d’apprécier si les requérantes ont démontré à suffisance de droit l’existence d’un lien direct entre l’éventuelle annulation de la décision litigieuse et l’action en indemnité introduite contre Geodis et invoquée au soutien de leur intérêt à agir, de sorte que l’annulation de celle‑ci soit susceptible de produire un avantage pour les requérantes dans le cadre de ladite action. À cet égard,
les requérantes avancent deux arguments.

89. En ce qui concerne, d’abord, l’argument selon lequel une action contre Geodis serait légitime parce que Geodis serait responsable de la non‑application de la décision Sernam 1, indépendamment de la question de la recevabilité de cet argument, force est de constater qu’il concerne un fait constaté dans la décision Sernam 2 et étranger à la décision litigieuse. Il ne saurait donc créer aucun lien entre une éventuelle annulation de la décision litigieuse et l’action en indemnité. Cet argument n’est
donc pas pertinent.

90. Ensuite, les requérantes font valoir que, si Geodis devait être jugée être l’actuel bénéficiaire des aides incompatibles, elle devrait, à ce titre, être considérée comme débitrice de l’obligation d’en réparer les conséquences préjudiciables pour les sociétés Mory, solidairement avec les autres bénéficiaires et leurs dispensateurs. Cette thèse constitue le cœur de l’action intentée devant le tribunal de commerce de Paris, dans laquelle les requérantes ont demandé au juge national de juger que, en
bénéficiant d’aides d’État incompatibles, Geodis (et les autres bénéficiaires antérieurs et leur dispensateur) a commis une faute et doit être considérée responsable des conséquences préjudiciables de cette faute.

91. À cet égard, il a été déjà relevé à plusieurs reprises que, dans la décision litigieuse, la Commission, en excluant l’existence d’une continuité économique entre le groupe Sernam et Geodis, a constaté que Geodis, en reprenant les actifs du Groupe Sernam, ne peut pas être considérée comme ayant bénéficié des aides accordées à ce groupe. Or, sans qu’il soit besoin d’analyser le fondement de cette action en droit national, j’estime que cette conclusion figurant dans la décision litigieuse est
susceptible de compromettre l’action intentée par les requérantes envers Geodis, car elle supprime la prémisse sur laquelle cette action se fonde, à savoir que Geodis puisse être considérée comme bénéficiaire des aides d’État accordées au groupe Sernam. En outre, ainsi que je l’ai relevé aux points 49 à 51 ci‑dessus, cette décision lie le juge national.

92. Il s’ensuit que l’annulation de la décision litigieuse serait susceptible de produire des effets dans le cadre de l’action en indemnité intentée devant le tribunal de commerce de Paris. L’existence de cette action est donc, à mon avis, susceptible de justifier l’intérêt à agir des requérantes contre la décision litigieuse. Partant, le Tribunal, en niant l’existence d’un tel intérêt fondé sur ladite action, a commis une erreur de droit.

93. Enfin, les requérantes font valoir que leur intérêt à agir trouverait également une justification dans la circonstance que, si la décision était annulée, elles pourraient développer devant le tribunal de commerce de Paris un argument supplémentaire fondé sur la théorie de l’enrichissement sans cause ( 54 ). La Commission estime qu’il s’agit d’un argument nouveau avancé pour la première fois, et donc irrecevable dans le cadre d’un pourvoi.

94. Or, sans approfondir la question, que j’ai déjà eu l’occasion de définir de «délicate» ( 55 ), de la distinction entre argument nouveau (recevable) et moyen nouveau (irrecevable), il suffit de rappeler ici que, selon la jurisprudence, une partie ne peut pas, en principe, soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal. Toutefois, un argument nouveau qui constitue le simple développement ou l’ampliation de l’argumentation présentée devant le
Tribunal ne constitue pas un moyen nouveau, mais doit être considéré comme le prolongement licite d’un moyen déjà invoqué à un stade antérieur de la procédure et est donc recevable ( 56 ).

95. En l’occurrence, les requérantes, en réponse à l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission devant le Tribunal, ont soutenu qu’elles disposaient d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse en raison de l’impact direct que cette décision aurait sur l’action en indemnité qu’elles ont introduite devant le tribunal de commerce de Paris. Il est constant que, en première instance, elles n’ont à aucun moment mentionné la théorie de l’enrichissement sans cause.

96. Or, sans qu’il soit besoin de vérifier si l’introduction d’une telle action devant le juge national serait recevable devant celui‑ci dans le cadre de l’action pendante, j’observe qu’une action tirée de l’enrichissement sans cause repose sur un fondement juridique différent d’une action en indemnité.

97. À mon avis, l’argumentation avancée par les requérantes selon laquelle leur intérêt à obtenir l’annulation de la décision litigieuse pourrait se fonder sur une action différente de celle qu’elles ont invoquée en première instance ne saurait être considérée comme incluse dans le moyen déjà présenté devant le Tribunal. Il s’ensuit qu’une telle argumentation constitue un moyen nouveau, sur la base duquel il n’est pas possible d’apprécier la légalité de l’analyse du Tribunal. Elle est donc
irrecevable dans le cadre du pourvoi.

98. À la lumière de tout ce qui précède, j’estime que la deuxième branche du pourvoi doit être accueillie et que, par conséquent, l’ordonnance attaquée doit être annulée.

2. Sur les première et quatrième branches du premier moyen: sur la qualité de partie intéressée et sur la nature de la décision attaquée

99. Les première et quatrième branches du premier moyen doivent, à mon avis, être analysées ensemble dans la mesure où certaines parties de l’argumentation avancée par les requérantes dans ces branches se chevauchent, notamment en ce qui concerne la question de la qualification de la décision litigieuse. Dans ces deux branches, les requérantes visent respectivement les points 29 à 35 et 55 à 58 de l’ordonnance attaquée et font valoir que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit et violations
de leurs droits.

a) L’ordonnance attaquée

100. Aux points 29 à 35 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté l’argument des requérantes selon lequel la participation de l’une d’entre elles à la procédure administrative ayant conduit à la décision Sernam 3 leur aurait conféré un intérêt à agir contre la décision litigieuse. Le Tribunal a, d’abord, relevé que cet argument semblait tenter de démontrer davantage une qualité pour agir qu’un intérêt à agir. Ensuite, il a considéré que, selon la jurisprudence, afin d’établir leur qualité pour
agir, les requérantes auraient dû démontrer que la décision litigieuse était susceptible d’affecter substantiellement leur position sur le marché, ce qui n’aurait pas été possible, les sociétés Mory n’exerçant plus d’activité depuis leur mise en liquidation. Enfin, le Tribunal, en se référant à l’économie générale de la procédure de contrôle des aides d’État et, en particulier, à l’article 14 du règlement (CE) no 659/1999 ( 57 ), a qualifié la décision litigieuse de décision portant sur les
modalités de récupération d’aides illégales et incompatibles, question qui concernerait uniquement la Commission et l’État membre concerné.

101. Aux points 55 à 58 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel, par la décision litigieuse, la Commission aurait implicitement écarté l’éventualité de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, privant ainsi les requérantes du bénéfice du droit procédural à intervenir pour présenter des observations. Le Tribunal a jugé, à cet égard, d’une part, que, si les requérantes souhaitaient que la Commission ouvre une procédure formelle d’examen, il leur aurait appartenu de
la saisir, et non d’attaquer une décision qui, visant les relations portant sur la question des modalités de récupération des aides illégales et incompatibles, ne concernait que les relations entre la Commission et l’État membre intéressé. D’autre part, selon le Tribunal, par la décision litigieuse, la Commission ne se serait pas prononcée sur l’existence et la compatibilité d’éventuelles aides sur la base de l’article 108 TFUE, mais elle aurait seulement répondu à la question posée par les
autorités françaises de savoir si l’obligation de remboursement des aides qui avait été imposée au groupe Sernam par la décision Sernam 2 ne serait pas étendue à leurs repreneurs éventuels, Geodis et BMV.

b) Arguments des parties

i) Arguments des requérantes

102. Dans la première branche de leur premier moyen, qui vise les points 29 à 35 de l’ordonnance attaquée, les requérantes font valoir, en premier lieu, que le Tribunal s’est contredit en ce qu’il s’est fondé sur la jurisprudence selon laquelle une partie requérante doit toujours démontrer que la décision de compatibilité d’une aide d’État est susceptible d’affecter sa position sur le marché pour contester l’existence d’un intérêt à agir, alors qu’il a ensuite considéré que la Commission ne s’était
pas prononcée, par la décision litigieuse, sur l’existence et la compatibilité d’éventuelles aides avec l’article 108 TFUE.

103. En deuxième lieu, l’approche du Tribunal, qui a déduit de l’article 14 du règlement no 659/1999 que la question des modalités de récupération des aides incompatibles concerne uniquement la Commission et l’État membre intéressé par la récupération, aboutirait à exclure par principe qu’une partie, autre que cet État membre, dispose d’un intérêt à agir contre une décision portant sur les modalités de récupération des aides. Une telle approche contredirait toutefois les dispositions de
l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, selon lesquelles un recours contre une décision est ouvert à toute personne directement et individuellement concernée par celle‑ci.

104. En troisième lieu, le Tribunal entretiendrait la confusion sur la qualification de la décision litigieuse afin d’éviter de mettre en évidence la différence d’approche avec celle suivie dans l’arrêt Ryanair/Commission ( 58 ), qui concernait une situation identique à celle traitée dans la décision litigieuse.

105. Dans la quatrième branche de leur premier moyen, qui vise les points 55 à 58 de l’ordonnance attaquée, les requérantes mettent en exergue, d’abord, que, contrairement à ce que laisse entendre le Tribunal, il ressort du dossier qu’elles avaient bien saisi la Commission du risque qu’une reprise des actifs du groupe Sernam par Geodis opère un nouveau transfert des aides illégales et, donc, des risques de contournement de la décision Sernam 3. En adoptant la décision litigieuse, la Commission
aurait écarté l’ouverture d’une procédure d’examen approfondi de l’application abusive de la décision Sernam 3 et aurait ainsi porté atteinte aux droits procéduraux des requérantes, en les privant de leurs droits à présenter leurs observations sur les conditions de transfert à Geodis des actifs ayant bénéficié des aides illégales. Selon les requérantes, cette situation correspondrait entièrement à celle analysée dans l’affaire Ryanair/Commission ( 59 ). Comme dans cette affaire, en effet, les
requérantes auraient été privées, par la décision litigieuse, de la possibilité d’obtenir un examen approfondi, même si un tel examen aurait porté, dans la présente affaire, non sur de nouvelles aides, mais sur l’application abusive de la décision Sernam 3.

106. Ensuite, les requérantes contestent la qualification par la Commission de la décision litigieuse comme sui generis et reprochent au Tribunal d’avoir évité de se prononcer sur leur affectation individuelle afin d’éluder la question de cette qualification. Elles contestent également la qualification de la décision litigieuse ‐ au point 33 de l’ordonnance attaquée ‐ de décision portant sur les modalités de récupération des aides d’État. La question posée par la décision litigieuse ne serait pas
celle de savoir si de nouvelles aides ont été accordées à Geodis, mais si les conditions dans lesquelles devait s’opérer la reprise des actifs de Sernam par Geodis constituent une application correcte de la décision Sernam 3 (l’absence de continuité économique comportant l’absence de continuation dans le bénéfice des aides d’État) ou, au contraire, une application abusive de cette décision (à savoir un contournement de la part des autorités françaises). Il serait possible de combiner les
articles 14 et 16 du règlement no 659/1999 et de qualifier une modalité de récupération d’une aide incompatible comme un contournement de l’obligation de récupération, et donc comme une application abusive au sens de l’article 16 dudit règlement.

107. Enfin, selon les requérantes, les motifs retenus par le Tribunal pour les autoriser, bien qu’elles soient en liquidation, à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans le cadre du recours introduit par la SNCF contre la décision Sernam 3 ( 60 ) attesteraient de leur intérêt à agir dans le cadre de la présente procédure concernant une décision qui est le prolongement de la décision Sernam 3.

ii) Arguments de la Commission

108. En ce qui concerne les première et quatrième branches, la Commission fait valoir, tout d’abord, que les arguments des requérantes se rattachent à leur qualité pour agir et non à leur intérêt à agir. Ces arguments ne sauraient donc démontrer qu’elles ont un intérêt à agir contre la décision litigieuse. Cela serait d’autant plus le cas s’agissant de la première branche, dès lors que la qualité de partie intéressée au titre des premières décisions n’entraînerait pas nécessairement celle de partie
intéressée au titre d’une décision ultérieure, la situation d’un opérateur pouvant, en outre, être modifiée au cours du temps. Quant à la quatrième branche, elle ferait abstraction de la mise en liquidation des sociétés Mory intervenue avant le dépôt de leur recours en annulation. Or, ces sociétés n’étant même plus concurrentes de Sernam et n’étant pas concurrentes de Geodis, on voit mal, selon la Commission, quel bénéfice pourrait procurer aux requérantes un éventuel arrêt d’annulation de la
décision litigieuse.

109. Ensuite, la qualité de partie intéressée ne serait pertinente que si les requérantes demandaient l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une phase préliminaire d’examen par laquelle la Commission aurait décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre d’une mesure notifiée. Or, la décision litigieuse ne constituerait pas une telle décision. En effet, la Commission aurait déjà adopté une décision finale, la décision Sernam 3, où elle s’est prononcée sur l’existence d’aides versées à
Sernam, sur leur incompatibilité et sur leur récupération. La décision litigieuse s’inscrirait, en réalité, dans le cadre de la coopération loyale entre l’État membre et la Commission quant aux modalités de récupération. Généralement, les questions analogues à celle soulevée par les autorités françaises seraient traitées par un simple échange de courriers entre les services de la Commission et les autorités nationales.

110. Enfin, s’il fallait considérer que la décision litigieuse n’est pas la simple expression d’un processus de coopération loyale, elle ne pourrait être assimilée qu’à une décision finale. En l’espèce, elle se rattacherait nécessairement à la décision Sernam 3, qui est une décision finale, et dont elle serait, en quelque sorte, l’accessoire et le complément direct. Les requérantes devraient dès lors démontrer que leur position concurrentielle est substantiellement affectée par la décision
litigieuse et non uniquement que leur droits procéduraux ont été violés.

111. À cet égard, la présente affaire serait différente de l’affaire Ryanair/Commission ( 61 ). Contrairement à cette affaire, en l’espèce, la Commission n’aurait pas été invitée à se prononcer sur le caractère d’aide de la cession envisagée, la cession de biens appartenant à une personne privée dont l’État n’était plus actionnaire, et la Commission ne se serait pas prononcée sur le fait que l’acquéreur se soit comporté ou non comme un opérateur privé en économie de marché. Ensuite, la décision
litigieuse ne pourrait pas non plus être assimilée à une décision prise sur le fondement de l’article 16 du règlement no 659/1999.

c) Analyse

112. Tant l’ordonnance attaquée que l’argumentation des requérantes relative aux deux branches en cause confondent des arguments concernant la qualité pour agir et la question concernant la preuve de l’existence d’un intérêt à agir. J’ai déjà exposé qu’il s’agit de conditions de recevabilité distinctes ( 62 ).

113. Dans ces conditions, il convient de rappeler que le Tribunal a déclaré irrecevable le recours pour défaut d’intérêt à agir des requérantes ( 63 ) et que le premier moyen du présent recours est tiré d’erreurs de droit en ce qui concerne la constatation du défaut d’intérêt à agir. C’est donc dans la perspective de l’intérêt à agir qu’il convient d’analyser les griefs soulevés dans les deux branches analysées ici.

i) Sur la première branche

114. Dans la première branche du premier moyen, les requérantes contestent la conclusion du Tribunal selon laquelle le statut de partie intéressée de l’une d’entre elles au cours de la procédure administrative ayant conduit à la décision Sernam 3 ne justifie pas leur intérêt à agir contre la décision litigieuse.

115. Or, indépendamment du raisonnement du Tribunal développé aux points 31 à 33 de l’ordonnance attaquée pour étayer cette conclusion, raisonnement qui, d’une part, concerne la qualité pour agir et, d’autre part, contient à mon avis des affirmations erronées sur lesquelles je retournerai ci‑après, j’estime que la conclusion à laquelle est arrivé le Tribunal n’est pas, en tant que telle, entachée d’erreur.

116. En effet, si, en matière d’aides d’État, la qualité de partie intéressée dans la procédure ayant abouti à l’adoption d’une décision peut être une circonstance pertinente pour établir la qualité pour agir ( 64 ), elle ne comporte pas nécessairement, en tant que telle, un intérêt à voir annuler la décision adoptée à la fin de ladite procédure, encore moins à voir annuler une décision qui, même si elle est liée à la première, constitue une décision différente. Ainsi que je l’ai relevé au point 28
ci‑dessus, aux fins d’établir l’intérêt à agir, il est nécessaire de démontrer que l’annulation de l’acte attaqué est susceptible de procurer, par elle‑même, un bénéfice au requérant. Or, la seule circonstance d’avoir eu la qualité de partie intéressée dans la procédure administrative n’implique pas, en tant que telle, que l’annulation procurera un tel avantage.

117. Dans cette perspective, l’argument des requérantes mentionné au point 102 ci‑dessus et tiré d’une prétendue contradiction dans le raisonnement du Tribunal est, à mon avis, inopérant, dans la mesure où la jurisprudence mentionnée par le Tribunal au point 31 de l’ordonnance attaquée concerne la qualité pour agir et non l’intérêt à agir. Ainsi, à supposer même qu’il y ait une contradiction dans le raisonnement du Tribunal, cela n’aurait aucun impact sur la conclusion, correcte, à laquelle il est
arrivé. De même, les arguments que les requérantes tirent de l’arrêt Ryanair/Commission ( 65 ) me semblent être inopérants dans le contexte de la première branche. En effet, les développements consacrés dans cet arrêt à la recevabilité de la demande d’annulation concernent la qualité pour agir et non l’intérêt à agir. Toutefois, en reconnaissant la recevabilité du recours de Ryanair, tant le Tribunal que la Cour ont implicitement reconnu l’existence d’un intérêt à agir dans son chef, de sorte
qu’une éventuelle similitude entre ces affaires pourrait être pertinente. Je reviendrai sur cette question ci‑dessous, dans le cadre de l’analyse de la quatrième branche, dans laquelle j’aborderai également l’argument mentionné au point 103 ci‑dessus, dont la réponse présuppose la question de la qualification de la décision litigieuse ( 66 ).

118. Il découle des considérations qui précèdent que, à mon avis, la première branche du premier moyen doit être rejetée.

ii) Sur la quatrième branche

119. Dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, les requérantes contestent l’analyse du Tribunal par laquelle celui‑ci a nié leur intérêt à agir contre la décision litigieuse en rejetant leur argument tiré de ce que, par cette décision, la Commission avait implicitement écarté l’éventualité de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, les privant ainsi du bénéfice du droit procédural à intervenir pour faire connaître leurs observations. Elles contestent également la qualification
de la décision litigieuse de décision «sui generis» retenue par la Commission ( 67 ), ainsi que celle retenue par le Tribunal de décision portant sur les modalités de récupération des aides d’État concernant exclusivement la Commission et l’État membre intéressé ( 68 ).

120. Or, si la décision litigieuse devait réellement être qualifiée de décision écartant l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, comme l’envisagent les requérantes, son annulation pourrait entraîner la possibilité pour celles‑ci ‐ à condition qu’elles en aient le droit en tant que parties intéressées, ce qui constitue une question différente ‐ de participer à une éventuelle procédure formelle d’examen. Dans un cas pareil, l’annulation de la décision litigieuse pourrait ainsi, du moins
potentiellement, procurer un bénéfice aux requérantes, à savoir le rétablissement de leurs droits procéduraux. Dans ce cas, il ne saurait donc être exclu qu’elles puissent disposer d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse.

121. Se pose donc la question de la qualification juridique de la décision litigieuse.

– Les décisions concernant la continuité économique et la jurisprudence

122. Une décision du même type que la décision litigieuse, concernant exclusivement la question de l’existence d’une continuité économique, n’a, sauf erreur de ma part, pas encore été analysée dans la jurisprudence. Il y a, en revanche, plusieurs cas dans lesquels la Commission a examiné cette question ( 69 ).

123. Dans l’affaire Seleco, qui a donné lieu à l’arrêt Italie et SIM 2 Multimedia/Commission ( 70 ), la Commission a constaté l’existence d’une continuité économique entre le bénéficiaire des aides d’État incompatibles (en l’espèce, Seleco SpA) et le repreneur des actifs de cette société (Multimedia). Cette constatation a eu lieu dans le cadre d’une décision ( 71 ) constatant l’existence d’aides d’État incompatibles, adoptée après l’ouverture de la procédure formelle d’examen aux termes de
l’article 108, paragraphe 2, TFUE ( 72 ).

124. De même, dans l’affaire Olympic Airlines ( 73 ), la Commission a constaté l’existence d’une continuité économique entre le bénéficiaire des aides déclarées illégales et incompatibles dans une décision antérieure (datant de 2002) ( 74 ) et le repreneur de ses actifs. Comme dans l’affaire Seleco, cette constatation a eu lieu dans le cadre d’une décision adoptée après l’ouverture de la procédure formelle d’examen ( 75 ). Toutefois, dans cette même décision, la Commission avait, entre autres,
constaté l’octroi d’une nouvelle aide d’État en faveur du repreneur des actifs ( 76 ). C’était dans le cadre de l’analyse sur l’existence de cette nouvelle aide d’État en faveur du repreneur des actifs qu’avait eu lieu la constatation de l’existence de la continuité économique. Dans le même contexte, la Commission avait conclu que la nouvelle entité juridique distincte qui avait repris les actifs de l’ancien bénéficiaire avait été créée pour contourner l’obligation de récupération afin d’éviter
la récupération des aides déclarées illégales et incompatibles dans la décision de 2002 ( 77 ).

125. Il convient encore de relever que, dans cette affaire, la question d’un possible contournement de l’obligation de récupération des aides au moyen d’un montage juridique avait été abordée dans la décision d’ouverture de la procédure ( 78 ) dans le cadre d’une analyse d’autres mesures qui pouvaient constituer des aides d’État. Dans cette décision, la Commission avait considéré avoir des doutes sérieux en raison de la possibilité que la création de la société qui avait repris les actifs
constituait en soi une aide d’État ( 79 ).

126. Ensuite, la question de l’existence d’une continuité économique s’est posée dans le cas Alitalia, qui a donné lieu aux arrêts Ryanair/Commission du Tribunal et de la Cour ( 80 ), invoqués à plusieurs reprises par les requérantes.

127. Dans cette affaire, dans une première décision ( 81 ), adoptée à l’issue d’une procédure formelle d’examen, la Commission avait constaté une aide incompatible en faveur d’Alitalia en exigeant qu’elle soit récupérée auprès de celle‑ci. Ensuite, dans une seconde décision ( 82 ), adoptée le même jour que la première, la Commission, à la suite d’une notification des autorités italiennes, avait examiné la mesure relative à la vente d’actifs d’Alitalia. Dans ce contexte, elle avait constaté, d’une
part, que la procédure suivie pour la cession de ces actifs ne conduisait pas à l’octroi d’une aide en faveur des acquéreurs ( 83 ) et, d’autre part, que le transfert desdits actifs en application de cette procédure n’impliquait pas une continuité économique entre Alitalia et les acquéreurs de ces actifs ( 84 ). La Commission en a conclu que la mesure notifiée, telle que modifiée par les engagements pris par les autorités italiennes, ne constituait pas une aide, dans la mesure où ces
engagements seraient entièrement respectés.

128. Saisi de la question de la recevabilité du recours introduit par Ryanair, concurrent d’Alitalia contre tant la première que la seconde décision, le Tribunal a considéré que la seconde décision attaquée était une décision adoptée à l’issue de la phase préliminaire d’examen, au titre de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 659/1999, par laquelle la Commission avait constaté que la mesure notifiée ne constituait pas une aide et que, par cette décision, la Commission avait refusé
implicitement d’ouvrir la procédure formelle d’examen ( 85 ). Cette appréciation a (implicitement) été confirmée en pourvoi par la Cour ( 86 ).

129. Le cas Larko ( 87 ) concerne la privatisation d’une société, Larko, contrôlée par l’État grec. À la suite d’une notification des autorités grecques, la Commission a constaté que les modalités de cette privatisation, telles que définies par les autorités grecques, et, notamment, la structure de vente de certains actifs de cette société ne constituaient pas une aide d’État. Dans la même décision, la Commission a également constaté que la vente des actifs selon ces modalités ne donnerait pas lieu
à une continuité économique avec le futur repreneur de ces actifs, de sorte que, en cas d’adoption d’une décision négative dans une procédure entamée par la Commission concernant certaines mesures adoptées en faveur de Larko, l’éventuelle obligation de récupération ne s’étendrait pas au repreneur. Dans cette décision, la Commission a expressément qualifié la partie concernant la continuité économique de décision «sui generis», exactement comme elle l’a fait dans la décision litigieuse ( 88 ).

130. Dans la décision Airport Handling ( 89 ), la Commission a en revanche examiné la question de l’existence d’une continuité économique dans le cadre d’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ( 90 ). Cette décision faisait suite à une décision constatant l’octroi d’aides incompatibles à Sea Handling ( 91 ). Les autorités italiennes avaient demandé à la Commission de confirmer, d’une part, que la procédure instaurée pour la vente des
actifs de Sea Handling et la création d’une nouvelle société (Airport Handling) qui aurait acquis ces actifs n’emportaient pas une continuité économique qui aurait comme conséquence un transfert de l’obligation de récupérer les aides incompatibles auprès d’Airport Handling. D’autre part, les autorités italiennes avaient demandé à la Commission de confirmer que la capitalisation d’Airport Handling (par un investissement de 25 millions d’euros) ne constituait pas une aide d’État. La Commission,
ayant des doutes que les mesures en cause constituaient des aides d’État, a ouvert la procédure formelle d’examen.

131. Cet aperçu des décisions concernant la continuité économique entre le bénéficiaire de l’aide et l’acquéreur de ses actifs permet de tirer quelques conclusions.

132. D’une part, la constatation de l’existence ou de l’absence de continuité économique peut s’inscrire dans des contextes différents. Ainsi, comme dans l’affaire Seleco, elle peut s’insérer dans le cadre des dispositions concernant la récupération d’aides déclarées incompatibles dans une décision finale adoptée à la suite de la procédure d’examen formel. Cependant, comme dans le cas Olympic Airlines, elle peut également se confondre avec l’analyse de l’existence des aides, lorsque, l’opération,
dans le cadre de laquelle s’inscrit la vente des actifs, est susceptible de constituer en elle‑même une aide ( 92 ). Enfin, comme dans l’affaire Ryanair/Commission, elle peut être rattachée, tout en restant distincte de celle‑ci, à l’analyse de l’existence d’une nouvelle aide ( 93 ). Il s’ensuit que l’appréciation de la nature juridique d’une décision relative à la constatation de l’existence ou de l’absence de continuité économique ne peut se faire qu’au cas par cas, en tenant compte du cadre
dans lequel cette analyse a lieu.

133. D’autre part, la constatation de l’existence ou de l’absence d’une continuité économique entre le bénéficiaire d’aides d’État et le repreneur de ses actifs présuppose toujours, en tout état de cause, une décision constatant l’incompatibilité desdites aides, qui doivent être récupérées auprès du bénéficiaire ( 94 ). En effet, la constatation de l’existence ou non de la continuité économique vise à vérifier si les actifs repris conservent ou non le bénéfice des aides déclarées incompatibles
octroyées au cédant qui en a bénéficié. Une telle constatation fait donc nécessairement suite et est strictement liée à une déclaration d’incompatibilité de la mesure constituant l’aide.

– Sur la qualification de la décision litigieuse

134. Or, en l’espèce, la décision litigieuse a été adoptée par la Commission sur l’initiative des autorités françaises qui ont demandé à cette institution de confirmer que, sous certaines conditions, l’obligation de remboursement des aides d’État imposée au groupe Sernam par la décision Sernam 3 ne serait pas étendue aux sociétés des groupes Geodis et BMV en cas de reprise de leur part des actifs du groupe Sernam.

135. Dans ladite décision, après avoir décrit le contexte dans lequel celle‑ci intervient, la Commission fait tout d’abord une description détaillée des deux offres, ainsi que des engagements pris par la République française ( 95 ). Ensuite, après avoir qualifié ladite décision de décision «sui generis» fondée sur l’obligation de coopération loyale entre la Commission et les États membres, elle précise que cette décision concerne exclusivement la question de la continuité économique et qu’elle ne
concerne pas ‐ ni préjuge de ‐ l’appréciation de l’acquisition au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ( 96 ). La Commission se livre enfin à une appréciation visant à déterminer si le transfert des actifs en cause permettrait de constater une continuité économique entre le groupe Sernam et les potentiels acquéreurs ( 97 ). À cette fin, elle examine l’objet de la vente, le prix du transfert, l’indépendance des nouveaux propriétaires et actionnaires, le moment où le transfert a lieu,
ainsi que la logique économique de l’opération et conclut à l’absence de continuité économique, donc d’obligation de récupération auprès des acquéreurs des actifs ( 98 ).

136. Force est donc de constater que la décision litigieuse concerne exclusivement la question de l’existence ou de l’absence de continuité économique entre le groupe Sernam, d’une part, et Geodis et BMV, d’autre part. Il s’agit donc d’une décision particulière, qui n’est directement assimilable à aucune des décisions analysées aux points 123 à 130 ci‑dessus. À cet égard, les parties avancent différentes thèses concernant la nature juridique de cette décision.

137. En premier lieu, je ne suis pas convaincu par l’approche adoptée par la Commission, et reprise par le Tribunal, selon laquelle la décision attaquée concernerait exclusivement les modalités de récupération de l’aide déclarée incompatible et s’inscrirait donc uniquement dans le cadre de la coopération loyale entre l’État membre concerné et la Commission.

138. En effet, interrogée à l’audience sur ce point, la Commission elle‑même a reconnu qu’une décision concernant la continuité économique ne porte pas exclusivement sur les modalités de récupération de l’aide incompatible, mais également sur la transmission de l’avantage découlant de l’octroi de cette aide. Une telle décision concerne donc le bénéficiaire d’une aide individuelle déclarée incompatible, à savoir l’entreprise qui profite de cette aide (ou non, selon qu’il y a ou non continuité
économique). Il s’ensuit qu’il s’agit d’une décision concernant l’aide individuelle en elle‑même, dans sa «dimension subjective», et non seulement les modalités de sa récupération. Autrement dit, une telle décision vise à vérifier, à la suite d’une appréciation de plusieurs éléments, si l’acquéreur des actifs doit être ou non considéré bénéficiaire de l’aide déjà déclarée incompatible.

139. Encore moins convaincante est, ensuite, à mon avis la position qui peut se déduire d’une lecture des points 33 et 56 de l’ordonnance attaquée, et qui a été envisagée par la Commission elle‑même à l’audience, selon laquelle, dans la mesure où cette décision porte exclusivement sur la question de la récupération de l’aide ‐ question qui concernerait uniquement la Commission et l’État membre intéressé ‐ des tiers, tels que des concurrents, ne pourraient pas même l’attaquer. Or, à cet égard, je
partage l’avis des requérantes selon lequel une telle approche est manifestement contraire à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Dans la mesure où une telle décision constitue un acte attaquable ( 99 ), et où le tiers dispose de l’intérêt à agir et de la qualité pour agir, il doit avoir la possibilité d’attaquer une telle décision devant le juge de l’Union.

140. En deuxième lieu, l’argument avancé par les requérantes et tiré de l’article 16 du règlement no 659/1999 ne me semble pas pertinent. En effet, cette disposition concerne l’application abusive d’une aide, à savoir, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, sous g), du règlement no 659/1999, une situation dans laquelle une aide est utilisée par le bénéficiaire en violation d’une décision de ne pas soulever d’objections, d’une décision positive ou d’une décision conditionnelle ( 100 ). Or, force est
de constater que la décision Sernam 3 ne relève d’aucune de ces trois catégories de décision, mais est elle‑même une décision concernant l’application abusive d’aides, qui déclare illégales et incompatibles les aides versées au groupe Sernam. Les requérantes ne sauraient ainsi se fonder sur ladite disposition pour faire valoir une application abusive des aides déclarées incompatibles.

141. En troisième lieu, il convient d’analyser la thèse avancée par les requérantes, selon laquelle la décision litigieuse constitue une décision assimilable à une décision implicite de ne pas ouvrir la procédure d’examen approfondi.

142. À cet égard, je dois reconnaître que certains arguments pourraient plaider en faveur d’une telle approche. Il pourrait, ainsi, être considéré que la modification du bénéficiaire d’une aide individuelle constitue une modification à ce point substantielle qu’elle donne lieu à une nouvelle aide ( 101 ) qui doit faire l’objet d’un nouvel examen de compatibilité. Dans cette hypothèse, une analogie procédurale pourrait éventuellement être tirée du fait que la décision litigieuse a été adoptée, comme
une décision de ne pas soulever d’objections, à la suite d’une notification de la part des autorités françaises.

143. Toutefois, ainsi que je l’ai relevé au point 133 ci‑dessus, une décision sur la continuité économique, telle que la décision litigieuse, suppose l’existence, du moins potentielle ( 102 ), d’une décision négative aux termes de l’article 7, paragraphe 5, du règlement no 659/1999 ou, comme en l’espèce, d’une décision constatant l’application abusive de l’aide de laquelle découle l’obligation de récupération de l’aide incompatible. En effet, elle a trait à l’éventuel transfert, à la suite de la
vente des actifs en cause, à un nouveau bénéficiaire, d’une aide qui a déjà été déclarée incompatible. Or, l’aide devant être récupérée ayant déjà été déclarée incompatible, cela exclut, à mon avis, que puisse être entreprise une nouvelle analyse concernant la compatibilité de la même aide, qui pourrait aboutir à une décision concluant à sa compatibilité. Autrement dit, la décision sur la continuité économique ne saurait en aucun cas remettre en cause la décision déclarant incompatible l’aide
en question et ordonnant sa récupération.

144. Une autre question est celle de savoir si, par l’opération d’acquisition des actifs, les acquéreurs bénéficient d’une nouvelle aide d’État. Cette question, qui a fait l’objet de l’analyse, dans la première partie de la seconde décision dans l’affaire Ryanair/Commission ( 103 ), est toutefois explicitement exclue dans la décision litigieuse dans laquelle, au point 54, la Commission a expressément indiqué que cette décision ne préjugeait pas l’appréciation de ces investissements au regard de
l’article 107 TFUE. C’est d’ailleurs là la différence essentielle entre la décision attaquée dans l’affaire Ryanair/Commission, qui a été qualifiée par le Tribunal de décision de ne pas soulever d’objections, et la décision litigieuse. En effet, la seconde décision adoptée dans l’affaire Ryanair/Commission incluait l’analyse d’une mesure qui avait été notifiée par les autorités italiennes afin de déterminer si cette mesure constituait ou non une nouvelle aide d’État ( 104 ).

145. La décision litigieuse se différencie en outre des décisions adoptées dans l’affaire Olympic Airlines, dans la mesure où, dans la décision litigieuse, l’analyse de la continuité économique est totalement indépendante et ne se confond aucunement, comme dans lesdites décisions, avec l’analyse de l’existence d’aides nouvelles octroyées aux repreneurs des actifs du groupe Sernam.

146. Dans ces conditions, en raison de l’absence, dans la décision litigieuse, d’une analyse de l’existence de nouvelles aides aux repreneurs me fait tendre vers une solution selon laquelle cette décision se rapproche plus d’une situation telle que celle de la décision adoptée dans le cas Seleco. Dans cette affaire, la question de la continuité économique a été résolue dans le cadre d’une décision finale constatant l’incompatibilité des aides, en tant que question concernant le bénéficiaire
successif des aides déclarées incompatibles, auprès duquel ces aides devraient être récupérées. À cet égard, il importe de relever que la Commission elle‑même a affirmé dans ses écritures que, si elle avait eu connaissance de l’hypothèse et des modalités de la reprise des actifs analysées dans la décision litigieuse, elle aurait pu statuer sur cette question dans la décision Sernam 3.

147. À la lumière de cette analyse, je tends à considérer que la décision litigieuse constitue une décision portant sur le possible transfert d’aides, déjà déclarées incompatibles par la Commission dans la décision Sernam 3, à un nouveau bénéficiaire, auprès duquel ces aides devraient éventuellement être récupérées. Elle constitue donc une décision connexe et complémentaire à la décision Sernam 3, qui vise à en compléter le contenu ( 105 ) à la lumière de faits nouveaux intervenus après l’adoption
de la décision Sernam 3 ( 106 ).

148. Il s’ensuit que le grief des requérantes tiré d’une erreur de droit du Tribunal en ce qu’il a refusé de reconnaître leur intérêt à agir en ne qualifiant pas la décision litigieuse de décision écartant l’ouverture d’une procédure d’examen approfondi doit être rejeté.

149. À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime que tant la première que la quatrième branche du premier moyen doivent être rejetées.

3. Sur la troisième branche du premier moyen: l’intérêt à agir de Superga Invest

150. Par la troisième branche du premier moyen, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir, aux points 52 et 53 de l’ordonnance attaquée, nié l’intérêt à agir de Superga Invest en méconnaissant que cet intérêt à agir découle de l’intérêt à agir des sociétés Mory dont elle est l’actionnaire principal. D’une part, Superga Invest subirait, comme ces dernières, les conséquences passées du préjudice causé par dix années de versement d’aides incompatibles à Sernam et aurait donc, comme elles, intérêt
à agir pour obtenir réparation du préjudice. D’autre part, cette société aurait également intérêt à agir dans toutes les actions visant à faire désigner Geodis comme le repreneur et le bénéficiaire actuel des aides incompatibles faisant l’objet de la décision Sernam 3 et comme devant répondre solidairement avec les précédents bénéficiaires des aides et la SNCF du préjudice causé par ces aides.

151. La Commission soutient que cette branche est inopérante, dès lors que les sociétés Mory n’ont pas elles‑mêmes un intérêt à agir en annulation contre la décision litigieuse.

152. À cet égard, il convient de relever qu’il n’est pas contesté que Superga Invest est l’actionnaire principal des sociétés Mory et qu’elle a introduit, avec celles‑ci, un recours en indemnité devant le tribunal de commerce de Paris tendant à obtenir du groupe Sernam et de Geodis la réparation des préjudices que ces sociétés leur auraient causés en conséquence des avantages concurrentiels dont elles ont bénéficié en raison de l’octroi des aides incompatibles.

153. Or, au point 92 ci‑dessus, j’ai conclu que l’annulation de la décision litigieuse serait susceptible de produire des effets dans le cadre de cette action devant le juge national et que, ainsi, l’existence de cette action était susceptible de justifier un intérêt à agir contre la décision litigieuse. Cette conclusion est applicable également à Superga Invest, laquelle a donc un intérêt à agir contre ladite décision.

154. Il s’ensuit que, en concluant que Superga Invest n’avait pas d’intérêt à agir, le Tribunal a commis une erreur de droit et que donc la troisième branche du premier moyen doit également être accueillie.

4. Conclusion sur le premier moyen

155. La deuxième et la troisième branche du premier moyen devant, à mon avis, être accueillies, il s’ensuit que l’ordonnance attaquée doit être annulée en ce qu’elle a déclaré que les requérantes ne disposaient pas d’un intérêt à agir contre la décision litigieuse.

C – Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE

156. Par le second moyen, les requérantes soutiennent que, en refusant de constater qu’elles étaient directement et individuellement concernées par la décision litigieuse, le Tribunal a violé l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. L’ordonnance attaquée traiterait, en réalité, sous l’angle de l’intérêt à agir, de questions qui relèvent de l’affectation individuelle. Or, à la lumière de l’arrêt Ryanair/Commission ( 107 ), il ne ferait aucun doute que les requérantes sont individuellement affectées par
la décision litigieuse. Il y aurait une contradiction évidente à reconnaître l’affectation individuelle des requérantes et à contester leur intérêt à agir, l’affectation individuelle suffisait en elle‑même à fonder l’intérêt à agir.

157. La Commission soutient que le Tribunal n’a pas examiné la question de la qualité pour agir, car cet examen n’aurait pas été nécessaire pour conclure à l’irrecevabilité du recours, en l’absence d’intérêt à agir. Ensuite, lorsque le Tribunal a, malgré tout, répondu de manière détaillée à des arguments qui relèvent plutôt de la qualité pour agir que de l’intérêt à agir des requérantes, il l’aurait fait avec précaution, de manière assez subsidiaire, après avoir relevé que les requérantes
entretenaient une confusion entre les deux notions.

158. Le second moyen se fonde sur la prémisse selon laquelle, dès lors qu’un requérant a la qualité pour agir en annulation d’un acte de l’Union, il a automatiquement un intérêt à agir. Or, j’ai déjà relevé aux points 23 à 30 ci‑dessus que la qualité pour agir et l’intérêt à agir sont deux conditions de recevabilité distinctes. La prémisse sur laquelle se fonde le second moyen est donc erronée.

159. S’il est vrai que, ainsi que je l’ai déjà relevé ci‑dessus, le Tribunal, dans certains points de l’ordonnance attaquée, a, afin de répondre aux arguments des requérantes, mélangé des arguments concernant l’intérêt à agir et la qualité pour agir, il est toutefois évident que dans ladite ordonnance le Tribunal n’a pas traité directement la question de la qualité pour agir des requérantes. Cela n’était en effet pas nécessaire, du point de vue du Tribunal, dans la mesure où celui‑ci a conclu que le
recours était en tout état de cause irrecevable pour défaut d’intérêt à agir ( 108 ).

160. Cependant, la conclusion du Tribunal tirée du défaut d’intérêt à agir des requérantes étant à mon avis erronée ‐ comme je l’ai dit dans le cadre de l’analyse de la deuxième et de la troisième branche du premier moyen ‐, il s’ensuit que le Tribunal aurait dû analyser la qualité pour agir des requérantes. Par conséquent, en ne l’ayant pas fait, il a commis une erreur de droit. Dans ces conditions, le second moyen doit être également accueilli.

D – Conclusion sur le pourvoi

161. À la lumière de l’analyse qui précède, je propose à la Cour d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’ordonnance attaquée.

V – Sur la recevabilité du recours en première instance

162. Il résulte de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut soit statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui‑ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

163. En l’espèce, j’estime que, si la Cour n’est pas en mesure, à ce stade de la procédure, de statuer sur le fond du recours introduit devant le Tribunal, elle dispose cependant des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur la question de la recevabilité dudit recours contre la décision litigieuse.

164. En effet, d’une part, si la Cour décide de suivre ma proposition, l’intérêt à agir des requérantes doit être considéré comme établi.

165. D’autre part, à la suite du débat qui a eu lieu entre les parties devant le Tribunal, ainsi que devant la Cour dans le cadre du pourvoi – l’un des moyens soulevés devant elle concernant la qualité pour agir ‐ j’estime que la Cour dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer définitivement sur la question de la qualité pour agir des requérantes ( 109 ).

166. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 263, quatrième alinéa, TFUE prévoit deux cas de figure dans lesquels la qualité pour agir est reconnue à une personne physique ou morale pour former un recours contre un acte de l’Union dont elle n’est pas le destinataire. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de
mesures d’exécution si celui‑ci la concerne directement ( 110 ). La décision attaquée ayant été adressée à la République française, il convient d’examiner si les requérantes relèvent d’un de ces deux cas de figure.

167. En premier lieu, il convient d’exclure immédiatement qu’elles puissent disposer d’une qualité pour agir fondée sur le second cas de figure, car la décision litigieuse ne constitue pas un acte réglementaire aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, dans la mesure où elle n’a pas portée générale ( 111 ).

168. Il convient, ainsi, de vérifier si les requérantes sont directement et individuellement concernées par la décision litigieuse.

169. À cet égard, étant donné que, ainsi que je l’ai relevé au point 147 ci‑dessus, la décision litigieuse vient s’ajouter à la décision Sernam 3, en tant que décision connexe et complémentaire à celle‑ci et qu’elle vise, à la lumière de faits nouveaux intervenus après l’adoption de la décision Sernam 3, à en compléter le contenu, il y a lieu de considérer qu’elle partage sa nature juridique et, donc, également les conditions de recevabilité. En particulier, aux points 138 et 147 ci‑dessus, j’ai
considéré que la décision litigieuse constitue une décision qui concerne l’appréciation de la «dimension subjective» d’aides déjà déclarées incompatibles dans une décision antérieure et dans le cadre de laquelle la Commission apprécie la possibilité que ces aides soient transférées à un nouveau bénéficiaire, auprès duquel elles devront, éventuellement, être récupérées.

170. En l’espèce, dans le cadre de leur recours devant le Tribunal, les requérantes non seulement ont fait valoir l’incompétence de la Commission et le défaut de base légale de cette décision, mais ont également contesté le bien‑fondé de l’appréciation faite par la Commission visant à déterminer si les acquéreurs des actifs de Sernam devaient ou non être considérés comme bénéficiaires des aides ayant été déclarées incompatibles dans la décision Sernam 3.

171. Dans ces conditions, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le
serait ( 112 ).

172. S’agissant plus particulièrement du domaine des aides d’État, les requérantes, mettant en cause le bien‑fondé d’une décision d’appréciation de l’aide prise sur le fondement de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ou à l’issue de la procédure formelle d’examen, sont considérées comme individuellement concernées par ladite décision au cas où leur position sur le marché est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause. À cet égard, ont notamment été reconnues comme
individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure formelle d’examen, outre l’entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché soit substantiellement affectée par la mesure d’aide faisant l’objet de la décision litigieuse ( 113 ).

173. Au vu des considérations aux points 169 et 170 ci‑dessus, j’estime que cette jurisprudence est applicable à la recevabilité d’un recours d’annulation contre une décision telle que la décision litigieuse.

174. Or, force est de constater que, au moment de l’introduction de leur recours devant le Tribunal, à savoir le 17 décembre 2012, les sociétés Mory avaient déjà été mises en liquidation depuis le 10 juillet 2012. Sur cette base, le Tribunal a constaté, au point 32 de l’ordonnance attaquée, que, les sociétés Mory n’exerçant plus d’activité sur le marché depuis leur liquidation, elles ne sauraient voir leur position sur le marché substantiellement affectée par l’éventuel transfert à un nouveau
bénéficiaire des aides incompatibles qui font l’objet de la décision litigieuse. Cette conclusion, qui n’a été remise en cause à aucun moment par les requérantes, bien qu’elle ait été mentionnée à plusieurs reprises par la Commission dans le cadre de sa réponse au pourvoi, relève de l’appréciation souveraine des faits du Tribunal ( 114 ). Quant à Superga Invest, les requérantes n’ont pas contesté la constatation de fait du Tribunal, qui figure au point 52 de l’ordonnance attaquée, selon
laquelle elle n’est pas active dans le secteur de la messagerie et qu’elle ne peut donc pas être qualifiée de concurrente.

175. Dans ces conditions, aucune des requérantes ne saurait faire valoir que sa position sur le marché est substantiellement affectée par les aides, préalablement déclarées incompatibles dans la décision Sernam 3 et dont l’éventuel transfert à un nouveau bénéficiaire fait l’objet de la décision litigieuse. Il s’ensuit que la condition de l’affectation individuelle leur fait défaut et que, partant, leur recours doit, à mon avis, être déclaré irrecevable.

VI – Sur les dépens

176. En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle‑même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

177. En vertu de l’article 138, paragraphe 1, dudit règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

178. En l’occurrence, il y a lieu de relever que les requérantes ont obtenu gain de cause dans le cadre du pourvoi, mais que leur recours en première instance a été déclaré irrecevable. Cependant, dans le cadre du pourvoi, les requérantes n’ont pas conclu à la condamnation de l’autre partie aux dépens. Dans ces conditions, j’estime qu’il y a lieu de condamner chacune partie à supporter ses propres dépens dans le cadre du présent pourvoi. S’agissant des dépens afférents à la procédure de première
instance, ils seront supportés par les requérantes.

VII – Conclusion

179. Au vu des considérations qui précédent, je propose à la Cour de statuer de la manière suivante:

— l’ordonnance du Tribunal Mory e.a./Commission (T‑545/12, EU:T:2013:607) est annulée;

— le recours en annulation de Mory SA, Mory Team et Superga Invest contre la décision de la Commission européenne C(2012) 2401 final, du 4 avril 2012, concernant la reprise des actifs du groupe Sernam dans le cadre de son redressement judiciaire, est rejeté comme irrecevable;

— chacune partie est condamnée à supporter ses propres dépens afférents à la procédure de pourvoi;

— Mory SA, Mory Team et Superga Invest sont condamnées aux dépens afférents à la procédure devant le Tribunal.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) T‑545/12, EU:T:2013:607.

( 3 ) C(2012) 2401 final.

( 4 ) Décision concernant l’aide d’État NN 122/2000 (ex NJ 140/2000) (JO 2001, C 268, p. 15).

( 5 ) Décision 2006/367/CE, du 20 octobre 2004, concernant l’aide d’État partiellement mise à exécution par la France en faveur de l’entreprise Sernam (JO 2006, L 140, p. 1).

( 6 ) Décision d’ouverture publiée au JO 2009, C 4, p. 5.

( 7 ) Décision 2012/398/UE, concernant l’aide d’État no SA.12522 (C 37/08) – France – Application de la décision «Sernam 2» (JO L 195, p. 19). Cette décision fait l’objet d’un recours en annulation de la part de la SNCF pendant devant le Tribunal (ordonnance SNCF/Commission, T‑242/12, EU:T:2014:313).

( 8 ) Point 51 de la décision litigieuse.

( 9 ) Point 54 de la décision litigieuse.

( 10 ) Voir point 114 et partie V, intitulée «Conclusion», de la décision litigieuse.

( 11 ) Points 26 à 28 de l’ordonnance attaquée.

( 12 ) Points 29 à 35 de l’ordonnance attaquée. Dans ladite ordonnance, le Tribunal se réfère à la décision Sernam 2, mais en réalité l’argument des requérantes était tiré de la participation à la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision Sernam 3.

( 13 ) Points 36 à 51 de l’ordonnance attaquée.

( 14 ) Points 52 à 54 de l’ordonnance attaquée.

( 15 ) Points 55 à 58 de l’ordonnance attaquée.

( 16 ) Voir, par exemple, arrêts France e.a./Commission (C‑68/94 et C‑30/95, EU:C:1998:148, points 48 à 58 et 74) ainsi que Stichting Woonpunt e.a./Commission (C‑132/12 P, EU:C:2014:100, points 26 à 31, 42 à 64 et 67 à 75).

( 17 ) Voir arrêts Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 57) et Telefónica/Commission (C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 19).

( 18 ) Voir, notamment, arrêts ACEA/Commission (C‑319/09 P, EU:C:2011:857, point 67) et Stichting Woonlinie e.a./Commission (C‑133/12 P, EU:C:2014:105, point 54).

( 19 ) Une telle caractérisation de l’intérêt à agir trouve confirmation, d’un côté, dans la teneur de certaines langues officielles de l’Union, comme l’allemand, qui désigne l’intérêt à agir par le terme «Rechtsschutzbedurfnis» ou «Rechtschutzinteresse» (littéralement «besoin» ou «intérêt à la protection juridique») et, d’un autre côté, dans la jurisprudence de la Cour qui parle d’«intérêt né et actuel nécessitant une protection juridique» (voir arrêt Planet/Commission, C‑564/13 P, EU:C:2015:124,
points 28 et 34).

( 20 ) Cette conception de la finalité de la condition de l’intérêt à agir se reflète dans la formule utilisée à plusieurs reprises par le Tribunal dans sa jurisprudence, selon laquelle l’intérêt à agir doit exister dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Cet objectif a été mentionné à plusieurs reprises dans la jurisprudence du Tribunal. Voir, inter alia, arrêt Lior/Commission et Commission/Lior (T‑192/01 et T‑245/04, EU:T:2009:365, point 247) et ordonnance Talanton/Commission
(T‑165/13, EU:T:2014:1027, point 34).

( 21 ) Ordonnance S./Commission (206/89 R, EU:C:1989:333, point 8).

( 22 ) Arrêt Cañas/Commission (C‑269/12 P, EU:C:2013:415, point 15 et jurisprudence citée).

( 23 ) Voir, inter alia, arrêt Planet/Commission (C‑564/13 P, EU:C:2015:124, point 34).

( 24 ) Voir arrêts Stroghili/Cour des comptes (204/85, EU:C:1987:21, point 11); Commission/Koninklijke FrieslandCampina (C‑519/07 P, EU:C:2009:556, point 65), et Planet/Commission (C‑564/13 P, EU:C:2015:124, point 36) ainsi qu’ordonnance Commission/Provincia di Imperia (C‑183/08 P, EU:C:2009:136, point 26).

( 25 ) Arrêt Cañas/Commission (C‑269/12 P, EU:C:2013:415, point 15 et jurisprudence citée).

( 26 ) Il est indéniable cependant qu’il puisse y avoir des points de contact entre les deux notions, en particulier en relation à la condition de l’affectation directe telle que définie par la jurisprudence.

( 27 ) Voir, par exemple, arrêt Société pour l’exportation des Sucres/Commission (88/76, EU:C:1977:61, points 13 à 19). Dans certaines affaires, la jurisprudence a déclaré, à certaines conditions, irrecevable, en l’absence d’intérêt à agir, le recours contre une décision de la Commission qualifiant une mesure d’aide entièrement compatible avec le marché commun introduit par le bénéficiaire d’une aide, et donc directement et individuellement concerné par ladite décision. Voir arrêts Nuove Industrie
Molisane/Commission (T‑212/00, EU:T:2002:21, spécifiquement point 38) et Sniace/Commission (T‑141/03, EU:T:2005:129, point 62). Le fait qu’une décision soit favorable à un requérant (directement et individuellement concerné par elle) ne comporte pas nécessairement un défaut d’intérêt à agir dans son chef. Il est, en effet, possible que les motifs de ladite décision produisent des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant. Voir, à cet égard, arrêt
Coca‑Cola/Commission (T‑125/97 et T‑127/97, EU:T:2000:84, point 79), qui concernait le recours en annulation introduit par le bénéficiaire d’une décision déclarant une concentration compatible avec le marché commun.

( 28 ) Voir point 28 supra et jurisprudence y mentionnée.

( 29 ) Voir, par exemple, ordonnance Lech‑Stahlwerke/Commission (C‑111/99 P, EU:C:2001:58, en particulier point 19) et note 44 ci‑après.

( 30 ) Dans cette lettre du 14 novembre 2013, le magistrat rapporteur du tribunal administratif de Paris en charge de l’affaire a demandé aux requérantes si, à la suite de l’adoption de la décision Sernam 3 par la Commission, elles entendaient maintenir leur recours.

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt Mediaset (C‑69/13, EU:C:2014:71, point 23 et jurisprudence citée).

( 32 ) Voir, à cet égard, les points 24 et 25 de l’arrêt Mediaset (C‑69/13, EU:C:2014:71), lequel avait trait à des prises de position exprimées par la Commission dans des lettres concernant le montant de l’aide à récupérer auprès d’un bénéficiaire déterminé.

( 33 ) Voir jurisprudence mentionnée à la note 24 supra. Dans sa jurisprudence constante, le Tribunal précise cette caractérisation et exige que, si l’intérêt dont se prévaut un requérant concerne une situation juridique future, celui‑ci doit établir que l’atteinte à cette situation se révèle, d’ores et déjà, certaine et que, dès lors, un requérant ne saurait invoquer des situations futures et incertaines pour justifier son intérêt à demander l’annulation de l’acte attaqué. À cet égard, voir, entre
autres, arrêt Sniace/Commission (T‑141/03, EU:T:2005:129, point 26). Sauf erreur de ma part, cette formule n’a jamais été reprise par la Cour. L’ordonnance attaquée se fonde expressément sur cette jurisprudence du Tribunal (voir point 27 de l’ordonnance attaquée).

( 34 ) Voir, à cet égard, arrêts de la Cour Könecke Fleischwarenfabrik/Commission (76/79, EU:C:1980:68, point 9); France e.a./Commission (C‑68/94 et C‑30/95, EU:C:1998:148, point 74); Abdulrahim/Conseil et Commission (C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 64); ordonnance de la Cour Commission/Provincia di Imperia (C‑183/08 P, EU:C:2009:136, point 30) et arrêts du Tribunal Shanghai Excell M&E Enterprise et Shanghai Adeptech Precision/Conseil (T‑299/05, EU:T:2009:72 points 53 à 55) et Éditions
Odile Jacob/Commission (T‑471/11, EU:T:2014:739, point 44, actuellement sous pourvoi).

( 35 ) Arrêt Abdulrahim/Conseil et Commission (C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 65).

( 36 ) T‑269/03, EU:T:2009:211.

( 37 ) Dans cette affaire, le Tribunal a fondé sa conclusion quant au caractère purement hypothétique du recours en indemnité sur le fait, premièrement, qu’un tel recours n’avait pas encore été intenté plusieurs années après que le prétendu dommage a été causé, deuxièmement, qu’à l’audience la requérante avait elle‑même reconnu ce caractère hypothétique et, troisièmement, que la requérante avait indiqué que ses actionnaires ne l’avaient pas autorisée à introduire un tel recours, même en cas de
succès du recours en annulation qu’elle avait introduit (voir points 45 à 47 de l’arrêt Socratec/Commission, cité à la note précédente).

( 38 ) T‑141/03, EU:T:2005:129.

( 39 ) T‑136/05, EU:T:2007:295.

( 40 ) Relèvent de cette deuxième catégorie d’affaires, outre les affaires Sniace/Commission et Salvat père & fils e.a./Commission mentionnées aux deux notes précédentes, les affaires qui ont donné lieu à l’arrêt TV2/Danmark e.a./Commission (T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, EU:T:2008:457, notamment points 67 à 82) et à l’ordonnance Schutzgemeinschaft Milch und Milcherzeugnisse/Commission (T‑113/11, EU:T:2014:756, voir notamment points 32 à 34).

( 41 ) Arrêts Sniace/Commission (T‑141/03, EU:T:2005:129, point 28); Salvat père & fils e.a./Commission (T‑136/05, EU:T:2007:295, point 43), et TV2/Danmark e.a./Commission (T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, EU:T:2008:457, point 79).

( 42 ) T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, EU:T:2008:457, points 79 à 81.

( 43 ) C‑111/99 P, EU:C:2001:58.

( 44 ) Dans cette affaire, la requérante avait attaqué une décision de la Commission qui qualifiait d’aides d’État interdites des projets d’aides financières dans le cadre desquels le Land de Bavière s’était engagé à verser à la requérante 20 millions de DEM. La Cour a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission tirée du défaut d’intérêt à agir à la suite de l’abandon des plans de restructuration de la part dudit Land, en relevant qu’il n’était «pas exclu qu’une juridiction
nationale compétente puisse condamner le Land de Bavière à […] payer [à la requérante] le montant de 20 millions de DEM» (voir point 19 de l’ordonnance Lech‑Stahlwerke/Commission).

( 45 ) T‑28/02, EU:T:2005:357.

( 46 ) Dans cette affaire, le Tribunal a considéré que la prise en compte, par un juge national saisi d’un recours en indemnité, de l’appréciation de la Commission quant à l’applicabilité de l’article 101 TFUE était une circonstance aléatoire, donc future et hypothétique (points 47 à 51). De même, dans l’arrêt NBV et NVB/Commission (T‑138/89, EU:T:1992:95), le Tribunal a considéré qu’une appréciation du juge national différente de celle de la Commission quant à la condition d’affectation au commerce
entre États membres, prévue à l’article 101 TFUE, constituait une circonstance aléatoire (voir point 33; toutefois, dans cette affaire, il semblerait que le Tribunal se soit référé à une possible action engagée par des tiers).

( 47 ) Voir, par exemple, arrêts NBV et NVB/Commission (T‑138/89, EU:T:1992:95, point 33); Sniace/Commission (T‑141/03, EU:T:2005:129, point 40), et ordonnance First Data e.a./Commission (T‑28/02, EU:T:2005:357, point 51).

( 48 ) Voir points 28 et 29 ci‑dessus.

( 49 ) D’autre part, aucun élément du dossier n’est susceptible d’étayer la thèse de la Commission, selon laquelle l’action serait artificielle, car elle aurait été intentée exclusivement pour répondre à son exception d’irrecevabilité.

( 50 ) Voir point 76 ci‑dessus.

( 51 ) Points 44 à 46 de l’ordonnance attaquée.

( 52 ) Point 47 de l’ordonnance attaquée.

( 53 ) Voir point 80 supra.

( 54 ) En l’espèce, selon les requérantes, elles se seraient appauvries, car elles auraient perdu des volumes d’affaires en raison du maintien de la présence sur le marché de Sernam grâce aux aides incompatibles, et Geodis se serait enrichie à leur détriment, en ayant repris l’activité de Sernam ayant bénéficié des aides illégales et, partant, son volume d’affaires.

( 55 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Areva e.a./Commission (C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2013:579, points 110 à 116 et jurisprudence citée). Dans ce même contexte, j’avais également relevé qu’un grief qui repose sur un fondement juridique distinct des moyens avancés devant le Tribunal doit être considéré comme un moyen nouveau qui doit donc être déclaré irrecevable, alors qu’un grief articulé à l’appui d’un moyen déjà avancé devant le Tribunal peut constituer un argument recevable (voir,
notamment, points 112 et 113 et jurisprudence citée).

( 56 ) Voir jurisprudence citée aux points 110 à 116 de mes conclusions dans l’affaire Areva e.a./Commission (C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2013:579).

( 57 ) Règlement du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1).

( 58 ) T‑123/09, EU:T:2012:164 ; arrêt confirmé par la Cour (C‑287/12 P, EU:C:2013:395).

( 59 ) Voir note 58 supra.

( 60 ) Ordonnance SNCF/Commission (T‑242/12, EU:T:2014:313).

( 61 ) Voir note 58 supra.

( 62 ) Voir points 23 à 30 supra.

( 63 ) Voir point 59 de l’ordonnance attaquée.

( 64 ) Notamment, dans les cas de décisions de ne pas soulever d’objections fondées sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 659/1999. Voir arrêts Cook/Commission (C‑198/91, EU:C:1993:197, point 23); Matra/Commission (C‑225/91, EU:C:1993:239, point 17), et Commission/Kronoply et Kronotex (C‑83/09 P, EU:C:2011:341, points 47 et 48 et jurisprudence citée).

( 65 ) Voir note 58 supra.

( 66 ) Voir respectivement points 126 à 128 et 144 et point 139 ci‑dessous.

( 67 ) Voir point 51 de la décision litigieuse.

( 68 ) Voir points 33 et 56 de l’ordonnance attaquée.

( 69 ) Il convient de relever que, à l’heure actuelle, plusieurs affaires sont pendantes devant le Tribunal concernant des décisions dans lesquelles la Commission a analysé l’existence d’une continuité économique entre le bénéficiaire des aides d’État et le repreneur de ses actifs. Je me réfère en particulier, d’une part, aux affaires Larko/Commission (T‑412/14) et Larymnis Larko/Commission (T‑576/14), qui concernent la décision du 27 mars 2014 de la Commission [SG – Greffe (2014) D/4621/28‑3‑2014]
adressée à la République hellénique relativement à l’aide d’État mise en œuvre en faveur de la société anonyme dénommée «Geniki Metalleftiki kai Metallourgiki Anonymi Etaireia NEA LARKO» (NOUVELLE LARKO), et, d’autre part, aux affaires Italie/Commission (T‑673/14); SEA/Commission (T‑674/14), et Airport Handling/Commission (T‑688/14), qui concernent toutes la décision de la Commission C (2014) 4537 final, du 9 juillet 2014, notifiée le 10 juillet 2014, relative à la constitution de la société Airport
Handling SpA par la société SEA SpA. Or, je ne peux évidemment pas me prononcer sur ces affaires pendantes, mais j’en tiendrai tout de même compte dans mon analyse.

( 70 ) C‑328/99 et C‑399/00, EU:C:2003:252.

( 71 ) Décision 2000/536/CE de la Commission, du 2 juin 1999, relative à l’aide d’État octroyée par l’Italie à Seleco SpA (JO 2000, L 227, p. 24; voir, en particulier, spécifiquement points 116 à 120). Dans l’arrêt cité à la note précédente la Cour a partiellement annulé cette décision pour violation de l’obligation de motivation.

( 72 ) Anciennement article 88, paragraphe 2, CE.

( 73 ) Dans cette affaire, le juge de l’Union a rendu plusieurs arrêts. Ceux qui nous concernent ici sont, d’une part, l’arrêt Grèce e.a./Commission (T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386), concernant le recours en annulation contre la décision C (2005) 2706 final de la Commission, du 14 septembre 2005, relative à des aides d’État en faveur d’Olympiaki Aeroporia Ypiresies AE [C 11/2004 (ex NN 4/2003) – Olympiaki Aeroporia – Restructuration et privatisation], et, d’autre part, l’arrêt
Commission/Grèce (C‑415/03, EU:C:2005:287), concernant le recours contre la République hellénique pour manquement à l’obligation de récupération des aides jugées illégales et incompatibles dans la décision 2003/372/CE de la Commission, du 11 décembre 2002, concernant l’aide octroyée par la Grèce à Olympic Airways (JO 2003, L 132, p. 1).

( 74 ) Décision 2003/372 (voir note précédente).

( 75 ) Décision C (2005) 2706 final (voir note 73).

( 76 ) Ibidem, article 1er.

( 77 ) Voir points 178 à 183 de la décision C (2005) 2706 final.

( 78 ) Décision de la Commission du 16 mars 2004, aide d’État C 11/04 – Olympic Airways (JO C 192, p. 2).

( 79 ) En outre, dans le même cadre, la Commission avait mentionné avoir entamé la procédure d’infraction qui a donné lieu à l’arrêt Commission/Grèce (C‑415/03, EU:C:2005:287), dans lequel la Cour avait constaté qu’il s’agissait bien d’une opération visant à contourner la récupération des aides (voir points 33 et 34 dudit arrêt).

( 80 ) T‑123/09, EU:T:2012:164 et C‑287/12 P, EU:C:2013:395.

( 81 ) Décision 2009/155/CE de la Commission, du 12 novembre 2008, concernant le prêt de 300 millions d’euros consenti par l’Italie à la compagnie Alitalia C 26/08 (ex NN 31/08) (JO 2009, L 52, p. 3).

( 82 ) Décision C (2008) 6745 final de la Commission, du 12 novembre 2008, ayant pour objet l’aide d’État N 510/2008 – Italie – Vente des actifs de la compagnie aérienne Alitalia.

( 83 ) Points 92 à 127 de la décision C (2008) 6745 final.

( 84 ) Points 128 à 151 de la décision C (2008) 6745 final.

( 85 ) Point 68 de l’arrêt du Tribunal (T‑123/09, EU:T:2012:164).

( 86 ) Voir points 54 à 62 de l’arrêt de la Cour (C‑287/12 P, EU:C:2013:395).

( 87 ) Voir références à la note 69 ci‑dessus.

( 88 ) Voir point 47 de ladite décision.

( 89 ) Voir références à la note 69 ci‑dessus.

( 90 ) Voir point 26 de l’ordonnance Airport Handling/Commission (T‑688/14 R, EU:T:2014:1010).

( 91 ) Décision C (2013) 1668, du 19 décembre 2012.

( 92 ) Un cas similaire semble être, à première vue, le cas Airport Holding.

( 93 ) Dans le cas Ryanair, cette analyse était contenue dans une décision de ne pas ouvrir la procédure d’examen formel.

( 94 ) Dans le cas Larko, la décision d’incompatibilité des aides n’avait pas encore été adoptée par la Commission, et la constatation de l’absence de continuité économique avait donc un caractère préventif, «au cas où» la Commission devrait adopter une telle décision.

( 95 ) Points 14 à 50 de la décision litigieuse.

( 96 ) Point 54 de la décision litigieuse.

( 97 ) Voir point 60 de la décision litigieuse.

( 98 ) Points 62 à 107 de la décision litigieuse.

( 99 ) À cette fin, la décision doit produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique; voir, inter alia, arrêt Deutsche Post/Commission (C‑77/12 P, EU:C:2013:695, point 51 et jurisprudence citée).

( 100 ) Voir, respectivement, articles 4, paragraphe 3, et 7, paragraphes 3 et 4, du règlement no 659/1999.

( 101 ) À cette fin, il serait, peut‑être, possible de se référer à la définition de «modification d’une aide existante» aux termes de l’article 1er, sous c), prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 659/1999 (JO L 140, p. 1, et rectificatif JO L 286, p. 3), selon laquelle «on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou
administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun».

( 102 ) Voir note 94 supra.

( 103 ) Voir points 92 à 127 de la décision mentionnée à la note 82 ci‑dessus.

( 104 ) Dans la mesure où cet État membre cédait des actifs d’une société lui appartenant, la question se posait de savoir si cette vente d’un bien public était susceptible de comporter un élément d’aide. Dans la présente affaire, la vente des actifs intervient entre une société privée (vendeur) et une société devenue (à nouveau) la filiale d’une société publique (SNCF).

( 105 ) Voir, à cet égard, arrêt Mediaset (C‑69/13, EU:C:2014:71, point 27).

( 106 ) Voir, par analogie, points 51 et 52 de l’arrêt HGA e.a/Commission (C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387), concernant toutefois une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen. Dans cet arrêt, la Cour a également considéré que la circonstance que les textes régissant la procédure en matière d’aide d’État ne prévoient pas expressément la possibilité d’adopter une décision de ce type n’empêchait pas la Commission d’adopter une décision d’extension de la procédure formelle d’examen
si la décision d’ouverture était fondée sur des faits incomplets, à condition toutefois que l’extension ne porte pas atteinte aux droits procéduraux des parties intéressées.

( 107 ) T‑123/09, EU:T:2012:164.

( 108 ) Voir point 109 de l’ordonnance attaquée.

( 109 ) Une telle solution, d’une part, s’impose au vu du principe de l’économie de la procédure et, d’autre part, n’est pas susceptible de violer les droits de la défense des parties, dès lors qu’elles ont pu débattre sur la qualité pour agir tant en première instance que dans le cadre du pourvoi.

( 110 ) Arrêt Stichting Woonpunt e.a./Commission (C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 44).

( 111 ) Voir arrêt Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 51, 60 et 61). Selon la jurisprudence, un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Voir arrêt AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153, point 51).

( 112 ) Voir, notamment, arrêts Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 197, 223); Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, EU:C:2007:698, point 30), et Stichting Woonpunt e.a./Commission (C‑132/12 P, EU:C:2014:100, point 57).

( 113 ) Arrêt Sniace/Commission (C‑260/05 P, EU:C:2007:700, points 54 et 55 et jurisprudence citée).

( 114 ) Arrêt Sniace/Commission (C‑260/05 P, EU:C:2007:700, point 60).


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-33/14
Date de la décision : 18/06/2015
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Aides d’État – Recours en annulation – Article 263 TFUE – Recevabilité – Aides illégales et incompatibles – Obligation de récupération – Décision de la Commission européenne de ne pas étendre l’obligation de récupération au repreneur du bénéficiaire de l’aide – Intérêt à agir – Recours en indemnité et en récupération des aides devant les juridictions nationales – Qualité pour agir – Requérant non individuellement concerné.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : Mory SA e.a.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2015:409

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