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06/03/2014 | CJUE | N°C-337/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Pi-Design AG et autres contre Yoshida Metal Industry Co. Ltd et Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) (C-337/12 P et C-339/12 P) et Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) contre Yoshida Metal Industry Co. Ltd (C-338/12 P et C-340/12 P)., 06/03/2014, C-337/12


ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

6 mars 2014 (*)

«Pourvoi – Marque communautaire – Enregistrement de signes constitués d’une surface avec des pois noirs – Déclaration de nullité –Règlement (CE) n° 40/94 – Article 7, paragraphe 1, sous e), ii) – Dénaturation des éléments de preuve»

Dans les affaires jointes C-337/12 P à C-340/12 P,

ayant pour objet quatre pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits les 11 et 16 juillet 2012,

Pi-Design AG, établie à Trien

gen (Suisse),

Bodum France SAS, établie à Neuilly-sur-Seine (France),

Bodum Logistics A/S, établie à Bi...

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

6 mars 2014 (*)

«Pourvoi – Marque communautaire – Enregistrement de signes constitués d’une surface avec des pois noirs – Déclaration de nullité –Règlement (CE) n° 40/94 – Article 7, paragraphe 1, sous e), ii) – Dénaturation des éléments de preuve»

Dans les affaires jointes C-337/12 P à C-340/12 P,

ayant pour objet quatre pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits les 11 et 16 juillet 2012,

Pi-Design AG, établie à Triengen (Suisse),

Bodum France SAS, établie à Neuilly-sur-Seine (France),

Bodum Logistics A/S, établie à Billund (Danemark),

représentées par M^e H. Pernez, avocat,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Yoshida Metal Industry Co. Ltd, établie à Tsubame-shi (Japon), représentée par M^es S. Verea, K. Muraro et M. Balestriero, avvocati,

partie requérante en première instance,

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie défenderesse en première instance (C-337/12 P et C-339/12 P),

et

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Yoshida Metal Industry Co. Ltd, représentée par M^es S. Verea, K. Muraro et M. Balestriero, avvocati,

partie requérante en première instance,

Pi-Design AG,

Bodum France SAS,

Bodum Logistics A/S,

représentées par M^e H. Pernez, avocat,

parties intervenantes en première instance (C-338/12 P et C-340/12 P),

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça (rapporteur), président de chambre, MM. J.-C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par leurs pourvois, Pi-Design AG, Bodum France SAS et Bodum Logistics A/S (ci-après, ensemble, «Pi-Design e.a.») d’une part, et l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), d’autre part, demandent l’annulation des arrêts du Tribunal de l’Union Européenne du 8 mai 2012, Yoshida Metal Industry/OHMI – Pi-Design e.a. (Représentation d’une surface triangulaire avec des pois noirs) (T-331/10) ainsi que Yoshida Metal Industry/OHMI – Pi-Design e.a.
(Représentation d’une surface avec des pois noirs) (T-416/10) (ci-après, ensemble, les «arrêts attaqués»), par lesquels celui-ci a annulé les décisions de la première chambre de recours de l’OHMI du 20 mai 2010 (affaires R 1235/2008-1 et R 1237/2008-1, ci-après les «décisions litigieuses»), relatives à des procédures de nullité introduites par Pi-Design e.a. à l’encontre de deux marques communautaires enregistrées par Yoshida Metal Industry Co. Ltd (ci-après «Yoshida»).

Le cadre juridique

2 Le règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), qui est entré en vigueur le 13 avril 2009. Néanmoins, compte tenu de la date des faits, le présent litige demeure régi par le règlement n° 40/94, à tout le moins en ce qui concerne les dispositions à caractère non strictement procédural (voir,
notamment, ordonnance du 13 juin 2013, DMK/OHMI, C-346/12 P, point 2).

3 L’article 4 du règlement n° 40/94, intitulé «Signes susceptibles de constituer une marque communautaire», énonçait:

«Peuvent constituer des marques communautaires tous signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.»

4 L’article 7 du même règlement, intitulé «Motifs absolus de refus», disposait:

«1. Sont refusés à l’enregistrement:

a) les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4;

[…]

e) les signes constitués exclusivement:

[…]

ii) par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique

[…]»

5 L’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94, intitulé «Causes de nullité absolue», prévoyait:

«1. La nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l’[OHMI] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:

a) lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement aux dispositions de […] l’article 7».

Les antécédents du litige

6 Les 3 et 5 novembre 1999, Yoshida a présenté des demandes d’enregistrement de marque communautaire à l’OHMI pour des produits correspondant à la description «coutellerie, ciseaux, couteaux, fourchettes, cuillers, queux à faux, coffins, fusils à aiguiser, pinces pour arêtes de poisson» et «ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine (ni en métaux précieux ni en plaqué), mélangeurs, spatules pour la cuisine, blocs à couteaux, pelles à tartes, pelles à gâteaux », relevant,
respectivement, des classes 8 et 21 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

7 Les marques dont l’enregistrement a été demandé sont les signes reproduits ci-après:

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8 Par décisions des 14 septembre et 23 novembre 2000, l’examinateur a rejeté lesdites demandes d’enregistrement au motif que les signes en cause étaient dépourvus de tout caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

9 À la suite de l’annulation, le 31 octobre 2001, par la deuxième chambre de recours de l’OHMI de l’une des décisions de refus susmentionnées, l’examinateur a levé, le 11 juillet 2002, l’objection concernant l’autre demande d’enregistrement. Les marques en cause ont été enregistrées les 25 septembre 2002 et 16 avril 2003.

10 Le 10 juillet 2007, Pi-Design e.a. ont demandé que la nullité de ces marques soit déclarée en vertu de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94, au motif qu’elles avaient été enregistrées en violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), de ce règlement. Dans leurs observations du 17 décembre 2007, Pi-Design e.a. ont ajouté que l’enregistrement devrait également être déclaré nul au motif de l’absence de caractère distinctif desdites marques.

11 Par décisions des 15 et 21 juillet 2008, la division d’annulation de l’OHMI a rejeté les demandes en nullité dans leur intégralité.

12 Le 25 août 2008, Pi-Design e.a. ont formé un recours contre chacune des décisions de la division d’annulation.

13 Par les décisions litigieuses, la première chambre de recours de l’OHMI, sur le fondement des motifs absolus de refus posés à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, a accueilli les recours et annulé ces décisions de la division d’annulation.

14 Aux points 24 à 28 des décisions litigieuses, la première chambre de recours a d’abord observé que, lors du dépôt des demandes d’enregistrement, les signes étaient simplement qualifiés de «figuratifs», aucune description n’y étant jointe. À la suite des objections soulevées par l’examinateur, Yoshida aurait indiqué que le signe était une représentation bidimensionnelle de la «forme d’un produit», à savoir un manche de couteau [affaire R 1235/2008-1] ou qu’il représentait le «motif de manches
de couteaux» [affaire R 1237/2008-1]. Dans la correspondance postérieure à la demande de nullité introduite par Pi-Design e.a., le signe aurait pourtant été décrit par Yoshida comme «une figure géométrique aléatoire» ou un «motif constitué par des points» [affaire R 1235/2008-1].

15 Selon ladite chambre de recours, cette dernière description aurait été élaborée avec le but précis d’éviter l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, les photographies des couteaux commercialisés par le titulaire confirmant que le cadre entourant les pois noirs représentait le contour d’un manche de couteau et que ces pois représentaient des creux.

16 La même chambre a fait valoir à cet égard, au point 29 des décisions litigieuses, «qu’une marque doit être examinée en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Parmi ces facteurs figurent naturellement les informations et les documents volontairement produits par le titulaire de la marque à l’appui de sa demande.»

17 Ensuite, aux points 30 et 31 desdites décisions, la première chambre de recours a relevé que «le signe est une marque figurative consistant en une représentation bidimensionnelle du manche des produits pour lesquels l’enregistrement est sollicité». Néanmoins, selon elle, la classification d’une marque comme figurative n’excluait pas d’office l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94.

18 Enfin, la première chambre de recours a examiné, aux points 33 à 41 des décisions litigieuses, si les pois noirs représentant des creux répondaient à une fonction technique. En s’appuyant sur les données relatives aux brevets existants, elle a conclu que les creux étaient nécessaires à l’obtention d’un effet antidérapant et que le fait qu’il était possible d’obtenir le même résultat avec d’autres formes n’excluait pas l’application du motif de refus en cause.

19 Ayant déclaré les enregistrements nuls sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, ladite chambre de recours n’a pas jugé nécessaire de statuer sur l’autre motif de nullité invoqué par Pi-Design e.a., dont Yoshida contestait la recevabilité.

La procédure devant le Tribunal et les arrêts attaqués

20 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 12 août et 15 septembre 2010, Yoshida a introduit un recours tendant à l’annulation, respectivement, de chacune des décisions litigieuses.

21 À l’appui de ses recours, Yoshida invoquait un moyen unique tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94. Ce moyen s’articulait en trois branches, tirées, la première, d’une interprétation erronée de la portée de cette disposition, la deuxième, de l’appréciation erronée de l’objet des marques en cause et, la troisième, d’une application erronée de ce motif de refus.

22 Par les arrêts attaqués, le Tribunal a accueilli la deuxième branche du moyen unique invoqué par la requérante et annulé les décisions litigieuses.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

23 Pi-Design e.a. demandent à la Cour:

– à titre principal, d’annuler les arrêts attaqués et de déclarer la nullité des marques contestées;

– à titre subsidiaire, de renvoyer les affaires devant le Tribunal avec obligation pour celui-ci, en cas d’annulation des décisions litigieuses, de les renvoyer devant la chambre de recours de l’OHMI en vue de l’examen du motif de nullité non examiné par elle, et

– en toute hypothèse, de condamner Yoshida aux dépens.

24 L’OHMI demande à la Cour:

– d’annuler les arrêts attaqués, et

– de condamner Yoshida aux dépens.

25 Yoshida conclut au rejet des pourvois et à la condamnation de Pi‑Design e.a. ainsi que de l’OHMI aux dépens.

26 Par ordonnance du président de la Cour du 18 septembre 2012, les affaires C-337/12 P à C-340/12 P ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur les pourvois

27 Pi-Design e.a. invoquent un moyen unique à l’appui de leurs pourvois, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94.

28 L’OHMI invoque deux moyens au soutien de ses pourvois, tirés, le premier, de la violation par le Tribunal de l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu des articles 36 et 53 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, le second, à l’instar de Pi-Design e.a., de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94.

Argumentation des parties

29 Le moyen unique de Pi-Design e.a., tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, comporte, en substance, deux branches.

30 Par la première branche de ce moyen, Pi-Design e.a. font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les caractéristiques essentielles des signes litigieux devraient être appréciées au moyen d’une simple analyse visuelle de ces signes tels que déposés.

31 Dans le cadre de la seconde branche de ce moyen, Pi-Design e.a. considèrent que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve, en premier lieu, en ne tenant pas compte des données relatives aux brevets européen et américain existants, dont une copie lui avait été communiquée, qui indiquaient clairement que les pois apparaissant sur les signes étaient des creux.

32 En second lieu, le Tribunal aurait méconnu, alors même que cette circonstance ressortait du dossier qui lui avait été soumis, que les signes litigieux avaient été utilisés dans l’Union pendant une période de dix ans préalablement aux demandes d’enregistrement en cause.

33 Le moyen ayant trait à la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 invoqué par l’OHMI se divise en trois branches.

34 Par la première branche de ce moyen, l’OHMI soutient que, en ne tirant pas les implications juridiques découlant des différentes significations des pois noirs, qu’il aurait reconnues au point 30 des arrêts attaqués, le Tribunal a appliqué de manière erronée cette disposition.

35 S’agissant de la deuxième branche dudit moyen, l’OHMI reproche au Tribunal d’avoir dénaturé les faits en considérant, aux points 30 et 35 des arrêts attaqués, que la chambre de recours avait interprété la représentation graphique des signes litigieux en se référant exclusivement aux représentations des produits effectivement commercialisés.

36 Par ailleurs, l’OHMI estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 34 des arrêts attaqués, que la représentation graphique d’un signe ne saurait être interprétée à la lumière des éléments de preuve produits par les parties.

37 Par la troisième branche de ce moyen, l’OHMI considère que, aux points 30 à 32 des arrêts attaqués, le Tribunal a commis une erreur de droit, d’une part, en affirmant que l’impératif de sécurité juridique s’oppose à un examen sur le fondement des éléments autres que les demandes d’enregistrement et, d’autre part, en établissant que l’étendue de protection serait limitée à la représentation bidimensionnelle des pois noirs.

38 À cet égard, l’OHMI observe que Yoshida a soutenu devant le tribunal de grande instance de Paris (France) que les deux marques «étaient des marques tridimensionnelles [qui] consistent en un ensemble de motifs circulaires et s’incurvant vers l’intérieur qui sont disposés en diagonale selon un quadrilatère». Sur la base de cette assertion, Yoshida aurait obtenu une ordonnance interdisant l’utilisation par des concurrents de couteaux dont les manches étaient pourvus de creux.

39 Yoshida, pour sa part, soutient que, contrairement à la conclusion du Tribunal figurant au point 28 des arrêts attaqués, l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 n’est pas applicable aux affaires en cause. Elle fait valoir que cette disposition ne s’applique qu’aux formes de produits et que, par ses demandes d’enregistrement, ayant pour objet de simples dessins à pois noirs décalés, purement figuratifs et bidimensionnels, elle n’a pas entendu faire protéger une forme au
sens de ladite disposition.

40 Yoshida soutient également que les moyens des requérants doivent être rejetés comme étant non fondés.

41 À cet égard, Yoshida fait notamment valoir que, dans les arrêts du 18 juin 2002, Philips (C-299/99, Rec. p. I-5475), et du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C-48/09 P, Rec. p. I-8403), étaient en cause des formes et des signes tridimensionnels, raison pour laquelle les situations y décrites ne sont pas transposables aux présentes espèces. Selon elle, l’analyse des signes purement figuratifs et bidimensionnels doit se fonder uniquement sur l’impression visuelle produite par ces signes.

Appréciation de la Cour

42 Il convient de rappeler à titre liminaire que, selon une jurisprudence bien établie, le droit des marques constitue un élément essentiel du système de concurrence dans l’Union. Dans ce système, chaque entreprise doit, afin de s’attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre
provenance (arrêt Lego Juris/OHMI, précité, point 38 et jurisprudence citée).

43 Un signe représentant la forme d’un produit figure parmi les signes susceptibles de constituer une marque à la condition qu’il soit, d’une part, susceptible de représentation graphique et, d’autre part, propre à distinguer le produit ou le service d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. Cela résulte, en ce qui concerne la marque communautaire, de l’article 4 du règlement n° 40/94 (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C-456/01 P et C-457/01 P, Rec. p. I-5089, points
30 et 31, ainsi que Lego Juris/OHMI, précité, point 39).

44 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que chacun des motifs de refus d’enregistrement énumérés à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 doit être interprété à la lumière de l’intérêt général qui le sous-tend (voir, notamment, arrêts précités Henkel/OHMI, point 45, et Lego Juris/OHMI, point 43).

45 À cet égard, la Cour a eu l’occasion de relever que l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 vise à empêcher que le droit des marques aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit (arrêt Lego Juris/OHMI, précité, point 43).

46 La Cour a également eu l’occasion de préciser qu’une application correcte de ladite disposition implique que les caractéristiques essentielles d’un signe, dont l’enregistrement en tant que marque est demandé, soient dûment identifiées par l’autorité statuant sur cette demande (arrêt Lego Juris/OHMI, précité, point 68).

47 L’identification desdites caractéristiques essentielles doit être opérée au cas par cas, sans qu’il existe aucune hiérarchie systématique entre les différents types d’éléments qu’un signe peut comporter. Dans sa recherche des caractéristiques essentielles d’un signe, l’autorité compétente peut soit se fonder directement sur l’impression globale dégagée par le signe, soit procéder, dans un premier temps, à un examen successif de chacun des éléments constitutifs du signe (arrêt Lego
Juris/OHMI, précité, point 70 et jurisprudence citée).

48 En particulier, ainsi que la Cour l’a relevé au point 71 de l’arrêt Lego Juris/OHMI, précité, l’identification des caractéristiques essentielles d’un signe en vue d’une éventuelle application du motif de refus d’enregistrement énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 peut, selon le cas, et en particulier eu égard au degré de difficulté de ce signe, être effectuée par une simple analyse visuelle dudit signe ou, au contraire, être fondée sur un examen approfondi
dans le cadre duquel sont pris en compte des éléments utiles à l’appréciation, tels que des enquêtes et des expertises, ou encore des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés antérieurement en rapport avec le produit concerné.

49 L’objet et la portée de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 étant ainsi rappelés, il convient d’examiner si le Tribunal a, comme le soutiennent les requérantes, erronément appliqué cette disposition.

50 En premier lieu, il y a lieu de constater qu’il ne ressort pas des arrêts attaqués que le Tribunal a considéré que les signes litigieux ne sont pas constitués par la forme d’un produit au sens de ladite disposition.

51 En effet, le Tribunal a d’abord rejeté, aux points 22 à 28 des arrêts attaqués, la première branche du moyen unique invoqué par Yoshida, en jugeant, au point 27 des arrêts attaqués, que «[e]u égard au libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° [40/94] et à l’objectif d’intérêt général qu’il poursuit, il y a lieu de conclure qu’il s’applique à tout signe, bi- ou tridimensionnel, dès lors que toutes les caractéristiques essentielles du signe répondent à une fonction
technique.»

52 Ensuite, le Tribunal a constaté, au point 30 des arrêts attaqués, que «le caractère creux des pois noirs ne fait pas partie de la marque contestée telle que déposée et enregistrée. En effet, rien dans la représentation graphique de la marque contestée ne suggère que les pois noirs en cause représentent des creux plutôt que des motifs figuratifs. De même, l’enregistrement de la marque contestée n’est assorti d’aucune description en ce sens. Pour conclure au caractère concave des pois, la
chambre de recours ne s’est pas donc pas référée au signe déposé, mais à des représentations des produits effectivement commercialisés par la requérante».

53 Enfin, le Tribunal a résumé, au point 31 des arrêts attaqués, le critère retenu à l’égard de l’étendue de l’examen à effectuer par l’autorité compétente lors de l’appréciation des caractéristiques des signes litigieux, en jugeant que «seule la forme telle que reproduite dans la demande d’enregistrement doit faire l’objet de l’examen de la marque».

54 Cependant, il ressort de l’arrêt Lego Juris/OHMI, précité, que l’autorité compétente peut effectuer un examen approfondi dans le cadre duquel sont pris en compte, outre la représentation graphique et les éventuelles descriptions déposées lors du dépôt de la demande d’enregistrement, des éléments utiles à l’identification convenable des caractéristiques essentielles d’un signe.

55 Cette possibilité offerte, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt Lego Juris/OHMI, à l’autorité compétente lors de l’examen d’un signe tridimensionnel peut été étendue à l’examen de tout signe constitué par la forme d’un produit au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 (voir par analogie, s’agissant de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement, notamment, arrêts Henkel/OHMI, précité, point 38, et du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C-96/11 P,
point 33).

56 En effet, il importe de veiller à ce que les opérateurs économiques ne puissent s’approprier indûment certains signes qui ne font qu’incorporer une solution technique et dont l’enregistrement en tant que marque gênerait l’utilisation de cette solution technique par d’autres entreprises (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, précité, point 48).

57 Certes, il ressort de la jurisprudence de la Cour, rappelée aux points 31 et 32 des arrêts attaqués, d’une part, que la représentation graphique d’une marque doit être complète par elle-même, facilement accessible et intelligible afin qu’un signe puisse faire l’objet d’une perception constante et sûre qui garantisse la fonction d’origine de ladite marque. Il découle, d’autre part, de la jurisprudence de la Cour que l’exigence de la représentation graphique a pour fonction notamment de
définir la marque elle-même afin de déterminer l’objet exact de la protection conférée par la marque enregistrée à son titulaire (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2002, Sieckmann, C-273/00, Rec. p. I-11737, points 48 à 52, et du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys, C‑307/10, non encore publié au Recueil, point 37).

58 Toutefois, les conditions que la représentation graphique doit remplir pour assurer sa fonction, lesquelles concernent l’aptitude générale d’un signe à constituer une marque au sens de l’article 4 du règlement n° 40/94, ne sauraient restreindre l’examen de l’autorité compétente dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du même règlement, d’une façon qui serait susceptible de porter atteinte à l’intérêt général qui sous-tend cette dernière disposition.

59 En second lieu, ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 33 des arrêts attaqués, la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque communautaire est la date pertinente pour l’examen du motif de nullité allégué (voir ordonnances du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, Rec. p. I‑8993, point 40, et du 16 mai 2011 Torresan/OHMI, C-5/10 P, point 84).

60 Cependant, tel que le souligne l’OHMI dans le cadre de la deuxième branche de son second moyen, la Cour a jugé à maintes reprises que des éléments qui, bien que postérieurs à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, permettent de tirer des conclusions sur la situation telle qu’elle se présentait à cette même date peuvent, sans erreur de droit, être pris en considération (voir ordonnances précitées Alcon/OHMI, point 41, et Torresan/OHMI, point 84).

61 Il en résulte que, en concluant que les dispositions en cause excluent la prise en compte de l’utilisation effective de la marque après son enregistrement, le Tribunal a commis une erreur de droit.

62 En outre, il convient de rappeler que, par la seconde branche de leur moyen unique, Pi-Design e.a. invoquent la dénaturation par le Tribunal des éléments de preuve figurant aux dossiers soumis à ce dernier, dans la mesure où il en ressortirait que l’OHMI aurait, en réalité, pris en compte l’utilisation effective des signes à la date du dépôt des demandes d’enregistrement.

63 Or, il importe de constater qu’il ressort de la lecture des pièces des dossiers soumis au Tribunal, notamment des annexes 2 et 4 aux mémoires en réponse de Pi-Design e.a. en première instance, que, à la date du dépôt des demandes d’enregistrement, Yoshida commercialisait déjà, y compris sur le marché de l’Union, des produits portant les signes litigieux.

64 Il s’ensuit que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, la prise en compte par l’OHMI des représentations des produits effectivement commercialisés par Yoshida n’entraînait pas nécessairement une analyse fondée sur l’utilisation des signes litigieux postérieurement à la date des enregistrements.

65 Au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu d’accueillir le moyen tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 et de déclarer les pourvois fondés.

66 Dès lors, il convient d’annuler les arrêts attaqués, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments des parties, ainsi que le premier moyen invoqué par l’OHMI concernant la violation de l’obligation de motivation des arrêts qui incombe au Tribunal.

67 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

68 En l’occurrence, afin d’apprécier le moyen unique soulevé par Yoshida, tiré de l’application erronée de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94 par la première chambre de recours de l’OHMI, il est notamment nécessaire de procéder à une appréciation des caractéristiques essentielles des signes litigieux et de leur fonction technique (voir, en ce sens, arrêt Lego Juris/OHMI, précité, point 72).

69 Dans les présentes affaires, les conditions ne sont donc pas remplies pour que la Cour puisse elle-même statuer définitivement sur le litige, de sorte qu’il y a lieu de renvoyer au Tribunal l’examen des recours de Yoshida pour y être statué sur ledit moyen et de réserver les dépens.

70 Pi-Design e.a. demandent à la Cour, à titre subsidiaire, de renvoyer les affaires devant le Tribunal avec obligation pour celui-ci, en cas d’annulation des décisions litigieuses, de les renvoyer devant la chambre de recours de l’OHMI.

71 À cet égard, il suffit de relever que, conformément à l’article 61 du statut de la Cour, il n’appartient pas à la Cour d’adresser des injonctions au Tribunal, auquel il incombe, en cas de renvoi, de statuer sur le litige sans néanmoins remettre en cause les points de droit tranchés par l’arrêt de la Cour.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête:

1) Les arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 8 mai 2012, Yoshida Metal Industry/OHMI – Pi-Design e.a. (Représentation d’une surface triangulaire avec des pois noirs) (T-331/10), ainsi que Yoshida Metal Industry/OHMI – Pi-Design e.a. (Représentation d’une surface avec des pois noirs) (T-416/10), sont annulés.

2) Les affaires sont renvoyées devant le Tribunal de l’Union européenne.

3) Les dépens sont réservés.

Signatures

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*^ Langue de procédure: l’anglais.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-337/12
Date de la décision : 06/03/2014
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi - Marque communautaire - Enregistrement de signes constitués d’une surface avec des pois noirs - Déclaration de nullité - Règlement (CE) nº 40/94 - Article 7, paragraphe 1, sous e), ii) - Dénaturation des éléments de preuve.

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale

Marques


Parties
Demandeurs : Pi-Design AG et autres
Défendeurs : Yoshida Metal Industry Co. Ltd et Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) (C-337/12 P et C-339/12 P) et Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI)

Composition du Tribunal
Avocat général : Mengozzi
Rapporteur ?: da Cruz Vilaça

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2014:129

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