ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)
28 novembre 2013 (*)
«Taxation des dépens»
Dans l’affaire C-551/10 P-DEP,
ayant pour objet une demande de taxation des dépens récupérables au titre de l’article 145 du règlement de procédure de la Cour, introduite le 29 mai 2013,
Lagardère SCA, établie à Paris (France), représentée par M^es A. Winckler, F. de Bure et J.-B. Pinçon, avocats,
partie requérante,
contre
Éditions Odile Jacob SAS, établie à Paris, représentée par M^es O. Fréget et L. Eskenazi, avocats,
partie défenderesse,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. E. Juhász (rapporteur), président de chambre, MM. A. Rosas et D. Šváby, juges,
avocat général: M. M. Wathelet,
greffier: M. A. Calot Escobar,
l’avocat général entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 La présente affaire a pour objet la taxation des dépens exposés par Lagardère SCA (ci-après «Lagardère») dans le cadre de l’affaire C‑551/10 P.
2 Par son pourvoi introduit le 24 novembre 2010, Éditions Odile Jacob SAS (ci‑après «Éditions Odile Jacob») a demandé, conformément à l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 septembre 2010, Éditions Jacob/Commission (T‑279/04), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision 2004/422/CE de la Commission, du 7 janvier 2004, déclarant une opération de concentration
compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire n° COMP/M.2978 – Lagardère/Natexis/VUP), publiée sous forme de résumé au Journal officiel de l’Union européenne du 28 avril 2004 (JO L 125, p. 54).
3 Par son arrêt du 6 novembre 2012, Éditions Odile Jacob/Commission (C‑551/10 P, non encore publié au Recueil), la Cour a rejeté le pourvoi d’Éditions Odile Jacob et a condamné cette dernière aux dépens.
4 Aucun accord n’étant intervenu entre Lagardère et Éditions Odile Jacob sur le montant des dépens récupérables, Lagardère demande à la Cour de fixer ce montant à 97 188,50 euros.
5 Éditions Odile Jacob conclut au rejet de ladite demande et à ce que la Cour fixe le montant total des dépens à 19 000 euros, pour les dépens exposés dans l’affaire C‑551/10 P.
Argumentation des parties
6 Lagardère demande que la Cour fixe le montant des dépens récupérables à 97 188,50 euros, qui se décomposeraient comme suit:
– 92 646,5 euros au titre des honoraires d’avocats;
– 1 495 euros au titre des frais de déplacement encourus par les représentants de Lagardère et de leurs conseils, pour assister à l’audience du 13 décembre 2011 devant la Cour, et
– 3 047 euros au titre des frais généraux comprenant les photocopies, les télécopies, les communications téléphoniques et les frais postaux.
7 De plus, Lagardère demande que la Cour fixe la somme des dépens récupérables pour la présente procédure à 20 000 euros.
8 Lagardère estime que les montants réclamés correspondent uniquement à ce qui était indispensable et nécessaire aux fins de la procédure dans l’affaire C-551/10 P et que les montants facturés correspondent aux périodes durant lesquelles sa défense a été préparée et assurée dans cette affaire.
9 Selon Lagardère, le montant des dépens récupérables est conforme aux critères établis par la jurisprudence de la Cour, qu’il s’agisse des honoraires de ses conseils ou des débours exposés par elle. Ledit montant serait ainsi pleinement justifié au regard de l’objet et de la nature du litige, de l’importance du litige sous l’angle du droit de l’Union, des difficultés de la cause et de l’ampleur du travail fourni ainsi que des intérêts économiques que le litige a représentés pour les parties
(voir, notamment, en ce sens, ordonnances du 26 novembre 1985, Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 318/82, Rec. p. 3727, point 3, et du 7 juin 2012, France Télévisions/TF1, C‑451/10 P‑DEP).
10 En l’espèce, les honoraires supportés, au titre des dépens, correspondraient à 206 heures de travail effectuées par les conseils de Lagardère.
11 Sur l’objet et la nature du litige, Lagardère fait valoir que l’affaire C‑551/10 P était particulièrement sensible et justifiait une forte implication de sa part à tous les stades de la procédure. La procédure contentieuse aurait concerné un recours contre la décision 2004/422 relative à l’autorisation de l’acquisition des actifs d’Éditis SA (ci-après «Éditis») par Lagardère d’un montant de 1,25 milliard d’euros, impliquant les deux principaux acteurs du secteur de l’édition francophone, à
savoir Hachette Livre SA et Éditis.
12 L’ampleur de l’enquête de la Commission européenne, qui a duré près de neuf mois, la difficulté des questions juridiques en cause, telles que la convention de portage, les engagements de Lagardère, qui ont conduit à une rétrocession de 60 % du chiffre d’affaires mondial d’Éditis, ainsi que la longueur de la procédure devant le Tribunal, qui a duré près de six ans, méritaient, selon Lagardère, une réponse élaborée de sa part au pourvoi formulé par Éditions Odile Jacob. La participation de
Lagardère à la procédure concernant l’affaire C-551/10 P aurait été indispensable aux fins de la défense de ses intérêts.
13 Sur l’importance des questions soulevées au regard du droit de l’Union, Lagardère relève que l’attribution de ladite affaire à la grande chambre est une illustration du grand intérêt des points de droit soulevés par les parties. Lagardère souligne que la formation de jugement s’est prononcée pour la première fois sur le montage juridique d’une opération de concentration impliquant une convention de portage.
14 De plus, selon Lagardère, le pourvoi soulevait aussi des questions importantes de droit relatives aux conséquences de prétendues violations procédurales commises par la Commission, mettant en jeu les notions de fraude à la loi, de détournement de pouvoir et de motivation en matière de contrôle des opérations de concentration. Sur le fond, Lagardère relève que la Cour devait se prononcer sur les critères pertinents à retenir pour caractériser une position dominante et sur la notion
d’engagements en matière de contrôle des opérations de concentration.
15 Toutes ces questions relatives à la procédure et au fond de l’affaire auraient été, par conséquent, d’une grande importance au regard de la pratique actuelle et future du droit des concentrations de l’Union.
16 En ce qui concerne la difficulté de l’affaire et l’ampleur du travail effectué, Lagardère fait valoir que, pour les raisons soulevées aux points précédents, la défense de ses intérêts a nécessité un examen approfondi des faits et de questions juridiques complexes. Ainsi, un nombre d’heures de travail important, de l’ordre de 206 heures de travail, et des honoraires relativement élevés des conseils de Lagardère auraient été nécessaires et justifiés.
17 Lagardère souligne qu’elle a déposé des observations particulièrement longues, près de 42 pages, développant quatre moyens distincts dont certains étaient composés de plusieurs branches. Les questions juridiques traitées dans ses observations auraient couvert un champ particulièrement large, avec des questions inédites particulièrement complexes, qui ne relevaient pas d’une simple application du droit de l’Union tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour.
18 Enfin, sur le fait que les intérêts économiques des parties étaient susceptibles d’être affectés, Lagardère relève que l’opération de concentration en cause était d’une grande ampleur pour elle-même et représentait un montant de 1,25 milliard d’euros. Cette opération aurait été une opération structurante pour le marché français de l’édition francophone en général et pour Hachette Livre SA, en tant que filiale de Lagardère, en particulier. De plus, les enjeux économiques auraient été aussi de
grande ampleur pour Wendel Investissement SA et le groupe espagnol Planeta, qui ont successivement acquis les actifs cédés.
19 Éditions Odile Jacob conteste le montant des dépens dont Lagardère demande le remboursement dans l’affaire C‑551/10 P. Selon elle, les dépens auxquels prétend Lagardère couvrent des prestations dont certaines n’entrent pas dans le cadre chronologique de cette affaire et d’autres ne sont pas justifiées par des actes spécifiques liés à ladite affaire.
20 En effet, il conviendrait d’exclure du calcul des montants récupérables les prestations effectuées par les conseils de Lagardère qui ne sont pas chronologiquement liées à l’affaire C‑551/10 P. Le pourvoi ayant été introduit le 24 novembre 2010 et l’audience ayant eu lieu le 13 décembre 2011, Éditions Odile Jacob estime qu’un certain nombre d’interventions des conseils de Lagardère durant la période située entre ces deux dates ne relèvent pas des frais indispensables exposés par les parties
aux fins de la procédure, comme requis à l’article 144, sous b), du règlement de procédure de la Cour.
21 De plus, les prestations qui ne sont pas directement liées aux actes de procédure seraient également à exclure du remboursement des dépens encourus. L’imprécision des factures du cabinet conseil de Lagardère ainsi que l’absence de détails suffisants quant à la nature des travaux effectués ne justifieraient pas le remboursement de telles sommes.
22 Enfin, Éditions Odile Jacob considère que le montant des dépens réclamés n’est pas justifié au regard des critères appliqués par la Cour afin de déterminer le montant des dépens récupérables.
23 En ce qui concerne les débours, Éditions Odile Jacob relève qu’aucun justificatif des dépenses relatives aux frais généraux et aux frais de déplacements n’a été fourni. À ce titre, le remboursement des débours ne devrait pas dépasser la somme de 500 euros.
Appréciation de la Cour
24 Aux termes de l’article 144, sous b), du règlement de procédure, sont considérés comme dépens récupérables «les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure, notamment les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat».
25 Il en découle que les dépens récupérables sont limités, d’une part, aux frais exposés aux fins de la procédure devant la Cour et, d’autre part, à ceux qui ont été indispensables à ces fins. À cet égard, la Cour doit apprécier librement les données de la cause, en tenant compte de l’objet et de la nature du litige, de son importance sous l’angle du droit de l’Union ainsi que des difficultés de la cause, de l’ampleur du travail que la procédure contentieuse a pu causer aux agents ou aux
conseils intervenus et des intérêts économiques que le litige a présentés pour les parties (voir ordonnance du 13 décembre 2012, EMSA/Evropaïki Dynamiki, C‑252/10 P-DEP, point 16).
26 Il convient d’apprécier le montant des dépens récupérables en l’espèce en fonction de ces critères.
27 En ce qui concerne l’objet et la nature du litige ainsi que son importance sous l’angle du droit de l’Union, il convient de relever qu’il s’agissait d’un pourvoi d’Éditions Odile Jacob demandant l’annulation de l’arrêt Éditions Jacob/Commission, précité, par lequel le Tribunal a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision 2004/422 autorisant l’acquisition par Lagardère des actifs d’édition de Vivendi Universal Publishing SA.
28 L’opération de concentration en cause a été effectuée par l’intermédiaire d’une convention de portage des actifs cibles. La qualification de cette convention ainsi que l’appréciation des conséquences de celle-ci sur la légalité de l’opération de concentration en cause étaient des questions juridiques inédites.
29 Il y a lieu de considérer que la réponse à ces questions ainsi qu’à celles relatives à l’appréciation du renforcement d’une éventuelle position dominante sur le marché de l’édition française et du caractère approprié des engagements souscrits par Lagardère ne relevait pas d’une simple application du droit de l’Union tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal et qu’elle a justifié l’attribution de l’affaire C‑551/10 P à la grande chambre de la Cour. Par conséquent, il ne
saurait être contesté que lesdites questions nécessitaient une analyse approfondie.
30 S’agissant de l’ampleur du travail fourni, il apparaît que Lagardère a remis une facture détaillée des prestations correspondant à un travail et à un nombre d’heures effectués pour chaque acte de procédure correspondant à un montant horaire normal dans le cadre d’une procédure relative à une opération d’une telle envergure.
31 Il convient de relever que Lagardère a distingué les honoraires d’avocats liés à la procédure dans l’affaire C-551/10 P des autres honoraires perçus dans le cadre du conseil de l’opération d’acquisition des actifs cibles. Il ressort des factures communiquées à la Cour que celles-ci ont été établies entre le 1^er février 2010 et le 13 décembre 2011.
32 Il convient de relever que quelques heures de travail qui ont été facturées pour la période précédant le 24 novembre 2010, date de l’introduction du pourvoi, ne correspondent pas à des frais indispensables à la procédure relative à l’affaire C‑551/10 P et doivent ainsi être exclues du montant des dépens récupérables (voir, en ce sens, ordonnance du 6 janvier 2004, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 DEP, Rec. p. I‑1, points 45 et 47).
33 S’agissant des intérêts économiques en jeu, il ne peut être contesté que l’opération de concentration en cause, qui consistait en l’acquisition par Lagardère des actifs d’Éditis pour un montant de 1,25 milliard d’euros, fût d’une importance considérable pour les acteurs impliqués, et en premier lieu pour Lagardère en tant qu’acquéreur desdits actifs cédés.
34 Il s’ensuit que la somme de 91 000 euros, au titre des honoraires d’avocats concernant la procédure relative à l’affaire C‑551/10 P, doit être considérée comme indispensable pour assurer la défense des intérêts de cette dernière dans le cadre du pourvoi.
35 En ce qui concerne les débours supportés par Lagardère, qui correspondent aux frais de déplacement et de séjour pour assister à l’audience de la Cour du 13 décembre 2011, ainsi que les frais généraux supportés par Lagardère tels que l’impression des recherches, des mémoires et de pièces de procédure, il sera fait une juste appréciation en fixant ce montant à 2 000 euros.
36 Quant aux dépens afférents à la présente procédure de taxation, il y a lieu de les fixer à la somme de 2 000 euros.
37 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de fixer à 95 000 euros le montant des dépens récupérables, y compris ceux afférents à la présente procédure de taxation.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne:
Le montant total des dépens qu’Éditions Odile Jacob SAS doit rembourser à Lagardère SCA est fixé à la somme de 95 000 euros.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.