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12/11/2014 | CJUE | N°C-140/13

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Annett Altmann e.a. contre Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht., 12/11/2014, C-140/13


ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

12 novembre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Rapprochement des législations — Directive 2004/39/CE — Article 54 — Obligation de secret professionnel incombant aux autorités nationales de surveillance financière — Informations concernant une entreprise d’investissement frauduleuse et en liquidation judiciaire»

Dans l’affaire C‑140/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (Allemagne),

par décision du 19 février 2013, parvenue à la Cour le 20 mars 2013, dans la procédure

Annett Altma...

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

12 novembre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Rapprochement des législations — Directive 2004/39/CE — Article 54 — Obligation de secret professionnel incombant aux autorités nationales de surveillance financière — Informations concernant une entreprise d’investissement frauduleuse et en liquidation judiciaire»

Dans l’affaire C‑140/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (Allemagne), par décision du 19 février 2013, parvenue à la Cour le 20 mars 2013, dans la procédure

Annett Altmann,

Torsten Altmann,

Hans Abel,

Waltraud Apitzsch,

Uwe Apitzsch,

Simone Arnold,

Barbara Assheuer,

Ingeborg Aubele,

Karl-Heinz Aubele

contre

Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht,

en présence de:

Frank Schmitt,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev et J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juin 2014,

considérant les observations présentées:

— pour Mme et M. Altmann, M. Abel, Mme et M. Apitzsch, Mmes Arnold et Assheuer ainsi que Mme et M. Aubele, par Mes M. Kilian et S. Giller, Rechtsanwälte,

— pour la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht, par M. R. Wiegelmann, en qualité d’agent,

— pour M. Schmitt, en qualité de mandataire liquidateur de Phoenix Kapitaldienst GmbH, par Me A. J. Baumert, Rechtsanwalt,

— pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement hellénique, par Mmes M. Germani, K. Nasopoulou et F. Dedousi, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, Mmes A. Cunha et M. Manuel Simões, en qualité d’agents,

— pour la Commission européenne, par MM. K.‑P. Wojcik, A. Nijenhuis et J. Rius, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54 de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO L 145, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme et M. Altmann, M. Abel, Mme et M. Apitzsch, Mmes Arnold et Assheuer ainsi que Mme et M. Aubele à la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (Office fédéral de contrôle des services financiers, ci-après la «BaFin») au sujet de la décision de cette dernière, en date du 9 octobre 2012, de refuser l’accès à certains documents et informations concernant Phoenix Kapitaldienst GmbH Gesellschaft für die Durchführung und
Vermittlung von Vermögensanlagen (ci-après «Phoenix»).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 2 et 63 de la directive 2004/39 énoncent:

«(2) [...] il convient d’atteindre le degré d’harmonisation nécessaire pour offrir aux investisseurs un niveau élevé de protection et pour permettre aux entreprises d’investissement de fournir leurs services dans toute la Communauté, qui constitue un marché unique, sur la base de la surveillance exercée dans l’État membre d’origine. [...]

[...]

(63) [...] Dans un contexte d’activité transfrontalière croissante, les autorités compétentes devraient se fournir mutuellement les informations nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, de manière à garantir l’application effective de la présente directive, y compris lorsqu’une infraction ou une suspicion d’infraction peut être du ressort des autorités compétentes de plusieurs États membres. Dans cet échange d’informations, le secret professionnel s’impose toutefois, pour assurer la
transmission sans heurts desdites informations ainsi que la protection des droits des personnes concernées.»

4 L’article 17 de la directive 2004/39, intitulé «Obligation générale de surveillance continue», dispose à son paragraphe 1:

«Les États membres veillent à ce que les autorités compétentes contrôlent l’activité des entreprises d’investissement afin de s’assurer qu’elles remplissent les conditions d’exercice prévues dans la présente directive. Ils s’assurent que les mesures appropriées sont prises pour permettre aux autorités compétentes d’obtenir les informations nécessaires pour contrôler le respect de ces obligations par les entreprises d’investissement.»

5 L’article 50 de ladite directive, intitulé «Pouvoirs dont doivent disposer les autorités compétentes», prévoit:

«1.   Les autorités compétentes sont investies de tous les pouvoirs de surveillance et d’enquête nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. [...]

2.   Les pouvoirs visés au paragraphe 1 sont exercés conformément au droit national et comprennent au minimum les droits suivants:

a) accéder à tout document, sous quelque forme que ce soit, et en recevoir une copie;

b) exiger des informations de toute personne et, si nécessaire, convoquer et entendre toute personne pour en obtenir des informations;

[...]»

6 L’article 54 de la même directive, intitulé «Secret professionnel», dispose:

«1.   Les États membres veillent à ce que les autorités compétentes, toute personne travaillant ou ayant travaillé pour les autorités compétentes [...] soient tenus au secret professionnel. Aucune information confidentielle [...] reçue par ces personnes dans l’exercice de leurs fonctions ne peut être divulguée à quelque autre personne ou autorité que ce soit, sauf sous une forme résumée ou agrégée empêchant l’identification des entreprises d’investissement, des opérateurs de marchés, des marchés
réglementés ou de toute autre personne concernés, sans préjudice des cas relevant du droit pénal ou des autres dispositions de la présente directive.

2.   Lorsqu’une entreprise d’investissement [a été déclarée en faillite ou qu’elle est mise en liquidation forcée], les informations confidentielles qui ne concernent pas des tiers peuvent être divulguées dans le cadre de procédures civiles ou commerciales à condition d’être nécessaires au déroulement de la procédure.

3.   Sans préjudice des cas relevant du droit pénal, les autorités compétentes [...] qui reçoivent des informations confidentielles au titre de la présente directive, peuvent uniquement les utiliser dans l’exécution de leurs tâches et pour l’exercice de leurs fonctions [...] Toutefois, si l’autorité compétente ou toute autre autorité, organisme ou personne communiquant l’information y consent, l’autorité qui a reçu l’information peut l’utiliser à d’autres fins.

4.   Toute information confidentielle reçue, échangée ou transmise en vertu de la présente directive est soumise aux exigences de secret professionnel prévues au présent article. Toutefois, le présent article n’empêche pas les autorités compétentes d’échanger ou de transmettre des informations confidentielles [...], avec l’accord de l’autorité compétente, d’une autre autorité, d’un autre organisme ou d’une autre personne physique ou morale qui a communiqué ces informations.

5.   Le présent article ne fait pas obstacle à ce que les autorités compétentes échangent ou transmettent, conformément au droit national, des informations confidentielles qu’elles n’ont pas reçues d’une autorité compétente d’un autre État membre.»

7 L’article 56 de la directive 2004/39, intitulé «Obligation de coopérer», énonce à son paragraphe 1:

«Les autorités compétentes de plusieurs États membres coopèrent entre elles chaque fois que cela est nécessaire à l’accomplissement des missions prévues dans la présente directive, en faisant usage des pouvoirs qui leur sont conférés soit par la présente directive, soit par le droit national.

Toute autorité compétente prête son concours aux autorités compétentes des autres États membres. En particulier, les autorités compétentes échangent des informations et coopèrent dans le cadre d’enquêtes ou d’activités de surveillance.

[...]»

Le droit allemand

8 L’article 1er, paragraphe 1, de la loi sur la liberté de l’information (Informationsfreiheitsgesetz), du 5 septembre 2005 (BGBl. 2005 I, p. 2722, ci-après l’«IFG»), est ainsi libellé:

«Chacun peut prétendre envers les autorités fédérales à accéder aux informations officielles, dans les conditions prévues par la présente loi.»

9 L’article 3 de l’IFG, intitulé «Protection d’intérêts publics particuliers», dispose à son point 4:

«Une personne ne saurait prétendre avoir accès aux informations

[...]

4. lorsque les informations relèvent du secret professionnel ou du secret de service ou bien encore d’une obligation de confidentialité ou de discrétion prévue par une disposition légale ou par les dispositions administratives générales relatives à la protection matérielle et organisationnelle des informations classifiées.»

10 L’article 9 de la loi sur le secteur du crédit (Kreditwesengesetz), du 9 septembre 1998 (BGBl. 1998 I, p. 2776), telle que modifiée par la loi du 4 juillet 2013 (BGBl. 2013 I, p. 1981, ci-après le «KWG»), intitulé «Obligation de confidentialité», prévoit à son paragraphe 1:

«Lorsqu’elles mettent en œuvre la présente loi dans le cadre de leur activité, les personnes employées par la [BaFin] n’ont pas le droit de divulguer ou d’exploiter sans autorisation les éléments de fait dont ils ont eu connaissance au cours de leur activité et dont [les personnes assujetties à la présente loi] ou un tiers ont intérêt à préserver la confidentialité (comme notamment les secrets commerciaux et les secrets d’affaires), y compris lorsqu’ils ne sont plus en service ou que leur
activité a pris fin. [...]»

11 L’article 8 de la loi sur le commerce des valeurs mobilières (Wertpapierhandelsgesetz), du 9 septembre 1998 (BGBl. 1998 I, p. 2708), telle que modifiée par la loi du 15 juillet 2013 (BGBl. 2013 I, p. 2390, ci-après le «WpHG»), intitulé «Obligation de confidentialité», est, à son paragraphe 1, libellé de manière identique à l’article 9, paragraphe 1, du KWG.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 Il ressort de la décision de renvoi qu’une procédure collective de règlement du passif a été ouverte à l’encontre de Phoenix par décision de l’Amtsgericht Frankfurt am Main (tribunal cantonal de Francfort-sur-le-Main) du 1er juillet 2005. Cette société a été dissoute à cette occasion et se trouve désormais en liquidation judiciaire. Le modèle commercial de Phoenix visait principalement à escroquer les investisseurs. Environ 30000 investisseurs ont été lésés, le préjudice s’élevant à 600 millions
d’euros.

13 Par jugement du Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main), rendu le 11 juillet 2006 dans le cadre d’une procédure pénale, deux anciens cadres dirigeants de Phoenix ont été reconnus coupables d’abus de confiance et de fraude aux placements et ont été condamnés à une peine privative de liberté de respectivement sept ans et quatre mois et deux ans et trois mois.

14 Le 21 mai 2012, les requérants au principal ont invoqué devant la BaFin l’article 1er, paragraphe 1, de l’IFG afin de pouvoir consulter des documents concernant Phoenix, tels que les rapports des vérificateurs aux comptes, les contrats, les notes de dossier, les commentaires internes, la correspondance pertinente ainsi que les rapports d’activité et de gestion du fonds d’indemnisation des sociétés d’investissement.

15 Par décision du 31 juillet 2012, la BaFin a fait droit dans une large mesure à la demande de renseignements. Cependant, elle a refusé que les requérants au principal consultent le rapport d’audit spécial établi au 31 mars 2002 par Ernst & Young, de même que les rapports des vérificateurs aux comptes de Phoenix, les commentaires internes, les rapports, les correspondances, les documents, les accords, les contrats, les notes de dossier et les courriers se rapportant à Phoenix ainsi que l’ensemble
des commentaires internes et de la correspondance établis ou menés postérieurement à la communication de ce rapport d’audit.

16 La BaFin a rejeté ces demandes au motif, notamment, que les obligations de confidentialité prévues aux articles 9 du KWG et 8 du WpHG, lus en combinaison avec l’article 3, point 4, de l’IFG, interdisaient l’accès aux informations en cause. Le 21 août 2012, les requérants au principal ont formé un recours gracieux contre ledit refus. Par décision du 9 octobre 2012, la BaFin a rejeté ce recours.

17 Le 12 novembre 2012, les requérants au principal ont formé un recours contentieux devant la juridiction de renvoi contre ladite décision. Par jugement du 11 décembre 2012, la juridiction de renvoi a ordonné à la BaFin, sur la base de la jurisprudence du Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale), d’accorder l’accès à une partie des informations sollicitées.

18 Cependant, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, dans une autre affaire concernant également l’accès aux informations détenues par la BaFin au sujet de Phoenix, la juridiction de renvoi a décidé, par jugement du 12 mars 2008, que le droit à l’information pouvait être invoqué, sur la base de l’article 1er, paragraphe 1, de l’IFG, lorsque l’objectif de protection visé aux articles 9 du KWG et 8 du WpHG n’imposait plus de confidentialité. Dans ce jugement, elle a déclaré qu’il n’y
avait pas d’intérêt légitime à ce que les secrets commerciaux et les secrets d’affaires de Phoenix restent confidentiels, puisque les informations sollicitées se rapportaient à des actes pénalement répréhensibles ou à d’autres violations de droit graves.

19 La juridiction de renvoi met en exergue qu’elle continue à considérer que, dans un cas tel que celui de l’espèce, il n’est pas nécessaire de protéger les intérêts de Phoenix et qu’il est donc possible, à titre exceptionnel, de déroger aux obligations de confidentialité prévues aux articles 9 du KWG et 8 du WpHG.

20 Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Est-il compatible avec le droit de l’Union européenne que les obligations de confidentialité impératives qui incombent aux autorités nationales chargées du contrôle des sociétés de services financiers, qui se fondent sur plusieurs actes du droit de l’Union (directives 2004/109/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2004, sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur
un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE (JO L 390, p. 38)], 2006/48/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (refonte) (JO L 177, p. 1)] et 2009/65/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM)
(JO L 302, p. 32)]) et qui ont été transposées en droit national par les articles 9 [du KWG] et 8 [du WpHG] puissent être mises en échec par l’application et l’interprétation d’une disposition procédurale nationale telle que l’article 99 de la loi portant organisation du contentieux administratif (Verwaltungsgerichtsordnung)?

2) Une autorité de surveillance telle que la [BaFin] peut-elle invoquer, à l’encontre d’une personne qui lui a demandé l’accès aux informations d’un prestataire de services financiers déterminé en application de [l’IFG], les obligations de confidentialité qui lui incombent notamment au titre du droit de l’Union (telles que les obligations prévues aux articles 9 [du KWG] et 8 [du WpHG]), lorsque le principal modèle commercial de la société qui a proposé des services financiers et qui se trouve
désormais en liquidation judiciaire à la suite de sa dissolution pour cause d’insolvabilité consistait dans une fraude de grande ampleur visant à escroquer sciemment les investisseurs et que plusieurs responsables de cette société ont été condamnés par jugement définitif à des peines privatives de liberté de plusieurs années?»

La procédure devant la Cour

21 Par décision du 19 mai 2014, parvenue au greffe de la Cour le même jour, la juridiction de renvoi a informé qu’elle n’entendait pas maintenir sa première question. Dans ces conditions, conformément à l’article 100, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, il n’y a pas lieu de répondre à cette question.

Sur la seconde question préjudicielle

22 À titre liminaire, il convient de préciser que, même si la juridiction de renvoi a fait référence aux directives 2004/109, 2006/48 et 2009/65, eu égard aux éléments complémentaires fournis par ladite juridiction, en réponse à une demande d’éclaircissements qui lui a été adressée en vertu de l’article 101 du règlement de procédure, et compte tenu de la portée de l’agrément dont Phoenix disposait, l’article 54 de la directive 2004/39 est le seul pertinent dans l’affaire au principal.

23 Dès lors, il y a lieu d’examiner la question posée uniquement au regard de cet article.

24 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 54, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/39 doit être interprété en ce sens qu’une autorité nationale de surveillance peut invoquer, dans le cadre d’une procédure administrative, l’obligation de garder le secret professionnel à l’encontre d’une personne qui lui a demandé l’accès à des informations concernant une entreprise d’investissement qui se trouve désormais en liquidation judiciaire, lorsque le
principal modèle commercial de cette entreprise a consisté dans une fraude de grande ampleur visant à escroquer sciemment les investisseurs et que plusieurs des responsables de ladite entreprise ont été condamnés à des peines privatives de liberté.

25 Afin de répondre à la question posée, il convient de tenir compte des objectifs poursuivis par la directive 2004/39 et du contexte dans lequel l’article 54 de celle-ci s’inscrit.

26 Il ressort du considérant 2 de la directive 2004/39 que celle-ci vise à atteindre le degré d’harmonisation nécessaire pour offrir aux investisseurs un niveau élevé de protection et pour permettre aux entreprises d’investissement de fournir leurs services dans toute l’Union sur la base de la surveillance exercée dans l’État membre d’origine.

27 Il découle en outre du considérant 63 de ladite directive que, dans un contexte d’activité transfrontalière croissante, les autorités compétentes des différents États membres doivent se fournir mutuellement les informations nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, de manière à garantir l’application effective de la même directive.

28 Ainsi, aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2004/39, les États membres sont tenus de veiller à ce que les autorités compétentes contrôlent de manière permanente l’activité des entreprises d’investissement afin d’assurer qu’elles respectent leurs obligations.

29 L’article 50, paragraphes 1 et 2, de la même directive prévoit que les autorités compétentes doivent disposer de tous les pouvoirs de surveillance et d’enquête nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, en ce compris les droits d’accéder à tout document et d’exiger des informations de toute personne.

30 L’article 56, paragraphe 1, de la directive 2004/39 prescrit que toute autorité compétente prête son concours aux autorités compétentes des autres États membres et que, en particulier, les autorités compétentes échangent des informations et coopèrent dans le cadre d’enquêtes ou d’activités de surveillance.

31 Le fonctionnement efficace du système de contrôle de l’activité des entreprises d’investissement, fondé sur une surveillance exercée à l’intérieur d’un État membre et sur l’échange d’informations entre les autorités compétentes de plusieurs États membres, tel que succinctement décrit aux points précédents, requiert que tant les entreprises surveillées que les autorités compétentes puissent être sûres que les informations confidentielles fournies conserveront en principe leur caractère
confidentiel (voir, par analogie, arrêt Hillenius, 110/84, EU:C:1985:495, point 27).

32 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions et qu’il ressort également de la dernière phrase du considérant 63 de la directive 2004/39, l’absence d’une telle confiance serait de nature à compromettre la transmission sans heurts des informations confidentielles nécessaires à l’exercice de l’activité de surveillance.

33 C’est donc afin de protéger non seulement les entreprises directement concernées, mais aussi le fonctionnement normal des marchés d’instruments financiers de l’Union que l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 impose, en tant que règle générale, l’obligation de garder le secret professionnel.

34 Les cas spécifiques dans lesquels l’interdiction générale de divulguer des informations confidentielles couvertes par le secret professionnel ne fait pas obstacle à leur transmission ou utilisation sont énoncés de manière détaillée à l’article 54 de la directive 2004/39.

35 Il s’ensuit que l’interdiction générale de divulgation d’informations confidentielles ne saurait trouver des exceptions en dehors des situations spécifiquement prévues audit article.

36 En l’occurrence, et compte tenu de la nature frauduleuse de l’activité que Phoenix exerçait, des condamnations pénales de ses responsables ainsi que de sa mise en liquidation judiciaire, il importe de relever, d’une part, que l’article 54, paragraphe 1, de la directive 2004/39 dispose que l’obligation de garder le secret professionnel est applicable «sans préjudice des cas relevant du droit pénal».

37 Il convient de rappeler, d’autre part, que l’article 54, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que, lorsqu’une entreprise d’investissement a été déclarée en faillite ou mise en liquidation forcée, «les informations confidentielles qui ne concernent pas des tiers peuvent être divulguées dans le cadre de procédures civiles ou commerciales à condition d’être nécessaires au déroulement de la procédure».

38 Dès lors, s’agissant des informations concernant des entreprises d’investissement déclarées en faillite ou mises en liquidation forcée, telles que celle en cause au principal, l’obligation de garder le secret professionnel ne saurait être écartée, sans préjudice des cas relevant du droit pénal, que lorsque les trois conditions visées au point précédent, à savoir que les informations confidentielles ne concernent pas des tiers, que la divulgation de ces informations intervienne dans le cadre de
procédures civiles ou commerciales et que lesdites informations soient nécessaires au déroulement de ces procédures, sont remplies.

39 Or, il ne ressort pas de la décision de renvoi que le litige au principal, qui concerne une procédure administrative portant sur une demande d’accès aux informations et aux documents détenus par une autorité nationale de surveillance au titre de l’IFG, relèverait du droit pénal, cette demande ayant été présentée postérieurement aux condamnations pénales qui ont été prononcées contre les responsables de Phoenix, ni qu’il s’inscrirait dans le cadre de procédures civiles ou commerciales intentées
par les requérants au principal.

40 Si tel est le cas, ce qui incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, aucune des dispositions de l’article 54 de la directive 2004/39 ne permettrait d’écarter l’obligation de garder le secret professionnel.

41 Les circonstances mises en relief par la juridiction de renvoi selon lesquelles, d’une part, le principal modèle commercial de l’entreprise concernée aurait consisté dans une fraude de grande ampleur visant à escroquer sciemment les investisseurs et, d’autre part, plusieurs responsables de cette entreprise auraient été condamnés à des peines privatives de liberté ne modifient en rien la réponse à donner à la question posée.

42 Par voie de conséquence, il convient de répondre à la seconde question que l’article 54, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/39 doit être interprété en ce sens qu’une autorité nationale de surveillance peut invoquer, dans le cadre d’une procédure administrative, l’obligation de garder le secret professionnel à l’encontre d’une personne qui, en dehors d’un cas relevant du droit pénal ou d’une procédure civile ou commerciale, lui a demandé l’accès à des informations concernant une entreprise
d’investissement qui se trouve désormais en liquidation judiciaire, quand bien même le principal modèle commercial de cette entreprise aurait consisté dans une fraude de grande ampleur visant à escroquer sciemment les investisseurs et plusieurs des responsables de ladite entreprise auraient été condamnés à des peines privatives de liberté.

Sur les dépens

43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

L’article 54, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’une autorité nationale de surveillance peut invoquer, dans le cadre d’une procédure administrative, l’obligation de garder le secret
  professionnel à l’encontre d’une personne qui, en dehors d’un cas relevant du droit pénal ou d’une procédure civile ou commerciale, lui a demandé l’accès à des informations concernant une entreprise d’investissement qui se trouve désormais en liquidation judiciaire, quand bien même le principal modèle commercial de cette entreprise aurait consisté dans une fraude de grande ampleur visant à escroquer sciemment les investisseurs et plusieurs des responsables de ladite entreprise auraient été
condamnés à des peines privatives de liberté.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-140/13
Date de la décision : 12/11/2014
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main.

Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Directive 2004/39/CE – Article 54 – Obligation de secret professionnel incombant aux autorités nationales de surveillance financière – Informations concernant une entreprise d’investissement frauduleuse et en liquidation judiciaire.

Rapprochement des législations

Libre prestation des services

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Annett Altmann e.a.
Défendeurs : Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht.

Composition du Tribunal
Avocat général : Jääskinen
Rapporteur ?: da Cruz Vilaça

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:2362

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