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07/05/2015 | CJUE | N°C-216/14

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre Gavril Covaci., 07/05/2015, C-216/14


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 7 mai 2015 ( 1 )

Affaire C‑216/14

Procédure pénale

contre

Gavril Covaci

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Laufen (Allemagne)]

«Coopération judiciaire en matière pénale — Directive 2010/64/UE — Droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales — Possibilité d’introduire un recours contre un jugement pénal dans une langue autre que la langue de la procédure — Dir

ective 2012/13/UE — Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales — Signification d’un jugement pénal à un mandataire et env...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 7 mai 2015 ( 1 )

Affaire C‑216/14

Procédure pénale

contre

Gavril Covaci

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Laufen (Allemagne)]

«Coopération judiciaire en matière pénale — Directive 2010/64/UE — Droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales — Possibilité d’introduire un recours contre un jugement pénal dans une langue autre que la langue de la procédure — Directive 2012/13/UE — Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales — Signification d’un jugement pénal à un mandataire et envoi par courrier simple à la personne poursuivie — Délai de recours contre ce jugement courant à
partir de la signification de celui‑ci au mandataire»

1.  Le présent renvoi préjudiciel offre à la Cour la première occasion d’interpréter deux directives adoptées sur le fondement de l’article 82, paragraphe 2, TFUE. Cette disposition constitue la base juridique pour l’adoption de règles minimales destinées à faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière. En particulier, l’article 82, paragraphe 2, deuxième
alinéa, sous b), TFUE permet au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne d’adopter des règles minimales portant sur les droits des personnes dans la procédure pénale.

2.  Les deux directives dont l’interprétation est sollicitée sont, d’une part, la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales ( 2 ), et, d’autre part, la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales ( 3 ).

3.  La première question donnera à la Cour l’occasion de préciser la portée du droit à l’interprétation et à la traduction en cas d’introduction d’un recours contre une ordonnance pénale dans une langue autre que la langue de la procédure.

4.  La seconde question porte sur le point de savoir si la législation allemande qui prévoit un mécanisme de signification des ordonnances pénales à un mandataire suivie d’une transmission par courrier simple à la personne poursuivie ( 4 ) répond ou non aux exigences fixées par la directive 2012/13, et en particulier au droit d’être informé de l’accusation portée contre soi prévu à l’article 6 de cette directive.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La directive 2010/64

5. La directive 2010/64 consacre le droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales. Elle constitue le premier instrument adopté dans l’Union européenne visant à renforcer les garanties procédurales du suspect ou de la personne poursuivie en matière répressive par l’établissement de règles minimales, conformément à l’article 82, paragraphe 2, deuxième alinéa, sous b), TFUE.

6. Les considérants 14, 17 et 33 de cette directive énoncent:

«(14) Le droit à l’interprétation et à la traduction, accordé aux personnes qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure, est consacré à l’article 6 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ( 5 )], tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La présente directive facilite l’exercice de ce droit dans la pratique. À cet effet, elle entend garantir le
droit des suspects ou des personnes poursuivies à bénéficier de services d’interprétation et de traduction dans le cadre des procédures pénales afin de garantir leur droit à un procès équitable.

[...]

(17) La présente directive devrait garantir une assistance linguistique gratuite et appropriée, afin de permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure pénale d’exercer pleinement leurs droits de défense et afin de garantir le caractère équitable de la procédure.

[...]

(33) Les dispositions de la présente directive, qui correspondent à des droits garantis par la CEDH ou par la charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 6 )], devraient être interprétées et mises en œuvre de manière cohérente avec ces droits, tels qu’ils sont interprétés par la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne.»

7. L’article 1er de la directive 2010/64, intitulé «Objet et champ d’application», est ainsi rédigé:

«1.   La présente directive définit des règles concernant le droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

2.   Le droit visé au paragraphe 1 s’applique aux personnes dès le moment où elles sont informées par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’elles sont suspectées ou poursuivies pour avoir commis une infraction, jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si elles ont commis l’infraction, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel.

[...]»

8. L’article 2 de cette directive, intitulé «Droit à l’interprétation», dispose:

«1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui ne parlent ou ne comprennent pas la langue de la procédure pénale concernée se voient offrir sans délai l’assistance d’un interprète durant cette procédure pénale devant les services d’enquête et les autorités judiciaires, y compris durant les interrogatoires menés par la police, toutes les audiences et les éventuelles audiences intermédiaires requises.

2.   Si cela est nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure, les États membres veillent à la mise à disposition d’un interprète lors des communications entre les suspects ou les personnes poursuivies et leur conseil juridique ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience pendant la procédure, ou en cas d’introduction d’un recours ou d’autres demandes dans le cadre de la procédure.

[...]

8.   L’interprétation prévue par le présent article est d’une qualité suffisante pour garantir le caractère équitable de la procédure, notamment en veillant à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient connaissance des faits qui leur sont reprochés et soient en mesure d’exercer leurs droits de défense.»

9. L’article 3 de ladite directive, intitulé «Droit à la traduction des documents essentiels», est rédigé dans les termes suivants:

«1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui ne comprennent pas la langue de la procédure pénale concernée bénéficient, dans un délai raisonnable, de la traduction écrite de tous les documents essentiels pour leur permettre d’exercer leurs droits de défense et pour garantir le caractère équitable de la procédure.

2.   Parmi ces documents essentiels figurent toute décision privative de liberté, toutes charges ou tout acte d’accusation, et tout jugement.

3.   Les autorités compétentes décident cas par cas si tout autre document est essentiel. Les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur conseil juridique, peuvent présenter une demande motivée à cet effet.

[...]»

2. La directive 2012/13

10. La directive 2012/13 est le deuxième instrument adopté en vue du renforcement des garanties procédurales du suspect ou de la personne poursuivie en matière pénale dans l’Union. Elle consacre le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.

11. Les considérants 27, 28, 40 et 41 de cette directive énoncent:

«(27) Les personnes poursuivies pour une infraction pénale devraient recevoir toutes les informations nécessaires sur l’accusation portée contre elles pour leur permettre de préparer leur défense et garantir le caractère équitable de la procédure.

(28) Les suspects ou les personnes poursuivies devraient recevoir rapidement des informations sur l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis, et au plus tard avant leur premier interrogatoire officiel par la police ou une autre autorité compétente, et sans porter préjudice au déroulement des enquêtes en cours. Une description des faits, y compris, lorsqu’ils sont connus, l’heure et le lieu des faits, relatifs à l’acte pénalement sanctionné que les personnes
sont soupçonnées ou accusées d’avoir commis, ainsi que la qualification juridique éventuelle de l’infraction présumée, devrait être donnée de manière suffisamment détaillée, en tenant compte du stade de la procédure pénale auquel une telle description intervient, pour préserver l’équité de la procédure et permettre un exercice effectif des droits de la défense.

[...]

(40) La présente directive établit des règles minimales. Les États membres peuvent étendre les droits définis dans la présente directive afin d’assurer un niveau de protection plus élevé également dans les situations qu’elle ne prévoit pas explicitement. Le niveau de protection ne devrait jamais être inférieur aux normes établies par la CEDH, telles qu’elles sont interprétées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

(41) La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la [C]harte. Elle tend notamment à promouvoir le droit à la liberté, le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Elle devrait être mise en œuvre en conséquence.»

12. L’article 1er de ladite directive en définit l’objet comme suit:

«La présente directive définit des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux. [...]»

13. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 délimite son champ d’application en ces termes:

«La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel.»

14. L’article 3 de cette directive définit le droit d’être informé de ses droits comme suit:

«1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant, au minimum, les droits procéduraux qui figurent ci‑après, tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national, de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits:

[...]

c) le droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, conformément à l’article 6;

[...]»

15. Aux termes de l’article 6 de ladite directive, intitulé «Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi»:

«1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

[...]

3.   Les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien‑fondé de l’accusation.

[...]»

B – Le droit allemand

16. L’article 184 de la loi sur l’organisation judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz, ci‑après le «GVG») dispose que la langue des tribunaux est l’allemand.

17. L’article 187 du GVG, tel que modifié à la suite de la transposition des directives 2010/64 et 2012/13, énonce:

«1)   Le tribunal prévoit, pour la personne mise en cause ou condamnée qui ne maîtrise pas la langue allemande ou qui est malentendante ou incapable de s’exprimer, un interprète ou un traducteur dans la mesure où cela est nécessaire pour qu’elle puisse exercer ses droits dans la procédure pénale. Le tribunal avise la personne mise en cause, dans une langue que celle‑ci comprend, qu’elle peut réclamer à cet effet l’assistance gratuite d’un interprète ou d’un traducteur pour l’ensemble de la
procédure pénale.

2)   L’exercice des droits procéduraux de la personne mise en cause qui ne maîtrise pas la langue allemande exige, en règle générale, la traduction écrite des mesures privatives de liberté ainsi que des actes d’inculpation, des ordonnances pénales et des jugements non définitifs. [...]

[...]»

18. Selon l’article 132, paragraphe 1, du code de procédure pénale (Strafprozessordnung, ci‑après la «StPO»), la désignation de mandataires aux fins de signification s’organise comme suit:

«Si la personne mise en cause sur qui pèse une forte suspicion d’avoir commis un acte punissable ne dispose pas d’un domicile fixe ou d’une résidence dans le ressort de la présente loi, mais que les conditions pour qu’un mandat d’arrêt soit délivré ne sont pas remplies, il est possible d’ordonner, aux fins de garantir le déroulement de la procédure pénale, que la personne mise en cause:

1. fournisse une garantie appropriée couvrant l’amende attendue et les frais de justice, et

2. donne mandat à une personne résidant dans le ressort du tribunal compétent pour recevoir les significations.»

19. L’article 410 de la StPO, concernant l’opposition à l’ordonnance pénale, est rédigé comme suit:

«1)   La personne mise en cause peut contester l’ordonnance pénale en formant, dans un délai de deux semaines à partir de sa signification, une opposition auprès du tribunal qui a émis l’ordonnance, par écrit ou sur procès‑verbal auprès du greffe. [...]

[...]

3)   Si une ordonnance pénale n’a pas été contestée dans le délai prescrit, elle acquiert le caractère d’un jugement passé en force de chose jugée.»

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

20. Lors d’un contrôle de police effectué le 25 janvier 2014 sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne, il a été constaté que M. Covaci, ressortissant roumain, conduisait un véhicule dépourvu de contrat d’assurance responsabilité civile obligatoire valide et que l’attestation d’assurance (carte verte) présentée était falsifiée.

21. M. Covaci a, par la suite, été entendu sur ces faits par la police, avec l’assistance d’un interprète.

22. À cette occasion, M. Covaci, ne disposant ni d’un domicile fixe ni d’une résidence dans le ressort de la loi allemande, a déposé un mandat aux fins de signification irrévocable et écrit, en langue roumaine, en faveur de trois fonctionnaires de l’Amtsgericht Laufen (Allemagne). Ce document précisait que tous les documents judiciaires seraient signifiés à ces mandataires et que les délais de recours commenceraient à courir dès leur signification auxdits mandataires.

23. Le 18 mars 2014, à l’issue des investigations, le Staatsanwaltschaft Traunstein (ministère public de Traunstein, Allemagne) a demandé à l’Amtsgericht Laufen d’émettre une ordonnance pénale à l’encontre de M. Covaci pour toutes les infractions commises, aux fins d’imposition d’une amende.

24. L’ordonnance pénale est une procédure pénale simplifiée, permettant de fixer une peine de manière unilatérale, sans audience. Délivrée par un juge à la demande du ministère public pour des infractions mineures ne nécessitant pas la comparution physique du prévenu, l’ordonnance pénale est une décision provisoire. Elle acquiert le caractère d’un jugement ayant force de chose jugée à l’expiration du délai d’opposition de deux semaines à compter de la signification de ladite ordonnance, le cas
échéant aux mandataires du prévenu. L’opposition peut être formée dans le délai prescrit par écrit ou sur procès‑verbal auprès du greffe et conduit à la tenue d’une audience juridictionnelle.

25. Dans sa demande, le Staatsanwaltschaft Traunstein a requis que l’ordonnance pénale soit signifiée au prévenu par l’intermédiaire de ses mandataires et, en outre, que des observations écrites éventuelles, y compris l’introduction d’un recours contre l’ordonnance, soient rédigées en langue allemande.

26. L’Amtsgericht Laufen, saisi de la requête en délivrance de l’ordonnance pénale, s’interroge sur la compatibilité des réquisitions du Staatsanwaltschaft Traunstein avec les directives 2010/64 et 2012/13. D’une part, la juridiction de renvoi se demande si l’obligation de présenter un recours contre l’ordonnance pénale en langue allemande, découlant de l’article 184 du GVG, est conforme aux dispositions de la directive 2010/64 prévoyant une assistance linguistique gratuite aux personnes mises en
cause dans des procédures pénales. D’autre part, cette juridiction nourrit des doutes quant à la compatibilité de la procédure de signification de l’ordonnance pénale par voie de mandataire, suivie d’un envoi par courrier simple, avec la directive 2012/13, et en particulier avec le droit d’être informé de l’accusation portée contre soi.

27. L’Amtsgericht Laufen a, par conséquent, décidé de surseoir à statuer sur la procédure de délivrance de l’ordonnance pénale et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Convient‑il d’interpréter les articles 1er, paragraphe 2, ainsi que 2, paragraphes 1 et 8, de la directive 2010/64[...] en ce sens qu’ils s’opposent à une injonction du juge qui, en application de l’article 184 [du GVG], exige des personnes mises en cause qu’elles n’introduisent, à peine d’irrecevabilité, des recours que dans la langue du tribunal, en l’occurrence l’allemand?

2) Convient‑il d’interpréter les articles 2, 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13[...] en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’il soit enjoint à une personne mise en cause de désigner un mandataire pour recevoir les significations dès lors que le délai pour introduire des recours commence à courir dès la signification au mandataire, et qu’il est en fin de compte sans importance de savoir si la personne mise en cause a eu du tout connaissance de
l’accusation?»

III – Notre analyse

A – Observations liminaires

28. Les directives adoptées sur le fondement de l’article 82 TFUE doivent être interprétées en fonction des objectifs de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, et en particulier de ceux de la coopération judiciaire en matière pénale.

29. Selon les termes de l’article 82, paragraphe 1, TFUE, la coopération judiciaire en matière pénale est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires. Il résulte également de l’article 82, paragraphe 2, deuxième alinéa, sous b), TFUE que, pour faciliter la reconnaissance mutuelle et la coopération policière et judiciaire en matière pénale, le législateur de l’Union peut édicter des règles minimales portant sur les droits des personnes dans la
procédure pénale.

30. Il est, en effet, évident que ces règles dites «minimales», mais portant, en réalité, sur des principes majeurs concernant, notamment, les droits de la défense et le respect du droit à un procès équitable auxquels les États membres ne peuvent déroger, sont destinées à établir ou à renforcer la confiance mutuelle, base de la reconnaissance mutuelle, elle‑même élevée au rang de pierre angulaire de la construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

31. S’agissant de l’interprétation de telles règles dites «minimales», et plus généralement des termes des directives qui les portent, nous identifions trois conséquences.

32. Premièrement, l’expression «règles minimales», à laquelle nous préférons personnellement celle de «règles indérogeables», ne doit pas être interprétée, comme trop souvent et non sans arrière‑pensées, de manière réductrice comme désignant des règles de moindre importance. Ainsi que nous venons de le voir, il s’agit, en fait, d’un socle impératif de principes procéduraux assurant, dans le cadre du procès pénal, la mise en œuvre et le respect de droits fondamentaux qui constituent la base de
valeurs communes faisant de l’Union un système fondé sur le principe de l’État de droit.

33. Deuxièmement, et compte tenu de ce qui vient d’être dit, les règles adoptées sur le fondement de l’article 82, paragraphe 2, TFUE doivent être interprétées dans le sens propre à leur assurer un plein effet utile, dans la mesure où une telle interprétation, qui renforcera la protection des droits, renforcera en même temps la confiance mutuelle et, par voie de conséquence, facilitera le jeu de la reconnaissance mutuelle. Réduire le champ de ces règles par une lecture littérale des textes peut
avoir pour effet de contrarier ce jeu de la reconnaissance mutuelle et donc la construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

34. Troisièmement, l’obligation pour le législateur de l’Union, rappelée à l’article 82, paragraphe 2, première alinéa, dernière phrase, TFUE, de tenir compte des traditions et des systèmes juridiques des États membres fait qu’un système procédural unique ne saurait être imposé. Pour autant, dans leur diversité, les systèmes procéduraux étatiques devront respecter les principes en question lors de leur mise en œuvre à peine sinon de les voir être considérés comme invalides. Le contrôle sur ce point
est au premier chef de la responsabilité des juridictions nationales, qui ont à leur disposition la possibilité d’interroger la Cour par la voie préjudicielle en cas de difficulté. Nous noterons, à cet égard, que les questions de droit pénal, notamment au sens strict, sont de la compétence des juridictions judiciaires et que les traditions constitutionnelles des États membres font d’elles les gardiennes des libertés individuelles.

35. Les directives sous examen s’inscrivent incontestablement par leur objet et leurs dispositions éclairées par leurs considérants dans le cadre de l’article 82 TFUE et relèvent donc de la technique d’interprétation que nous venons de décrire et proposons à la Cour d’adopter.

B – Sur la première question

36. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de dire pour droit si les articles 1er, paragraphe 2, ainsi que 2, paragraphes 1 et 8, de la directive 2010/64 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une personne faisant l’objet d’une ordonnance pénale, qui ne maîtrise pas la langue de la procédure du tribunal ayant rendu cette ordonnance, soit empêchée d’introduire un recours contre ce jugement dans sa propre langue.

37. À titre liminaire, il convient de lever toute ambiguïté que pourrait susciter la formulation de cette première question au regard de la liberté dont disposent les États membres quant à la détermination de la langue de la procédure.

38. La directive 2010/64 n’a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté des États membres de choisir la langue de la procédure, c’est‑à‑dire la langue dans laquelle les actes et les pièces de procédure sont rédigés et dans laquelle les autorités judiciaires s’expriment. Cette directive a, au contraire, pour ambition de préserver cette liberté tout en conciliant celle‑ci avec la protection des droits de la personne suspectée d’avoir commis une infraction ou poursuivie à ce titre en
lui garantissant le droit de bénéficier d’une assistance linguistique gratuite et appropriée lorsqu’elle ne parle pas ou ne comprend pas la langue de la procédure ( 7 ).

39. Dès lors, les dispositions de l’article 184 du GVG, exigeant le respect de la langue allemande comme langue de la procédure, ne sont pas contraires à la directive 2010/64 ( 8 ).

40. Pour autant, il est matériellement impossible pour le suspect ou la personne poursuivie de s’exprimer dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas. Leur participation effective à la procédure répressive et l’exercice de leurs droits de la défense nécessitent inévitablement l’intervention d’un interprète ou d’un traducteur. Ce fut d’ailleurs le cas en l’espèce lors de la phase de l’enquête policière, M. Covaci ayant bénéficié de l’assistance d’un interprète lors de l’interrogatoire de police.

41. Cet obstacle linguistique se rencontre tout au long de la procédure. Ainsi, l’introduction d’un recours contre une décision de justice ne peut faire l’économie des prestations d’un interprète ou d’un traducteur, afin que la volonté d’opposition exprimée dans la langue maîtrisée par la personne poursuivie soit énoncée dans la langue de la procédure.

42. Il y a lieu, d’emblée, de souligner que, contrairement à ce que pourrait laisser penser la décision de renvoi et ainsi qu’il ressort des observations du gouvernement allemand, le droit allemand semble permettre à une personne poursuivie telle que M. Covaci de faire opposition à une ordonnance pénale dans une langue qu’elle maîtrise. De plus, ce même droit, et en particulier l’article 187 du GVG, paraît garantir à une telle personne une assistance linguistique adéquate afin de faire traduire un
tel recours vers la langue de la procédure.

43. Il reviendra à la juridiction de renvoi de vérifier la conformité du droit allemand avec les dispositions pertinentes de la directive 2010/64, à la lumière des développements qui suivent.

44. La directive 2010/64 consacre le droit à une assistance linguistique gratuite et appropriée afin de permettre aux suspects et aux personnes poursuivies qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure pénale d’exercer pleinement leurs droits de la défense et afin de garantir le caractère équitable de la procédure. Comme le relève à juste titre le gouvernement allemand, la question est donc ici d’apprécier si cette assistance linguistique s’applique dans le cadre de
l’introduction d’un recours ( 9 ). Plus concrètement, il s’agit de déterminer si la charge de l’intervention d’un traducteur ou d’un interprète dans ce cadre doit être supportée par la défense, l’obligeant à déposer un recours en langue allemande, ou par la partie poursuivante, autorisant la défense à présenter un recours dans une langue autre que la langue de la procédure.

45. Il nous semble important, à ce stade, de préciser que notre réponse ne pourra se limiter au cas de l’ordonnance pénale. En effet, la confrontation et la nécessaire conciliation de la langue de la procédure et de la langue de la personne poursuivie ne sont pas des difficultés propres à cette forme de procédure simplifiée.

46. La procédure de jugement simplifiée que constitue l’ordonnance pénale présente, certes, des particularités au regard de l’exercice des droits de la défense. Ainsi, l’absence de comparution de la personne poursuivie au cours d’une audience la prive de toute possibilité de présenter sa version des faits devant un tribunal avant l’introduction d’un recours contre l’ordonnance pénale adoptée contre elle. Cette spécificité de l’ordonnance pénale a été mise en exergue par la Commission européenne pour
soutenir que l’absence d’audience privait la défense de la possibilité d’exercer son droit à l’interprétation et que, partant, seule la possibilité de présenter un recours dans sa langue lui offrait l’opportunité de défendre, ensuite, sa cause devant un tribunal en bénéficiant de l’assistance d’un interprète au cours d’une audience ( 10 ).

47. Nous ne suivrons pas le même raisonnement que celui proposé par la Commission. En effet, il serait trop réducteur d’envisager le recours contre une ordonnance pénale comme un moyen de pouvoir bénéficier du droit à l’interprétation lors d’une audience. D’une part, le droit à l’interprétation, tel qu’il est protégé par la directive 2010/64, connaît un champ d’application beaucoup plus large que celui de l’audience juridictionnelle. D’autre part, contrairement à ce que la Commission semble
considérer, l’audience juridictionnelle n’est pas l’unique étape permettant de garantir l’équité procédurale. Les garanties procédurales s’exercent tout au long du processus répressif. L’introduction d’un recours étant une étape procédurale à part entière, il nous semble inapproprié d’envisager le recours juridictionnel comme un moyen d’accéder à l’exercice des droits de la défense lors de l’audience et non comme étant, en lui‑même, un moyen pour la défense d’exercer les droits dont elle jouit
tout au long de la procédure.

48. Selon nous, il est donc essentiel d’examiner la première question en des termes généraux et de déterminer si la personne poursuivie dans toute procédure répressive, simplifiée ou classique, peut bénéficier de l’assistance gratuite d’un interprète ou d’un traducteur dans le cadre de l’introduction d’un recours. Il est, à cet égard, indifférent qu’une telle personne ait déjà eu ou non recours à l’assistance d’un interprète ou d’un traducteur à l’occasion d’une audience précédant l’introduction
d’un recours.

49. Un acte introductif d’un recours tel que l’opposition à une ordonnance pénale qui est en cause au principal présente la particularité d’être un acte de procédure pénale émis par la personne poursuivie à destination des autorités judiciaires compétentes et non un acte émis par ces autorités à destination de la personne poursuivie. La question soulevée par la juridiction de renvoi nous invite donc à apprécier dans quelle mesure le droit à l’assistance linguistique s’applique concernant ce type
d’acte.

50. L’article 1er de la directive 2010/64 consacre le droit à l’assistance linguistique dans le cadre des procédures pénales. Cette directive protège plus précisément, d’une part, le droit à l’assistance d’un interprète et, d’autre part, le droit à l’assistance d’un traducteur en leur consacrant chacun un article spécifique, dans le but d’en consolider la protection ( 11 ). Cette démarche se distingue, d’ailleurs, de celle empruntée par la CEDH qui, à son article 6, paragraphe 3, sous e), consacre
uniquement le droit à l’assistance d’un interprète, la Cour européenne des droits de l’homme ayant étendu ce droit à la traduction de certaines pièces de la procédure ( 12 ).

51. Il ne fait pas de doute, selon nous, qu’un acte introductif d’un recours entre dans le champ d’application de la directive 2010/64, que le législateur de l’Union a voulu particulièrement étendu, c’est‑à‑dire comme couvrant la procédure pénale sur toute sa longueur.

52. Il importe, en effet, de souligner que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, le droit à l’interprétation et à la traduction «s’applique aux personnes dès le moment où elles sont informées par les autorités compétentes d’un État membre [...] qu’elles sont suspectées ou poursuivies pour avoir commis une infraction, jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si elles ont commis l’infraction, y compris, le cas
échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel» ( 13 ).

53. Comme nous l’avons indiqué, le droit à l’assistance linguistique se décompose dans la directive 2010/64 en deux droits complémentaires, à savoir, d’une part, le droit à l’interprétation régi par l’article 2 de cette directive et, d’autre part, le droit à la traduction des documents essentiels, défini à l’article 3 de ladite directive.

54. L’une des difficultés que pose la question sous examen consiste à déterminer lequel de ces deux articles constitue la disposition pertinente dans une situation telle que celle en cause au principal. Cette difficulté a pour conséquence que, bien que chacun convienne que le droit de faire opposition ou appel d’une décision portant condamnation pénale constitue un droit essentiel de la défense, la personne poursuivie peut se voir refuser la possibilité concrète d’exercer ce droit, ce qui revient à
la priver de la voie de recours prévue par le droit national. C’est donc, comme nous l’indiquions dans nos observations liminaires, à une interprétation large des articles de la directive 2010/64 qu’il convient de procéder, conformément à l’objectif visant à renforcer les droits des personnes dans la procédure pénale. Dans cette optique, il convient de déterminer lequel des articles 2 ou 3 de cette directive, dont on s’étonnera des lacunes qu’elle contient compte tenu du caractère essentiel des
dispositions qu’elle porte, se prête le mieux à garantir à la personne poursuivie le droit d’user de manière effective des voies de recours offertes par le droit national.

55. S’agissant d’un acte introductif d’un recours, il convient, à notre avis, d’exclure toute application du droit à la traduction tel qu’il est protégé par l’article 3 de la directive 2010/64 au profit de l’application de l’article 2 de cette directive.

56. Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, la personne poursuivie dans une procédure pénale doit bénéficier de la traduction écrite de tous les documents essentiels à l’exercice de ses droits de la défense, afin de préserver le caractère équitable de la procédure. Mis à part les décisions privatives de liberté, les charges et les actes d’accusation ainsi que les jugements, expressément visés à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2010/64, les documents essentiels
nécessitant une traduction écrite sont librement déterminés par les autorités compétentes.

57. L’acte introductif d’un recours est, certes, essentiel à l’exercice des droits de la défense. Pourtant, la défense ne pourrait en exiger la traduction vers la langue de la procédure sur le fondement de l’article 3 de cette directive. Le libellé de cet article 3 atteste, en effet, de ce qu’il est destiné à régir uniquement la traduction des documents essentiels de la langue de la procédure vers une langue comprise par la personne poursuivie. En témoigne le fait que les documents essentiels
énumérés à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2010/64, bien que cette énumération ne soit pas exhaustive, constituent des documents qui sont émis par l’autorité judiciaire compétente. En outre, il peut être clairement déduit de l’article 3, paragraphe 4, de cette même directive que la traduction des documents essentiels est conçue dans le système de ladite directive comme visant, notamment, l’objectif de «permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies d’avoir connaissance des faits
qui leur sont reprochés».

58. Les suspects ou les personnes poursuivies ne peuvent se prévaloir du droit à la traduction d’un document essentiel qu’à la condition qu’ils ne comprennent pas la langue dans laquelle il a été rédigé. Comprendre un document, en saisir le sens, sous‑entend sa réception par la défense et non l’émission par celle‑ci. Par conséquent, l’article 3 de la directive 2010/64 concerne uniquement la traduction de documents émis par les autorités judiciaires compétentes, qui doivent être compris par la
personne poursuivie, comme le sont, par exemple, les décisions privatives de liberté et les jugements.

59. C’est donc à l’aune de l’article 2 de cette directive qu’il convient d’aborder le problème de l’assistance linguistique en vue de l’introduction d’un recours par une personne ayant fait l’objet d’un jugement pénal.

60. Cet article 2 consacre le droit à l’interprétation. Il prévoit l’assistance d’un interprète durant toute la procédure pénale lorsque le suspect ou la personne poursuivie ne parle pas ou ne comprend pas la langue de la procédure. Contrairement à l’article 3 de ladite directive, l’assistance linguistique est, dans le cadre de l’article 2 de la directive 2010/64, exigible par la défense «non seulement pour comprendre, mais également pour se faire comprendre».

61. Lorsque la personne poursuivie est dans l’incapacité de s’exprimer dans la langue de la procédure, elle a donc droit aux prestations d’un interprète afin que les propos exprimés dans une langue qu’elle maîtrise, par voie orale, écrite, ou éventuellement à travers le langage des signes si elle présente des troubles de l’audition ou de la parole, soient traduits vers la langue de la procédure.

62. Par conséquent, l’article 2 de la directive 2010/64 est applicable tant en ce qui concerne les déclarations ou les actes à destination de la défense qu’en ce qui concerne les déclarations ou les actes émis par la défense à destination des autorités judiciaires compétentes.

63. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, il ressort clairement du libellé de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive que le droit à l’assistance linguistique est d’application étendue et que les prestations gratuites d’un interprète sont exigibles par la défense pendant toute la durée de la procédure, y compris donc dans le cadre de l’introduction d’un recours.

64. En outre, si l’assistance d’un interprète a vocation à intervenir lors des audiences, le libellé de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2010/64 témoigne de ce qu’une telle assistance n’est nullement limitée à cette étape orale de la procédure pénale. L’assistance d’un interprète peut donc être sollicitée lors de l’étape procédurale que constitue l’introduction d’un recours contre un jugement pénal.

65. Cette interprétation est corroborée par le libellé de l’article 2, paragraphe 2, de cette même directive, qui consacre l’intervention gratuite d’un interprète dans les rapports entre les personnes suspectées ou poursuivies et leur conseil juridique.

66. Il ressort, en effet, de cette disposition que, dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure, les suspects ou les personnes poursuivies peuvent bénéficier des services d’un interprète lors des communications avec leur conseil juridique «en cas d’introduction d’un recours ou d’autres demandes dans le cadre de la procédure».

67. Nous n’identifions aucune raison d’exclure la possibilité pour une personne poursuivie qui n’a pas d’avocat de bénéficier également de l’assistance d’un interprète en vue d’introduire un recours contre un jugement pénal.

68. L’ordonnance pénale, délivrée à l’issue d’une procédure pénale simplifiée, est une décision de justice contre laquelle la personne poursuivie peut faire opposition sans l’assistance d’un conseil juridique, par écrit ou sur procès‑verbal auprès du greffe du tribunal qui a délivré l’ordonnance. Si M. Covaci avait été poursuivi dans le cadre d’une procédure classique, avec l’assistance d’un avocat, il aurait pu bénéficier des services gratuits d’un interprète afin d’introduire un recours contre le
jugement rendu contre lui.

69. Selon nous, le droit à l’assistance gratuite d’un interprète lors de l’introduction d’un recours ne saurait être conditionné par l’intervention d’un avocat sans porter gravement atteinte à l’exercice des droits de la défense de la personne poursuivie qui souhaite accomplir seule des actes de procédure.

70. La finalité de la directive 2010/64 milite en faveur de l’interprétation selon laquelle une personne poursuivie, qui ne maîtrise pas la langue de la procédure, doit pouvoir introduire un recours contre un jugement pénal dans une langue qu’elle maîtrise et bénéficier de l’assistance d’un interprète en vue de la traduction de ce recours vers la langue de la procédure.

71. À cet égard, le considérant 17 de cette directive énonce clairement que celle‑ci vise à «garantir une assistance linguistique gratuite et appropriée, afin de permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la procédure pénale d’exercer pleinement leurs droits de défense et afin de garantir le caractère équitable de la procédure».

72. Dans cette optique, un exercice plein et entier des droits de la défense requiert, d’une part, que la personne poursuivie puisse introduire dans une langue qu’elle maîtrise un recours contre un jugement pénal et, d’autre part, qu’elle bénéficie de l’assistance d’un interprète pour traduire ce recours vers la langue de la procédure. Il convient, en somme, de considérer que, dans le cadre de la formulation d’un recours, l’interprétation de la volonté de la personne poursuivie de contester sa
condamnation se fait par la traduction de ce recours vers la langue de la procédure.

73. L’intervention de l’interprète va permettre à la personne poursuivie d’exposer à l’autorité judiciaire compétente ses arguments et ses moyens de défense ou, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l’homme, «de se défendre, notamment en livrant au tribunal sa version des événements» ( 14 ). L’introduction d’un recours contre un jugement pénal permet à la personne poursuivie d’exposer les raisons pour lesquelles ce jugement est contestable. Lui refuser l’assistance
d’un interprète dans le cadre de l’introduction d’un tel recours entraverait, voire annihilerait, l’exercice des droits de la défense de cette personne.

74. Lors de l’audience, le gouvernement français a défendu l’interprétation selon laquelle la directive 2010/64 ne s’opposerait pas à ce qu’un État membre exige, à peine d’irrecevabilité, qu’une personne introduise un recours dans la langue de la procédure du tribunal compétent, sous réserve qu’il fournisse en amont à cette personne l’assistance d’un interprète ou d’un traducteur. Une telle prise de position est, à notre avis, symptomatique de l’incompréhension que suscite la notion de règles
minimales. Ce gouvernement a, en effet, appuyé sa démonstration sur l’argument selon lequel cette directive ne viserait que l’adoption de règles minimales pour retenir une interprétation restrictive de ladite directive. Comme nous l’avons indiqué dans nos observations liminaires, ce mode de raisonnement nous paraît erroné. L’objectif d’une coopération judiciaire en matière pénale plus efficace, qui passe par un renforcement des droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies dans le
cadre d’une procédure pénale, appelle, au contraire, une interprétation large de la directive 2010/64, à savoir celle qui garantit la meilleure protection des droits de la défense des personnes concernées.

75. Or, il ne fait pas de doute, à nos yeux, que, dans une situation telle que celle en cause au principal, caractérisée par un délai de recours relativement bref, à savoir quinze jours, il faut permettre à la personne qui fait l’objet d’une ordonnance pénale de faire d’abord opposition à celle‑ci, afin de figer l’écoulement de ce délai, l’interprète intervenant seulement ensuite pour assurer la traduction du recours vers la langue de la procédure. La solution défendue par le gouvernement français,
qui consiste à se satisfaire d’une intervention de l’interprète en amont de l’introduction d’un recours, pourrait aboutir, dans une situation telle que celle en cause au principal, à rendre excessivement difficile, voire impossible, le recours dans le délai imposé. À ce problème, s’ajoute la question de savoir dans quelle langue la personne faisant l’objet d’un jugement pénal devrait formuler sa demande d’être assistée par un interprète afin de pouvoir formuler son recours. Interrogé à ce sujet
lors de l’audience, le gouvernement français n’a pas apporté de réponse.

76. Il convient, pour finir, de noter que la directive 2010/64 laisse aux États membres une marge d’appréciation quant au choix de la forme que peut prendre la prestation d’interprétation fournie tant qu’elle est gratuite et d’une qualité suffisante pour préserver l’équité procédurale et permettre à la défense d’exercer ses droits.

77. La matérialisation de l’assistance d’un interprète peut prendre diverses formes en fonction des spécificités de la procédure suivie. L’assistance peut évidemment être orale, lorsque celui‑ci est physiquement présent et interprète simultanément les propos de la défense ou ceux qui sont destinés à celle‑ci. Elle peut également se matérialiser sous la forme de signes lorsque, par exemple, une personne présente des troubles de l’audition ou de la parole et ne peut s’exprimer oralement. L’article 2,
paragraphe 6, de la directive 2010/64 prévoit, en outre, dans le cas où la présence physique de l’interprète ne serait pas indispensable, le recours à des moyens techniques de communication tels que la visioconférence, le téléphone ou l’Internet. Il est également envisageable que l’assistance linguistique prenne la forme d’un formulaire de recours traduit ou bilingue, comme le suggère la Commission ( 15 ). Il serait ainsi possible de joindre à la décision de condamnation pénale elle‑même quand
elle est notifiée ou adressée à l’intéressé, et dont nul ne conteste qu’elle doit être traduite et qu’il existe une base juridique claire pour cela, un imprimé dans la langue de cette personne que celle‑ci n’aurait plus qu’à remplir si elle estimait devoir le faire et à retourner à l’adresse de la juridiction devant laquelle le recours doit être introduit.

78. Il y a lieu de souligner, en outre, que le droit à l’interprétation ne se manifeste pas uniquement par une assistance par la voie orale de la personne qui ne parle pas la langue de la procédure. Ce droit peut également revêtir la forme d’une traduction écrite des propos exprimés par la défense dans un document tel qu’un acte introductif d’un recours.

79. À l’inverse, comme cela ressort expressément de l’article 3, paragraphe 7, de la directive 2010/64, la traduction des documents essentiels peut revêtir une forme orale.

80. En l’espèce, l’assistance d’un interprète dans le cadre de l’opposition faite contre une ordonnance pénale peut revêtir tant la forme orale que la forme écrite. En effet, selon l’article 410, paragraphe 1, de la StPO, l’opposition à l’ordonnance pénale peut être formée par écrit ou sur procès‑verbal auprès du greffe du tribunal ayant délivré cette ordonnance. Il ne fait, à nos yeux, aucun doute que, dans la mesure où l’assistance d’un interprète est garantie dans le cadre d’un recours formé par
oral auprès du greffe du tribunal compétent, une telle assistance doit, de manière égale, être garantie lorsque le recours est formé par écrit.

81. Nous concluons donc que les articles 1er, paragraphe 2, ainsi que 2, paragraphes 1 et 8, de la directive 2010/64 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’utilisation d’une langue donnée comme langue de la procédure devant les juridictions de cet État. Toutefois, ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles permettent à une personne ayant fait l’objet d’un jugement
en matière pénale et qui ne maîtrise pas la langue de la procédure d’introduire dans sa propre langue un recours contre un tel jugement, à charge pour la juridiction compétente de mettre en œuvre, en application du droit à l’interprétation dont dispose la personne poursuivie en vertu de l’article 2 de cette directive, les moyens propres à assurer la traduction du recours vers la langue de la procédure.

C – Sur la seconde question

1. Observations liminaires

82. En procédure pénale, l’exécution d’une décision portant condamnation suppose que celle‑ci soit exécutoire. Cette notion se distingue de la notion de décision définitive dans certaines circonstances, notamment les suivantes.

83. L’exécution d’une décision de condamnation suppose que les voies de recours aient été épuisées, situation qui n’est pas celle qui nous retiendra ici, ou que la personne condamnée ne les ait pas exercées.

84. Cette seconde hypothèse suppose que la personne condamnée ait eu connaissance de la décision de condamnation et que, en connaissance de cause, elle se soit abstenue de la contester.

85. Lorsque l’intéressé était présent lors du prononcé de la décision de condamnation, aucune difficulté n’existe et, à l’expiration du délai de recours, la décision devient exécutoire et, en l’espèce, également définitive.

86. Lorsque l’intéressé n’était pas présent lors du prononcé de la décision de condamnation, il faut porter cette décision à sa connaissance, la condamnation ne devenant exécutoire qu’une fois la personne touchée par la notification et après expiration des voies de recours dont le délai pour les exercer commence à courir à compter de l’accomplissement de cette formalité.

87. La personne condamnée peut aussi ne pas être touchée par la notification pour des motifs qui peuvent lui être imputables (par exemple, la fuite) ou non (par exemple, la défaillance des services chargés de la notification). Dans ces hypothèses, il faut néanmoins que le jugement soit mis à exécution et donc qu’il revête un caractère exécutoire. Ce dernier va lui être conféré par un mode de signification formel, en l’espèce à un mandataire, qui ne doit pas rendre le jugement définitif et donc
permettre l’exercice de la voie de recours lorsque, au stade de l’exécution, la personne concernée aura été retrouvée et/ou informée de l’existence d’un jugement pénal.

88. S’agissant du mode de signification, que nous avons qualifié de «formel», les États membres sont libres de le déterminer selon ce qu’ils croiront le plus adapté.

89. Le système procédural allemand, tel qu’il nous a été expliqué lors de l’audience, consiste, dans les cas où, dès l’origine, il peut être craint qu’il soit difficile de joindre l’intéressé par la suite (ici dans le cas d’une domiciliation à l’étranger), à recourir à un mandataire dont il nous apparaît, en réalité, qu’il constitue un point de contact officiel entre l’autorité judiciaire et la personne poursuivie. Le recours à ce mandataire comporte des obligations pour l’autorité judiciaire
(obligation de passer par lui pour les actes de signification), pour le mandataire (obligation d’adresser les pièces reçues à la personne poursuivie) et pour la personne poursuivie qui doit se renseigner auprès de ce dernier pour connaître l’état de la procédure.

90. C’est l’envoi au mandataire par le tribunal de la décision à notifier qui va constituer l’acte de procédure faisant courir le délai à l’expiration duquel la décision de condamnation deviendra exécutoire.

91. Ce système procédural qui est celui adopté par la législation allemande n’est pas critiquable en soi, ne serait‑ce que par respect pour la règle posée par l’article 82, paragraphe 2, premier alinéa, dernière phrase, TFUE, à savoir que les règles adoptées sur la base de ce paragraphe doivent tenir compte des différences entre les traditions et les systèmes juridiques des États membres.

92. Encore faut‑il que ledit système procédural satisfasse, au stade de sa mise en œuvre, à la nécessité de permettre l’exercice des droits de la défense de la personne poursuivie, ce qu’il convient d’examiner dans le cadre de la réponse à apporter à la seconde question.

2. Notre analyse

93. Par sa seconde question, l’Amtsgericht Laufen demande, en substance, à la Cour de dire pour droit si les articles 2, 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit la désignation par la personne poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale, qui ne réside pas dans cet État, d’un mandataire aux fins de la signification
d’une ordonnance pénale adoptée contre elle, suivie de l’envoi par courrier simple de cette ordonnance par le mandataire à la personne poursuivie, le délai de deux semaines pour former une opposition contre ladite ordonnance courant à compter de la signification de celle‑ci au mandataire.

94. Dans sa décision de renvoi, l’Amtsgericht Laufen précise que la désignation d’un mandataire pour recevoir les significations qui est prévue aux articles 116, 127 bis et 132 de la StPO a pour conséquence que le délai pour introduire un recours contre une décision adoptée au cours de la procédure pénale commence à courir dès la signification d’une telle décision au mandataire désigné. Ce dernier transmet ensuite ladite décision à la personne poursuivie par courrier simple, sans preuve de
l’expédition et/ou de la réception. Il serait donc indifférent, notamment aux fins du calcul du délai de recours, de savoir si et quand la personne poursuivie reçoit effectivement une décision adoptée au cours de la procédure pénale. La juridiction de renvoi indique, à cet égard, que, s’agissant d’une ordonnance pénale, il appartient à la personne poursuivie de veiller elle‑même à ce que celle‑ci lui parvienne et lui ouvre un premier accès à un tribunal.

95. La directive 2012/13 protège, aux termes de son article 1er, «le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux».

96. Ces deux aspects du droit à l’information sont visés par deux articles distincts de cette directive, dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation. L’article 3 de ladite directive porte, selon son intitulé, sur le «[d]roit d’être informé de ses droits». L’article 6 de la directive 2012/13 concerne, quant à lui, le «[d]roit d’être informé de l’accusation portée contre soi».

97. Selon l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, «[l]es États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant, au minimum, les droits procéduraux qui figurent [sous a) à e)], tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national, de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits». Parmi les droits procéduraux mentionnés figure, à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, «le droit d’être informé
de l’accusation portée contre soi, conformément à l’article 6».

98. Nous rappelons que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2012/13, «[l]es États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense».

99. Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 3, de cette même directive prévoit que «[l]es États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien‑fondé de l’accusation».

100. Il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2012/13 que celle‑ci a un champ d’application particulièrement étendu. En effet, aux termes de cette disposition, cette directive «s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, etjusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de
savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel» ( 16 ).

101. L’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 doit être lu en liaison avec l’article 2, paragraphe 1, de cette même directive. Ainsi, dans la mesure où le législateur de l’Union a clairement prévu l’application de la directive 2012/13 tout au long de la procédure pénale, depuis les premières suspicions jusqu’au prononcé du jugement, le cas échéant après épuisement des voies de recours, il convient de considérer que le droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, prévu à
l’article 6, paragraphes 1 et 3, de ladite directive, comporte le droit pour la personne poursuivie d’être informée d’une décision portant condamnation pénale contre elle avant et aux fins de l’introduction éventuelle d’un recours contre une telle décision.

102. Ainsi, l’exigence, figurant à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13, selon laquelle des informations détaillées sur l’accusation doivent être communiquées «au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien‑fondé de l’accusation» couvre la situation dans laquelle une ordonnance pénale est prononcée à l’encontre d’une personne poursuivie et une opposition peut être formée par celle‑ci contre cette ordonnance, conduisant à nouveau, mais cette fois dans le
cadre d’une procédure classique, une juridiction «à se prononcer sur le bien‑fondé de l’accusation».

103. Dans un tel cas de figure, le droit d’être informé de l’accusation portée contre soi a pour finalité de permettre à la personne poursuivie d’exercer de manière effective ses droits de la défense, et en particulier d’introduire un recours contre le jugement pénal dont elle fait l’objet.

104. À notre avis, le mécanisme allemand de signification de l’ordonnance pénale à un mandataire, suivie d’une transmission de celle‑ci à la personne poursuivie par courrier simple ne contrevient pas, dans son principe et sous les réserves que nous exposerons ultérieurement, au droit d’être informé de l’accusation portée contre soi tel qu’il est protégé par l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13.

105. En effet, force est de constater que cette directive ne règle pas la question des modalités de la signification des actes qui interviennent au cours de la procédure pénale.

106. Pour autant, les États membres, lorsqu’ils fixent ces modalités de signification, doivent s’assurer qu’elles respectent les droits que les personnes poursuivies tirent de ladite directive. Dès lors, la solution retenue par la République fédérale d’Allemagne pour signifier les ordonnances pénales prononcées à l’encontre de personnes qui ne résident pas dans cet État membre ne serait critiquable que si elle portait atteinte au droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, et plus
largement aux droits de la défense, notamment celui d’exercer un recours.

107. Comme nous l’avons précédemment indiqué, la signification des décisions de condamnation pénale à un mandataire constitue le moyen choisi par la République fédérale d’Allemagne pour mettre à exécution de telles décisions lorsqu’il peut être craint qu’il soit difficile de joindre la personne concernée après le prononcé desdites décisions, notamment dans le cas d’une domiciliation à l’étranger.

108. En cas de désignation d’un mandataire aux fins de signification, ce dernier est tenu de transmettre sans délai la décision pénale de condamnation à la personne concernée, le cas échéant accompagnée d’une traduction dans la langue de cette personne.

109. Lors de l’audience, le gouvernement allemand a été interrogé sur la question de savoir ce qu’il advient lorsque la personne poursuivie reçoit tardivement l’ordonnance pénale et qu’elle se trouve alors empêchée de former une opposition contre cette ordonnance dans le délai de deux semaines qui court à compter de la signification de ladite ordonnance au mandataire désigné. En effet, dans une telle situation, l’ordonnance pénale peut être mise à exécution, le cas échéant en ayant recours à
l’entraide judiciaire pénale. Il est, dès lors, crucial de savoir si, au stade de l’exécution de l’ordonnance pénale, la personne concernée peut ou non encore former une opposition contre cette ordonnance pénale.

110. Le gouvernement allemand a répondu à cette question par l’affirmative. Il a précisé que, selon le droit allemand ( 17 ), lorsque la personne poursuivie a été empêchée de former une opposition dans le délai de deux semaines, elle peut exiger d’être remise dans la situation antérieure à partir du moment où elle est informée de l’existence d’une ordonnance pénale prononcée contre elle, notamment au stade de l’exécution de cette ordonnance pénale. Dans une telle situation, la personne poursuivie
peut donc demander à ce que la situation soit corrigée et que ses droits de la défense soient respectés.

111. Ces explications confirment que, en droit allemand, une ordonnance pénale peut devenir exécutoire sans pour autant acquérir un caractère définitif. Ainsi, au stade de l’exécution de cette ordonnance, la personne poursuivie doit pouvoir former une opposition contre ladite ordonnance si elle n’a pas été informée plus tôt de l’existence de celle‑ci.

112. Il importe, cependant, de préciser que, pour être considéré comme pleinement conforme au droit d’être informé de l’accusation portée contre soi, dont l’une des finalités est de permettre à la personne faisant l’objet d’une décision de condamnation pénale d’exercer un recours contre une telle décision, le mécanisme allemand de désignation d’un mandataire aux fins de signification d’une ordonnance pénale, suivie de l’envoi par courrier simple de cette ordonnance par le mandataire à la personne
poursuivie, ne saurait avoir pour effet de réduire le délai incompressible de deux semaines dont dispose cette personne pour former une opposition contre ladite ordonnance.

113. À cet égard, deux situations sont susceptibles de se présenter.

114. Dans la première situation, la personne ayant fait l’objet d’une ordonnance pénale reçoit celle‑ci à l’intérieur du délai de deux semaines courant à compter de la signification de cette ordonnance au mandataire. Dans cette situation, le délai légal de recours dont dispose la personne poursuivie pour contester ladite ordonnance ne saurait être diminué du nombre de jours qui séparent la signification au mandataire domicilié au siège du tribunal de la réception par la personne concernée du
courrier qui contient la décision portant condamnation pénale contre elle. Le mécanisme de signification à un mandataire, suivie d’une transmission par courrier simple à la personne poursuivie, aurait sinon pour effet d’amputer le délai légal dont bénéficie cette personne pour contester l’ordonnance pénale dont elle fait l’objet, ce mécanisme étant alors susceptible d’empêcher celle‑ci de disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense. S’il avait pour effet de priver la personne
poursuivie du bénéfice de l’intégralité du délai légal pour former une opposition contre une ordonnance pénale, un tel mécanisme porterait atteinte aux droits de la défense qui doivent, selon l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, être garantis à tout accusé.

115. La circonstance qu’une personne reçoit une ordonnance pénale à l’intérieur du délai de deux semaines courant à compter de la signification de cette ordonnance au mandataire ne doit donc pas empêcher celle‑ci de bénéficier de l’intégralité du délai légal dont elle a droit pour former une opposition contre ladite ordonnance, sauf à porter atteinte à la finalité du droit d’être informé de l’accusation portée contre soi.

116. Dans la seconde situation, la personne ayant fait l’objet d’une ordonnance pénale reçoit celle‑ci ou se la voit notifier, éventuellement au stade de l’exécution, en dehors du délai de deux semaines courant à compter de la signification de cette ordonnance au mandataire. Dans une telle situation, cette personne doit également pouvoir bénéficier, à compter du moment où elle prend connaissance de ladite ordonnance, du délai légal de deux semaines dans son intégralité pour pouvoir former une
opposition contre l’ordonnance pénale en cause.

117. En somme, s’il est loisible à un État membre d’adopter, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un système de signification des décisions en matière pénale à un mandataire et de fixer un délai à compter de cette signification, à l’issue duquel de telles décisions sont exécutoires, un tel système ne doit pas, en revanche, avoir pour effet de priver les personnes poursuivies de la possibilité d’exercer leur recours, dans le délai légal prévu par la législation de cet État,
à partir du moment où elles sont informées de ces décisions.

118. Au vu de ces précisions, nous concluons que les articles 2, 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit la désignation par une personne poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale, qui ne réside pas dans cet État, d’un mandataire aux fins de la signification d’une ordonnance pénale adoptée contre elle,
suivie de l’envoi par courrier simple de cette ordonnance par le mandataire à la personne poursuivie, à la condition que ce mécanisme procédural n’empêche pas cette personne de bénéficier du délai légal de deux semaines, prévu par la législation dudit État, pour former une opposition contre cette ordonnance pénale, ce délai devant courir à compter du moment où ladite personne prend connaissance, de quelque manière que ce soit, de ladite ordonnance.

IV – Conclusion

119. Eu égard à l’ensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par l’Amtsgericht Laufen:

1) Les articles 1er, paragraphe 2, ainsi que 2, paragraphes 1 et 8, de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil, du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’utilisation d’une langue donnée comme langue de la procédure devant les juridictions de cet État.
Toutefois, ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles permettent à une personne ayant fait l’objet d’un jugement en matière pénale et qui ne maîtrise pas la langue de la procédure d’introduire dans sa propre langue un recours contre un tel jugement, à charge pour la juridiction compétente de mettre en œuvre, en application du droit à l’interprétation dont dispose la personne poursuivie en vertu de l’article 2 de cette directive, les moyens propres à assurer la
traduction du recours vers la langue de la procédure.

2) Les articles 2, 3, paragraphe 1, sous c), ainsi que 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit la désignation par une personne poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale, qui ne réside pas dans cet État, d’un
mandataire aux fins de la signification d’une ordonnance pénale adoptée contre elle, suivie de l’envoi par courrier simple de cette ordonnance par le mandataire à la personne poursuivie, à la condition que ce mécanisme procédural n’empêche pas cette personne de bénéficier du délai légal de deux semaines, prévu par la législation dudit État, pour former une opposition contre cette ordonnance pénale, ce délai devant courir à compter du moment où ladite personne prend connaissance, de quelque
manière que ce soit, de ladite ordonnance.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO L 280, p. 1.

( 3 ) JO L 142, p. 1.

( 4 ) Dans les développements qui suivent, la notion de personne poursuivie inclut les personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pénale et qui peuvent exercer un recours contre celle‑ci.

( 5 ) Ci‑après la «CEDH».

( 6 ) Ci‑après la «Charte».

( 7 ) Voir considérant 17 de ladite directive.

( 8 ) Une telle conclusion est, à notre avis, confortée par l’arrêt Runevič‑Vardyn et Wardyn (C‑391/09, EU:C:2011:291), dans lequel la Cour a relevé, sur un plan plus général, que, «aux termes de l’article 3, paragraphe 3, quatrième alinéa, TUE ainsi que de l’article 22 de la [C]harte, l’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique» (point 86) et que, «[c]onformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte également l’identité nationale de ses États membres, dont
fait aussi partie la protection de la langue officielle nationale de l’État» (idem).

( 9 ) Points 24 et 29 des observations écrites du gouvernement allemand.

( 10 ) Points 44 et suiv. des observations écrites de la Commission.

( 11 ) Voir Monjean‑Decaudin, S., La traduction du droit dans la procédure judiciaire – Contribution à l’étude de la linguistique juridique, Dalloz, Paris, 2012, p. 149 et suiv.

( 12 ) Voir arrêt Luedicke, Belkacem et Koç c. Allemagne,28 novembre 1978, série A no 29, § 48.

( 13 ) Italique ajouté par nous.

( 14 ) Voir arrêt Kamasinski c. Autriche,19 décembre 1989, série A no 168, § 74.

( 15 ) Point 52 des observations écrites de la Commission.

( 16 ) Italique ajouté par nous.

( 17 ) Il semble que le gouvernement allemand fasse référence à l’article 44 de la StPO qui prévoit un relevé de forclusion lorsqu’une personne est empêchée de respecter un délai de recours, sans que cela résulte d’une faute de sa part.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-216/14
Date de la décision : 07/05/2015
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2010/64/UE – Droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales – Langue de la procédure – Ordonnance pénale portant condamnation à une amende – Possibilité d’introduire une opposition dans une langue autre que celle de la procédure – Directive 2012/13/UE – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi – Signification d’une ordonnance pénale – Modalités – Désignation obligatoire d’un mandataire par la personne mise en cause – Délai d’opposition courant à partir de la signification au mandataire.

Coopération judiciaire en matière pénale

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Gavril Covaci.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bot

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2015:305

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