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26/11/2013 | CJUE | N°C‑50/12 P

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Kendrion NV contre Commission européenne., 26/11/2013, C‑50/12 P


ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

26 novembre 2013 ( *1 )

«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché des sacs industriels en plastique — Imputabilité à la société mère de l’infraction commise par la filiale — Responsabilité solidaire de la société mère pour le paiement de l’amende infligée à la filiale — Durée excessive de la procédure devant le Tribunal — Principe de protection juridictionnelle effective»

Dans l’affaire C‑50/12 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de ju

stice de l’Union européenne, introduit le 26 janvier 2012,

Kendrion NV, établie à Zeist (Pays-Bas), représentée ...

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

26 novembre 2013 ( *1 )

«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché des sacs industriels en plastique — Imputabilité à la société mère de l’infraction commise par la filiale — Responsabilité solidaire de la société mère pour le paiement de l’amende infligée à la filiale — Durée excessive de la procédure devant le Tribunal — Principe de protection juridictionnelle effective»

Dans l’affaire C‑50/12 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 janvier 2012,

Kendrion NV, établie à Zeist (Pays-Bas), représentée par Mes P. Glazener et T. Ottervanger, advocaten,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et S. Noë, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, M. Safjan, présidents de chambre, MM. J. Malenovský, E. Levits, A. Ó Caoimh, J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, D. Šváby, et Mme M. Berger (rapporteur), juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 février 2013,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mai 2013,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, Kendrion NV (ci-après «Kendrion» ou la «requérante») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 novembre 2011, Kendrion/Commission (T‑54/06, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation partielle de la décision C(2005) 4634 final de la Commission, du 30 novembre 2005, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (Affaire COMP/F/38.354 – Sacs industriels) (ci‑après la «décision litigieuse»),
ainsi que l’annulation ou, à titre subsidiaire, la réduction de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

Le cadre juridique

2 Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), qui a remplacé le règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), prévoit à son article 23, paragraphes 2 et 3, qui s’est substitué à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17:

«2.   La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81 CE] ou [82 CE] […]

[…]

Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

[…]

3.   Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.»

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

3 Kendrion est une société anonyme de droit néerlandais.

4 Le 8 juin 1995, Kredest Beheer BV, filiale à 100 % de Combattant Holding BV, qui était elle-même filiale à 100 % de Kendrion, a repris à DSM NV l’ensemble des actifs et des activités du groupe Fardem à Edam (Pays-Bas) et à Beerse (Belgique).

5 En novembre 1995, la requérante a vendu les activités du groupe Fardem en Belgique. En décembre 1995, la filiale Kredest Beheer BV a été rebaptisée Fardem Holding BV. Celle-ci a juridiquement fusionné avec les sociétés Fardem Packaging BV et CAT International BV en septembre 2001. Le nom Fardem Holding a été changé en Fardem Packaging BV (ci-après «Fardem Packaging») à cette occasion.

6 En novembre 2001, British Polythene Industries plc a informé la Commission de l’existence d’une entente dans le secteur des sacs industriels.

7 Après avoir procédé à des vérifications au cours du mois de juin 2002 et avoir adressé à Fardem Packaging des demandes de renseignements en 2002 et en 2003, la Commission a engagé la procédure administrative le 29 avril 2004 et a adopté une communication des griefs à l’encontre de plusieurs sociétés, au nombre desquelles figuraient, notamment, Fardem Packaging et Kendrion.

8 Entre-temps, en septembre 2003, Kendrion avait cédé Fardem Packaging aux dirigeants de cette dernière.

9 Le 30 novembre 2005, la Commission a adopté la décision litigieuse, dont l’article 1er, paragraphe 1, sous d), dispose que Fardem Packaging et Kendrion ont enfreint l’article 81 CE en participant, du 6 janvier 1982 au 26 juin 2002 pour la première et du 8 juin 1995 au 26 juin 2002 pour la seconde, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur des sacs industriels en matière plastique en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en France, au Luxembourg et aux Pays‑Bas, ayant porté
sur la fixation des prix et la mise en place de modèles communs de calcul de prix, le partage des marchés et l’attribution de quotas de vente, la répartition des clients, des affaires et des commandes, la soumission concertée à certains appels d’offres et l’échange d’informations individualisées.

10 Pour ce motif, la Commission a infligé à Kendrion, à l’article 2, premier alinéa, sous d), de la décision litigieuse une amende de 34 millions d’euros, en précisant que, sur ce montant, Fardem Packaging était tenue pour responsable conjointement et solidairement à hauteur de 2,20 millions d’euros.

L’arrêt attaqué

11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2006, Kendrion a introduit un recours contre la décision litigieuse. Elle concluait, en substance, à ce que le Tribunal, à titre principal, annule, en tout ou en partie, cette décision ou, à titre subsidiaire, annule l’amende qui lui avait été infligée par ladite décision ou en réduise le montant.

12 Le Tribunal a identifié huit moyens dans l’argumentation développée par Kendrion. Les sept premiers moyens étaient tirés d’une violation des articles 81 CE, 253 CE et 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 ainsi que de plusieurs principes généraux du droit en ce que, en premier lieu, le dispositif de la décision litigieuse serait incohérent avec ses motifs; en deuxième lieu, la Commission aurait à tort supposé que Kendrion et Fardem Packaging constituaient une entité économique; en troisième
lieu, la requérante aurait été à tort tenue pour responsable d’une infraction commise par Fardem Packaging; en quatrième lieu, la décision litigieuse aurait infligé à la requérante, en sa qualité de société mère, une amende supérieure à celle infligée à la filiale qui avait été jugée solidairement responsable; en cinquième lieu, la requérante aurait fait l’objet d’un traitement différent de celui réservé aux autres sociétés mères jugées solidairement responsables d’infractions commises par une
filiale. La requérante invoquait, en sixième lieu, une violation desdites dispositions en ce que le montant de base de l’amende de Fardem Packaging avait été fixé à 60 millions d’euros et, en septième lieu, en ce qu’une amende de 34 millions d’euros lui avait été infligée. Le huitième moyen était tiré d’une violation des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement no 17 et de l’article [65, paragraphe 5, CA] (JO 1998, C 9,
p. 3).

13 Par lettre du 12 janvier 2011, la requérante a répondu à une question que le Tribunal lui avait posée conformément à l’article 64 de son règlement de procédure, par laquelle celui-ci l’interrogeait sur sa position quant à l’incidence sur le deuxième moyen de son recours de l’arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C-97/08 P, Rec. p. I-8237).

14 Lors de l’audience, qui s’est déroulée le 9 mars 2011, Kendrion a fait valoir que la durée de la procédure devant le Tribunal avait été excessive. Cet argument a été rejeté par le Tribunal, au point 18 de l’arrêt attaqué, comme inopérant.

15 Au terme de son examen de l’ensemble des moyens invoqués par Kendrion au soutien de son recours, le Tribunal a rejeté celui-ci dans son intégralité.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

16 Kendrion demande à la Cour:

— d’annuler intégralement ou partiellement l’arrêt attaqué;

— d’annuler intégralement ou partiellement la décision litigieuse, dans la mesure où elle la concerne;

— d’annuler l’amende qui lui a été infligée ou de réduire le montant de celle-ci;

— à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et

— de condamner la Commission aux dépens.

17 La Commission demande à la Cour:

— de rejeter le pourvoi et

— de condamner Kendrion aux dépens.

18 En application des articles 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 61 de son règlement de procédure, la Cour a invité les parties, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ainsi que les États membres à répondre à des questions portant sur les critères permettant d’évaluer le caractère raisonnable de la durée d’une procédure suivie devant le Tribunal ainsi que sur les mesures de nature à remédier aux conséquences d’une durée excessive de celle-ci.

Sur le pourvoi

Sur le deuxième moyen

Argumentation des parties

19 Par son deuxième moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu en ce qu’il porte sur la question de savoir si Kendrion et sa filiale, à savoir Fardem Packaging, peuvent être considérées comme constituant une entité économique, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans la répartition de la charge de la preuve quant à l’exercice d’une influence déterminante de Kendrion sur sa filiale et d’avoir procédé à une appréciation erronée ainsi qu’insuffisamment motivée
des éléments de preuve qui ont été présentés à cet égard par la Commission et par elle-même.

20 Kendrion fait valoir que, dans la décision litigieuse, la Commission s’est fondée, pour établir l’existence d’une unité économique entre elle‑même et sa filiale, non seulement sur la présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur la filiale dont elle détient la totalité du capital, mais également sur des éléments de preuve supplémentaires. Or, après avoir adopté cette analyse et indiqué, au point 33 de l’arrêt attaqué, qu’«il convient d’examiner si la Commission a commis
une erreur d’appréciation, tant en ce qui concerne les éléments supplémentaires mentionnés dans la décision [litigieuse] qu’en ce qui concerne les éléments avancés par la requérante en vue de réfuter la présomption d’influence déterminante», le Tribunal aurait commis, au point 53 dudit arrêt, une erreur de droit en indiquant qu’il allait se borner à «examiner [...] si la requérante a réussi à réfuter ces quatre éléments supplémentaires». Il aurait ainsi méconnu que la charge de la preuve
incombait à la Commission.

21 En outre, ce serait en raison d’une appréciation erronée de ces éléments supplémentaires que le Tribunal serait parvenu, au point 68 de l’arrêt attaqué, à la conclusion que la Commission avait pu considérer à bon droit que la requérante et Fardem Packaging constituaient une seule entité économique. En tout état de cause, le Tribunal n’aurait pas motivé suffisamment sa décision à cet égard.

22 À supposer même que l’appréciation portée par le Tribunal sur les éléments supplémentaires en cause soit correcte, il n’en demeurerait pas moins que le Tribunal aurait méconnu ou n’aurait pas suffisamment examiné les arguments invoqués par Kendrion pour démontrer l’autonomie commerciale dont disposait Fardem Packaging.

23 La Commission considère que le deuxième moyen invoqué par la requérante au soutien de son pourvoi doit être rejeté.

24 En déclarant Kendrion responsable de l’infraction commise par Fardem Packaging, la Commission se serait fondée uniquement sur le fait que cette dernière était une filiale à 100 % de la requérante à la date des faits et sur la présomption de l’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale dans une telle situation. Si la décision litigieuse mentionne quatre éléments supplémentaires tendant à démontrer l’existence d’une telle influence, ceux-ci n’auraient pas été considérés
comme déterminants.

25 S’agissant de l’appréciation portée par le Tribunal sur la valeur probante des éléments supplémentaires mentionnés dans la décision litigieuse comme des éléments de preuve invoqués par Kendrion pour établir l’absence d’influence déterminante de cette dernière sur sa filiale, la Commission estime que l’argumentation de Kendrion est irrecevable.

Appréciation de la Cour

26 Afin d’apprécier le présent moyen, il y a lieu de rappeler l’argumentation développée par Kendrion en première instance.

27 Ainsi qu’il ressort des points 31 et 32 de l’arrêt attaqué, la requérante a renoncé, après le prononcé de l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, à soutenir que la seule détention par la société mère de 100 % du capital d’une filiale serait insuffisante pour fonder une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. En se référant au point 155 de l’arrêt du Tribunal du 27 octobre 2010, Alliance One International
e.a./Commission (T-24/05, Rec. p. II-5329), la requérante a toutefois fait valoir que, dans les cas où la Commission fonde la présomption de l’exercice d’une influence déterminante d’une société mère sur sa filiale non seulement sur la détention de la totalité du capital de cette dernière, mais également sur des éléments supplémentaires, il convient de vérifier si ces éléments établissent à suffisance de droit que la société mère exerce effectivement une telle influence sur le comportement de la
filiale.

28 À cet égard, il convient de relever que, dans la présente affaire, la Commission s’est expressément référée, au considérant 580 de la décision litigieuse, à la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère sur la filiale qu’elle détient à 100 % avant d’indiquer, au considérant 584 de cette décision, que cette approche serait détaillée au cas par cas pour chaque entreprise concernée. Dans les considérants consacrés à Fardem Packaging, la Commission a, en
premier lieu, rappelé, au considérant 590 de la même décision, que Kendrion détenait, par l’intermédiaire d’une société interposée, 100 % du capital de Fardem Packaging et que cette constatation l’avait amenée à adresser la communication des griefs à Kendrion. Elle a, en second lieu, mentionné, aux considérants 594 à 597 de ladite décision, des éléments supplémentaires, apparus au cours de la phase ultérieure de la procédure administrative, attestant, selon elle, l’existence d’une influence de
Kendrion sur sa filiale.

29 C’est dans ce contexte qu’il convient d’examiner le raisonnement suivi par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Après avoir rappelé, aux points 49 à 51 de celui-ci, la jurisprudence relative à la présomption d’une influence déterminante exercée sur la filiale détenue en totalité par sa société mère, le Tribunal a ajouté, au point 52 du même arrêt, que, afin de renverser cette présomption, «d’une part, il incombe à la société mère de soumettre à l’appréciation de la Commission tout élément relatif
aux liens organisationnels, économiques et juridiques, entre sa filiale et elle‑même […] et, d’autre part, la Commission, quant à elle, est effectivement obligée d’apprécier tout élément relatif aux liens susceptibles d’établir que la filiale se comportait de manière autonome par rapport à sa société mère et que ces deux sociétés ne constituaient donc pas une entité économique».

30 Au point 53 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, dans la présente affaire, la Commission ne s’était pas limitée à invoquer la circonstance selon laquelle la requérante détenait 100 % du capital de Fardem Packaging, mais s’était référée également à quatre autres éléments supplémentaires. Il en a déduit qu’il convenait d’examiner si la requérante avait réussi à réfuter ces quatre éléments supplémentaires. C’est ce qu’il a fait aux points 54 à 60 dudit arrêt, avant d’examiner, aux points 63
à 67 de celui-ci, les éléments invoqués par la requérante en vue de réfuter la présomption de l’existence d’une influence déterminante de cette dernière sur le comportement de sa filiale.

31 Au point 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que «la requérante n’a[vait] réussi à renverser ni la valeur probante de la plupart des éléments de preuve supplémentaires avancés par la Commission ni la présomption de l’exercice d’un contrôle effectif de la requérante sur le comportement de sa filiale».

32 Eu égard au raisonnement ainsi développé par le Tribunal, il ne saurait être fait droit à l’argumentation de la requérante, selon laquelle ce dernier aurait commis, au point 53 de l’arrêt attaqué, une erreur de droit en mettant à la charge de celle-ci l’obligation de «réfuter» les quatre éléments supplémentaires invoqués par la Commission dans la décision litigieuse, alors qu’il aurait incombé à cette institution d’établir la valeur probante desdits éléments. En effet, d’une part, il ressort des
points 54 à 60 dudit arrêt que le Tribunal a examiné la valeur probante de ces éléments supplémentaires et a conclu que la requérante n’avait réussi qu’à renverser la valeur probante d’un seul élément de preuve supplémentaire. D’autre part, il résulte des points 63 à 67 du même arrêt que Kendrion n’est pas parvenue à réfuter la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur sa filiale.

33 La présente affaire se distingue ainsi de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (C‑628/10 P et C‑14/11 P). À cet égard, il suffit en effet de relever que, dans l’arrêt rendu en première instance, le Tribunal avait constaté qu’aucun des éléments de preuve supplémentaires figurant dans la décision litigieuse n’était susceptible de confirmer la présomption de
l’exercice effectif par la société mère d’une influence déterminante sur sa filiale (arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 54).

34 C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 68 de l’arrêt attaqué, que, eu égard à la présomption de l’exercice d’une influence déterminante par la société mère sur la filiale qu’elle détient à 100 %, d’une part, et aux trois éléments de preuve supplémentaires confirmant une telle influence déterminante, d’autre part, «[l]a Commission pouvait […] considérer à bon droit que la requérante et Fardem Packaging constituaient une seule entité économique et, partant, que
la responsabilité du comportement anticoncurrentiel de Fardem Pakaging pouvait être imputée à la requérante».

35 En tant que Kendrion soutient que la motivation de l’arrêt attaqué concernant l’appréciation par le Tribunal des éléments de preuve examinés est insuffisante, il convient de relever que cet argument vise, en réalité, à remettre en cause une telle appréciation. Dans cette mesure et pour autant que Kendrion fait également valoir que le Tribunal a procédé à une appréciation erronée de ces éléments, il suffit de rappeler que l’appréciation des preuves relève de la compétence du Tribunal et qu’il
n’appartient pas à la Cour de la contrôler dans le cadre d’un pourvoi.

36 Il résulte des considérations qui précèdent que le deuxième moyen invoqué par Kendrion au soutien de son pourvoi doit être rejeté.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

37 Par son premier moyen, Kendrion fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit et d’avoir motivé l’arrêt attaqué de manière contradictoire et insuffisante dans la mesure où il a jugé, aux points 22 à 30 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait exposé à suffisance de droit les raisons qui l’ont amenée à infliger à la requérante une amende d’un montant plus élevé que celui de l’amende mise à la charge de sa filiale, à savoir Fardem Packaging.

38 Dans l’arrêt attaqué, après avoir rappelé, au point 22 de celui-ci, que «le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation, en sorte qu’il doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption», le Tribunal a conclu, au point 29 dudit arrêt, que, «en dépit de sa rédaction équivoque, la portée et le contenu de l’article 2, [premier alinéa,] sous d), de la décision [litigieuse] sont tout à fait compréhensibles à la lecture des considérants» de
cette dernière.

39 Kendrion, qui considère que le dispositif de la décision litigieuse est incompatible avec les motifs de celle-ci, reproche au Tribunal de ne pas avoir appliqué correctement le principe rappelé au point 22 de l’arrêt attaqué. Aux points 24 et 25 de celui-ci, le Tribunal aurait méconnu que, selon les considérants de la même décision, la Commission comptait Kendrion parmi les sociétés mères solidairement responsables des infractions commises par leurs filiales et pouvait donc être tenue pour
solidairement responsable du paiement de l’amende à infliger à Fardem Packaging. Cependant, dans le dispositif de ladite décision, la Commission aurait renversé les rôles, en infligeant l’amende à Kendrion et en tenant partiellement Fardem Packaging pour solidairement responsable de son paiement. Le dispositif de cette décision ne serait pas seulement rédigé de «manière équivoque», comme l’a constaté le Tribunal, mais il serait contraire aux considérants de celle-ci.

40 La Commission soutient que les sociétés mères et les filiales sont responsables de manière égale pour une infraction aux règles de la concurrence. Il n’existerait aucune différence entre la responsabilité solidaire des sociétés mères et la responsabilité propre des filiales, toutes étant tenues pour solidairement responsables parce qu’elles font partie de l’entité économique qui a enfreint les règles de la concurrence.

Appréciation de la Cour

41 Il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One
International e.a., précité, point 72).

42 Ainsi, dans le cadre des décisions individuelles, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’obligation de motiver une décision individuelle a pour but, outre de permettre un contrôle juridictionnel, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir, notamment, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One
International e.a., précité, point 73).

43 S’agissant d’apprécier l’adéquation de la motivation de la décision litigieuse en ce qui concerne les raisons pour lesquelles elle a infligé, à l’article 2, premier alinéa, sous d), de celle-ci, une amende à Kendrion, en tant que société mère, pour le paiement de laquelle Fardem Packaging, en sa qualité de filiale, est partiellement tenue pour responsable conjointement et solidairement, il convient de partir de la prémisse selon laquelle, ainsi qu’il ressort de l’appréciation portée sur le
deuxième moyen du présent pourvoi, c’est à bon droit que la Commission a pu considérer que Kendrion et Fardem Packaging constituaient une seule entité économique et, partant, que la responsabilité du comportement anticoncurrentiel de cette dernière société pouvait être imputée à la requérante (voir point 34 du présent arrêt).

44 Au point 25 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que «la décision [litigieuse] contient de nombreuses explications quant aux raisons qui ont amené la Commission à considérer que les sociétés mères et leurs filiales devaient être tenues pour solidairement responsables de l’infraction», en indiquant que ces raisons se trouvent explicitées en des termes généraux aux considérants 577 à 583 de cette décision et, de manière plus spécifique, aux considérants 587 à 599 de celle-ci. Au point 26 du
même arrêt, le Tribunal a constaté qu’«[i]l ressort de ces explications que la Commission a imposé une amende à la requérante en raison du fait qu’elle a constitué une seule entité économique avec Fardem Packaging de 1995 à 2003» et qu’il en découlait que, dès lors que le comportement anticoncurrentiel de cette dernière pouvait être imputé à la requérante en raison de leur appartenance à la même entité économique, «la requérante [était] censée avoir commis elle-même l’infraction du fait de cette
imputation».

45 Il convient d’ajouter que la motivation de la Commission à cet égard était accompagnée, aux considérants 578 à 580 de la décision litigieuse, de nombreuses références à la jurisprudence en la matière tant du Tribunal que de la Cour.

46 Dans ces conditions, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré que la motivation de la décision litigieuse était suffisante pour permettre à la requérante de comprendre le fondement sur lequel sa responsabilité avait été retenue.

47 La responsabilité de Kendrion étant, ainsi qu’il découle des constatations du Tribunal, fondée sur le principe de la responsabilité personnelle de l’entité économique qu’elle formait avec sa filiale (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje, C‑440/11 P, points 37 à 39 et la jurisprudence citée), la requérante ne saurait faire valoir que l’article 2, premier alinéa, sous d), de la décision litigieuse, en ce qu’il lui inflige une
amende à titre personnel, est en contradiction avec les motifs de cette décision.

48 Pour autant que ladite disposition de la décision litigieuse retient, pour une partie de l’amende infligée à Kendrion en sa qualité de société mère, la responsabilité conjointe et solidaire de sa filiale Fardem Packaging, force est de constater, à l’instar du Tribunal au point 29 de l’arrêt attaqué, que, si le libellé de cette disposition est équivoque, sa portée et son contenu sont tout à fait compréhensibles à la lecture des considérants de cette décision, en particulier, comme l’a relevé le
Tribunal au point 28 de l’arrêt attaqué, des considérants 814 et 815 de celle-ci. Il ressort en effet de ces considérants que l’infliction à Fardem Packaging d’une amende d’un montant sensiblement inférieur à celui de l’amende infligée à sa société mère découle de l’application du plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

49 En tant que Kendrion fait valoir qu’il ne pouvait lui être infligé une amende supérieure à celle qui a été mise à la charge de Fardem Packaging, cet argument se confond avec celui constituant la première branche du troisième moyen du pourvoi avec laquelle il sera examiné.

50 Il résulte des considérations qui précèdent que le premier moyen invoqué au soutien du pourvoi doit être rejeté.

Sur le troisième moyen

51 Le troisième moyen invoqué par Kendrion au soutien de son pourvoi comporte trois branches distinctes qu’il convient d’examiner successivement.

Sur la première branche du troisième moyen

– Argumentation des parties

52 Kendrion reproche au Tribunal d’avoir méconnu la notion de responsabilité solidaire.

53 En se référant aux points 40 et 89 de l’arrêt du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission (C-90/09 P, Rec. p. I-1), Kendrion fait valoir que cet arrêt énonce une règle de droit selon laquelle la Commission, sur le fondement de la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur la filiale qu’elle détient à 100 %, peut tenir la société mère pour solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à la filiale. La notion de responsabilité
solidaire, qui trouverait sa raison d’être dans la nécessité de garantir le recouvrement effectif de l’amende, impliquerait donc que la société mère ne peut être tenue qu’au paiement de l’amende infligée à la filiale.

54 La Commission conteste cette argumentation pour les mêmes motifs que ceux invoqués en réponse au premier moyen.

– Appréciation de la Cour

55 À titre liminaire, il convient de rappeler que tant la responsabilité de Kendrion, en tant que société mère, que celle de Fardem Packaging, en tant qu’ancienne filiale, reposent sur le fait que ces sociétés faisaient toutes deux partie de l’entité économique qui a enfreint l’article 81 CE. Ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 26 de l’arrêt attaqué, la requérante est, de ce fait, censée avoir commis elle‑même l’infraction aux règles de concurrence du droit de l’Union.

56 Il s’ensuit que, en ce qui concerne le paiement de l’amende, le rapport de solidarité qui existe entre deux sociétés constituant une telle entité économique ne saurait se réduire à une forme de caution fournie par la société mère pour garantir le paiement de l’amende infligée à la filiale.

57 En l’espèce, ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 87 de l’arrêt attaqué, le montant que la Commission a estimé approprié pour sanctionner la participation de Fardem Packaging à l’entente pour une période excédant 20 ans correspond non pas au montant de 2,20 millions d’euros mentionné dans le dispositif de la décision litigieuse, mais à un montant de 60 millions d’euros, soit un montant supérieur à celui de 34 millions d’euros retenu pour Kendrion pour la période pendant laquelle cette
dernière et Fardem Packaging ont constitué une seule et même entreprise au sens de l’article 81 CE. Comme l’a relevé le Tribunal au point 89 du même arrêt, le fait que la Commission, dans la décision litigieuse, a infligé une amende de 34 millions d’euros à la requérante et une amende de 2,20 millions d’euros à Fardem Packaging s’explique par l’application du plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 à Fardem Packaging. Dans ce contexte, c’est à bon droit que le
Tribunal a jugé, aux points 92 et 93 dudit arrêt, que, dans l’hypothèse où deux personnes morales distinctes, telles qu’une société mère et sa filiale, ne constituent plus une entreprise au sens de l’article 81 CE à la date de l’adoption d’une décision leur infligeant une amende pour violation des règles de concurrence, chacune d’entre elles a le droit de se voir appliquer individuellement le plafond de 10 % du chiffre d’affaires et que, dans ces conditions, Kendrion ne pouvait prétendre à
bénéficier du plafond applicable à son ancienne filiale.

58 L’argumentation de Kendrion selon laquelle elle ne pouvait être condamnée au paiement d’une amende d’un montant supérieur à celui de l’amende infligée à sa filiale est ainsi dépourvue de fondement et doit, partant, être rejetée.

Sur la deuxième branche du troisième moyen

– Argumentation des parties

59 Kendrion reproche au Tribunal d’avoir méconnu le fait que la Commission, dans la décision litigieuse, a porté atteinte au principe d’égalité de traitement.

60 Kendrion soutient qu’elle est la seule société mère à laquelle a été infligée une amende d’un montant supérieur à celui de l’amende mise à la charge de sa filiale, pour une infraction commise par cette dernière et à laquelle elle-même, en tant que société mère, n’avait pas participé. Ce serait à tort que, au point 109 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a justifié cette différence de traitement par le plafond de 10 % du chiffre d’affaires visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.
L’application de ce plafond pourrait expliquer une différence concernant le montant de l’amende, mais non la différence de principe que la Commission a introduite entre Kendrion et les autres sociétés mères.

61 Pour la Commission, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré, au point 109 de l’arrêt attaqué, qu’il ressort de la décision litigieuse que la Commission a appliqué une seule et même méthode pour déterminer le montant des amendes applicables à tous les destinataires de cette décision. Le fait que, dans deux cas, cette méthode a conduit à l’infliction à la société mère d’amendes supérieures à celles infligées à la filiale ne serait que la conséquence d’une application cohérente de la méthode
de calcul choisie.

– Appréciation de la Cour

62 Le principe général d’égalité de traitement, en tant que principe général du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantic et Lorraine e.a., C-127/07, Rec. p. I-9895, point 23 et la jurisprudence citée).

63 En particulier, s’agissant de la détermination du montant de l’amende, il ne saurait être opéré, par l’application de méthodes de calcul différentes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord ou à une pratique concertée contraire à l’article 81 CE (voir, notamment, arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., précité, point 58 et la jurisprudence citée).

64 En l’espèce, la requérante ne conteste pas la constatation faite par le Tribunal, au point 109 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «il ressort de la décision [litigieuse] que la Commission a appliqué une seule et même méthode pour déterminer le montant des amendes applicables à tous les destinataires de la décision [litigieuse], y inclus la requérante, qui sont tenus responsables en tant que sociétés mères d’une filiale impliquée dans l’entente». En revanche, elle considère qu’elle est victime
d’une discrimination en ce que, parmi toutes les sociétés mères destinataires de ladite décision, elle est la seule à s’être vu infliger une amende d’un montant supérieur à celui de l’amende mise à la charge de sa filiale, alors qu’elle n’a pas participé à l’infraction commise par cette dernière.

65 La violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose toutefois que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent (voir, notamment, arrêt Arcelor Atlantic et Lorraine e.a., précité, point 25).

66 Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 104 de ses conclusions, la situation de Kendrion présentait, par rapport à celle des autres sociétés mères, une particularité en ce que, cette dernière ayant vendu sa filiale en septembre 2003, elle ne constituait plus une entité économique avec sa filiale pendant l’exercice social devant être retenu, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, comme pertinent pour le calcul du plafond de 10 % du chiffre d’affaires
total de l’entreprise.

67 C’est cette particularité qui a amené la Commission à calculer séparément, pour chacune des deux sociétés en cause, ledit plafond sur la base du chiffre d’affaires tel qu’il a été réalisé au cours de l’exercice social qui a précédé l’adoption de la décision litigieuse.

68 Dans la mesure où la différence de traitement alléguée par la requérante s’explique par une circonstance qui lui est propre, cette dernière ne saurait donc utilement soutenir qu’une violation du principe d’égalité de traitement a été commise à son détriment.

Sur la troisième branche du troisième moyen

69 Kendrion soutient que le raisonnement du Tribunal est contradictoire et lacunaire. Après avoir jugé, au point 51 de l’arrêt attaqué, que, s’il est établi que la société mère et la filiale constituent une unité économique, la Commission a la faculté d’imputer la responsabilité du comportement infractionnel à la société mère, à la filiale ou à la société mère solidairement avec sa filiale, le Tribunal aurait par la suite admis à tort que, en l’espèce, la Commission était fondée à ouvrir une
quatrième voie en tenant la filiale pour solidairement responsable du paiement d’une partie de l’amende infligée à la société mère.

70 À cet égard, il suffit de rappeler que l’argumentation de Kendrion méconnaît le fait qu’elle-même et sa filiale faisaient partie de l’entreprise qui a enfreint l’article 81 CE. Ainsi qu’il ressort du point 55 du présent arrêt, les points 87 à 89 de l’arrêt attaqué expliquent sans équivoque que l’amende infligée à l’article 2, premier alinéa, sous d), de la décision litigieuse à Fardem Packaging résulte de sa responsabilité propre dans l’infraction.

71 Aucune des trois branches du troisième moyen n’étant susceptible d’être accueillie, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

Sur le quatrième moyen

Argumentation des parties

72 Le quatrième moyen invoqué par Kendrion au soutien de son pourvoi vise le point 18 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a rejeté comme inopérant l’argument tiré de la durée excessive, selon elle, de la procédure devant le Tribunal. Ce dernier a jugé à cet égard que le contrôle juridictionnel qu’il exerce ne concerne que la décision litigieuse et que «[l]a légalité de celle-ci ne peut s’apprécier qu’à la lumière des faits et des circonstances dont disposait la Commission à la date de son
adoption».

73 La requérante en déduit que le Tribunal considère qu’il n’est compétent ni pour se prononcer sur les irrégularités intervenues au cours d’une procédure qui se déroule devant lui ni pour y remédier. Elle conteste cette analyse et soutient que, en cas de violation des principes généraux du droit, qui sont garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
signée à Rome le 4 novembre 1950, principes au nombre desquels figure celui du délai raisonnable, le Tribunal serait même tenu d’intervenir. En refusant par avance tout examen de son propre fonctionnement dans le cas concret dont il était saisi, le Tribunal aurait ainsi violé le droit de l’Union et cette violation justifierait l’annulation de l’arrêt attaqué.

74 À titre subsidiaire, Kendrion conclut à l’annulation de l’amende qui lui a été infligée ou à la réduction du montant de celle-ci. À cet égard, elle fait valoir que, à supposer même que le Tribunal ne soit pas lui-même compétent pour réduire, en raison de la durée excessive de la procédure qui s’est déroulée devant lui, le montant de l’amende infligée dans une décision de la Commission, rien n’empêcherait la Cour, en tout état de cause, de se prononcer sur ce point fondamental pour la sécurité
juridique des justiciables et d’en tirer les conséquences nécessaires.

75 En se référant aux critères d’appréciation dégagés dans la jurisprudence de la Cour, Kendrion souligne la durée de la procédure de première instance, qu’elle évalue à 6 ans et 9 mois. Elle relève que l’enjeu de l’affaire était important pour elle, le montant de l’amende représentant un multiple de son bénéfice net et étant égal à la moitié de ses fonds propres. En outre, cette amende serait préjudiciable à sa réputation et pèserait très lourdement sur ses possibilités d’investissement et
d’expansion. Compte tenu de ces éléments, la requérante considère qu’une réduction de 5 % de l’amende qui lui a été infligée serait justifiée.

76 À titre principal, la Commission conteste l’affirmation selon laquelle le Tribunal aurait commis une erreur de droit en refusant d’examiner son propre fonctionnement dès lors que, d’une part, selon la jurisprudence de la Cour, la durée de la procédure devant le Tribunal ne peut pas conduire à l’annulation de la décision litigieuse et, d’autre part, il serait inapproprié d’obliger le Tribunal à vérifier, dans le cadre d’un recours en annulation, s’il a offert aux parties au litige une protection
juridictionnelle effective, car, dans ce cas, le Tribunal serait son propre juge. À titre subsidiaire, la Commission émet des doutes quant à l’existence en l’espèce d’une violation, par le Tribunal, du principe du délai de jugement raisonnable.

Appréciation de la Cour

77 Il convient de rappeler d’emblée que l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte dispose que «[t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi». Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, cet article est afférent au principe de protection juridictionnelle effective (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System
Deutschland/Commission, C-385/07 P, Rec. p. I-6155, point 179 et la jurisprudence citée).

78 À ce titre, ce droit, dont l’existence avait été affirmée avant l’entrée en vigueur de la Charte en tant que principe général du droit de l’Union, est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission (voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 178 et la jurisprudence citée).

79 En l’espèce, le Tribunal a rejeté comme inopérant, sans l’examiner, le moyen tiré d’une violation du principe du délai de jugement raisonnable que Kendrion avait invoqué lors de l’audience, au motif que le contrôle juridictionnel qu’il lui appartenait d’exercer ne portait que sur la légalité de la décision litigieuse.

80 Afin d’apprécier le bien-fondé dudit rejet, il convient de préciser les remèdes et voies de recours ouverts à la partie concernée en cas de violation dudit principe.

81 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le dépassement d’un délai de jugement raisonnable, en tant qu’irrégularité de procédure constitutive de la violation d’un droit fondamental, doit ouvrir à la partie concernée un recours effectif lui offrant un redressement approprié (voir, Cour eur. D. H., arrêt Kudla/Pologne du 26 octobre 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000 XI, § 156 et 157).

82 Si la requérante demande l’annulation de l’arrêt attaqué et, subsidiairement, une réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée, il y a lieu de relever que la Cour a déjà jugé que, en l’absence de tout indice selon lequel la durée excessive de la procédure devant le Tribunal aurait eu une incidence sur la solution du litige, le non‑respect d’un délai de jugement raisonnable ne saurait conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué (voir, en ce sens, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System
Deutschland/Commission, précité, points 190 et 196 ainsi que la jurisprudence citée).

83 Cette jurisprudence est fondée notamment sur la considération selon laquelle, en l’absence d’incidence sur la solution du litige du non-respect d’un délai de jugement raisonnable, l’annulation de l’arrêt attaqué ne remédierait pas à la violation, par le Tribunal, du principe de protection juridictionnelle effective (arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 193).

84 En l’espèce, la requérante n’a fourni à la Cour aucun indice de nature à laisser apparaître que le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable a pu avoir une incidence sur la solution du litige dont ce dernier était saisi.

85 Il s’ensuit que le quatrième moyen invoqué à l’appui du pourvoi ne saurait aboutir à l’annulation de l’arrêt attaqué dans son ensemble.

86 Pour autant que la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir tiré les conséquences nécessaires qu’impliquait le non-respect par ce dernier d’un délai de jugement raisonnable, il convient de relever qu’elle ne prétend pas avoir fourni au Tribunal un quelconque indice de nature à laisser apparaître que cette irrégularité de procédure pouvait avoir une incidence sur la solution du litige dont il était saisi et, à ce titre, pourrait justifier une annulation de la décision litigieuse.

87 Il convient, en outre, de rappeler que, compte tenu de la nécessité de faire respecter les règles de concurrence du droit de l’Union, le juge de l’Union ne saurait permettre, au seul motif de la méconnaissance d’un délai de jugement raisonnable, à la partie requérante de remettre en question le bien-fondé ou le montant d’une amende alors que l’ensemble des moyens dirigés contre les constatations opérées au sujet du montant de cette amende et des comportements qu’elle sanctionne ont été rejetés
(voir, en ce sens, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, points 194).

88 Il s’ensuit que le non-respect d’un délai de jugement raisonnable dans le cadre de l’examen d’un recours juridictionnel introduit contre une décision de la Commission infligeant une amende à une entreprise pour violation des règles de concurrence du droit de l’Union ne saurait conduire à l’annulation, totale ou partielle, de l’amende infligée par cette décision.

89 Pour autant que la requérante a demandé devant le Tribunal une réduction de l’amende qui lui a été infligée de façon à tenir compte des conséquences préjudiciables ayant résulté pour elle de la durée excessive de la procédure devant cette juridiction, il convient de constater qu’une telle demande, d’une part, a un objet différent de celui d’une procédure en annulation, laquelle se limite au contrôle de la légalité de l’acte attaqué, et, d’autre part, implique l’examen de faits différents de ceux
pris en considération dans le cadre d’une procédure en annulation. Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 18 de l’arrêt attaqué, que, dans le cadre du recours en annulation dont il était saisi, la légalité de la décision litigieuse ne pouvait être appréciée qu’à la lumière des faits et des circonstances dont disposait la Commission à la date de son adoption.

90 Dans ces conditions, c’est à bon droit que le Tribunal a rejeté comme inopérant le grief tiré par Kendrion d’une violation du principe du délai de jugement raisonnable.

91 Dans la mesure où la requérante demande, à titre subsidiaire, à la Cour de réduire, pour les mêmes raisons que celles invoquées devant le Tribunal, l’amende qui lui a été infligée, il convient de rappeler que, dans un premier temps, la Cour, confrontée à une situation similaire, a fait droit à une telle demande pour des raisons d’économie de procédure et afin de garantir un remède immédiat et effectif contre une telle irrégularité de procédure et a, ainsi, procédé à la réduction du montant de
l’amende (arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 48).

92 Par la suite, la Cour, dans le cadre d’une affaire concernant une décision de la Commission constatant l’existence d’un abus de position dominante, mais n’infligeant pas d’amende, a jugé que le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable peut donner lieu à une demande en indemnité (arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 195).

93 Certes, la présente affaire concerne une situation analogue à celle ayant donné lieu à l’arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité. Toutefois, une demande en indemnité introduite contre l’Union sur le fondement des articles 268 TFUE et 340, deuxième alinéa, TFUE constitue, en ce qu’elle peut couvrir toutes les situations de dépassement du délai raisonnable d’une procédure, un remède effectif et d’application générale pour faire valoir et sanctionner une telle violation.

94 Il y a donc lieu, pour la Cour, de décider qu’une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation résultant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif.

95 Il s’ensuit qu’une demande visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable ne peut être soumise directement à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, mais doit être introduite devant le Tribunal lui-même.

96 En ce qui concerne les critères permettant d’apprécier si le Tribunal a respecté le principe du délai raisonnable, il convient de rappeler que le caractère raisonnable du délai de jugement doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire, telles que la complexité du litige et le comportement des parties (voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 181 et la jurisprudence citée).

97 À cet égard, la Cour a précisé que la liste des critères pertinents n’est pas exhaustive et que l’appréciation du caractère raisonnable dudit délai n’exige pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun de ces critères lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d’un seul de ceux-ci. Ainsi, la complexité de l’affaire ou un comportement dilatoire du requérant peut être retenu pour justifier un délai de prime abord trop long (voir, notamment, arrêt
Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 182 et la jurisprudence citée).

98 Lors de l’examen de ces critères, il convient de tenir compte du fait que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, l’exigence fondamentale de sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs économiques ainsi que l’objectif d’assurer que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur présentent un intérêt considérable non seulement pour le requérant lui-même et pour ses concurrents, mais également pour les tiers, en raison du grand nombre
de personnes concernées et des intérêts financiers en jeu (voir, notamment, arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, point 186 et la jurisprudence citée).

99 Il appartiendra également au Tribunal d’apprécier tant la matérialité du dommage invoqué que le lien de causalité de celui-ci avec la durée excessive de la procédure juridictionnelle litigieuse en procédant à un examen des éléments de preuve fournis à cet effet.

100 À cet égard, il convient de souligner que, dans le cas d’un recours en indemnité fondé sur une violation, par le Tribunal, de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en ce qu’il aurait méconnu les exigences liées au respect du délai de jugement raisonnable, il incombe à celui-ci, conformément à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, de prendre en considération les principes généraux applicables dans les ordres juridiques des États membres pour traiter les recours fondés sur des violations
similaires. Dans ce contexte, le Tribunal doit notamment rechercher s’il est possible d’identifier, outre l’existence d’un préjudice matériel, celle d’un préjudice immatériel qui aurait été subi par la partie affectée par le dépassement de délai et qui devrait, le cas échéant, faire l’objet d’une réparation adéquate.

101 Il appartient dès lors au Tribunal, compétent en vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, de se prononcer sur de telles demandes d’indemnité, en statuant dans une formation différente de celle ayant eu à connaître du litige qui a donné lieu à la procédure dont la durée est critiquée et en appliquant les critères définis aux points 96 à 100 du présent arrêt.

102 Cela étant, force est de constater que la durée de la procédure devant le Tribunal, qui s’est élevée à près de 5 ans et 9 mois, ne peut être justifiée par aucune des circonstances propres à l’affaire ayant donné lieu au présent litige.

103 Il s’avère, notamment, que la période comprise entre la fin de la procédure écrite, avec le dépôt, en février 2007, du mémoire en duplique de la Commission, et l’ouverture, au cours du mois de décembre 2010, de la procédure orale a duré environ 3 ans et 10 mois. La longueur de cette période ne saurait s’expliquer par les circonstances de l’affaire, qu’il s’agisse de la complexité du litige, du comportement des parties ou encore de la survenance d’incidents procéduraux.

104 S’agissant de la complexité du litige, il ressort de l’examen du recours introduit par la requérante, tel qu’il est résumé au point 12 du présent arrêt, que, tout en exigeant un examen approfondi, les moyens invoqués ne présentaient pas un degré de difficulté particulièrement élevé. Même s’il est vrai qu’une quinzaine de destinataires de la décision litigieuse ont introduit des recours en annulation à l’encontre de celle-ci devant le Tribunal, cette circonstance n’a pas pu empêcher cette
juridiction de faire la synthèse du dossier et de préparer la procédure orale dans un laps de temps inférieur à 3 ans et 10 mois.

105 Pour ce qui est du comportement des parties et de la survenance d’incidents procéduraux, il convient de relever que ce n’est qu’au terme dudit délai de 3 ans et 10 mois que le Tribunal a adopté, en décembre 2010, une mesure d’organisation de la procédure, en invitant Kendrion a répondre par écrit à une question. La requérante y a répondu le 12 janvier 2011 dans le délai imparti, son comportement n’ayant ainsi eu aucune conséquence sur la durée globale de la procédure.

106 Compte tenu des éléments qui précèdent, il convient de constater que la procédure suivie devant le Tribunal a violé l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte en ce qu’elle a méconnu les exigences liées au respect du délai de jugement raisonnable, ce qui constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, Rec. p. I-5291, point 42).

107 Il résulte toutefois des considérations exposées aux points 81 à 95 du présent arrêt que le quatrième moyen doit être rejeté.

108 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’aucun des moyens invoqués par la requérante au soutien de son pourvoi ne saurait être accueilli et, partant, celui-ci doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

109 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

110 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) Kendrion NV est condamnée aux dépens du présent pourvoi.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C‑50/12 P
Date de la décision : 26/11/2013
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation, Recours contre une sanction

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché des sacs industriels en plastique – Imputabilité à la société mère de l’infraction commise par la filiale – Responsabilité solidaire de la société mère pour le paiement de l’amende infligée à la filiale – Durée excessive de la procédure devant le Tribunal – Principe de protection juridictionnelle effective.

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : Kendrion NV
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston
Rapporteur ?: Berger

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:771

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