ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
26 novembre 2013 ( *1 )
«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché des sacs industriels en matière plastique — Imputabilité à la société mère de l’infraction commise par la filiale — Prise en compte du chiffre d’affaires global du groupe pour le calcul du plafond de l’amende — Durée excessive de la procédure devant le Tribunal — Principe de protection juridictionnelle effective»
Dans l’affaire C‑58/12 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 janvier 2012,
Groupe Gascogne SA, établie à Saint-Paul-les-Dax (France), représentée par Mes P. Hubert et E. Durand, avocats,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et N. von Lingen, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, M. Safjan, présidents de chambre, MM. J. Malenovský, E. Levits, A. Ó Caoimh, J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, D. Šváby et Mme M. Berger (rapporteur), juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. V. Tourrès, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 février 2013,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mai 2013,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Groupe Gascogne SA (ci-après la «requérante») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 novembre 2011, Groupe Gascogne/Commission (T‑72/06, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui‑ci a rejeté son recours tendant à l’annulation partielle et à la réformation de la décision C(2005) 4634 final de la Commission, du 30 novembre 2005, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (Affaire COMP/F/38.354 – Sacs industriels) (ci-après la
«décision litigieuse»), ou, à titre subsidiaire, l’annulation de l’arrêt attaqué en ce qu’il a confirmé le montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) no 1/2003
2 Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), qui a remplacé le règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), prévoit à son article 23, paragraphe 2, qui s’est substitué à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17:
«La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81 CE] ou [82 CE] […]
[…]
Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.
[…]»
La directive 83/349/CEE
3 Il ressort du considérant 1 de la septième directive 83/349/CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l’article [44, paragraphe 2, sous g), CE], concernant les comptes consolidés (JO L 193, p. 1), telle que modifiée par la directive 2003/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2003 (JO L 178, p. 16, ci-après la «directive 83/349»), que celle-ci a notamment pour objectif de coordonner les législations nationales sur les comptes annuels de certaines formes de sociétés, en particulier
les sociétés qui font partie d’ensembles d’entreprises.
4 Les entreprises soumises à l’obligation d’établir des comptes consolidés sont définies à l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 83/349. Aux termes de ce paragraphe 1, il s’agit, notamment, de toute entreprise mère qui:
«a) a la majorité des droits de vote des actionnaires ou associés d’une entreprise (entreprise filiale),
ou
b) a le droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise (entreprise filiale) et est en même temps actionnaire ou associé de cette entreprise,
ou
c) a le droit d’exercer une influence dominante sur une entreprise (entreprise filiale) dont elle est actionnaire ou associé […]»
5 Aux termes de l’article 16, paragraphe 3, de la même directive, «[l]es comptes consolidés doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de l’ensemble des entreprises comprises dans la consolidation».
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
6 La requérante est une société anonyme de droit français qui, depuis 1994, contrôle Gascogne Sack Deutschland GmbH, anciennement dénommée Sachsa Verpackung GmbH (ci-après «Sachsa»).
7 La requérante détient directement 10 % des parts sociales de Sachsa. Sa filiale à 100 %, Gascogne Deutschland GmbH, détient les 90 % restants des parts sociales de Sachsa.
8 En 2001, British Polythene Industries plc a informé la Commission de l’existence d’une entente dans le secteur des sacs industriels.
9 Après avoir procédé à des vérifications au cours du mois de juin 2002, la Commission a engagé la procédure administrative le 29 avril 2004 et a adopté une communication des griefs à l’encontre de plusieurs sociétés, au nombre desquelles figurait, notamment, la requérante.
10 Le 30 novembre 2005, la Commission a adopté la décision litigieuse, dont l’article 1er, paragraphe 1, sous k), dispose que Sachsa et la requérante ont enfreint l’article 81 CE en participant, du 9 février 1988 au 26 juin 2002 pour la première et du 1er janvier 1994 au 26 juin 2002 pour la seconde, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur des sacs industriels en matière plastique en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en France, au Luxembourg et aux Pays‑Bas, ayant porté
sur la fixation des prix et la mise en place de modèles communs de calcul de prix, le partage des marchés et l’attribution de quotas de vente, la répartition des clients, des affaires et des commandes, la soumission concertée à certains appels d’offres et l’échange d’informations individualisées.
11 Pour ce motif, la Commission a infligé à Sachsa, à l’article 2, premier alinéa, sous i), de la décision litigieuse, une amende de 13,20 millions d’euros, en précisant que, sur ce montant, la requérante était tenue pour responsable conjointement et solidairement à hauteur de 9,90 millions d’euros.
L’arrêt attaqué
12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 février 2006, la requérante a introduit un recours contre la décision litigieuse. Elle concluait, en substance, à ce que le Tribunal annule cette décision en ce qu’elle la concernait, la réforme en ce qu’elle infligeait à Sachsa une amende supérieure à 10 % de son chiffre d’affaires ou, à titre subsidiaire, réduise le montant de l’amende infligée conjointement et solidairement à cette dernière et à elle-même.
13 À l’appui de son recours, la requérante invoquait trois moyens. Le premier moyen, présenté à titre principal, était tiré d’une violation de l’article 81 CE en ce que la Commission lui aurait de manière erronée imputé des pratiques de Sachsa à partir du 1er janvier 1994 et, partant, aurait retenu à tort sa responsabilité conjointe et solidaire s’agissant du paiement d’une partie de l’amende infligée à cette dernière. Par son deuxième moyen, présenté à titre subsidiaire, la requérante soutenait que
la Commission a violé l’article 81 CE en interprétant de manière erronée la notion d’entreprise au sens de cet article et méconnu l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 en se fondant à tort, pour la détermination du plafond de l’amende, sur le chiffre d’affaires consolidé du groupe à la tête duquel elle se trouve. Le troisième moyen, présenté à titre encore plus subsidiaire, était pris d’une violation du principe de proportionnalité en ce que la Commission aurait infligé à la
requérante une amende excessive.
14 Par lettre du 19 octobre 2010, la requérante a demandé la réouverture de la procédure écrite en raison de l’intervention d’un nouvel élément de droit en cours d’instance, à savoir l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et, plus particulièrement, de l’article 6 TUE, qui a élevé la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») au rang de droit primaire.
15 Lors de l’audience, qui s’est tenue le 2 février 2011, la requérante a fait valoir, outre les moyens invoqués dans sa requête, plusieurs griefs fondés sur la Charte et s’est notamment prévalue d’une violation de la présomption d’innocence consacrée par l’article 48 de celle-ci. À cet égard, le Tribunal a jugé aux points 27, 28 et 30 de l’arrêt attaqué:
«27 [...] [L]es griefs de la requérante tirés d’une violation du principe de présomption d’innocence et des droits de la défense, garantis par l’article 48 de la [C]harte, [...] s’ajoutent aux arguments développés dans le cadre des moyens invoqués au stade de la requête et ne présentent pas avec les arguments initialement développés un lien suffisamment étroit pour qu’ils puissent être considérés comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse. Ces griefs
doivent donc être considérés comme étant nouveaux.
28 Il convient dès lors de déterminer si l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité sur l’Union européenne, et notamment de son article 6, qui confère à la [C]harte la même valeur juridique que les traités, constitue un fait nouveau justifiant l’introduction de nouveaux griefs. À cet égard, il convient d’observer que les principes invoqués par la requérante relevaient de l’ordre juridique de l’Union et étaient protégés par celui-ci à la date d’adoption de la décision [litigieuse], en
leur qualité de principes généraux du droit de l’Union [...]
[...]
30 Il y a ainsi lieu de considérer que la requérante ne saurait invoquer les modifications apportées dans l’ordre juridique de l’Union par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne pour invoquer au stade de l’audience la violation de l’article 48 de la [C]harte. [...]»
16 En ce qui concerne les trois moyens d’annulation invoqués par la requérante dans son recours, le Tribunal les a écartés comme non fondés.
17 S’agissant du premier moyen, relatif à l’imputation erronée à la requérante des pratiques mises en œuvre par Sachsa, le Tribunal a tout d’abord rappelé, aux points 69 et 70 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence de la Cour dont il ressort que, lorsqu’une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence, il existe une présomption simple selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de
sa filiale. Le Tribunal a ensuite constaté, au point 72 dudit arrêt, qu’il est constant que «la requérante détenait directement et indirectement 100 % du capital social de Sachsa et qu’elle avait donc la possibilité d’exercer un contrôle sur le comportement de Sachsa sur le marché». Enfin, le Tribunal a examiné, aux points 73 à 93 de l’arrêt attaqué, les arguments invoqués par la requérante pour démontrer que Sachsa déterminait sa propre ligne d’action et qu’elle était donc autonome. Après avoir
relevé, au point 74 dudit arrêt, que «[s]’il est vrai que certains des facteurs soulevés par la requérante indiquent que Sachsa jouissait d’une grande autonomie, il n’en demeure pas moins que la requérante est bel et bien intervenue dans le fonctionnement de sa filiale, qu’elle lui imposait des limites importantes dans l’orientation de son comportement sur le marché et qu’elle a donc exercé un contrôle effectif sur sa filiale».
18 Au point 93 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est prononcé comme suit:
«Il résulte ainsi de l’examen de l’ensemble des éléments de preuve et des arguments avancés par la requérante et la Commission que cette dernière n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la requérante exerçait une surveillance régulière sur la gestion de sa filiale et en imputant à la requérante la responsabilité pour l’infraction commise par sa filiale. En effet, sans même que la Commission ait besoin de s’appuyer sur la présomption de contrôle effectif à laquelle la détention par
la requérante de 100 % du capital de Sachsa donne lieu, l’ensemble des éléments de preuve dont la Commission dispose lui permet en l’espèce de conclure au contrôle effectif par la société mère de sa filiale.»
19 En ce qui concerne le deuxième moyen invoqué par la requérante au soutien de son recours, pour autant qu’il était tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, le Tribunal a jugé aux points 110 à 113 de l’arrêt attaqué:
«110 [...] la limite supérieure du montant de l’amende visée à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 doit être calculée sur la base du chiffre d’affaires de l’entreprise au sens des règles de concurrence, c’est-à-dire du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés appartenant au groupe dont le holding est la requérante.
111 [...] la prise en considération du chiffre d’affaires consolidé de la société mère aux fins de l’application du plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée n’est pas conditionnée par la démonstration que chaque filiale composant le groupe ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché.
112 La prise en considération du chiffre d’affaires consolidé de la société faîtière [...] n’équivaut pas à imputer la responsabilité de l’infraction constatée aux filiales composant le groupe à la tête duquel se trouve cette société faîtière. En effet, le plafond visé par cette disposition a uniquement pour objet d’empêcher l’imposition d’une amende excessive au regard de la taille globale de l’entité économique au jour de l’adoption de la décision, cette taille globale étant appréciée sur la
base du chiffre d’affaires cumulé des sociétés constituant le groupe de sociétés [...]
113 Pour ce motif, la prise en considération du chiffre d’affaires consolidé de la société faîtière aux fins du calcul du plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée ne requiert pas que les filiales composant le groupe soient toutes actives sur le même marché, ni qu’un lien entre ces filiales et l’infraction existe.»
20 Au terme de son examen de l’ensemble des moyens invoqués par la requérante au soutien de son recours, le Tribunal a rejeté celui-ci dans son intégralité.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
21 La requérante demande à la Cour:
— à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué;
— à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il a confirmé la sanction qui lui a été infligée par la décision litigieuse et de renvoyer l’affaire au Tribunal ou de fixer directement le montant de l’amende à un montant ne dépassant pas 10 % du chiffre d’affaires cumulé réalisé par elle-même et par Sachsa, et ce en tenant compte de la durée excessive de la procédure devant le Tribunal;
— de condamner la Commission aux dépens.
22 La Commission demande à la Cour:
— de rejeter le pourvoi et
— de condamner la requérante aux dépens.
23 Par lettre du 11 septembre 2012, la requérante, en se fondant sur l’article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, dans sa version applicable à cette date, a demandé la réouverture de la procédure écrite en raison de l’intervention d’un nouvel élément, à savoir la situation financière gravement déficitaire dans laquelle elle se trouve.
24 En application des articles 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 61 de son règlement de procédure, la Cour a invité les parties, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ainsi que les États membres à répondre à des questions portant sur les critères permettant d’évaluer le caractère raisonnable de la durée d’une procédure suivie devant le Tribunal ainsi que sur les mesures de nature à remédier aux conséquences d’une durée excessive de celle-ci.
Sur le pourvoi
Sur les premier et deuxième moyens
Argumentation des parties
25 Par son premier moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir déclaré irrecevables, parce que tardifs, les griefs tirés d’une violation de la présomption d’innocence et des droits de la défense qu’elle a développés lors de l’audience sur le fondement de la Charte. Elle reproche au Tribunal d’avoir jugé, d’une part, que ces griefs ne présentaient pas un lien suffisamment étroit avec les arguments initialement développés dans la requête introductive d’instance et, d’autre part, que l’entrée en
vigueur du traité UE ne constituait pas un fait nouveau justifiant que de tels griefs soient invoqués après le dépôt de la requête.
26 Par son deuxième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir jugé que, au seul motif qu’elle détenait la totalité du capital de sa filiale, à savoir Sachsa, la responsabilité du comportement anticoncurrentiel de cette dernière pouvait lui être imputée. Ce faisant, le Tribunal aurait méconnu la présomption d’innocence garantie par l’article 48 de la Charte et aurait violé son obligation de motiver ses arrêts.
27 La Commission fait valoir que le premier moyen est manifestement non fondé.
28 Elle considère que le deuxième moyen est irrecevable dès lors qu’il n’a pas été soulevé en première instance. Selon la Commission, ce moyen est également inopérant, dans la mesure où, pour tenir la requérante pour conjointement et solidairement responsable de l’infraction commise par Sachsa, elle ne s’est pas fondée uniquement sur la présomption de l’exercice d’une influence déterminante liée à la détention de 100 % du capital de cette dernière. En tout état de cause, le moyen serait infondé.
Appréciation de la Cour
29 Il convient d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens qui soulèvent des questions tenant au respect de la présomption d’innocence et des droits de la défense.
30 En ce qui concerne le premier moyen invoqué par la requérante au soutien de son pourvoi et pour autant que cette dernière reproche au Tribunal d’avoir jugé que les griefs qui ont été développés lors de l’audience sur le fondement de la Charte ne constituaient pas une ampliation des moyens initialement exposés dans la requête, il suffit de relever qu’elle reconnaît expressément, dans son pourvoi, qu’elle n’avait fait aucune référence explicite à la Charte dans sa requête, mais s’était bornée, à ce
stade de la procédure écrite, à mettre en cause l’impossibilité pratique de rapporter la preuve d’un fait négatif, tel que l’absence d’instructions données par une société mère à sa filiale. La requérante reconnaît également que ce n’est qu’à un stade procédural ultérieur, à savoir celui de la réplique, qu’elle a mentionné la Charte, sous la forme d’une référence au principe de la légalité des délits et des peines, tel que prévu à l’article 49 de celle-ci.
31 Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à remettre en cause l’appréciation portée par le Tribunal au point 27 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les griefs qu’elle a tirés, au cours de l’audience, d’une violation du principe de présomption d’innocence et des droits de la défense, garantis par l’article 48 de la Charte, ne présentaient pas avec les arguments initialement développés dans la requête introductive d’instance un lien suffisamment étroit pour qu’ils puissent être considérés
comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse. Partant, c’est à bon droit que de tels arguments ont été considérés comme nouveaux par le Tribunal.
32 Quant à la question de savoir si l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne aurait dû être considérée, ainsi que le soutient la requérante, comme un élément qui se serait révélé pendant la procédure devant le Tribunal et qui, à ce titre, aurait justifié, conformément à l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, la production de nouveaux moyens, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que cette entrée en vigueur, comportant l’inclusion de la Charte
dans le droit primaire de l’Union, ne saurait être considérée comme un élément de droit nouveau au sens de l’article 42, paragraphe 2, premier alinéa, de son règlement de procédure. Dans ce contexte, la Cour a souligné que, même avant l’entrée en vigueur de ce traité, elle avait déjà constaté à plusieurs reprises que le droit à un procès équitable tel qu’il découle, notamment, de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à
Rome le 4 novembre 1950, constitue un droit fondamental que l’Union européenne respecte en tant que principe général en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE (voir, notamment, arrêt du 3 mai 2012, Legris Industries/Commission, C‑289/11 P, point 36).
33 Cette interprétation donnée par la Cour aux fins de l’application de son règlement de procédure vaut mutatis mutandis pour l’application des dispositions correspondantes du règlement de procédure du Tribunal.
34 Dans ces conditions, le premier moyen invoqué par la requérante à l’appui de son pourvoi doit être rejeté comme non fondé.
35 S’agissant du deuxième moyen invoqué par la requérante au soutien de son pourvoi et pour autant que cette dernière reproche au Tribunal d’avoir méconnu la présomption d’innocence garantie par l’article 48 de la Charte en jugeant que la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale, à savoir Sascha, pouvait lui être imputée dès lors qu’elle détenait la totalité du capital de cette dernière, il convient de relever qu’il ressort d’une jurisprudence constante que permettre à une partie de
soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle aurait pu soulever devant le Tribunal, mais qu’elle n’a pas soulevé, reviendrait à lui permettre de saisir la Cour d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens qui ont été débattus devant lui.
36 Dans la mesure où il est tiré d’une violation de l’article 48 de la Charte, le deuxième moyen invoqué par la requérante doit donc être rejeté comme irrecevable.
37 Pour autant que la requérante soutient, dans le cadre du même moyen, que le Tribunal a manqué à son obligation de motivation en ne répondant pas aux arguments qu’elle avait invoqués pour établir que la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante fonctionne, en pratique, comme une présomption irréfragable, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu des articles 36 et 53, premier
alinéa, du statut de la Cour, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons sur lesquelles se fonde l’arrêt attaqué et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi.
38 À cet égard, c’est à bon droit que le Tribunal a, en premier lieu, aux points 69 et 70 de l’arrêt attaqué, rappelé la jurisprudence constante de la Cour, confirmée par cette dernière postérieurement à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (voir, notamment, arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, points 107 à 111), dont il ressort que, lorsqu’une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence, il
existe une présomption simple selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Selon cette jurisprudence, la Commission est en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se
comporte de façon autonome sur le marché (voir, notamment, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, point 47).
39 Le Tribunal a, en second lieu, consacré les points 73 à 93 de l’arrêt attaqué à l’examen des arguments invoqués par la requérante pour établir qu’elle n’était pas intervenue dans le fonctionnement de Sachsa. Tout en ayant admis, au point 74, que certains de ces arguments indiquaient que Sachsa jouissait d’une grande autonomie, le Tribunal, au terme d’un examen détaillé des éléments de preuve présentés par les parties, a conclu, au point 93, que la Commission n’avait pas commis d’erreur
d’appréciation en estimant que la requérante exerçait une surveillance régulière sur la gestion de sa filiale et en lui imputant une responsabilité pour l’infraction commise par sa filiale.
40 Contrairement à ce que soutient la requérante, l’approche adoptée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué ne démontre pas que la présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur sa filiale qu’elle détient en totalité ou en quasi-totalité a, en réalité, un caractère irréfragable.
41 En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la simple circonstance qu’une entité ne produise pas, dans un cas donné, d’éléments de preuve de nature à renverser la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale ne signifie pas que cette présomption ne peut, en aucun cas, être renversée (arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521/09 P, Rec. p. I-8947, point 66).
42 Dans ces conditions, en tant que la requérante soutient que l’appréciation par le Tribunal des arguments qu’elle avait invoqués démontre du seul fait de sa conclusion – négative dans la perspective de la requérante – l’existence d’une présomption irréfragable, une telle argumentation doit être rejetée (voir, en ce sens, arrêt Elf Aquitaine/Commission, précité, point 67).
43 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen en partie comme irrecevable et en partie comme non fondé.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
44 Par son troisième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir interprété la notion d’entreprise de manière erronée en considérant que c’est à bon droit que la Commission a pris, aux fins du calcul de la limite supérieure du montant de l’amende visée à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, le chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés appartenant au groupe dont elle était la société faîtière. Selon la requérante, ce ne serait que si l’ensemble de ce groupe avait constitué
une seule et unique entreprise que son chiffre d’affaires cumulé aurait pu servir de plafond au calcul de l’amende infligée à la suite d’une pratique anticoncurrentielle commise par l’une de ses filiales. Or, il n’existerait, tant dans la décision litigieuse que dans l’arrêt attaqué, aucune tentative de démonstration de l’existence d’une telle entité unique.
45 Au-delà de ce défaut de motivation, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, au point 108 de l’arrêt attaqué, que la taille globale d’une entité économique doit être appréciée «sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés constituant le groupe à la tête duquel se place la société faîtière, seul le chiffre d’affaires cumulé des sociétés composant ledit groupe pouvant constituer une indication de la taille et de la puissance économique de l’entreprise en
question». Ce faisant, le Tribunal aurait confondu les notions de groupe et d’entreprise.
46 La Commission fait valoir que ce moyen n’est pas fondé. Il serait de jurisprudence constante que le chiffre d’affaires global d’une entreprise donne une indication de son importance économique et de son influence sur le marché. Dès lors, la Commission estime qu’elle était en droit, pour déterminer le plafond de l’amende, de se fonder sur le chiffre d’affaires global du groupe à la tête duquel la requérante se trouvait, tel qu’il résulte des règles de consolidation comptable en vigueur dans le
droit de l’Union.
Appréciation de la Cour
47 L’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 dispose que la Commission peut infliger des amendes aux entreprises qui commettent une infraction à l’article 81 CE sous réserve que, pour chaque entreprise participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.
48 Cette limite supérieure du montant de l’amende vise à éviter que soient infligées des amendes dont il est prévisible que les entreprises, au vu de leur taille, telle que déterminée par leur chiffre d’affaires global, fût-ce de façon approximative et imparfaite, ne seront pas en mesure de s’acquitter. Il s’agit donc d’une limite, uniformément applicable à toutes les entreprises et articulée en fonction de la taille de chacune d’elles, visant à éviter des amendes d’un niveau excessif et
disproportionné (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, points 280 et 281).
49 Cette finalité doit toutefois se combiner avec le souci d’assurer à l’amende un caractère dissuasif suffisant, lequel justifie la prise en considération de la taille et de la puissance économique de l’entreprise concernée, c’est-à-dire des ressources globales de l’auteur de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C-413/08 P, Rec. p. I-5361, point 102 et la jurisprudence citée).
50 En effet, c’est l’impact recherché sur l’entreprise concernée qui justifie la prise en considération de la taille et des ressources globales de cette entreprise afin d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, la sanction ne devant pas être négligeable au regard, notamment, de la capacité financière de ladite entreprise (arrêt Lafarge/Commission, précité, point 104).
51 Dans ces conditions, lorsqu’il s’agit d’évaluer les ressources financières d’une entreprise à laquelle est imputée une infraction aux règles de concurrence du droit de l’Union, il apparaît justifié de prendre en compte le chiffre d’affaires de l’ensemble des sociétés à l’égard desquelles l’entreprise concernée jouit de la possibilité d’exercer une influence déterminante.
52 En particulier, lorsque l’entreprise à laquelle est imputée l’infraction se trouve à la tête d’un groupe de sociétés constituant une unité économique, le chiffre d’affaires à prendre en compte pour le calcul de la limite supérieure du montant de l’amende visée à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 est celui de l’ensemble de ce groupe.
53 Ce dernier chiffre constitue en effet le meilleur indicateur de la capacité de l’entreprise concernée à mobiliser les fonds nécessaires au paiement de l’amende.
54 À cet égard, ainsi que l’a fait valoir la Commission, les règles de consolidation comptable en vigueur dans le droit de l’Union ont pour objet de donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de l’ensemble des sociétés faisant partie d’un groupe. L’article 1er, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 83/349 impose ainsi l’obligation d’établir des comptes consolidés à toute entreprise mère qui, notamment, a la majorité des droits de vote dans une
entreprise filiale, ou a le droit de nommer ou de révoquer des membres de l’organe de direction ou de surveillance d’une telle entreprise ou encore a le droit d’exercer une «influence dominante» sur une telle entreprise.
55 Il s’ensuit que, dès lors qu’elle a établi à suffisance de droit l’imputabilité d’une infraction à une société qui se trouve à la tête d’un groupe, la Commission est en mesure, aux fins d’évaluer la capacité financière de cette société, de prendre en considération les comptes consolidés de cette dernière dans la mesure où ceux-ci peuvent être considérés comme constituant un élément pertinent d’appréciation.
56 Dans ces conditions, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, aux points 108 et 110 de l’arrêt attaqué, que la limite supérieure du montant de l’amende infligée à la requérante avait été à bon droit calculée sur la base du chiffre d’affaires cumulé de toutes les sociétés appartenant au groupe dont cette dernière était la société faîtière.
57 Contrairement à la thèse de la requérante, il ne saurait être exigé de la Commission que, après avoir établi que la société mère doit être tenue pour responsable de l’infraction commise par sa filiale, elle apporte la démonstration que chaque filiale composant le groupe ne détermine pas de manière autonome son comportement sur le marché. Ainsi que l’a jugé le Tribunal au point 112 de l’arrêt attaqué, l’imputation d’une infraction commise par une filiale à la société mère et l’interdiction
d’imposer une amende excédant 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée constituent deux questions distinctes répondant à des finalités différentes. Le cas échéant, c’est à la société qui considère que le chiffre d’affaires consolidé ne reflète pas la réalité économique qu’il appartient de présenter les éléments de nature à réfuter l’existence d’un pouvoir de contrôle de la société mère.
58 Il y a lieu, dès lors, de rejeter le troisième moyen comme non fondé, en ce qu’il est tiré tant d’une erreur de droit commise par le Tribunal que d’une violation par ce dernier de son obligation de motivation.
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
59 Par ce moyen, la requérante fait valoir que son droit fondamental à ce que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable, comme le garantit l’article 47 de la Charte, a été méconnu en l’espèce.
60 La requérante rappelle que la procédure suivie devant le Tribunal a commencé le 23 février 2006 et a pris fin le 16 novembre 2011. Elle souligne que, entre la fin de la procédure écrite et la première information qu’elle a reçue quant à l’état de l’affaire, il s’est écoulé une longue période d’inertie du Tribunal.
61 Selon elle, ni la complexité ou l’ampleur du dossier ni le nombre d’entreprises ou le nombre de langues de procédure en cause ne peuvent justifier l’absence totale de traitement de l’affaire par le Tribunal durant ladite période.
62 La requérante fait valoir que, lorsqu’elle a introduit son recours devant le Tribunal à l’encontre de la décision litigieuse, elle a choisi de ne pas acquitter immédiatement l’amende infligée et a dû, en contrepartie, accepter de payer des intérêts sur le montant de celle-ci ainsi que constituer une caution bancaire. La durée excessive de la procédure aurait eu pour effet une augmentation des frais afférents à de telles démarches.
63 Dès lors, la requérante demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, en ce qu’il a imposé à Sachsa une amende dont elle est solidairement responsable, ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de cette amende en prenant en considération la charge financière qu’elle a dû supporter en raison de la violation de son droit au respect d’un délai de jugement raisonnable.
64 À titre liminaire, la Commission fait valoir que ce moyen est irrecevable parce qu’il n’a pas été soulevé lors de l’audience devant le Tribunal.
65 Sur le fond, la Commission estime que, dans l’hypothèse d’un dépassement du délai raisonnable dans le cadre d’un recours juridictionnel dirigé contre une décision infligeant une amende à une entreprise pour violation des règles de concurrence, le remède adéquat devrait prendre la forme non pas d’une réduction de l’amende infligée, mais celle d’un recours en indemnité. À titre subsidiaire, la Commission considère que, si la Cour devait juger qu’il y a eu une violation du principe du délai
raisonnable et que celle‑ci appelle un remède consistant en une réduction de l’amende, cette réduction devrait être symbolique.
Appréciation de la Cour
– Sur la recevabilité
66 Ainsi qu’il ressort de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour et de la jurisprudence de cette dernière, la Cour est compétente, dans le cadre d’un pourvoi, pour contrôler si des irrégularités de procédure portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ont été commises par le Tribunal (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C-385/07 P, Rec. p. I-6155, point 176).
67 S’agissant de l’irrégularité invoquée dans le cadre du présent moyen, il convient de rappeler que l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte dispose que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi». Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, cet article est afférent au principe de protection juridictionnelle effective (voir, notamment, arrêt Der
Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 179 et la jurisprudence citée).
68 À ce titre, un tel droit, dont l’existence avait été affirmée avant l’entrée en vigueur de la Charte en tant que principe général de droit de l’Union, est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission (voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 178 et la jurisprudence citée).
69 Bien qu’elle focalise ses critiques principalement sur la période d’inactivité procédurale du Tribunal, qui s’est étendue entre la fin de la procédure écrite et le début de la procédure orale, la requérante n’a pas invoqué la violation de ce droit lors de l’audience devant ce dernier.
70 Contrairement à ce que soutient la Commission, une telle omission ne saurait entraîner l’irrecevabilité du quatrième moyen comme ayant été soulevé pour la première fois dans le cadre du pourvoi. En effet, si une partie doit pouvoir soulever une irrégularité de procédure dès lors qu’elle considère qu’une violation des règles applicables est établie, elle ne saurait être tenue de le faire à un stade où les pleins effets de cette violation ne sont pas encore connus. S’agissant en particulier d’un
dépassement du délai raisonnable de jugement, la partie requérante qui considère que ce dépassement porte atteinte à ses intérêts n’est pas tenue de faire valoir immédiatement cette atteinte. Le cas échéant, elle peut attendre la fin de la procédure afin de connaître la durée totale de celle-ci et de disposer ainsi de tous les éléments nécessaires pour identifier l’atteinte qu’elle estime avoir subie.
71 Le quatrième moyen invoqué par la requérante au soutien de son pourvoi est donc recevable.
– Sur le fond
72 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le dépassement d’un délai de jugement raisonnable, en tant qu’irrégularité de procédure constitutive de la violation d’un droit fondamental, doit ouvrir à la partie concernée un recours effectif lui offrant un redressement approprié (voir, Cour eur. D. H., arrêt Kudla/Pologne du 26 octobre 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000 XI, § 156 et 157).
73 Si la requérante demande l’annulation de l’arrêt attaqué et, subsidiairement, une annulation de cet arrêt en ce qu’il a confirmé l’amende qui lui a été infligée ou une réduction du montant de celle‑ci, il y a lieu de relever que la Cour a déjà jugé que, en l’absence de tout indice selon lequel la durée excessive de la procédure devant le Tribunal aurait eu une incidence sur la solution du litige, le non‑respect d’un délai de jugement raisonnable ne saurait conduire à l’annulation de l’arrêt
attaqué (voir, en ce sens, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, points 190 et 196 ainsi que la jurisprudence citée).
74 Cette jurisprudence est fondée notamment sur la considération selon laquelle, en l’absence d’incidence sur la solution du litige du non-respect d’un délai de jugement raisonnable, l’annulation de l’arrêt attaqué ne remédierait pas à la violation, par le Tribunal, du principe de protection juridictionnelle effective (arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 193).
75 En l’espèce, la requérante n’a fourni à la Cour aucun indice de nature à laisser apparaître que le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable a pu avoir une incidence sur la solution du litige dont ce dernier était saisi.
76 Il s’ensuit que, contrairement à ce que demande la requérante, le quatrième moyen ne saurait aboutir, en tant que tel, à l’annulation de l’arrêt attaqué.
77 La requérante fait cependant valoir que la longueur excessive de la procédure devant le Tribunal a entraîné pour elle des conséquences financières onéreuses et demande à ce titre l’annulation de l’amende dont elle est tenue pour responsable conjointement et solidairement.
78 À cet égard, compte tenu de la nécessité de faire respecter les règles de concurrence du droit de l’Union, la Cour ne saurait permettre, au seul motif de la méconnaissance d’un délai de jugement raisonnable, à la partie requérante de remettre en question le bien‑fondé ou le montant d’une amende alors que l’ensemble des moyens dirigés contre les constatations opérées par le Tribunal au sujet du montant de cette amende et des comportements qu’elle sanctionne ont été rejetés (voir, en ce sens, arrêt
Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 194).
79 Il s’ensuit que le non‑respect d’un délai de jugement raisonnable dans le cadre de l’examen d’un recours juridictionnel introduit contre une décision de la Commission infligeant une amende à une entreprise pour violation des règles de concurrence du droit de l’Union ne saurait conduire à l’annulation, totale ou partielle, de l’amende infligée par cette décision.
80 Pour autant que la requérante demande, à titre subsidiaire, une réduction de l’amende dont elle tenue pour responsable conjointement et solidairement en tant que compensation du préjudice économique qu’elle prétend avoir subi en raison de la durée excessive de la procédure devant le Tribunal, il convient de rappeler que, dans un premier temps, la Cour, confrontée à une situation similaire, a fait droit à une telle demande pour des raisons d’économie de procédure et afin de garantir un remède
immédiat et effectif contre une telle irrégularité de procédure et a, ainsi, procédé à la réduction du montant de l’amende (arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 48).
81 Par la suite, la Cour, dans le cadre d’une affaire concernant une décision de la Commission constatant l’existence d’un abus de position dominante mais n’infligeant pas d’amende, a jugé que le non‑respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable peut donner lieu à une demande en indemnité (arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 195).
82 Certes, la présente affaire concerne une situation similaire à celle ayant donné lieu à l’arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité. Toutefois, une demande en indemnité introduite contre l’Union sur le fondement des articles 268 TFUE et 340, deuxième alinéa, TFUE constitue, en ce qu’elle peut couvrir toutes les situations de dépassement du délai raisonnable d’une procédure, un remède effectif et d’application générale pour faire valoir et sanctionner une telle violation.
83 Il y a donc lieu, pour la Cour, de décider qu’une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif.
84 Il s’ensuit qu’une demande visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable ne peut être soumise directement à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, mais doit être introduite devant le Tribunal lui-même.
85 En ce qui concerne les critères permettant d’apprécier si le Tribunal a respecté le principe du délai raisonnable, il convient de rappeler que le caractère raisonnable du délai de jugement doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire, telles que la complexité du litige et le comportement des parties (voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 181 et la jurisprudence citée).
86 À cet égard, la Cour a précisé que la liste des critères pertinents n’est pas exhaustive et que l’appréciation du caractère raisonnable dudit délai n’exige pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun de ces critères lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d’un seul de ceux-ci. Ainsi, la complexité de l’affaire ou un comportement dilatoire du requérant peut être retenu pour justifier un délai de prime abord trop long (voir, notamment, arrêt
Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 182 et la jurisprudence citée).
87 Lors de l’examen de ces critères, il convient de tenir compte du fait que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, l’exigence fondamentale de sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs économiques ainsi que l’objectif d’assurer que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur présentent un intérêt considérable non seulement pour le requérant lui-même et pour ses concurrents, mais également pour les tiers, en raison du grand nombre
de personnes concernées et des intérêts financiers en jeu (voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 186 et la jurisprudence citée).
88 Il appartiendra également au Tribunal d’apprécier tant la matérialité du dommage invoqué que le lien de causalité de celui-ci avec la durée excessive de la procédure juridictionnelle litigieuse en procédant à un examen des éléments de preuve fournis à cet effet.
89 À cet égard, il convient de souligner que, dans le cas d’un recours en indemnité fondé sur une violation, par le Tribunal, de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en ce qu’il aurait méconnu les exigences liées au respect du délai de jugement raisonnable, il incombe à celui-ci, conformément à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, de prendre en considération les principes généraux applicables dans les ordres juridiques des États membres pour traiter les recours fondés sur des violations
similaires. Dans ce contexte, le Tribunal doit notamment rechercher s’il est possible d’identifier, outre l’existence d’un préjudice matériel, celle d’un préjudice immatériel qui aurait été subi par la partie affectée par le dépassement de délai et qui devrait, le cas échéant, faire l’objet d’une réparation adéquate.
90 Il appartient dès lors au Tribunal, compétent en vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, de se prononcer sur de telles demandes d’indemnité, en statuant dans une formation différente de celle qui a eu à connaître du litige ayant donné lieu à la procédure dont la durée est critiquée et en appliquant les critères définis aux points 85 à 89 du présent arrêt.
91 Cela étant, force est de constater que la durée de la procédure devant le Tribunal, qui s’est élevée à près de 5 ans et 9 mois, ne peut être justifiée par aucune des circonstances propres à l’affaire ayant donné lieu au présent litige.
92 Il s’avère, notamment, que la période comprise entre la fin de la procédure écrite, avec le dépôt, en février 2007, du mémoire en duplique de la Commission, et l’ouverture, au cours du mois de décembre 2010, de la procédure orale a duré environ 3 ans et 10 mois. La longueur de cette période ne saurait s’expliquer par les circonstances de l’affaire, qu’il s’agisse de la complexité du litige, du comportement des parties ou encore de la survenance d’incidents procéduraux.
93 S’agissant de la complexité du litige, il ressort de l’examen du recours introduit par la requérante, tel qu’il est résumé au point 13 du présent arrêt, que, tout en exigeant un examen approfondi, les moyens invoqués ne présentaient pas un degré de difficulté particulièrement élevé. Même s’il est vrai qu’une quinzaine de destinataires de la décision litigieuse ont introduit des recours en annulation à l’encontre de celle-ci devant le Tribunal, cette circonstance n’a pas pu empêcher cette
juridiction de faire la synthèse du dossier et de préparer la procédure orale dans un laps de temps inférieur à 3 ans et 10 mois.
94 Il convient de souligner que, au cours dudit laps de temps, la procédure n’a pas été interrompue ni retardée par l’adoption, par le Tribunal, d’une quelconque mesure d’organisation de celle-ci.
95 Pour ce qui est du comportement des parties et de la survenance d’incidents procéduraux, le fait que la requérante a demandé, au cours du mois d’octobre 2010, la réouverture de la procédure écrite ne saurait justifier le délai de 3 ans et 8 mois qui s’était déjà écoulé depuis la clôture de celle-ci. Par ailleurs, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 105 de ses conclusions, la circonstance que la requérante a été avisée au cours du mois de décembre 2010 qu’une audience serait
organisée durant le mois de février 2011 indique que cet incident n’a pu avoir qu’un effet minime sur la durée globale de la procédure, voire même est demeuré sans incidence sur celle-ci.
96 Compte tenu des éléments qui précèdent, il convient de constater que la procédure suivie devant le Tribunal a violé l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte en ce qu’elle a méconnu les exigences liées au respect du délai de jugement raisonnable, ce qui constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, Rec. p. I-5291, point 42).
97 Il résulte toutefois des considérations exposées aux points 73 à 84 du présent arrêt que le quatrième moyen doit être rejeté.
Sur la situation financière de la requérante
98 Lors de l’audience, la requérante a présenté à la Cour des informations sur sa situation financière actuelle, dont il ressortirait qu’elle n’est pas en mesure de payer l’amende infligée dans la décision litigieuse. Selon elle, ces développements, visant à appuyer sa demande tendant à l’annulation totale ou, à titre subsidiaire, à la réduction de cette amende, sont recevables dans la mesure où ils sont liés à la survenance d’un fait nouveau au sens de l’article 127 du règlement de procédure, d’une
part, et où ils constituent une ampliation du quatrième moyen relatif à la violation du principe du délai raisonnable, d’autre part.
99 La Commission fait valoir que ces arguments sont irrecevables comme étant nouveaux et, en tout état de cause, non fondés, car non étayés par des éléments de preuve.
100 À cet égard, il convient de rappeler que les pourvois formés devant la Cour ne peuvent porter que sur des questions de droit. Or, afin d’apprécier la capacité de la requérante à s’acquitter de l’amende qui lui a été infligée par la Commission, la Cour devrait examiner des questions de fait qui ne relèvent pas de sa compétence dans le cadre d’un pourvoi.
101 En outre, il n’appartient pas non plus à la Cour, lorsqu’elle statue sur un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant de l’amende infligée à une entreprise en raison de la violation par celle-ci des règles du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C-328/05 P, Rec. p. I-3921, point 98 et la jurisprudence citée). Au surplus, il est
de jurisprudence constante que, lorsqu’elle procède à la détermination du montant d’une telle amende, la Commission n’est pas obligée de tenir compte de la situation économique de l’entreprise concernée, puisque la reconnaissance d’une telle obligation reviendrait à procurer des avantages concurrentiels injustifiés aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (voir, notamment, arrêt SGL Carbon/Commission, précité, point 100 et la jurisprudence citée).
102 Les arguments tirés par la requérante de sa situation financière doivent donc être rejetés comme irrecevables et, en tout état de cause, comme non fondés.
103 Il convient toutefois d’ajouter que, pour autant que la requérante considère que ses difficultés financières présentent un lien de causalité avec le non-respect par le Tribunal du principe du délai de jugement raisonnable, il lui est loisible de le faire valoir dans le cadre d’un recours introduit devant le Tribunal au titre des articles 268 TFUE et 340, deuxième alinéa, TFUE (voir points 88 à 90 du présent arrêt).
104 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’aucun des moyens invoqués par la requérante au soutien de son pourvoi ne saurait être accueilli et, partant, celui-ci doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
105 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
106 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Groupe Gascogne SA est condamnée aux dépens du présent pourvoi.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure: le français.