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12/03/2015 | CJUE | N°C-577/13

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Actavis Group PTC EHF et Actavis UK Ltd contre Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG., 12/03/2015, C-577/13


ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

12 mars 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Médicaments à usage humain — Règlement (CE) no 469/2009 — Article 3 — Certificat complémentaire de protection — Conditions d’obtention de ce certificat — Médicaments contenant partiellement ou totalement le même principe actif — Mises sur le marché successives — Composition de principes actifs — Commercialisation antérieure d’un principe actif sous la forme d’un médicament à principe actif unique — Conditions d’obtention de plusieurs certificats à par

tir d’un même brevet —
Modification des principes actifs d’un brevet de base»

Dans l’affaire C‑577/...

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

12 mars 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Médicaments à usage humain — Règlement (CE) no 469/2009 — Article 3 — Certificat complémentaire de protection — Conditions d’obtention de ce certificat — Médicaments contenant partiellement ou totalement le même principe actif — Mises sur le marché successives — Composition de principes actifs — Commercialisation antérieure d’un principe actif sous la forme d’un médicament à principe actif unique — Conditions d’obtention de plusieurs certificats à partir d’un même brevet —
Modification des principes actifs d’un brevet de base»

Dans l’affaire C‑577/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court) (Royaume-Uni), par décision du 31 octobre 2013, parvenue à la Cour le 14 novembre 2013, dans la procédure

Actavis Group PTC EHF,

Actavis UK Ltd

contre

Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. A. Ó Caoimh, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteur) et M. C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er décembre 2014,

considérant les observations présentées:

— pour Actavis Group PTC EHF et Actavis UK Ltd, par M. R. Meade, QC, Mme I. Jamal, barrister, ainsi que par M. M. Hilton, solicitor,

— pour Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG, par M. T. Mitcheson, QC, ainsi que par M. N. Dagg, solicitor,

— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. N. Saunders, barrister,

— pour le gouvernement français, par MM. D. Colas, S. Menez et Mme S. Ghiandoni, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, A. Antunes et Mme I. Vieira Lopes, en qualité d’agents,

— pour la Commission européenne, par M. F. Bulst et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 et 13 du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 152, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Actavis Group PTC EHF et Actavis UK Limited (ci-après, ensemble, «Actavis») à Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG (ci-après «Boehringer») au sujet de la validité du certificat complémentaire de protection (ci-après le «CCP») obtenu par Boehringer pour le médicament MicardisPlus.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 4, 5, 9 et 10 du règlement no 469/2009 se lisent comme suit:

«(4) À l’heure actuelle, la période qui s’écoule entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau médicament et l’autorisation de mise sur le marché [ci-après l’‘AMM’] dudit médicament réduit la protection effective conférée par le brevet à une durée insuffisante pour amortir les investissements effectués dans la recherche.

(5) Ces circonstances conduisent à une insuffisance de protection qui pénalise la recherche pharmaceutique.

[...]

(9) La durée de la protection conférée par le certificat devrait être déterminée de telle sorte qu’elle permette une protection effective suffisante. À cet effet, le titulaire, à la fois d’un brevet et d’un certificat, doit pouvoir bénéficier au total de quinze années d’exclusivité au maximum à partir de la première [AMM], dans la Communauté, du médicament en question.

(10) Néanmoins, tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, dans un secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique devraient être pris en compte. À cet effet, le certificat ne saurait être délivré pour une durée supérieure à cinq ans. La protection qu’il confère devrait en outre être strictement limitée au produit couvert par l’autorisation de sa mise sur le marché en tant que médicament.»

4 L’article 1er de ce règlement, intitulé «Définitions», prévoit:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

a) ‘médicament’: toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines [...];

b) ‘produit’: le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament;

c) ‘brevet de base’: un brevet qui protège un produit en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d’obtention d’un certificat;

d) ‘certificat’: le [CCP];

[…]»

5 L’article 3 dudit règlement, intitulé «Conditions d’obtention du certificat», dispose:

«Le certificat est délivré si, dans l’État membre où est présentée la demande visée à l’article 7 et à la date de cette demande:

a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur;

b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une [AMM] en cours de validité conformément à la directive 2001/83/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67)] [...];

c) le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat;

d) l’autorisation mentionnée au point b) est la première [AMM] du produit, en tant que médicament.»

6 L’article 7 du règlement no 469/2009, intitulé «Demande de certificat», énonce à son paragraphe 1:

«La demande de certificat doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le produit, en tant que médicament, a obtenu l’[AMM] mentionnée à l’article 3, point b).»

7 L’article 13 de ce règlement, intitulé «Durée du certificat», dispose à son paragraphe 1:

«Le certificat produit effet au terme légal du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première [AMM] dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans.»

Le droit du Royaume-Uni

8 L’article 27 de la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977 (UK Patents Act 1977) énonce qu’une «modification d’un fascicule d’un brevet au titre du présent article aura effet et sera réputée avoir toujours eu effet dès la date de la délivrance du brevet».

Les faits au principal et les questions préjudicielles

9 Le 31 janvier 1992, Boehringer a déposé une demande tendant à la délivrance du brevet européen (UK) no EP 0 502 314. Ce brevet lui a été délivré le 20 mai 1998 (ci-après le «brevet de base Boehringer»). Le brevet de base Boehringer est intitulé «Dérivés du benzimidazole, médicaments les contenant et procédé pour leur préparation». Il présente et revendique de nombreuses molécules dont l’une d’elles est le telmisartan. Celui-ci est un principe actif utilisé dans le traitement de la pression
artérielle élevée, à savoir l’hypertension, et la réduction de la morbidité cardiovasculaire chez l’adulte.

10 Les revendications 5 et 8 du brevet de base Boehringer portent, respectivement sur le telmisartan seul et sur l’un de ses sels.

11 Sur le fondement dudit brevet et d’une AMM délivrée le 16 décembre 1998 à l’une des sociétés du groupe Boehringer pour le médicament Micardis contenant le telmisartan en tant que principe actif unique, Boehringer a obtenu un premier CCP pour ce principe actif (ci-après le «CCP telmisartan»). La description du produit du CCP telmisartan est «[t]elmisartan, susceptible de se présenter sous la forme d’un sel pharmaceutiquement acceptable». Le CCP telmisartan a été délivré le 9 août 1999 et a expiré
le 10 décembre 2013.

12 Le 19 avril 2002, l’une des sociétés du groupe Boehringer a obtenu une AMM pour une composition du telmisartan avec hydrochlorothiazide. L’hydrochlorothiazide est un diurétique qui opère en inhibant la capacité des reins à retenir l’eau. Cette substance est une molécule connue depuis 1958 et qui est entrée dans le domaine public. Le telmisartan et l’hydrochlorothiazide sont les seuls principes actifs dans le médicament vendu par Boehringer sous la marque MicardisPlus.

13 Le 6 septembre 2002, Boehringer a déposé une demande en vue de l’obtention d’un CCP portant sur la composition des principes actifs telmisartan et hydrochlorothiazide (ci-après le «CCP composition»).

14 Par courrier du 10 juillet 2003, le United Kingdom Intellectual Property Office (service de la propriété intellectuelle du Royaume-Uni, ci-après l’«UK IPO») a signalé au demandeur du CCP composition que, s’agissant de certificats portant sur des produits comprenant une composition de principes actifs, la composition doit être explicitement revendiquée afin d’être considérée comme devant être protégée en tant que telle. Le brevet de base Boehringer contenant seulement des revendications qui
portent sur l’un des principes actifs du produit, notamment le composant telmisartan, l’UK IPO a suggéré à Boehringer de demander la modification de ce brevet de base afin d’insérer une revendication de la composition du telmisartan et de l’hydrochlorothiazide.

15 Le 10 novembre 2003, Boehringer a sollicité la suspension de la demande du CCP composition.

16 Le 19 novembre 2003, Boehringer a demandé à l’UK IPO une modification du brevet de base Boehringer tel que délivré en y insérant une revendication, à savoir la revendication 12, portant, en outre, sur une composition pharmaceutique de telmisartan avec hydrochlorothiazide.

17 Le 22 décembre 2003, l’UK IPO a accepté de suspendre la procédure visant l’obtention du CCP composition pendant quatre mois, en attendant que prenne fin la procédure de modification du brevet de base Boehringer.

18 Le 5 mai 2004, la demande de modification dudit brevet de base a été publiée. Après avoir prorogé, le 14 mai 2004, la suspension de la procédure visant l’obtention du CCP composition jusqu’à la fin de la procédure de modification du brevet de base Boehringer, l’UK IPO a admis la demande de modification de celui-ci le 10 novembre 2004 (ci-après le «brevet modifié»). Le brevet modifié est arrivé à expiration le 30 janvier 2012.

19 Par courrier du 18 novembre 2004, Boehringer a demandé à l’UK IPO de présenter à nouveau sa demande de CCP composition. Cette demande a été réintroduite sur le fondement du brevet modifié, à cette date, ou peu après celle-ci.

20 Le CCP composition a été délivré le 13 janvier 2005, avec une date d’expiration fixée au 30 janvier 2017.

21 Actavis, qui produit des médicaments génériques, a introduit, devant la juridiction de renvoi, un recours tendant à contester la validité du CCP composition au motif que, à la date de la demande initiale de celui-ci, le 6 septembre 2002, le produit en cause n’était pas mentionné dans le libellé des revendications du brevet de base Boehringer, ce dernier, faisant l’objet de cette demande de CCP composition, ne contenait pas la revendication 12 et aucune des revendications dudit brevet ne
mentionnait le produit en composition.

22 Boehringer soutient, en revanche, que les législations de l’Union et nationale permettent la modification des brevets après leur délivrance. Ainsi, à la suite d’une telle modification, le brevet de base Boehringer protégerait, rétroactivement, le produit pour lequel le CCP composition avait été initialement demandé avant la modification.

23 La juridiction de renvoi relève que, en application de l’article 27 de la loi du Royaume-Uni sur les brevets de 1977, la modification apportée au brevet de base Boehringer est réputée avoir toujours eu effet, et ce dès la date de délivrance de ce brevet, à savoir le 20 mai 1998.

24 Dans ces conditions, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) a) Si, lors de sa délivrance, un brevet ne contient pas une revendication mentionnant expressément deux principes actifs en composition, mais qu’il pourrait être modifié de façon à contenir une telle revendication, ce brevet pourrait-il, que cette modification intervienne ou non, être invoqué en tant que ‘brevet de base en vigueur’ pour un produit comprenant ces principes en composition, conformément à l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009?

b) Un brevet qui a été modifié après sa délivrance et i) avant la délivrance du CCP et/ou ii) après la délivrance de ce dernier, peut-il être invoqué en tant que ‘brevet de base en vigueur’ aux fins de remplir la condition visée à l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009?

c) Lorsqu’un demandeur demande un CCP pour un produit constitué des principes actifs A et B, dans des circonstances dans lesquelles,

i) après la date de la demande du CCP, mais avant la délivrance du CCP, le brevet de base en vigueur, qui est un brevet européen [délivré au Royaume-Uni], est modifié de façon à contenir une revendication mentionnant expressément A et B;

et

ii) la modification est réputée, selon le droit national, avoir toujours eu effet dès la date de la délivrance du brevet,

le demandeur du CCP peut-il invoquer le brevet dans sa forme modifiée aux fins de remplir la condition de l’article 3, sous a)[, du règlement no 469/2009]?

2) Aux fins de déterminer si les conditions de l’article 3 sont établies à la date de la demande de CCP pour un produit constitué de la composition des principes actifs A et B, lorsque

a) le brevet de base en vigueur contient une revendication d’un produit comprenant le principe actif A, ainsi qu’une revendication supplémentaire d’un produit comprenant la composition des principes actifs A et B et

b) qu’il y a déjà un CCP pour un produit comprenant le principe actif A (ci-après le ‘produit X’), est-il nécessaire d’examiner si la composition des principes actifs A et B est une invention distincte et séparée de celle du principe actif A isolé?

3) Lorsque le brevet de base en vigueur ‘protège’ conformément à l’article 3, sous a)[, du règlement no 469/2009]:

a) un produit comprenant le principe actif A (le produit X); et

b) un produit comprenant une composition du principe actif A et du principe actif B (ci-après le ‘produit Y’)

et lorsque

c) une AMM du produit X en tant que médicament a été accordée;

d) qu’un CCP portant sur le produit X a été accordé, et

e) qu’une autorisation distincte de mise du produit Y sur le marché en tant que médicament a été ultérieurement accordée,

le règlement [no 469/2009], en particulier ses articles 3, sous c) et d), et/ou 13, paragraphe 1, s’oppose-t-il à la délivrance d’un CCP portant sur le produit Y au titulaire du brevet? Ou bien, si un CCP peut être accordé pour le produit Y, sa durée doit-elle être évaluée par rapport à la délivrance de l’autorisation portant sur le produit X ou par rapport à l’autorisation portant sur le produit Y?

4) Si la première question, sous a), appelle une réponse négative, la première question sous b), i), une réponse affirmative et la première question, sous b), ii), une réponse négative, alors, dans des circonstances où,

a) conformément à l’article 7, paragraphe 1, [du] règlement no 469/2009, une demande de CCP pour un produit est déposée dans les six mois à compter de la date de délivrance d’une AMM du produit en tant que médicament, en cours de validité, conformément à la directive 2001/83 ou à la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (JO L 311, p. 1);

b) après le dépôt de la demande de CCP, le service compétent de la propriété industrielle soulève une objection potentielle à la délivrance du CCP en vertu de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009;

c) à la suite de l’objection potentielle précitée du service compétent de la propriété industrielle et en vue de la rencontrer, une demande de modification du brevet de base en vigueur invoqué par le demandeur de CCP est effectuée et est accordée;

d) à la suite de la modification du brevet de base en vigueur, ledit brevet modifié respecte l’article 3, sous a), [du règlement no 469/2009],

le règlement no 469/2009 interdit-il au service compétent de la propriété intellectuelle d’appliquer les dispositions nationales de procédure pour autoriser a) la suspension de la demande de CCP en vue de permettre au demandeur de CCP de solliciter la modification du brevet de base et b) le recommencement de ladite demande à une date ultérieure, lorsque la modification aura été accordée, ledit recommencement intervenant

— plus de six mois à compter de la date de délivrance d’une AMM du produit en tant que médicament, en cours de validité, mais

— dans un délai de six mois à compter de la date d’octroi de la demande de modification du brevet de base en vigueur?»

Sur les questions préjudicielles

Sur les deuxième et troisième questions

25 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble et en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, sous a) et c), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un brevet de base contient une revendication d’un produit comprenant un principe actif, pour lequel le titulaire de ce brevet a déjà obtenu un CCP, ainsi qu’une revendication ultérieure d’un produit comprenant une composition de ce principe actif avec une
autre substance, cette disposition s’oppose à ce que ce titulaire obtienne un second CCP portant sur ladite composition. Dans l’hypothèse d’une réponse négative, la juridiction de renvoi demande, également, comment déterminer la durée du «CCP composition», au sens de l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement.

26 Cette question est posée eu égard à une demande de second CCP portant sur un produit comprenant une composition des principes actifs telmisartan et hydrochlorothiazide. À cet égard, il est constant, dans l’affaire au principal, que, dans cette composition, le telmisartan, qui est le principe actif novateur du brevet de base Boehringer, constitue seul l’objet de l’invention. L’hydrochlorothiazide est une molécule à la découverte de laquelle Boehringer, en tout état de cause, n’a pas contribué, et
qui relève du domaine public, la revendication portant sur cette substance ne constituant pas l’objet de l’invention.

27 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 3, sous a) à d), du règlement no 469/2009, un CCP est délivré si, dans l’État membre où est présentée la demande et à la date de cette demande, le produit est protégé par un brevet de base en vigueur, lorsque ce produit n’a pas déjà fait l’objet d’un CCP et qu’il a obtenu une AMM en cours de validité en tant que médicament et lorsque ladite AMM est la première autorisation à la date de ladite demande. En ce qui concerne le
produit, tel que mentionné à l’article 3, sous a) et b), du règlement no 469/2009, il ressort d’une lecture combinée de cette disposition avec l’article 1er, sous c), du même règlement qu’un CCP ne saurait être délivré que si le produit est protégé en tant que tel par le brevet de base.

28 S’agissant de la question de savoir si les produits en cause au principal sont protégés ou non, les parties au principal sont en désaccord sur l’interprétation à donner à l’expression «en tant que tel» figurant à l’article 1er, sous c), du règlement no 469/2009.

29 Si, selon Boehringer et le gouvernement portugais, la simple mention des deux principes actifs dans le texte des revendications suffit pour considérer qu’ils sont protégés, Actavis soutient que ladite expression doit être comprise en ce sens que le titulaire d’un brevet ne doit bénéficier d’un monopole étendu que pour le développement d’un produit qui constitue le véritable objet de l’invention du brevet en question, à savoir pour sa contribution technique ou le cœur de l’activité inventive.

30 Pour sa part, la Commission propose d’interpréter l’utilisation des termes «en tant que tel» comme désignant un principe «isolé», à savoir un principe qui n’entre pas dans une composition avec un autre principe actif.

31 Le gouvernement français rappelle que, dans l’affaire au principal, d’une part, seul le telmisartan constitue le cœur de l’invention ou bien le principe actif novateur du brevet de base Boehringer et, d’autre part, aucune des revendications de ce brevet ne porte sur l’hydrochlorothiazide isolément.

32 Afin de pouvoir apporter une réponse utile aux deuxième et troisième questions, il convient de relever que l’expression «en tant que tel», telle que contenue à l’article 1er, sous c), du règlement no 469/2009, doit être interprétée de manière autonome à la lumière des objectifs poursuivis par ce règlement ainsi que du système au sein duquel cette expression s’inscrit.

33 À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, qu’un brevet protégeant plusieurs «produits» distincts peut permettre en principe d’obtenir plusieurs CCP en lien avec chacun de ces produits distincts, pour autant, notamment, que chacun de ceux-ci soit «protégé» en tant que tel par ce «brevet de base» au sens de l’article 3, sous a), du règlement no 469/2009, lu en combinaison avec l’article 1er, sous b) et c), de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts Actavis Group PTC et Actavis UK, C‑443/12,
EU:C:2013:833, point 29, ainsi que Georgetown University, C‑484/12, EU:C:2013:828, point 30).

34 En deuxième lieu, il convient de relever que, selon les considérants 4, 5 et 9 du règlement no 469/2009, le CCP vise à rétablir une durée de protection effective suffisante d’un brevet de base en permettant à son titulaire de bénéficier d’une période d’exclusivité supplémentaire à l’expiration de son brevet destinée à compenser, au moins partiellement, le retard pris dans l’exploitation commerciale de son invention en raison du laps de temps qui s’est écoulé entre la date du dépôt de la demande
de ce brevet et celle de l’obtention de la première AMM dans l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt Actavis Group PTC et Actavis UK, EU:C:2013:833, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

35 Toutefois, la Cour a également jugé que l’objectif poursuivi par le règlement no 469/2009 n’est pas de compenser intégralement les retards pris dans la commercialisation d’une invention ni de compenser de tels retards en lien avec toutes les formes de commercialisation possibles de ladite invention, y compris celle de compositions déclinées autour du même principe actif (voir, en ce sens, arrêt Actavis Group PTC et Actavis UK, EU:C:2013:833, point 40).

36 Eu égard à la nécessité, rappelée notamment au considérant 10 du règlement no 469/2009, de prendre en compte tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, admettre qu’ouvriraient le droit à l’octroi de multiples CCP toutes les mises sur le marché successives d’un principe actif avec un nombre illimité d’autres principes actifs qui ne constituent pas l’objet de l’invention couverte par un brevet de base serait contraire à la mise en balance devant être faite, s’agissant de
l’encouragement de la recherche dans l’Union au moyen de CCP, entre les intérêts de l’industrie pharmaceutique et ceux de la santé publique (voir, en ce sens, arrêt Actavis Group PTC et Actavis UK, EU:C:2013:833, point 41).

37 Ainsi, compte tenu des intérêts visés aux considérants 4, 5, 9 et 10 du règlement no 469/2009, il ne saurait être admis que le titulaire d’un brevet de base en vigueur puisse obtenir un nouveau CCP, éventuellement assorti d’une durée de validité plus étendue, à chaque fois qu’il met sur le marché d’un État membre un médicament contenant, d’une part, un principe actif, protégé en tant que tel par son brevet de base, constituant l’objet de l’invention couverte par ce brevet et, d’autre part, une
autre substance, laquelle ne constitue pas l’objet de l’invention couverte par le brevet de base (voir, en ce sens, arrêt Actavis Group PTC et Actavis UK, EU:C:2013:833, point 30).

38 Il s’ensuit que, pour qu’un brevet de base protège «en tant que tel» un principe actif au sens des articles 1er, sous c), et 3, sous a), du règlement no 469/2009, ce principe actif doit constituer l’objet de l’invention couverte par ledit brevet.

39 À l’aune des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions posées, que l’article 3, sous a) et c), du règlement no 469/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un brevet de base contient une revendication d’un produit comprenant un principe actif qui constitue seul l’objet de l’invention, pour lequel le titulaire de ce brevet a déjà obtenu un CCP, ainsi qu’une revendication ultérieure d’un produit comprenant une composition de ce principe actif
avec une autre substance, cette disposition s’oppose à ce que ce titulaire obtienne un second CCP portant sur ladite composition.

40 Étant donné que, dans l’affaire au principal, le CCP composition ne saurait être considéré comme un CCP délivré en conformité avec le règlement no 469/2009, il n’y a plus lieu de répondre à la dernière partie de la troisième question qui concerne l’interprétation de l’article 13 du règlement, lequel établit la durée d’un CCP.

Sur les première et quatrième questions

41 Compte tenu de la réponse apportée aux deuxième et troisième questions, dont il résulte qu’un second CCP, tel que celui en cause au principal, ne pouvait pas être délivré à Boehringer pour la composition telmisartan-hydrochlorothiazide, et ce indépendamment du point de savoir si une nouvelle revendication portant sur l’hydrochlorothiazide a été insérée dans le brevet de base après sa délivrance à la suite d’une recommandation de la part de l’UK IPO, il n’y a pas lieu de répondre aux première et
quatrième questions posées.

Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:

  L’article 3, sous a) et c), du règlement (CE) no 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un brevet de base contient une revendication d’un produit comprenant un principe actif qui constitue seul l’objet de l’invention, pour lequel le titulaire de ce brevet a déjà obtenu un certificat complémentaire de protection, ainsi qu’une revendication ultérieure d’un
produit comprenant une composition de ce principe actif avec une autre substance, cette disposition s’oppose à ce que ce titulaire obtienne un second certificat complémentaire de protection portant sur ladite composition.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-577/13
Date de la décision : 12/03/2015
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Patents Court).

Renvoi préjudiciel – Médicaments à usage humain – Règlement (CE) nº 469/2009 – Article 3 – Certificat complémentaire de protection – Conditions d’obtention de ce certificat – Médicaments contenant partiellement ou totalement le même principe actif – Mises sur le marché successives – Composition de principes actifs – Commercialisation antérieure d’un principe actif sous la forme d’un médicament à principe actif unique – Conditions d’obtention de plusieurs certificats à partir d’un même brevet – Modification des principes actifs d’un brevet de base.

Rapprochement des législations

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale


Parties
Demandeurs : Actavis Group PTC EHF et Actavis UK Ltd
Défendeurs : Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. KG.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jääskinen
Rapporteur ?: Toader

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2015:165

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