ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
9 octobre 2014 (*)
«Pourvoi – Ententes – Marché mondial du fluorure d’aluminium – Droits de la défense – Contenu de la communication des griefs – Calcul du montant de l’amende – Lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes – Point 18 – Valeur totale des ventes des biens ou services en relation avec l’infraction – Obligation de motivation – Délai raisonnable – Réduction du montant de l’amende»
Dans l’affaire C‑467/13 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 août 2013,
Industries Chimiques du Fluor SA (ICF), établie à Tunis (Tunisie), représentée par M^es P. Wytinck et D. Gillet, avocats,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par MM. E. Gippini Fournier et N. von Lingen, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. E. Juhász, président de chambre, MM. D. Šváby (rapporteur) et C. Vajda, juges,
avocat général: M. N. Wahl,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Industries Chimiques du Fluor SA (ICF) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne ICF/Commission (T‑406/08, EU:T:2013:322, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel ce dernier a rejeté son recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2008) 3043 de la Commission, du 25 juin 2008, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.180 – Fluorure d’aluminium), concernant
une entente sur le marché mondial du fluorure d’aluminium portant sur la fixation des prix et la répartition des marchés à l’échelle mondiale (ci-après la «décision litigieuse»), ainsi que, à titre subsidiaire, à la réduction substantielle du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) n° 1/2003
2 Sous l’intitulé «Amendes», l’article 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), dispose, à son paragraphe 3, que, «[p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci».
3 L’article 27 dudit règlement, intitulé «Audition des parties, des plaignants et des autres tiers», prévoit à ses paragraphes 1 et 2:
«1. Avant de prendre les décisions prévues aux articles 7, 8 et 23 et à l’article 24, paragraphe 2, la Commission donne aux entreprises et associations d’entreprises visées par la procédure menée par la Commission l’occasion de faire connaître leur point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission. La Commission ne fonde ses décisions que sur les griefs au sujet desquels les parties concernées ont pu faire valoir leurs observations. Les plaignants sont étroitement associés à la
procédure.
2. Les droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. […]
[…]»
Les lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes
4 Le point 18 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les «lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes»), énonce:
«Lorsque l’étendue géographique d’une infraction dépasse le territoire de l’Espace Économique Européen (‘EEE’) (par exemple dans le cas de cartels mondiaux), les ventes concernées de l’entreprise à l’intérieur de l’EEE peuvent ne pas refléter de manière adéquate le poids de chaque entreprise dans l’infraction. Tel peut en particulier être le cas d’accords mondiaux de répartition de marché.
Dans de telles circonstances, en vue de refléter tout à la fois la dimension agrégée des ventes concernées dans l’EEE et le poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction, la Commission peut estimer la valeur totale des ventes des biens ou services en relation avec l’infraction dans le secteur géographique (plus vaste que l’EEE) concerné, déterminer la part des ventes de chaque entreprise participant à l’infraction sur ce marché et appliquer cette part aux ventes agrégées de ces mêmes
entreprises à l’intérieur de l’EEE. Le résultat sera utilisé à titre de valeur des ventes aux fins de la détermination du montant de base de l’amende.»
Les antécédents du litige
5 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 36 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.
6 À la suite, notamment, d’une demande d’immunité introduite le 23 mars 2005 par Boliden Odda A/S (ci-après «Boliden») en application de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leurs montants dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3), d’inspections effectuées les 25 et 26 mai 2005 par la Commission dans les locaux des fournisseurs européens de fluorure d’aluminium et de plusieurs demandes de renseignements adressées entre septembre
2006 et février 2007, entre autres, à ICF, la Commission a formellement ouvert une procédure dirigée contre, notamment, ICF, Boliden, Fluorsid SpA (ci-après «Fluorsid»), Minmet Financing Company SA, principal actionnaire de Fluorsid, et Industrial Quimica de Mexico SA de CV pour avoir pris part, du 30 juin 1997 au 31 décembre 2001, à une infraction unique et continue, contraire à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3,
ci-après l’«accord EEE»), couvrant une grande partie du monde, y compris la totalité du territoire de l’EEE, dans le secteur du fluorure d’aluminium.
7 Une communication des griefs a été envoyée auxdites sociétés le 25 avril 2007 dont elles ont eu notification entre les 26 et 30 avril 2007. Tous les destinataires de cette communication des griefs, à l’exception de Boliden, ont présenté des observations. Une audition de l’ensemble desdites sociétés s’est également tenue le 13 septembre 2007.
8 Le 25 juin 2008, la Commission a adopté la décision litigieuse dont l’article 1^er, sous c), dispose qu’ICF a enfreint les articles 81 CE et 53 de l’accord EEE en prenant part, du 12 juillet 2000 au 31 décembre 2000, à un accord et/ou à une pratique concertée dans le secteur du fluorure d’aluminium.
9 Pour ce motif, la Commission a infligé, à l’article 2, sous c), de la décision litigieuse, une amende de 1,7 millions d’euros à ICF.
10 Aux fins du calcul de cette amende et compte tenu de l’étendue géographique de l’infraction en cause, la Commission s’est fondée sur le point 18 des lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal les 19 et 20 septembre 2008, ICF a demandé l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle est concernée par celle-ci ainsi que, à titre subsidiaire, la réduction substantielle du montant de l’amende qui lui a été infligée.
12 Au soutien de son recours, ICF a soulevé quatre moyens dont seuls le premier moyen et la seconde branche du troisième sont pertinents aux fins du présent pourvoi.
13 Par son premier moyen, la requérante a invoqué la violation des droits de la défense et de l’article 27 du règlement n° 1/2003 en ce que, notamment, la Commission, à la suite de l’envoi de la communication des griefs, se serait fondée, dans la décision litigieuse, sur de nouveaux documents, empêchant ainsi ICF de prendre connaissance des véritables griefs de la Commission.
14 Par la seconde branche de son troisième moyen, ICF a notamment invoqué la violation par la Commission de l’article 23 du règlement n° 1/2003 et des lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes en raison d’une application erronée du point 18 de ces dernières.
15 Le Tribunal a rejeté chacun de ces moyens et le recours dans son ensemble.
Les conclusions des parties au pourvoi
16 ICF demande à la Cour:
– à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué et, si la Cour considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer elle‑même définitivement sur le fond de l’affaire, d’annuler l’amende de 1 700 000 euros qui lui a été infligée par la décision litigieuse ou, à tout le moins, de réduire le montant de cette amende;
– à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire au Tribunal, et
– de condamner la Commission aux dépens.
17 La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation d’ICF aux dépens.
Sur le pourvoi
18 À l’appui de son pourvoi, ICF soulève trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation des droits de la défense ainsi que de l’article 27 du règlement n° 1/2003. Par son deuxième moyen, elle invoque une violation de l’article 23 de ce règlement ainsi que de l’obligation de motivation de l’arrêt attaqué incombant au Tribunal. Le troisième moyen est tiré d’une violation des articles 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), 36 du statut de la
Cour de justice de l’Union européenne et 31 du règlement n° 1/2003.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et de l’article 27 du règlement n° 1/2003
Argumentation des parties
19 Par la première branche de son premier moyen, ICF reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit ou, à tout le moins, une inexactitude matérielle dans la constatation des faits ou une dénaturation dans l’appréciation de ceux-ci en jugeant, aux points 136 à 143 de l’arrêt attaqué, que ne constituait pas une violation des droits de la défense ni de l’article 27 du règlement n° 1/2003 le fait pour la Commission d’avoir fondé la décision litigieuse sur des documents non mentionnés dans
la communication des griefs, en l’occurrence les documents relatifs aux contacts ayant eu lieu les 8 et 9 novembre 2000 entre elle-même et Fluorsid ainsi que Minmet Financing Company SA (ci-après les «contacts des 8 et 9 novembre 2000»).
20 Plus particulièrement, ICF conteste l’appréciation effectuée par le Tribunal au point 141 de l’arrêt attaqué, selon laquelle elle n’aurait pas démontré l’existence d’une possibilité que la procédure ait pu aboutir à un résultat différent si elle avait eu connaissance des documents relatifs auxdits contacts. À cet égard, elle soutient, tout d’abord, qu’il ne lui incombait pas d’en tirer des éléments à décharge au cours de la procédure administrative et que, durant la procédure devant le
Tribunal, elle a effectivement tiré de tels éléments à décharge de ces documents. Elle conteste ensuite la constatation du Tribunal, au même point 141, selon laquelle la Commission n’a pas tenu compte, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, desdits contacts, en renvoyant au considérant 239 de la décision litigieuse. Elle fait enfin valoir qu’elle a, à de multiples reprises, invoqué devant le Tribunal des éléments démontrant la possibilité d’arriver à un résultat différent, en
l’absence de l’irrégularité procédurale commise par la Commission.
21 Par la seconde branche de son premier moyen, ICF fait grief au Tribunal d’avoir, au point 122 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en jugeant que le fait pour la Commission d’avoir réduit le nombre d’auteurs de l’infraction entre la communication des griefs et la décision litigieuse, sans lui avoir permis de présenter ses observations sur ce point, n’a pas constitué une violation des droits de la défense. À cet égard, ICF soutient que, compte tenu de l’interprétation retenue par la
Commission du point 18 des lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes, la réduction du nombre d’auteurs de l’infraction entre la communication des griefs et cette décision implique nécessairement l’augmentation du montant de l’amende qui lui a été infligée, conséquence au sujet de laquelle elle aurait dû être entendue au cours de la procédure administrative.
22 La Commission soutient que la première branche du premier moyen est irrecevable, en ce qu’ICF demande à la Cour une nouvelle appréciation des éléments de preuve, et que la seconde branche de celui-ci est non fondée.
Appréciation de la Cour
23 S’agissant de la première branche du premier moyen, il y a lieu de relever que le Tribunal, au point 139 de l’arrêt attaqué, a indiqué, en renvoyant au point 119 de celui-ci, que les droits de la défense ne sont violés que lorsqu’il existe une possibilité que, en l’absence de l’irrégularité procédurale commise, à savoir, en l’espèce, le manque de référence aux documents relatifs aux contacts des 8 et 9 novembre 2000, la procédure administrative ait pu aboutir à un résultat différent.
24 Aux points 140 et 141 de ce même arrêt, il est parvenu à la conclusion que tel n’était pas le cas en l’espèce, ce que conteste ICF par la première branche de son premier moyen.
25 À cet effet, le Tribunal a, en substance, considéré qu’ICF avait eu accès à ces documents sans qu’elle en ait tiré le moindre élément à décharge dans le cadre des procédures tant administrative que juridictionnelle et qu’elle avait, au stade de la procédure administrative, renoncé à s’exprimer sur les contacts postérieurs à la réunion du 12 juillet 2000 à Milan mentionnés dans la communication des griefs, alors que, au stade de la procédure de première instance, elle n’a ni expliqué ni étayé
la raison pour laquelle l’absence de mention explicite desdits documents, dans cette même communication, aurait porté atteinte à l’efficacité de sa défense au cours de la procédure administrative. ICF n’a pas non plus explicité la manière dont elle aurait pu se défendre plus efficacement si elle avait été informée, dans ladite communication des griefs, de l’intention de la Commission d’utiliser les documents en cause à titre de preuve. En outre, le Tribunal a ajouté que la Commission n’avait pas
tenu compte, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction aux fins du calcul de l’amende, des effets de l’infraction en cause.
26 En tant qu’ICF conteste la conclusion à laquelle le Tribunal est parvenu quant à la possibilité que, en l’absence de l’irrégularité procédurale commise, la procédure administrative ait pu aboutir à un résultat différent, il convient de rappeler que, conformément aux articles 256, paragraphe 1, TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier
les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, arrêt Acino/Commission, C‑269/13 P, EU:C:2014:255, point 34 et jurisprudence citée).
27 À cet égard, il y a lieu de relever que l’appréciation portée par le Tribunal sur le point de savoir si un document non divulgué à l’occasion de la communication des griefs a pu avoir une influence sur le déroulement de la procédure et, in fine, sur le contenu de la décision de la Commission ne peut être établi qu’après un examen provisoire de certains moyens de preuve faisant apparaître que les documents non divulgués ont pu avoir, au regard de ces moyens de preuve, une importance qui
n’aurait pas dû être négligée (voir, par analogie, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 76).
28 Une telle analyse, effectuée en l’espèce aux points 140 et 141 de l’arrêt attaqué, dont la substance est rappelée au point 25 du présent arrêt, relève ainsi de l’appréciation souveraine du Tribunal et échappe donc, en principe, à la compétence de la Cour.
29 En conséquence, est irrecevable l’argumentation d’ICF, développée à titre principal, par laquelle est contestée l’appréciation effectuée par le Tribunal au point 141 de l’arrêt attaqué.
30 En tant qu’ICF invoque, à titre subsidiaire, l’inexactitude matérielle des faits constatés par le Tribunal ou une dénaturation dans l’appréciation de ceux-ci, il convient de relever que ces allégations ne sont étayées par aucun élément autre que ceux invoqués par ICF au soutien de son argumentation développée à titre principal.
31 Or, un requérant, lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de fait ou de preuve par le Tribunal, doit indiquer de manière précise les éléments qui ont été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, ont conduit le Tribunal à cette dénaturation (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, EU:C:2004:6, point 50).
32 Tel n’est pas le cas en l’espèce et, partant, l’argumentation développée à titre subsidiaire par ICF doit également être déclarée irrecevable.
33 S’agissant de la seconde branche du premier moyen, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union dont la Cour assure le respect. Ce principe exige que la société intéressée ait été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des
circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité CE (arrêt SNIA/Commission, C‑448/11 P, EU:C:2013:801, point 41).
34 À cet effet, la communication des griefs, si elle suppose que la Commission énonce de manière claire tous les éléments essentiels sur lesquels elle se fonde à ce stade de la procédure, ne constitue toutefois qu’un document préparatoire dont les appréciations de fait et de droit ont un caractère purement provisoire et que la Commission peut être dans l’obligation d’adapter afin de tenir compte des éléments résultant de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland
e.a./Commission, EU:C:2004:6, point 67).
35 Il en découle que l’ensemble des griefs énoncés dans la communication des griefs de même que l’ensemble des sociétés destinataires de celle-ci ne doivent pas nécessairement être repris dans la décision ultérieure de la Commission (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, EU:C:2004:6, point 67).
36 Dans une telle hypothèse et tout particulièrement lorsque, comme en l’espèce, la Commission abandonne l’ensemble de griefs retenus contre certaines sociétés initialement impliquées dans la procédure concernée, la Commission ne saurait être tenue de permettre aux sociétés finalement destinataires de sa décision de faire connaître leur point de vue sur cet abandon, dès lors que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la communication aux intéressés d’un complément de griefs et, partant,
la faculté laissée à ceux-ci de faire valoir leur point de vue le concernant ne s’imposent que dans le cas où la Commission est amenée à mettre à la charge des entreprises concernées des actes nouveaux ou à modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, EU:C:2004:6, point 192).
37 Or, dans la présente espèce, l’abandon de l’ensemble des griefs retenus contre certaines des sociétés initialement mises en cause dans la communication des griefs n’a pas amené la Commission à mettre à la charge des sociétés destinataires de la décision litigieuse des actes nouveaux ni à modifier sensiblement les éléments de preuve de l’infraction contestée.
38 Partant, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré en substance, au point 122 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas violé les droits de la défense d’ICF en réduisant le nombre de destinataires de la décision litigieuse sans lui avoir permis de s’exprimer préalablement sur ce point.
39 Il y a donc lieu d’écarter le premier moyen du présent pourvoi comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003 et de l’obligation de motivation incombant au Tribunal
Argumentation des parties
40 Par la première branche de son deuxième moyen, dirigée contre les points 183 à 189 de l’arrêt attaqué, ICF soutient que le Tribunal a violé l’article 23 du règlement n° 1/2003 en interprétant de manière erronée le point 18 des lignes directrices de 2006 pour le calcul des amendes. Elle fait grief au Tribunal d’avoir interprété les termes «valeur totale des ventes des biens ou services en relation avec l’infraction», figurant au second alinéa de ce point 18, comme désignant la valeur totale
des ventes des entreprises participant à l’infraction et non comme visant la valeur totale des ventes de l’ensemble des entreprises actives sur le marché où les entreprises ont commis l’infraction. Ainsi, le Tribunal aurait à tort considéré que devait être prise en considération, aux fins de la mise en œuvre dudit point 18, la part de marché relative de chaque entreprise impliquée sur le marché concerné par l’entente et non la part de marché absolue sur ce marché des entreprises impliquées dans
celle‑ci.
41 Premièrement, lesdits termes viseraient non les ventes en relation avec l’infraction, mais les biens ou services en relation avec celle-ci, ce qui serait confirmé par l’emploi des termes «ventes agrégées» et non pas «valeur totale des ventes» lorsqu’il est renvoyé aux seules ventes des entreprises ayant participé à l’infraction. Cette interprétation serait corroborée par l’emploi du terme «marché» audit point 18, contrairement à ce qu’a affirmé le Tribunal au point 186 de l’arrêt attaqué.
42 Deuxièmement, contrairement à ce qui est énoncé au point 184 de l’arrêt attaqué, la lecture proposée par ICF permettrait également de refléter le poids relatif de chaque entreprise impliquée dans l’infraction, ce qui serait confirmé par la pratique décisionnelle antérieure de la Commission.
43 Troisièmement, ICF soutient que c’est encore à tort que le Tribunal a considéré, au point 188 de l’arrêt attaqué, que l’interprétation qu’il a retenue ne serait pas infirmée par la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, telle que démontrée par la décision 2002/742/CE de la Commission, du 5 décembre 2001, relative à une procédure au titre de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/36.604 – Acide citrique) (JO 2002, L 239, p. 18). En outre, le fait
que la Commission n’est pas liée par le niveau de l’amende qu’elle a infligée dans le passé ne signifierait pas pour autant qu’elle n’est pas tenue de respecter la méthodologie à suivre. Enfin, ICF relève que l’interprétation qu’elle propose serait également confirmée par la pratique décisionnelle postérieure de la Commission.
44 La Commission fait valoir que l’interprétation proposée par ICF est contraire à la lettre de la disposition concernée ainsi qu’à la logique des lignes directrices de 2006 sur le calcul des amendes, en ce qu’elle aboutit à sous-évaluer systématiquement le montant de base des amendes infligées à des entreprises participant à des ententes ayant une large portée géographique.
45 Par la seconde branche de son deuxième moyen, dirigée contre les points 188 à 190 de l’arrêt attaqué, ICF soutient que le Tribunal a violé son obligation de motivation en se limitant à répondre de manière générale à ses arguments selon lesquels, par l’interprétation qu’elle a donnée du point 18 des lignes directrices de 2006 sur le calcul des amendes, la Commission s’est écartée de sa pratique décisionnelle tant antérieure que postérieure.
46 La Commission soutient que les points concernés de l’arrêt attaqué sont suffisamment motivés et que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait être invoquée devant le juge de l’Union.
Appréciation de la Cour
47 S’agissant des deux branches du deuxième moyen, qu’il y a lieu d’examiner conjointement, il convient de rappeler, à titre liminaire, que le point 18 des lignes directrices de 2006 sur le calcul des amendes énonce que, lorsque l’étendue géographique d’une infraction dépasse le territoire de l’EEE, «en vue de refléter tout à la fois la dimension agrégée des ventes concernées dans l’EEE et le poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction, la Commission peut estimer la valeur totale des
ventes des biens ou services en relation avec l’infraction dans le secteur géographique (plus vaste que l’EEE) concerné, déterminer la part des ventes de chaque entreprise participant à l’infraction sur ce marché et appliquer cette part aux ventes agrégées de ces mêmes entreprises à l’intérieur de l’EEE. Le résultat sera utilisé à titre de valeur des ventes aux fins de la détermination du montant de base de l’amende».
48 Ainsi que l’a relevé à bon droit le Tribunal, aux points 183 à 185 de l’arrêt attaqué, il ressort tant de la lettre et de l’économie du point 18 desdites lignes directrices que de l’économie générale de ces dernières que les termes «la valeur totale des ventes des biens ou services en relation avec l’infraction» doivent être interprétés comme visant la valeur totale des ventes des entreprises participant à l’infraction et non la valeur totale des ventes de l’ensemble des entreprises actives
sur le marché où les entreprises concernées par la décision de la Commission ont commis l’infraction, comme le soutient à tort ICF.
49 En outre, l’allégation d’ICF selon laquelle l’interprétation retenue par le Tribunal, confirmant celle de la Commission, serait en contradiction avec la pratique décisionnelle antérieure et postérieure de la Commission ne peut qu’être écartée.
50 Il est en effet de jurisprudence constante que la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait constituer un cadre juridique pour les amendes infligées en matière de concurrence (voir, en ce sens, arrêt Heineken Nederland et Heineken/Commission, C‑452/11 P, EU:C:2012:829, point 108 et jurisprudence citée), cette affirmation valant, comme l’a relevé le Tribunal au point 189 de l’arrêt attaqué, tant pour la détermination du montant des amendes individuelles que pour l’interprétation par
la Commission de ses propres lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 227 et 230), qu’il s’agisse donc du niveau général des amendes ou de la méthodologie employée pour leur calcul.
51 Le Tribunal ayant fait une correcte application de la jurisprudence de la Cour au sujet de la valeur de la pratique décisionnelle de la Commission en matière de détermination du montant des amendes, il ne saurait en conséquence lui être fait grief d’avoir violé son obligation de motivation en ne prenant explicitement position ni sur les décisions antérieures aux lignes directrices de 2006 sur le calcul des amende visées par ICF ni sur les décisions postérieures à celles-ci invoquées par
cette société uniquement lors de l’audience.
52 En effet, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu des articles 36 et 53, premier alinéa, du statut de la Cour, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons sur lesquelles se fonde l’arrêt attaqué et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer
son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt Groupe Gascogne/Commission (C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 37).
53 En l’occurrence, en rappelant aux points 189 à 191 de l’arrêt attaqué que, en substance, la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique pour les amendes en matière de concurrence, le Tribunal a permis à ICF de connaître les raisons sur lesquelles se fonde l’arrêt attaqué et à la Cour de disposer d’éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi.
54 Partant, le deuxième moyen doit être rejeté dans son ensemble comme non fondé.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation des articles 47 de la Charte ainsi que 36 du statut de la Cour et 31 du règlement n° 1/2003
55 Par la première branche de son troisième moyen, ICF sollicite la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée au motif que le Tribunal a violé l’article 47 de la Charte en ne statuant pas dans un délai raisonnable.
56 À cet égard, ICF fait valoir que le délai de cinq ans qui s’est écoulé entre l’introduction du recours devant le Tribunal et l’arrêt prononcé par celui-ci est excessif, s’agissant d’une affaire simple et nécessitant l’examen de peu de documents. Plus particulièrement, elle vise le délai d’environ trois ans séparant la réception du mémoire en duplique de la Commission, le 5 juin 2009, et la tenue de l’audience, le 14 juin 2012, ce délai ayant été interrompu uniquement par une demande de
production de documents intervenue le 3 mai 2012.
57 À cet égard, il convient de rappeler qu’une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif. Ainsi, une demande visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non‑respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable
ne peut être soumise directement à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, mais doit être introduite devant le Tribunal lui-même (arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 66 et jurisprudence citée).
58 Le Tribunal, compétent en vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et saisi d’une demande d’indemnité, est tenu de statuer sur une telle demande dans une formation différente de celle ayant eu à connaître du litige qui a donné lieu à la procédure dont la durée est critiquée (arrêt Telefónica et Telefónica de España/Commission, EU:C:2014:2062, point 67 et jurisprudence citée).
59 Cela étant, dès lors qu’il est manifeste, sans que soit nécessaire la production par les parties d’éléments supplémentaires à cet égard, que le Tribunal a violé de manière suffisamment caractérisée son obligation de juger l’affaire dans un délai raisonnable, la Cour peut le relever (arrêt Deltafina, C‑578/11, EU:C:2014:1742, point 90).
60 En l’occurrence, tel est le cas. La durée de la procédure devant le Tribunal, à savoir près de quatre ans et neuf mois, laquelle comporte, en particulier, une période de trois ans qui s’est écoulée entre la fin de la procédure écrite et l’audience, qui n’a été interrompue que par une seule mesure d’organisation de la procédure, ne saurait s’expliquer ni par la nature ni par la complexité de l’affaire non plus que par le contexte de celle-ci. En effet, d’une part, le litige soumis au Tribunal
ne présentait pas un degré de complexité particulier. D’autre part, il ressort de l’arrêt attaqué et des éléments fournis par ICF, confortés par les éléments du dossier, que la seule mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal est intervenue un mois seulement avant l’audience, à savoir le 3 mai 2012, et que la requérante n’a nullement contribué à cette période d’inactivité de trois années.
61 Il résulte toutefois des considérations exposées au point 57 du présent arrêt que la première branche du troisième moyen doit être rejetée.
62 Par la seconde branche de son moyen, ICF fait grief au Tribunal d’avoir violé les articles 36 du statut de la Cour et 31 du règlement n° 1/2003 en ne motivant pas suffisamment son choix de ne pas modifier, au titre de sa compétence de pleine juridiction, le montant de l’amende infligée par la décision litigieuse.
63 À cet égard, il ressort du point 221 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que, en ce qui concerne la demande d’ICF, présentée à titre subsidiaire, tendant à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée, il n’y avait pas lieu, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, de faire droit à cette demande, eu égard notamment aux considérations qu’il venait d’énoncer.
64 Or, compte tenu de la constatation relevée au point précédent ainsi que la jurisprudence rappelée au point 52 du présent arrêt, le Tribunal ne saurait se voir reprocher, en raison du fait qu’il s’est limité à motiver son refus de réduire le montant de l’amende en cause par un simple renvoi aux motifs énoncés aux points de l’arrêt attaqué qui précèdent, d’avoir manqué à son obligation de motiver un tel refus. Il en va d’autant plus ainsi qu’ICF ne conteste pas la motivation par laquelle le
Tribunal a, dans le cadre du troisième moyen du recours devant celui-ci, rejeté ses arguments relatifs à la détermination du montant de l’amende, à l’exception de la motivation qui est mise en cause dans la seconde branche du deuxième moyen du pourvoi devant la Cour, que cette dernière a rejetée aux points 51 à 54 du présent arrêt.
65 En conséquence, la seconde branche du troisième moyen doit être rejetée comme non fondée. Partant, ce moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
66 Aucun des trois moyens invoqués par ICF au soutien de son pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, celui-ci doit être rejeté.
Sur les dépens
67 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu du paragraphe 1 du même article 184, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation d’ICF et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux
dépens de la présente procédure.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Industries Chimiques du Fluor (ICF) est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.