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29/04/2014 | CJUE | N°C-580/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl contre Commission européenne., 29/04/2014, C-580/12


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 29 avril 2014 ( 1 )

Affaire C‑580/12 P

Guardian Industries Corp.

Guardian Europe Sàrl

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Ententes — Marché du verre plat — Calcul de l’amende — Prise en compte des ventes internes des entreprises — Délai raisonnable — Recevabilité de pièces produites tardivement»

1.  Dans le présent pourvoi, Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl (ci-après, conjointement,

«Guardian» ou les «requérantes») demandent l’annulation de l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission ( 2 ), par lequel le ...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 29 avril 2014 ( 1 )

Affaire C‑580/12 P

Guardian Industries Corp.

Guardian Europe Sàrl

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Ententes — Marché du verre plat — Calcul de l’amende — Prise en compte des ventes internes des entreprises — Délai raisonnable — Recevabilité de pièces produites tardivement»

1.  Dans le présent pourvoi, Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl (ci-après, conjointement, «Guardian» ou les «requérantes») demandent l’annulation de l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission ( 2 ), par lequel le Tribunal de l’Union européenne a rejeté leur recours. Ce recours visait à l’annulation de la décision du 28 novembre 2007, par laquelle la Commission européenne leur a infligé une amende de 148 millions d’euros pour leur participation à une entente sur le
marché du verre plat au cours de la période comprise entre avril 2004 et février 2005 ( 3 ).

2.  Dans le calcul de l’amende qui est au cœur de la question essentielle posée dans ce recours, la Commission n’a pas pris en compte les «ventes captives», c’est-à-dire des ventes internes aux entreprises verticalement intégrées. Guardian, qui n’a procédé qu’à des ventes à des tiers indépendants, estime que, au titre du principe de non-discrimination, elle devrait bénéficier, dans une proportion équivalente à celle des ventes internes dans le volume global du marché, d’une réduction de l’amende qui
lui a été infligée. L’autre question importante posée dans cette affaire est celle du délai raisonnable de la procédure devant le Tribunal, notamment puisque pas moins de trois ans et cinq mois se sont écoulés entre la clôture de la procédure écrite et la décision d’ouvrir la procédure orale, en l’absence de tout autre acte de procédure et sans aucune raison apparente.

I – Les antécédents du litige

3. Les antécédents du litige et la décision litigieuse sont exposés dans les termes suivants aux points 1 à 10 de l’arrêt attaqué:

«1 Les requérantes, Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl, font partie du groupe Guardian, actif dans la production de verre plat et de verre automobile. Guardian Industries est la société placée à la tête du groupe Guardian et détient indirectement 100 % du capital de Guardian Europe.

2 Les 22, 23 février et 15 mars 2005, la Commission des Communautés européennes a opéré des vérifications surprises, notamment dans les locaux de Guardian Flachglas GmbH, Guardian Europe et Guardian Luxguard I SA.

3 Le 2 mars 2005, Asahi Glass Co. Ltd et toutes ses filiales, y compris Glaverbel SA/NV, devenue par la suite AGC Flat Glass Europe SA/NV (ci-après ‘Glaverbel’), ont présenté une demande visant à obtenir une immunité d’amende ou, le cas échéant, une réduction de l’amende, au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

4 Le 3 janvier 2006, la Commission a engagé une procédure en vertu du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et en a informé les parties le 6 mars 2006.

5 Le 10 février 2006, la Commission a adressé des demandes de renseignements à plusieurs sociétés, dont les requérantes. Guardian Europe a répondu à cette demande le 10 mars 2006.

6 Le 9 mars 2007, la Commission a adopté une communication des griefs, adressée les 13 et 14 mars 2007 à plusieurs sociétés, dont les requérantes.

7 Le 28 novembre 2007, la Commission a adopté la décision [litigieuse] […] qui a été notifiée aux requérantes le 3 décembre 2007.

8 La décision [litigieuse] a également été adressée à Asahi Glass, à Glaverbel, ainsi qu’à Pilkington Deutschland AG, à Pilkington Group Ltd, à Pilkington Holding GmbH (ci-après, prises ensemble, ‘Pilkington’), à la Compagnie de Saint-Gobain SA et à Saint-Gobain Glass France SA (ci‑après, prises ensemble, ‘Saint-Gobain’).

9 Dans la décision [litigieuse], la Commission a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE, qui s’est étendue sur le territoire de l’Espace économique européen (EEE), consistant en la fixation de hausses de prix, de prix minima, d’objectifs de prix, de gels des prix et d’autres conditions commerciales pour les ventes à des clients indépendants de quatre catégories de produits en verre plat utilisés
dans le secteur de la construction, à savoir le verre flotté, le verre énergétique, le verre feuilleté et les miroirs non traités, ainsi qu’en l’échange d’informations commerciales sensibles.

10 Les requérantes ont été reconnues coupables de l’infraction pour la période allant du 20 avril 2004 au 22 février 2005 et se sont vu infliger solidairement une amende de 148 millions d’euros.»

4. Par requête du 12 février 2008, Guardian a attaqué la décision litigieuse devant le Tribunal.

II – L’arrêt attaqué

5. À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse, Guardian a invoqué un moyen unique tiré d’erreurs de fait relatives à la durée de sa participation à l’entente et à la dimension géographique de celle-ci. Les conclusions tendant à la réduction de l’amende reposaient sur trois moyens. Le premier visait à tirer les conséquences du moyen d’annulation partielle. Par le deuxième, Guardian invoquait la violation du principe de non-discrimination et de l’obligation
de motivation. Quant au troisième, il était pris d’une erreur d’appréciation quant au rôle de Guardian dans l’entente. Le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.

6. À titre liminaire, le Tribunal a statué comme suit sur la recevabilité d’une lettre produite par la Commission le 10 février 2012:

«19 Lors de l’audience, les requérantes ont contesté la recevabilité de la lettre de la Commission du 10 février 2012 au motif que celle‑ci contenait des chiffres qui ne leur avaient jamais été communiqués auparavant.

20 La Commission considère que cette lettre, qui constitue un complément à sa réponse du 23 janvier 2012 aux questions que le Tribunal lui avait adressées, est recevable.

21 Il y a lieu de relever que cette lettre est parvenue au Tribunal en dehors du délai imparti à la Commission, mais qu’elle a cependant été communiquée aux requérantes le 10 février 2012. Cette lettre contient des observations sur un document présenté par les requérantes le 8 février 2012, ainsi qu’un complément à la réponse de la Commission à une question écrite posée par le Tribunal pour réponse avant l’audience, relative à la méthode de calcul du montant de l’amende proposée par les
requérantes en cas d’exclusion des ventes [internes]. La Commission y a ainsi précisé, d’une part, que les chiffres figurant dans le tableau no 1 de la communication des griefs ne concernaient pas seulement les ventes internes, mais aussi les ventes de certaines catégories de verre n’ayant finalement pas été prises en considération dans la décision [litigieuse] et, d’autre part, le ratio entre les ventes totales des membres de l’entente et leurs ventes internes.

22 Compte tenu du contenu de cette lettre et du fait que celle-ci a été transmise aux requérantes, qui ont donc pu présenter leurs observations à son sujet lors de l’audience, il y a lieu de considérer le document en cause comme recevable et de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par les requérantes.»

7. Les conclusions en annulation ont été rejetées pour les motifs exposés aux points 28 à 93 de l’arrêt attaqué.

8. S’agissant des conclusions en réduction de l’amende, les points 98 à 107 de l’arrêt attaqué sont rédigés comme suit:

«98 Les requérantes considèrent que la Commission a violé, d’une part, le principe de non-discrimination en excluant du calcul des amendes des trois autres membres de l’entente la valeur des ventes [internes] […] aux groupes, et, d’autre part, son obligation de motivation relative à ces calculs.

99 Les requérantes soulignent ainsi que, en l’absence de motivation relative au calcul de l’amende des trois autres membres de l’entente et compte tenu de la nature confidentielle des données utilisées, il leur est impossible de déterminer la nature et la valeur respectives des ventes [internes] exclues pour chaque participant à l’entente. Elles soutiennent qu’il appartient dès lors au Tribunal de compenser l’exclusion desdites ventes en réduisant le montant de l’amende qui leur a été infligée au
prorata des exclusions du marché du verre plat. Cette solution serait compatible avec les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci‑après les ‘lignes directrices [de 2006]’), dans la mesure où elle permettrait de refléter de manière appropriée le poids relatif de l’entreprise sur le marché pertinent et aurait déjà été adoptée par le Tribunal.

100 Les requérantes précisent que la Commission a exclu un milliard d’euros de ventes [internes] sur un volume total de marché de 2,7 milliards d’euros. Ce chiffre résulterait de la déduction du montant total des ventes de verre plat retenu dans la décision [litigieuse], à savoir 1,7 milliard d’euros (considérant 41 de la décision [litigieuse]), du montant total retenu dans la communication des griefs, à savoir 2,7 milliards d’euros (considérant 41 de la décision [litigieuse]), et représenterait
37 % du volume total d’un marché dont la valeur est de 2,7 milliards d’euros.

101 La Commission conteste les arguments des requérantes.

102 Selon une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de façon à permettre, d’une part, au juge de l’Union européenne d’exercer son contrôle et, d’autre part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et de
vérifier si la décision est bien fondée.

103 Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi au regard de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée […].

104 En l’espèce, la Commission a considéré que les accords anticoncurrentiels portaient sur les ventes de verre plat à des clients indépendants (considérant 377 de la décision [litigieuse]) et elle a donc utilisé ces ventes afin de calculer le montant de base des amendes (considérant 41, tableau no 1, et considérant 470 de la décision [litigieuse]). La Commission a, dès lors, exclu du calcul de l’amende les ventes de verre plat destiné à être transformé par une division de l’entreprise ou par une
société du même groupe. L’existence d’un comportement anticoncurrentiel n’ayant été établie que pour les ventes à des clients indépendants, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir exclu du calcul de l’amende les ventes internes des membres de l’entente verticalement intégrés. Il ne saurait, en outre, lui être fait grief de ne pas avoir motivé l’exclusion desdites ventes du calcul de l’amende.

105 Par ailleurs, comme l’a fait valoir la Commission, il n’a pas été établi que les membres de l’entente verticalement intégrés qui fournissaient les produits concernés aux divisions de la même entreprise ou à des sociétés faisant partie du même groupe d’entreprises aient tiré un profit indirect de l’augmentation de prix accordée ni que l’augmentation des prix sur le marché en amont se soit traduite par un avantage concurrentiel sur le marché en aval du verre plat transformé.

106 Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission aurait méconnu le principe de non-discrimination en excluant les ventes internes du calcul de l’amende, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement
justifié […]. En l’espèce, dans la mesure où la Commission a considéré que les arrangements anticoncurrentiels ne visaient que le prix du verre plat facturé aux clients indépendants, l’exclusion des ventes internes du calcul de l’amende dans le cas des membres de l’entente verticalement intégrés l’a uniquement conduite à traiter différemment des situations objectivement différentes. Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir méconnu le principe de non-discrimination.

107 Par conséquent, il convient de rejeter le présent moyen dans son ensemble.»

III – Sur le pourvoi

9. Guardian et la Commission ont participé à la procédure écrite devant la Cour ainsi qu’à l’audience qui s’est tenue le 12 décembre 2013.

10. Avant d’aborder les trois moyens qu’invoque Guardian, il faut revenir sur l’incident de procédure qui s’est produit dans la présente affaire (après le premier échange de mémoires). En substance, Guardian a fait valoir à propos de son premier moyen que, dans son mémoire en défense, la Commission aurait, pour la première fois, versé aux débats une preuve des effets du cartel sur les ventes internes. Cette preuve aurait consisté en une déclaration de Saint-Gobain faite au cours de la procédure
administrative et mentionnée au point 37 de la réponse de la Commission. Celle-ci tendrait à établir que les prix des ventes intra-groupes étaient alignés sur ceux fixés par le cartel, infirmant ainsi la thèse, jusqu’alors défendue par la Commission et reprise par le Tribunal, de l’absence de preuve d’un tel alignement.

11. La demande de Guardian d’être admise à répliquer sur ce point a été rejetée. Guardian a alors saisi la Cour d’une demande visant à amender son pourvoi à la lumière de ce qu’elle estime être un fait nouveau. Cette demande a également été rejetée.

12. À mon avis, il suffit de constater qu’il ne s’agit pas là d’un fait nouveau, puisque Guardian a bien entendu eu (ou en tout cas pu avoir) connaissance du document de Saint-Gobain qui comporte cette déclaration dès le stade de la procédure administrative.

13. Dans son premier moyen de pourvoi, Guardian allègue que le Tribunal a violé le principe de l’égalité de traitement en maintenant la non-prise en compte des ventes captives par la décision litigieuse dans le calcul des amendes infligées à Asahi/Glaverbel, à Pilkington et à Saint‑Gobain. Dans son deuxième moyen, Guardian soutient que, en déclarant recevable la lettre que la Commission lui a adressée le 10 février 2012 (ci‑après la «lettre du 10 février 2012»), le Tribunal a violé son règlement de
procédure ainsi que les principes des droits de la défense et de l’égalité des armes. Enfin, dans son troisième moyen, Guardian fait valoir que la durée de la procédure devant le Tribunal a été déraisonnable, ce qui constituerait une violation de son droit fondamental à un procès équitable dans un délai raisonnable. Je vais traiter ensemble les deux premiers moyens.

A – Sur les premier et deuxième moyens

14. Le premier moyen est tiré de la violation du principe d’égalité de traitement. Il est dirigé contre les points 104 à 106 de l’arrêt attaqué.

1. Arguments des parties

15. Guardian soutient en substance que, de jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement impose de considérer, aux fins du calcul de l’amende, les ventes internes comme comparables aux ventes à des tiers indépendants ( 4 ). Guardian souligne cependant qu’elle ne conteste pas la légalité de l’exclusion des ventes internes à l’égard des entreprises verticalement intégrées, mais la légalité de l’absence de réduction dans une proportion équivalente de l’amende qui lui a été infligée.

16. La Commission rétorque que, au point 105 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a procédé qu’à une simple constatation de fait en indiquant – ce que Guardian n’aurait pas contesté ( 5 ) – que nul ne sait si et dans quelle mesure les producteurs de verre plat verticalement intégrés ont bénéficié d’un avantage concurrentiel sur le marché en aval. Guardian n’aurait par ailleurs nullement démontré ni en première instance ni dans le cadre du présent pourvoi (ce qui serait de toute manière tardif)
l’existence d’un tel avantage.

2. Appréciation

a) Les points 104 et 105 de l’arrêt attaqué

17. Je ne suis guère convaincu par la lecture que fait la Commission du point 105 de l’arrêt attaqué, dont je rappelle le libellé: «Par ailleurs, comme l’a fait valoir la Commission, il n’a pas été établi que les membres de l’entente verticalement intégrés qui fournissaient les produits concernés aux divisions de la même entreprise ou à des sociétés faisant partie du même groupe d’entreprises aient tiré un profit indirect de l’augmentation de prix accordée ni que l’augmentation des prix sur le
marché en amont se soit traduite par un avantage concurrentiel sur le marché en aval du verre plat transformé».

18. Je relève que ce point, introduit par la formule «par ailleurs», n’indique pas par qui «il n’a pas été établi» que les membres de l’entente verticalement intégrés auraient tiré un profit indirect de l’entente.

19. C’est donc abusivement que la Commission induit de ce point 105 de l’arrêt attaqué que cet éventuel profit indirect aurait dû être démontré par Guardian.

20. J’ajoute que, au point 104 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également utilisé le passif pour relever que «[l]’existence d’un comportement anticoncurrentiel n’[a] été établie que pour les ventes à des clients indépendants», cette affirmation étant, selon Guardian, contredite par le point 377 de la décision litigieuse, selon lequel les «arrangements collusoires se rapportaient aux prix à appliquer aux clients indépendants», sans pour autant exclure expressément les ventes internes.

b) La règle est d’inclure les ventes captives dans le chiffre d’affaires qui sert de base au calcul de l’amende

21. À mon avis, si, selon la jurisprudence de la Cour, une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE ne peut s’étendre aux relations au sein d’une unité économique constituée par un groupe de sociétés ( 6 ), la jurisprudence de la Cour ( 7 ) impose également l’égalité de traitement des ventes captives ou internes et des ventes externes pour éviter toute discrimination entre les entreprises verticalement intégrées et celles qui ne le sont pas.

22. Le respect de cette règle s’impose sur la base tant des lignes directrices de 1998 ( 8 ) que de celles de 2006.

23. En ce qui concerne la notion de «valeur des ventes», les lignes directrices de 2006 expliquent aux points 5 et 6 de l’«[i]ntroduction» que, «[a]fin d’atteindre [l]es objectifs [y mentionnés], il est approprié pour la Commission de se référer, comme base pour la détermination des amendes, à la valeur des ventes des biens ou services en relation avec l’infraction» et, «[e]n effet, la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée est considérée comme une valeur de
remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction. La référence à ces indicateurs donne une bonne indication de l’ordre de grandeur de l’amende et ne devrait pas être comprise comme la base d’une méthode de calcul automatique et arithmétique» (c’est moi qui souligne).

24. Ensuite, dans la partie «Méthode pour la fixation des amendes», sous «1. Montant de base de l’amende» et «A. Détermination de la valeur des ventes», il est expliqué au point 13 que, «[e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [ ( 9 )] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE. La Commission
utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction (ci-après ‘la valeur des ventes’)» ( 10 ) (c’est moi qui souligne).

25. Or, à cet égard, la constatation faite au point 104 de l’arrêt attaqué que la Commission a considéré que les accords anticoncurrentiels en cause portaient sur les ventes de verre plat à des clients indépendants fait abstraction du fait que la prise en considération des ventes internes aux fins du calcul de l’amende est indépendante du point de savoir si l’entente vise expressément des clients indépendants ou si, plus généralement, elle s’étend également aux prix de transfert à l’intérieur des
groupes participant à l’entente.

i) La jurisprudence

26. Il importe ici tout d’abord de rappeler que, même avant les lignes directrices de 1998, la Commission s’est basée sur le chiffre d’affaires total réalisé avec le produit concerné lors de la dernière année de l’entente ( 11 ).

27. Ensuite, une fois que les lignes directrices de 1998 furent d’application, la Cour a confirmé que la Commission pouvait agir de cette manière en jugeant ( 12 ) que, «bien que les lignes directrices [de 1998] ne prévoient pas que le montant des amendes soit calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires pertinent, elles ne s’opposent pas à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin de respecter les
principes généraux du droit [de l’Union] et lorsque les circonstances l’exigent».

28. Dans les affaires que je vais examiner ci-après, je constate que c’était toujours le participant à l’entente verticalement intégré qui contestait devant le Tribunal ou la Cour la pratique de la Commission d’inclure ses ventes captives dans le chiffre d’affaires servant de base au calcul de l’amende.

29. En effet, les arrêts Europa Carton/Commission (EU:T:1998:89), KNP BT/Commission (EU:C:2000:625), KNP BT/Commission (EU:T:1998:91) (tous trois concernant l’entente du «Carton»), Lögstör Rör/Commission (EU:T:2002:72) (l’entente des «Conduites précalorifugées») ainsi que Tokai Carbon e.a./Commission (EU:T:2005:220) (l’entente des «Graphites spéciaux») ont pour caractéristiques communes i) que le requérant était verticalement intégré, ii) que les ventes captives étaient prises en compte par la
Commission, et iii) que le requérant estimait qu’elles devaient être exclues.

30. Quelle fut la réponse du Tribunal ou de la Cour dans chacune de ces affaires?

31. Dans l’affaire Europa Carton/Commission (EU:T:1998:89), le Tribunal a dit pour droit que la prise en compte de la valeur des livraisons captives à une société, aux fins de la détermination du montant de l’amende, n’était prohibée par aucune disposition textuelle. Dans cette affaire, l’approche fut d’examiner les bénéfices de l’entente. Or, le requérant n’avait pas appliqué à ses ventes internes le prix pratiqué sur la base de l’entente (points 123 et 128).

32. Au point 62 de l’arrêt KNP BT/Commission (EU:C:2000:625), la Cour ( 13 ) s’est référée au point 128 de l’arrêt du Tribunal et a convenu que «[n]e pas tenir compte de la valeur des livraisons de carton internes à Europa Carton reviendrait nécessairement à avantager, sans justification, les sociétés verticalement intégrées. Le profit tiré de l’entente pourrait, dans une telle situation, ne pas être pris en compte, et l’entreprise en cause échapperait à une sanction proportionnée à son importance
sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction».

33. Dans l’affaire KNP BT/Commission (EU:T:1998:91), le Tribunal a constaté que «la requérante n’a[vait] fourni aucun élément de preuve susceptible de démontrer» que la Commission n’aurait pas dû prendre en considération les ventes captives (point 112).

34. Enfin, dans l’arrêt Lögstör Rör/Commission, EU:T:2002:72 (au point 360), et dans l’arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, EU:T:2005:220 (au point 260), le Tribunal s’est référé aux arrêts KNP BT/Commission (EU:C:2000:625) et Europa Carton/Commission (EU:T:1998:89).

ii) Les lignes directrices de la Commission

35. Comme la Cour l’a rappelé dans son arrêt KME Germany e.a./Commission ( 14 ), à propos cette fois des lignes directrices de 2006, «[d]ans un souci de transparence, la Commission a adopté les lignes directrices, dans lesquelles elle indique à quel titre elle prendra en considération telle ou telle circonstance de l’infraction et les conséquences qui pourront en être tirées sur le montant de l’amende». De plus, le Tribunal a jugé ( 15 ) que, «si la méthode de calcul du montant des amendes contenue
dans les lignes directrices n’est certes pas la seule méthode envisageable, elle est de nature à assurer une pratique décisionnelle cohérente en matière d’imposition des amendes, laquelle permet, à son tour, de garantir l’égalité de traitement des entreprises qui sont sanctionnées pour infractions aux règles du droit de la concurrence» (c’est moi qui souligne).

36. Que le problème de l’inclusion ou non des ventes internes dans le chiffre d’affaires qui sert de base au calcul de l’amende (et de l’éventuelle discrimination entre entreprises selon qu’elles sont verticalement intégrées ou non) se soit posé dans la présente affaire est certainement lié à l’application pendulaire par la Commission de ses lignes directrices de 2006, et plus particulièrement de la notion de «valeur des ventes» dans sa politique d’amendes ( 16 ) (qui oscille entre exclusion et
inclusion des ventes internes dans ladite notion et court ainsi le risque d’être aléatoire).

37. Elle est pendulaire, parce que, contrairement aux affaires que je citerai ci‑dessous, la Commission insiste qu’il y a bien d’autres affaires que la présente dans lesquelles la Commission n’a pas tenu compte des ventes internes dans le calcul des amendes ( 17 ). Or, en dehors du fait que ces décisions ne font guère état de ce que les ventes internes n’ont pas été incluses dans la valeur des ventes des producteurs verticalement intégrés ( 18 ), elles sont postérieures à la décision litigieuse.
Autrement dit, la pratique de la Commission a toujours été d’inclure les ventes internes dans le chiffre d’affaires servant au calcul de l’amende, jusqu’à la décision litigieuse où sans motivation (voire même sans mention ( 19 )) la Commission a radicalement modifié son approche.

38. Or, la jurisprudence ( 20 ) impose une seule interprétation des lignes directrices, sauf pour la Commission à donner dans un cas particulier toutes les raisons qui motivent qu’elle s’en écarte. D’ailleurs, avant l’«innovation» de la décision litigieuse, la pratique de la Commission était bien conforme à la jurisprudence ainsi qu’aux lignes directrices.

39. Dans sa décision «Services de déménagements internationaux» ( 21 ), la Commission souligne, «en premier lieu, que l’emploi de l’expression ‘de biens ou services […] en relation […] avec l’infraction’, au lieu de l’expression ‘biens ou services affectés’ indique que ce point des lignes directrices […] ne se réfère pas aux ventes des biens ou services pour lesquels il existe une preuve directe de leur affectation par l’infraction. Une telle interprétation dudit point imposerait d’ailleurs à la
Commission, afin de déterminer le montant de base de l’amende dans des affaires de cartel, de prouver à chaque fois quelles ventes individuelles ont été affectées par le cartel, alors que la jurisprudence exclut qu’aux fins de l’application de l’article 81 [CE], les effets concrets d’un accord soient pris en considération, dès lors qu’il apparaît que celui-ci a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun».

40. Ladite décision poursuit que, «[e]n deuxième lieu, la Commission considère que le terme ‘en relation’, contenu dans le point 13 des lignes directrices […], ne se réfère pas au terme ‘ventes’ mais plutôt aux termes ‘biens et services’, contenus dans le même point. En d’autres termes, ce point doit être interprété dans le sens qu’une fois que la Commission a établi quels sont les biens ou services en relation directe ou indirecte avec l’infraction, la valeur des ventes de tous ces biens ou
services est prise en considération afin de déterminer le montant de base de l’amende».

41. La doctrine interprète les lignes directrices de 2006 de la même façon. Ainsi que le relève D. Geradin ( 22 ), «dans la pratique, cela veut dire que la Commission ne doit pas prouver comment l’infraction a affecté chaque vente individuelle, une fois qu’il est établi qu’elle a affecté une catégorie entière de produits ou de services. La raison en est que l’expression ‘en relation […] avec l’infraction’ se réfère aux ‘produits ou services’ et non aux ‘ventes’».

42. Dans cette entente dite de «services de déménagements internationaux», les pratiques infractionnelles convenues par les participants à l’entente n’avaient pas été appliquées à tous les contrats qu’ils avaient conclus sur le marché pertinent.

43. Dans le recours introduit contre cette décision ( 23 ), le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel seule la valeur des ventes résultant des déménagements qui avaient été réellement affectés par les pratiques infractionnelles – et non le chiffre d’affaires total qu’avait réalisé Team Relocations sur le marché belge des services de déménagements internationaux – pouvait être prise en considération pour calculer la valeur des ventes pertinente de Team Relocations au sens du point 13 des lignes
directrices de 2006.

44. Ainsi, «le libellé du [point] 13 des lignes directrices de 2006 fait référence aux ‘ventes […] en relation directe ou indirecte avec l’infraction’ et non aux ‘ventes affectées par l’infraction’. La formulation du [point] 13 vise donc les ventes réalisées sur le marché pertinent. Cela ressort par ailleurs très clairement de la version allemande du [point] 6 des lignes directrices de 2006, dans lequel il est question de l’‘Umsatz auf den vom Verstoß betroffenen Märkten’ (ventes réalisées sur les
marchés concernés par l’infraction). A fortiori, le [point] 13 des lignes directrices de 2006 ne vise pas uniquement les cas pour lesquels la Commission dispose de preuves documentaires de l’infraction» (point 63 de cet arrêt).

45. Selon le point 64 du même arrêt, «[c]ette interprétation est confortée par l’objectif des règles [de concurrence de l’Union]. En effet, l’interprétation proposée par Team Relocations signifierait que, pour déterminer le montant de base des amendes à infliger dans les affaires portant sur des ententes, la Commission serait obligée dans chaque cas d’établir quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par l’entente. Une telle obligation n’a jamais été imposée par les juridictions de
l’Union et rien n’indique que la Commission avait l’intention de s’imposer une telle obligation dans les lignes directrices de 2006».

46. En outre, «il est inévitable, dans les affaires portant sur des ententes, qui sont secrètes par nature, que certaines pièces attestant chacune des manifestations des pratiques anticoncurrentielles ne soient pas découvertes […]» (point 65).

47. Enfin, selon le point 66 dudit arrêt, «il résulte d’une jurisprudence constante que la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné [ ( 24 )]. En particulier, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal
de la concurrence [ ( 25 )]. Ce principe a été repris dans les lignes directrices de 2006».

48. Cet arrêt a été confirmé par un arrêt de la Cour ( 26 ), dont le point 76 dit clairement que la notion de «valeur des ventes» ne se limite pas au «chiffre d’affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu’elles ont été réellement affectées par [l’entente]» ( 27 ). Une telle limitation aurait, selon la Cour (point 77), «en outre, pour effet de minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction commise par une entreprise donnée, dès lors que le seul fait
qu’un nombre limité de preuves directes des ventes réellement affectées par l’entente a été trouvé conduirait à infliger au final une amende sans relation réelle avec le champ d’application de l’entente en cause. Une telle prime au secret porterait également atteinte à l’objectif de poursuite et de sanction efficace des infractions à l’article 81 CE et, partant, ne saurait être admise». Dès lors (selon son point 78), «le Tribunal a […] jugé à bon droit, au point 62 de l’arrêt attaqué, qu’‘il ne
ressort pas de [ce point 13 des lignes directrices de 2006] que seule la valeur des ventes résultant des déménagements réellement affectés par les pratiques infractionnelles peut être prise en considération pour calculer la valeur des ventes pertinentes’. À cet égard, il a donc pu s’appuyer, sans commettre d’erreur de droit, au point 64 de cet arrêt, sur l’objectif des règles de la concurrence de l’Union, au point 65 dudit arrêt, sur la nécessité de tenir compte du caractère secret des ententes,
lequel rendrait en l’espèce ‘effectivement impossible de trouver des éléments relatifs à chacun des déménagements affectés’, et, au point 66 du même arrêt, sur la jurisprudence résultant de l’arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité» ( 28 ).

49. Au point 28 de l’arrêt SGL Carbon/Commission (C‑564/08 P, EU:C:2009:703), concernant la décision 2004/420/CE ( 29 ), la Cour relève qu’«[i]l ressort par ailleurs […] de la décision litigieuse que les différents montants de chiffres d’affaires et pourcentages de parts de marché, incluant la consommation captive, avaient été fournis à la Commission par les entreprises concernées».

50. Elle indique au point 29 de cet arrêt que, «[e]u égard à l’ensemble de ces éléments, la Commission a explicité, aux points 291 à 295 de la décision litigieuse, l’incorporation de la consommation captive dans les calculs effectués. Ainsi, au point 292 de ladite décision, elle a exposé que la prise en compte de la valeur de la consommation captive dans le calcul des chiffres d’affaires et des parts de marché est essentielle, car ignorer cette valeur reviendrait nécessairement à conférer un
avantage injustifié aux entreprises verticalement intégrées. En effet, en l’absence de prise en compte de ladite valeur, le profit réel tiré de l’entente par une telle entreprise ne serait pas pris en compte, de sorte que cette entreprise échapperait à une amende proportionnée à son importance sur le marché des produits concernés par l’infraction».

51. Le point 30 dudit arrêt rappelle «à cet égard que la pertinence de la prise en considération de la consommation captive dans l’évaluation des chiffres d’affaires et des parts de marché dans un contexte tel que celui de l’espèce a été reconnue par la Cour dans son arrêt [KNP BT/Commission, EU:C:2000:625, point 62], dont il découle que le fait de ne pas tenir compte de la valeur des livraisons internes reviendrait nécessairement à avantager, sans justification, les sociétés verticalement intégrées
en ce qui concerne l’évaluation du profit tiré d’une entente par de telles entreprises».

52. Il s’ensuit que, sans prouver que toutes les ventes avaient profité de l’infraction, la Commission a inclus les ventes internes.

53. Un autre exemple de cette pratique de la Commission est la décision Liquid Crystal Displays (ci-après «LCD») du 8 décembre 2010 ( 30 ), qui a rappelé que le fait de tenir compte des ventes captives lors du calcul des «ventes affectées» était, selon les lignes directrices de 2006, nécessaire pour veiller à «éviter toute discrimination entre les sociétés verticalement intégrées et les sociétés non verticalement intégrées» ( 31 ). En effet, la Commission a considéré que les participants à l’entente
qui étaient des entreprises verticalement intégrées ne devaient pas recevoir un traitement plus favorable que celui appliqué aux autres participants.

54. À la suite du recours introduit contre cette décision, le Tribunal ( 32 ) a rejeté inter alia le premier moyen, tiré du fait que la Commission aurait à tort inclus les ventes des requérantes dans le calcul de l’amende. Selon le Tribunal, il ne ressort pas du point 13 des lignes directrices de 2006 que seule la valeur des ventes résultant des transactions réellement affectées par les pratiques infractionnelles peut être prise en considération pour calculer la valeur des ventes pertinente pour
fixer l’amende ( 33 ) (point 65). La formulation de cette disposition vise, en effet, les ventes réalisées sur le marché pertinent, à savoir celui concerné par l’infraction. A fortiori, ledit point ne vise pas que les cas pour lesquels la Commission dispose de preuves documentaires de l’infraction (point 66).

55. Le Tribunal poursuit en indiquant que «[c]ette interprétation est confortée par l’objectif des règles de concurrence de l’Union. En effet, l’interprétation proposée par les requérantes signifierait que, pour déterminer le montant de base des amendes à infliger dans les affaires portant sur des ententes, la Commission serait obligée dans chaque cas d’établir quelles sont les ventes individuelles qui ont été affectées par l’entente. Une telle obligation n’a jamais été imposée par les juridictions
de l’Union et rien n’indique que la Commission avait l’intention de s’imposer une telle obligation dans les lignes directrices de 2006» (point 67). «Dès lors qu’un produit faisant l’objet d’une entente est vendu dans le marché intérieur, le jeu de la concurrence au sein de celui-ci est faussé et la Commission doit en tenir compte dans le calcul du montant de l’amende qu’elle inflige à l’entreprise qui a tiré un bénéfice de cette vente. À cet égard, il importe de souligner que l’article 81 CE
vise à protéger non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle» ( 34 ) (point 70). Dès lors, «il importe peu de savoir si LGE et Philips leur ont effectivement payé des prix majorés en raison de l’entente et si elles ont répercuté cette éventuelle majoration sur le prix des produits finis, intégrant les LCD cartellisés, qu’elles ont vendus au consommateur européen» (point 71).

56. Ce n’est qu’à titre subsidiaire que le Tribunal constate qu’il résulte également «du dossier que les ventes de LCD cartellisés aux clients liés aux participants à l’entente avaient bien fait l’objet de discussions dans le cadre de celle-ci» (points 73 à 89). D’ailleurs, le Tribunal juge que ce n’est pas la question de savoir si les ventes en question se faisaient à des prix influencés par l’entente qui est déterminante, mais le fait que celles-ci étaient réalisées sur un marché affecté par
l’existence d’une entente, à laquelle les requérantes participaient (point 97).

57. Dans la décision concernant l’entente des «[i]nstallations sanitaires pour salles de bains» ( 35 ), l’argument avait été soulevé que certains produits spéciaux n’avaient pas été couverts par l’entente et devaient être exclus de la valeur des ventes. La Commission a rejeté cette thèse: même en supposant que la liste des prix spéciaux («special price list») n’avait jamais, directement ou indirectement, fait l’objet des discussions sur les prix lors des réunions des participants à l’entente, les
ventes associées à cette liste auraient été affectées par l’infraction, parce que ces prix «spéciaux» étaient très probablement fixés par référence aux prix «standards» ( 36 ).

58. Dans le recours introduit contre ladite décision (T‑373/10, T‑374/10, T‑382/10 et T‑402/10 ( 37 )), le Tribunal a rejeté le cinquième moyen, tiré de l’inclusion de ventes non affectées par l’infraction dans le calcul du montant de l’amende comme étant non fondé. Il a considéré que «c’est conformément au [point] 13 des lignes directrices de 2006 que la Commission a pris en considération les ventes de produits aux grossistes dans leur ensemble, dès lors que lesdites ventes étaient toutes affectées
directement ou indirectement par l’infraction en cause. L’argument avancé par les requérantes selon lequel la Commission ne dispose pas d’un large pouvoir d’appréciation dans le chiffre d’affaires à prendre en considération doit être écarté dès lors que la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation à cet égard».

59. Il est encore intéressant de noter ce que le Tribunal a jugé dans l’entente des «[t]ubes industriels en cuivre» dans l’affaire T‑127/04 ( 38 ), son arrêt ayant été confirmé par la Cour dans l’arrêt C‑272/09 P ( 39 ). Le Tribunal a vérifié si c’était à tort que la Commission, lors de l’évaluation de la taille du marché affecté, avait pris en compte le prix du cuivre. Les requérantes prétendaient à cet égard, d’une part, que le prix du cuivre échappait au contrôle des fabricants de tubes
industriels dès lors qu’il était fixé selon le LME ( 40 ) et, d’autre part, que c’étaient les acheteurs de tubes industriels qui décidaient eux-mêmes à quel prix le métal est acquis. Les requérantes soulignaient également que les fluctuations du prix du métal n’avaient aucune incidence sur leur profit. Or, selon le Tribunal, «[f]orce est cependant de constater qu’aucune raison valable n’impose que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production.
Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, il existe dans tous les secteurs industriels des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient été exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende [ ( 41 )]. Le fait que le prix du cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels ou que le risque de
fluctuations des prix du cuivre soit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion». J’ajoute que, même si l’amende a été infligée dans cette affaire sous l’empire des lignes directrices de 1998, l’approche du Tribunal reste pertinente à la lumière des lignes directrices de 2006, dans la mesure où l’amende est basée sur la valeur globale du marché pertinent.

60. Enfin, dans la décision COMP/39.125 «Verre automobile» ( 42 ), la Commission n’a retenu comme ventes pertinentes aux fins du calcul de l’amende que les ventes des fournisseurs de verre aux constructeurs automobiles pour lesquels il existait des preuves directes d’entente. Ce point avait été également relevé par Team Relocations dans l’arrêt Team Relocations e.a./Commission (EU:T:2011:286). Toutefois, le Tribunal a relevé que, au considérant 663 de la décision «Verre automobile», la Commission
était partie du principe que le fait que des preuves spécifiques ne soient pas disponibles pour chaque discussion ayant porté sur les «comptes véhicules» ne limitait pas la détermination de la valeur des ventes aux seuls comptes pour lesquels des preuves directes étaient disponibles, puisque les pratiques collusoires sont, par leur nature, des accords secrets et que les preuves resteront incomplètes dans la plupart des cas, sinon dans la totalité ( 43 ). Si la Commission a par la suite nuancé ce
principe aux considérants 664 à 667 de cette décision, le Tribunal a constaté qu’elle ne l’a fait que pour deux périodes exceptionnelles au début et à la fin de la période d’infraction, parce qu’elle supposait que, durant ces périodes, les fournisseurs de verre automobile n’avaient modifié leurs offres qu’à destination d’une sélection de grands comptes. Dès lors, selon le Tribunal, l’approche suivie par la Commission dans ladite décision n’était pas contraire à celle appliquée dans la décision
«services de déménagements internationaux».

61. Cela étant, la Commission ne pouvait-elle avoir de bonnes raisons de s’écarter dans la présente affaire de ses lignes directrices?

62. Il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé ( 44 ), «statuant au sujet de mesures d’ordre interne adoptées par l’administration, que, si elles ne sauraient être qualifiées de règle de droit à l’observation de laquelle l’administration serait, en tout cas, tenue, elles énoncent toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de
traitement. De telles mesures constituent dès lors un acte de caractère général dont les fonctionnaires et agents concernés peuvent invoquer l’illégalité à l’appui d’un recours formé contre des décisions individuelles prises sur leur fondement».

63. La Cour a ajouté qu’«[u]ne telle jurisprudence s’applique à plus forte raison à des règles de conduite visant à produire des effets externes, comme c’est le cas des lignes directrices qui visent des opérateurs économiques». De plus, «[e]n adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, l’institution en question s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces
règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime. Il ne saurait dès lors être exclu que, sous certaines conditions et en fonction de leur contenu, de telles règles de conduite ayant une portée générale puissent déployer des effets juridiques» ( 45 ).

64. De plus, ainsi que le Tribunal l’a déjà confirmé ( 46 ), «si la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lors de la fixation du montant de chaque amende, sans être tenue d’appliquer une formule mathématique précise [ ( 47 )], elle ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle-même imposées [ ( 48 )]. Les lignes directrices constituant un instrument destiné à préciser, dans le respect des règles de droit de rang supérieur, les critères que la Commission compte appliquer dans l’exercice
de son pouvoir d’appréciation dans la fixation des amendes, la Commission doit effectivement tenir compte des termes des lignes directrices en fixant le montant des amendes, notamment des éléments qui y sont retenus de manière impérative [ ( 49 )]».

65. Dans la présente affaire, la Commission s’est non seulement écartée sans motivation de ses lignes directrices et de l’interprétation qu’elle en avait elle-même donnée, mais par rapport à l’affaire Europa Carton/Commission (EU:T:1998:89), par exemple, elle a même complètement inversé son argumentation!

66. En effet, dans ladite affaire, la Commission n’a jamais allégué ou supposé que les augmentations générales de prix convenues par les membres de l’entente étaient effectivement appliquées aux ventes captives au sein de leurs propres structures. Au contraire, la Commission a fait valoir devant le Tribunal que «la requérante a[vait] commercialisé des boîtes pliantes fabriquées à partir des produits concernés par la décision. Elle aurait ainsi bénéficié d’un avantage concurrentiel illégitime, étant
donné qu’elle ne [pouvait] pas affirmer sérieusement avoir facturé les transactions internes au groupe aux prix excessifs facturés par l’entente. Dès lors, elle aurait tiré profit, sous une forme ou sous une autre, de la vente des produits ayant fait l’objet des accords collusoires. Par conséquent, il ne serait pas justifié de ne pas tenir compte des chiffres d’affaires dits ‘internes’. Admettre le point de vue de la requérante conduirait à accorder un traitement de faveur injustifié aux
producteurs intégrés». En outre, il serait «inexact de soutenir qu’aucun chiffre d’affaires n’a été réalisé avec les produits de carton en cause puisque ceux-ci ont été utilisés pour la production de boîtes pliantes écoulées sur le marché» (points 117 et 118 dudit arrêt).

67. Le Tribunal, pour sa part, a jugé que «les usines de fabrication de boîtes pliantes de la requérante, c’est-à-dire la requérante elle-même, ont tiré profit de l’entente en utilisant, en tant que matière première, le carton de sa propre production. En effet, contrairement aux transformateurs concurrents, la requérante n’a pas eu à supporter les augmentations de coûts causées par les augmentations de prix décidées de manière concertée» (point 127 de cet arrêt; c’est moi qui souligne).

68. À mon avis, cette approche correspond à la réalité économique sous-jacente à l’arrêt de la Cour dans l’affaire KNP BT/Commission (EU:C:2000:625, point 62) car, comme la Cour l’y a reconnu en substance, les sociétés intégrées verticalement peuvent tirer en aval des bénéfices des prix d’entente pratiqués en amont.

69. En conclusion, la Commission a totalement inversé le processus. Alors qu’elle aurait dû en principe inclure les ventes internes ou captives dans le chiffre d’affaires qui sert de base au calcul de l’amende sauf à prouver l’existence de circonstances exceptionnelles ou spéciales pour ne pas le faire, elle les a exclues au motif qu’il n’était pas établi ou qu’elle-même (ou Guardian?) n’avait pas prouvé que ces ventes internes avaient contribué à l’avantage concurrentiel créé par l’entente.

70. Autrement dit, en dépit de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal ainsi que de la pratique décisionnelle de la Commission exposées ci-dessus (et alors même que l’idée des lignes directrices de 2006 était justement de recentrer l’analyse sur le marché pertinent), la Commission a exclu les ventes internes sans avoir fourni la moindre motivation de cette exclusion ( 50 ).

71. Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant la décision litigieuse en ce qu’elle a exclu les ventes internes du chiffre d’affaires sans aucune motivation.

c) Comme certains participants à l’entente seulement étaient verticalement intégrés, l’exclusion de leurs ventes internes crée-t-elle une discrimination à l’égard de ceux qui ne l’étaient pas?

72. Rien n’empêche la Commission d’appliquer un coefficient réducteur de la sanction si elle l’estime justifié afin de respecter le principe de proportionnalité.

73. Ce faisant, la Commission ne peut cependant violer d’autres principes généraux, à savoir ici le principe d’égalité de traitement, selon lequel des situations comparables ne peuvent être traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié ( 51 ). Or, quand la Commission soutient dans la présente affaire qu’elle a traité tous les participants à l’entente de la même manière (en excluant
les ventes captives), elle oublie que seule parmi les quatre participants à l’entente, Guardian n’était pas verticalement intégrée.

74. La réduction de la sanction opérée par la Commission en excluant les ventes captives du chiffre d’affaires qui sert de base au calcul de l’amende a donc pour effet d’«avantager sans justification les sociétés verticalement intégrées» ( 52 ). Celles-ci pourraient ainsi «[échapper] à une sanction proportionnée à [leur] importance sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction» ( 53 ). En effet, ainsi les sociétés verticalement intégrées reçoivent une sanction qui, en valeur relative,
ne reflète pas leur capacité de fausser la concurrence et de bénéficier donc de cette violation.

75. À procéder de la sorte, il y a donc discrimination au détriment des entreprises qui ne sont pas verticalement intégrées, en l’occurrence Guardian.

76. À titre de simple commentaire, il ressort du dossier soumis à la Cour que Guardian s’est vu infliger la sanction la plus importante bien qu’elle soit le plus petit des quatre producteurs dans la zone EEE. Sa part de la capacité européenne de verre plat ne représente que 13 %, bien loin derrière Saint-Gobain (25 %), Pilkington (24 %) et Glaverbel (20 %) ( 54 ). Le chiffre d’affaires mondial réalisé au niveau du groupe Guardian s’est établi en 2004 à 3,878 milliards d’euros, tandis que celui de
Saint-Gobain a été huit fois supérieur (32,02 milliards d’euros), celui d’Asahi/Glaverbel quasiment trois fois supérieur et celui de Pilkington d’un montant comparable à celui de Guardian, avant son acquisition ultérieure par Nippon Sheet Glass ( 55 ).

77. Je note encore que l’exclusion des ventes internes conduisait à réduire la dimension globale du marché pertinent de 2,7 à 1,7 milliard d’euros, ce qui a conduit à modifier très substantiellement, au niveau de la valeur des ventes, le poids relatif de chaque entreprise concernée dans l’entente, critère imposé par les lignes directrices de 2006.

78. Enfin, je ne vois pas en quoi, comme l’indique le point 106 de l’arrêt attaqué, les groupes verticalement intégrés seraient dans une situation objectivement différente des entreprises non intégrées, car l’entente ne porterait que sur les prix pratiqués à l’égard de clients indépendants. En effet, quelle est la pertinence de la différence de structure des entreprises dans le contexte du calcul de l’amende? Les seuls facteurs pertinents sont effectivement ceux visant à refléter la gravité et la
durée de l’infraction (ce qui est confirmé par le libellé du règlement no 1/2003 ( 56 )) et le poids relatif dans le marché pertinent des participants à l’entente afin de conférer à la sanction un caractère proportionné et dissuasif.

79. À cet égard, la Commission s’est plainte à l’audience de ce que l’obligation pour elle de toujours tenir compte des ventes captives pour le calcul de l’amende entraînerait une forte augmentation des amendes infligées aux groupes verticalement intégrés participant à des ententes. Il suffit de faire remarquer que l’effet d’amplification des amendes pour les groupes verticalement intégrés résulte du choix du législateur de l’Union de retenir, pour le calcul des amendes, la notion de chiffre
d’affaires plutôt que celles de résultat d’exploitation ou de bénéfice ( 57 ).

80. Il découle de ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas la rupture d’égalité de traitement entre les destinataires de la décision litigieuse. Partant, l’arrêt attaqué doit être annulé.

d) Comment remédier à cette discrimination?

81. Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal. Je suis d’avis que le litige est en état d’être jugé par la Cour.

82. Guardian est le seul producteur non intégré concerné par la décision litigieuse et donc la seule entreprise qui n’a pas bénéficié de la réduction des amendes résultant de l’exclusion des ventes captives, dont ont bénéficié les autres destinataires de cette décision.

83. On ne peut évidemment plus inclure les ventes captives des autres destinataires de la décision litigieuse et augmenter leurs amendes, puisqu’elles n’ont pas formé de recours contre la décision litigieuse qui est devenue définitive à leur égard ( 58 ).

84. Reste à décider si la discrimination peut alors être supprimée par une réduction de l’amende infligée à Guardian d’une manière qui reflète la réduction globale des amendes infligées aux autres entreprises par le biais de l’exclusion de leurs ventes captives.

85. À l’audience devant la Cour, la Commission s’est opposée à cette possibilité au double motif que les amendes ne seraient plus calculées de la même façon pour tous les participants et que l’amende de Guardian ne serait plus suffisamment dissuasive au regard de la gravité de son comportement.

86. Je ne partage pas l’opinion de la Commission. Je me rallie au contraire à la solution qu’avait retenue le Tribunal dans son arrêt JFE Engineering/Commission ( 59 ).

87. Plutôt que d’augmenter les amendes infligées aux fabricants européens, il a réduit les amendes infligées à des fabricants japonais, alors même qu’il avait retenu que la Commission avait sous-estimé l’ampleur de la participation des fabricants européens à l’infraction. Le Tribunal a renoncé à la solution (plus logique en l’occurrence) d’augmenter l’amende de la catégorie injustement favorisée parce que la Commission n’avait évoqué l’éventualité de cette majoration que lors de l’audience et que
les intéressés n’avaient pas été invités à présenter leurs observations à ce sujet. Il ne peut qu’en être a fortiori ainsi dans la présente affaire où toute possibilité de modifier l’amende infligée aux autres participants à l’entente que Guardian est exclue.

88. De plus, le fait qu’il ne soit plus possible d’effacer le fait générateur d’une inégalité de traitement ne signifie pas que les droits de la victime ne puissent être protégés.

89. Ainsi, en matière de fonction publique, par exemple, lorsque, à la suite d’un recours, une épreuve d’un concours général est annulée, les candidats lésés doivent être rétablis dans leurs droits sans pour autant qu’il soit nécessaire de remettre en cause l’ensemble des résultats du concours et de porter atteinte à la confiance légitime des lauréats du concours ( 60 ). Dans une telle situation, la jurisprudence en matière de fonction publique impose au juge de rechercher une solution équitable et
la présente affaire appelle une réponse analogue.

e) Conclusion intermédiaire

90. Dès lors, pour corriger la discrimination, je suis d’avis qu’il appartient à la Cour de compenser l’exclusion des ventes captives en réduisant le montant de l’amende qui a été infligée à Guardian au prorata des ventes internes dans le marché pertinent. Cette solution est d’ailleurs compatible avec les lignes directrices de 2006, dans la mesure où elle permet de refléter de manière appropriée le poids relatif de l’entreprise sur le marché pertinent, et a déjà été adoptée par le Tribunal dans sa
jurisprudence ( 61 ).

91. Avant d’aller plus loin, je dois cependant examiner le deuxième moyen de Guardian, lequel porte (indirectement) sur le pourcentage correct à appliquer dans le contexte de cette réduction.

92. Le deuxième moyen est dirigé contre les points 21 et 22 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a déclaré recevable la lettre du 10 février 2012.

93. Guardian rappelle que, devant le Tribunal, le mémoire en défense de la Commission était resté silencieux sur le point de savoir comment effacer l’inégalité de traitement dans le calcul des amendes. Le Tribunal, par questions des 19 décembre 2011 et 10 janvier 2012, a invité la Commission à se prononcer sur ce point. Dans sa réponse du 23 janvier 2012, la Commission se serait bornée à indiquer qu’une amende réduite de près de 40 % ne serait pas assez dissuasive.

94. Le 16 janvier 2012, Guardian a demandé au Tribunal d’être autorisée à produire certaines pièces à l’appui de son argumentation visant à la réduction de l’amende. La Commission, par lettre du 31 janvier 2012, se serait opposée à cette demande, au motif que la production tardive d’offres de preuves porterait atteinte aux droits de la défense.

95. Après y avoir été autorisée par le Tribunal, Guardian a déposé une nouvelle pièce le 8 février 2012, soit dans le délai qui lui avait été indiqué.

96. Le 10 février 2012, dernier jour ouvrable avant l’audience du 13 février 2012, la Commission a adressé au Tribunal une lettre précisant sa position quant à la réduction éventuelle de l’amende. Selon Guardian, cette lettre contenait des éléments nouveaux qui ne figuraient pas au dossier.

97. Bien que cette lettre ait été déposée hors délai, le Tribunal, au point 22 de l’arrêt attaqué, l’a déclarée recevable eu égard, d’une part, «à son contenu» et, d’autre part, «au fait que celle-ci a[vait] été transmise aux requérantes, qui ont donc pu présenter leurs observations à son sujet lors de l’audience».

98. Selon la Commission, le deuxième moyen n’est pas fondé, car rien n’interdirait au Tribunal d’accepter une réponse tardive, conformément à l’article 11, paragraphe 2, des instructions au greffier du Tribunal ( 62 ). En outre, en raison de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal pourrait tenir compte d’éléments factuels produits tardivement, sous réserve du respect du principe du contradictoire. Celui-ci aurait été assuré en l’espèce, puisque Guardian a pu répondre au contenu de la lettre
du 10 février 2012 lors de l’audience. Qu’elle ait choisi de ne pas le faire ne changerait rien.

99. La Commission ajoute qu’elle s’est efforcée de répondre par écrit le plus rapidement possible à la lettre de Guardian du 8 février 2012 en transmettant à Guardian et au Tribunal sa lettre du 10 février 2012 et qu’elle aurait pu se contenter de présenter ses observations lors de l’audience.

100. À mon avis, le Tribunal ne pouvait accepter la lettre en question, en faisant dépendre la recevabilité d’une pièce produite hors délai de la nature de son contenu. La raison en est simple: son règlement de procédure et les instructions au greffier (notamment l’article 11) encadrent strictement les conditions dans lesquelles peuvent être produites des preuves ou des offres de preuves. De plus, quant au contenu de la lettre, dont parle le point 22 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’offre aucune
motivation permettant de comprendre les raisons justifiant la recevabilité de preuves soumises la veille de l’audience, en violation des règles de procédure.

101. En effet, alors que la Commission fait observer que le président du Tribunal peut exceptionnellement reporter une échéance, il suffit de relever que, dans la présente affaire, la Commission avait déjà obtenu une prolongation ( 63 ) et s’est abstenue d’en demander une autre et de pouvoir ainsi justifier la production tardive de la pièce en cause ( 64 ). Selon l’article 11, paragraphe 3, alinéa 2, des instructions au greffier du Tribunal, les demandes de prorogation de délais doivent être dûment
motivées, présentées en temps utile avant l’expiration du délai fixé et une telle échéance ne peut être reportée qu’une seule fois, sauf motifs exceptionnels ( 65 ). Dès lors, l’argument qu’une seconde prolongation pourrait avoir été accordée «implicitement» ne peut être retenu.

102. La Commission devait savoir qu’elle ne pouvait introduire au dossier: i) un document contenant des faits et des chiffres en réponse à un argument invoqué par Guardian dès le début de la procédure, quatre ans auparavant; ii) à la dernière minute à la veille de l’audience ( 66 ); iii) hors délai et donc tardivement; iv) sans consulter le Tribunal quant à la licéité de cette démarche et donc sans son autorisation; v) et sans justifier son retard à compléter sa réponse du 23 janvier 2012.
L’argument que la Commission a transmis la lettre à Guardian après l’avoir envoyée au Tribunal ne change rien à ce qui précède.

103. Je suis donc d’avis que la lettre de la Commission était irrecevable et que le Tribunal a commis une erreur de droit en l’acceptant. La Cour se doit donc de la retirer du dossier et de ne pas tenir compte de son contenu.

104. Ainsi que Guardian l’a relevé, la Commission a exclu un milliard d’euros de ventes captives sur un volume total de marché de 2,7 milliards d’euros. Ce chiffre résulte de la différence entre le montant total des ventes de verre plat retenu dans la décision litigieuse, à savoir 1,7 milliard d’euros (considérant 41 de la décision litigieuse) et le montant total retenu dans la communication des griefs, à savoir 2,7 milliards d’euros ( 67 ), et représente donc 37 % du volume total du marché
initialement retenu.

105. En conséquence, après la réduction de 37 %, l’amende de Guardian doit être fixée à 93 240 000 euros au lieu de 148000000 euros.

B – Sur le troisième moyen

106. Guardian fait valoir en substance que, en l’espèce, la durée de la procédure devant le Tribunal constitue une violation de son droit fondamental à un procès équitable dans un délai raisonnable, visé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

107. La Commission, après avoir estimé que ce moyen était irrecevable, a retiré à l’audience ses exceptions d’irrecevabilité au vu des arrêts dans les affaires Gascogne et autres ( 68 ). Sur le fond, la Commission conteste l’argumentation de Guardian. Elle conteste que la présente affaire ait présenté un caractère d’urgence pour Guardian ainsi que l’argument selon lequel le retard pris par le Tribunal ait pu lui causer un préjudice, puisque son recours a été rejeté. La Commission estime que toute
réduction de l’amende par la Cour devrait, en l’espèce, être symbolique ou extrêmement limitée.

1. Analyse

a) Introduction

108. Tout d’abord, il convient de rappeler l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte qui dispose que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi». Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, «cet article est afférent au principe de protection juridictionnelle effective» ( 69 ). À ce titre, un tel droit, dont l’existence a été affirmée avant l’entrée en
vigueur de la Charte en tant que principe général de droit de l’Union, est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission ( 70 ).

109. En effet, ainsi que la Cour EDH l’a rappelé, «aux termes de l’article 6 [paragraphe 1, de la CEDH] les causes doivent être entendues ‘dans un délai raisonnable’; la Convention souligne par là l’importance qui s’attache à ce que la justice ne soit pas rendue avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité» (c’est moi qui souligne) ( 71 ).

110. À mon avis, le mécanisme adéquat de réparation d’une violation du principe du délai raisonnable par le Tribunal dans une affaire comme celle en cause serait – pour des raisons d’économie de procédure, mais également afin de garantir un recours immédiat et effectif – une réduction de l’amende, plutôt que de laisser aux parties le soin d’introduire un recours en dommages-intérêts devant le Tribunal, lequel, par définition, avait été trouvé en défaut de respecter ledit principe en n’étant pas en
mesure de statuer dans un délai raisonnable.

111. Il est en effet paradoxal qu’il ne soit possible de réparer une durée excessive de procédure judiciaire qu’en étant obligé d’introduire un autre recours, lequel impliquera nécessairement de nouveaux coûts (tant pour les parties que pour la société) et de longs délais.

112. L’avocat général Léger notait en plus au point 67 de ses conclusions dans l’affaire Baustahlgewebe/Commission ( 72 ): «[s]ans préjuger, là non plus, le caractère déraisonnable du délai de jugement du Tribunal ni la part de responsabilité qui lui incomberait en l’espèce, il ne peut être envisagé de confier à une instance juridictionnelle la mission de se prononcer sur le caractère fautif ou illégal de son propre comportement. Nul doute qu’il y aurait là une atteinte au principe du tribunal
impartial, tel qu’il est énoncé par l’article 6, paragraphe 1, de la convention. Cette atteinte nous paraît difficilement pouvoir être évitée par le renvoi de l’affaire à une formation de jugement différente dès lors que, si l’on adopte l’approche de la Cour de Strasbourg, la modification de la composition d’une juridiction peut ne pas tout à fait suffire à effacer l’impression de partialité qui naîtrait du jugement de cette juridiction par elle-même […]».

113. Tel était aussi l’avis de l’avocat général Kokott dans les conclusions qu’elle a présentées dans les affaires Solvay/Commission ( 73 ).

114. Ce fut aussi l’approche suivie par la Cour dans l’arrêt Baustahlgewebe/Commission ( 74 ). Selon l’avocat général Kokott, pareille approche satisfait «[l]’exigence d’une mise en œuvre effective du droit de la concurrence […], dans la mesure où la constatation de l’infraction et l’obligation pour l’entreprise concernée d’y mettre fin demeurent dans un tel cas […]. L’effet dissuasif de l’amende fixée par la Commission, à l’origine, ou par le Tribunal est préservé à l’égard des autres opérateurs
économiques. [Elle] ne remet pas en cause l’adéquation de son montant par rapport aux faits constitutifs de l’infraction [et] entraîne simplement une espèce de compensation entre le montant initial de l’amende et le montant considéré comme représentant la juste compensation de la durée excessive de la procédure» (point 332).

115. Elle ajoutait que, «[p]our des raisons d’économie de procédure et afin de garantir à l’entreprise concernée un remède immédiat et effectif contre une telle irrégularité, la Cour devrait continuer à suivre, là où cela apparaît possible, à savoir dans les affaires ayant donné lieu à l’infliction d’amendes, l’approche qu’elle a esquissée dans l’arrêt Baustahlgewebe/Commission» (point 331).

116. Par ailleurs, dans certains droits nationaux, la constatation par le juge d’un délai déraisonnable ( 75 ) dans une affaire pénale a un effet direct sur la peine.

117. Toutefois, dans un arrêt récent (Groupe Gascogne/Commission, EU:C:2013:770), rendu en grande chambre, la Cour s’est clairement prononcée pour l’autre solution: excluant la possibilité de demander la sanction d’une violation du principe du délai raisonnable dans le cadre d’un pourvoi (point 84), elle juge, se référant à l’article 47 de la Charte sans citer l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, que pareille violation de ce principe par une juridiction de l’Union ne peut être réparée que par un
recours en indemnisation devant le Tribunal (point 83), compétent pour les actions introduites contre l’Union en matière de responsabilité extracontractuelle.

118. La Cour s’était certes déjà prononcée de la même manière dans l’arrêt Der Grüne Punkt (EU:C:2009:456) mais dans ce dossier, si la Commission avait constaté l’existence d’un abus de position dominante, aucune amende n’avait été infligée, ce qui n’était pas le cas dans les affaires Gascogne et autres.

119. Je crois qu’il convient de considérer que, par cet arrêt Groupe Gascogne/Commission (EU:C:2013:770), la Cour a clairement abandonné l’approche consistant à réduire l’amende pour réparer une violation du principe du délai raisonnable. C’est sur cette base que je me vois donc obligé de raisonner dans la présente affaire en relevant quelques autres éléments de l’arrêt Groupe Gascogne/Commission qui guideront aussi mon raisonnement.

120. En premier lieu, la Cour a jugé que, en l’absence d’incidence sur la solution du litige de la durée excessive de la procédure, le non-respect d’un délai de jugement raisonnable ne saurait conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué dans le cadre d’un pourvoi. Comme les sociétés concernées n’avaient fourni à la Cour aucun indice démontrant que le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable avait pu avoir une incidence sur la solution des litiges dont ce dernier avait été
saisi, la Cour a rejeté les demandes des sociétés visant à l’annulation des arrêts du Tribunal.

121. En second lieu, comme expliqué précédemment, la Cour désigne le Tribunal comme seule juridiction compétente pour statuer sur une violation du principe du délai raisonnable. La règle est désormais dénuée d’ambiguïté: «une demande visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable ne peut être soumise directement à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, mais doit être introduite devant le Tribunal lui‑même» (point 84 de l’arrêt
Groupe Gascogne/Commission, EU:C:2013:770). La Cour poursuit en détaillant les critères permettant d’apprécier si le Tribunal a respecté le principe du délai raisonnable (points 85 à 87) et conclut, au point 88, qu’«il appartiendra également au Tribunal d’apprécier tant la matérialité du dommage invoqué que le lien de causalité de celui-ci avec la durée excessive de la procédure juridictionnelle litigieuse en procédant à un examen des éléments de preuve fournis à cet effet» (c’est moi qui
souligne). L’utilisation de l’adverbe «également» devrait impliquer que l’appréciation des critères énumérés dans les points précédents relève de la compétence de la même juridiction que celle désignée au début et à la fin du raisonnement, c’est-à-dire le Tribunal. Cette lecture de l’arrêt Groupe Gascogne/Commission (EU:C:2013:770) devrait nous amener à déclarer irrecevable le troisième moyen de Guardian. Toutefois, une autre lecture de l’arrêt est possible puisque, dans cet arrêt, la Cour, de
façon certes quelque peu paradoxale, statue elle-même sur la question de savoir s’il y a eu ou non violation dudit principe, en la caractérisant de violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union. Elle a estimé, pour arriver à cette conclusion, que ni la complexité du litige, ni le comportement des parties, ni la survenance d’incidents procéduraux ne pouvait justifier la longueur de la procédure devant le Tribunal.

122. Pris dans leur globalité, les développements de la Cour relatifs à la violation du principe du délai raisonnable dans l’arrêt Groupe Gascogne/Commission (EU:C:2013:770) semblent donc impliquer que des trois conditions requises pour établir la responsabilité extracontractuelle de l’Union européenne, à savoir l’existence d’une règle de droit de l’Union ayant pour but de protéger les particuliers (ce qui est le cas du principe du délai raisonnable), la violation suffisamment caractérisée de cette
règle et l’existence d’un lien causal entre cette violation et un préjudice, le Tribunal ne devrait examiner que cette dernière, en ce compris l’évaluation de ce préjudice.

123. Si la Cour exclut la première lecture de l’arrêt Groupe Gascogne/Commission (EU:C:2013:770) qui devrait conduire à l’irrecevabilité du troisième moyen et transpose à la présente affaire la méthodologie qui a été la sienne dans l’affaire Groupe Gascogne/Commission, elle devrait alors se prononcer sur l’existence ou non d’une violation du principe du délai raisonnable.

b) La présente affaire

124. Aux fins de l’examen de cette question dans la présente affaire, je me baserai sur les arrêts dans les affaires Baustahlgewebe/Commission (EU:C:1998:608) et Gascogne et autres, où la Cour a conclu à une violation du principe du délai raisonnable.

125. Dans l’arrêt Baustahlgewebe/Commission (EU:C:1998:608, point 29), la Cour a énoncé les critères selon lesquels il convenait d’apprécier la durée globale d’une procédure et, en particulier, des périodes d’inactivité inexpliquées, à savoir l’«enjeu réel» pour le requérant, la complexité de l’affaire et le comportement du requérant qui aurait pu contribuer au retard.

126. Dans cette affaire, la durée globale de la procédure au Tribunal avait été de 5 ans et 6 mois. La Cour a relevé la longueur inexpliquée et selon elle injustifiée de deux périodes d’inactivité, à savoir les 2 ans et 8 mois qui ont séparé la fin de la procédure écrite et l’ouverture de la procédure orale ainsi que les 22 mois séparant la clôture de cette procédure orale et le prononcé de l’arrêt du Tribunal (points 45 et 46).

127. Dans les affaires Gascogne et autres, la durée globale de la procédure devant le Tribunal a été de 5 ans et 9 mois, la Cour jugeant que cette longueur «ne [pouvait] être justifiée par aucune des circonstances propres à l’affaire» (point 91).

128. Selon la Cour, «qu’il s’agisse de la complexité du litige, du comportement des parties ou encore de la survenance d’incidents procéduraux» (point 92), rien ne justifie que 3 ans et 10 mois aient séparé la fin de la procédure écrite et l’ouverture de la procédure orale.

129. Si j’applique ces critères à la présente affaire, je ne peux arriver qu’à la même conclusion, et ce sur la base des constatations suivantes.

130. D’abord et avant tout, sur une durée totale de près de 4 ans et 7 mois, plus de 3 ans et 5 mois ( 76 ) se sont écoulés entre la clôture de la procédure écrite et la décision du Tribunal d’ouvrir la procédure orale, en l’absence de tout autre acte de procédure et sans aucune raison apparente ( 77 ). Cette période ne saurait s’expliquer par les circonstances de l’affaire, qu’il s’agisse de la complexité du litige, du comportement de Guardian ou encore de la survenance d’incidents procéduraux.

i) Sur la complexité du litige

131. La présente affaire ne peut être qualifiée de complexe, les arguments de Guardian se fondant sur des notes qui portaient sur quelques contacts entre des participants à une entente d’une durée d’un peu plus d’une année et un mois ( 78 ). Tous ces documents étaient rédigés en anglais, langue de la procédure ( 79 ).

132. Dans l’arrêt Baustahlgewebe/Commission (EU:C:1998:608), malgré qu’il fut constaté que la procédure «nécessitait un examen approfondi de documents relativement volumineux», cela n’a pas suffi pour que la Cour considère l’affaire comme suffisamment complexe pour justifier la longueur de la procédure.

133. Dans les affaires Gascogne et autres, la décision de la Commission était adressée à 25 destinataires (et il y avait presque autant de sociétés impliquées), dont 15 d’entre eux ont introduit un recours en annulation devant le Tribunal. Dans la présente affaire, il n’y avait que neuf destinataires de la décision litigieuse (et quatre sociétés impliquées, à savoir Guardian, Asahi/Glaverbel, Pilkington et Saint-Gobain), dont Guardian a été la seule à introduire un recours devant le Tribunal ( 80 ).

134. L’affaire Baustahlgewebe/Commission concernait une décision adressée à quatorze producteurs (dont onze avaient formé un recours dans trois langues différentes) qui avait donné lieu à deux étapes complètes d’échanges de mémoires ( 81 ). Et pourtant, dans cette affaire, le Tribunal avait organisé une audience neuf mois plus tôt que dans la présente affaire!

135. En outre, les moyens invoqués par Guardian ne présentaient pas un degré de difficulté particulièrement élevé. À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse, Guardian n’a invoqué qu’un seul moyen tiré d’erreurs de fait relatives à la durée de sa participation à l’entente et à la dimension géographique de celle-ci. Les conclusions tendant à la réduction de l’amende ne reposaient que sur trois moyens. Le premier visait à tirer les conséquences du moyen
d’annulation partielle. Par le deuxième, Guardian invoquait la violation du principe de non-discrimination et de l’obligation de motivation. Quant au troisième, il était pris d’une erreur d’appréciation quant au rôle de Guardian dans l’entente.

ii) Sur les incidents de procédure

136. Ainsi que dans les affaires Gascogne et autres, la procédure dans la présente affaire n’a été ni interrompue ni retardée par l’adoption d’une quelconque mesure d’organisation de celle-ci par le Tribunal.

iii) Sur l’enjeu réel pour Guardian et son comportement pendant la procédure

137. L’affaire était d’une importance considérable pour Guardian. En effet, le montant de son amende de 148 millions d’euros (contre 9,9 millions d’euros dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Groupe Gascogne/Commission, EU:C:2013:770) représentait 4 % de son chiffre d’affaires global. De plus, Guardian n’a nullement encombré ou retardé le cours de la justice. Sa requête introductive n’avait que 49 pages et Guardian a renoncé au deuxième jeu de pièces écrites (ce qui est rare dans les affaires de
droit de la concurrence) ( 82 ).

138. De plus, Guardian a pris l’initiative à trois reprises de rappeler au Tribunal qu’il n’avait pas encore fixé une date d’audience, soulignant chaque fois le délai considérable qui s’était écoulé depuis la clôture de la procédure écrite ( 83 ) et lui a écrit que la procédure orale restait curieusement ouverte quatre mois après l’audience, sans aucune demande aux parties de la part du Tribunal.

139. Enfin, le Tribunal n’a adressé aux parties aucune question écrite qui aurait pu allonger le délai pour ouvrir la procédure orale, se contentant de poser une question sur les faits lors de l’audience. Par ailleurs, il semblerait que le Tribunal n’a pris aucune initiative visant à accélérer la procédure durant la période d’inertie apparente de trois ans et cinq mois. Je conclus de ce qui précède que la procédure devant le Tribunal dans la présente affaire a violé l’article 47, deuxième alinéa, de
la Charte en ce qu’elle a méconnu les exigences liées au respect du délai de jugement raisonnable, ce qui constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ( 84 ).

140. Ainsi qu’il ressort de l’arrêt Groupe Gascogne/Commission (EU:C:2013:770) et pour autant que Guardian considère que ses difficultés financières invoquées dans son pourvoi présentent un lien de causalité avec le non-respect par le Tribunal du principe du délai de jugement raisonnable ( 85 ), il lui est loisible de le faire valoir dans le cadre d’un recours introduit devant le Tribunal au titre des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE (désormais articles 268 TFUE et 340, deuxième alinéa,
TFUE) ( 86 ).

141. À cet égard, il ressort de ladite jurisprudence de la Cour qu’il «appartiendra au Tribunal d’apprécier tant la matérialité du dommage invoqué que le lien de causalité de celui-ci avec la durée excessive de la procédure juridictionnelle litigieuse en procédant à un examen des éléments de preuve fournis à cet effet» (point 88 de cet arrêt).

142. À ce titre, «dans le cas d’un recours en indemnité fondé sur une violation, par le Tribunal, de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en ce qu’il aurait méconnu les exigences liées au respect du délai de jugement raisonnable, il incombe à celui-ci, conformément à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, de prendre en considération les principes généraux applicables dans les ordres juridiques des États membres pour traiter les recours fondés sur des violations similaires. Dans ce contexte,
le Tribunal doit notamment rechercher s’il est possible d’identifier, outre l’existence d’un préjudice matériel, celle d’un préjudice immatériel qui aurait été subi par la partie affectée par le dépassement de délai et qui devrait, le cas échéant, faire l’objet d’une réparation adéquate» (point 89 dudit arrêt).

143. Enfin, «[i]l appartient dès lors au Tribunal, compétent en vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, de se prononcer sur de telles demandes d’indemnité, en statuant dans une formation différente de celle qui a eu à connaître du litige ayant donné lieu à la procédure dont la durée est critiquée et en appliquant les critères définis aux points 85 à 89 [de l’arrêt Groupe Gascogne/Commission]» (point 90).

IV – Sur les dépens

144. Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 138 du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose à son paragraphe 3 que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

145. En ce qui concerne le présent pourvoi, vu le fait que la Commission a succombé, elle doit être condamnée aux dépens encourus par Guardian. En revanche, Guardian et la Commission ayant succombé partiellement en leurs conclusions dans le cadre de la procédure de première instance, il y a lieu de décider que chacune d’elles supporte ses propres dépens afférents à cette instance.

V – Conclusion

146. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer de la manière suivante:

— déclarer que, dans son arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (T‑82/08, EU:T:2012:494), le Tribunal de l’Union européenne a commis une erreur de droit dans la mesure où il a jugé recevable la lettre de la Commission européenne du 10 février 2012, alors qu’elle était produite hors délai, déclarer ladite lettre irrecevable et la retirer du dossier;

— annuler ledit arrêt, dans la mesure où, en confirmant la décision de la Commission excluant les ventes captives du calcul des amendes infligées aux autres destinataires de la décision, créant ainsi une discrimination au détriment des requérantes, le Tribunal a commis une erreur de droit;

— par conséquent, réduire de 37 % le montant de l’amende infligée aux requérantes en la fixant à 93 240 000 euros au lieu de 148000000 euros;

— déclarer que le Tribunal n’a pas statué dans un délai raisonnable;

— décider que chaque partie supporte ses propres dépens afférents à la première instance et que la totalité des dépens de la présente instance sont maintenus à la charge de la Commission.

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( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) ? T‑82/08, EU:T:2012:494, ci-après l’«arrêt attaqué».

( 3 ) ? C(2007) 5791 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE [désormais article 101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/39165 – Verre plat), dont un résumé a été publié au JO 2008, C 127, p. 9 (ci-après la «décision litigieuse»). J’utiliserai l’ancienne numérotation du traité dans les présentes conclusions dans la mesure où la décision litigieuse a été prise sous l’empire du traité CE.

( 4 ) ? Arrêts Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89, point 117); KNP BT/Commission (C‑248/98 P, EU:C:2000:625, point 62, rendu sur pourvoi contre l’arrêt KNP BT/Commission, T‑309/94, EU:T:1998:91); Lögstör Rör/Commission (T‑16/99, EU:T:2002:72, point 360) et Tokai Carbon e.a./Commission (T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, EU:T:2005:220, point 260).

( 5 ) ? Selon la Commission, au point 33 du pourvoi, les requérantes n’attaquent pas les constatations de fait du Tribunal, mais affirment seulement que ce dernier a appliqué une norme juridique erronée pour déterminer la pertinence de ces constatations.

( 6 ) ? Voir, notamment, arrêt Viho/Commission (C‑73/95 P, EU:C:1996:405, points 16 et 17).

( 7 ) ? Arrêt KNP BT/Commission (EU:C:2000:625, point 62).

( 8 ) ? Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement no 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci‑après les «lignes directrices de 1998»).

( 9 ) ? Une note en bas de page dans les lignes directrices de 2006 précise que «Tel sera le cas par exemple pour les accords de prix horizontaux portant sur un produit donné, lorsque le prix de ce produit sert ensuite de base pour le prix de produits de qualité supérieure ou inférieure».

( 10 ) ? Voir, par exemple, de Broca, H., The Commission revises its Guidelines for setting fines in antitrust cases, paru dans la publication officielle de la DG «Concurrence» de la Commission: Competition Policy Newsletter, numéro 3, L’automne 2006, p. 1, qui explique que, «by using a clearer reference to each undertaking’s ‘value of sales’, the 2006 Guidelines intend to reflect, even approximately and imperfectly, the economic importance of the infringement as a whole as well as the relative
weight of each undertaking participating in the infringement. The 1998 Guidelines, based on a lump sum system, have often been critici[s]ed on that particular aspect, even though this criticism was largely misplaced. In fact, a number of tools corrected the obvious drawbacks of a pure lump sum system. For instance, the Commission fixed starting amounts below the 20 million euros threshold mentioned in the 1998 Guidelines for very serious infringements taking place on small markets; it also
differentiated between undertakings on the basis of their respective size in the market concerned (the so-called ‘groupings’) [...]. If anything, the 1998 Guidelines rather reflected the insufficient level of fines imposed on ‘large’ infringements or on large players, something which the 2006 Guidelines will probably correct».

( 11 ) ? Voir, par exemple, la doctrine suivante: Castillo de la Torre, F., The 2006 Guidelines on Fines: Reflections on the Commission’s Practice, (2011) 33 World Competition 359 (note 37): «In the press release relating to the Cement cartel (IP/94/1108), the Commission stated: ‘calculation [of fines] is normally based on the Community turnover in the product concerned’. In Cartonboard, the Commission explained the method used: ‘fines of a basic level of 9 or 7.5 % of the turnover of each
undertaking addressed by the decision on the Community cartonboard market in 1990 were imposed on the undertakings regarded as the “ringleaders” of the cartel and on the other undertakings respectively’ (Case T‑348/94, Enso Española v. Commission [1998] ECR II‑1875, para. 247). See also, the calculation of the fine in Steel Beams, in Case T‑151/94, British Steel v. Commission [1999] ECR II‑629, paras 598–605».

( 12 ) ? Voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 209 et jurisprudence citée, point 258). Voir également, entre autres, arrêts du Tribunal Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission (T‑69/04, EU:T:2008:415, points 176 et 177); Tomra Systems e.a./Commission (T‑155/06, EU:T:2010:370, point 317) et Ballast Nedam Infra/Commission (T‑362/06, EU:T:2012:492, point 122).

( 13 ) ? Voir, également, conclusions de l’avocat général Mischo dans cette affaire (EU:C:2000:258), qui ont été suivies par la Cour.

( 14 ) ? C‑389/10 P, EU:C:2011:816, point 126.

( 15 ) ? Arrêt Groupe Danone/Commission (T‑38/02, EU:T:2005:367, point 523).

( 16 ) ? Voir dans ce contexte, par exemple, la doctrine The 2006 Guidelines on Fines: Reflections on the Commission’s Practice, précitée, selon laquelle la décision «Verre automobile»«does not deviate from the 2006 Guidelines, but rather applies the concept of sales indirectly or directly related to the infringement to the case at hand». En effet, «much depends on whether the concept of sales ‘relating’ to the infringement is narrowly or broadly construed» (Kerse, C. S., et Khan, N., EU Antitrust
Procedure, sixième édition, Sweet & Maxwell, Londres, 2012, p. 417). De plus, en ce qui concerne les lignes directrices de 2006 et la notion de valeur des ventes, «[t]he adoption of this new calculation method has somewhat reduced the margin of discretion of the Commission which, in every case, has to take a reasoned position on the sales included in the calculation of the fines. The identification of the goods and services to which the infringement indirectly or directly relates when setting the
fine is expected to be a bone of contention in many cases. In several decisions already adopted under the [2006] Fining Guidelines, the determination of the value of the undertaking’s sales of goods or services related to the infringement was highly debated […] [It follows from the Commission’s practice] that, in order to determine the basic amount of the fine in cartel cases, the Commission need not provide proof of each occasion on which individual sales were affected by the cartel activities»
(Van Bael & Bellis, Competition Law of the European Community, edition Kluwer Law, 5e édition, p. 1100).

( 17 ) ? Elle cite ses décisions C(2009) 7601 final, du 7 octobre 2009, dans l’affaire COMP/39.129, Transformateurs de puissance, et C(2011) 7436 final, du 19 octobre 2011, dans l’affaire COMP/39.605, Verre pour tubes cathodiques.

( 18 ) ? Ce qui est, vu la jurisprudence citée ci-dessous (aux points 62 à 64 des présentes conclusions), critiquable en soi.

( 19 ) ? Voir, à cet égard, également point 70 des présentes conclusions.

( 20 ) ? Voir jurisprudence citée ci-dessous (aux points 62 à 64 des présentes conclusions).

( 21 ) ? Décision de la Commission, du 11 mars 2008, C(2008) 926 final (affaire COMP/38543 – services de déménagements internationaux), considérants 532 et 533.

( 22 ) ? The EU Competition Law Fining System: A Reassessment (TILEC Discussion Paper, 2011-052), Tilburg, TILEC (traduction libre).

( 23 ) ? Arrêt Team Relocations e.a./Commission (T‑204/08 et T‑212/08, EU:T:2011:286, points 60 à 68).

( 24 ) ? Arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 121).

( 25 ) ? Arrêts British Steel/Commission (T‑151/94, EU:T:1999:52, point 643) et Saint-Gobain Gyproc Belgium/Commission (T‑50/03, EU:T:2008:252, point 84). Le Tribunal a également rejeté l’argument «à titre subsidiaire» de Team Relocations, selon lequel la valeur des ventes pertinente ne devrait pas inclure le chiffre d’affaires réalisé sur les déménagements de particuliers, c’est-à-dire non pris en charge par un tiers dans la mesure où les pratiques infractionnelles n’avaient pas été appliquées à
ces déménagements.

( 26 ) ? Arrêt Team Relocations e.a./Commission (C‑444/11 P, EU:C:2013:464).

( 27 ) ? Le libellé complet du point 76: «Il s’ensuit que le point 13 des lignes directrices […] a pour objectif de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids de cette entreprise dans celle-ci. Par conséquent, si la notion de valeur des ventes visée au point 13 des lignes directrices […] ne saurait, certes, s’étendre jusqu’à englober les ventes réalisées par l’entreprise en cause qui ne
relèvent pas du champ d’application de l’entente reprochée, il serait toutefois porté atteinte à l’objectif poursuivi par cette disposition si cette notion s’entendait comme ne visant que le chiffre d’affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu’elles ont réellement été affectées par cette entente».

( 28 ) ? Voir, également, points 85 à 87 dudit arrêt de la Cour.

( 29 ) ? Décision de la Commission, du 3 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.38.359 ‐ Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques) (JO 2004, L 125, p. 45).

( 30 ) Décision de la Commission C(2010) 8761 final dans l’affaire COMP/39.309; considérant 382: «Though both Direct EEA Sales and Direct EEA Sales Through Transformed Products lead to the inclusion of – respectively – sales to related companies and intra-group sales for some of the parties, focusing on the first EEA sale of the product concerned by the infringement – whether transformed or not – to a company that is not part of the supplier undertaking ensures that no discrimination is made between
vertically integrated companies and non-vertically integrated companies»; considérant 383: «As concerns Direct EEA Sales Through Transformed Products, the consumer harm inflicted by the cartel arrangements is clearly represented by the value of panels delivered within the transformed products to the final consumer in the EEA» et enfin considérant 394: «in general, as explained in recital 238 with reference to the Cartonboard case, it can be reasonably assumed that an implemented cartel had effects
on direct sales through transformed products». Ledit considérant 238 se lit comme suit: «As confirmed by the General Court in [Europa Carton/Commission], even if the higher price resulting from a cartel is not always or not in its entirety passed on to intra-group customers, the competitive advantage deriving from this positive discrimination does foreseeably influence competition on the market […] Intra-group sales of LCD panels – in as far as they ended up into transformed products sold in the
EEA – are therefore to be taken into account, just like intra-cartel sales in the EE».

( 31 ) ? (Traduction libre.) Il peut être noté à cet égard que, dans la décision C(2008) 3043 de la Commission, du 25 juin 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/39.180 – Fluorure d’aluminium) (qui a donné lieu à l’arrêt ICF/Commission, T‑406/08, EU:T:2013:322, et ensuite à l’affaire C‑467/13 P, actuellement en cours), la Commission a considéré que la question de savoir si les ventes captives avaient été prises en considération afin
de calculer la valeur des ventes et l’amende finale n’était pas pertinente.

( 32 ) ? Arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88, points 60 et suiv.). Voir, également, arrêt InnoLux/Commission (T‑91/11, EU:T:2014:92).

( 33 ) ? Voir, en ce sens, arrêt Putters International/Commission (T‑211/08, EU:T:2011:289, point 58).

( 34 ) ? Arrêts T‑Mobile Netherlands e.a. (C‑8/08, EU:C:2009:343, point 38) et GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a. (C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, EU:C:2009:610, point 63).

( 35 ) ? Décision C(2010) 4185 final de la Commission, du 23 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.092 — Installations sanitaires pour salles de bains).

( 36 ) ? Voir sur cette problématique, également, Kerse, C. S., et Khan, N., p. 412 à 419.

( 37 ) ? Arrêt Villeroy & Boch Austria e.a./Commission (EU:T:2013:455, points 335 et suiv.); par exemple point 342: «force est de constater qu’elles n’établissent pas que la coordination de prix de vente aux grossistes selon lesdits barèmes de prix bruts était sans aucune influence sur la fixation des autres barèmes de prix. Or, comme le fait observer la Commission dans ses écritures sans que les requérantes avancent d’argument ou de preuve contraires, les barèmes de prix bruts appliqués aux ventes
de produits aux grossistes faisant l’objet d’une coordination étaient de nature à servir de barème de référence aux fabricants d’installations sanitaires pour salles de bains lorsque ces derniers vendaient aux grossistes leurs produits qui n’étaient pas destinés au circuit de distribution en trois étapes». Voir, également, arrêts Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, EU:T:2013:457), Rubinetteria Cisal/Commission (T‑368/10, EU:T:2013:460) («Installations sanitaires pour
salles de bains») ainsi que Parker ITR et Parker-Hannifin/Commission (T‑146/09, EU:T:2013:258) («Tuyaux marins»).

( 38 ) ? Arrêt KME Germany e.a./Commission (EU:T:2009:142, points 89 à 91).

( 39 ) ? Arrêt KME Germany e.a./Commission (EU:C:2011:810).

( 40 ) ? The London Metal Exchange (Bourse des métaux de Londres).

( 41 ) ? Le Tribunal se réfère ici à son arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission (T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, points 5030 et 5031).

( 42 ) ? Décision de la Commission C(2008) 6815 final, du 12 novembre 2008, dont un résumé est publié au Journal officiel du 25 juillet 2009 (JO C 173, p. 13).

( 43 ) ? Considérant 663: «the fact that specific evidence is not available for each and every discussion that took place on the respective car accounts within the overall arrangements does not limit the determination of the relevant value of sales to only those accounts for which such specific evidence is available».

( 44 ) ? Voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission (EU:C:2005:408, point 209 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêts Fuji Electric/Commission (T‑132/07, EU:T:2011:344, point 235) et (pour les lignes directrices de 2006) Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals/Commission (T‑83/08, EU:T:2012:48, point 107).

( 45 ) ? Ibidem (points 210 et 211 respectivement).

( 46 ) ? Arrêt Daiichi Pharmaceutical/Commission (T‑26/02, EU:T:2006:75, point 49).

( 47 ) ? Voir, par exemple, arrêt Martinelli/Commission (T‑150/89, EU:T:1995:70, point 59).

( 48 ) ? Voir, par analogie, arrêt Hercules Chemicals/Commission (T‑7/89, EU:T:1991:75, point 53), confirmé, sur pourvoi, par l’arrêt Hercules Chemicals/Commission (C‑51/92 P, EU:C:1999:357).

( 49 ) ? Arrêt JFE Engineering e.a./Commission (T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, EU:T:2004:221, point 537).

( 50 ) ? Il peut être noté ici que, bizarrement, dans la procédure administrative, le traitement des ventes captives/internes n’a été abordé ni dans la communication des griefs ni lors de l’audition orale. Comme s’il était supposé à ce moment que les ventes internes devaient être incluses. Remarquons aussi que, dans la décision litigieuse forte de 541 considérants, «aucun» d’entre eux n’est consacré à la justification de l’exclusion des ventes internes, qui apparaît comme une évidence de calcul lors
de l’établissement de l’amende. Il peut être noté également que: i) selon Guardian, la Commission a décidé en toute dernière minute de changer son opinion sur les ventes captives; et ii) selon l’article de doctrine publié par un agent de la Commission (The 2006 Guidelines on Fines: Reflections on the Commission’s Practice, précité, p. 369 et note 56): «There is no consolidated practice as regards ‘captive sales’, and it would appear that the Commission will assess the specific circumstances of the
case in order to decide whether to take them into account or not […] [the captive sales] were finally excluded in Flat Glass» (c’est moi qui souligne).

( 51 ) Voir, par exemple, arrêt Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (C‑550/07 P, EU:C:2010:512, points 54 et 55 et jurisprudence citée).

( 52 ) Voir arrêt KNP BT/Commission (EU:C:2000:625, point 62).

( 53 ) Idem.

( 54 ) Voir «Pilkington et l’industrie du verre plat 2006», p. 5, cité dans la décision litigieuse en note de bas de page 36.

( 55 ) ? Dans la communication des griefs, il était indiqué que la part de marché de Guardian s’établissait à 10 à 20 % (15,7 % étant le véritable taux, si l’on se base sur une dimension globale du marché de 1,7 milliard d’euros), mais cette part monte quasiment à 25 % dans la décision litigieuse en raison de l’exclusion des ventes internes aux trois autres participants à l’entente.

( 56 ) ? L’article 23, paragraphe 3, ne prévoit que ce qui suit: «[p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci», le montant étant évidemment soumis au plafond de 10 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise participant à l’infraction réalisé au cours de l’exercice social précédent (article 23, paragraphe 2, de ce règlement) (voir, à cet égard, mes conclusions dans l’affaire YKK e.a./Commission,
C‑408/12 P, actuellement en cours, présentées le 12 février 2014).

( 57 ) ? Cela dit, selon les lignes directrices de 2006, la Commission peut déroger aux règles y établies pour autant qu’elle le motive d’une manière appropriée.

( 58 ) ? Il peut être noté que, si les ventes captives avaient été incluses dans la valeur des ventes prise en compte, le montant total des amendes aurait été porté à environ 759,9 millions d’euros, avec une amende particulièrement élevée d’environ 335,4 millions d’euros, pour Saint-Gobain. La réponse de la Commission aux questions du Tribunal laisse entendre que, à la date de l’adoption de la décision litigieuse, une augmentation du montant total des amendes infligées aux autres participants aurait
été «disproportionnée», en particulier pour une infraction de courte durée. À cet égard, il est intéressant de noter qu’une autre amende de 896 millions d’euros pour l’entente de «Verre automobile» avait été infligée à Saint-Gobain en 2008, dans l’affaire Verre automobile. Par décision du 28 février 2013, la Commission a réduit l’amende de Saint-Gobain à 880 millions d’euros et celle de Pilkington à 357 millions d’euros à la suite d’une erreur de calcul. Voir, également, arrêt Saint Gobain Glass
France e.a./Commission (T‑56/09 et T‑73/09, EU:T:2014:160).

( 59 ) ? EU:T:2004:221, points 566 à 579.

( 60 ) ? Voir, par exemple, arrêt Commission/Albani e.a. (C‑242/90 P, EU:C:1993:284, points 13 à 17).

( 61 ) ? Arrêt JFE Engineering/Commission, EU:T:2004:221 (voir points 86 et suiv. des présentes conclusions).

( 62 ) ? Voir arrêt Vega Rodríguez/Commission (T‑285/02 et T‑395/02, EU:T:2004:324, point 24).

( 63 ) ? Dans la lettre du 6 janvier 2012, le Tribunal a d’ailleurs noté que, «[i]n principle, no further extension of this time-limit will be granted».

( 64 ) ? Selon l’article 11, paragraphe 3, des instructions au greffier du Tribunal, les demandes de prorogation de délais doivent être dûment motivées et présentées en temps utile.

( 65 ) ? D’ailleurs, selon l’article 11, paragraphe 2, de ces instructions (sur lequel essaie de s’appuyer la Commission): «Les actes de procédure qui parviennent au greffe après l’expiration du délai fixé pour leur dépôt ne peuvent être acceptés qu’avec l’autorisation du président» (c’est moi qui souligne).

( 66 ) ? Je suis d’accord avec Guardian pour soutenir que le principe de l’égalité des armes et le respect du contradictoire exigent que l’audience se limite, en principe, aux éléments du dossier qui ont pu être débattus par écrit. La simple possibilité d’être entendu à l’audience sur des pièces produites tardivement ne permet pas de respecter les droits de la défense (voir arrêt AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 27).

( 67 ) ? Voir point 100 de l’arrêt attaqué.

( 68 ) ? Arrêts Gascogne Sack Deutschland/Commission (C‑40/12 P, EU:C:2013:768), Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771) et Groupe Gascogne/Commission (C‑58/12 P, EU:C:2013:770), ci-après les «affaires Gascogne et autres».

( 69 ) ? Voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission (C‑385/07 P, EU:C:2009:456, point 179 et jurisprudence citée, ci-après l’«arrêt Der Grüne Punkt»). La Cour a constaté à plusieurs reprises que le droit à un procès équitable, tel qu’il découle, notamment, de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»), constitue un droit fondamental que l’Union européenne respecte en tant que
principe général en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE (voir, notamment, arrêt Legris Industries/Commission, C‑289/11 P, EU:C:2012:270, point 36).

( 70 ) ? Voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt (EU:C:2009:456, point 178 et jurisprudence citée). Voir, par exemple, Cour EDH, Erkner et Hofauer c. Autriche no 9616/81, § 66, 23 avril 1987.

( 71 ) ? Voir Cour EDH, H. c. France, 24 octobre 1989, série A no 162, § 58.

( 72 ) ? Conclusions C‑185/95 P, EU:C:1998:37.

( 73 ) ? Conclusions C‑109/10 P, EU:C:2011:256, points 325 à 332, et C‑110/10 P, EU:C:2011:257, points 166 à 173.

( 74 ) EU:C:1998:608.

( 75 ) ? En ce qui concerne la question de savoir quelle période peut être considérée comme «raisonnable» (et ce par rapport à l’article 6 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour EDH), voir, notamment, conclusions de l’avocat général Widdershoven près le Raad van State (Pays-Bas) du 23 octobre 2013, disponibles sur le site: http://uitspraken.rechtspraak.nl/inziendocument?id=ECLI:NL:RVS:2013:1586.

( 76 ) ? Le remplacement du président de chambre, M. Moavero Milanesi, par le juge Kanninen, prenant effet le 25 novembre 2011, ne constitue pas une circonstance pertinente, dans la mesure où, d’une part, cela s’est produit plus de 3 ans et 4 mois après la clôture de la procédure écrite et, d’autre part, ainsi que l’avocat général Kokott l’a fait remarquer dans l’affaire Solvay/Commission (EU:C:2011:256, point 343), «[l]es problèmes d’organisation interne du Tribunal, notamment ceux liés au
renouvellement des juges ou à l’empêchement de certains d’entre eux, ne sauraient évidemment aller au détriment des justiciables». Voir, dans le même sens, ses conclusions dans l’affaire Solvay/Commission (EU:C:2011:257, point 184).

( 77 ) ? Guardian soutient, en substance, que le délai de 3 ans et 5 mois entre la clôture de la procédure écrite et la décision d’ouvrir la procédure orale se concilie difficilement avec l’absence de tout effort particulier de la part du Tribunal pour examiner les faits et les preuves, manifestée par l’absence de questions écrites sur les points factuels en cause. J’ajouterais que ledit délai peut également être contrasté avec la manière dont le Tribunal a traité la question des ventes captives,
laquelle fait l’objet du premier moyen de Guardian, et où le Tribunal n’analyse, voire ne mentionne même pas, la jurisprudence de la Cour en la matière (KNP BT/Commission, EU:C:2000:625) dont il s’écarte dans l’arrêt attaqué – et ce alors qu’elle avait été invoquée par Guardian.

( 78 ) ? Selon Guardian, ses arguments s’étayaient sur des notes qui ne portaient que sur «trois contacts avec des concurrents et deux déclarations d’entreprises, et deux ou trois réunions».

( 79 ) ? Dans la présente affaire, le Tribunal n’a dû examiner qu’un nombre limité d’annexes, principalement des notes concernant trois contacts entre les concurrents (17 pages au total), ainsi que des extraits brefs de deux déclarations d’entreprise. Tous ces documents étaient rédigés dans la langue de la procédure (à savoir l’anglais, en effet, une langue connue quasiment par tout le monde, à la différence du slovaque ou du maltais pour ne donner que quelques exemples).

( 80 ) ? De ce fait, il n’était pas nécessaire pour le Tribunal de prendre en considération les questions de «connexité» susceptibles de se poser dans des recours parallèles et qui peuvent également avoir un impact sur la durée de la procédure (voir, par exemple, arrêt ICI/Commission, T‑214/06, EU:T:2012:275, point 314).

( 81 ) EU:C:1998:608 (points 35 et 47).

( 82 ) ? Voir conclusions présentées par l’avocat général Kokott dans l’affaire Solvay/Commission (EU:C:2011:256, point 340). Voir, dans le même sens, ses conclusions dans l’affaire Solvay/Commission (EU:C:2011:257, point 181).

( 83 ) ? À cette fin, Guardian a même introduit une demande formelle de traitement prioritaire auprès du président du Tribunal.

( 84 ) ? Arrêt Bergaderm et Goupil/Commission (C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42).

( 85 ) ? Guardian invoque le préjudice résultant: a) du manque à gagner subi du fait du paiement provisoire de l’amende à concurrence de 111 millions d’euros et b) du coût de la constitution d’une garantie bancaire pour le surplus (30000 euros par mois) et demande à la Cour de réduire significativement le montant de l’amende pour compenser la violation du délai raisonnable, que Guardian estime à 25 % du montant de l’amende, avant toute réduction éventuelle conformément au premier moyen.

( 86 ) ? Voir conclusions dans l’affaire Groupe Gascogne/Commission (C‑58/12 P, EU:C:2013:360, point 148). Je partage l’analyse de l’avocat général Sharpston qui, au point 149 de ces conclusions, précise, en ce qui concerne le «fait générateur» de la responsabilité non contractuelle de l’Union aux fins de l’application de l’article 46 du statut de la Cour de justice, qu’il doit s’agir de la constatation par la Cour que le Tribunal a accumulé un retard indu. Par conséquent, le délai de cinq ans dans
lequel toute action en réparation doit être introduite commencerait à partir de la date de l’arrêt de la Cour.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-580/12
Date de la décision : 29/04/2014
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé, Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi - Ententes - Marché du verre plat dans l’Espace économique européen (EEE) - Fixation des prix - Calcul du montant de l’amende - Prise en compte des ventes internes des entreprises - Délai raisonnable - Recevabilité de pièces produites en vue de l’audience du Tribunal.

Ententes

Pratiques concertées

Concurrence


Parties
Demandeurs : Guardian Industries Corp. et Guardian Europe Sàrl
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Wathelet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:272

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