La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/06/2015 | CJUE | N°C-408/14

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Aliny Wojciechowski contre Office national des pensions (ONP)., 11/06/2015, C-408/14


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 11 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑408/14

Aliny Wojciechowski

contre

Office national des pensions (ONP)

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal du travail de Bruxelles (Belgique)]

«Fonctionnaire retraité de l’Union européenne — Droit à pension — Principe de l’unité de carrière — Cumul des droits à pension — Principe de coopération loyale — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne»

1.  La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe de coopération loyale entre l’Union européenne et les États...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 11 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑408/14

Aliny Wojciechowski

contre

Office national des pensions (ONP)

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal du travail de Bruxelles (Belgique)]

«Fonctionnaire retraité de l’Union européenne — Droit à pension — Principe de l’unité de carrière — Cumul des droits à pension — Principe de coopération loyale — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne»

1.  La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe de coopération loyale entre l’Union européenne et les États membres et de l’article 34, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte»). Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Wojciechowski, ancienne fonctionnaire de l’Union, à l’Office national des pensions (ONP) belge (ci-après l’«ONP») au sujet du refus de cet organisme d’octroyer à
l’intéressée le bénéfice d’une pension de retraite.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

2. L’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII, intitulée «Modalités du régime de pensions», du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, établi par le règlement (CEE, Euratom, CECA) no 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission ( 2 ), tel que modifié par le
règlement (UE, Euratom) no 1080/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010 ( 3 ) (ci-après le «statut»), dispose:

«Le fonctionnaire qui entre au service de l’Union après avoir:

[...]

exercé une activité salariée ou non salariée,

a la faculté, entre le moment de sa titularisation et le moment où il obtient le droit à une pension d’ancienneté au sens de l’article 77 du statut, de faire verser à l’Union le capital, actualisé jusqu’à la date du transfert effectif, représentant les droits à pension qu’il a acquis au titre des activités visées ci-dessus.

[...]»

B – Le droit belge

3. L’arrêté royal no 50, du 24 octobre 1967, relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés ( 4 ), dans sa version applicable aux faits de l’affaire au principal (ci-après l’«arrêté royal no 50»), prévoit à son article 10 bis ( 5 ), premier et quatrième alinéas:

«Lorsque le travailleur salarié peut prétendre à une pension de retraite en vertu du présent arrêté et à une pension de retraite ou un avantage en tenant lieu en vertu d’un ou plusieurs autres régimes et lorsque le total des fractions qui pour chacune de ces pensions en expriment l’importance dépasse l’unité, la carrière professionnelle qui est prise en considération pour le calcul de la pension de retraite est diminuée d’autant d’années qu’il est nécessaire pour réduire ledit total à l’unité.

[...]

Pour l’application du présent article il y a lieu d’entendre par ‘autre régime’ tout autre régime belge en matière de pension de retraite et de survie à l’exclusion de celui des indépendants et tout autre régime analogue d’un pays étranger ou un régime qui est applicable au personnel d’une institution de droit international public.»

4. Aux termes de l’article 3 de l’arrêté royal du 14 octobre 1983 portant exécution de l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés ( 6 ) (ci-après l’«arrêté royal du 14 octobre 1983»), le nombre d’années à déduire en application de l’article 10 bis susvisé ne peut pas excéder 15 ni le résultat arrondi à l’unité supérieurs, obtenu en divisant la différence entre le montant converti ( 7 ) et le montant
forfaitaire ( 8 ) par un montant égal à 10 % dudit montant forfaitaire.

5. La réduction de la carrière professionnelle affecte par priorité les années qui ouvrent droit à la pension la moins avantageuse ( 9 ).

II – Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

6. Il ressort de la décision de renvoi que Mme Wojciechowski, de nationalité belge, a travaillé en tant que salariée en Belgique de l’année 1965 à l’année 1977, puis comme fonctionnaire à la Commission européenne du 17 octobre 1977 au 30 novembre 2011.

7. Au mois de mai 2012, l’ONP a examiné d’office le droit de Mme Wojciechowski à une pension de retraite de travailleur salarié, celle-ci atteignant l’âge légal de la retraite en Belgique (65 ans) le 26 avril 2013.

8. Sur le formulaire de premiers renseignements, complété le 21 mai 2012, l’intéressée a renseigné sa carrière professionnelle en Belgique comme travailleuse salariée de l’année 1965 à l’année 1977 et a indiqué bénéficier d’une pension à charge de la Commission depuis le 1er décembre 2011. Elle a également précisé avoir cessé toute activité professionnelle depuis cette date.

9. Par lettre du 12 juin 2012, l’ONP a demandé à la Commission si Mme Wojciechowski remplissait les conditions pour percevoir une pension de retraite à charge du régime de l’Union. Par lettre du 17 août 2012, la Commission a informé l’ONP qu’elle avait transmis les éléments de réponse à l’intéressée, conformément à sa pratique administrative.

10. Par lettre du 24 août 2012, Mme Wojciechowski a transmis à l’ONP l’attestation reçue de la Commission, dont il ressort qu’elle bénéficie, depuis le 1er décembre 2011, d’une pension à charge de cette dernière, calculée sur la base des contributions qu’elle a versées au régime communautaire des pensions pour la période allant du 17 octobre 1977 au 30 novembre 2011. Elle n’a pas communiqué à l’ONP le montant de cette pension. Par ce même courrier, Mme Wojciechowski a, en outre, confirmé à l’ONP ne
pas avoir exercé la faculté, offerte par l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, de faire verser à l’Union le capital représentant les droits à pension acquis au titre de son activité salariée.

11. Par décision du 11 septembre 2012, l’ONP a indiqué à l’intéressée, en se référant à l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50, ce qui suit:

«Vous avez, en plus de votre carrière, une carrière dans un autre régime (services publics, organisation internationale). Toutefois, vous ne pouvez, par le cumul des régimes de pension, dépasser l’unité de carrière, ce qui signifie que votre carrière globale ne peut comporter plus de 45 années. [...] votre carrière doit être diminuée de 10 années. [...]»

12. Il ressort de cette décision que l’ONP a considéré que Mme Wojciechowski avait totalisé 13/45èmes dans une carrière comme travailleuse salariée et 45/45èmes dans une carrière dans un autre régime. En application des règles de calcul en vigueur, il en a déduit que l’intéressée avait droit, au titre de sa carrière en tant que travailleuse salariée en Belgique, à une pension de retraite de 83,05 euros, correspondant à une carrière professionnelle de travailleur salarié de 3/45èmes ( 10 ).

13. Par courrier électronique du 13 novembre 2012, l’ONP a précisé à Mme Wojciechowski que, à défaut de connaître le montant de la pension versée par la Commission, il estimait que, après 35 années de carrière au sein de cette institution, la fraction représentant l’importance de la pension à prendre en considération pour l’application dudit article 10 bis était égale à 70/70èmes, ou 45/45èmes – considérant que pour chaque année travaillée le fonctionnaire européen entré en service avant le 1er mai
2004 acquiert à titre de pension 2 % par année, par référence au dernier salaire payé en activité, et que le pourcentage maximum qu’il peut acquérir est limité à 70 % de son dernier salaire de base –, et que l’unité de carrière était donc dépassée de treize années.

14. Quant au calcul de la réduction de pension applicable du fait de ce dépassement, l’ONP a indiqué dans ce même courrier électronique que, lorsque le montant de la pension reçu de l’autre régime n’est pas connu, ce calcul est effectué à partir du montant converti de l’autre régime, qui est supposé être, jusqu’à preuve du contraire, «égal à 2,5 fois le montant forfaitaire de 6506,98 [euros] à l’indice 138,01» ( 11 ). Il en résultait, selon l’ONP, qu’aucune année d’activité en tant que travailleuse
salariée ne pouvait être validée, contrairement à ce qui avait été indiqué dans la décision du 11 septembre 2012. L’ONP n’a pas notifié de nouvelle décision à l’intéressée, mais a cessé de lui verser la pension à partir du mois de juillet 2013.

15. Par requête déposée le 11 décembre 2012, Mme Wojciechowski a saisi le tribunal du travail de Bruxelles (Belgique) d’une demande de nullité de la décision du 11 septembre 2012 ainsi que d’une condamnation de l’ONP à lui accorder une pension de retraite fixée à 13/45èmes, soit approximativement 367,07 euros par mois ( 12 ). Au soutien de sa demande, Mme Wojciechowski fait notamment valoir que, si le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de
sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté ( 13 ), ou le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ( 14 ), étaient applicables à sa situation, il en résulterait, en vertu de la jurisprudence de la Cour ( 15 ), une impossibilité pour l’ONP d’appliquer, pour calculer sa pension belge, ledit
principe d’unité de carrière. Elle estime, en outre, que l’ONP a commis une erreur, sa carrière dans les institutions ayant duré 34 ans et 11 mois, soit 35 années, et non 45. À cet égard, elle se demande sur quel fondement juridique l’ONP a fixé de manière théorique le montant de sa pension européenne.

16. L’ONP soutient que les pensions à charge des institutions de l’Union ne relèvent pas du champ d’application de la législation de l’Union en matière de cumul, les règlements nos 1408/71 et 883/2004 n’étant pas applicables. La Cour de cassation belge aurait en outre admis la constitutionnalité du principe de l’unité de carrière et l’ONP estime avoir appliqué un principe de précaution en appliquant l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 sur la base de données théoriques, faute de disposer des
renseignements demandés à la Commission.

17. La juridiction de renvoi précise que le principe de l’unité de carrière concrétise le caractère résiduel du régime de pension des travailleurs salariés par rapport aux autres régimes et veut que toutes les carrières reconnues, à l’exception de celle d’indépendant, soient additionnées à celles de travailleur salarié et que, lorsque le total des fractions exprimant l’importance de chacune des pensions dépasse l’unité, la carrière professionnelle prise en considération pour le calcul de la pension
de retraite de travailleur salarié soit diminuée d’autant d’années qu’il est nécessaire pour réduire ledit total à l’unité. Ainsi que l’aurait jugé la Cour constitutionnelle belge dans un arrêt du 20 septembre 2011, ledit article 10 bis viserait à assurer que tous les travailleurs ayant une carrière professionnelle mixte soient traités sur un pied d’égalité, tout en poursuivant un objectif de maîtrise des dépenses dans le secteur des pensions.

18. Après avoir constaté que le régime applicable au personnel statutaire de la Commission, en tant que régime applicable au personnel d’une institution de droit international public, est visé à l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 et que, au vu de la jurisprudence de la Cour, Mme Wojciechowski ne paraît pas pouvoir se prévaloir des articles 45 TFUE et 48 TFUE ni des règlements nos 1408/71 ou 883/2004, le tribunal du travail de Bruxelles cite de larges extraits de la décision de renvoi de la
cour du travail de Bruxelles dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54). Bien qu’il estime que les motifs de cette décision ne sont pas directement transposables au présent litige, les réglementations belges en cause étant différentes, et que la solution dégagée dans l’arrêt My (C‑293/03, EU:C:2004:821) n’est pas non plus directement transposable au litige dont il a à connaître, il considère néanmoins que l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 pourrait rendre
plus difficile le recrutement, par l’Union, de fonctionnaires de nationalité belge ayant une certaine ancienneté.

19. C’est dans ces conditions que le tribunal du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le principe de coopération loyale et l’article 4, paragraphe 3, TUE, d’une part, l’article 34, paragraphe 1, de la [Charte], d’autre part, s’opposent-ils à ce qu’un État membre réduise, voire refuse, une pension de retraite due à un travailleur salarié en vertu des prestations accomplies conformément à la législation de cet État membre, lorsque le total des années de carrière accomplies dans cet État membre et au sein des institutions européennes dépasse l’unité de carrière de 45 ans visée à
l’article 10 bis de [l’arrêté royal no 50]?»

III – La procédure devant la Cour

20. Ont déposés des observations écrites dans la présente affaire conformément à l’article 23, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne le gouvernement belge et la Commission. Après avoir renoncé à présenter des observations écrites, Mme Wojciechowski a déposé une demande visant à la tenue d’une audience. Cette demande a été accueillie au titre de l’article 76, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour.

21. Par ordonnance du 13 mars 2015, la Cour a admis la demande de Mme Wojciechowski tendant à obtenir le bénéfice de l’aide juridictionnelle.

22. Mme Wojciechowski ainsi que le gouvernement belge et la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries à l’audience du 7 mai 2015.

IV – Sur la question préjudicielle

A – Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la question préjudicielle

1. Sur la compétence de la Cour

a) Arguments du gouvernement belge

23. Le gouvernement belge conteste, à titre principal, la compétence de la Cour pour connaître de la question préjudicielle, l’affaire au principal ne présentant aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union. D’une part, la situation de Mme Wojciechowski serait purement interne, ne relevant ni des dispositions du droit primaire en matière de libre circulation des travailleurs ni des règlements nos 1408/71 ou 883/2004. D’autre part, le litige au principal ne porterait pas sur le refus ou la
réduction de la pension de retraite à laquelle l’intéressée peut prétendre pour la carrière qu’elle a accomplie au sein de l’Union ni sur le refus de l’ONP de prendre en considération les années de carrière accomplies au sein d’une institution aux fins de la détermination de la pension de retraite du régime belge, cette carrière ayant, au contraire, bien été prise en compte. Le principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, qui établit une obligation réciproque entre
l’Union et ses États membres, ne serait pas applicable dans la présente affaire, qui ne pourrait être comparée ni à celle ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Belgique (137/80, EU:C:1981:237) ni à celle ayant donné lieu à l’arrêt My (C‑293/03, EU:C:2004:821).

24. Enfin, selon le gouvernement belge, l’article 34 de la Charte n’est pas non plus applicable en l’espèce dans la mesure où, d’une part, cette disposition traduirait un simple principe, et non un droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte elle-même, et, d’autre part, l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 ne saurait être considéré comme une disposition mettant en œuvre le droit de l’Union.

b) Analyse

25. Selon une jurisprudence constante, un fonctionnaire de l’Union a la qualité de travailleur au sens de l’article 45, paragraphe 1, TFUE à condition qu’il ait fait usage de son droit à la libre circulation ( 16 ). À cet égard, la Cour a précisé que la période d’activité dans un service public international, tel celui de l’Union, ne peut pas être assimilée à une période accomplie dans le service public d’un autre État membre et ne saurait, dès lors, être susceptible de créer, à elle seule, un lien
avec l’une des situations envisagées à ladite disposition du traité ( 17 ).

26. En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi et du dossier que Mme Wojciechowski, de nationalité belge, a toujours résidé et travaillé en Belgique ( 18 ), d’abord en tant que salariée dans le secteur privé, puis au service de la Commission. Elle n’a jamais acquis, au cours de sa vie professionnelle, la qualité de travailleur migrant. Dès lors, sa situation, qui reste purement interne, ne relève pas de l’article 45, paragraphe 1, TFUE ( 19 ).

27. Par ailleurs, et ainsi que correctement observé par la juridiction de renvoi et par le gouvernement belge, la situation de Mme Wojciechowski pendant la période où elle a été employée au service de la Commission ne relève pas non plus du règlement no 1408/71 ni du règlement no 883/2004. En effet, la Cour a précisé, à cet égard, que «les fonctionnaires [de l’Union] ne sauraient être qualifiés de travailleurs au sens du règlement no 1408/71 dès lors qu’ils ne sont pas soumis à une législation
nationale en matière de sécurité sociale, comme l’exige l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, définissant le champ d’application personnel de ce dernier» ( 20 ).

28. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour que la situation d’un fonctionnaire ne relève pas du domaine d’application du droit de l’Union du seul fait de l’existence d’un lien d’emploi, actuel ou passé, avec celle-ci ( 21 ).

29. Dès lors, la seule circonstance que Mme Wojciechowski ait la qualité de fonctionnaire retraité ne permet pas de conclure de manière automatique à l’existence d’un lien de rattachement avec le droit de l’Union. À cet égard, il importe de souligner que, si, à ce titre, elle relève du champ d’application du statut, à savoir d’un acte «obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre» ( 22 ), qui lie les États membres «dans toute la mesure où leur concours est
nécessaire à sa mise en œuvre» ( 23 ), il est cependant constant qu’aucune disposition de celui-ci ne régit directement les faits en cause au principal.

30. En particulier, il ne saurait être tiré d’une quelconque disposition du statut une interdiction, pour les États membres, de prendre en considération la pension dont bénéficie un ancien fonctionnaire de l’Union à la charge de celle-ci aux fins de l’application d’une règle de droit national aboutissant au plafonnement des droits à pension dont ledit fonctionnaire pourrait prétendre au titre de la législation de cet État membre. Il est en revanche de jurisprudence constante que le droit de l’Union
ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et que, s’il est vrai que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union ( 24 ), il n’en demeure pas moins que, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer, d’une part, les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale et, d’autre
part, les conditions qui donnent droit à des prestations ( 25 ).

31. Certes, il pourrait être soutenu que la réglementation belge a pour effet de porter atteinte à la faculté de transfert des droits à pension prévue à l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, dans la mesure où, si cette faculté n’est pas exercée, les droits à pension acquis dans le régime belge avant l’entrée au service de l’Union peuvent être perdus, transformant ainsi de facto cette faculté en obligation, en violation du libellé clair de cette disposition. Cependant, dans
l’affaire au principal, Mme Wojciechowski se plaint du fait qu’aucune pension de retraite au titre du régime belge ne lui a été reconnue pour les périodes pendant lesquelles elle a cotisé à ce régime et non pas d’une entrave au fonctionnement du mécanisme de transfert prévu par la disposition précitée du statut, qui ne vise qu’à permettre d’opérer une conversion du capital représentant les droits à pension acquis dans le système national en annuités d’après le régime de pension de l’Union et
auquel, au demeurant, Mme Wojciechowski a expressément renoncé.

32. Cela étant dit, il convient de souligner que, par la première partie de la question posée, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’application à la situation de la requérante au principal d’une jurisprudence de la Cour, inaugurée avec les arrêts Commission/Belgique (137/80, EU:C:1981:237) et My (C‑293/03, EU:C:2004:821) et récemment confirmée par l’arrêt Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54), selon laquelle le devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux États membres à l’égard
de l’Union et qui trouve son expression dans l’obligation, prévue à l’article 10 CE (devenu article 4, paragraphe 3, TUE), de faciliter à celle-ci l’accomplissement de sa mission s’oppose à une réglementation nationale susceptible de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union, rendant plus difficile le recrutement par celle-ci de fonctionnaires nationaux ( 26 ).

33. Or, selon la juridiction de renvoi, la réglementation en cause au principal et l’application qui en a été faite par l’ONP dans le cas de Mme Wojciechowski sont susceptibles de méconnaître ledit devoir de coopération et d’assistance loyales, tel qu’interprété et appliqué par la Cour dans cette jurisprudence.

34. Dans ces circonstances, la compétence de la Cour pour répondre à cette partie de la question préjudicielle ne me semble pas pouvoir être contestée. Une telle compétence a d’ailleurs été implicitement admise dans l’arrêt Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54), dans lequel la Cour a répondu à une question analogue posée par la cour du travail de Bruxelles, portant sur l’application de la réglementation belge en matière d’indemnité de chômage dans le cadre d’un litige opposant l’ONP à un ancien agent
contractuel de l’Union, dont la situation, tout comme celle de Mme Wojciechowski, ne présentait pas d’autres liens de rattachement au droit de l’Union ( 27 ).

35. L’argument du gouvernement belge selon lequel le litige au principal se distingue de ceux ayant donné lieu aux arrêts Commission/Belgique (137/80, EU:C:1981:237) et My (C‑293/03, EU:C:2004:821), de sorte que les principes dégagés par la Cour dans ces arrêts ne seraient pas transposables à la situation de Mme Wojciechowski, touche au fond de la question posée par la juridiction de renvoi et n’est donc pas tel à affecter la compétence de la Cour pour y répondre.

36. En ce qui concerne la deuxième partie de la question préjudicielle, portant sur l’interprétation de l’article 34 de la Charte, je suis de l’avis que, en l’absence d’autres facteurs de rattachement au droit de l’Union, l’application de la Charte et, dès lors, la compétence de la Cour pour répondre à cette partie de la question ne sauraient être établies que si la jurisprudence de la Cour citée au point 32 ci-dessus était applicable à la situation de Mme Wojciechowski ( 28 ).

2. Sur la recevabilité de la question préjudicielle

37. Pour le cas où la Cour s’estimerait compétente, le gouvernement belge conteste la recevabilité de la question posée, celle-ci présentant, selon lui, un caractère purement hypothétique, la juridiction de renvoi fondant la saisine de la Cour sur l’hypothèse, non vérifiée dans les faits et étrangère au litige au principal, selon laquelle l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 «pourrait rendre plus difficile le recrutement par la Communauté européenne de fonctionnaires de nationalité belge ayant
une certaine ancienneté».

38. À cet égard, je me borne à observer que la jurisprudence mentionnée au point 32 ci-dessus se fonde, en substance, sur la constatation de l’existence d’un risque d’entrave à l’accomplissement par l’Union de sa mission en raison de l’application de réglementations nationales susceptibles de décourager l’accès de certaines catégories de travailleurs à la fonction publique européenne. En émettant l’hypothèse contestée par le gouvernement belge, la juridiction de renvoi, loin d’introduire un élément
étranger à la réalité du litige au principal, ne fait que s’interroger, et interroger la Cour, sur l’existence, dans les circonstances de l’affaire au principal, dudit risque et sur la réunion des conditions pour l’application de la jurisprudence susmentionnée.

B – Sur le fond

1. Sur la première partie de la question préjudicielle: le principe de coopération loyale

39. Par la première partie de sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le principe de coopération loyale s’oppose à ce qu’un État membre réduise, voir refuse, une pension de retraite due à un travailleur salarié en vertu de prestations accomplies conformément à la législation de cet État membre, lorsque le total des années de carrière accomplies dans cet État et au sein des institutions européennes dépasse l’unité de carrière visée par la législation nationale.

a) Observations présentées devant la Cour

40. Le gouvernement belge fait valoir que le volet de la question posée par la juridiction de renvoi portant sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, TUE appelle une réponse négative. Selon ce gouvernement, le principe de coopération loyale, tel qu’interprété par la Cour dans les arrêts mentionnés au point 32 ci‑dessus, n’est pas applicable au litige au principal qui ne porte pas sur le refus des autorités nationales de prendre en considération les années de carrière accomplies par un
travailleur au sein de l’Union aux fins de la détermination de sa pension de retraite au titre du régime belge. Cette carrière a bien été prise en considération dans le cas de Mme Wojciechowski. Or, l’article 4, paragraphe 3, TUE établirait une obligation réciproque de coopération loyale entre l’Union et les États membres.

41. Le gouvernement belge fait en outre valoir que, même à supposer que le principe de coopération loyale soit applicable au litige au principal, la règle de l’unité de carrière prévue par la législation belge ne saurait y porter atteinte. À cet égard, ce gouvernement observe que ledit principe ne saurait conduire à avantager les personnes qui ont été travailleurs salariés avant d’accomplir une carrière complète au sein de l’Union comme fonctionnaire par rapport aux autres travailleurs, en
particulier ceux ayant accompli une carrière mixte. La règle de l’unité de carrière reposerait sur un motif légitime, la maîtrise des dépenses dans le secteur des pensions, et sur un principe d’égalité des travailleurs ayant accompli une carrière mixte. Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit de l’Union ne porterait pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et il leur appartiendrait, en l’absence d’harmonisation au niveau
de l’Union, de déterminer les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale ainsi que les conditions qui donnent droit à des prestations.

42. La Commission fait observer que si le règlement no 883/2004, avait été applicable au litige au principal, les autorités belges n’auraient pas pu opposer la règle de l’unité de carrière à Mme Wojciechowski, car cela aurait porté atteinte au principe de la totalisation des périodes différentes d’assurance et aurait été contraire à l’esprit des règles anticumul prévues par ce règlement ( 29 ). Or, selon la Commission, la même solution s’impose en force de l’obligation de coopération loyale qui pèse
sur le Royaume de Belgique au titre de l’article 4, paragraphe 3, TUE. À cet égard, elle indique, d’une part, que la règle de l’unité de carrière est susceptible d’entraver et, partant, de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union, dans la mesure où, en acceptant un emploi auprès d’une telle institution, ce travailleur se verra privé d’une protection contre la règle anticumul de la législation belge, règle qui ne pourrait pas lui être opposée s’il
avait exercé son droit à la libre circulation dans un autre État membre. D’autre part, elle souligne qu’il résulte de la jurisprudence que l’objectif de recrutement d’un personnel qualifié par les institutions de l’Union, objectif dans la réalisation duquel les États membres soutiennent l’Union en vertu du principe de coopération loyale, génère un principe fondamental guidant la jurisprudence de la Cour, à savoir celui selon lequel les droits à la sécurité sociale d’une personne ayant occupé un
emploi national dans un État membre ne sauraient pâtir du fait que celle-ci a travaillé dans les institutions européennes. Selon la Commission, les différences existant entre l’affaire au principal et celle ayant donné lieu à l’arrêt My (C‑293/03, EU:C:2004:821) ne permettent pas de retenir une conclusion différente de celle à laquelle est parvenue la Cour dans cet arrêt. En outre, l’application de l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 en l’espèce aboutirait à ce que Mme Wojciechowski a versé
des cotisations sociales à fonds perdus dans le régime de pension belge.

43. Lors de l’audience, la Commission a ultérieurement précisé sa position, indiquant que la situation d’un fonctionnaire de l’Union doit être assimilée à celle d’un travailleur migrant, même lorsqu’il n’a pas fait usage de son droit à la libre circulation. La jurisprudence rappelée au point 32 ci-dessus aurait été élaborée par la Cour dans le but de contourner les obstacles éventuels à l’application, à l’égard des fonctionnaires de l’Union, des principes qui se dégagent des règles du traité sur la
libre circulation des travailleurs.

44. S’appuyant, notamment, sur l’arrêt Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54) ainsi que sur les conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Časta (C‑166/12, EU:C:2013:443) Mme Wojciechowski a soutenu, lors de l’audience, que l’article 4, paragraphe 3, TUE, en liaison avec le statut, consacre un principe selon lequel la continuité des prestations sociales acquises par un fonctionnaire de l’Union sous un régime de sécurité sociale national doit être garantie.

b) Analyse

45. Il convient de rejeter d’emblée l’argument du gouvernement belge tiré du caractère réciproque du principe de coopération loyale. Si je comprends bien cet argument, ledit gouvernement estime que, en vertu d’une telle réciprocité, il ne saurait être contesté, à la fois, à un État membre de ne pas avoir pris en compte la période d’emploi d’un travailleur au sein d’une institution de l’Union afin d’établir les droits sociaux de celui-ci au titre du régime national, comme dans les affaires ayant
donné lieu aux arrêts My (C‑293/03, EU:C:2004:821) et Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54) et d’avoir procédé à une telle prise en compte, comme dans le litige au principal.

46. Il est, certes, incontestable que le principe de coopération loyale inscrit à l’article 4, paragraphe 3, TUE, ainsi qu’il est d’ailleurs expressément énoncé au premier alinéa de cette disposition ( 30 ), implique un devoir mutuel d’assistance entre l’Union et ses États membres. Il s’ensuit qu’une violation de ce principe peut se produire lorsqu’une telle réciprocité n’est pas assurée, notamment lorsqu’une obligation de coopération pèse de manière unilatérale sur les États membres ou encore
lorsque le contenu de cette obligation est défini de manière à empiéter sur des compétences réservées aux États membres.

47. Tel n’est cependant pas le cas dans les circonstances de l’affaire au principal.

48. À cet égard, j’observe, d’une part, que la jurisprudence citée au point 32 ci‑dessus vise, en principe, toute réglementation ou pratique nationale qui, n’assurant pas la continuité des droits sociaux des travailleurs qui ont passé une partie de leur carrière au sein d’une institution de l’Union, a pour effet de décourager l’entrée au service de celle-ci et, dès lors, de rendre plus difficile le recrutement, par l’Union, de son personnel. Puisque une telle réglementation ou pratique nationale est
appréciée uniquement en fonction de ses effets, il s’ensuit que sont susceptibles d’être frappés par cette jurisprudence tant le refus, par les autorités d’un État membre, de prendre en compte les périodes qu’un travailleur a accompli en qualité de fonctionnaire d’une institution de l’Union aux fins de l’ouverture à un droit prévu par le régime de sécurité sociale de cet État que, comme dans le cas de Mme Wojciechowski, la prise en compte de ces mêmes périodes afin de réduire, voire de
supprimer, les droits que le travailleur a acquis au titre dudit régime ( 31 ). Cette conclusion découle de la ratio sous-jacente la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus et ne saurait être considérée comme méconnaissant le caractère réciproque du devoir de coopération loyale.

49. D’autre part, s’il est vrai que, ainsi que le rappelle le gouvernement belge, le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et que, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions d’octroi des prestations en matière de sécurité sociale, il demeure toutefois que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent
respecter le droit de l’Union ( 32 ), y compris les principes que la Cour a dégagés, dans la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, du principe de coopération loyale en liaison avec le statut.

50. De même, je ne suis pas convaincu par la thèse de la Commission, selon laquelle il faut assurer un parallélisme entre les solutions qui se dégagent, d’une part, de l’application des dispositions du traité sur la libre circulation des travailleurs et de celles du règlement no 883/2004 et, d’autre part, de la jurisprudence de la Cour sur l’application du principe de coopération loyale mentionnée au point 32 ci-dessus ( 33 ).

51. En effet, premièrement, comme l’a rappelé à juste titre le gouvernement belge lors de l’audience, dans l’arrêt My (C‑293/03, EU:C:2004:821, point 42), la Cour a expressément exclu que la période d’activité dans un service public international, tel celui de l’Union, puisse être assimilée à une période accomplie dans le service public d’un autre État membre aux fins de l’application de l’article 45 TFUE, distinguant donc clairement la situation d’un travailleur migrant de celle d’un fonctionnaire
qui n’a pas fait usage de son droit à la libre circulation.

52. Deuxièmement, ainsi que je l’ai exposé au point 27 ci-dessus, il est de jurisprudence constante que la situation des fonctionnaires de l’Union ne relève pas des règlements adoptés sur le fondement de l’article 48 TFUE, visant à coordonner les législations des États membres dans le domaine de la sécurité sociale, et cela même lorsque lesdits fonctionnaires ont exercé leur droit à la libre circulation.

53. Troisièmement, comme la Cour l’a précisé dans les arrêts Commission/Luxembourg (315/85, EU:C:1987:569, point 21) et Časta (C‑166/12, EU:C:2013:792, point 30) s’agissant de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, les dispositions de ce dernier ne visent pas à une harmonisation ni à une coordination des diverses dispositions nationales dans le domaine des pensions.

54. Quatrièmement, en établissant le principe selon lequel méconnaît son devoir de coopération loyale, lu en combinaison avec les dispositions du statut, l’État membre qui adopte une réglementation susceptible de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une institution européenne, la jurisprudence mentionnée au point 32 ci-dessus vise à supprimer les obstacles que de telles règlementations nationales peuvent créer au recrutement par l’Union de son personnel conformément à
l’objectif énoncé à l’article 27, premier alinéa, du statut ( 34 ). Dès lors, au vu de sa ratio, l’application de cette jurisprudence ne peut faire abstraction d’un examen visant à établir si la réglementation dont il s’agit est concrètement de nature à «rendre plus difficile» un tel recrutement ( 35 ).

55. Cela étant précisé, il convient de vérifier si la réglementation en cause dans le litige au principal est susceptible de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union au sens de la jurisprudence mentionnée au point 32 ci-dessus.

56. Je rappelle, à cet égard, que la Cour a déjà jugé contraire au principe de coopération loyale en liaison avec les dispositions du statut une réglementation nationale de nature à rendre plus difficile le recrutement par une institution de l’Union de travailleurs ayant une certaine ancienneté ( 36 ), ainsi qu’une réglementation nationale susceptible d’entraver le recrutement, par l’une de ces institutions, de personnel temporaire ( 37 ).

57. Dans les affaires au principal ayant donné lieu à ces décisions, les périodes de travail au service d’institutions de l’Union n’avaient pas été prises en compte afin d’ouvrir droit à des prestations prévues par le régime de sécurité social de l’État membre concerné auxquelles l’intéressé aurait eu droit si, pendant ces périodes, il avait été affilié audit régime. Dans la procédure préjudicielle qui nous occupe, en revanche, la carrière dans l’Union de la requérante au principal a bien été prise
en compte afin du calcul de sa pension d’ancienneté belge. Cette seule circonstance n’est cependant pas de nature à justifier une solution différente, du moment où une telle prise en compte aboutit au même résultat de réduire, voire de supprimer, les droits à pension auxquels Mme Wojciechowski aurait pu prétendre à la charge du régime belge si elle n’avait pas travaillé pour une institution de l’Union.

58. Or, la perspective de la perte de tels avantages est, en principe, susceptible de dissuader un travailleur ayant acquis une certaine ancienneté sous le régime de pensions belge d’accepter un emploi auprès d’une institution de l’Union ou de l’inciter à quitter les fonctions qu’il y occupe avant d’y avoir accompli une carrière complète. Dès lors, la réglementation en cause dans l’affaire au principal méconnaît le principe de coopération loyale en liaison avec le statut au même titre que les
réglementations dont il était question dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt My (C‑293/03, EU:C:2004:821) et à l’ordonnance Ricci et Pisaneschi (C‑286/09 et C‑287/09, EU:C:2010:420).

59. Il convient cependant de relever que ce n’est pas l’application en soi de la règle de l’unité de carrière prévue à l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 qui a entraîné la perte de la totalité des droits à pension auxquels Mme Wojciechowski aurait pu prétendre si elle était restée affiliée au régime belge des travailleurs salariés pour l’ensemble de sa carrière, mais plutôt la manière dont l’ONP a calculé la fraction qui exprime l’importance de la pension à la charge de l’Union, assimilant une
carrière de 35 années dans une institution de l’Union à une carrière complète (45/45èmes) sous le régime belge. En effet, les droits à pension de la requérante au principal selon le régime belge n’auraient pas du tout été affectés si l’ONP avait considéré que les 35 années qu’elle a accomplies au service de la Commission équivalaient à une fraction de 35/45èmes, et s’il avait, dès lors, conclu que sa carrière globale comportait 48/45èmes, avec un dépassement de l’unité de carrière de seulement
trois ans. Il s’ensuit que c’est non pas la règle de l’unité de carrière qu’enfreint le principe de coopération loyale en liaison avec le statut, mais la méthode appliquée par les autorités belges pour calculer la correspondance entre la pension belge et celle de l’Union.

60. Lors de l’audience, le gouvernement belge a particulièrement insisté sur la faculté qu’a le fonctionnaire qui entre au service de l’Union, conformément à l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, de faire verser à l’Union, entre le moment de sa titularisation et le moment où il obtient le droit à une pension d’ancienneté au sens de l’article 77 du statut, le capital, actualisé jusqu’à la date du transfert effectif, représentant les droits à pension qu’il a acquis au titre de ses
activités antérieures. Selon ce gouvernement, c’est la circonstance que Mme Wojciechowski n’a pas exercé ladite faculté qui a entraîné pour elle la perte de ses droits à pension au titre du régime belge.

61. À cet égard, il est vrai, ainsi que le souligne également le gouvernement belge, que, dans l’arrêt Commission/Belgique (137/80, EU:C:1981:237), la Cour a précisé que, en instaurant en faveur des fonctionnaires un système de transfert des droits à pension, la disposition susmentionnée de l’annexe VIII du statut «vise à faciliter le passage des emplois nationaux, publics ou privés, à l’administration communautaire et à garantir ainsi aux Communautés les meilleures possibilités de choix d’un
personnel qualifié déjà doté d’une expérience professionnelle appropriée» ( 38 ). Cependant, l’exercice d’une telle faculté ne permet que de convertir en annuités sous le régime des pensions de l’Union les périodes de contribution à un régime national. Il s’ensuit que, dans le cas d’un fonctionnaire qui, comme la requérante au principal, a cotisé pour un nombre significatif d’années au régime de pensions national avant d’accomplir une carrière complète au sein d’une institution de l’Union, un
tel transfert présente, certes, l’avantage de lui permettre d’atteindre plus tôt le niveau maximal de sa pension d’ancienneté à charge de l’Union, mais lui enlève la possibilité d’obtenir, en sus de cette pension, une pension à la charge du régime national sur la base des cotisations qu’il a versé à ce régime. Dès lors, si elle permet de faciliter le passage d’un emploi national à un emploi dans l’Union, la possibilité d’un tel transfert n’élimine pour autant pas les désavantages qui découlent,
pour un tel fonctionnaire, de l’application de la réglementation en cause au principal. Par ailleurs, ainsi que l’a fait remarquer à juste titre la Commission lors de l’audience, l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut prévoit une simple faculté en faveur du fonctionnaire et on ne saurait imputer au non-exercice de cette faculté la perte de droits que le fonctionnaire a acquis à la suite des cotisations versées au régime national de sécurité sociale.

62. Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime qu’il faut répondre à la question préjudicielle posée par le tribunal du travail de Bruxelles en ce qu’elle porte sur l’article 4, paragraphe 3, TUE que cette disposition, en liaison avec le statut, s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que la pension de retraite due à un travailleur salarié en vertu des cotisations versées conformément à la législation de cet État
membre est réduite, voire supprimée, lorsque le total des années de carrière accomplies par ce travailleur dans ledit État membre et en tant que fonctionnaire européen affecté dans ce même État membre dépasse l’unité de carrière, dans la mesure où, en raison de la méthode de calcul de la fraction qui exprime l’importance de la pension à la charge de l’Union, une telle réduction est plus importante que celle qui aurait été appliquée si l’ensemble de la carrière dudit travailleur avait été
accomplie en tant que salarié dans l’État membre en question.

63. S’agissant de l’objection de la Commission quant à la possibilité pour la requérante au principal d’invoquer, à l’encontre des autorités belges, l’obligation qui découle pour les États membres du principe de coopération loyale en liaison avec le statut de faciliter l’accomplissement de la mission de l’Union en ne décourageant pas, par l’application de leurs réglementations en matière de sécurité sociale, l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une de ses institutions, je relève que
dans les arrêts My (C‑293/03, EU:C:2004:821) et Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54), la Cour a implicitement reconnu à une telle obligation la capacité de produire des effets juridiques directs dans les relations entre les États membres et leurs justiciables. Pour le reste, je renvoie à la note en bas de page 26 de mes conclusions dans l’affaire Melchior (C‑647/13, EU:C:2014:2301).

2. Sur la deuxième partie de la question préjudicielle: l’article 34 de la Charte

64. Au vu de la réponse que je propose de donner à la question préjudicielle en ce qu’elle porte sur le principe de coopération loyale, un examen de cette question également à la lumière de l’article 34, paragraphe 1, de la Charte s’avère inutile.

65. Par ailleurs, si la Cour devrait considérer, contrairement à ce qui est suggéré dans les présentes conclusions, que ce principe ne trouve pas à s’appliquer au litige au principal, la Charte ne serait non plus applicable. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations ( 39 ). Ainsi que la Cour
l’a précisé dans l’arrêt Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105), il ne saurait exister de cas de figure qui relèvent du droit de l’Union sans que lesdits droits fondamentaux trouvent à s’appliquer. Dès lors, l’applicabilité du droit de l’Union implique celle des droits fondamentaux garantis par la Charte ( 40 ). Lorsque, en revanche, une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions
éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence ( 41 ). En l’espèce, il est constant que la réglementation nationale en cause au principal, en définissant les règles de calcul des prestations de pension d’ancienneté des travailleurs salariés, ne met pas en œuvre un acte de droit dérivé de l’Union. En outre, il résulte des considérations qui précèdent, que la situation juridique de Mme Wojciechowski est purement interne et n’est pas directement couverte
par une disposition du statut ( 42 ). Il s’ensuit que ce n’est que dans le cas où la Cour, comme je le suggère, devrait considérer l’article 4, paragraphe 3, TUE, en liaison avec le statut applicable au litige au principal, que la situation de Mme Wojciechowski serait régie par le droit de l’Union et la Charte trouverait donc à s’appliquer.

66. Enfin, dans l’hypothèse où la Cour devrait considérer, ainsi que le soutient la Commission, que ledit article , bien qu’applicable au litige au principal, n’est pas invocable en justice par Mme Wojciechowski, il ressort de l’arrêt Association de médiation sociale (C‑176/12, EU:C:2014:2) que la Charte serait tout de même d’application ( 43 ). Cependant, je rappelle que, dans ce même arrêt, la Cour, contrairement à ce qu’elle avait jugé dans l’arrêt Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21) au regard
du principe de non-discrimination en fonction de l’âge consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, a considéré que l’article 27 de celle-ci ne pouvait pas être invoqué en justice de manière autonome, celui-ci ne pouvant produire pleinement ses effets qu’après avoir été précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national.

67. Quant au fond, je renvoie, mutatis mutandis, aux considérations exposées aux points 60 à 62 de mes conclusions dans l’affaire Melchior (C‑647/13, EU:C:2014:2301). Sans remettre en cause la faculté des États membres de prévoir, dans l’exercice de leur compétence pour aménager leurs régimes de sécurité sociale, des mécanismes de plafonnage des prestations ou des règles anticumul, une réglementation nationale qui aboutit, dans des situations telles que celles en cause au principal, à supprimer les
droits à pension acquis par un travailleur salarié sur la base des cotisations qu’il a versées au régime national au seul motif qu’il a accompli une carrière complète dans une institution de l’Union lui ouvrant droit à une pension à la charge de celle-ci pour une période différente de celle au cours de laquelle il a cotisé au régime national ne me semble pas compatible avec les principes établis à l’article 34 de la Charte.

V – Conclusion

68. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le tribunal du travail de Bruxelles en ce sens:

L’article 4, paragraphe 3, TUE, en liaison avec le statut des fonctionnaires de l’Union européenne, établi par le règlement (CEE, Euratom, CECA) no 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) no 1080/2010 du Parlement
européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que la pension de retraite due à un travailleur salarié en vertu des cotisations versées conformément à la législation de cet État membre est réduite, voire supprimée, lorsque le total des années de carrière accomplies par ce travailleur dans ledit État membre et en tant que fonctionnaire européen affecté dans ce même État membre dépasse l’unité de
carrière, dans la mesure où, en raison de la méthode de calcul de la fraction qui exprime l’importance de la pension à la charge de l’Union européenne, une telle réduction est plus importante que celle qui aurait été appliquée si l’ensemble de la carrière dudit travailleur avait été accomplie en tant que salarié dans l’État membre en question.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO L 56, p. 1.

( 3 ) JO L 311, p. 1, et rectificatif JO 2012, L 144, p. 48.

( 4 ) Moniteur belge du 27 octobre 1967, p. 11246.

( 5 ) Inséré par l’article 2 de l’arrêté royal no 205, du 29 août 1983, modifiant la législation relative aux pensions du secteur social (Moniteur belge du 6 septembre 1983, p. 11096).

( 6 ) Moniteur belge du 27 octobre 1983, p. 13650.

( 7 ) Aux sens de l’article 1er, sous b), de l’arrêté royal du 14 octobre 1983, le montant converti est le résultat de la multiplication de la pension accordée dans un autre régime par l’inverse de la fraction visée au deuxième alinéa de l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50, à savoir l’inverse de la fraction qui exprime l’importance de la pension perçue au titre de l’autre régime. Lorsque le montant de cette pension n’est pas connu, le montant converti est, en vertu d’une pratique
administrative, supposé être, jusqu’à preuve du contraire, égal à 2,5 fois le montant forfaitaire.

( 8 ) Par montant forfaitaire il faut entendre 75 % de la rémunération forfaitaire réévaluée prise en considération pour une occupation comme ouvrier pendant une année antérieure au 1er janvier 1955 [article 1er, sous c), de l’arrêté royal du 14 octobre 1983].

( 9 ) Articles 10 bis, premier alinéa, et 3, quatrième alinéa, de l’arrêté royal du 14 octobre 1983.

( 10 ) Il ressort du dossier que, en 2006 et en 2007, sur demande de Mme Wojciechowski, différents services d’information belges avaient estimé la pension lui étant due en cas de non-application de l’article 10 bis de l’arrêté royal no 50 à environ 200 euros.

( 11 ) Par application de l’arrêté royal du 14 octobre 1983.

( 12 ) Mme Wojciechowski a également introduit une demande, qualifiée de reconventionnelle, visant à obtenir le paiement de dommages et intérêts, évalués à la perte de 10/45èmes de sa pension à dater de son octroi et de 13/45èmes à partir du mois de juillet 2013, du fait du comportement fautif de l’ONP.

( 13 ) JO 1971, L 149, p. 2.

( 14 ) JO L 166, p. 1.

( 15 ) Elle s’appuie, notamment, sur les arrêts Lustig (C‑244/97, EU:C:1998:619, points 30 et 31), Larsy (C‑118/00, EU:C:2001:368), Tomaszewska (C‑440/09, EU:C:2011:114, points 30 et 31) ainsi que Bourgès-Maunoury et Heintz (C‑558/10, EU:C:2012:418, point 33).

( 16 ) Voir, notamment, arrêts Echternach et Moritz (389/87 et 390/87, EU:C:1989:130, point 11); Schmid (C‑310/91, EU:C:1993:221, point 20), que Ferlini (C‑411/98, EU:C:2000:530, point 42).

( 17 ) Voir arrêt My (C‑293/03, EU:C:2004:821, point 42).

( 18 ) Lors de l’audience, le représentant de Mme Wojciechowski a fait état d’une affectation de cette dernière à Luxembourg les deux premières années de sa carrière au sein de la Commission. Cette circonstance n’étant pas reprise dans l’exposé du cadre factuel fait par la juridiction de renvoi et ne ressortissant non plus du dossier national ne saurait être prise en considération par la Cour dans sa réponse à la question préjudicielle.

( 19 ) Voir arrêt Uecker et Jacquet (C‑64/96 et C‑65/96, EU:C:1997:285, point 16 et jurisprudence citée).

( 20 ) Voir arrêts Ferlini (C‑411/98, EU:C:2000:530, point 41); My (C‑293/03, EU:C:2004:821, point 35), ainsi que ordonnance Ricci et Pisaneschi (C‑286/09 et C‑287/09, EU:C:2010:420, point 26).

( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt Johannes (C‑430/97, EU:C:1999:293, points 26 à 29). En l’espèce, il s’agissait de déterminer si l’interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité, inscrite à l’article 6 du traité CE, s’opposait à ce que le droit d’un État membre réglementant les conséquences du divorce entre un fonctionnaire des Communautés et son ex‑conjoint aboutisse à ce que, en raison de sa nationalité, ce fonctionnaire supporte des charges plus lourdes qu’un fonctionnaire
d’une autre nationalité placé dans la même situation. La Cour, après avoir rappelé qu’une telle interdiction se limite au domaine d’application du traité, conclut que ni les dispositions nationales de droit international privé déterminant le droit matériel national applicable aux effets d’un divorce entre conjoints ni les dispositions nationales de droit civil réglementant matériellement ces effets ne font partie de ce domaine. La Cour ne s’est cependant pas déclarée incompétente pour répondre à la
question préjudicielle, mais elle y a répondu par la négative.

( 22 ) Voir article 11 du règlement no 259/68.

( 23 ) Voir, notamment, arrêts Commission/Belgique (137/80, EU:C:1981:237, point 8) et Kristiansen (C‑92/02, EU:C:2003:652, point 32).

( 24 ) Voir, notamment, arrêt Commission/Portugal (C‑255/09, EU:C:2011:695, points 47 à 49 et jurisprudence citée).

( 25 ) Voir, inter alia, arrêt Kristiansen (C‑92/02, EU:C:2003:652, point 31 et jurisprudence citée).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54, point 26).

( 27 ) Voir, à cet égard, mes conclusions dans cette affaire (C‑647/13, EU:C:2014:2301, points 15 et suiv.).

( 28 ) Je me permets de renvoyer, à cet égard, aux points 57 à 59 de mes conclusions dans l’affaire Melchior (C‑647/13, EU:C:2014:2301).

( 29 ) La Commission se fonde notamment sur l’arrêt Larsy (C‑118/00, EU:C:2001:368).

( 30 ) Cet alinéa constitue une innovation par rapport à l’article 10 CE. Sous l’empire de cette disposition et, auparavant, de l’article 5 du traité CE, la Cour avait cependant déjà reconnu le caractère réciproque de l’obligation de coopération loyale entre les États membres et les institutions de l’Union. Voir, en ce sens, ordonnance Zwartveld e.a. (C‑2/88 IMM, EU:C:1990:440, points 17 à 21); arrêts First et Franex (C‑275/00, EU:C:2002:711, point 49); Irlande/Commission (C‑339/00, EU:C:2003:545,
point 71), ainsi que Allemagne/Commission (C‑344/01, EU:C:2004:121, points 79 à 81). Voir conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Irlande/Commission (C‑339/00, EU:C:2003:70, point 73).

( 31 ) Le gouvernement belge ne saurait tirer un argument en faveur de sa thèse de l’arrêt Časta (C‑166/12, EU:C:2013:792) – qui portait, notamment, sur l’interprétation du principe de coopération en liaison avec l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut – et, notamment, de son point 36 où la Cour a affirmé que c’est seulement dans le cas où les modalités de calcul du capital représentant les droits à pension acquis au titre du système de pension national à transférer au régime de
l’Union sur le fondement de cet article «s’écartent, de manière appréciable, à l’avantage ou au désavantage du fonctionnaire, de la nature des principes et des règles du système de pension national que la réglementation de l’État membre concerné risque de constituer une entrave à la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE ou d’être contraire aux obligations prévues à l’article 4, paragraphe 3, TFUE» (c’est moi qui souligne). En effet, au-delà de la difficulté de comprendre
l’affirmation selon laquelle l’application de modalités de calcul qui avantagent le travailleur lors de son passage au service de l’Union peut constituer une entrave à la libre circulation ou être considérée contraire au principe de coopération loyale, il ne me semble pas que ce point puisse être lu, dans le sens voulu par ledit gouvernement, comme une référence au caractère réciproque du devoir de coopération loyale inscrit à l’article 4, paragraphe 3, TUE et une limite à l’application de la
jurisprudence citée au point 32 ci-dessus. En réalité, la pertinence de cette jurisprudence est, dans cet arrêt, écartée faute de preuve du caractère discriminatoire des modalités de calcul prévues par la législation nationale au détriment des fonctionnaires de l’Union (voir notamment, outre le point 36 précité, le point 38 de l’arrêt Časta, C‑166/12, EU:C:2013:792).

( 32 ) Voir notamment, en ce sens, arrêts Kristiansen (C‑92/02, EU:C:2003:652, point 31); Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 40), et Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54, point 21).

( 33 ) Je relève néanmoins que suivre une telle thèse aurait l’avantage indéniable d’aligner la situation d’un fonctionnaire de l’Union ayant été affecté à un poste dans un État membre autre que son État d’origine à celle d’un fonctionnaire n’ayant jamais quitté cet État.

( 34 ) Aux termes de cette disposition «[l]e recrutement doit viser à assurer à l’institution le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d’intégrité, recrutés sur une base géographique la plus large possible parmi les ressortissants des États membres de l’Union».

( 35 ) Voir, en dernier lieu, arrêt Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54, point 27).

( 36 ) Dans la mesure où, en application de cette réglementation, un travailleur ayant précédemment été affilié à un régime de pension national risquait, en acceptant un emploi auprès d’une institution de l’Union, de perdre la possibilité de bénéficier, au titre de ce régime, d’une prestation de vieillesse à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas accepté cet emploi, voir arrêt My (C‑293/03, EU:C:2004:821, points 45 à 48), ainsi que ordonnance Ricci et Pisaneschi (C‑286/09 et C‑287/09,
EU:C:2010:420, points 28 à 34).

( 37 ) Voir arrêt Melchior (C‑647/13, EU:C:2015:54, point 27). Dans l’arrêt Thitier (C‑333/88, EU:C:1990:131, point 16), en revanche, la Cour a exclu que la perte d’un avantage fiscal prévu par la législation nationale, dont ne pouvaient bénéficier les agents et les fonctionnaires communautaires, puisse dissuader l’entrée au service des institutions communautaires ou la continuation de celui-ci et donc entraver le fonctionnement desdites institutions. De même, dans mes conclusions dans l’affaire
Gysen (C‑449/06, EU:C:2007:663, points 54 à 61), j’ai exclu un tel effet dissuasif à l’égard d’une réglementation nationale selon laquelle, dans le cadre de la liquidation par l’organisme national compétent d’allocations familiales pour les enfants à charge d’un travailleur indépendant, l’enfant de ce travailleur qui était bénéficiaire d’allocations familiales versées en vertu du statut n’était pas pris en considération aux fins de la détermination du rang des autres enfants du même travailleur,
rang qui, en application de cette réglementation, influait sur le montant des allocations familiales à verser pour ces derniers.

( 38 ) Voir point 11.

( 39 ) Voir arrêt Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 19). Voir, également, arrêt Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, point 33).

( 40 ) Voir arrêts Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 21) et Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, point 34).

( 41 ) Voir arrêt Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 22).

( 42 ) Voir points 26 à 31 ci-dessus.

( 43 ) Voir points 30 à 41 dudit arrêt.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-408/14
Date de la décision : 11/06/2015
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le tribunal du travail de Bruxelles.

Renvoi préjudiciel – Fonctionnaire retraité de l’Union européenne ayant, avant son entrée en fonction, exercé une activité salariée dans l’État membre dans lequel il est affecté – Droit à pension en vertu du régime national de pension des travailleurs salariés – Unité de carrière – Refus de verser la pension de retraite de travailleur salarié – Principe de coopération loyale.

Charte des droits fondamentaux

Principes, objectifs et mission des traités

Droits fondamentaux


Parties
Demandeurs : Aliny Wojciechowski
Défendeurs : Office national des pensions (ONP).

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2015:393

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award