ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)
18 septembre 2014 ( *1 )
«Fonction publique — Incidents de procédure — Irrecevabilité manifeste»
Dans l’affaire F‑118/13,
ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,
Giorgio Lebedef, ancien fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Senningerberg (Luxembourg), représenté par Me F. Frabetti, avocat,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mme C. Berardis-Kayser et M. G. Berscheid, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (première chambre),
composé de MM. E. Perillo, faisant fonction de président, R. Barents (rapporteur) et K. Bradley, juges,
greffier : Mme W. Hakenberg,
rend la présente
Ordonnance
Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 9 décembre 2013, M. Lebedef a introduit le présent recours tendant à l’annulation de son rapport d’évaluation établi pour la période allant du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2002 et, subsidiairement, à l’annulation des points de mérite qui lui ont été attribués pour l’exercice de promotion 2003.
Cadre juridique
1 Le cadre juridique est constitué des articles 90 et 91, relatifs aux voies et délais de recours, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le «statut»).
Faits à l’origine du litige
2 Le 29 octobre 1981, le requérant a été engagé par la Commission européenne comme fonctionnaire stagiaire. Le 29 juillet 1982, il a été nommé fonctionnaire titulaire.
Le rapport d’évaluation de carrière établi pour la période allant du 1er juillet 2001 au 31 décembre 2002 a été signé par l’évaluateur le 18 février 2003 et par le validateur le 6 juillet 2011, l’appel contre la notation ayant été clôturé par le notateur d’appel le 7 février 2013 (ci-après le «rapport d’évaluation attaqué»).
3 Le 7 mai 2013, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre le rapport d’évaluation attaqué. Celle-ci a été rejetée par une décision du 6 septembre 2013.
Le requérant a été mis à la retraite le 1er novembre 2013.
Conclusions des parties et procédure
4 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— annuler le rapport d’évaluation attaqué ;
— subsidiairement, annuler ses points de mérite pour l’exercice de promotion 2003 ;
— condamner la Commission aux dépens.
5 Par acte séparé du 10 janvier 2014, la Commission a demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité du recours sans engager le débat au fond. Dans sa demande, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;
— condamner le requérant aux dépens.
6 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 17 février 2014, le requérant a fait part de ses observations sur cette exception d’irrecevabilité.
En droit
7 En vertu de l’article 76 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.
8 En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur la recevabilité du recours et décide, en application de l’article 76 du règlement de procédure, de statuer sans poursuivre la procédure.
Arguments des parties
La Commission fait valoir que le recours est manifestement irrecevable et soulève une exception d’irrecevabilité, pour défaut d’intérêt à agir, au motif que le requérant, ayant atteint la limite d’âge de 65 ans, a été mis à la retraite d’office le 1er novembre 2013, soit avant le dépôt de sa requête effectué le 9 décembre suivant. Ainsi, le requérant aurait perdu tout intérêt personnel à poursuivre son recours, puisque la cessation des fonctions, intervenue en l’espèce en raison de l’atteinte de la
limite d’âge de mise à la retraite, est définitive, sans aucune possibilité de réintégration. À cet égard, la Commission se réfère à l’arrêt Gordon/Commission (C‑198/07 P, EU:C:2008:761), à l’ordonnance Ross/Commission (T‑147/04, EU:T:2005:255), à l’arrêt Commission/Q (T‑80/09 P, EU:T:2011:347) et à l’arrêt Solberg/OEDT (F‑148/12, EU:F:2013:154).
9 La Commission ajoute que le requérant n’aurait pas démontré que sa situation personnelle justifierait le maintien de son intérêt à agir. Tout d’abord, le requérant n’aurait ni établi ni essayé d’établir le caractère éventuellement blessant ou vexatoire du rapport d’évaluation attaqué. Ensuite, la Commission observe qu’il ressort dudit rapport que le requérant, qui ne bénéficiait au cours de la période de référence d’aucun détachement pour des activités de représentation du personnel ou syndicales,
n’a effectué aucune prestation pour son service, ce qu’il ne conteste d’ailleurs pas. Cette absence de prestations rendrait le maintien de son intérêt à agir dans tous les cas extrêmement hypothétique et démentirait déjà en soi l’existence de circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier le maintien d’un tel intérêt. Enfin, la Commission fait valoir que le requérant ne saurait tirer un intérêt à agir du fait qu’il a introduit des pourvois contre les ordonnances du Tribunal du 12 décembre
2012 rendues dans les affaires Lebedef/Commission (F‑70/11, EU:F:2012:186) et Lebedef/Commission (F‑109/11, EU:F:2012:189).
10 Le requérant fait valoir, tout d’abord, que la Commission «tente[rait] de vouloir ‘balayer’ l’ensemble du dossier […] après [dix] années de subterfuges, […] après avoir tenu son dossier personnel manifestement incomplet[,] […] après l’avoir faussement accusé de refuser son travail, […] après l’avoir de façon mensongère accusé d’être en permanence absent de son [s]ervice […] [et] après lui avoir fait passer deux conseils de discipline et l’avoir rétrogradé de deux grades […]».
11 Ensuite, le requérant observe que l’arrêt Gordon/Commission (EU:C:2008:761) n’aurait aucune pertinence pour le cas d’espèce. Toujours selon le requérant, il aurait apporté la preuve de l’existence d’une circonstance particulière justifiant son intérêt personnel et actuel à obtenir l’annulation du rapport d’évaluation attaqué et aurait établi qu’il pouvait encore utilement prétendre bénéficier de l’effet d’une éventuelle annulation.
12 Enfin, le requérant fait valoir que le pourvoi introduit contre l’arrêt Lebedef/Commission (F‑56/11, EU:F:2013:49) et le recours dans l’affaire Lebedef/Commission (F‑81/13, EU:F:2014:47), procédures toujours pendantes à la date d’introduction du présent recours, seraient liés et justifieraient son intérêt personnel et actuel à obtenir l’annulation du rapport d’évaluation attaqué.
Appréciation du Tribunal
13 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, toute partie requérante, pour qu’elle puisse valablement introduire un recours en vertu des articles 90 et 91 du statut, doit justifier d’un intérêt personnel, né et actuel, à l’annulation de l’acte attaqué (arrêt Marenco e.a./Commission, 81/74 à 88/74, EU:C:1975:139, point 6 ; ordonnance Ross/Commission, EU:T:2005:255, point 24, et arrêt Solberg/OEDT, EU:F:2013:154, point 16), un tel intérêt s’appréciant au moment de l’introduction
du recours (arrêt Turner/Commission, T‑49/91, EU:T:1992:72, point 24, et ordonnance Ross/Commission, EU:T:2005:255, point 25) et devant perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine d’un non-lieu à statuer (ordonnance Attey e.a./Conseil, T‑118/11, T‑123/11 et T‑124/11, EU:T:2012:270, point 28).
14 Il ressort également de la jurisprudence que le rapport d’évaluation est un document essentiel dans l’évaluation des personnels employés par les institutions, puisqu’il permet d’établir une évaluation de la compétence, du rendement et de la conduite d’un fonctionnaire ou d’un agent et constitue un jugement de valeur porté par ses supérieurs hiérarchiques sur la manière dont le fonctionnaire ou l’agent évalué s’est acquitté des tâches qui lui ont été confiées et sur son comportement dans le
service durant la période concernée (arrêts Gordon/Commission, EU:C:2008:761, points 42 et 43, et Solberg/OEDT, EU:F:2013:154, point 17). Dès lors, chaque fonctionnaire dispose d’un droit à ce que son travail soit sanctionné par une évaluation établie de manière juste et équitable et, conformément au droit à une protection juridictionnelle effective, doit se voir reconnaître le droit de contester un rapport d’évaluation le concernant en raison de son contenu ou parce qu’il n’a pas été établi
selon les règles prescrites par le statut (arrêts Gordon/Commission, EU:C:2008:761, point 45, et Commission/Q, EU:T:2011:347, point 157).
15 Il est vrai que le rapport d’évaluation, jouant un rôle important dans le déroulement de la carrière du fonctionnaire ou de l’agent, n’affecte en principe l’intérêt de la personne notée que jusqu’à la cessation définitive de ses fonctions (ordonnances N/Commission, T‑97/94, EU:T:1998:270, point 26 ; Ross/Commission, EU:T:2005:255, point 27, et arrêt Solberg/OEDT, EU:F:2013:154, point 18), de telle sorte que, postérieurement à cette cessation définitive, le fonctionnaire ou l’agent concerné n’est,
en principe, plus recevable à introduire un recours, sauf à établir l’existence d’une circonstance particulière justifiant un intérêt personnel et actuel à obtenir l’annulation du rapport en cause (ordonnance N/Commission, EU:T:1998:270, point 26, expressément confirmée sur pourvoi par l’ordonnance N/Commission, C‑21/99 P, EU:C:1999:508, point 24).
16 À cet égard, il est constant que, à la date d’introduction de son recours, le 9 décembre 2013, le requérant était déjà à la retraite, précisément en raison de son âge et non pas pour d’autres causes liées, par exemple, à son état de santé. Dans ce dernier cas, en effet, le fonctionnaire mis à la retraite pour invalidité avant d’avoir atteint l’âge de mise à la retraite d’office peut encore réintégrer les institutions de l’Union lorsque cette cause ne subsiste plus et conserve dès lors un intérêt
à contester son dernier rapport d’évaluation (voir, en ce sens, arrêt Gordon/Commission, EU:C:2008:761, points 46 à 51).
17 En l’espèce, le requérant ayant atteint l’âge de mise à la retraite d’office, il y a donc lieu d’examiner si, aux fins de la recevabilité de son recours, il a dûment établi l’existence de circonstances particulières justifiant le maintien de son intérêt personnel et actuel à obtenir l’annulation du rapport d’évaluation attaqué.
18 Or, en ce qui concerne, d’une part, le prétendu comportement de la Commission «de vouloir ‘balayer’ l’ensemble du dossier du requérant», il suffit de constater que, l’objet principal du présent recours portant sur l’annulation du rapport d’évaluation attaqué, les reproches ainsi allégués n’ont aucune pertinence pour répondre à la question de savoir si le requérant dispose encore d’un intérêt personnel et actuel à obtenir l’annulation dudit rapport.
19 D’autre part, le requérant n’a expliqué ni en quoi le pourvoi introduit contre l’arrêt Lebedef/Commission (EU:F:2013:49), rejeté par ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 14 juillet 2014, Lebedef/Commission (T‑356/13 P, EU:T:2014:669), et le recours dans l’affaire Lebedef/Commission (EU:F:2014:47), radiée par ordonnance du 27 mars 2014 suite à son désistement, seraient susceptibles d’établir son intérêt personnel et actuel à obtenir l’annulation du rapport d’évaluation attaqué, ni quel
serait le bénéfice qu’il pourrait obtenir en cas d’annulation.
20 En conséquence, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité, tirée du défaut d’intérêt à agir du requérant à l’encontre du rapport d’évaluation attaqué, soulevée par la Commission et de rejeter le recours comme étant manifestement irrecevable.
Sur les dépens
21 Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.
22 Il résulte des motifs énoncés dans la présente ordonnance que le requérant a succombé en son recours. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément demandé que le requérant soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, le requérant doit supporter ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE (première chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.
2) M. Lebedef supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par la Commission européenne.
Fait à Luxembourg, le 18 septembre 2014.
Le greffier
W. Hakenberg
Le président faisant fonction
E. Perillo
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( *1 ) Langue de procédure : le français.