La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/09/2014 | CJUE | N°C-282/13

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, T-Mobile Austria GmbH contre Telekom-Control-Kommission., 09/09/2014, C-282/13


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 9 septembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑282/13

T-Mobile Austria GmbH

contre

Telekom-Control-Kommission

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche)]

«Communications électroniques — Protection devant une juridiction nationale de droits tirés de l’ordre juridique de l’Union — Droit de recours contre une décision d’une autorité réglementaire nationale — Notion de personne ‘affectée’ par u

ne décision prise par une autorité réglementaire nationale — Article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE — Cession de droits...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 9 septembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑282/13

T-Mobile Austria GmbH

contre

Telekom-Control-Kommission

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche)]

«Communications électroniques — Protection devant une juridiction nationale de droits tirés de l’ordre juridique de l’Union — Droit de recours contre une décision d’une autorité réglementaire nationale — Notion de personne ‘affectée’ par une décision prise par une autorité réglementaire nationale — Article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE — Cession de droits d’utilisation de fréquences — Article 5, paragraphe 6, de la directive 2002/20/CE»

I – Introduction

1. La présente affaire offre à la Cour la possibilité de préciser la portée de la qualité pour agir contre des décisions prises par les autorités réglementaires nationales dans le domaine des communications électroniques. Elle offre également l’occasion d’une réflexion plus générale sur la mesure dans laquelle le droit de l’Union peut s’ingérer dans le droit procédural des États membres régissant les conditions des recours formés contre les décisions administratives.

2. Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a adressé une demande relative à l’interprétation de la notion de personne «affectée» par une décision prise par une autorité réglementaire nationale au sens de l’article 4 de la directive 2002/21/CE ( 2 ), dans le cadre d’une procédure relative à la cession de droits d’utilisation de fréquences, que prévoit l’article 5, paragraphe 6, de la directive 2002/20/CE ( 3 ).

3. La question de la juridiction de renvoi porte sur la définition du cercle de personnes ayant un droit de recours contre les décisions prises par l’autorité réglementaire dans le cadre d’une procédure concrète relative au droit des communications électroniques. La réponse à cette question revêtira toutefois une signification plus large, car des règles analogues figurent également dans d’autres actes juridiques de l’Union concernant les marchés réglementés ( 4 ).

II – Cadre juridique

A – Droit de l’Union

4. Le droit harmonisé des communications électroniques est fondé sur la directive-cadre ainsi que sur des directives particulières, dont la directive «autorisation».

5. L’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre prévoit:

«Les États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces permettent, au niveau national, à tout utilisateur ou à toute entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques, et qui est affecté par une décision prise par une autorité réglementaire nationale, d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées. Cet organisme, qui peut être un tribunal, dispose des compétences appropriées pour être à même d’exercer ses fonctions
efficacement. Les États membres veillent à ce que le fond de l’affaire soit dûment pris en considération et à ce qu’il existe un mécanisme de recours efficace.

[…]»

6. L’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation» dispose:

«Les autorités nationales compétentes veillent à ce que les radiofréquences soient effectivement et efficacement utilisées conformément à l’article 8, paragraphe 2, et à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2002/21/CE (directive ‘cadre’). Elles veillent aussi à ce que la concurrence ne soit pas faussée du fait d’une cession ou de l’accumulation de droits d’utilisation de radiofréquences. À cet effet, les États membres peuvent prendre des mesures appropriées comme l’obligation de vente ou de
location des droits d’utilisation de radiofréquences.»

B – Droit autrichien

7. Conformément à l’article 8 de la loi générale sur la procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz), de 1991 (BGBl. 51/1991), dans sa version publiée en 2004 (BGBl. I, 10/2004, ci-après l’«AVG»):

«Les personnes qui ont recours à une activité de l’autorité ou auxquelles cette activité se rapporte sont des intéressés; dans la mesure où elles disposent, à l’égard de l’objet de cette activité, d’un droit ou d’un intérêt juridique, elles sont des parties.»

8. La procédure d’attribution des radiofréquences, que vise l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation», est régie par les articles 54 à 57 de la loi sur les télécommunications (Telekommunikationsgesetz), de 2003 (BGBl. I, 70/2003, ci-après le «TKG 2003»).

9. En particulier, l’article 56 du TKG 2003 dispose:

«1.   La cession de droits d’utilisation de fréquences qui ont été attribués par l’autorité réglementaire requiert l’autorisation préalable de cette dernière. L’autorité réglementaire doit publier la demande d’autorisation relative à la cession des droits d’utilisation de fréquences ainsi que la décision y afférente. L’autorité réglementaire doit prendre sa décision en évaluant au cas par cas l’impact, notamment technique, d’une cession sur la concurrence. L’autorisation peut être assortie
d’obligations, dans la mesure où celles-ci sont nécessaires pour éviter toute atteinte à la concurrence. Il convient en tout cas de refuser l’autorisation lorsque, malgré l’imposition d’obligations, la cession risque de porter atteinte à la concurrence.

[…]

2.   Les modifications essentielles de l’actionnariat des entreprises, auxquelles les droits d’utilisation de fréquences ont été attribués dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 55, requièrent l’autorisation préalable de l’autorité réglementaire. Le paragraphe 1, de la troisième à la dernière phrase, est applicable mutatis mutandis.»

III – La procédure au principal

10. La procédure devant la juridiction de renvoi concerne le recours introduit par un opérateur de réseau de téléphonie mobile, la société T‑Mobile Austria GmbH (ci-après «T‑Mobile»), contre la décision adoptée par la Telekom-Control-Kommission (commission autrichienne de contrôle des télécommunications, ci-après la «TKK»). Par ladite décision, la TKK a rejeté le recours de T‑Mobile tendant à ce que cette dernière se voie accorder la qualité de partie dans une procédure ayant pour objet
l’autorisation de la cession de droits d’utilisation de fréquences entre deux autres opérateurs autrichiens de réseau de téléphonie mobile.

11. Cette cession de fréquences intervient dans le cadre de la prise de contrôle de la société Orange Austria Telecommunication GmbH (ci‑après «Orange») par les sociétés Hutchinson 3G Austria Holdings GmbH et Hutchison 3G Austria GmbH (qui ont ensuite fusionné pour former la société Hutchison Drei Austria Holdings GmbH, ci-après «Hutchison»).

12. Ainsi qu’il résulte de la procédure devant la juridiction de renvoi, le nombre d’opérateurs de téléphonie mobile disposant de droits d’utilisation de fréquences en Autriche s’est, à la suite de la concentration, réduit à trois: A1 Telekom Austria AG (ci-après «A1»), T‑Mobile et Hutchison.

13. La concentration et les opérations qui y sont liées ont fait l’objet de procédures devant la Commission européenne et les autorités autrichiennes.

A – La procédure devant la Commission

14. Il ressort du dossier de cette affaire que, le 7 mai 2012, Hutchison et Orange ont notifié à la Commission un projet de concentration conformément à l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 ( 5 ).

15. Au cours de la procédure, la Commission a exprimé des doutes sérieux quant à la conformité du projet de concentration avec le marché intérieur. En procédant à l’examen du marché, la Commission a constaté que la disparition d’Orange du marché posait des problèmes de concurrence. Elle a estimé que ce marché se caractérisait déjà alors par un degré élevé de concentration et, en pratique, par l’impossibilité d’y entrer. Hutchison a ainsi présenté un ensemble d’engagements, l’amenant notamment à se
défaire au profit d’un nouvel opérateur potentiel de fréquences dont elle devait disposer à la suite de la concentration ainsi qu’à garantir à des opérateurs virtuels l’accès en gros à son réseau, à des conditions définies.

16. La Commission a autorisé T-Mobile à participer à la procédure de contrôle des concentrations en qualité de personne intéressée.

17. Par décision du 12 décembre 2012 ( 6 ), la Commission a déclaré la concentration conforme au marché intérieur à la condition que Hutchison satisfasse pleinement aux engagements fixés.

18. Il ressort toutefois de ladite décision que la Commission n’a pas examiné deux autres opérations auxquelles était subordonnée la concentration et qui concernaient, premièrement, la vente à A1 d’une filiale d’Orange et, deuxièmement, la cession à A1 de certaines fréquences dont Orange disposait avant la concentration. Dans sa décision, la Commission a déclaré que la cession des fréquences était notamment soumise à l’accord de la TKK ( 7 ).

B – La procédure devant la TKK

19. Le 23 mai 2012, sur la base de l’article 56, paragraphe 2, du TKG 2003, Hutchison et Orange ont demandé à la TKK l’autorisation de modifier la structure de l’actionnariat à la suite de la concentration. Le 9 juillet 2012, elles ont, conjointement avec A1, sur la base de l’article 56, paragraphe 1, du TKG 2003, demandé l’autorisation de céder certaines fréquences à A1.

20. T-Mobile a présenté ses observations à la TKK, en demandant que les sociétés participant à la concentration se voient imposer des obligations visant à éviter que la concurrence ne soit faussée.

21. En outre, le 10 décembre 2012, T-Mobile a demandé à la TKK à bénéficier de la qualité de partie dans les procédures visant à autoriser la modification de la structure de l’actionnariat et la cession des fréquences.

22. Par décision du 13 décembre 2012, la TKK a autorisé la modification de la structure de l’actionnariat ainsi que la cession à la société A1 des droits d’utilisation de fréquences. Elle a en revanche rejeté la demande de T‑Mobile du 10 décembre 2012 de se voir reconnaître la qualité de partie dans la procédure administrative.

23. S’agissant de la demande de T-Mobile, la TKK a estimé que, dans le cadre de procédures administratives visant à l’autorisation de la modification de la structure de l’actionnariat ainsi qu’à la cession des fréquences, ni le droit national ni le droit de l’Union n’exigent d’accorder la qualité de partie à des entités concurrentes des opérateurs de réseau de téléphonie mobile sollicitant une telle autorisation.

C – La procédure devant la juridiction de renvoi et la question préjudicielle

24. T-Mobile a formé un recours devant le Verwaltungsgerichtshof contre la décision de la TKK du 13 décembre 2012.

25. À l’appui de son recours, T-Mobile a fait valoir qu’elle était concurrente des parties à l’opération considérée et qu’elle disposait de fréquences sur le même marché. Elle devait donc être considérée comme une entreprise «affectée» par la décision litigieuse de la TKK, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre. En vertu du droit national, elle devait également être autorisée à participer à la procédure administrative précédant l’adoption d’une telle décision.

26. La juridiction de renvoi relève que, selon la jurisprudence autrichienne, l’octroi à T-Mobile de la qualité de partie dans la procédure administrative sur la base de l’article 56 du TKG 2003 et de l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation» dépend du point de savoir si la décision adoptée par la TKK dans le cadre de cette procédure «affecte» T-Mobile au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre. Il existe en droit autrichien un lien étroit entre la qualité de partie
dans une procédure administrative et le droit de recours contre les décisions que fixe l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.

27. Selon la juridiction de renvoi, l’arrêt Tele2 Telecommunication ( 8 ) ne permet pas d’apporter une réponse certaine à la question soulevée.

28. D’une part, indique-t-elle, il y a lieu de considérer que, comme l’affirme la TKK, la décision adoptée dans le cadre d’une procédure d’autorisation de la modification de la structure de l’actionnariat et de la cession de fréquences ne crée pas directement de droits au profit des tiers. Leur situation juridique n’est pas modifiée, dans la mesure où ils peuvent continuer de disposer des fréquences qui leur ont été attribuées.

29. D’autre part, la juridiction de renvoi indique que, selon les observations présentées par T‑Mobile, la concentration entre Orange et Hutchison a une incidence sur sa situation, puisque, notamment, elle modifie les quotes-parts des fréquences attribuées aux différents opérateurs intervenant sur le marché. La décision relative à la cession des fréquences exerce pareillement une telle incidence, puisqu’elle a pour effet de compenser les effets négatifs de la concentration pour la concurrence.

30. C’est ainsi que le Verwaltungsgerichtshof a décidé de suspendre la procédure et d’adresser la question préjudicielle suivante à la Cour:

«Les articles 4 et 9 ter de la directive [cadre] et l’article 5, paragraphe 6, de la directive [autorisation] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils reconnaissent à un concurrent dans une procédure nationale prévue par l’article 5, paragraphe 6, de la directive ‘autorisation’ la qualité de partie ‘affectée’ au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre?»

IV – La procédure devant la Cour

31. La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 24 mai 2013.

32. Par décision du 30 septembre 2013, le président de la Cour a rejeté la demande de la juridiction de renvoi tendant à ce que l’affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice et à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour de justice.

33. Des observations écrites ont été présentées par T‑Mobile, Hutchison, A1, le gouvernement autrichien et la Commission. La TKK, qui n’avait pas participé à la procédure écrite, ainsi que T‑Mobile ont demandé la tenue d’une audience.

34. T-Mobile, la TKK, Hutchison, A1 et la Commission ont pris part à l’audience, qui s’est tenue le 15 mai 2014.

V – Analyse

A – Observations liminaires

35. À titre liminaire, je souhaite relever que le litige faisant l’objet de la procédure devant la juridiction de renvoi ne concerne pas directement le droit de former un recours contre une décision de l’autorité réglementaire au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre. Dans la procédure au principal, T‑Mobile attaque en effet sur le fond non pas la décision relative à la cession des fréquences, mais le refus de lui accorder la qualité de partie à la procédure devant l’autorité
réglementaire.

36. L’importance que revêt la question préjudicielle pour statuer sur le litige au principal résulte de la jurisprudence autrichienne, qui subordonne l’octroi de la qualité de partie dans une procédure administrative au point de savoir si la personne considérée bénéficie, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, d’un droit de recours contre la décision clôturant la procédure. La juridiction de renvoi relève que la personne qui est «affectée» par la décision de l’autorité
réglementaire, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, a également le droit d’être partie à la procédure au sens de l’article 8 de l’AVG, puisque ce sont justement ces parties qui bénéficient du droit de former un recours contre la décision en cause.

37. Pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient d’interpréter tant l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, que l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation».

38. Avant d’analyser lesdites dispositions, j’examinerai la finalité sur laquelle repose l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.

B – L’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre et la portée de l’autonomie du droit procédural national

39. Dans sa décision, la juridiction de renvoi se réfère non pas uniquement à l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, mais aussi aux dispositions et à la jurisprudence nationales en ce qui concerne la qualité pour agir dans une procédure devant une juridiction administrative.

40. Il convient d’examiner si une telle référence est pertinente pour déterminer les personnes bénéficiant de la qualité pour agir dans le domaine des communications électroniques régi par le droit de l’Union.

41. Je rappelle qu’en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient en principe à l’ordre juridique interne de chaque État membre de définir le système de mesures et de procédures destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Ces mesures sont établies de façon autonome par le droit national, sous réserve de respecter les principes d’effectivité et d’équivalence ( 9 ).

42. Je suis convaincu que le principe de l’autonomie procédurale ne saurait toutefois englober la possibilité elle-même d’engager un recours en vue de sauvegarder les droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Le principe de l’autonomie procédurale ne peut être invoqué qu’au stade de la fixation des règles et procédures particulières relatives aux modalités d’exercice des droits résultant du droit de l’Union. Il en va a fortiori ainsi dans les situations dans lesquelles, comme dans la
présente affaire, le droit de l’Union comporte des dispositions concrètes déterminant l’existence d’une voie de recours particulière.

43. Le législateur de l’Union a selon moi posé une telle prémisse à l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.

44. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, toute entreprise fournissant des réseaux et/ou des services de communications électroniques ainsi que tout utilisateur qui est «affecté» par une décision d’une autorité réglementaire jouissent d’un droit de recours contre ladite décision.

45. Selon la jurisprudence de la Cour, la notion de personne «affectée» par une décision au sens dudit article 4 est une notion autonome du droit de l’Union dont la portée doit être appréciée au regard de l’objectif poursuivi par cette disposition ( 10 ). Selon ladite jurisprudence, cette disposition constitue une émanation du principe de protection juridictionnelle effective qui impose aux juridictions des États membres d’assurer la protection juridictionnelle des droits tirés du droit de l’Union (
11 ).

46. Selon moi, cette disposition n’a pas pour seul but de refléter le principe de la protection juridictionnelle effective, que consacre déjà une norme de rang supérieur, à savoir l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE ainsi que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

47. L’objectif de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre est de fixer une portée uniforme à la qualité pour agir des personnes privées en matière de communications électroniques.

48. Cette disposition vise à éviter une situation dans laquelle une personne, dans des circonstances factuelles identiques, disposerait dans un État membre de la qualité pour agir contre une décision d’une autorité réglementaire afin de protéger ses droits, mais n’en bénéficierait pas dans un autre État. L’existence de telles différences en ce qui concerne l’accès à une voie de recours aurait pour conséquence que le contenu des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union en matière de
communications électroniques serait perçu différemment selon les États membres. De telles différences seraient également susceptibles de mettre en cause l’existence même de ce type de droits dans certains États membres.

49. En interprétant ladite disposition, il convient de tenir compte de la finalité évoquée au point précédent.

50. L’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre doit être suffisamment précise pour éviter l’existence de différences substantielles en ce qui concerne la qualité pour agir dans les différents États membres, puisque, comme on l’a rappelé au point 48, celles-ci compromettraient l’application uniforme des dispositions du droit de l’Union en matière de communications électroniques. Lesdites dispositions ne pourraient faire l’objet d’une application uniforme si le droit national
déterminait les personnes ayant qualité pour agir.

C – Interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre

1. L’arrêt Tele2 Telecommunication

51. La Cour s’est déjà prononcée dans l’affaire Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103) au sujet de l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.

52. Dans cette affaire, la Cour a suivi les conclusions de l’avocat général Poiares Maduro et jugé que le droit de recours contre une décision d’une autorité réglementaire pouvait être exercé par les utilisateurs ou les entreprises qui, bien que n’étant pas destinataires de cette décision, sont «défavorablement affectés dans leurs droits par celle-ci». Cette interprétation englobe le cas dans lequel les utilisateurs et les entreprises concurrents tirent des droits subjectifs de l’ordre juridique de
l’Union, notamment des directives sur les télécommunications, et sont affectés dans ces droits par suite d’une décision prise par une autorité réglementaire nationale ( 12 ).

53. S’agissant de la procédure administrative ayant donné lieu à l’affaire Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103) – à savoir la procédure d’analyse de marché prévu à l’article 16 de la directive-cadre –, la Cour a souligné que celle-ci pouvait conduire à imposer certaines obligations spécifiques à l’entreprise puissante sur le marché. De telles obligations, et notamment l’obligation de non-discrimination et celle relative à l’accès des concurrents à des ressources de réseau, constituent des mesures
protectrices prévues dans l’intérêt des concurrents. Elles peuvent donc leur conférer des droits individuels correspondant aux obligations imposées à l’entreprise puissante sur le marché ( 13 ).

54. La Cour a donc fondé son arrêt sur la constatation selon laquelle les obligations imposées par la décision d’une autorité réglementaire à l’opérateur puissant sur le marché confèrent potentiellement des droits aux tiers qui peuvent être affectés par une telle décision.

55. C’est sur une interprétation analogue que la Cour a fondé son arrêt dans l’affaire Arcor (C‑55/06, EU:C:2008:244), laquelle concernait l’interprétation de l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387/CEE ( 14 ), qui comportait une réglementation proche de celle de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.

56. La Cour y a jugé que le droit de recours contre une décision relative à l’autorisation des tarifs d’accès à un réseau local bénéficie non seulement à l’opérateur du réseau, mais aussi à l’entreprise jouissant d’un accès dégroupé au réseau et qui a conclu un contrat en ce sens avec ledit opérateur. La Cour a tenu compte du fait que la décision affectait les droits subjectifs de la requérante en tant que partie audit contrat. Elle a toutefois précisé que l’existence d’un lien contractuel n’est pas
requise pour établir la qualité pour introduire un recours ( 15 ).

2. Les difficultés liées à l’application de l’arrêt Tele2 Telecommunication

57. Comme je l’ai déjà rappelé, en vertu de l’arrêt Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103), les entreprises dont les droits subjectifs découlant du droit de l’Union pourraient être affectés sous l’effet d’une décision d’une autorité réglementaire bénéficient d’un droit de recours contre ladite décision.

58. Bien qu’une telle approche soit indubitablement fondée ( 16 ), elle ne permet pas d’établir des critères suffisamment précis pour garantir une interprétation uniforme de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.

59. Les circonstances de la présente affaire, laquelle constitue la troisième demande préjudicielle qui soulève le problème de la qualité pour agir dans le domaine des communications électroniques, démontrent que l’arrêt Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103) ne lève pas les doutes touchant à cette question.

60. Premièrement, cet arrêt n’exclut pas une interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre selon laquelle la qualité pour agir serait subordonnée à la condition que la partie requérante établisse qu’elle tire un droit subjectif concret du droit de l’Union.

61. En particulier, ainsi qu’il résulte des observations écrites du gouvernement autrichien, la condition tenant à ce que la partie requérante soit «affectée» par la décision n’est remplie, selon la jurisprudence autrichienne, que si l’autorité administrative se prononce ou a l’obligation de se prononcer sur les droits subjectifs de ladite partie requérante ( 17 ). Dans la présente affaire, la TKK ainsi que le gouvernement autrichien s’appuient sur cette jurisprudence, en relevant que l’article 5,
paragraphe 6, de la directive «autorisation» n’établit pas de droits subjectifs en faveur des entreprises concurrentes, mais évoque uniquement la possibilité pour les États membres de prendre des «mesures appropriées» en vue d’éviter que la concurrence ne soit faussée.

62. Une telle interprétation de l’arrêt Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103) – qui m’apparaît incorrecte – méconnaît les différences existant entre le droit d’introduire une procédure et l’objet de cette procédure. L’introduction d’une action ne saurait être conditionnée à son issue, c’est-à-dire à la constatation de droits dont bénéficie la partie requérante.

63. Deuxièmement, il convient de tenir compte du fait que la notion de «droits subjectifs» peut faire l’objet d’interprétations différentes en fonction du contexte et qu’elle est aussi susceptible de revêtir des significations distinctes dans les différents régimes juridiques.

64. Les arrêts Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103) et Arcor (EU:C:2008:244) n’apportent toutefois pas une réponse claire à la question de savoir si le critère de la qualité pour agir, lequel suppose que la décision «affecte défavorablement les droits» de la partie requérante, concerne:

— les droits subjectifs de ladite partie à l’égard de l’autorité administrative,

— ses droits correspondants aux obligations réglementaires imposées à une autre personne privée, ou

— un autre type de droits, tirés, par exemple, d’un contrat de droit privé.

65. Par exemple, dans l’affaire Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103), la Cour a fondé sa décision sur l’hypothèse selon laquelle la décision litigieuse affecte les droits subjectifs des concurrents correspondants aux obligations imposées à l’entreprise puissante sur le marché pertinent ( 18 ). En revanche, dans l’affaire Arcor (EU:C:2008:244), la Cour a souligné que la décision de l’autorité réglementaire affectait la partie requérante dans ses droits en tant que partie à un contrat relatif à
l’accès aux boucles locales ( 19 ). Aucun de ces arrêts ne concerne les droits subjectifs publics de la requérante.

66. Dans la présente affaire, s’agissant de l’interprétation fournie dans l’arrêt Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103), Hutchison, A1 ainsi que le gouvernement autrichien font valoir que l’octroi ou le refus d’octroyer l’autorisation de cession des fréquences n’établit pas d’obligations susceptibles de conférer des droits à des tiers par rapport aux parties à l’opération en cause. C’est selon eux une conséquence de la nature de la procédure de cession des fréquences, qui a pour but non pas
d’imposer des obligations réglementaires au bénéfice des tiers, mais d’assurer une concurrence efficace dans l’intérêt général.

67. La juridiction de renvoi relève toutefois, en s’appuyant sur l’arrêt Arcor (EU:C:2008:244), que la décision de l’autorité réglementaire en ce qui concerne la cession des fréquences a une incidence sur les droits des parties à l’opération ainsi que sur ceux d’autres acquéreurs potentiels de fréquences. Hutchison soutient pour sa part que T‑Mobile n’a jamais manifesté l’intention d’acquérir des fréquences, si bien qu’elle n’en est pas un acquéreur potentiel.

68. Les doutes exposés témoignent de la nécessité de préciser les critères de la qualité pour agir fondée sur l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre.

3. Proposition d’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre

69. La condition relative au fait que la décision «affecte» une personne au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre doit selon moi être comprise comme visant les effets de la décision administrative sur les intérêts de ladite personne qui sont soumis à une protection juridique ( 20 ).

70. En revanche, la reconnaissance de la qualité pour agir n’impose pas à la partie requérante de démontrer la violation de ses droits subjectifs concrets.

71. Si l’on examine plus attentivement l’arrêt dans l’affaire Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103), force est de relever que la Cour n’y a pas interprété l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre en ce sens que le respect de la condition tenant au fait que la personne considérée soit «affectée» par la décision y aurait été subordonné à la violation effective d’un droit subjectif. La Cour a au contraire estimé que la décision devait affecter négativement les droits dont la requérante est la
«bénéficiair[e] potentiel[le]» ( 21 ).

72. Au surplus, je suis convaincu que la disposition interprétée a exclusivement pour but non pas d’assurer la protection de droits à l’égard d’autres personnes privées, ainsi qu’il est soutenu dans les observations écrites des parties citées ci‑dessus, mais aussi de protéger les droits subjectifs publics, entendus comme la possibilité d’exiger de l’autorité réglementaire d’adopter un comportement conforme au droit ( 22 ).

73. Il ne fait pour moi aucun doute que toute décision affecte l’intérêt juridique de son destinataire. En revanche, le point de savoir si cette condition est remplie par des tiers, qui ne sont pas destinataires de la décision, requiert une analyse plus approfondie.

74. Rappelons que l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre concerne deux catégories de personnes: les utilisateurs ainsi que les entreprises fournissant des réseaux et/ou des services de communications électroniques. Dans la seconde catégorie, l’on peut aussi distinguer celle des entreprises concurrentes du destinataire de la décision sur les marchés des communications électroniques.

75. Cette dernière catégorie revêt une importance particulière dans le cadre de la réglementation des communications électroniques. Il convient ici de souligner que cette réglementation vise à promouvoir la concurrence dans la fourniture de réseaux et de communications électroniques.

76. En particulier, l’article 8, paragraphe 2, sous b), de la directive-cadre assigne aux États membres l’obligation de s’assurer que les autorités réglementaires nationales prennent toutes les mesures raisonnables visant à promouvoir la concurrence dans la fourniture des services de communications électroniques, en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée ni entravée dans le secteur des communications électroniques et en supprimant les derniers obstacles à la fourniture desdits
services ( 23 ).

77. Le droit des communications électroniques est fondé sur la réglementation ex ante du marché et comporte également des dispositions établissant les conditions de l’obtention d’autorisations de l’autorité réglementaire pour les activités ou opérations susceptibles d’entraîner des modifications substantielles sur les marchés pertinents, en faussant la concurrence.

78. À cet égard, le droit des communications électroniques vise non pas uniquement à protéger la structure concurrentielle du marché en tant que telle, mais aussi à veiller à la protection des droits des entreprises concurrentes.

79. Il convient ici de souligner que l’objectif des règles de concurrence est uniquement et en premier lieu de protéger non pas les intérêts directs des concurrents, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle ( 24 ). L’intérêt public consistant dans la promotion de la concurrence peut néanmoins se recouper avec l’intérêt individuel des entreprises concurrentes, qui est de se protéger contre les actes affectant leur position sur le marché.

80. La décision prise par une autorité réglementaire dans une procédure visant à protéger la concurrence a indubitablement une incidence sur l’intérêt individuel des entreprises dont la position sur le marché pourrait subir une modification substantielle en conséquence des mesures faisant l’objet de la décision.

81. Cet intérêt n’est pas seulement d’ordre factuel mais aussi, eu égard aux objectifs susmentionnés de la réglementation, de nature juridique. La situation des entreprises concurrentes est prise en compte par les dispositions du droit de l’Union, qui font obligation à l’autorité réglementaire de prendre les mesures destinées à prévenir une modification substantielle de la position des entreprises concurrentes sur le marché, susceptible d’entraîner une distorsion ou une restriction de la
concurrence.

82. S’agissant des entreprises concurrentes du destinataire de la décision, la condition relative au point de savoir si la décision «affecte» une personne au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre m’apparaît remplie si l’autorité réglementaire se prononce dans une procédure prévue par une norme du droit de l’Union visant à protéger la concurrence, et que la décision concerne des activités ou des opérations qui affectent de façon substantielle la position sur le marché de la partie
requérante.

83. Comme le relève la Commission dans ses observations écrites, la qualité pour agir des entreprises concurrentes du destinataire d’une décision a été définie de manière similaire en droit de l’Union dans le cadre de l’interprétation de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

84. En matière de contrôle des aides d’État, la qualité pour agir contre une décision de la Commission quant à son appréciation de l’aide sur le fond ou contre une décision prise à la suite d’une procédure formelle est réservée aux entreprises concurrentes du bénéficiaire de l’aide, dont la position sur le marché est substantiellement affectée par l’aide accordée ( 25 ).

85. De même, possède la qualité pour agir contre une décision de la Commission en matière de contrôle des concentrations l’entreprise qui, bien que n’étant ni une partie à la concentration ni destinataire de la décision litigieuse, démontre, notamment, qu’elle a au moins la qualité de concurrente potentielle et que l’opération peut modifier de façon caractérisée sa position sur les marchés pertinents ( 26 ).

86. Dans ces exemples tirés du droit procédural de l’Union, la qualité pour agir n’est donc pas subordonnée à la condition d’une violation de droits subjectifs. C’est uniquement l’autorité examinant l’affaire sur le fond qui se prononce sur l’éventuelle violation de droits subjectifs.

87. Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre doit être interprété en ce sens que dispose d’un droit de recours contre une décision d’une autorité réglementaire l’entreprise qui est actuellement ou potentiellement concurrente du destinataire de la décision, si l’autorité réglementaire se prononce dans le cadre d’une procédure que prévoit le droit de l’Union en vue de protéger la concurrence et que la décision concerne des activités ou
une opération susceptibles d’affecter de façon substantielle la position sur le marché de la partie requérante.

4. Application de cette interprétation à l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation»

88. Il convient ensuite d’examiner si l’interprétation ci-dessus est applicable à une décision de l’autorité réglementaire concernant la cession de droits d’utilisation de fréquences, telle que visée à l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation».

89. Les fréquences sont une ressource rare (limitée), qui ne permet pas de satisfaire les besoins potentiels de l’ensemble des opérateurs, mais n’en sont pas moins nécessaires à l’exercice de certains types d’activité économique dans le secteur des communications électroniques, notamment pour fournir des services au moyen de son propre réseau de téléphonie mobile.

90. Une concentration excessive des fréquences entre les mains d’une entreprise peut entraîner une distorsion des conditions de concurrence applicables à une activité économique pour laquelle il est indispensable de disposer de fréquences. L’autorisation d’utiliser un bien public qui constitue une ressource rare offre à l’opérateur économique qui en est titulaire un avantage par rapport à d’autres opérateurs souhaitant également utiliser cette ressource ( 27 ).

91. Certaines dispositions de la directives-cadre et de la directive «autorisation» tiennent compte de cette prémisse.

92. L’article 9, paragraphe 1, de la directive-cadre exige que l’octroi des autorisations relatives à l’utilisation des fréquences soit fondé sur des critères objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés. L’article 9 ter, paragraphe 2, de ladite directive institue une obligation de notifier à l’autorité réglementaire et de rendre publique l’intention de céder des droits d’utilisation de fréquences.

93. Aux termes de l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation», les autorités réglementaires dans les États membres veillent à ce que la concurrence ne soit pas faussée du fait d’une cession ou de l’accumulation de droits d’utilisation de radiofréquences. À cet effet, les États membres peuvent prendre des mesures appropriées comme l’obligation de vente ou de location des droits d’utilisation de radiofréquences.

94. Malgré l’utilisation, dans la dernière phrase de la disposition citée, d’un terme correspondant à une faculté – les États membres «peuvent» prendre des mesures appropriées –, il ressort en réalité de la phrase précédente de cette disposition que, si l’État membre autorise la cession de droits d’utilisation de fréquences entre des opérateurs, il a également l’obligation d’instituer un cadre juridique approprié en vue de réguler de telles opérations, afin de prévenir la distorsion des conditions
de concurrence ( 28 ).

95. Je suis d’accord avec la thèse exprimée par T‑Mobile dans ses observations écrites, selon laquelle il est possible d’établir une analogie entre la première attribution de fréquences et la cession ultérieure de droits.

96. Il ne fait aucun doute que, lors de la première attribution des fréquences, les États membres doivent accorder une attention particulière à la nécessité de garantir la structure concurrentielle du marché. Cette obligation serait inefficace si la cession ultérieure de droits entre des entreprises concurrentes permettait de porter atteinte à la structure concurrentielle.

97. Eu égard à ces considérations, le contrôle de l’opération de cession des fréquences prévu à l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation», et donc également la procédure devant la TKK qui fait l’objet de l’affaire au principal, a ainsi pour principal objectif de protéger la structure concurrentielle du marché.

98. Compte tenu de l’interprétation que je propose de l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre, les concurrents doivent avoir le droit d’introduire un recours contre la décision prise dans le cadre d’une telle procédure, dès lors que l’opération considérée peut affecter de façon substantielle leur position sur le marché.

99. Quant à l’effet de l’opération entre Hutchison et A1 sur la position sur le marché de T‑Mobile, c’est une question du ressort de la juridiction de renvoi, à laquelle il appartient d’appliquer la norme du droit de l’Union, telle qu’elle a été interprétée, à la situation factuelle concrète.

100. Je relèverai néanmoins qu’il résulte de la décision de la juridiction de renvoi que la requérante au principal est en concurrence directe avec les parties à l’opération de cession des fréquences. Au surplus, les concurrents agissent sur un marché oligopolistique qui se caractérise notamment par l’existence de barrières significatives à l’entrée.

101. Ces circonstances indiquent clairement que l’opération affecte substantiellement la position sur le marché de l’entreprise concurrente ( 29 ).

102. Il convient également de souligner que, comme il résulte des observations écrites de la Commission, lesdites circonstances ont été prises en compte pour reconnaître à T‑Mobile la qualité d’intéressée dans la procédure de contrôle des concentrations devant la Commission, relative à la fusion entre Hutchison et Orange.

103. En outre, comme le relève à juste titre la Commission, les objectifs de la procédure prévue à l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation» sont proches de ceux du contrôle des concentrations, mais limités aux questions touchant à la cession de fréquences à la suite de la fusion. L’exigence tenant à l’autorisation préalable de l’autorité de régulation vise à prévenir la situation dans laquelle la cession des droits d’utilisation des fréquences conduirait à concentrer lesdits droits
ou à renforcer la position d’une entreprise d’une manière faussant la concurrence.

104. Au vu des considérations qui précèdent, l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre doit être interprété en ce sens qu’une entreprise en concurrence avec les parties à une opération de cession de droits d’utilisation de fréquences, visée à l’article 5, paragraphe 6, de la directive «autorisation», dispose d’un droit de recours contre la décision d’une autorité réglementaire tendant à l’autorisation d’une telle opération, si cette dernière peut affecter substantiellement sa position sur le
marché.

VI – Conclusion

105. Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose que la Cour apporte la réponse suivante à la question posée par le Verwaltungsgerichtshof:

L’article 4 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre»), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, doit être interprété en ce sens que l’entreprise en concurrence avec les parties à une opération de cession de droits d’utilisation de fréquences, visée à l’article 5,
paragraphe 6, de la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive «autorisation»), telle que modifiée par la directive 2009/140, dispose d’un droit de recours contre la décision d’une autorité réglementaire tendant à l’autorisation d’une telle opération, si cette dernière peut affecter substantiellement sa position sur le marché.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale: le polonais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre») (JO L 108, p. 33), telle que modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO L 337, p. 37, ci-après la «directive-cadre»).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive «autorisation»), telle que modifiée par la directive 2009/140 (JO L 337, p. 37).

( 4 ) Voir, entre autres, article 22, paragraphe 3, de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14), telle que modifiée par la directive 2008/6/CE du 20 février 2008 (JO L 52, p. 3), article 37, paragraphe 17, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet
2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO L 211, p. 55), ainsi que l’article 41, paragraphe 17, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO L 211, p. 94).

Cette dernière disposition fait l’objet de l’affaire E.ON Földgáz Trade (C‑510/13), pendante devant la Cour.

( 5 ) Règlement du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1).

( 6 ) Décision de la Commission du 12 décembre 2012 déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec le fonctionnement de l’accord EEE (Affaire COMP/M.6497 — Hutchison 3G Austria/Orange Austria) (résumé publié au JO 2013, C 224, p. 12).

( 7 ) Ibidem (points 7 à 11).

( 8 ) C‑426/05, EU:C:2008:103.

( 9 ) Voir arrêts Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, EU:C:1976:188, point 5) et Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 102).

( 10 ) Arrêt Tele2 Telecommunication (EU:C:2008:103, point 27).

( 11 ) Ibidem (point 30).

( 12 ) Ibidem (points 33 et 48).

( 13 ) Ibidem (points 34, 36 et 39).

( 14 ) Directive du Conseil du 28 juin 1990 relative à l’établissement du marché intérieur des services de télécommunication par la mise en œuvre de la fourniture d’un réseau ouvert de télécommunication (JO L 192, p. 1), telle que modifiée par la directive 97/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997 (JO L 295, p. 23).

( 15 ) Arrêt Arcor (EU:C:2008:244, points 175 à 177).

( 16 ) Elle découle de la prémisse selon laquelle le principe de protection juridictionnelle effective oblige les États membres à garantir la protection des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union; voir, notamment, arrêt Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, points 37 et 38).

( 17 ) Arrêt du Verwaltungsgerichtshof du 26 mars 2008, VwSlg 17.406 A/2008.

( 18 ) Point 36.

( 19 ) Point 177.

( 20 ) De même, la qualité pour agir des personnes privées sur la base de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE est liée non pas à la démonstration de la violation d’un droit subjectif, mais, au vu de l’une des trois hypothèses mentionnées dans cette disposition, à la condition que l’acte en cause affecte directement et individuellement la situation juridique des parties requérantes.

( 21 ) Point 36.

( 22 ) Voir, en ce qui concerne les différentes conceptions du droit subjectif public, A. Wróbel, Prawo podmiotowe publiczne, System prawa administracyjnego, tome 1 – Instytucje prawa administracyjnego, Instytut Nauk Prawnych PAN, Varsovie, C.H. Beck, 2010, p. 307 à 344.

( 23 ) Voir arrêts Centro Europa 7 (C‑380/05, EU:C:2008:59, point 81) et Commission/Pologne (C‑227/07, EU:C:2008:620, points 62 et 63).

( 24 ) Voir point 68 des conclusions de l’avocat général Kokott qu’elle a présentées dans l’affaire British Airways/Commission (C‑95/04 P, EU:C:2006:133) ainsi qu’arrêt GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 63).

( 25 ) Voir arrêts Cofaz e.a./Commission (169/84, EU:C:1986:42, points 22 à 25); Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, EU:C:2005:761, points 37 et 70).

( 26 ) Voir arrêts Air France/Commission (T‑3/93, EU:T:1994:36, point 82); Kaysersberg/Commission (T‑290/94, EU:T:1997:186); ARD/Commission (T‑158/00, EU:T:2003:246, points 78 et 95) et BaByliss/Commission (T‑114/02, EU:T:2003:100, points 96 à 100).

( 27 ) Voir, en ce qui concerne la justification des redevances pour les droits d’utilisation de fréquences, arrêt Belgacom e.a. (C‑375/11, EU:C:2013:185, point 50 et jurisprudence citée).

( 28 ) Voir P. Nihoul, P. Rodford, EU Electronic Communications Law, Oxford, 2011, p. 101 et 116.

( 29 ) Voir, de façon analogue, arrêt du Tribunal BaByliss/Commission (EU:T:2003:100, point 100).


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-282/13
Date de la décision : 09/09/2014
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Réseaux et services de communications électroniques – Directive 2002/20/CE – Article 5, paragraphe 6 – Droits d’utilisation de radiofréquences et de numéros – Directive 2002/21/CE – Article 4, paragraphe 1 – Droit de recours contre une décision d’une autorité réglementaire nationale – Notion d’ʻentreprise affectée par une décision prise par une autorité réglementaire nationaleʼ – Article 9 ter – Cession des droits individuels d’utilisation de radiofréquences – Réattribution des droits d’utilisation de radiofréquences à la suite de la fusion de deux entreprises.

Télécommunications

Droit d'établissement

Libre prestation des services

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : T-Mobile Austria GmbH
Défendeurs : Telekom-Control-Kommission.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:2179

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award